Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61973CC0003

Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 7 juin 1973.
Hessische Mehlindustrie Karl Schöttler KG contre Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel.
Demande de décision préjudicielle: Hessischer Verwaltungsgerichtshof - Allemagne.
Dénaturation de céréales.
Affaire 3-73.

Recueil de jurisprudence 1973 -00745

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1973:63

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 7 JUIN 1973 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Comme vous le savez, un des traits caractéristiques de la politique agricole commune est l'aide apportée au marché en gros de certains produits au moyen de la «dénaturation». La présente affaire, qui est une demande préjudicielle adressée par le «Verwaltungsgerichtshof» de Hesse, concerne l'interprétation de certains règlements communautaires relatifs à la dénaturation du froment tendre.

Essentiellement, la dénaturation du froment tendre consiste à le traiter de manière à ne le rendre utilisable que pour l'alimentation des animaux, afin de le retirer du marché du froment panifiable et de maintenir ainsi les prix pratiqués sur ce marché. Ce moyen est considéré comme préférable à celui qui était utilisé autrefois dans certaines parties du monde et qui consistait à déverser de grandes quantités de froment dans la mer.

Les règlements communautaires relatifs à cette matière envisagent trois manières de dénaturer le froment tendre panifiable:

1)

par incorporation de grains colorés ;

2)

par incorporation d'huile de poisson ou d'huile de foie de poisson ;

3)

par mélange de certaines espèces d'aliments composés pour animaux.

Dans chaque cas, le règlement décrit en détail les règles techniques qui doivent être observées au cours du processus de dénaturation, par exemple le type et les quantités de teinture ou d'huile qui doivent être incorporées et (en se référant à un chapitre du tarif douanier commun) les caractères que doivent atteindre les aliments composés résultant de l'incorporation. L'observation de ces règles est évidemment nécessaire, d'une part pour assurer que la céréale dénaturée est effectivement utilisable pour l'alimentation des animaux, et d'autre part pour s'assurer que la céréale ne peut pas être remise sur le marché en vue de la consommation humaine, soit dans son état initial, soit comme produit transformé. Comme on s'y attendrait, les règlements précisent aussi les degrés minimaux de qualité que doit atteindre tout froment destiné à être dénaturé, car la dénaturation est onéreuse pour les fonds communautaires et ces fonds ne peuvent pas être utilisés pour supporter le coût de dénaturation de froment d'une qualité telle qu'il ne puisse, dans tous les cas, être utilisé que comme fourrage. Comme on devait également s'y attendre, les règlements exigent que le froment à dénaturer soit d'origine communautaire.

Ce froment doit soit être détenu par un organisme d'intervention, soit appartenir à une personne privée, physique ou morale. Lorsqu'il appartient à une personne privée, cette dernière a droit, sous certaines conditions, au paiement d'une prime, dont le montant est fixé de temps en temps par les règlements communautaires. La prime renferme deux éléments: l'un destiné à compenser la différence entre le prix qui aurait pu être obtenu pour le froment avant la dénaturation et celui des céréales alimentaires et l'autre visant à couvrir le coût du processus de dénaturation.

Parmi les conditions qui doivent être satisfaites avant qu'une prime de dénaturation soit payable figure celle que prescrit l'article 7 du règlement du Conseil no 172/67/CEE, qui déclare :

«Pour donner droit à la prime, la dénaturation doit être opérée en accord avec l'organisme d'intervention et sous son contrôle».

Telle est la principale disposition que la Cour est appelée à interpréter en l'espèce. Son exigence quant au contrôle par un organisme d'intervention est reprise (sans autres développements) à l'article 4, paragraphe 3, du règlement de la Commission (CEE) no 1403/69.

Ainsi, en cette matière les règlements communautaires n'ont pas défini les concepts «d'accord» avec l'organisme d'intervention et de «contrôle» par cet organisme. En d'autres termes, ils ont laissé à chaque État membre le soin d'établir la manière d'appliquer l'article 7 sur son territoire. Au fond, dans cette affaire, il est demandé à la Cour de déterminer l'étendue du pouvoir discrétionnaire ainsi donné aux États membres.

La législation fédérale allemande en cette matière est résumée dans la première partie des motifs de l'ordonnance de renvoi du «Verwaltungsgerichtshof» de Hesse. En bref, cette législation prévoit que la dénaturation pour laquelle une prime peut être réclamée, ne doit être effectuée que dans une entreprise agréée pour la dénaturation et uniquement à une époque où l'Office d'importation et de stockage des céréales et fourrages, l'organisme allemand d'intervention qui est défendeur en l'espèce, a connaissance et à laquelle il peut déléguer des contrôleurs dans l'entreprise. Le droit à la prime n'a cependant pas été subordonné à la surveillance effective de la dénaturation par un contrôleur. Les formulaires établis par le défendeur envisagent trois sortes de «contrôle», à savoir :

1)

le contrôle complet sur place ;

2)

le contrôle sur place par sondage ;

3)

la vérification comptable.

Lorsqu'il n'y a pas eu de surveillance ou lorsque celle-ci a été effectuée d'une manière incomplète, la prime de dénaturation est accordée sur la seule base de «l'attestation de dénaturation» établie par l'entreprise qui y a procédé.

Pour obtenir la reconnaissance, l'entreprise de dénaturation doit posséder l'équipement requis et du personnel qualifié. En outre, la personne qui sollicite l'agréation et, dans le cas où celle-ci n'est pas le chef d'entreprise, la personne qui dirige l'entreprise doit mériter la confiance nécessaire pour garantir l'exécution régulière de la dénaturation.

En l'espèce, la défenderesse a rejeté une demande de reconnaissance de la demanderesse comme entreprise de dénaturation, au motif que le commandité de la société ne pouvait pas être considéré comme digne de confiance en raison de plusieurs condamnations qui lui avaient été infligées antérieurement à l'occasion du commerce de céréales et de farine.

Le 12 août 1970, la demanderesse a intenté une action devant le «Verwaltungsgerichtshof» de Francfort-sur-le-Main en vue d'obtenir la révision de la décision de la défenderesse. L'action de la demanderesse a été rejetée par cette juridiction pour des raisons techniques de droit allemand qui n'affectent pas le fonds de l'affaire. La demanderesse interjette maintenant appel devant le «Verwaltungsgerichtshof» de Hesse et c'est à titre d'incident de l'appel que cette juridiction vous a posé la question de savoir si l'article 7 du règlement du Conseil no 172/67/CEE et l'article 4, paragraphe 3, du règlement de la Commission CEE no 1403/69,

«doivent être interprétés en ce sens qu'il faut que l'ensemble des opérations de dénaturation (c'est-à-dire celles qui vont depuis la fixation de la quantité et de la qualité des céréales jusqu'à la fin des opérations de coloration ou d'incorporation d'huile de poisson, etc.) ait été effectué sous la surveillance d'un préposé de l'organisme d'intervention,

ou si l'on peut considérer qu'il est satisfait à l'exigence du «contrôle», même dans le cas où l'organisme d'intervention se borne à se réserver la faculté de vérifier à tout moment le processus de dénaturation, tout en exigeant que les dirigeants des entreprises de dénaturation soient «dignes de confiance».»

Le raisonnement du «Verwaltungsgerichtshof» de Hesse, lorsqu'il vous a soumis ces questions, est exposé dans le passage suivant qui se trouve dans la IIe partie des motifs de son ordonnance :

«L'exigence “d'honorabilité” est nécessaire pour assurer la mise en œuvre des dispositions communautaires en matière de prime de dénaturation, dès lors que la surveillance exercée par l'Office des céréales sur les opérations de dénaturation s'effectue de la manière libérale permise par le décret réglementaire relatif à la prime de dénaturation des céréales, laquelle correspond à la pratique effectivement adoptée par ledit office. En revanche, cette exigence d'honorabilité (Zuverlässigkeit) serait superflue et injustifiée dans l'hypothèse où la pratique de l'Office des céréales serait incompatible avec les dispositions arrêtées par le Conseil et la Commission de la CEE qui sont mentionnées dans la question soumise à la Cour de justice européenne et où toute dénaturation devrait faire l'objet d'une surveillance complète. Dans cette hypothèse, en effet, même à défaut de la condition litigieuse, il ne pourrait y avoir de manipulations à l'occasion de la détermination de la quantité et de la qualité des céréales et à l'occasion du processus de dénaturation lui-même, et il n'y aurait plus lieu non plus de se méfier des inscriptions dont il a été question plus haut.»

«Cela revient à dire que l'issue du présent procès dépend du sens qu'il convient d'attribuer au mot “contrôle” figurant dans les règlements du Conseil et de la Commission de la CEE.»

En dépit du respect dû au «Verwaltungsgerichtshof» de Hesse, il est douteux que ce raisonnement soit exact.

En premier lieu, il n'est pas du tout évident que la présence d'un inspecteur tout au long du processus de dénaturation soit suffisante pour exclure la possibilité de manipulations. Le gouvernement de la République fédérale dans ses observations écrites et la Commission dans ses observations orales ont, l'un et l'autre, affirmé énergiquement qu'il n'en était pas ainsi et qu'un fraudeur habile pouvait tromper un inspecteur.

Nous observons, en outre, que dans les Etats membres où la présence d'un inspecteur est exigée durant tout le processus de dénaturation, du moins lorsque la dénaturation est effectuée par incorporation, c'est-à-dire la Belgique, le Danemark, la France, l'Irlande, l'Italie et le Royaume-Uni, des contrôles additionnels par échantillonnage ou vérification comptable, ou par les deux procédés, sont prévus. Cela montre que les autorités responsables de ces Etats ne considèrent pas la présence d'un inspecteur comme une garantie complète.

En second lieu, l'exigence «d'honorabilité» que l'on rencontre dans la législation allemande ne fait pas réellement partie du procédé de «contrôle». Elle est plutôt un caractère de l'autre procédé prescrit par l'article 7, selon lequel «la dénaturation doit être opérée en accord avec l'organisme d'intervention».

Comme l'indique la Commission, il faut distinguer dans ce contexte entre un «dénatureur» propriétaire du froment qui doit être dénaturé et un «dénatureur» propriétaire d'une entreprise de dénaturation. Nous employons ici le terme «entreprise» pour désigner ce qui, dans les dispositions applicables dans les différents Etats membres, est appelé par différents noms ayant la même signification, par exemple «installation» en Belgique, «centre (de dénaturation)» en France, «premises» en Irlande, «installation» dans le Royaume-Uni. Le propriétaire d'une entreprise de dénaturation peut dénaturer le froment qu'il possède lui-même; dans ce cas, il est «dénatureur» dans les deux sens et si toutes les conditions requises sont remplies, il recevra la prime de dénaturation; ou bien il peut dénaturer, sous contrat, du froment qui appartient à quelqu'un d'autre, qui n'est «dénatureur» que dans le premier sens. Dans ce dernier cas, c'est le propriétaire du froment qui, si toutes les conditions requises sont remplies, reçoit la prime de dénaturation; le propriétaire de l'entreprise de dénaturation ne reçoit du propriétaire du froment qu'une gratification contractuelle, représentant probablement le coût du processus de dénaturation, plus un bénéfice.

Pour que la prime puisse être accordée, la plupart des États membres (y compris la Belgique, le Danemark, la France, l'Irlande, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni) exigent, comme la République fédérale, que la dénaturation soit effectuée dans une entreprise de dénaturation «reconnue» ou «approuvée» ou «autorisée». Dans tous ces États, avant de «reconnaître», «d'approuver» ou «d'autoriser» une entreprise, les autorités exigent que celle-ci possède l'équipement nécessaire et un personnel qualifié. L'exigence de cette condition est nettement compatible avec la législation communautaire.

Comme nous le voyons, la «reconnaissance», «l'approbation» ou «l'autorisation» d'une entreprise fait partie du procédé pour obtenir «l'accord» de l'organisme d'intervention à ce que la dénaturation ait lieu. Son objet est d'assurer, dans la mesure du possible, que des primes ne soient versées que pour une dénaturation conforme aux règles techniques établies dans les règlements communautaires.

En République fédérale, et dans ce pays seulement, on trouve l'exigence supplémentaire d'honorabilité de la personne qui dirige l'entreprise. A notre avis, il est important de comprendre la nature de cette exigence.

Pour notre part, nous aurions facilement admis la validité d'une mesure autorisant l'organisme d'intervention, dans chaque État membre, à rejeter une demande de reconnaissance ou d'approbation ou d'autorisation d'une entreprise de dénaturation au cas où il serait apparu que la personne qui dirige l'entreprise avait été antérieurement condamnée pour des actes de malhonnêteté. Les occasions de fraude en ce domaine sont si nombreuses et il est si important de protéger les fonds communautaires contre la fraude que cette mesure aurait, à notre avis, été justifiée. Nous connaissons des dispositions de ce genre dans d'autres secteurs où une autorisation est exigée pour exercer un commerce particulier. En outre, une telle disposition aurait, selon nous, été conforme au concept d'accord donné par l'organisme d'intervention que mentionne l'article 7. Mais son caractère décisif pour la présente affaire serait qu'elle implique un critère objectif, celui de condamnations antérieures. Au contraire, l'exigence d'honorabilité dans la législation allemande en la matière permet à l'organisme d'intervention d'émettre une opinion subjective. C'est ce que montrent bien les faits de l'affaire 39-70 Fleischkontor contre Hauptzollamt (bureau principal des douanes) de Hambourg (Recueil, 1971, p. 49) où la législation allemande prétendait imposer la même exigence dans le contexte de demandes d'autorisations spéciales d'importer de la viande destinée à la fabrication des conserves, autorisation comportant l'avantage, selon les règlements communautaires, de l'exemption de droits de douane. Bien que dans cette affaire les juridictions allemandes aient acquitté la société demanderesse de toute accusation criminelle, la législation allemande en la matière laissait aux autorités douanières allemandes la liberté de refuser un certificat à cette société, motif pris de ce qu'elles ne la considéraient pas comme digne de confiance. Vous avez considéré — il n'y a pas lieu de s'en étonner — que ce pouvoir était incompatible avec le droit communautaire.

La Commission, dans ses observations écrites, et l'avocat de la demanderesse, dans sa plaidoirie, ont insinué que cette exigence n'était pas propre à la République fédérale, qu'on la rencontrait également en France, où il est prévu que la dénaturation peut être effectuée par des collecteurs de céréales, et où une personne, pour être reconnue comme collecteur de céréales, doit satisfaire à certaines conditions de moralité et de solvabilité. En réalité, cette remarque n'est pas pertinente. En premier lieu, la législation française en la matière ne confère pas le droit de dénaturer à des collecteurs autorisés, elle se borne à les inclure expressément parmi les personnes qui peuvent dénaturer — voir les paragraphes 1 à 7 de la circulaire STE 4 no 23237 du 13 août 1971 de l'Office national interprofessionnel des céréales. En second lieu, les conditions de moralité et de solvabilité qui doivent être remplies par les collecteurs autorisés sont purement objectives. Elles sont contenues dans le second paragraphe de l'article 6 du décret de codification du 23 novembre 1937 qui déclare:

«Toutefois, le comité départemental devra rayer du registre des déclarations les négociants qui auront été condamnés à des peines afflictives et infamantes ou à des peines correctionnelles pour vol, escroquerie, abus de confiance, ou pour autres faits contraires à la probité, ou encore qui auront été condamnés pour des infractions à la législation sur le blé ou qui se trouvent en état de faillite ou de liquidation judiciaire.»

Rien ne pourrait être plus objectif que cela.

La question essentielle est donc — et sur ce point la demanderesse, le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne et la Commission sont, en effet, d'accord — de savoir si le pouvoir discrétionnaire donné à chaque Etat membre par l'article 7 permet à cet État d'autoriser l'organisme d'intervention à refuser son accord à ce que la dénaturation ait lieu dans une entreprise particulière lorsqu'il estime que la personne qui dirige cette entreprise n'est pas digne de confiance.

La demanderesse, en se référant à l'affaire Fleischkontor, affirme que non.

Le gouvernement de la République fédérale et la Commission prétendent que cette affaire est différente parce que les règlements communautaires en la matière prescrivaient de façon détaillée les mesures de garantie qui devaient être adoptées contre la fraude, de sorte qu'il aurait été incompatible avec le principe de l'uniformité de l'application du droit communautaire de permettre à chaque Etat membre de prescrire des garanties supplémentaires ou différentes. Ici, au contraire, les règlements relatifs à cette matière laissent à chaque Etat membre une entière liberté d'adopter, à la lumière des conditions appliquées dans cet Etat, les mesures qu'il considère comme appropriées. La Commission relève également que le fait pour une personne de se voir refuser la reconnaissance de son entreprise comme entreprise de dénaturation ne lui retire pas le droit de percevoir des primes de dénaturation, car elle peut toujours faire dénaturer son froment, moyennant une rémunération, dans l'entreprise de quelqu'un d'autre, tandis que dans l'affaire Fleischkontor, le refus du certificat signifiait nécessairement que l'importateur intéressé était privé de toute possibilité de bénéficier des fonds prévus par le droit communautaire.

Ces arguments, Messieurs, sont puissants, et si le critère d'honorabilité prescrit par le droit allemand avait été un critère objectif, nous vous aurions déclaré que ces arguments devaient prévaloir. Mais nous avons affaire ici à un critère subjectif, bien que, dans cette affaire particulière, l'élément de référence auquel il s'appliquait (condamnations antérieures) ait été un élément objectif. La question demeure: l'adoption d'un tel critère dans l'application du droit communautaire est-elle compatible avec ce droit ?

A cette question, nous devons répondre «non», parce qu'il nous semble que, sauf peut-être dans le cas où il n'existe pas d'autres moyens de protéger la société contre des graves dangers, le fait de subordonner les droits d'un citoyen à l'opinion émise subjectivement à son sujet par une autorité administrative (par opposition à une juridiction) est incompatible avec le principe même de légalité que tous nos pays acceptent et affirment, sous une forme ou sous une autre, et qui constitue le fondement des Communautés elles-mêmes.

En adoptant ce point de vue, nous sommes encouragés par les affirmations de M. l'avocat général Dutheillet de Lamothe dans l'affaire Fleischkontor (p. 66 et 67) et surtout par le passage (p. 66) où il rappelle en effet que l'idée d'autoriser une autorité administrative à émettre un jugement subjectif sur l'honorabilité d'un commerçant n'est pas traditionnelle en droit allemand, mais qu'elle n'y a été introduite qu'à la fin des années 1930, à une époque où l'Allemagne était sous la botte d'un autocrate.

Bien que l'arrêt que vous avez rendu dans l'affaire Fleischkontor puisse être interprété comme reposant sur des motifs plus étroits, il reconnaît, lui aussi, qu'un critère subjectif d'honorabilité, pour accorder ou retirer une autorisation d'exercer un commerce particulier, est en général, incompatible avec le droit communautaire.

La demanderesse a allégué, par écrit et oralement, que le seul critère d'honorabilité qui devrait être adopté était celui qui est applicable sous l'empire de la législation industrielle générale de l'État membre où l'entreprise est située. Nous estimons, Messieurs, que cette idée devrait être rejetée, parce qu'elle serait dénuée de sens dans plusieurs des États membres.

Si nous avons raison jusqu'ici, la question de savoir quelle est la signification précise du mot «contrôle» dans les règlements communautaires en question est probablement sans importance pour la solution de cette affaire. Mais cette question a été posée, et il faut donc en parler.

A notre avis, l'emploi du mot «contrôle» n'implique pas qu'un agent de l'organisme d'intervention doive toujours être présent pendant tout le processus de dénaturation. Quatre considérations principales me paraissent conduire à cette conclusion :

1)

Comme nous l'avons déjà indiqué, on peut déduire des observations de la Commission et du gouvernement de la République fédérale dans cette affaire, comme aussi d'une étude des mesures adoptées dans d'autres États membres, que la présence d'un fonctionnaire ne constitue pas une garantie parfaite.

2)

Une telle étude montre également que, même parmi les États membres qui exigent la présence constante d'un fonctionnaire, lorsque la dénaturation est effectuée par incorporation, quelques-uns d'entre eux ont renoncé à l'exiger dans chaque cas où la dénaturation est faite par mélange. En France, par exemple, le paragraphe 20 de la circulaire que nous avons déjà citée, dispose que, dans le cas de dénaturation par mélange, la méthode de contrôle doit être déterminée séparément pour chaque entreprise. Au Royaume-Uni, la circulaire en la matière (MS/CER/6) se borne à exiger des entreprises autorisées à effectuer la dénaturation au moyen d'installations de mélange fixes (par opposition aux installations mobiles) qu'elles établissent et conservent certains documents prescrits, qu'elles autorisent la vérification de ces documents ainsi que l'inspection de n'importe quelle partie de leur installation, à tout moment, sans notification préalable, et, de même, le prélèvement d'échantillons. On en déduit que, dans ces États, on a estimé impraticable qu'un inspecteur soit présent à tout moment lorsque la dénaturation est effectuée par mélange.

3)

La Commission, dans ses observations tant écrites qu'orales, a fait ressortir la variété des conditions qui prévalent dans les différents États membres et la nécessité de ne pas leur imposer des exigences qui seraient soit impraticables, soit déraisonnablement onéreuses.

4)

Si les auteurs des règlements communautaires relatifs à cette matière avaient entendu exiger la présence d'un inspecteur tout au long de n'importe quel processus de dénaturation, rien ne leur aurait été plus facile que de le dire. Le fait qu'ils aient négligé de la faire, et qu'ils n'aient pas défini l'expression «contrôle», conduit à conclure qu'ils n'avaient pas en vue cette exigence, mais qu'ils entendaient laisser à chaque Etat membre la liberté d'adopter, pour chaque cas, le moyen le plus efficace de contrôle raisonnablement praticable dans toutes les circonstances.

D'autre part, nous ne pensons pas que la simple inspection des comptes, accompagnée ou non d'une exigence quant à l'honorabilité, soit suffisante. Ce n'est pas du tout un contrôle. C'est une simple vérification.

Nous estimons qu'il convient de répondre de la manière suivante à la question posée à la Cour:

1.

L'article 7 du règlement no 172/67/CEE du Conseil et l'article 4, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 1403/69 de la Commission doivent être interprétés en ce sens que la dénaturation ne doit pas nécessairement être effectuée entièrement sous la surveillance personnelle d'un fonctionnaire de l'organisme d'intervention, mais qu'elle doit être contrôlée par cet organisme avec les moyens les plus efficaces et les plus pratiques, rationnellement dans toutes les circonstances.

2.

Une disposition autorisant l'organisme d'intervention à décider de consentir ou non à ce que la dénaturation ait lieu dans une entreprise particulière, en se référant à son opinion subjective quant à l'honorabilité de la personne qui dirige cette entreprise, est incompatible avec ces règlements.


( 1 ) Traduit de l'anglais.

Top