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Document 61981CC0314

Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 17 novembre 1982.
Procureur de la République et Comité national de défense contre l'alcoolisme contre Alex Waterkeyn et autres ; Procureur de la République contre Jean Cayard et autres.
Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Paris - France.
Publicité des boissons alcooliques.
Affaires jointes 314/81, 315/81, 316/81 et 83/82.

Recueil de jurisprudence 1982 -04337

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1982:395

CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

PRÉSENTÉES LE 17 NOVEMBRE 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Vous êtes saisis d'une demande de décision préjudicielle émanant du tribunal de grande instance de Paris.

I — Par arrêt du 10 juillet 1980 ( 1 ), vous avez jugé qu'

«en réglementant d'une manière discriminatoire la publicité des boissons alcooliques et en maintenant ainsi des obstacles à la liberté des échanges intracommunautaires, la République française avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE».

Un ceruin nombre de sociétés, ainsi que leurs directeurs, qui faisaient l'objet de poursuites pénales devant de tribunal de grande instance de Paris pour publicité illicite en faveur de boissons alcooliques ont alors fait valoir que les articles L. 17, alinéa 1er, et L. 18 du code (français) des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme, dont la violation leur était reprochée, avaient été déclarés incompatibles par votre arrêt précité et qu'ils devaient être relaxés de toute poursuite.

En présence de cette défense, la juridiction nationale vous demande, dans quatre séries d'affaires qu'elle vous a soumises au titre de l'article 177 du traité et dont vous avez ordonné la jonction, de statuer sur:

«l'effet direct et immédiat dans l'ordre juridique interne français du droit communautaire résultant de la décision du 10 juillet 1980, et ce compte tenu des dispositions de l'article 171 du traité CEE».

II — La perplexité de la juridiction nationale s'explique par des circonstances tenant aux différentes boissons en cause et aux mesures d'exécution prises à la suite de votre arrêt précité.

En effet, les produits pour lesquels les prévenus sont inculpés d'avoir fait de la publicité illicite appartiennent à deux catégories distinctes.

La première catégorie concerne des boissons alcooliques qui ne sont pas importées des États membres, mais proviennent de deux origines différentes:

une origine nationale: il s'agit d'une boisson alcoolique du troisième groupe au sens de l'article L. 1er du code, à savoir l'apéritif à base de vin Saint-Raphaël, pour laquelle la publicité est limitée (affaire 314/81),

une origine de pays tiers: il s'agit de boissons appartenant également au troisième groupe, à savoir des vins doux naturels ( 2 ) ou des vins de liqueur, plus précisément les portos Cruz et Cintra, importés du Portugal (affaires 315 et 316/81).

La seconde catégorie concerne une boisson alcoolique du cinquième groupe, importée d'un État membre, le whisky écossais «Label 5», pour laquelle toute publicité est interdite (affaire 83/82).

En ce qui concerne les mesures nécessaires à l'exécution d'un arrêt de votre Cour, l'article 171 énonce:

«Si la Cour de justice reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité, cet Eut est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice.»

Or, la seule mesure effectivement adoptée à la suite de votre arrêt a consisté dans l'envoi, le 10 octobre 1980, d'une circulaire du Garde des sceaux aux juridictions et aux parquets français, leur indiquant les conséquences à tirer de l'arrêt du 10 juillet 1980.

Cette circulaire expose que la réglemenution française n'aurait été condamnée que dans la mesure où elle éublit une discrimination affecunt un produit importé d'un État membre de la Communauté. Elle distingue selon

que la publicité a été effectuée en faveur d'un produit français, par hypothèse non importé, ou d'un produit importé d'un pays tiers et, dans ce cas, les juridictions françaises n'auraient pas à tenir compte de l'arrêt,

ou que la publicité a été effectuée en faveur d'un produit importé d'un État membre; il appartiendrait alors au juge pénal d'apprécier si ce produit «fait effectivement l'objet d'une discrimination» par rapport à d'autres produits nationaux pouvant être considérés comme venant en concurrence avec lui.

Les prévenus estiment que c'est l'ensemble du régime français de la publicité des boissons alcooliques qui a été condamné par votre arrêt et que les anieles L. 17 et L. 18 du code sont devenus globalement inapplicables, quels que soient l'origine ou le groupe du produit pour lequel ils sont inculpés de publicité illicite.

En présence des ces thèses divergentes, la juridiction nationale voudrait connaître les conséquences qu'elle doit tirer de votre arrêt au regard des poursuites dont elle reste saisie par le procureur de la République et par le Comité national de défense contre l'alcoolisme.

Dans le cadre de la procédure de l'article 177, il ne vous appartient pas de faire application de votre arrêt aux cas d'espèces dont est saisie la juridiction nationale. Cependant, vous pouvez l'éclairer utilement sur la portée de votre décision au regard des préventions qui lui sont soumises, en raison à la fois de l'«effet direct» de l'article 30 — seule disposition à laquelle la République française a manqué selon votre arrêt — et du fait que le régime français de publicité des boissons alcooliques n'a pas encore été formellement aménagé.

III — Ainsi posé, le problème appelle une réponse assez simple en théorie.

L'avis motivé de la Commision qui a abouti à votre arrêt du 10 juillet 1980 ne visait que l'article 30 du traité et cet arrêt n'a, en conséquence, qualifié de mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative que les limiutions ou interdictions de publicité affectant les importations d'autres États membres.

D'ailleurs, dans votre arrêt Emi Records du 15 juin 1976 ( 3 ), vous avez rappelé:

«que, dans le cadre des dispositions du traité concernant la libre circulation des marchandises, et conformément à son article 3, alinéa a), les articles 30 et suivants, relatifs à la suppression des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent, prévoient expressément que ces restrictions et mesures sont interdites ‘entre les Etats membres’.»

1.

Adoptant l'ordre dans lequel ces affaires ont été plaidées, nous commencerons par la seconde catégorie de produits visée, c'est-à-dire du whisky importé d'un État membre, pour laquelle la solution ne devrait faire aucune difficulté, mėme pour le gouvernement français, et à propos de laquelle le Comité national de défense contre l'alcoolisme ne s'est pas porté partie civile.

En effet, dans un arrêt antérieur du 27 février 1980 rendu entre les mêmes parties (Commission/République française), vous avez dit qu'

«il existe néanmoins entre toutes les eaux-de-vie (qu'elles proviennent dé la distillation des céréales ou de celle du vin) des traits communs suffisamment accusés pour admettre l'existence, dans tous les cas, d'un rapport de concurrence à tout le moins partiel ou potentiel» ( 4 ).

Au point 16 de votre arrêt du 10 juillet 1980 ( 5 ) vous indiquez que

«ces observations (de principe), formulées dans le cadre d'un litige relatif au régime fiscal des boissons en question, s'appliquent, par identité de motifs, à l'appréciation des entraves de caractère commercial, visée par les articles 30 et 36 du traité».

Or, d'après le point 20 de ce même arrêt ( 6 ),

«la réglementation (française) est contraire à l'article 30 du traité CEE en ce qu'elle comporte une restriction indirecte à l'importation de produits alcooliques originaires d'autres États membres, dans la mesure où la commercialisation de ces produits est soumise à des dispositions plus rigoureuses, en droit ou en fait, que celles qui s'appliquent aux produits nationaux (ou) concurrents».

Il en résulte assez clairement, nous semble-t-il, que le whisky importé d'un Eut membre doit être traité de la même façon que les boissons nationales directement concurrentes, c'est-à-dire les boissons du quatrième groupe (le cognac notamment), pour lesquelles, en l'état actuel de la législation française, la publicité est entièrement libre.

Sur ce point, votre arrêt n'appelait, en principe, aucune intervention du législateur français, l'interdiction nationale ne restant applicable qu'au whisky directement importé des pays tiers.

Il suffit donc — mais il faut — que les intéressés soient relaxés de toute poursuite. C'est en effet ce qui résulte notamment de votre arrêt Schonenberg du 16 février 1978 ( 7 ), dans lequel vous avez précisé qu'

«une condamnation pénale prononcée en vertu d'un acte législatif national reconnu contraire en droit communautaire serait (également) incompatible avec ce droit».

2.

Dans le cas des boissons qui ne sont pas importées des États membres, la question se pose différemment.

Ainsi que nous l'avons indiqué, cette catégorie de produits concerne tant les boissons françaises que les boissons provenant de pays tiers. Nous examinerons successivement les deux cas.

a) Produits nationaux

Les prévenus (dans l'affaire 314/81) font valoir qu'on se trouverait en présence d'une «discrimination à rebours» si on devait écarter l'application du code des débits de boisson lorsqu'il s'agit de produits importés des États membres (whisky, par exemple, qui, suite à votre arrêt, devrait être aligné sur les boissons du quatrième groupe dont la publicité est libre), tout en la maintenant lorsqu'il s'agit de produits nationaux du troisième groupe (Saint-Raphaël, qui ne peut faire l'objet que d'une publicité limitée).

Il s'agit là en effet de produits, soit entre lesquels il existe une similitude au moins partielle — «notion qui doit recevoir une interprétation large» ( 8 ) — soit qui se trouvent dans un rapport de «concurrence même partielle, indirecte ou potentielle» ( 9 ). Or, vous avez déjà jugé qu'en ce qui concerne les rapports de similitude et de concurrence entre les produits mentionnés il suffit de renvoyer à l'arrêt rendu entre les mêmes parties le 27 février 1980, dans l'affaire 168/78, relatif au régime fiscal des eaux-de-vie ( 10 ) Notons qu'il s'agissait des vins doux naturels et des vins de liqueur importés, d'une part, des alcools distillés typiques de la production nationale et des alcools de grain d'importation, de l'autre.

D'après les intéressés, une pareille différence de traitement serait contraire :

à l'article 3, f),

à l'article 7, alinéa 1er, du traité,

au principe de l'égalité des administrés devant la réglementation économique, qui relève lui-même des principes généraux du droit communautaire,

à la protection des droits fondamentaux, assurée par la Cour.

Lors de la procédure orale, les mêmes parties se sont également référées aux conclusions du procureur général près la cour d'appel de Paris du 24 mai 1981 et à l'arrêt de cette cour du 14 juin 1982 dans une affaire Seul et autres, qui avaient trait à une campagne publicitaire concernant diverses boissons du cinquième groupe, notamment les pastis, apéritif à base d'anis.

Le procureur général avait conclu que «le maintien de la législation incriminée aux seuls produits nationaux constituerait une discrimination à rebours et serait contraire au principe constitutionnel de non-discrimination devant la loi, inscrit dans la déclaration des droits de l'homme et repris non seulement par la Constitution française, mais également par la Convention européenne des droits de l'homme».

Quant à la cour d'appel, elle a jugé que

«dès l'instant où, par l'arrêt ci-dessus mentionné ( 11 ) la législation française en elle-même, et notamment l'article L. 17 visé par la citation, a été décrétée globalement contraire au traité de Rome, parce qu'instituant dans le domaine envisagé une disparité de traitement propre à mettre obstacle aux échanges intercommunautaires, il n'y a pas lieu d'opérer une distinction entre les boissons importées de l'un des États membres et les autres»

ajoutant que

«même si, conformément à l'article 36 dudit traité, il échet de ne point méconnaître, en la circonstance, les besoins de la santé publique, il impone de ne pas laisser subsister, au sein du marché commun, des dispositions légales ou réglementaires qui, selon la formule employée dans le même article, seraient susceptibles d'équivaloir à ‘un moyen de discrimination arbitraire’ ou à ‘une restriction déguisée’ dans les échanges instaurés entre les pays membres de la Communauté ...»

Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, le dispositif de votre arrêt du 10 juillet 1980 n'a pas globalement décrété que la législation française en elle-même était contraire au traité de Rome.

Quant à la «discrimination à rebours», la Cour de justice est assurément compétente pour garantir la protection des droits fondamentaux lorsque des actes des autorités communautaires peuvent avoir une incidence sur ceux-ci. Mais la question qui se pose dans la présente procédure n'est pas relative à une atteinte éventuelle aux droits fondamentaux résultant d'un acte institutionnel des Communautés. Votre arrêt n'impose pas aux autorités nationales «le maintien de la législation incriminée aux seuls produits nationaux»: il est totalement neutre à cet égard. Il ne vous appartient donc pas, dans le cadre de la présente procédure, de vous prononcer sur la conformité, au regard des principes généraux du droit communautaire, de l'application d'une législation d'un État membre susceptible d'entraîner des discriminations au détriment des ressortissants de cet État.

Il convient d'examiner les autres moyens des parties.

L'article 3, lettre f), du traité invoqué dispose que:

«... l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité :

...

l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun».

S'il établit l'un des principes sur lesquels est fondée la Communauté, cet aniele n'a d'effet que dans le cadre des dispositions spécifiques auxquelles il renvoie, c'est-à-dire les règles de concurrence ( 12 ) et non la libre circulation des marchandises ( 13 ).

Selon l'anicle 7, alinéa 1er:

«dans le domaine d'application du présent traité et sans préjudice des dispositions paniculières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité».

Cette disposition édicte-t-elle une interdiction générale des discriminations à rebours?

Il ne le semble pas.

D'après votre jurisprudence, une telle interdiction vaut en matière de libre circulation des personnes ( 14 ); mais, dans les autres domaines, elle ne joue que sur la base de dispositions spécifiques du traité ou lorsqu'il existe une politique commune, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Ainsi, dans votre arrêt Peureux du 13 mars 1979 ( 15 ), vous avez jugé que:

«ni l'article 37, ni l'article 95 du traité CEE ne s'opposent à ce qu'un État membre frappe un produit national — en particulier certaines eaux-de-vie — que ce produit soit ou non soumis à un monopole commercial, d'impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits similaires importés des autres États membres».

Plus récemment, dans votre arrêt Vedel du 16 février 1982 ( 16 ), vous n'avez pas retenu l'existence d'une discrimination à rebours que risquait de subir un produit fabriqué sur le marché national par rapport aux produits similaires provenant d'autres États membres.

En ce qui concerne la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, son article 6, paragraphe 1er, dispose:

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ...»

Quant à l'article 14, également cité par les prévenus, il stipule que:

«la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation».

Ces deux dispositions paraissent étrangères aux présents débats.

Enfin, le principe de l'égalité devant la loi pénale existe certainement dans l'ordre constitutionnel français, mais il nous parait étranger à l'ordre juridique communautaire, qui est de nature socio-économique.

En conséquence, c'est aux juridictions françaises qu'il appartient, sous le contrôle de la Cour de cassation, de se prononcer sur cette «discrimination à rebours».

A cet égard, contrairement à ce que la Commission a fait observer lors de la procédure orale, la Cour de cassation n'a nullement jugé, à ce jour, que «la légalité de la loi pénale (française) au regard des dispositions du traité dont la valeur est supérieure à celle de la loi interne ne saurait être appréciée différemment selon la nationalité des prévenus et l'origine du produit objet de la publicité litigieuse»: il s'agit là d'un moyen invoqué dans leur pourvoi par certains des demandeurs en cassation et non d'un motif de l'arrêt qu'elle a rendu le 1er octobre 1979 ( 17 ).

b) Boissons importées de pays tiers

Les intéressés (dans les affaires 315 et 316/81) se prévalent uniquement dans leurs observations écrites du caractère global de la condamnation résultant de votre arrêt.

Nous croyons avoir montré que votre arrêt n'avait pas ce caractère.

Dans ses observations écrites, la Commission évoque la question de savoir si l'existence de l'accord de libre-échange signé le 22 juillet 1972 entre la Communauté économique européenne et la République portugaise pourrait être de quelque secours pour ces prévenus. Lors de la procédure orale, ces derniers (dans l'affaire 316/81) ont également invoqué les dispositions de cet accord; ils ont fait valoir que l'égalité de traitement devrait être en tout cas accordée aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres, conformément aux articles 9 et 10 du traité.

Bien que cet aspect du problème n'ait pas été expressément soulevé par le juge national, nous l'examinerons brièvement; les conséquences de votre arrêt ont entraîné en effet, dans une certaine mesure, en France une relative insécurité juridique à laquelle il peut étre intéressant de remédier.

Les articles 14, paragraphe 2, et 23 de l'accord CEE-Portugal équivalent aux articles 30 et 36 du traité CEE. Mais la similitude de leurs termes n'est pas une raison suffisante pour transposer au système de l'accord votre jurisprudence du 10 juillet 1980 qui détermine, dans le cadre de la Communauté, le rapport entre la protection de la santé publique et les règles relatives à la libre circulation des marchandises ( 18 ).

Par contre, en ce qui concerne les boissons importées des pays tiers (Portugal ou autre) et qui ont satisfait aux formalités douanières dans un État membre, autre que la France, où elles ont été importées, elles devraient pouvoir faire l'objet en France de campagnes publicitaires à l'instar des boissons similaires de cet autre État membre, à condition que les opérateurs prouvent que la publicité réalisée ne concerne que des produits mis en libre pratique dans le reste de la Communauté.

IV — Pour terminer, certaines considérations nous paraissent devoir mériter votre attention.

Nous avons dit que, du strict point de vue de la libre circulation des marchandises entre États membres (article 30), il était indifférent que les autorités nationales reportent sur les produits nationaux ou sur les produits directement importés des pays tiers l'effort visant à enrayer la consommation excessive d'alcool. Vous n'avez vous-mêmes attaché aucune importance au fait que la classification de l'article L. 1er du code français ait été basée sur certaines différences tenant tant au mode de fabrication qu'aux caractéristiques des produits: il suffisait qu'il existât une concurrence, même partielle, indirecte ou potentielle, ou similaire entre deux groupes de boissons.

Mais, indépendamment de ce que Me Monelmans appelle le «trouble de croissance» que constitue la discrimination à rebours, il n'en va pas de même du point de vue de la santé publique, qui demeure un objectif légitime du législateur national, en l'absence de politique commune dans ce secteur. La lutte contre l'alcoolisme constitue un impératif indivisible, qui ne devrait pas faire l'objet de différenciations selon que l'on se trouve ou non dans le domaine des échanges intracommunautaires. On peut se demander en effet pourquoi la publicité serait totalement prohibée pour les apéritifs anisés nationaux tels que le pastis, alors qu'elle serait tolérée pour les alcools de grains et la genièvre des autres États membres? Et, pour ces dernières boissons, la publicité devrait-elle être totalement libre — à l'instar des boissons des deuxième et quatrième groupes — alors que les boissons du troisième groupe ne jouiraient que d'une publicité limitée? Faudrait-il traiter tous les vins doux naturels et tous les apéritifs à base de vin des autres États membres (dont la publicité est encore actuellement limitée) comme les vins doux naturels français bénéficiant du régime fiscal des vins (dont la publicité est libre)?

De ce point de vue, l'application généralisée de l'égalité de traitement aux produits importés des autres États membres risque d'aboutir à un déferlement d'annonces publicitaires allant directement à l'encontre de l'objectif recherché par le législateur. On aboutirait à un aménagement du régime national au niveau optimal pour la libre circulation des marchandises, mais au niveau le plus bas pour la santé publique.

A notre avis, il n'existe que deux façons de remédier à cette situation:

soit par l'harmonisation ou le rapprochement des législations nationales en matière de publicité pour les boissons alcooliques (basés sur les articles 100 ou 235 du traité), la classification fiscale devant, autant que faire se peut, rejoindre les impératifs de la santé publique,

soit par une refonte totale du régime français de la publicité pour les boissons alcooliques. C'est en ce sens que les autorités françaises paraissaient s'être engagées avec le dépôt, le 24 mai 1980, d'un projet de loi relatif à la publicité des boissons alcooliques.

En l'état actuel des choses, nous ne pouvons que conclure à ce que vous disiez pour droit, en réponse à la question posée par la juridiction nationale:

Une réglementation d'un État membre relative à la publicité des boissons alcooliques, dont la Cour de justice a reconnu qu'elle constituait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité CEE, n'est inopposable en vertu de l'article 171 qu'aux produits similaires provenant des autres États membres.


( 1 ) Affaire 152/78, Commission/République française. Recueil p. 2300 et suiv.

( 2 ) Autres que ceux qui bénéficient du régime fiscal des vins du deuxième groupe.

( 3 ) Recueil 1976. p. 904. attendu n° 8.

( 4 ) Recueil 1980. p. 362. point 12.

( 5 ) Recueil 198C, p. 2316.

( 6 ) Recueil 1980. p. 2317.

( 7 ) Recueil 1978, p. 493.

( 8 ) Arret du 27 février 1980, Recueil p. 359, point 5.

( 9 ) Arret du 27 février 1980, Recueil p. 360, point 6.

( 10 ) Arret du 10 juillet 1980, Recueil p. 2315, point 13.

( 11 ) Votre arret du 10 juillet 1980.

( 12 ) Titre I de la troisième partie.

( 13 ) Titre I de la deuxieme partie.

( 14 ) Droit d'établissement de l'article 52: arrêt Knoors du 7 février 1979, Recueil p. 400 et suiv.

( 15 ) Recueil 1979. p. 915; voir conclusions de M. l'avocat general Mívras du 14 decembre 1978, Recueil 1979, p. 920-921.

( 16 ) Voir nos conclusions du 20 octobre 1981, Recueil 1982, p. 481-486.

( 17 ) Rossi di Montalera et autres.

( 18 ) Voir point 15 de votre irret Polydor du 9 fevrier 1982.

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