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Document 61976CC0023

Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 27 octobre 1976.
Luigi Pellegrini & C. s.a.s. contre Commission des Communautés européennes et Flexon Italia S.p.A.
Affaire 23-76.

Recueil de jurisprudence 1976 -01807

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1976:143

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 27 OCTOBRE 1976

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire recouvre, d'une part, un litige contractuel qui s'est élevé entre la société en commandite simple Luigi Pellegrini et la Commission, au sujet de l'exécution d'un contrat conclu en vue de l'exécution de travaux de nettoyage au Centre de recherches nucléaires d'Ispra; d'autre part, une demande en annulation formée par ladite entreprise contre la décision par laquelle la Commission a, sur un appel d'offres organisé à la fin de 1975, désigné une firme concurrente, la société Flexon, pour exécuter ces mêmes travaux à partir du 1er février 1976.

C'est dire déjà que la compétence de la Cour devra être examinée sur deux terrains juridiques différents:

en ce qui concerne, en premier lieu, le différend de nature contractuelle, c'est sur le fondement d'une clause compromissoire, insérée dans la convention liant la Commission et la requérante en vertu de l'article 153 du traité relatif à la Communauté européenne de l'énergie atomique, que la société Pellegrini vous demande de trancher le débat;

en ce qui touche, en second lieu, les conclusions en annulation, elles sont fondées sur l'article 146 du même traité.

Mais, avant d'en venir à cet examen, il nous paraît indispensable de faire le point sur les faits qui sont à l'origine du recours, alors surtout que le dossier qui vous a été présenté n'est pas sans quelques lacunes et que certains des documents produits peuvent prêter à confusion.

Nous nous efforcerons donc de clarifier au préalable la situation de fait avant de nous engager dans la discussion juridique.

Il n'est pas contesté que, dès 1960, la société requérante a été chargée par la Commission — ou du moins en son nom par la direction générale du Centre commun de recherches — du service de nettoyage des locaux et installations de l'établissement d'Ispra.

Pour la période qui s'est écoulée de 1960 à la fin de 1971, il semble bien que ce fût un marché par entente directe qui régissait les rapports de cocontractants.

Mais, en novembre 1971, la Commission décida d'organiser, conformément aux dispositions du règlement financier alors en vigueur — il s'agit du règlement du 30 juillet 1968, remplacé depuis par un texte du 25 avril 1973 —, une procédure d'appel d'offres.

Une telle procédure doit être distinguée de l'adjudication. Celle-ci a pour effet de conférer au titulaire de la proposition la plus basse parmi les soumissions régulières, conformes aux conditions fixées par l'institution et comparables entre elles, le droit à l'attribution définitive du marché.

L'appel d'offres, au contraire, s'il a également pour but de mettre plusieurs entreprises en concurrence, réserve à l'institution contractante le libre choix de l'offre jugée la plus intéressante «compte tenu, notamment, du prix des prestations, de leur coût d'utilisation, de leur valeur technique ainsi que des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des candidats».

C'est à l'administration communautaire qu'il appartient de choisir entre ces deux procédures.

Dans le cas de l'adjudication, elle a compétence liée puisqu'elle ne peut attribuer le marché qu'au soumissionnaire qui a présenté la proposition la moins élevée sur le plan financier. La procédure de l'appel d'offres lui confère, au contraire, un large pouvoir d'appréciation, dans la mise en œuvre duquel les considérations financières ne sont qu'un élément parmi d'autres; une capacité technique plus sûre et des garanties professionnelles plus solides peuvent notamment être regardées comme déterminantes.

L'appel d'offres du 8 novembre 1971 avait été organisé sur la base d'un document désigné comme «cahier des charges applicable aux contrats de fourniture» et d'un «projet de convention relatif au service de nettoyage de l'établissement d'Ispra».

Les soumissionnaires devaient renvoyer à l'administration ledit projet, après avoir indiqué les prix unitaires qu'ils proposaient pour les prestations exigées, et effectué la ventilation en pourcentage des coûts des diverses fournitures et de la main-d'œuvre.

Il faut, à notre avis, en déduire que l'entreprise dont l'offre viendrait à être retenue serait liée par les clauses du projet de convention, que d'ailleurs son mandataire responsable devait signer.

En fait, à la suite de l'appel d'offres, la Commission attribua le marché à l'un des soumissionnaires concurrents de la firme Pellegrini; mais, le candidat ainsi choisi ne donna pas suite à son engagement.

Sans organiser une nouvelle procédure d'appel à la concurrence, la Commission confia alors, par entente directe, le service du nettoyage à la requérante. Mais alors que le «projet de convention» s'analyse en un contrat de durée déterminée, durée fixée à 36 mois à compter du 1er janvier 1972, la société Pellegrini ne s'est vue chargée du service que pour des durées successives beaucoup plus brèves, de deux mois en général, par des lettres signées soit du directeur général du Centre commun de recherches, soit du directeur des services généraux, techniques et administratifs de cet organisme.

Le dossier produit par la requérante ne contient pas toutes les copies de ces lettres. Mais les documents fournis, parmi lesquels en premier lieu une lettre du 20 décembre 1971 qui confirme la décision de charger la société Pellegrini du service de nettoyage pendant les mois de janvier et février 1972, ainsi que les lettres afférentes à certaines périodes ultérieures, permettent de présumer que les rapports contractuels entre les parties ont été, jusqu'à la fin de l'année 1975, réglés — en ce qui concerne du moins la durée des prestations — par ces correspondances.

Il n'est en tout cas nullement contesté que la société Pellegrini a, dans ces conditions, effectivement assuré le service du nettoyage de l'établissement du 1er janvier 1972 à la fin de l'année 1975. Pour les trois derniers mois de cette année, la charge du service lui a été confiée par une lettre du 18 septembre 1975.

C'est à la même date que la Commission a décidé d'organiser à nouveau, et dans des conditions analogues à celles de novembre 1971, un appel d'offres pour mettre en concurrence, à partir du 1er janvier 1976, le service du nettoyage à Ispra.

La requérante a soumissionné. Mais son offre n'a pas été retenue. La Commission a décidé d'attribuer le marché à la société Flexon. Toutefois, les résultats de l'appel d'offres ayant été connus trop tard pour que le nouveau titulaire fût en mesure d'assumer ses obligations dès le 1er janvier, la requérante accepta de continuer à assurer le service jusqu'à la fin du mois de janvier 1976.

Tels sont, Messieurs, les faits qui ressortent du dossier et sur la base desquels la société Pellegrini a intenté devant vous, tout d'abord, une action en exécution du contrat dont elle prétend avoir été titulaire du début de l'année 1972 au 31 décembre 1975. Elle invoque, en effet, tant l'article 2 du projet de convention de 1971 relatif à la durée du contrat que l'article 3, aux termes duquel «la Commission peut résilier à tout moment la présente convention, à la seule condition de donner un préavis de 90 jours, notifié par lettre recommandée, sans s'exposer à des dommages-intérêts».

Elle estime que ses rapports contractuels avec la Commission étaient régis par ce projet de convention et qu'en conséquence celle-ci ne pouvait mettre fin au contrat avant le terme fixé sans observer le délai de préavis imposé par l'article 3. Elle demande de ce chef des dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui aurait causé la résiliation unilatérale.

Elle met donc en cause la responsabilité contractuelle de la Commission. Or, Messieurs, c'est là un domaine qui, en principe, est soustrait à votre connaissance; les litiges de cette nature doivent en effet être portés devant les juridictions nationales compétentes, à moins que, comme le prévoit l'article 153 du traité Euratom, une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par la Communauté ou pour son compte ne vous attribue spécialement compétence.

Une telle clause compromissoire est en l'espèce invoquée. L'article 15 du projet de convention dispose en effet, en son paragraphe 2:

«La Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour statuer sur les litiges entre la Commission et le contactant, relatifs à la présente convention».

Disons tout de suite que la Commission ne met en question ni l'existence, ni la portée de cette clause. Elle se borne à émettre un doute quant à sa validité, au regard d'un respect rigoureux des formes. Elle entend par là que, pour être opposable, la clause aurait dû être conclue par un écrit signé de chacune des parties.

Mais elle reconnaît volontiers que celles-ci sont bien convenues, dès le début de leurs relations contractuelles, d'attribuer compétence à la Cour de justice pour statuer sur les éventuels litiges qui viendraient à s'élever entre elles sur l'interprétation ou l'exécution du contrat. Elle s'en remet dès lors à votre sagesse à cet égard.

Toutefois, il s'agit là, Messieurs, d'une question d'ordre public qu'il vous incombe d'examiner, même d'office.

Il faut donc établir en premier lieu si le projet de convention a effectivement régi les rapports contractuels entre la requérante et la Commission.

La solution nous paraît ressortir tout à la fois des conditions dans lesquelles la société Pellegrini a été chargée, depuis le 1er janvier 1972, du nettoyage de l'établissement d'Ispra, et des termes mêmes des lettres successives par lesquelles le Centre commun de recherches lui a confirmé cette mission pour des périodes déterminées, généralement de deux mois en deux mois.

Il convient de rappeler en effet que la requérante avait participé à l'appel d'offres de novembre 1971 et que, bien que sa proposition n'ait pas été retenue au terme de cette procédure, elle avait expressément accepté, comme tout soumissionnaire, les dispositions du projet de convention.

Lorsque, ultérieurement, elle fut, par entente directe, désignée comme titulaire du marché de nettoyage, il est raisonnable de penser que lesdites dispositions sont devenues applicables dans ses rapports avec la Commission, et notamment la clause compromissoire de l'article 15.

Cette manière de voir est au reste confirmée par la teneur des lettres périodiquement adressées à l'entreprise en vue de lui confirmer l'attribution du service de nettoyage.

Chacune de ces lettres contient en effet, en son deuxième paragraphe, la disposition suivante:

«Les conditions définies dans le projet de convention dont vous disposez actuellement seront en vigueur».

Cette référence explicite au projet de convention de 1971 confirme, à notre avis, la volonté des parties de placer leurs rapports contractuels dans le cadre tracé par ce projet de convention.

Aussi bien, si ce raisonnement devait être écarté, la référence à ladite convention serait vide de sens et l'on chercherait en vain à imaginer quelles eussent été les stipulations liant les parties en ce qui concerne notamment l'emploi du personnel de l'entreprise, ses obligations, ses conditions de travail, les spécifications concernant le matériel et l'équipement employés, le contrôle des tâches, l'application du tarif et sa révision ainsi que la responsabilité du contractant vis-à-vis de la Commission, toutes questions qui sont réglées par le projet de convention.

C'est seulement, comme nous le verrons, quant à la durée prévue par le projet de convention que les lettres qui investissent la requérante de la charge du service s'écartent, en termes exprès, des stipulations de ce document.

Pour le reste, nous estimons que les clauses de la convention étaient effectivement applicables aux rapports des parties, et c'est le cas en particulier de la clause compromissoire.

Dès lors dira-t-on que, pour un motif de pure forme, cette clause ne serait pas en l'espèce opposable, comme semble le suggérer la Commission?

L'article 38, paragraphe 6, du règlement de procédure exige en effet que toute requête présentée en vertu de l'article 153 du traité Euratom soit accompagnée d'un exemplaire de la clause compromissoire contenue dans le contrat de droit public ou de droit privé passé par les Communautés ou pour leur compte. Mais cette exigence n'est-elle pas, en l'espèce, suffisamment satisfaite par la production du projet de convention lui-même, dont nous avons dit qu'il faisait partie intégrante de l'accord intervenu entre la Commission et la requérante? Certes, eût-il été plus clair et plus satisfaisant pour le juge que le projet de convention eût été formellement annexé au document par lequel la direction du Centre commun de recherches a, en décembre 1971, confié l'exécution du service de nettoyage de l'établissement d'Ispra à la société Pellegrini et que ce projet ait été revêtu de la signature de chacune des parties.

Mais il nous semble que ce serait faire preuve d'un formalisme excessif de dénier toute validité à la clause compromissoire au seul motif que le projet de convention n'a fait l'objet que d'une simple mais expresse référence dans les lettres confirmant l'accord des parties.

Nous estimons donc pouvoir, à présent, entrer dans l'examen de l'argumentation de la requérante.

Son raisonnement est le suivant: l'article 2 du projet de convention fixe à trente-six mois la durée d'exécution du contrat. Cette exécution a commencé, comme il est stipulé, le 1er janvier 1972.

Le contrat ne devait donc prendre fin que le 31 décembre 1974.

Il n'est pas contesté que, tout au long de ces trois années, la requérante a exécuté ses obligations. A l'échéance du terme fixé par l'article 2, il eût été loisible à l'administration d'ouvrir un nouvel appel d'offres; mais elle ne l'a pas fait. Au contraire, elle a continué à charger la requérante du service de nettoyage dans les mêmes conditions que par le passé.

Celle-ci en déduit que le contrat était, de ce seul fait, renouvelé pour une nouvelle durée de trente-six mois, en application, selon elle, de l'article 2 du projet de convention. Dès lors, si l'administration pouvait résilier unilatéralement le contrat en cours d'exécution, ainsi que l'y autorise l'article 3 du projet, du moins était-elle obligée pour ce faire d'accorder à l'entreprise un préavis de quatre-vingt-dix jours.

Or, soutient la requérante, la résiliation est intervenue inopinément, en violation de cette disposition, puisque c'est seulement au cours du mois de décembre 1975 que l'administration l'a informée de sa décision de confier, à partir du 1er janvier 1976, le service de nettoyage à la société Flexon.

La lettre du 16 janvier 1976, signée par le directeur général de l'établissement d'Ispra, confirme cette décision, tout en remerciant l'entreprise de l'esprit de coopération dont elle a témoigné en acceptant d'assurer les prestations jusqu'au 31 janvier, en vue de garantir la continuité du service.

Cette thèse, Messieurs, ne nous paraît pas fondée.

Le pouvoir de résiliation unilatérale que l'administration s'est réservé par l'article 3 de la convention, dans l'intérêt du service et pour autant que des restrictions budgétaires, par exemple, l'obligeraient à réduire ou suspendre l'activité de l'établissement, a certes pour contrepartie, en faveur de l'entreprise contractante, l'institution d'un délai de préavis; mais une telle clause est indissociable de celle que comporte l'article 2, par lequel la durée d'exécution du marché était fixée à trente-six mois. Elle ne se conçoit pas dans le. cas où, comme en l'espèce, la durée des prestations successives à fournir est fixée pour des périodes beaucoup plus brèves, de deux mois en principe, en tout cas au plus égales et jamais supérieures à trois mois.

Même si l'on devait admettre la thèse de la requérante, qui estime qu'en vertu de l'article 2 du projet de convention elle avait, depuis le 1er janvier 1972, un droit subjectif à exécution de contrat jusqu'au 31 décembre 1974, il est, en toute hypothèse, clair que ce contrat, de durée préfixe, n'a pu être renouvelé par tacite reconduction et que, depuis le 1er janvier 1975, elle ne pouvait se prévaloir que des lettres par lesquelles, périodiquement, l'administration la chargeait de continuer à assurer le service.

Or, il n'est pas douteux que la dernière de ces lettres, en date du 18 septembre 1975, limitait sa mission au 31 décembre suivant.

Au surplus, la requérante n'a pu ignorer l'ouverture d'un appel d'offres qui lui a été notifié, et auquel elle a participé en soumettant une proposition à la direction du Centre.

Elle savait donc qu'en tout état de cause la charge du service de nettoyage lui serait retirée, à moins que sa propre proposition ne fût retenue, auquel cas c'eût été au titre d'un nouveau contrat qu'elle aurait poursuivi sa tâche.

Aussi bien invoque-t-elle, sur la base de la loi italienne — expressément applicable au contrat, en vertu de l'article 15-1o du projet de convention — les dispositions de l'article 1563 du Code civil italien.

En vertu de cette disposition relative aux contrats de «somministrazione», le bénéficiaire de prestations successives, échelonnées dans le temps, a la faculté de fixer l'échéance de chacune d'entre elles, mais il ne peut le faire qu'en donnant au prestataire un préavis convenable.

Ce texte concerne une hypothèse toute différente de celle de l'espèce. Il suppose que la périodicité des prestations n'a pas été fixée par le contrat et sera déterminée au fur et à mesure des nécessités. Dès lors, il est raisonnable que le prestataire dispose d'un délai suffisant pour s'acquitter de sa tâche.

Cela est sans relation avec l'institution d'un délai de préavis en cas de résiliation unilatérale. Ajoutons qu'en l'espèce la continuité et la régularité des travaux de nettoyage excluent l'application de l'article 1563 du Code civil. Le moyen invoqué est donc dépourvu de pertinence.

En conséquence, les conclusions du recours fondées sur la prétendue rupture unilatérale du contrat ne peuvent, à notre avis, qu'être écartées. Il s'ensuit également que la demande de dommages-intérêts basée sur la violation de l'article 3 du projet de convention ne saurait être accueillie.

Il s'agit à présent de considérer les conclusions tendant à l'annulation de la décision dans laquelle, au vu des résultats de l'appel d'offres ouvert en septembre 1975, la Commission a retenu la proposition de la société Flexon et a confié l'exécution du service de nettoyage à cette entreprise.

A cet égard se pose une question préalable. Une telle décision est-elle susceptible d'un recours en annulation en vertu de l'article 146 du traité Euratom?

En premier lieu, s'agit-il d'une décision unilatérale de la Commission dissociable du contrat conclu entre cette institution et l'entreprise choisie? Si l'on devait répondre par la négative, il faudrait sans nul doute admettre que de telles conclusions ne sont pas recevables au motif qu'elles mettent en cause les rapports contractuels liant la Commission à une société qui a la qualité d'un tiers par rapport à la requérante.

En d'autres termes, la décision par laquelle, à la suite d'un appel d'offres, l'institution choisit son cocontractant, ne pourrait être dissociée de la passation du marché.

Mais une analyse différente de la situation juridique nous paraît devoir être retenue.

La procédure de l'appel d'offres a pour but de mettre en concurrence les entreprises consultées. Celles d'entre elles qui ont soumissionné, c'est-a-dire qui ont adressé leur proposition à l'administration communautaire, ont donc un intérêt légitime, de nature à être invoqué devant la juridiction compétente — en l'espèce la Cour de justice —, à ce que non seulement la procédure d'appel d'offres soit conduite de manière régulière, mais à ce que le choix de l'entreprise contractante soit effectué dans des conditions légales.

En effet, n'y a-t-il pas quelque analogie entre une telle procédure et celle d'un concours ouvert en vue de pourvoir à un emploi vacant?

De même que la nomination d'un fonctionnaire choisi à la suite d'un concours peut être contestée par les candidats évincés, de même les soumissionnaires à un marché public dont la proposition n'a pas été acceptée doivent être admis à attaquer la décision par laquelle l'administration porte son choix sur une entreprise concurrente et par là même, implicitement mais sûrement, écarte lesdits soumissionnaires. Une telle décision doit être regardée comme détachable des rapports contractuels qui sont établis pour l'avenir avec l'entreprise à laquelle est attribué le marché. Il s'agit bien d'un acte unilatéral qui fait grief aux soumissionnaires évincés.

Dira-t-on, en second lieu, que ceux-ci, n'étant pas personnellement destinataires de cet acte, seraient privés de tout recours? Ce serait à notre avis en méconnaître les effets réels.

Nous sommes donc porté à admettre que ces soumissionnaires sont recevables à demander l'annulation d'un tel acte sur le fondement de l'article 146.

La requérante ne met pas en cause la régularité de la procédure d'appel d'offres adoptée par la Commission pour le choix de son cocontractant. Celle-ci a d'ailleurs recuelli, préalablement à l'ouverture de cette procédure, l'avis de la commission consultative des achats et des marchés — ce à quoi elle n'était pas juridiquement tenue — et il n'est pas contesté que toutes les entreprises soumissionnaires ont été en mesure de prendre connaissance du cahier des clauses et conditions générales applicables au contrat, du projet de convention qui leur a été communiqué ainsi que des spécifications techniques relatives au service de nettoyage de l'établissement d'Ispra.

De même, la commission consultative des marchés a été consultée à nouveau, conformément à l'article 62 du règlement financier, sur le choix du cocontractant et a pu se livrer à une appréciation comparative des avantages et des inconvénients respectifs des offres déposées. Elle a donné un avis favorable à la passation du marché avec la société Flexon. On ne saurait donc faire grief â l'institution d'avoir, ainsi que le soutient la requérante, manifesté dans le cours de cette procédure une grave imprévoyance.

Ce n'est d'ailleurs pas sur le terrain de la régularité formelle de la procédure que la requérante se place pour contester la légalité de la décision attaquée. Elle invoque un moyen tiré du détournement de pouvoir.

D'une part, la Commission aurait méconnu le fait que, pendant de nombreuses années, la firme Pellegrini avait assuré de manière parfaitement satisfaisante le service de nettoyage, ainsi qu'il ressort des appréciations portées par la direction de l'établissement d'Ispra, notamment dans sa lettre du 16 janvier 1976.

D'autre part, le détournement de pouvoir serait mis en évidence par le fait que le prix proposé par la société Flexon dans son offre était largement supérieur à celui que la requérante avait elle-même consenti.

Mais, Messieurs, rappelons que nous sommes ici dans un domaine où l'administration dispose d'une marge d'appréciation étendue et que le détournement de pouvoir ne saurait être admis sur de simples présomptions.

Tout d'abord, la circonstance que la société Pellegrini ait, dans le passé, assuré le service de nettoyage à la satisfaction de l'administration et ait acquis, à cet égard, une expérience incontestable, ne lui conférait aucun droit acquis à obtenir, sur un appel d'offres, un nouveau marché. Elle se trouvait en concurrence avec d'autres entreprises et c'est en considération des garanties techniques, professionnelles et économiques présentées par chacun des soumissionnaires que la Commission devait prendre sa décision.

Aussi bien les autres entreprises étaient-elles en mesure de faire valoir leur propre expérience et de présenter les références tirées de leurs activités antérieures.

En second lieu, comme nous l'avons dit déjà, la procédure d'appel d'offres laisse à l'administration toute latitude pour apprécier les différents éléments des offres présentées. Le prix des prestations n'est pas, dans la comparaison de ces offres, un élément déterminant.

En tout cas, le fait que le choix de la Commission se soit porté sur l'entreprise dont l'offre s'établissait à un niveau de prix supérieur, n'est pas, à lui seul, révélateur d'un détournement de pouvoir. La Commission pouvait en effet légalement se déterminer, comme elle assure l'avoir fait en fonction des moyens techniques et en personnel de l'entreprise Flexon qui avait, nous dit-elle, par rapport aux autres concurrents une «dimension industrielle et commerciale pleinement satisfaisante», qui était en mesure «d'assurer la formation d'un personnel spécialisé» et dont les références garantissaient une exécution de prestations de haute qualité.

Il semble bien, au surplus, que ladite entreprise s'est engagée à assurer à son personnel des salaires notablement supérieurs à ceux qu'offrait la requérante, et cette considération n'a certainement pas été étrangère au choix de la Commission, en raison du problème que posait la comparaison entre les niveaux des rémunérations des salariés de l'entreprise de nettoyage et de celles dont bénéficiaient les agents locaux employés dans l'établissement d'Ispra.

Il faudrait, pour admettre le détournement de pouvoir, que les justifications du choix de la Commission reposent sur des faits manifestement inexacts, ce qui ne nous paraît nullement démontré. Aussi bien, nous pensons qu'il vous est impossible de substituer votre appréciation à celle de l'institution.

Dès lors, le détournement de pouvoir qui eût consisté, selon la requérante, à procurer à la société Flexon un avantage indû, n'est pas établi.

Nous concluons en définitive au rejet du recours et à ce que les dépens soient mis à la charge de la requérante.

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