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Document 61981CC0064

Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 19 novembre 1981.
Nicolaus Corman & Fils SA contre Hauptzollamt Gronau.
Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Münster - Allemagne.
Glace alimentaire.
Affaire 64/81.

Recueil de jurisprudence 1982 -00013

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1981:278

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 19 NOVEMBRE 1981 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Les faits qui sont à la base de la demande de décision préjudicielle à propos de laquelle nous présentons aujourd'hui nos conclusions, sont les suivants :

Au cours des mois de janvier et de février 1975, la demanderesse dans l'affaire au principal, une entreprise belge, a demandé au bureau de douane d'Aix-la-Chapelle-autoroute sud, de dédouaner plusieurs lots de beurre concentré fondu d'un poids total d'environ 80 tonnes, qu'elle avait achetés conformément à la procédure du règlement (CEE) n° 1259/72 de la Commission du 16 juin 1972 relatif à la mise à disposition de beurre à prix réduit à certaines entreprises de transformation de la Communauté (JO L 139 du 17. 6. 1972, p. 18) et qu'elle avait importés de Belgique en république fédérale d'Allemagne. Dans le même temps, l'acheteuse des marchandises, l'entreprise allemande Otto Suwelack Nachfolger KG a demandé de placer celles-ci sous contrôle officiel, parce qu'elle voulait utiliser le beurre concentré fondu pour fabriquer de la glace alimentaire conformément aux dispositions du règlement cité. Faisant droit à ces demandes et en considération de cette destination, le bureau de douane a perçu une compensation monétaire au taux réduit de 50 %, d'un montant total de 37927,09 DM, en vertu du l'article 20 du règlement n° 1259/72 dans la rédaction du règlement (CEE) n° 1570/74 (JO L 167 du 22. 6. 1974, p. 29).

Le produit fabriqué par l'acheteuse, une préparation en poudre destinée à la fabrication de glaces alimentaires, a été analysé par le «Zolltechnische Prüfungsund Lehranstalt» (Institut de contrôle et d'enseignement des techniques douanières) de Munich et par l'«Institut für Chemie der Bundesanstalt für Milchforschung» (Institut chimique de l'office fédéral de recherche en matière laitière) de Kiel afin de vérifier sa conformité avec l'article 6, paragraphe 1, lettre c), troisième tiret, du règlement n° 1259/72 dans la rédaction du règlement (CEE) n° 2815/72 du 22 décembre 1972 (JO L 297 du 30. 12. 1972, p. 3). Selon cette disposition, le beurre vendu conformément au règlement n° 1259/72 ne peut être transformé:

«—

qu'en préparations en poudre pour la confection de glaces alimentaires, relevant des sous-positions ex 18.06 D ou ex 21.07 F du tarif douanier commun dont la teneur en poids de matières grasses provenant du lait est inférieure à 32 % et aptes à la consommation sans aucune autre opération que l'addition d'eau et la congélation.»

Les rapports d'analyse des deux instituts ont notamment critiqué — pour les détails nour pouvons renvoyer aux motifs de l'ordonnance de renvoi — le degré peu élevé d'aromatisation et d'édulcoration du produit, la teneur insuffisante en liants et en émulsionnants ainsi que le manque de stabilité du foisonnement. Le produit fabriqué s'affaisserait immédiatement après sa sortie du congélateur et fondrait rapidement. La partie fondue n'aurait pas la consistance crémeuse habituelle propre à la glace alimentaire; de plus, la partie congelée et le liquide se sépareraient immédiatement de manière nette, et on pourrait constater des particules de poudre intactes. En conséquence, le produit ne pourrait pas être considéré comme une glace alimentaire apte à la consommation selon l'opinion courante.

Sur la base de ces résultats, le bureau de douane compétent de Coesfeld, un service du bureau principal de Gronau, partie défenderesse, a perçu, par avis du 18 mars 1976, le montant compensatoire monétaire restant, de 37918,80 DM, pour le motif que le beurre concentré n'avait pas été utilisé conformément à sa destination, parce qu'il n'était pas possible de fabriquer des glaces alimentaires aptes à la consommation à partir des préparations en poudre, dans les conditions exigées.

Contre cette décision, la demanderesse, après une procédure de réclamation demeurée sans succès, a intenté un recours par lequel elle fait valoir essentiellement que, dans le cadre de la mise à disposition de beurre concentré de valeur réduite, l'objectif d'une destination bénéficiant d'une mesure de faveur serait déjà atteint lorsque apparaît un produit d'une certaine composition, qui serait «apte à la consommation» après addition d'eau et après congélation. En revanche, la question de savoir si le produit est admis comme glace alimentaire par le consommateur, serait sans importance. L'expression «verbrauchsfähig» (apte à la consommation) aurait la même signification que «konsumfähig» ou «verzehrbar» (consommable) ou «zum Verzehr nicht ungeeignet» (non impropre à la consommation). En revanche,. elle ne serait pas synonyme de «zum Genuß geeignet» (propre à procurer un plaisir gustatif), car il ne pourrait pas entrer parmi les tâches d'une administration de contrôler si un produit est accepté comme «savoureux» par le consommateur. En outre, l'expression devrait être interprétée de manière uniforme dans la Communauté, ce qui aurait pour conséquence qu'un produit devrait déjà être considéré comme glace alimentaire apte à la consommation lorsqu'il n'est conforme qu'à la liste des conditions d'un seul État membre. Comme le montre un certificat de l'Institut national belge du lait et des produits laitiers, la préparation en poudre fabriquée par l'entreprise Suwelack serait apte à la consommation en Belgique.

Par décision du 16 janvier 1981, la IVe chambre du Finanzgericht de Münster, saisie, a sursis à statuer et, conformément à l'article 177 du traité CEE, elle a demandé à la Cour de justice de statuer à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1.

Quelles qualités doit posséder une ‘glace alimentaire apte à la consommation’ au sens de l'article 6, paragraphe 1 c), troisième tiret, du règlement (CEE) n° 1259/72 de la Commission relatif à la mise à disposition de beurre à prix réduit à certaines entreprises de transformation de la Communauté du 16 juin 1972 (JO L 139, p. 18) dans la rédaction du règlement (CEE) n° 2815/72 de la Commission du 22 décembre 1972 (JO n° L 293, p. 3) modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n° 2819/74 de la Commission du 8 novembre 1974 (JO L 320, p. 21)? Suffit-il que le produit congelé soit ‘consommable’, ‘non impropre à la consommation humaine’ ou ‘non nuisible à la santé’? Ou doit-il en plus correspondre à l'attente du consommateur ou à l'opinion courante, c'est-à-dire être accepté par le consommateur comme glace alimentaire normale, en usage dans le commerce ou dans les relations commerciales?

2.

Dans le cas où l'attente du consommateur ou l'opinion courante est déterminante:

Suffit-il que le produit corresponde à l'attente du consommateur ou à l'opinion courante dominante dans l'État de la transformation, dans n'importe quel État de la Communauté européenne, ou même dans un État tiers, ou doit-il correspondre à l'attente du consommateur ou à l'opinion courante dans l'ensemble des États membres de la Communauté européenne?

3.

Importe-t-il que le produit soit commercialisable dans un des États précités ou dans l'ensemble des États membres de la Communauté européenne conformément aux dispositions de la législation sur les produits alimentaires en vigueur dans chacun d'eux?»

Par ces questions, qu'il est opportun de traiter ensemble, la juridiction de renvoi désire savoir quelles exigences supplémentaires doivent être posées, en plus des conditions déjà contenues dans la disposition en question, en ce qui concerne la caractéristique de «l'aptitude à la consommation», pour que la condition prescrite relative à la destination de la marchandise puisse être considérée comme satisfaite.

A cet égard, il faut tout d'abord rappeler que le règlement n° 1259/72 ne contient une définition complète particulière ni de la glace alimentaire ni des préparations en poudre en question, mais renvoie en principe aux sous-positions tarifaires ex 18.06 B et ex 21.07 C du tarif douanier commun ou, dans le cas des préparations en poudre, aux sous-positions tarifaires ex 18.06 D et 21.07 F de ce tarif. En conséquence, comme la Commission le relève à bon droit, indépendamment de la teneur prescrite en matières grasses provenant du lait, il faut garantir en premier lieu que la poudre en question constitue réellement un produit devant être classé sous les positions tarifaires ex 18.06 D ou ex 21.07 F, qui, par simple addition d'eau et par congélation, se transforme en une glace alimentaire relevant de la sous-position tarifaire ex 18.06 B ou 21.07 C. A cet égard, la juridiction de renvoi est partie, avec raison, de l'idée que, comme le montrent notamment les notes explicatives du tarif douanier des Communautés européennes, il n'est possible d'établir que des exigences restreintes à la qualité d'une «glace alimentaire» au sens de ces sous-positions tarifaires. Quoi qu'il en soit, le classèment sous les sous-positions tarifaires 18.06 — chocolat et autres préparations alimentaires contenant du cacao — et 21.07 — préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs — montrent déjà qu'il faut que le produit final en question soit une marchandise qui ne doit pas être impropre à la consommation humaine. En outre, déjà la désignation de la marchandise comme «glace alimentaire» conduit au même résultat. En effet, comme nous l'avons déjà indiqué dans nos conclusions du 2 décembre 1975 relatives à l'affaire 53/75 — État belge/Jean Nicolas Vandertaelen et Dirk Leopold Maes — (Recueil 1975, p. 1657), un produit dont la dénomination comprend le terme «consommation» (Speise) doit, de par sa nature et son goût, convenir à être destiné à la consommation directe.

De ces considérations il résulte déjà que, si l'on ne veut pas voir une simple tautologie dans la caractéristique «aptitude à la consommation» mentionnée à titre supplémentaire, il faut, contrairement à l'opinion de la demanderesse, attribuer une signification plus vaste à cette condition.

L'exactitude de cette thèse découle d'une lecture systématique du texte de la disposition en question. Lorsqu'on y lit que la préparation en poudre destinée à la fabrication de glaces alimentaires doit être apte à la consommation sans aucune autre opération que l'addition d'eau et la congelation, cela peut uniquement signifier, d'après le contexte, que la produit final doit être «apte à la consommation comme glace alimentaire». En d'autres termes, il doit s'agir d'un produit qui puisse être offert directement au consommateur comme glace alimentaire, sans autre transformation, abstraction faite de l'addition d'eau et de la congélation. Comme la Commission l'a également relevé avec raison, par consommateur, dans le cas de la glace alimentaire, il faut en principe entendre le consommateur final, puisque la glace alimentaire ne peut pas normalement être utilisée pour la fabrication d'autres produits. En conséquence, il faut exiger que le consommateur final soit en mesure de reconnaître effectivement le produit en question comme glace alimentaire et non pas comme un autre produit alimentaire ou friandise et que ce produit soit consommable en sa qualité de glace alimentaire.

Enfin, le fait qu'il doit s'agir d'un produit, qui puisse être directement savouré comme glace alimentaire par le consommateur, est exprimé de manière encore plus nette dans la dernière rédaction de ce règlement. — il s'agit du règlement n° 262/79 (JO L 41 du 16. 2. 1979, p. 1 et suiv.) — dans laquelle il n'est plus question désormais dans le texte allemand, malgré la rédaction différente dans les autres langues communautaires, de «verbrauchsfähig» mais de «verbrauchsfertig» ( 2 ).

A l'appui de cette thèse, on peut également invoquer le sens et la finalité de la réglementation du règlement n° 1259/72. Ainsi qu'il résulte des considérants, ces dispositions devaient permettre de réduire les stocks considérables de beurre d'intervention en incitant, par un prix de vente peu élevé, à utiliser le beurre plutôt que des matières grasses meilleur marché, pour fabriquer certains produits de transformation. Naturellement, un tel système présente le danger que le beurre vendu à prix réduit soit utilisé de manière abusive et qu'ainsi l'autre beurre soit éliminé du marché. Pour l'empêcher, il est nécessaire, comme il est dit dans les considérants, «d'instaurer un régime de contrôle assurant que le beurre n'est pas détourné de sa destination».

Mais on ne peut parvenir à un contrôle qu'en décrivant de la manière la plus exacte possible — comme le fait le règlement — les produits pour lesquels le beurre peut être utilisé.

Puisque, dans le cas des préparations, le danger est particulièrement grand que la poudre soit finalement utilisée à d'autres fins que la fabrication de glaces alimentaires, le règlement exige pour ces produits que l'on obtienne une glace alimentaire apte à la consommation par addition d'eau et après congélation. Si, en revanche, comme le pense la demanderesse dans l'affaire au principal, il suffisait que la marchandise doive être classée sous les sous-positions tarifaires ex 18.06 D ou ex 21.07 F du tarif douanier commun et, qu'en outre, elle doive encore être «consommable», la mesure de protection, que constitue la disposition en question, n'atteindrait pas son but, puisque les marchandises qui remplissent ces conditions pourraient sans plus être utilisées à d'autres fins que la fabrication de glaces.

Ainsi se pose l'autre question, celle de savoir quelles exigences doivent être établies en ce qui concerne la définition du terme «glaces alimentaires aptes à la consommation» au sens de l'article 6, paragraphe le, troisième tiret, du règlement en question. A ce sujet, il ne peut naturellement pas être question d'établir une vaste définition du terme «glace alimentaires», mais il faut déterminer quelques caractéristiques minimales qu'un produit doit présenter, du point de vue du droit communautaire, pour pouvoir encore être classé comme glace alimentaire apte à la consommation au sens de ce règlement.

A cet égard, nous n'avons plus à souligner spécialement que le droit communautaire, en tant qu'ordre juridique autonome, n'entend pas en principe définir des notions en s'inspirant d'un ordre juridique national déterminé. Au contraire, la voie exacte ne peut être que de définir, indépendamment des différentes réglementations des États membres concernant les produits alimentaires, la notion d'aptitude à la consommation dans le cas de la glace alimentaire, conformément à des exigences minimales considérées du point de vue du consommateur communautaire. A cet égard, comme la Commission l'a relevé avec raison, on pourrait n'attribuer de l'importance aux réglementations nationales relatives à la glace alimentaires que dans la mesure où il n'est pas satisfait aux exigences du règlement n° 1259/72, lorsque, en raison de ses qualités, une marchandise déterminée ne peut être commercialisée dans aucun État membre de la Communauté, malgré que le consommateur accepte cette marchandise comme glace alimentaire.

Si nous nous demandons quelles sont les caractéristiques minimales pour qu'une marchandise soit encore acceptée par le consommateur comme glace alimentaire, il faut, avec la Commission, exiger que le produit présente un minimum de qualités gustatives, de quelque nature que ce soit. Cela découle simplemement du fait que la glace alimentaire n'est pas un aliment au sens strict, mais une friandise. Une marchandise dont le goût n'est pas, ou pratiquement pas, perceptiblement sucré ou aromatisé, ne répond donc pas aux exigences que le consommateur pose pour une glace alimentaire.

En outre, il faut donner raison à la Commission lorsqu'elle affirme qu'un produit qui fond et se sépare très rapidement en deux éléments différenciés, l'un liquide et l'autre solide, ne répond pas non plus aux exigences minimales que le consommateur pose pour une glace alimentaire. En conséquence, cette caractéristique a, elle aussi, une importance décisive lors de la détermination de l'aptitude à la consommation de la glace alimentaire.

Puisque l'existence de ces exigences minimales peut être contrôlée à tout moment et sans grande difficulté par les administrations et les institutions chargées de l'application du règlement, aucune objection ne peut être élevée contre le fait de s'en tenir à ces critères, pour évoquer un autre argument de la demanderesse.

En revanche, comme la demanderesse et la Commission sont unanimes à le souligner à bon droit, aucune importance déterminante ne peut être attribuée, en raison des particularités existant dans les États membres et dans les régions, aux autres qualités de la marchandise, citées dans l'ordonnance de renvoi, comme par exemple, la teneur normale en vanilline, le volume du foisonnement en général, etc. Il doit en être de même pour les attentes relatives à la consistance et pour les exigences en matière de goût, qui relèvent de la subjectivité et auxquelles, pour des motifs de sécurité juridique, aucune importance ne peut être accordée lors de l'interprétation des notions de droit en question.

Puisque, après cet exposé des faits, les critères indiqués suffisent pour permettre à la juridiction de renvoi de décider si le produit en question, obtenu après addition d'eau et congélation, doit être considéré comme glace alimentaire, il n'est pas nécessaire de faire mention d'autres qualités qu'une glace alimentaire doit encore éventuellement présenter pour être apte à la consommation.

En conclusion, nous vous proposons donc de répondre de la manière suivante aux questions du Finanzgericht de Münster:

1.

Les préparations en poudre de la sous-position tarifaire ex 18.06 D ou ex 21.07 F du tarif douanier commun destinées à la confection de glaces alimentaires au sens de l'article 6, paragraphe 1 c, troisième tiret, du règlement (CEE) n° 1259/72 de la Commission dans la rédaction du règlement (CEE) n° 2815/72 de la Commission comprennent uniquement les produits qui peuvent être transformés en glaces alimentaires des sous-positions ex 18.06 B et ex 21.07 C du tarif douanier commun, sans autre opération que l'addition d'eau et la congélation et qui sont également acceptés comme glaces alimentaires par le consommateur.

2.

L'aptitude à la consommation comme glace alimentaire au sens du règlement cité se définit en fonction des exigences minimales considérées du point de vue du consommateur communautaire, sans attacher d'importance à une réglementation nationale déterminée. Parmi ces exigences figure le fait que le produit présente un goût nettement sucré ou aromatisé et qu'en fondant il ne se sépare pas très rapidement en deux éléments, l'un liquide et l'autre solide.


( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Ndt: «verbrauchsfertig» pourrait être traduit par «prêt à la consommation»; mais le texte français a maintenu l'expression «apte à la consommation».

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