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Document 61984CC0151

    Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 18 septembre 1985.
    Joan Roberts contre Tate & Lyle Industries Limited.
    Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England) - Royaume-Uni.
    Égalité de traitement entre hommes et femmes - Conditions de licenciement.
    Affaire 151/84.

    Recueil de jurisprudence 1986 -00703

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1985:344

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    SIR GORDON SLYNN

    présentées le 18 septembre 1985 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    La Cour est saisie de la présente affaire à titre préjudiciel par une ordonnance de renvoi rendue le 12 mars 1984, en application de l'article 177 du traité CEE, par la Court of Appeal statuant en appel d'un jugement rendu par l'Employment Appeal Tribunal.

    Mlle Joan Roberts a été employée par Tate & Lyle Industries Limited, anciennement Tate & Lyle Food and Distribution Limited (toutes deux dénommées ci-après « Tate & Lyle »), dans un dépôt de cette société à Liverpool, pendant près de 29 ans, jusqu'à ce qu'elle soit licenciée, ensemble avec les autres employés, le 22 avril 1981 lorsque Tate & Lyle a fermé les installations en rapport. Elle était alors âgée de 53 ans.

    Mlle Robens était affiliée au régime de retraite professionnel de Tate & Lyle. L'âge normal de mise à la retraite au titre de ce régime (retraite obligatoire pour un employé avec versement d'une pension) était de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Lors du licenciement collectif à Liverpool, des conditions de compensation f) Our perte d'emploi ont été convenues avec e syndicat dont Mlle Roberts était membre, conditions selon lesquelles une indemnité unique, calculée selon une formule type, serait proposée à tous les employés licenciés. Il a également été convenu qu'à titre de solution de rechange, une pension immédiate, payée par la caisse du régime de retraite, serait proposée aux hommes et femmes jusqu'à concurrence de cinq ans avant l'échéance de leurs droits acquis au titre de ce régime. Une pension immédiate a par conséquent été proposée aux employés de sexe masculin âgés de 60 ans et plus et aux employés de sexe féminin âgés de 55 ans et plus. Les employés masculins âgés de 55 à 60 ans ont alors fait part à Tate & Lyle de leurs critiques, en ce que les accords de licenciement les défavorisaient dans la mesure où une femme se trouvant dans cette tranche d'âge avait droit au bénéfice d'une pension immédiate, alors qu'un homme dans cette tranche d'âge n'y avait pas droit. Suite à ces critiques, Tate & Lyle a proposé aux employés masculins âgés de 55 à 60 ans la possibilité de choisir entre l'indemnité unique calculée selon la formule type et le bénéfice immédiat d'une pension, moyennant un paiement comptant réduit. En définitive, chaque employé, homme ou femme de plus de 55 ans, pouvait choisir la pension immédiate.

    A la date du licenciement, Mme Roberts était âgée de 53 ans. Elle fait grief du fait qu'un employé masculin avait droit au bénéfice immédiat d'une pension dix ans avant l'âge normal de mise à la retraite pour les hommes, alors qu'un employé féminin n'y avait pas droit dix ans avant l'âge normal de mise à la retraite pour les femmes (comme dans son cas). Tate & Lyle réplique que Mlle Roberts n'a pas été moins favorablement traitée en raison de son sexe étant donné qu'elle a été traitée exactement de la même manière qu'un homme âgé de 53 ans: ni l'un ni l'autre n'avait droit à une pension immédiate à la suite du licenciement collectif.

    Mlle Roberts a formé un recours en faisant valoir qu'elle avait été l'objet d'une discrimination illégale effectuée à son encontre en violation du Sex Discrimination Act de 1975 et du droit communautaire, à savoir la directive 76/207 du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO 1976, L 39, p. 40). Son recours a été rejeté par un Industrial Tribunal le 7 décembre 1981 ainsi que par l'Employment Appeal Tribunal le 30 mars 1983. Ce dernier l'a déboutée aux motifs que les actes de Tate & Lyle n'ont pas été illégaux puisque la section 6, paragraphe 4, du Sex Discrimination Act de 1975 a rendu légale la discrimination en raison du sexe effectuée par les employeurs, lorsqu'elle concerne « des dispositions ayant trait à la retraite » (ce qui, selon le tribunal, a été le cas en l'espèce), et que la directive 76/207 n'est pas directement applicable devant les juridictions du Royaume-Uni. Mme Roberts a fait appel de cette décision devant la Court of Appeal.

    La Court of Appeal a sollicité une décision préjudicielle sur les questions suivantes :

    1)

    Tate & Lyle a-t-il oui ou non effectué une discrimination à l'encontre de Mlle Roberts, en violation de la directive 76/207, en prévoyant, d'une part, pour les employés de sexe masculin qui ont été licenciés, l'octroi d'une pension de la caisse de pension professionnelle dix ans avant l'âge normal de mise à la retraite, soit 65 ans, et, d'autre part, pour les employés de sexe féminin (tels que Mlle Roberts) qui ont été licenciés, l'octroi d'une pension seulement cinq ans avant l'âge normal de mise à la retraite, soit 60 ans, tout en octroyant aussi bien aux hommes qu'aux femmes le bénéfice immédiat d'une pension à l'âge de 55 ans?

    2)

    En cas de réponse affirmative à la question no 1 précitée, Mlle Roberts peut-elle, compte tenu des circonstances de l'espèce, invoquer devant les cours et tribunaux nationaux la directive 76/207 malgré l'incompatibilité (si tant est qu'elle existe) entre la directive et la section 6, paragraphe 4, du Sex Discrimination Act de 1975?

    En ce qui concerne la question no 1, Mlle Roberts est la seule à soutenir que les arrangements précités constituent une discrimination illégale en vertu de la directive 76/207. Elle invoque les articles 1er, paragraphe 1, 2, paragraphe 1, 3, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, ainsi que l'arrêt de la Cour dans l'affaire 19/81, Burton/British Railways Board, Rec. 1982, p. 555. Elle prétend qu'elle est en droit de comparer son traitement à celui d'un homme qu'un nombre d'années équivalent au sien sépare de l'âge normal de mise à la retraite et soutient que Tate & Lyle a agi en violation de ladite directive en permettant aux femmes de percevoir une pension immédiate uniquement jusqu'à concurrence de cinq ans avant l'âge normal de mise à la retraite tout en permettant aux hommes de percevoir cette retraite jusqu'à concurrence de dix ans avant l'âge normal de mise à la retraite.

    Tate & Lyle, la Commission et le Royaume-Uni défendent tous la thèse contraire, à savoir que les arrangements précités n'ont pas constitué une discrimination incompatible avec la directive. Tate & Lyle considère qu'il a traité les hommes et les femmes ayant le même âge d'une façon identique et que, par conséquent, il ne saurait y avoir de discrimination. Le Royaume-Uni estime qu'au vu des faits exposés à la Cour, il n'y a eu aucune illégalité de traitement manifeste, mais une égalité de traitement apparente; dans ces circonstances, la Cour n'aurait nul besoin de poursuivre ses investigations, à moins qu'un argument ne soit avancé qui lui donne quelque raison de supposer qu'en dépit de l'égalité de traitement apparente il y a eu, en réalité, inégalité de traitement. Le seul argument de cette nature paraît résider dans le fait que l'appelante invoque l'arrêt Burton, qui, selon le Royaume-Uni, est interprété de manière erronée. Dans l'arrêt Burton, il aurait été jugé que la différence de traitement, en ce qui concerne l'admission au bénéfice des prestations, ne constituait pas une discrimination lorsqu'elle découlait du fait que l'âge minimal ouvrant droit à la pension n'était pas le même pour les hommes et pour les femmes dans la législation nationale; le Royaume-Uni est toutefois d'avis que la Cour n'a pas jugé, dans l'affaire Burton, que le seul moyen de satisfaire au principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions d'âge était de lier toute condition de ce type à l'âge minimal ouvrant droit à la pension, prévu dans la législation nationale. La Commission défend un point de vue analogue en faisant valoir que le critère exact est celui de l'âge « absolu », et non celui de l'âge « relatif », ainsi que le prétend Mlle Roberts. Elle fonde cette conclusion sur une considération de politique générale selon laquelle l'écart entre les âges ouvrant droit à la pension, prévus respectivement pour les hommes et pour les femmes, devrait disparaître à long terme, tant dans les régimes publics que dans les régimes privés. Elle soutient que si Mlle Roberts devait obtenir gain de cause dans son action, la différence d'âge serait une fois de plus rétablie, ce qui renforcerait dans ses effets un phénomène qui ne cessera d'être une source de litiges que lorsqu'il aura été éliminé. La Commission soutient que l'affaire Burton ne saurait être invoquée à l'appui de l'argumentation de Mlle Roberts. Cette affaire viserait un cas de discrimination pour lequel une dérogation à l'interdiction est actuellement prévue à l'article 7 de la directive 79/7 du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).

    Le Danemark ne présente pas d'observations en ce qui concerne la question no 1 et limite ses commentaires à la question no 2.

    En ce qui concerne la question no 2, Mlle Roberts est ici encore seule pour soutenir qu'elle peut invoquer les articles 1er, paragraphe 1, 2, paragraphe 1,3, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 devant les juridictions nationales à l'encontre d'uni employeur privé (c'est-à-dire que ces dispositions ont un « effet direct horizontal »). En effet, de l'avis de l'appelante: 1) la directive impose des obligations inconditionnelles et suffisamment précises, 2) un tel effet direct est essentiel si la directive doit atteindre son objectif, qui est de protéger le droit fondamental de la personne humaine que constitue l'égalité de traitement en matière d'emploi, sans discrimination fondée sur le sexe, 3) la Cour et l'avocat général Capotorti ont suggéré, dans l'affaire 149/77, Defrenne/Sabena, Rec. 1978, p. 1365 (arrêt « Defrenne no 3»), que la directive en cause a un tel effet direct (aux points 30, 31 et 33 des motifs de l'arrêt et à la page 1388 des conclusions), 4) l'article 6 de la directive elle-même suggère qu'elle a un tel effet direct, et 5) dénier à la directive un tel effet direct conduirait à des conséquences arbitraires. Mlle Roberts souligne qu'admettre que les dispositions en cause de la directive ont un effet direct horizontal en raison de son contenu spécifique et de son but consistant à protéger un droit fondamental de la personne humaine n'implique pas que d'autres directives aient pareillement un tel effet direct.

    Tate & Lyle soutient que la deuxième question appelle la réponse suivante : « A supposer qu'il y ait eu discrimination (ce qui est contesté), Mlle Roberts ne peut pas invoquer la directive 76/207 dans les circonstances de l'espèce. » Il soutient que la section 6, paragraphe 4, du Sex Discrimination Act de 1975 est conforme au droit communautaire et couvre l'action de Tate & Lyle. Tate & Lyle et le gouvernement du Royaume-Uni prétendent qu'à supposer qu'il y ait lieu de répondre à la deuxième question, Mlle Roberts ne saurait invoquer la directive parce que celle-ci ne peut être invoquée qu'à l'encontre d'un État membre qui a manqué à l'obligation de la mettre en œuvre et parce qu'en tout état de cause les obligations qu'elle comporte ne sont ni claires, ni précises, ni inconditionnelles. Tate & Lyle et le gouvernement du Royaume-Uni se réfèrent à l'affaire 14/83, Von Colson et Kamann/Land Nordrhein-Westfalen, Rec. 1984, p. 1891, et à l'affaire 79/83, Harz/Deutsche Tradax, Rec. 1984, p. 1921.

    Le Danemark suggère à la Cour de répondre à la deuxième question en ce sens que le principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes énoncé dans la directive 76/207 du Conseil n'a pas d'effet direct dans les États membres au détriment de particuliers. La directive ne pourrait être invoquée qu'à l'encontre d'un État membre qui a manqué à l'obligation de la mettre en œuvre. Aucune obligation ne serait mise à la charge des particuliers. Le fait que la publication des directives n'est pas obligatoire indiquerait qu'elles ne sont pas opposables aux particuliers. Si tel n'était pas le cas, il en résulterait une grande insécurité juridique.

    La Commission ne présente pas d'observations en ce qui concerne l'effet direct des directives. Puisqu'elle suggère de répondre négativement à la première question, elle considère qu'il n'y a pas lieu d'examiner la deuxième question.

    La directive 76/207 dispose :

    Article premier, paragraphe 1

    «La présente directive vise la mise en œuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail et, dans les conditions prévues au paragraphe 2, la sécurité sociale. Ce principe est dénommé ci-après ‘principe de l'égalité de traitement’»

    Article 2, paragraphe 1

    «Le principe de l'égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial. »

    Article 5, paragraphe 1

    «L'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe. »

    Au titre du régime de retraite de Tate & Lyle en vigueur à l'époque en question, le droit à la pension était ouvert en règle générale lorsque l'employé prenait sa retraite au moment de sa date normale de mise à la retraite; la date normale de mise à la retraite était celle du dernier jour du mois au cours duquel l'employé atteignait l'âge de 65 ans s'il s'agissait d'un homme, ou de 60 ans s'il s'agissait d'une femme. On notera qu'ici, comme cela arrive souvent, l'âge ouvrant droit à la pension (l'âge auquel une personne a droit à une pension) et l'âge ou la date normale de mise à la retraite (l'âge ou la date où il est normal que l'employeur oblige les employés à prendre leur retraite, en l'absence de circonstances spéciales) coïncident. Une telle coïncidence n'est pas obligatoire. Les âges ouvrant droit à la retraite prévus par le régime de Tate & Lyle sont les mêmes que ceux fixés aux fins du régime légal de pension, bien que, d'après des informations fournies par la Commission et qu'à notre connaissance il n'y ait pas d'âge obligatoire de mise à la retraite au Royaume-Uni. La décision initiale d'octroyer des pensions aux hommes à l'âge de 60 ans et aux femmes à l'âge de 55 ans était manifestement liée à ces âges.

    Or, à notre avis, le cas d'espèce concerne non pas la retraite ou la retraite anticipée, mais le licenciement, c'est-à-dire le licenciement d'un employé dont l'emploi a cessé d'exister [section 81 de l'Employment Protection (Consolidation) Act de 1978] et les conditions d'admission au bénéfice des prestations prévues en cas de licenciement. Mlle Roberts, ayant reconnu que la section 6, paragraphe 4, du Sex Discrimination Act de 1975 n'est d'aucun secours et que l'article 119 du traité CEE n'est pas pertinent puisque le montant de la prestation n'est pas en cause, cherche à se prévaloir de la directive 76/207, qui aurait dû être mise en oeuvre à l'époque en question en l'espèce, mais qui ne l'a pas été.

    Il s'agit, semble-t-il, d'un licenciement au sens propre du terme, suite à la fermeture des installations de Liverpool (à l'opposé de l'affaire Burton, dans laquelle il s'agissait d'un régime de départ volontaire que la Cour a accepté d'assimiler à un licenciement). Il convient, par conséquent, de se poser la question de savoir si un employé se trouvant dans la situation de Mlle Roberts peut être considéré comme ayant bénéficié des mêmes conditions de travail, y compris les conditions prévues en matière de licenciement, sans discrimination fondée sur le sexe.

    A notre avis, si, au moment du licenciement, les femmes et les hommes sont admis au bénéfice d'une pension au même âge, à première vue, ils ne font l'objet d'aucune discrimination fondée sur le sexe dans la mesure où ils bénéficient par ailleurs des mêmes conditions au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive.

    On a toutefois prétendu que l'arrêt de la Cour dans l'affaire Burton permet de tirer la conclusion contraire. Cet arrêt, estime-t-on, établit qu'il est légal et compatible avec l'article 5, paragraphe 1, que l'Etat applique des âges ouvrant droit à la pension différents pour les hommes et les femmes; le fait de fixer la date d'un régime de pension privé par référence à ces dates serait pareillement légal; le fait de subordonner une possibilité de prendre la retraite à une période déterminée par rapport aux âges légaux ouvrant droit à la pension serait pareillement légal à condition que les montants des prestations soient identiques. Par conséquent, puisqu'en l'espèce la société, sans y avoir été incitée, a adopté pour son régime privé des âges ouvrant droit à la pension différents pour les hommes et les femmes, prévus au titre du régime légal, elle devrait être logique. Elle ne pourrait pas faire varier les conditions normales de pension à moins de le faire proportionnellement. Si les hommes peuvent percevoir une pension au moment du licenciement dix ans avant qu'ils aient l'âge normal ouvrant droit à la pension, les femmes devraient pouvoir en faire autant.

    A notre avis, la directive 79/7 concerne non pas les régimes de retraite en général, mais la sécurité sociale au sens étroit. Il ressort de l'article 3 que la directive s'applique « aux régimes légaux » et « aux dispositions concernant l'aide sociale ». La faculté d'exclure du champ d'application de la directive 79/7 (et non des autres directives), visée à l'article 7, est, à notre avis, limitée aux pensions de vieillesse et de retraite ainsi qu'aux conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations dans le cadre du régime de sécurité sociale. Une telle faculté n'est pas prévue en ce qui concerne les régimes professionnels privés.

    Le Conseil a déclaré qu'il arrêtera des dispositions concernant la portée et l'application du principe de l'égalité de traitement dans les « régimes professionnels », régimes dont celui de Tate & Lyle fait partie. Dans les propositions y afférentes, les dispositions qui se fondent sur le sexe pour imposer des âges de retraite différents ont été classées au nombre des dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement (JO 1983, C 134, p. 7).

    Toutefois, en l'espèce, dans la mesure où on laisse de côté la question de savoir si, au titre de l'article 119 du traité, il convient de considérer une pension du secteur privé comme une rémunération différée, nous sommes enclin à penser que le fait d'imposer pour les hommes et pour les femmes des âges différents ouvrant droit aux pensions de retraite normales au titre des régimes de pension du secteur privé n'est incompatible avec aucune des directives que nous avons citées.

    A notre avis, on ne saurait cependant en tirer la conclusion qu'il y a lieu d'instituer dans d'autres circonstances les écarts ainsi adoptés pour les pensions de retraite. Si, dans des situations autres que la retraite normale, les hommes et les femmes sont admis à bénéficier de la même prestation à un âge identique, on ne se trouve pas en présence d'une discrimination au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, même si leurs pensions de retraite sont imposées à des âges différents. L'arrêt dans l'affaire Burton ne saurait, selon nous, être interprété en ce sens que, dès lors que des âges différents sont adoptés pour des pensions de retraite qui, nonobstant leur caractère discriminatoire, ne constituent pas une discrimination illégale contraire à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, l'employeur est tenu de conserver l'écart adopté pour calculer les versements à effectuer par anticipation par rapport à l'âge normal ouvrant droit à la pension ou à l'âge normal de mise à la retraite.

    L'interprétation contraire aurait pour effet d'étendre une discrimination qui est actuellement tolérée en ce qui concerne les pensions de retraite, mais que la Communauté cherche clairement, quoique lentement, à éliminer. L'article 7, paragraphe 2, invite lui-même les États membres à vérifier périodiquement si les exclusions introduites en vertu de l'article 7, paragraphe 1, sont justifiées compte tenu de l'évolution sociale. D'après les informations fournies par la Commission, il paraît que seuls la Belgique, la Grèce, l'Italie et le Royaume-Uni maintiennent encore, dans leur régime de droit commun, des âges ouvrant droit à la pension différents pour les hommes et les femmes.

    Par conséquent, selon nous, ce qui constitue apparemment une égalité de traitement en cas de licenciement aux fins de l'article 5, paragraphe 1, ne cesse pas de l'être parce que des écarts en matière de retraite peuvent être exclus du champ d'application du principe de l'égalité de traitement en vertu de dispositions concernant les pensions de retraite de droit commun visées à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 79/7 (ou des droits implicites en raison d'autres régimes de pension). A notre avis, le fait pour un employeur de prévoir, lorsqu'il licencie des employés pour cause de personnel en surnombre, que les hommes et les femmes devraient percevoir une pension à un même âge n'est pas discriminatoire au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207, même si, en définitive, les hommes perçoivent ces pensions à une date plus éloignée de leur âge normal ouvrant droit à la retraite que ne l'est celle applicable en ce qui concerne les femmes.

    Compte tenu de la réponse que nous suggérons de donner à la première question du tribunal national, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question. A supposer qu'il y ait lieu d'y répondre, ce serait, à notre avis, en ce sens que, dans la mesure où le juge national considère qu'il existe un conflit entre la directive et la législation nationale antérieure, la question se pose de savoir si les dispositions de la directive peuvent être invoquées dans le cadre de litiges pendants devant le juge national. Etant donné que l'intimée dans la présente procédure est une entreprise privée, cette question appelle, à notre avis, une réponse en ce sens que, pour les raisons que nous avons indiquées dans nos conclusions présentées dans l'affaire 152/84, Marshall contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority (Teaching), Rec. 1986, p. 725, auxquelles nous renvoyons, les dispositions des directives de la Communauté ne peuvent pas être invoquées devant les juridictions nationales à l'encontre de personnes autres que l'État.

    En conséquence, les questions déférées à la Cour par la Court of Appeal appellent, selon nous, la réponse suivante.

    Le fait pour un employeur d'octroyer aussi bien aux hommes qu'aux femmes licenciés le bénéfice immédiat d'une pension à l'âge de 55 ans n'est pas incompatible avec les dispositions de la directive 76/207, alors même que, d'une part, les employés de sexe masculin licenciés perçoivent une pension de la caisse de pension professionnelle de l'employeur dix ans avant l'âge normal de la mise à la retraite, soit 65 ans, et que, d'autre part, les employés de sexe féminin licenciés perçoivent une pension seulement cinq ans avant l'âge normal de la mise à la retraite, soit 60 ans.

    La décision relative aux frais des parties dans le cadre de la procédure au principal pendante devant la juridiction nationale sera prise par cette dernière. Les dépens exposés par le gouvernement du Danemark, le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission ne sont pas récupérables.


    ( *1 ) Traduit de l'anglais.

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