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Document 61970CC0022

    Conclusions de l'avocat général Dutheillet de Lamothe présentées le 10 mars 1971.
    Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes.
    Accord européen sur les transports routiers.
    Affaire 22-70.

    Recueil de jurisprudence 1971 -00263

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1971:23

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

    PRÉSENTÉES LE 10 MARS 1971

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    C'est, comme vous le savez, la première fois que vous est soumis un différend survenu dans ce curieux «ménage» que forment le Conseil des ministres et la Commission des Communautés européennes.

    L'originalité et la singularité de ce litige montrent la bonne entente qui règne au fond dans un couple dont la fertilité est attestée par les quelque 7000 règlements communautaires et les quelque milliers de décisions ou directives qu'ils ont ensemble engendrés.

    Ce litige est né à l'occasion de négociations menées avec des pays tiers dans une matière particulièrement délicate: les conditions de travail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route.

    Le rappel des tentatives jusqu'ici infructueuses pour régler cette question sur le plan international montre assez les difficultés qu'elle présente.

    En 1939, le BIT avait proposé une convention.

    Cette convention n'ayant été ratifiée que par deux pays n'est jamais entrée en vigueur.

    Le problème fut repris en 1951 par l'Organisation internationale du travail qui, en 1954, parvint à mettre sur pied un accord, mais cet accord n'est également jamais entré en vigueur, faute d'avoir été ratifié par un nombre suffisant d'États.

    Ce fut alors la commission économique pour l'Europe des Nations unies qui s'attaqua au problème.

    Elle proposa en 1962 à la signature des gouvernements de différents États d'Europe un accord européen relatif au travail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route, désigné communément par le sigle AETR.

    Cet accord fut signé par 18 gouvernements, dont ceux des six États membres, mais il n'entra, lui non plus, jamais en vigueur, faute des ratifications nécessaires.

    A partir de 1966, la Communauté commença à se préoccuper de la question et un projet de règlement communautaire fut préparé.

    Cette activité eut pour effet de relancer la négociation de Genève.

    En juillet 1968, le Conseil examina une proposition de règlement communautaire présentée par la Commission et décida les modalités d'une action commune des six pays à Genève pour obtenir des modifications de l'AETR de nature à permettre d'une part sa ratification par un nombre suffisant d'États et d'autre part l'alignement des dispositions primitives sur celles de la proposition de règlement communautaire,

    En mars 1969, le Conseil adopta définitivement la proposition de règlement qu'il avait examinée en juillet 1968 et celle-ci devint le règlement no 543/69, publié le 27 mars 1969 pour prendre effet à compter du 1er avril 1969.

    Ce règlement prévoyait qu'il devait s'appliquer aux transports effectués au moyen de véhicules immatriculés dans un État membre à compter du 1er octobre 1969, aux transports effectués au moyen de véhicules immatriculés dans un État tiers à compter du 1er octobre 1970.

    Cependant, à Genève, les négociations pour apporter à l'AETR les modifications jugées souhaitables progressaient favorablement dans l'ensemble.

    Mais la Commission avait formulé dès 1968 des réserves quant à la façon dont étaient conduites les négociations de Genève.

    Sans jamais, et cela est important, revendiquer pour elle-même le droit de mener seule ces négociations au nom de la Communauté, sans jamais non plus saisir le Conseil de propositions formelles et précises sur cette affaire, elle avait, à chaque fois que la question avait été discutée, manifesté sa volonté d'être plus étroitement associée à la négociation, notamment par la présence à Genève de ses experts aux côtés de ceux des États membres. Mais le Conseil, semble-t-il, avait fait la sourde oreille.

    Cette différence de point de vue devait prendre une tournure beaucoup plus aiguë lors de la session du Conseil du 20 mars 1970, c'est-à-dire à quelques jours de la réunion qui devait se tenir à Genève les 2 et 3 avril pour arrêter le texte définitif de l'AETR modifié.

    La Commission renouvela avec plus de force encore ses réserves et ses protestations contre la procédure suivie pour la négociation et pour la conclusion de cet accord. C'est alors que le Conseil prit une délibération dont nous allons vous lire les passages essentiels tels qu'ils résultent du libellé non contesté, bien qu'établi postérieurement, du procès-verbal :

    «Procédure de négociation

    Le Conseil convient que, conformément à la ligne de conduite arrêtée lors de sa session des 18/19 juillet 1968, les négociations avec les pays tiers seront poursuivies et conclues par les six États membres qui deviendront parties contractantes à l'AETR. Tout au cours des négociations et lors de la conclusion de l'accord, les États membres mèneront une action commune en coordonnant leur position selon les procédures habituelles, avec association étroite des institutions communautaires, la délégation assurant la présidence du Conseil agissant en qualité de porte-parole.

    La Commission, en confirmant ses réserves sur cette procédure, déclare qu'elle considère la position prise par le Conseil comme n'étant pas conforme au traité.

    En ce qui concerne l'adaptation du règlement pour tenir compte des dispositions de l'AETR, le Conseil constate que, pour permettre aux États membres d'assurer les obligations découlant du texte de l'AETR, le règlement communautaire no 543/69 devrait être modifié en temps utile avant le 1er octobre 1970, de manière à permettre la coexistence entre les deux réglementations.

    Compte tenu de cette nécessité et dans le but de perfectionner l'application des règles sociales et pour étendre les règles sociales à toute l'Europe, le Conseil … invite la Commission à lui soumettre en temps utile les propositions permettant les adaptations nécessaires du règlement no 543/69 à l'AETR.»

    C'est cette délibération que la Commission vous demande d'annuler par la présente requête.

    Avant de commencer l'examen de celle-ci, notons simplement deux faits qui se sont produits depuis mars 1970 :

    d'une part, les négociations de Genève ont abouti les 2 et 3 avril 1970 à un projet d'accord soumis jusqu'au 1er avril 1971 à la signature des États ;

    d'autre part, d'après les indications qui vous ont été données l'autre jour à la barre, quatre des États membres ont déjà signé cet accord, d'autres l'ont peut-être d'ailleurs également signé depuis vôtre audience du 11 février dernier, mais nous l'ignorons.

    I

    A cette requête, le Conseil oppose «in limine litis» deux exceptions d'irrecevabilité.

    Il nous parait tout à fait exact que la requête de la Commission pose un problème de recevabilité, mais en réalité il est, à notre avis, si intimement lié à certains aspects du fond même de l'affaire qu'il n'en est que difficilement dissociable.

    A —

    Pour le cerner, nous pensons qu'il faut tout d'abord en écarter les aspects qui n'ont, à notre avis, qu'un caractère mineur.

    Ils sont au nombre de deux: la tardiveté d'une part, et, d'autre part, les difficultés qu'il y aurait à interpréter en l'espèce le terme d'«acte» employé par l'article 173 du traité qu'a invoqué la Commission pour vous saisir.

    1)

    En ce qui concerne la tardiveté, il a été soutenu devant vous que la délibération contestée du Conseil serait purement et simplement confirmative de délibérations antérieures, celles de juillet 1968 et celles de mars 1969, et que, dès lors, même si la délibération de 1970 constitue un acte au sens de l'article 173 du traité, la Commission ne serait plus dans les délais pour l'attaquer.

    Mais cette première fin de non-recevoir ne saurait, à notre avis, être retenue, et pour deux raisons :

    Il est déjà douteux que la délibération attaquée ait exactement la même portée ou la même valeur que celles de 1968 ou de 1969.

    Mais même si on l'admettait, la délibération attaquée n'aurait pas un caractère purement confirmatif des délibérations antérieures.

    En effet, dans l'intervalle de temps qui les sépare, se sont produites au moins deux novations juridiques fort importantes :

    D'une part, l'entrée en vigueur du règlement no 543/69.

    D'autre part, la fin, à partir du 1er janvier 1970, de la période transitoire du marché commun, circonstance qui, comme nous vous l'expliquerons tout à l'heure, pourrait, dans certaines hypothèses, avoir une importance décisive pour la solution des questions que pose cette affaire.

    Aucune irrecevabilité tirée de la tardiveté ne peut donc, croyons-nous, être opposée à l'action de la Commission.

    2)

    Le second aspect que nous estimons, pour notre part, être relativement mineur de cette question de recevabilité est une question d'interprétation et de linguistique.

    L'article 173 du traité prévoit la possibilité, pour tout État membre, pour le Conseil ou pour la Commission, de vous saisir de recours dirigés contre les «actes» d'une institution communautaire autres que des recommandations ou des avis.

    On peut évidemment discuter le contenu de cette notion d'«acte» sur deux plans. Sur le plan linguistique d'une part, sur le plan d'autre part du rapprochement des dispositions de l'article 173 avec celles de l'article 189 qui énumère et caractérise les différentes mesures que sont amenés à prendre le Conseil ou la Commission dans l'accomplissement de leur mission: règlements, directives, décisions, recommandations ou avis.

    Dans la présente espèce, la discussion de ces deux questions nous paraît relativement secondaire :

    D'une part, du point du vue linguistique, s'il est exact que les expressions figurant dans le texte allemand, «Handeln» qui est un infinitif employé substantivement, et peut-être surtout dans le texte néerlandais, «handelingen», ont peut-être, dans certains cas, un sens plus large que celui du mot «actes» qui figure dans le texte français ou du mot «atti» qui figure dans le texte italien, il résulte, en l'état de notre information, que dans la langue juridique néerlandaise ou dans la langue juridique allemande les termes employés par le traité ont pratiquement la même signification que ceux de «atti» en italien ou d'«actes» en français.

    D'autre part, les problèmes que pourrait faire naître le rapprochement de l'article 173 et de l'article 189 du traité nous paraissent déjà en partie résolus.

    Vous les avez déjà examinés à propos des «décisions» prises par les autorités communautaires, et M. l'avocat général Roemer vous les avait analysés avec tant de pertinence dans ses conclusions sur les affaires 8 à 11-66 (Recueil, XIII-1967, p. 121) que nous ne pensons pas devoir insister aujourd'hui sur ce point.

    Votre jurisprudence n'a certes porté que sur les «décisions» mais a néanmoins, croyons-nous, dégagé en cette matière un certains nombre de principes généraux.

    a)

    Les articles 173 et 189 du traité forment un ensemble cohérent et, dès lors, le terme d'«acte» employé par l'article 173 ne peut avoir pour effet d'étendre votre compétence à la connaissance de manifestations de volonté dont la substance et les effets ne permettraient pas de les considérer ou de les assimiler à des règlements, à des directives ou des décisions ;

    b)

    En revanche, c'est la substance même, l'objet, le contenu et les effets de la manifestation de volonté contestée qui lui donnent son véritable caractère et non la forme choisie par ses auteurs.

    Certes, en l'espèce il s'agit d'une «délibération» et certaines des expressions figurant au procès-verbal, comme celles : «le Conseil convient …, le Conseil invite …», peuvent, sur le plan formel, donner l'impression que cette délibération n'a pas dépassé le stade de négociations ou de manifestations d'intention et ne constitue pas une mesure produisant des effets de droit.

    Mais, d'après la jurisprudence que nous venons de vous rappeler, c'est la substance, la nature et la portée de cette délibération qui en font ou non un acte susceptible de recours, et c'est avec cette question de «substance et d'effet» que nous entrons, croyons-nous, dans le cœur du problème que pose cette affaire du point de vue de la recevabilité.

    B —

    La compétence que vous tirez de l'article 173 du traité ne fait pas de vous un «arbitre amiable compositeur» entre les autres institutions de la Communauté, ni ne vous confère la charge de rendre des «avis consultatifs» comme ceux que peut émettre la Cour de justice internationale de La Haye.

    Cet article, du point de vue qui nous intéresse, vous attribue compétence pour vérifier la conformité avec les dispositions du traité des actes que peut prendre le Conseil des ministres en tant qu'organe de la Communauté.

    Or, toute une pratique, toute une coutume pourrions-nous dire, s'est instituée depuis une dizaine d'années qui a fait du Conseil des ministres de la CEE un orga nisme constamment appelé à exercer deux catégories de fonctions.

    Le Conseil de la CEE, c'est d'une part et surtout bien entendu l'organe communautaire dont le traité a prévu l'existence, les pouvoirs et les modalités d'intervention.

    Mais c'est également le cadre au sein duquel les ministres des gouvernements des six États membres se concertent et déterminent le principe et les modalités de ce qu'ils entendent faire en commun.

    Selon la formule employée par certains auteurs, le Conseil est tantôt un organe de la Communauté instituée entre les six États, tantôt un organe de la collectivité que forment ces six États (Cf. arrêt de la Cour du 18 février 1970, Commission contre République italienne, Recueil, XVI-1970, p. 57).

    Ce dualisme des fonctions comporte à la fois ses avantages et ses inconvénients.

    Les avantages pour le développement de la construction européenne en général sont certains. Il y a lieu de se féliciter que le Conseil des ministres des six États ne se borne pas au seul exercice des compétences qui lui sont limitativement attribuées par le traité, mais cherche, à l'occasion de ses réunions, à faire progresser la coopération entre les Six.

    Historiquement d'ailleurs, c'est souvent cette forme d'intervention du Conseil qui a été à l'origine de «pas en avant» considérables du point de vue européen et il nous suffira de rappeler seulement comme exemples les différentes délibérations de 1960, 1962 et 1963 qui ont permis une accélération par rapport au rythme initialement prévu par le traité pour la réalisation de certains de ses objectifs.

    Mais les inconvénients ne doivent cependant pas être négligés.

    L'un est relativement minime, quoique bien gênant dans la pratique. La distinction entre les actes décidés par le Conseil en tant qu'organe de la Communauté et ses délibérations en tant qu'organisme de concertation entre les États membres n'est le plus souvent jamais clairement marquée dans la forme.

    Certes, les services juridiques s'efforcent de réserver à la première catégorie d'intervention les termes prévus par l'article 189 du traité : «règlements», «décisions», «directives», etc. et de qualifier la seconde d'appellations différentes : «résolutions», «déclarations d'intention», «protocoles» ou «accords», mais il existe de nombreux cas où la confusion est totale, notamment pour certaines délibérations qualifiées de décisions.

    Il ne faut pas, bien entendu, faire preuve d'un formalisme exagéré et il serait absurde par exemple d'exiger des ministres des gouvernements des Six qu'ils se transportent de la salle du Conseil au bureau personnel du président en exercice lorsqu'ils cessent d'agir comme autorité communautaire, ou qu'ils fassent établir, dans tous les cas, deux ordres du jour distincts. On peut cependant souhaiter un peu plus de clarté dans la procédure et dans la terminologie. A cet égard, la publication du règlement intérieur du Conseil pourrait aider à cet éclaircissement.

    On est d'autant plus amené à le souhaiter que l'on peut légitimement craindre qu'au-delà d'une confusion de terminologie, on en arrive à une méconnaissance des compétences et des procédures prévues par le traité.

    C'est là le second inconvénient des pratiques suivies et qui est beaucoup plus grave que le premier. On peut en effet se demander si parfois le Conseil des ministres ne prend pas, dans des conditions et selon des procédures différentes de celles prévues par le traité, des actes qu'il aurait dû prendre comme organe de la Communauté, c'est-à-dire notamment en respectant les attributions de la Commission, du Parlement ou du Comité économique et social.

    Certaines voix se sont élevées au Parlement pour affirmer que c'était parfois le cas.

    C'est en tout cas un point que vous devriez examiner chaque fois qu'une délibération du Conseil est contestée devant vous.

    Or, c'est précisément là l'essentiel de la difficulté que soulève la présente affaire et c'est celle qui, comme nous l'indique rons tout à l'heure, doit amener à examiner concurremment la recevabilité et certains aspects du fond.

    De deux choses l'une, en effet, croyons-nous :

    ou la négociation et la conclusion de l'AETR entraient ou sont entrées à partir d'une certaine date dans le champ d'application d'un des articles du traité relatif à la compétence communautaire pour la négociation et la conclusion d'accords avec les pays tiers ;

    ou elles n'y entraient pas et n'y sont jamais entrées.

    Dans le premier cas, la requête est recevable, car la délibération qui vous est soumise est une délibération du Conseil agissant comme organe communautaire.

    Dans le second cas, la requête est irrecevable, car la délibération attaquée n'est pas un acte d'une autorité communautaire, mais une délibération du Conseil agissant comme organe de la collectivité des États membres.

    La réponse à cette question vous amènera à dégager certains principes quant à la compétence communautaire en matière de négociations avec des pays tiers, et c'est cette question que nous voudrions maintenant examiner.

    II

    A —

    Onze des 248 articles du traité de Rome sont spécialement consacrés à prévoir et organiser une compétence communautaire dans les rapports avec les pays tiers ou avec les organisations internationales.

    Il s'agit :

    d'une part de six articles figurant dans la troisième partie du traité, les articles 111 à 116, qui sont insérés dans le chapitre relatif à la politique commerciale,

    d'autre part de cinq articles figurant dans la sixième partie du traité qui est la partie consacrée aux dispositions générales et finales, les articles 228 à 231 d'une part et l'article 238 d'autre part.

    De plus il existe une disposition très générale, mais susceptible éventuellement d'une certaine application en la matière: c'est l'article 235.

    Il y a lieu de souligner dès l'abord que le titre IV de la deuxième partie du traité, titre qui est le seul qui soit consacré aux transports, ne contient «expressis verbis» aucune disposition concernant le «treaty making power» de la Communauté, pour reprendre une expression des juristes anglo-saxons.

    Pour reconnaître une compétence ou un pouvoir à la Communauté pour négocier et conclure avec les pays tiers des accords concernant les transports, il faudrait donc

    soit déclarer applicables en cette matière des dispositions figurant dans des parties du traité consacrées à d'autres questions que celles des transports,

    soit interpréter certaines des dispositions générales du traité comme s'appliquant également à la matière des transports.

    Nous pensons, pour notre part, que chacune de ces solutions impliquerait pour vous une construction juridique prétorienne ou, si l'on préfère, une construction jurisprudentieile dépassant très largement les limites que vous vous étiez jusqu'ici fixées dans l'exercice de votre pouvoir d'interprétation du traité.

    B —

    L'application au domaine des transports de dispositions figurant dans des parties du traité consacrées à d'autres questions

    Le problème ne se pose à notre avis que pour un article, l'article 116 du traité, que par une curieuse prudence ni le représentant de la Commission ni celui du Conseil n'ont même mentionné, ne fût-ce que pour en écarter l'application. Pourtant, si l'on considère isolément cet article, son texte même est certainement celui qui pourrait paraître, à première vue, comme le mieux applicable au cas de l'espèce.

    Cet article 116 prévoit en effet que, «pour toutes les questions qui revêtent un intérêt particulier pour le marché commun, les États membres ne mènent plus, à partir de la fin de la période de transition, qu'une action commune dans le cadre des organisations internationales de caractère économique». Les autres dispositions de l'article sont consacrées à la période transitoire et aux modalités de l'action commune après la fin de la période transitoire.

    Si cet article figurait dans les dispositions générales et finales du traité, il est certain qu'il serait applicable en l'espèce :

    1)

    La conclusion de l'AETR, surtout compte tenu de l'existence du règlement no 543/69, constitue certainement une question «revêtant un intérêt particulier pour le marché commun».

    2)

    La négociation et la conclusion de cet accord ont été menées dans le cadre de l'une des organisations internationales visées à coup sûr par l'article 116, la commission économique pour l'Europe des Nations unies, et constituent certainement l'une des modalités d'une «action commune».

    Mais la difficulté de l'appliquer à l'espèce vient de la place de cette disposition dans le traité.

    Cet article est en effet, comme nous vous l'avons dit, inclus dans une partie du traité, la troisième partie, qui n'est pas celle dans laquelle figurent les dispositions relatives aux transports, et, de plus, cet article n'est pas inséré dans les dispositions générales de cette troisième partie, mais dans le chapitre particulier consacré à la politique commerciale.

    Ce sont donc des dispositions spéciales, et transformer ces «specialia» en des «generalia» impliquerait évidemment une construction juridique fort audacieuse, trop audacieuse pensons-nous, pour des raisons de principe sur lesquelles nous insisterons tout à l'heure.

    C —

    Application au domaine des transports de stipulations figurant parmi les dispositions générales et finales du traité La question se pose essentiellement à propos de l'article 235.

    a)

    L'article 228 stipule que, dans le cas où les dispositions du traité prévoient la conclusion d'accords entre la Communauté et un ou plusieurs États ou une organisation internationale, ces accords sont négociés par la Commission et conclus par le Conseil après consultation, dans certains cas, de l'Assemblée. Il dispose également dans la deuxième phrase de son alinéa 1 que vous pouvez être consultés sur la compatibilité de l'accord envisagé avec les dispositions du traité.

    En fait, ce que vous demande la Commission c'est de donner à la première phrase de l'alinéa 1 de cet article, qui limite son application aux cas prévus par le traité, une interprétation extensive, c'est-à-dire de juger que cette disposition ne vise pas seulement les cas prévus «expressis verbis» par le traité (c'est-à-dire par exemple ceux visés aux articles 111 à 116 — accords tarifaires ou commerciaux — , 238 — accords d'associations —, ou même 229 et 230 — relations avec l'organisation des Nations unies, avec le Conseil de l'Europe et avec l'OCDE —), mais doit être étendue au domaine des transports tant à raison de l'existence de l'article 75 du traité que de l'intervention en 1969 du règlement communautaire no 543/69.

    Les objections qu'on peut faire à cette argumentation sont, à notre avis, extrêmement sérieuses.

    1.

    L'article 75 du traité, certes, prévoit bien que le Conseil établit «des règles communes aux transports internationaux» exécutés à destination du territoire d'un État membre et que le Conseil peut prendre «toutes autres dispositions utiles».

    La Commission voit notamment dans ces quatre derniers mots la reconnaissance d'une compétence communautaire externe instituée par le traité et constituant ainsi l'un des cas où l'article 228 est applicable.

    Cette thèse est difficilement admissible pour deux raisons.

    L'ensemble de l'article montre que l'expression «transports internationaux» figurant dans l'un des alinéas vise essentiellement, en réalité, les transports intracommunautaires, puisque c'est à eux seuls que peuvent s'appliquer directement les règles communes.

    D'autre part, il est difficile d'admettre qu'une expression aussi vague que «toutes autres dispositions utiles» puisse recouvrir un pouvoir aussi précis que le pouvoir pour la Communauté de négocier et de conclure à la place des États membres des accords avec des pays tiers. A plusieurs reprises, dans les dispositions du traité relatives à la politique commerciale, figurent des stipulations aussi générales que celles du paragraphe c) du premier alinéa de l'article 75.

    Or, les auteurs du traité n'ont certainement pas pensé que de telles dispositions suffisaient à fonder une compétence externe de la Communauté puisque, pour la lui attribuer, ils ont jugé nécessaire d'insérer dans le traité six articles spécialement consacrés à cette question.

    2.

    Beaucoup plus délicate est la question de savoir si l'intervention du règlement no 543/69 ou certaines de ses dispositions n'ont pas eu pour résultat de créer une compétence communautaire et de rendre ainsi applicables à la négociation et à la conclusion de l'AETR les dispositions de l'article 228 du traité.

    De façon générale, on peut en effet se demander si, hormis les cas de compétence internationale de la Communauté expressément prévus par le traité, la mise en vigueur d'un règlement communautaire n'a pas pour effet de transférer à la Communauté la capacité de négocier et de conclure les accords qui sont susceptibles d'affecter l'application de la règle communautaire.

    Certaines particularités de la présente espèce font qu'elle serait à cet égard très favorable à l'adoption d'une telle thèse.

    Il est certain en effet

    d'une part que le règlement communautaire no 543/69 règle les questions mêmes qui font l'objet de l'AETR,

    d'autre part que, au moins sur un point, celui de la date à partir de laquelle seront appliquées les dispositions relatives à la durée maximum de conduite journalière, l'AETR diffère du règlement communautaire,

    enfin en dernier lieu parce que l'article 3 de ce règlement communautaire semble consacrer expressément ce transfert de compétence puisqu'on y lit : «… La Communauté engagera avec les pays tiers les négociations qui se révéleront nécessaires pour l'application du présent règlement».

    La thèse du transfert d'une compétence externe à la Communauté par l'effet de l'intervention d'un règlement communautaire nous avait, nous ne vous le cacherons pas, un moment séduit, et c'est un peu à regret qu'après réflexion nous vous proposerons finalement de ne pas l'adopter.

    Du point de vue d'une certaine «éthique» communautaire en effet, cette thèse présente des intérêts certains. Dès lors que, par l'effet d'un règlement, une certaine matière est transférée du plan interne au plan communautaire, on peut soutenir que les États membres agissant soit individuellement, soit même collectivement ne sont plus en mesure de contracter valablement avec des États tiers des engagements portant sur la même matière.

    Seule alors la Communauté serait en mesure de contracter de tels engagements dans le domaine d'application du droit communautaire.

    De plus, de façon pratique, un tel système serait probablement celui qui permettrait le mieux d'éviter que les États membres ne concluent avec des pays tiers des accords qui, par la suite, se révéleraient difficilement compatibles avec les règlements communautaires, enfin ce serait celui qui assurerait peut-être le mieux le respect de l'équilibre établi par le traité entre les institutions de la Communauté.

    Mais, quelle que soit la force de ces considérations, et nous reconnaissons qu'elle est grande, cette thèse du transfert implicite et automatique de compétence, hors les cas prévus par le traité, se heurte à de très sérieuses objections en plus d'une objection générale relative à la méthode d'interprétation du traité à laquelle nous avons déjà fait allusion et sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure.

    Pratiquement, tout d'abord, il serait, croyons-nous, impossible de donner un tel effet à tous les règlements communautaires, dont certains règlent des questions étrangères par leur nature à celles sur lesquelles peuvent porter les stipulations d'un traité international.

    Le représentant de la Commission, lui-même, ne l'a d'ailleurs pas soutenu.

    Il faudrait donc trouver un critère entre les règlements qui ont un effet de transfert de compétence externe à la Communauté et ceux qui ne l'ont pas.

    Quel critère alors? Retiendra-t-on le fait qu'un règlement se rattache plus ou moins directement à l'une des politiques communes prévues par le traité? Examinera-t-on au contraire le texte au fond et au regard des négociations envisagées et à quel stade de ces négociations? On voit combien il serait difficile de trouver un critère qui évite l'équivoque ou l'instabilité juridique.

    Ce serait peut-être également, et c'est la seconde objection que nous voulons formuler, mélanger des procédures prévues par le traité et peut-être même parfois freiner le développement du droit communautaire.

    En ce qui concerne les procédures prévues par le traité, il y a lieu, en effet, de remarquer qu'en ce qui concerne les disparités possibles entre des accords intervenus avec des pays tiers et des règlements communautaires, le traité prévoit deux types de procédures :

    une procédure répressive : c'est la procédure de manquement laissée à la seule initiative de la Commission et éventuellement d'un État membre, procédure qui est applicable dans tous les cas,

    une procédure préventive impliquant une collaboration entre le Conseil et la Commission, mais prévue seulement pour certains cas, comme par exemple ceux visés par les articles 111-113.

    Or, il nous parait certain que si cette procédure préventive était applicable dans des cas autres que ceux formellement prévus par le traité, il y aurait une confusion là où les auteurs du traité ont voulu établir une distinction.

    Enfin, du point du vue du développement des politiques communes, n'y aurait-il pas lieu de craindre que les ministres freinent l'adoption de règlements si ceux-ci devaient aboutir à les dessaisir, dans des cas non prévus par le traité, de leurs compétences internationales ?

    3.

    Abordons maintenant l'argument tiré de l'existence de cet article 3 du règlement no 543/69 que nous vous avons cité tout à l'heure

    Notons tout d'abord que, si vous admettiez, contrairement à ce que nous venons de vous proposer, que l'intervention du règlement no 543/69 a eu, par elle-même, pour effet de transférer à la Communauté le pouvoir de conclure des accords en matière de transport avec les pays tiers, vous seriez amenés à en déduire que cette disposition de l'article 3 a un caractère purement recognitif et n'est pas, par elle-même, susceptible d'avoir des effets de droit.

    Mais si vous retenez, comme nous vous le suggérons, la thèse contraire, vous serez, croyons-nous, également amenés à reconnaître que, bien qu'incluse à tort, pensons-nous, dans un acte intitulé «règlement», cette disposition n'a pas un caractère normatif, mais constitue une simple déclaration d'intention.

    L'article 3 du règlement no 543/69 s'analyse, en effet, comme la formulation d'une sorte de réserve et l'indication d'un programme :

    On espère qu'entre le 1er avril 1969, date d'entrée en vigueur du règlement, et le 1er octobre 1970, date à laquelle le règlement s'appliquera à l'ensemble des transports (donc également aux véhicules immatriculés dans un pays tiers pour le parcours effectué dans la Communauté), les négociations en cours à Genève aboutiront à réduire les divergences et à rapprocher le projet d'accord européen de la réglementation communautaire.

    Mais si cela devait s'avérer impossible, il serait nécessaire d'entamer de nouvelles négociations avec les pays tiers pour l'application du règlement.

    C'est donc une espèce de clause résolutoire ou de révision éventuelle qui trouve d'ailleurs son origine dans un amendement proposé par le Parlement et qui était ainsi libellé :

    «Deux ans au plus tard après l'entrée en vigueur du présent règlement (c'est-à-dire le 1er janvier 1970), la Com mission saisit le Conseil de propositions tendant à la révision de ce règlement.»

    Par ailleurs, cet article a pour objet de réclamer que soient précisées, par voie de négociations, les conditions de conduite pour les parcours effectués sur le territoire des pays tiers, tant par les véhicules de ces pays que par les véhicules communautaires. Il est en effet évident que la Communauté ne pourrait avoir la prétention de fixer par son règlement les conditions de conduite des véhicules des pays tiers sur le territoire des pays tiers, sauf accords avec ces pays.

    C'est d'ailleurs à raison du caractère non normatif de cet article que le Conseil a pu, sans se contredire, l'élaborer au cours de la séance même de juillet 1968, où il convenait que les négociations sur l'AETR seraient menées par les pays membres, et c'est la raison de la «réserve interprétative» qui figure au procès-verbal et qui précise ce point.

    b)

    Reste enfin le problème soulevé, à titre subsidiaire d'ailleurs, par la Commission, et relatif à l'article 235.

    Cet article prévoit, vous vous en souvenez, que «si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation de l'Assemblée, prend les dispositions appropriées».

    La Commission paraît penser qu'en l'espèce il aurait eu pour effet de créer une obligation pour le Conseil d'attribuer à la Communauté le pouvoir de négocier et de conclure l'AETR, même si ce pouvoir ne résultait pas des stipulations du traité.

    L'article 235 ne nous paraît pas avoir une telle portée.

    En admettant même qu'il soit applicable aux relations extérieures de la Communauté, il permet seulement au Conseil, sur proposition de la Commission, d'étendre les compétences de la Communauté en ce domaine.

    Mais, d'une part il ne lui en impose certainement pas l'obligation et, d'autre part et surtout, le Conseil ne peut agir en cette matière que sur proposition de la Commission; or, celle-ci n'a jamais formulé une telle proposition.

    Mais l'examen de cet article 235 nous amène tout naturellement à la considération d'ordre général et relative aux méthodes d'interprétation du traité par laquelle nous voulons terminer ces observations.

    Quelle que soit la base juridique que vous lui donneriez, une reconnaissance à la Communauté d'une compétence externe pour la négociation et la conclusion de i'AETR impliquerait d'admettre que les autorités communautaires disposent, en plus des pouvoirs qui leur sont expressément reconnus par le traité, des pouvoirs implicites, ces «implied powers» qui ont permis à la Cour suprême des États-Unis d'augmenter les pouvoirs des organes fédéraux par rapport à ceux des États fédérés.

    Or, nous pensons, pour notre part, que les compétences communautaires doivent être considérées comme ce que le droit européen appelle des «compétences d'attribution» (en allemand, «Enumerationsprinzip»).

    Certes, ces compétences d'attribution peuvent être assez largement entendues lorsqu'elles ne sont que le complément direct et nécessaire de compétences relatives à des questions intracommunautaires et vous l'avez déjà jugé à propos de la CECA.

    Mais peut-on en avoir une conception extensive en ce qui concerne la compétence de la Communauté pour conclure des accords avec les pays tiers dans le domaine des transports ?

    Cela n'est point aussi nécessaire qu'on a cherché à vous le montrer l'autre jour. Même sans la reconnaissance d'«implied powers», la Communauté n'est pas, en matière de transports, en état d'«infirmité permanente», pour reprendre l'expression employée par l'agent de la Commission l'autre jour. L'article 235 est précisément là pour permettre d'ac corder à la Communauté les pouvoirs dont elle peut avoir besoin.

    En revanche, c'est juridiquement très difficile sur la base des textes actuellement en vigueur.

    Il semble résulter de toute l'économie du traité de Rome que les auteurs de ce traité ont voulu strictement limiter la compétence externe de la Communauté aux cas qu'ils ont expressément prévus.

    Le rapprochement entre le traité de la CECA et le traité de Rome est à cet égard significatif. Alors que dans le traité de la CECA les négociateurs de 1951 avaient prévu que (art. 6) :«dans les relations internationales, la Communauté jouit de la capacité juridique nécessaire pour exercer ses fonctions et atteindre ses buts», au contraire les négociateurs du traité de Rome, en 1957, se sont bornés à constater que la Communauté avait la personnalité juridique (art. 210), mais, au plan des relations extérieures, ont expressément stipulé à l'article 228 que la compétence externe de la Communauté ne pouvait s'exercer que «dans les cas prévus par le traité».

    Reconnaître des «implied powers» à la Communauté en matière de négociations avec des pays tiers, ne serait-ce pas aller beaucoup plus loin que ce qu'ont voulu les auteurs du traité et les États qui l'ont signé et accepté ?

    Pour notre part, nous le pensons et c'est la principale raison qui nous conduit à vous proposer en ce domaine une interprétation relativement stricte du traité.

    Telles sont donc les raisons pour lesquelles nous pensons que la délibération attaquée du Conseil n'a pas été prise dans le cadre d'une compétence communautaire instituée par le traité et n'est dès lors pas un acte communautaire susceptible de recours eh application de l'article 173.

    III

    Mais peut-être penserez-vous qu'une méthode d'interprétation plus audacieuse que celle que nous vous proposons peut être adoptée malgré les objections que nous venons de souligner, et c'est la raison pour laquelle, dans la dernière partie de ces conclusions, nous allons brièvement examiner quels seraient les problèmes qui se poseraient à vous si vous estimiez recevable cette requête de la Commission.

    Nous pensons pour notre part que, dans ce cas, cette requête devrait être rejetée au fond, mais alors uniquement en raison de particularités propres à l'espèce.

    A —

    Si vous estimiez que la négociation et la conclusion de l'AETR entraient dans le champ d'application de l'article 116 du traité, c'est-à-dire si vous estimiez que les termes généraux employés par cet article l'emportent pour la détermination de son champ d'application sur la place à laquelle il figure dans le traité, vous devriez néanmoins, pensons-nous, décider que la délibération attaquée ne le viole pas.

    En effet, cet article organise deux systèmes différents selon que la période de transition du traité est ou non expirée.

    Pedant la période de transition, «les États membres se consultent en vue de concerter leur action et d'adopter autant que possible une attitude commune». C'est ce qu'ils ont fait lors de la réunion du Conseil de mars 1969.

    En mars 1970, certes, la période transitoire était expirée depuis un peu moins de trois mois.

    Mais les négociations sur l'AETR étaient pratiquement terminées puisque c'est le 2 et le 3 avril 1970, soit moins de quinze jours après la délibération attaquée, que le texte final de l'AETR était arrêté à Genève.

    La fin de la période transitoire a-t-elle pu avoir pour effet de rendre applicables à ces négociations les dispositions du paragraphe 1 de l'article 116 aux termes desquelles l'action commune des États membres après la période transitoire ne peut être décidée par le Conseil que sur proposition de la Commission ?

    Pour notre part, nous ne le pensons pas et nous estimons au contraire que, dans des négociations aussi délicates, l'action commune des États membres, dès lors qu'elle aurait été engagée et poursuivie presque jusqu'à son terme avant la fin de la période transitoire dans les conditions prévues par l'article 116, alinéa 2, devait être continuée dans les mêmes formes et que c'est seulement pour les actions communes engagées après l'expiration de la période transitoire, et donc le 1er janvier 1970, que les dispositions de l'alinéa premier de l'article 116 sont applicables (Cf., dans le même sens, décision du Conseil du 16 décembre 1969, Journal officiel des Communautés européennes du 29 décembre 1969, no L 326, p. 39).

    B —

    C'est un raisonnement assez analogue qui nous amènera à vous proposer également de rejeter au fond le recours de la Commission si vous estimiez que l'intervention du règlement no 543/69 a eu pour effet de transférer à la Communauté une compétence pour négocier et conclure, dans les conditions prévues à l'article 228, des accords en matière de transports avec des États tiers.

    Là encore nous pensons que, compte tenu des conditions toujours difficiles dans lesquelles se déroulent les négociations relatives à de tels accords internationaux, la novation que pourrait constituer, si vous en jugiez ainsi, l'intervention d'un règlement communautaire ne devrait avoir d'effet que pour les négociations futures et non pour les négociations en cours.

    Or où en était-on des négociations sur l'AETR lors de l'intervention du règlement no 543/69? Fort loin, bien évidemment.

    Il ne faut pas oublier en effet qu'une première version de l'AETR avait été arrêtée dès 1962, que les négociations postérieures n'avaient pas eu pour objet d'élaborer un nouvel accord mais seulement d'apporter quelques aménagements destinés d'une part à permettre de recueillir le nombre de signatures nécessaires pour que l'accord puisse entrer en application, d'autre part, à partir de juillet 1968, à mettre en harmonie certaines dispositions envisagées pour cet accord avec un texte déjà examiné par le Conseil et qui devait devenir en mars 1969 le règlement no 543/69.

    Il serait donc, selon nous, excessif d'affirmer que ces négociations, qui étaient sur le point d'aboutir, devaient être abandonnées ou profondément bouleversées à partir de l'intervention, en mars 1969, du règlement no 543/69 et que les conversations avec les pays tiers et les États membres devaient être interrompues à cette date pour faire place à une négociation entre la Commission et les pays tiers, négociation qui aurait bien évidemment eu un caractère entièrement nouveau par rapport aux négociations antérieures.

    Ainsi la circonstance que la négociation était en cours et même fort avancée avant la fin de la période transitoire ou avant l'intervention du règlement communautaire a pour effet, pensons-nous, que, quel que soit le terrain sur lequel on se place, le Conseil pouvait laisser se poursuivre, dans les conditions où elle avait été engagée, une négociation à la veille d'être adoptée.

    Ceci expliquerait peut-être deux particularités de cette affaire qui demeurent relativement mystérieuses :

    d'une part le fait que la Commission n'a jamais saisi le Conseil d'une proposition visant expressément et préci sément la négociation de l'AETR,

    d'autre part et surtout la circonstance que la Commission n'a jamais demandé expressément à négocier seule l'AETR au nom de la Communauté, mais s'est bornée à réclamer seulement d'être mieux associée à cette négociation, notamment par la présence à Genève des ses représentants.

    Il faut noter enfin que si l'AETR entre en application en 1972 et si certaines de ses dispositions sont incompatibles avec la réglementation communautaire telle qu'elle sera en vigueur à cette époque, la Commission pourrait alors user des pouvoirs que lui donne l'article 169 du traité.

    Reste alors pour terminer la question des dépens qui nous a embarassé.

    Le Conseil n'a présenté aucune conclusion tendant à ce qu'en cas de rejet de la requête ils soient mis à la charge de la Commission.

    Nous pensons que, dans le cadre des pouvoirs que vous attribue l'article 69 de votre règlement de procédure, vous pourrez admettre que les parties sont ainsi tacitement convenues que chacune supporterait ses propres dépens.

    Nous concluons donc

    au rejet de la requête de la Commission, à titre principal, comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondée,

    à ce que chacune des parties supporte ses propres dépens.

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