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Document 61968CC0013
Opinion of Mr Advocate General Gand delivered on 14 November 1968. # SpA Salgoil v Italian Ministry of Foreign Trade, Rome. # Reference for a preliminary ruling: Corte d'appello di Roma - Italy. # Case 13-68.
Conclusions de l'avocat général Gand présentées le 14 novembre 1968.
Société par actions Salgoil contre Ministère du commerce extérieur de la République italienne.
Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Roma - Italie.
Affaire 13-68.
Conclusions de l'avocat général Gand présentées le 14 novembre 1968.
Société par actions Salgoil contre Ministère du commerce extérieur de la République italienne.
Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Roma - Italie.
Affaire 13-68.
édition spéciale anglaise 1968 00661
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1968:49
Conclusions de l'avocat général M. Joseph Gand,
présentées le 14 novembre 1968
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
A l'occasion d'un litige pendant devant elle entre une société italienne et le ministère du commerce extérieur de ce pays, litige portant sur la réparation du dommage qu'aurait causé le refus d'autoriser une importation, la cour d'appel de Rome vous demande d'interpréter les articles 30 et suivants du traité C.E.E. relatifs à l'élimination des restrictions quantitatives entre les États membres.
I
Bien qu'il ne vous appartienne évidemment pas, dans le cadre de l'article 177, de vous prononcer sur le fond de l'affaire, il n'est pas possible d'aborder l'examen des questions posées, non plus d'ailleurs que de comprendre la portée des observations produites par les parties au principal et par la Commission, sans rappeler les faits qui sont à l'origine du litige, dans la mesure assez imparfaite où ils peuvent être établis.
La société Salgoil, dont le siège est à Milan, a conclu le 23 septembre 1960 avec une entreprise de Bâle «Rohimpag» un contrat d'achat pour l'importation en Italie de 4000 tonnes de terres décolorantes imprégnées de matières grasses en provenance des pays de la C.E.E. et/ou de l'O.E.C.E. Conformément aux conditions du contrat, elle paya le 6 octobre la moitié du prix convenu, soit 242000 dollars, et les premiers lots de la marchandise parvinrent en Italie au cours de ce même mois. Il n'est pas contesté qu'à ces différentes dates l'importation du produit en question était libre, quoique, ainsi que vous le savez, la société Salgoil et la Commission diffèrent sur le point de savoir si cette liberté résultait de la consolidation des décisions de l'O.E.C.E. de 1955 ou d'une décision autonome du gouvernement italien. Mais, peu après, la loi no 1407 du 13 novembre 1960 ayant interdit l'importation du produit «dans les limites consenties par le respect des accords internationaux» (article 7), un décret du lendemain, publié le 29 novembre et entré en vigueur le 14 décembre, le soumit au régime de la licence, et une circulaire du ministre des finances du 7 février 1961 précisa qu'il ne pouvait plus être importé que des pays de la C.E.E. et dans la limite de contingents globaux établis annuellement. Le service local des douanes ayant refusé de procéder au dédouanement des premiers lots, Salgoil s'adressa au ministère du commerce extérieur pour obtenir une autorisation d'importation; celle-ci lui fut refusée par lettre du 23 mai 1961.
La société se pourvut alors devant le tribunal civil de Rome pour obtenir la réparation du dommage qu'elle aurait ainsi subi, en invoquant notamment la violation des articles 31 et 33 du traité. Mais cette juridiction se déclara incompétente pour les raisons suivantes. En matière d'importation et d'exportation la position des particuliers ne se présente pas comme un droit subjectif parfait, mais comme un droit conditionnel ou comme un droit amoindri; les règles du traité n'ont pas modifié cette situation, car elles concernent directement les droits et obligations des États membres; enfin, les situations juridiques subjectives qui peuvent naître en faveur des différents ressortissants des États membres ne sont pas qualitativement différentes de celles déjà conférées et réglementées de façon générale par le droit interne.
La société Salgoil maintint en appel que les articles du traité invoqués par elle conféraient directement aux ressortissants des États membres des droits subjectifs et non de simples intérêts légitimes; compte tenu du système juridique italien, cela devait entraîner la compétence du juge de droit commun.
C'est dans ces conditions que la cour d'appel de Rome, estimant que sa décision était subordonnée à l'interprétation du traité, vous a posé deux questions qui sont développées dans les motifs de son ordonnance de renvoi.
La première est formulée en termes très simples: les dispositions des articles 30 et suivants du traité, en particulier l'article 31, engendrent-elles également des effets dans les rapports entre un État membre et ses ressortissants?
La seconde question suppose qu'une réponse affirmative a été donnée à la précédente; elle envisage deux hypothèses, deux positions possibles, entre lesquelles on vous demande en somme de choisir: ou bien, les normes en question confèrent à l'intérêt privé du particulier une protection directe et immédiate, qui exclut tout pouvoir discrétionnaire de l'État, agissant en tant qu'administration publique, d'aller à l'encontre de cet intérêt — ou bien, ces normes (qu'il faudrait rapprocher des articles 36, 224 et 226 du traité, lesquels réservent dans certaines hypothèses aux États la possibilité de prendre des mesures de sauvegarde dérogeant aux règles du traité) ont pour objet immédiat la seule protection des intérêts publics des États membres dans le cadre communautaire, et leur destination est d'assurer en premier lieu et de façon directe la seule conformité de l'activité administrative à ces intérêts. Il faut admettre dans ce cas que chaque État membre garde à l'égard de ses ressortissants le pouvoir d'introduire des restrictions aux importations et que les normes discutées du traité n'ont pas trait à l'existence de ce pouvoir, mais seulement à son exercice légal.
II
Une question préalable se pose ici, qui a été largement exposée par le gouvernement italien tant dans la procédure écrite qu'à l'audience. Votre compétence, fondée sur l'article 177 du traité, n'existe, dit ce gouvernement, que si le litige porte sur une matière «soumise à la discipline du droit communautaire». Plus précisément, puisque les articles 31 et suivants concernent l'élimination des restrictions quantitatives entre les États membres (et non dans les rapports avec les États tiers), la juridiction nationale ne peut vous interroger sur le sens de ces articles que si elle a d'abord pris position sur le fait qu'il s'agit bien du commerce intracommunautaire, lequel est régi par les règles du traité. C'est dans l'affirmative seulement que se pose devant la juridiction une question portant sur l'interprétation du traité, et que vous êtes compétents pour statuer à titre préjudiciel. Or, on ne trouve pas cette affirmation positive dans l'ordonnance de la cour d'appel qui se borne à reproduire — sans le prendre à son compte — la thèse de Salgoil selon laquelle la marchandise proviendrait de pays membres. Certaines pièces du dossier auxquelles se réfère le gouvernement italien établiraient d'ailleurs qu'elle venait en réalité, et ne pouvait venir en raison de ses caractéristiques techniques, que de pays de la zone méditerranéenne extérieurs à la Communauté.
Nous pensons au contraire que la fin de non recevoir ainsi opposée se heurte au principe que vous avez maintes fois affirmé, à savoir que, dans les limites fixées par l'article) 177, il appartient aux seules juridictions nationales de décider du principe et de l'objet d'une saisine éventuelle de votre part. Elles sont seules juges de la pertinence des questions posées pour la solution du litige qu'elles ont à trancher, et, dès lors qu'elles vous interrogent sur le sens d'un texte de droit communautaire, on doit présumer qu'elles considèrent — au stade de la procédure où elles se trouvent alors — que la disposition en cause est susceptible d'avoir une influence sur la solution du litige. Point n'est besoin d'exiger qu'elles l'affirment explicitement. D'autre part, vous appuyer sur les éléments du dossier soumis au juge du fond pour en déduire que les articles litigieux ne peuvent s'appliquer en l'espèce, serait vous substituer à ce juge pour trancher à sa place un point qui n'a trait qu'aux faits du litige. Si nous avons bien compris la plaidoirie de l'agent du gouvernement italien, le renvoi préjudiciel devant la Cour constitutionnelle de ce pays ne serait recevable que si le juge a quo a d'abord pris position sur les faits en rapport avec le point de droit qu'il soumet à la Cour; cette jurisprudence serait très voisine de celle appliquée par la Cour constitutionnelle de la République fédérale (Beschluss des Ersten Senats du 10 novembre 1964, in Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, t. 18, 1965, p. 186, no 24). Mais une telle exigence ne peut être étendue à la procédure de l'article 177 en raison de l'indépendance respective du juge communautaire et des juridictions nationales.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d'écarter la fin de non recevoir très générale opposée par le gouvernement italien, et nous en venons maintenant à la première question posée par la cour d'appel.
III
Première question
Nous vous en rappelons les termes exacts : «Les dispositions émanant des articles 30 et suivants du traité, en particulier l'article 31, engendrent-elles également des effets dans les rapports entre un État membre et ses ressortissants?».
A — |
La première difficulté est ici de cerner la question. Les restrictions quantitatives à l'importation sont visées aux articles 30 à 33 inclus (et à l'article 35, sans intérêt en l'espèce), mais les règles posées sont différentes suivant que les produits considérés ont été libérés en application des décisions du Conseil de l'O.E.C.E. (article 31) ou au contraire n'entrent pas dans le cadre de ces décisions (article 33). Il n'y aurait donc lieu en principe d'interpréter que celles de ces dispositions sous le coup desquelles tombent les terres décolorantes imprégnées de matières grasses. Malheureusement, il n'est possible d'avoir sur ce point aucune certitude. Pour la Commission, ce produit aurait dû rentrer, en vertu de la note V du chapitre XV de l'ancien tarif italien, dans la position non consolidée 141 et se serait ensuite trouvé libéré «par voie autonome» lorsqu'il a été classé dans la position «15.17 ex a — lies ou fèces d'huile» du nouveau tarif institué en 1959 sur la base de la nomenclature de Bruxelles. Le gouvernement italien ayant en 1960 procédé au retrait de la libération d'un produit non consolidé, seules les dispositions de l'article 33 pourraient donc le concerner et devraient être interprétées par vous. Cette thèse a été contestée avec beaucoup de force par Salgoil lors de la procédure orale. La société a fait valoir notamment que la note V de l'ancien tarif ne concernait que les terres à foulon, dont différaient profondément les terres décolorantes imprégnées de matières grasses, objet du litige. Celles-ci relevaient donc de la position 139 : «huiles fixes, fluides et concrètes, d'origine végétale, brutes ou raffinées, à l'exclusion des huiles destinées directement ou indirectement à des usages alimentaires», laquelle a été incontestablement consolidée. D'où la nécessité d'appliquer, et donc d'abord d'interpréter, l'article 31. Nous n'avons cité ces quelques éléments du débat que pour montrer que celui-ci reste ouvert. Le point de savoir si une marchandise rentre dans telle ou telle position du tarif et si sa libération est consolidée relève principalement, mais non uniquement, du droit national; il n'est pas impossible d'imaginer qu'il donne lieu sous certains aspects à une question préjudicielle (voir par analogie, 26-62, Recueil, IX-1963, p. 25). Toutefois, ce n'est pas là-dessus que vous interroge la cour d'appel, et l'on peut même se demander si elle n'a pas implicitement tranché la controverse qui oppose Salgoil à la Commission, lorsqu'elle vise les articles 30 et suivants du traité, «en particulier l'article 31». Toutefois, cette indication ne nous paraît pas suffisante pour nous permettre d'exclure de notre examen les autres articles du traité qui concernent les restrictions quantitatives. |
B — |
Disons tout de suite que l'article 30 qui ouvre la matière ne nous semble pas par lui-même susceptible de produire des effets immédiats et cela en raison de son caractère très général. Il n'a en effet de portée que dans la mesure où il est développé par les articles suivants, («sans préjudice des dispositions ci-après») et ne s'applique que dans les limites définies par ces articles. |
C — |
Il en est différemment de l'article 31 qui interdit aux États membres d'introduire de nouvelles restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent. Il s'agit donc d'une clause de standstill, qui est le parallèle de celle prévue à l'article 12 pour les droits de douane à l'importation et les taxes d'effet équivalent. Votre arrêt du 5 février 1963 (26-62, Van Gend, Recueil, IX-1963, p. 7) a considéré que cette disposition, qui énonce une interdiction claire et inconditionnelle et entraîne une obligation qui n'est assortie d'aucune réserve des États de subordonner sa mise en œuvre à un acte positif de droit interne, produisait des effets immédiats. Le même raisonnement peut être tenu ici, comme il pourrait l'être également pour l'article 32 qui interdit de rendre plus restrictifs les contingents et mesures d'effet équivalent existant lors de l'entrée en vigueur du traité. Il est vrai que l'obligation imposée par l'article 31, alinéa 1, ne s'applique, en vertu de l'alinéa 2 du même article, qu'au niveau de libération, réalisé en application des décisions du Conseil de l'O.E.C.E., plus précisément aux produits compris dans les listes que les États membres devaient notifier à la Commission dans les six mois de l'entrée en vigueur du traité. Mais cette notification une fois intervenue, plus rien ne peut s'opposer à l'applicabilité directe de la disposition en cause. |
D — |
La question est beaucoup plus délicate, s'agissant de l'article 33, en raison de la complexité des règles qu'il édicté et de l'imprécision de certaines notions auxquelles il se réfère.
Le texte prévoit d'abord la transformation un an après l'entrée en vigueur du traité des contingents bilatéraux en contingents globaux et prévoit à la même date un certain pourcentage d'augmentation tant de l'ensemble des contingents globaux que de chacun des contingents globaux par produits. Puis il fixe les étapes successives d'élargissement «suivant les mêmes règles et dans les mêmes proportions». C'est l'objet du paragraphe 1. Le paragraphe 2 concerne le cas des produits non libérés dont le contingent est inférieur à 3 % de la production nationale; il est établi alors un contingent de 3 % qui est ensuite augmenté selon un rythme défini. Par ailleurs, l'alinéa 2 de ce paragraphe stipule qu'au cas où il n'existe aucune production nationale, la Commission détermine par voie de décision un contingent approprié. Enfin, en vertu du paragraphe 3, à la fin de la dizième année, tout contingent doit être au moins égal à 20 % de la production nationale. Sous réserve de la disposition du paragraphe 2, alinéa 2, qui charge la Commission de déterminer les contingents appropriés, lorsqu'il n'existe aucune production nationale, c'est aux États membres que l'article 33 impose d'instituer des contingents et de les élargir progressivement. Cela s'analyse pour eux en une obligation de faire, et une telle obligation, d'après votre jurisprudence, peut créer des droits en faveur des particuliers, à condition que l'État ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation dans la détermination des mesures qu'il doit prendre. Mais ici apparaît la difficulté. Ces mesures sont prises à partir d'éléments chiffrés à propos desquels peut naître une discussion. Premier exemple: l'État doit accorder au départ un contingent global qui représente, d'après le traité, la somme des contingents bilatéraux. Encore faut-il savoir ce que l'on entend au juste par contingents bilatéraux. Les contingents dont bénéficiait l'État exportateur ont été le plus généralement fixés dans un accord commercial, mais ils ont pu aussi être augmentés par une concession unilatérale de l'État importateur, ou provenir de telle autre cause. Dans le calcul auquel il devait nécessairement procéder pour la globalisation, l'État était-il tenu par des règles précises, rigides, ne laissant place à aucune échappatoire? La Commission rappelle que pour régler ce problème, avec d'autres, elle a dû convoquer des réunions d'experts, à la suite desquelles elle a fait connaître aux États membres sa position dans une lettre du 21 décembre 1958 qui ne figure pas au dossier, mais dont les grandes lignes se retrouvent dans le deuxième rapport général 1958-1959 (p. 59 et s.). Elle admettait que l'évaluation des divers suppléments s'ajoutant aux contingents proprement dits des accords commerciaux pouvait se faire «d'une manière souple», en excluant la part des contingents dont l'ouverture ne répondait qu'à des besoins exceptionnels. C'était reconnaître aux États une certaine marge d'appréciation. Autre exemple plus significatif encore, c'est celui de la «production nationale» qui intervient pour la détermination des contingents au taux de 3 % (article 33, paragraphe 2). Dans la procédure écrite et à la barre, la Commission a exposé de façon qui nous a paru convaincante les incertitudes que recouvre cette notion, plus économique que juridique; dans la lettre à laquelle nous nous sommes déjà référé, elle a admis que les deux termes du rapport production nationale — contingents pouvaient suivant les cas être évalués en quantités ou en valeur; et dans la seconde hypothèse, afin de rendre homogène les deux termes du rapport, elle a proposé qu'il fût tenu compte de façon forfaitaire des droits de douane perçus sur la valeur des produits importés. Que conclure de tout cela, sinon que, tant pour la détermination des contingents globaux que pour le calcul de la production nationale, les États membres disposaient d'un certain pouvoir d'appréciation excluant que, sur ces points au moins, les dispositions en cause puissent être directement applicables et que les particuliers puissent les invoquer devant le juge national? On a rappelé à ce sujet que, pour refuser l'effet immédiat aux dispositions de l'article 97 du traité, votre arrêt Molkerei-Zentrale du 3 avril dernier (Recueil, XIV-1968, p. 230) se fonde sur l'interposition en ce cas entre la règle communautaire et son application d'actes juridiques comportant un pouvoir d'appréciation. Les options qu'ont à faire les États membres dans le cas qui nous occupe, pour être d'une autre nature, n'en doivent pas moins avoir les mêmes conséquences. Mais il faut bien souligner que si les États membres peuvent, au départ, disposer d'une certaine marge pour calculer le contingent, ils sont tenus de l'instituer et de l'ouvrir sans discrimination à tous les autres États membres. Par la suite, ils doivent élargir chaque année «suivant les mêmes règles et dans les mêmes proportions». Sur ces différents points, l'obligation qui leur est imposée est stricte et inconditionnelle. Il nous semble, dès lors, que si un État n'institue pas de contingent, ou ne le rend pas accessible à tous les autres États membres, ou encore ne l'élargit pas dans les conditions prévues par le traité, les particuliers peuvent se prévaloir sur ces différents points devant le juge national de la violation d'une règle directement applicable. En résumé, sont seules directement applicables les dispositions de l'article 33, paragraphes 1 à 3, qui imposent aux États membres l'institution de contingents globaux accessibles sans discrimination, et leur élargissement progressif, à l'exclusion de celles de ces dispositions qui sont relatives au calcul de la globalisation des contingents et au calcul de la production nationale. |
IV
Seconde question
Elle ne se pose que s'il est répondu affirmativement à la première et soulève des difficultés sérieuses sur le plan de la recevabilité.
Il s'agit de préciser la nature de la protection juridique accordée à la position subjective du particulier à l'égard de l'État. La cour d'appel pose le problème sous la forme d'une alternative dont les deux termes peuvent être résumés de la façon suivante. Ou bien ce particulier jouit d'une protection directe et immédiate qui exclut tout pouvoir discrétionnaire de l'État. Ou bien, au contraire, les normes du traité ont pour objet immédiat la seule protection des intérêts publics, et laissent à chaque État membre à l'égard de ses ressortissants le pouvoir d'introduire des restrictions aux importations.
Même pour qui n'a qu'une connaissance superficielle du droit italien, la rédaction de la question laisse transparaître la distinction existant dans le système juridique de ce pays entre les droits subjectifs et les intérêts légitimes qui constitue le critère de la répartition des compétences entre les tribunaux judiciaires et la juridiction administrative. Sur ces notions, comme sur d'autres voisines telles que les droits amoindris, tant l'avocat de Salgoil que celui du gouvernement italien vous ont fourni d'intéressantes et utiles précisions.
La cour d'appel s'est gardée de vous demander de vous prononcer sur cette répartition des compétences, mais c'est visiblement à elle qu'elle a pensé. Aussi, rapprochant les termes de la question de diverses notions du droit italien, l'agent du gouvernement de ce pays en déduit qu'on vous a soumis une question de droit interne sur laquelle vous devez vous déclarer incompétents.
Sans doute vous en remettez-vous au juge national du soin de choisir les questions à vous poser, et vous vous refusez à contrôler les raisons qui ont déterminé son choix. Mais un autre principe doit être aussi soigneusement préservé, c'est que votre compétence en matière d'interprétation se limite au droit du traité.
Vous ne pouvez donc retenir la question que si vous arrivez à lui donner une portée, un sens en droit communautaire.
Un tel effort n'est pas impossible, car la seconde question posée par le juge italien ne fait en réalité que prolonger, qu'expliciter la première qui est incontestablement recevable. Après vous avoir demandé si les dispositions des articles 30 et suivants du traité engendraient des effets dans les rapports entre l'État membre et ses ressortissants, on vous demande en réalité quels sont ces effets. C'est bien, au même titre que la première question, un problème de droit communautaire, qu'il vous appartient de trancher. En le faisant, vous devrez cependant éviter de vous laissez entraîner sur le terrain du droit interne, où s'est plus ou moins placé le juge italien.
Aussi bien, votre jurisprudence a-t-elle déjà indiqué en quoi consistait la protection juridique accordée au particulier. Lorsqu'ils reconnaissent qu'une disposition du traité est d'application directe, ou produit des effets immédiats, vos arrêts disent généralement qu'elle engendre pour les justiciables des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder (par exemple : 5 février 1963, Van Gend, Recueil, IX-1963, p. 7 — 15 juillet 1964, Costa, Recueil, X-1964, p. 1149 — 16 juin 1966, Lütticke, Recueil, XII-1966, p. 294). Il en est ainsi, que l'État soit tenu d'une obligation de faire ou de ne pas faire. Dans l'un et l'autre cas — c'est d'ailleurs la condition pour que la disposition soit directement applicable — l'État n'a aucun pouvoir discrétionnaire; il se voit imposer, soit l'abstention, soit l'action dans un sens déterminé, c'est-à-dire que sa compétence est liée. Comme le fait remarquer Salgoil, il y aurait une véritable contradiction à admettre que le particulier bénéficie d'une protection directe et à reconnaître en même temps à l'État un pouvoir discrétionnaire pour mettre en œuvre à l'égard de ce même particulier le régime institué par le traité. C'est donc le premier terme de l'alternative posée par le juge italien qui doit être adopté.
D'autre part, le droit qui naît au profit des justiciables du fait des diverses dispositions directement applicables ayant un contenu identique, ce contenu ne peut être influencé par des critères de droit interne. En effet, ces dispositions «pénètrent dans l'ordre juridique interne sans le secours d'aucune mesure nationale» et «la règle communautaire doit s'imposer avec la même force dans tous les États membres» (Molkerei-Zentrale, 3 avril 1968, Recueil, XIV-1968, p. 228). Ce qui n'empêche pas que, comme le dit ce même arrêt, il appartient aux juridictions nationales d'appliquer parmi les divers procédés de l'ordre juridique interne ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire.
Enfin, pour appuyer l'autre terme de l'alternative qui tendrait à restreindre la protection juridique reconnue au particulier en considérant les normes à interpréter comme ayant pour objet immédiat la seule protection des intérêts publics des États membres, la cour d'appel a rapproché ces normes des articles 36, 224 et 226. Il suffira de dire ici que chacun de ces articles a un cadre limité et correspond à une situation particulière. Ce sont des dispositions d'exception, d'interprétation stricte, qui ne peuvent être invoquées pour nier l'existence des droits nés d'autres dispositions du traité.
En définitive, les questions posées par la cour d'appel de Rome nous paraissent appeler les réponses suivantes.
Première question
Ne sont directement applicables que, d'une part, les dispositions de l'article 31 et, d'autre part, celles des trois premiers paragraphes de l'article 33 dans les conditions et sous les réserves que nous avons indiquées.
Deuxième question
La protection juridique accordée à la position subjective du particulier lui confère des droits individuels que la juridiction interne doit sauvegarder et est exclusive de tout pouvoir discrétionnaire de l'État de s'opposer à l'exercice de ces droits.
Nous concluons enfin à ce qu'il soit statué sur les dépens par la cour d'appel de Rome.