Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61963CC0106

    Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 16 juin 1964.
    Alfred Toepfer et Getreide-Import Gesellschaft contre Commission de la CEE.
    Affaires jointes 106 et 107-63.

    édition spéciale anglaise 1965 00553

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1964:46

    Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

    du 16 juin 1964 ( 1 )

    Page
     

    Introduction (Exposé des faits, conclusions des parties)

     

    Appréciation juridique

     

    I — La mesure concerne-t-elle directement les requérantes?

     

    II — La mesure concerne-t-elle individuellement les requérantes?

     

    III — Résumé

     

    IV — Conclusions

    Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

    Les requérantes sont des sociétés commerciales de droit allemand qui achètent et vendent des céréales et des fourrages en Allemagne et à l'étranger. Pour importer du maïs de France par des opérations à terme, en janvier 1964, elles ont présenté le 1er octobre 1963 des demandes régulières de certificats d'importation à l'organisme d'importation et de stockage de céréales et de fourrages (Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel), à Francfort-sur-le-Main (l'organisme allemand d'intervention au sens de la loi du 26 juillet 1962, prise en exécution du règlement no 19, BGB1. I, page 455). Ces certificats devaient être accordés au taux de prélèvement zéro, tel qu'il a été calculé le 30 septembre 1963 pour le 1er octobre 1963 par l'Einfuhr- und Vorratsstelle, sur la base du prix franco frontière fixé par la Commission dans sa décision du 27 septembre 1963 pour la période du 1er au 6 octobre 1963. Il n'est pas contesté qu'une affiche correspondante avait été apposée dans les locaux de l'Einfuhr- und Vorratsstelle pour être portée à la connaissance des intéressés au moment où les requérantes ont déposé leur demande.

    Après le dépôt des demandes, c'est-à-dire le 1er octobre après-midi, le tableau a été enlevé avant l'heure de clôture de l'Einfuhr- und Vorratsstelle et remplacé par la communication suivante:

    «Les tableaux sur le taux des prélèvements France et France/Sarre sont temporairement retirés, en raison de la rectification des prix franco-frontière par la Commission de la C.E.E. à Bruxelles.»

    Comme nous l'avons appris au cours du procès, la Commission a fixé le 1er octobre 1963 un nouveau prix franco frontière pour les importations de maïs en provenance de la France; il était applicable à partir du 2 octobre.

    Bien que les requérantes aient rempli toutes les conditions valables pour l'octroi de certificats d'importation au moment du dépôt des demandes, ceux-ci n'ont pas été délivrés. Elles ont reçu des lettres de l'Einfuhr- und Vorratsstelle du 3 octobre 1963 qui leur annonçaient qu'aucune suite n'était donnée à leurs demandes; aucun certificat d'importation ne pouvait être accordé.

    Les lettres se référaient à une communication parue dans le Bundesanzeiger no 185 du 3 octobre 1963, selon laquelle, jusqu'à nouvel ordre, les demandes de certificats d'importation pour le maïs, présentées à partir du 1er octobre 1963 à l'Einfuhr- und Vorratsstelle, resteraient sans suite, parce que le gouvernement fédéral avait pris, le 1er octobre 1963, des mesures de sauvegarde en vertu du paragraphe 9 de la loi allemande prise en exécution du règlement no 19 du Conseil de ministres de la C.E.E. conjointement avec l'article 22 du règlement. Cette communication ne permet pas de déterminer exactement à quelle heure le gouvernement fédéral a pris les mesures de sauvegarde ni de quel ministère ou de quel organisme du gouvernement fédéral elle émane.

    Selon les dires de la Commission au cours de ce procès, les mesures de sauvegarde lui auraient été notifiées par le gouvernement fédéral au cours de la journée du 1er octobre 1963.

    Le 11 octobre 1963, le Journal officiel des Communautés a publié, page 2.479, une décision de la Commission, adressée à la République fédérale, autorisant le gouvernement fédéral, en vertu de l'article 22 du règlement no 19, à maintenir jusqu'au 4 octobre 1963 inclus les mesures de sauvegarde notifiées à la Commission et qui consistaient dans la suspension, à partir du 1er octobre 1963, de la délivrance de certificats d'importation de maïs, etc., en provenance des États membres et des pays tiers. Cette décision porte la date du 3 octobre 1963.

    Telles sont les données relatives au déroulement extérieur des événements qui présentent de l'importance pour le litige. En ce qui concerne les autres données de fait, nous renverrons au rapport détaillé du juge rapporteur ainsi qu'aux textes de loi, règlements et avis administratifs indiqués par les parties dans leurs exposés. En outre, nous aurons l'occasion, dans l'examen juridique du cas, de relever d'autres faits dans cette matière compliquée.

    Les entreprises commerciales mentionnées ci-dessus ont formé un recours contre la décision de la Commission du 3 octobre 1963. Elles demandent à la Cour son annulation, et subsidiairement son annulation dans la mesure où elle autorise la République fédérale à maintenir des mesures de sauvegarde consistant dans le rejet des demandes des requérantes tendant à obtenir des certificats d'importation.

    Sans se prononcer sur le fond, la Commission a répondu par un mémoire selon l'article 91 du règlement de procédure de la Cour. Elle y a exposé sa conception sur le droit de recours des requérantes et elle a conclu à ce que la Cour statue préalablement sur l'irrecevabilité des recours.

    C'est contre cette attitude que les requérantes se sont opposées dans un mémoire qui ne porte également que sur la question de la recevabilité. Elles concluent à la recevabilité des recours ou bien à la jonction au fond de l'exception d'irrecevabilité.

    C'est sur cette matière limitée que les parties ont longuement débattu au cours de l'audience du 28 mai 1964. La Commission a tenté de défendre de façon générale son point de vue que les décisions autorisant les États membres à maintenir les mesures de sauvegarde étaient soustraites à un recours formé par des particuliers. De même, les requérantes ont commencé à défendre leur thèse opposée, qu'elles ont cherché en plus à renforcer en invoquant les particularités de l'espèce. En outre, elles ont insisté avec énergie sur les particularités de la matière en litige, matière difficile à embrasser, tant du point de vue juridique que du point de vue des faits, et cela dans l'intention de porter le débat sur le fond, c'est-à-dire sur l'ensemble de la matière, parce qu'alors seulement il serait possible de rendre un jugement sûr sur la façon dont les requérantes sont concernées et sur la recevabilité.

    Nos conclusions suivront essentiellement cette argumentation des requérantes et de la défenderesse.

    Appréciation juridique

    Les problèmes d'interprétation décisifs découlent de l'article 173, alinéa 2, du traité. Comme les autres critères ne présentent pas de difficultés, ils concernent notamment la question de savoir si la décision de la Commission concerne les requérantes directement et individuellement.

    Nous avons eu déjà l'occasion de discuter en détail de ces deux conditions dans l'affaire 1-64 (Glucoseries réunies contre Commission de la C.E.E.). Mais l'exposé des faits dans la présente affaire nous montre déjà que nous avons affaire à une situation juridique spéciale, pour laquelle une simple référence aux explications données dans l'affaire du glucose ne serait pas suffisante. Voyons donc en particulier quels sont les problèmes qui se posent maintenant.

    I — Les requérantes sont-elles directement touchées?

    Brièvement résumée, voici leur thèse sur ce point.

    Tout comme en procédure administrative allemande, il s'agit essentiellement, pour l'article 173, alinéa 2, de savoir s'il y a eu atteinte aux droits d'un requérant et si on peut prouver un rapport de causalité entre la mesure administrative et la prétendue atteinte au droit. On pourrait parler d'atteinte directe si la lésion survenue était intentionnelle et «dirigée». Ce serait le cas pour la décision d'autorisation de la Commission, car son but aurait été de sanctionner définitivement le refus des certificats d'importation. Il n'y aurait pas eu besoin pour cela d'un acte ultérieur de la République fédérale.

    A ce point de vue, la référence à certains principes de la procédure administrative allemande nous semble tout d'abord critiquable. A notre avis, elle doit être rejetée tout comme l'a été dans l'affaire 1-64 la tentative de procéder à une interprétation du traité à l'aide de critères du droit français («intérêt direct»), même s'il était compréhensible que des parties soient tentées d'invoquer des notions qui leur sont familières. Ce faisant, la différence dans les formules employées n'est même pas décisive (article 173: «concerne directement et individuellement»; paragraphe 42 du règlement sur les tribunaux administratifs: «être lésé dans ses droits»), bien que l'on ne puisse naturellement pas faire abstraction purement et simplement du texte d'une disposition lors de l'interprétation. Deux autres considérations, qui tiennent à la substance juridique du traité et de l'ordre communautaire, sont beaucoup plus importantes. D'une part, il est certain que les traités de Rome ont intentionnellement limité le droit de recours des particuliers d'une façon plus étroite que le traité de Paris. Pour ce dernier, tout au moins d'après l'article 33, alinéa 2, première proposition, il suffit qu'une décision individuelle concerne le requérant, tandis que les traités de Rome exigent qu'elle le concerne individuellement et directement. Si le traité C.E.C.A., compte tenu de la formule mentionnée pour le droit de recours, permettait de penser à une interprétation faisant appel à des principes tels que ceux qui ont été élaborés pour la procédure administrative allemande, cela ne nous semble pas possible pour la formule sciemment plus étroite de l'article 173. D'un autre côté, et nous l'avons déjà plusieurs fois relevé, il conviendrait de donner à l'adverbe «directement», dans ses rapports avec «concerner», un sens qui corresponde aux éléments de structure caractéristiques de la Communauté, éléments qui, de loin, ne présentent pas la même importance en droit national. Nous pensons là au système des échelons multiples de l'action juridique qui caractérise la Communauté et qui se manifeste là où un organe communautaire peut provoquer des effets juridiques dans le domaine national, non pas directement, mais seulement à l'aide d'actions gouvernementales, là donc où il est interdit aux organes communautaires de régler directement des faits nationaux, comme la Commission l'a dit très exactement. A notre avis, l'exigence de «concerner directement» a son sens le plus net lorsque cette notion est interprétée en fonction de cette caractéristique de la Communauté.

    Que, contrairement à ce que croient les requérantes, cette exigence ne puisse avoir la fonction de renvoyer au rapport de causalité, cela nous semble aller de soi. Un lien de causalité peut être aussi bien direct qu'indirect. La causalité, qui est naturellement aussi un élément important lors du recours contre un acte administratif, doit plutôt être envisagée lors de l'examen de la question primaire de la violation d'un intérêt.

    C'est pourquoi nous nous en tenons en principe à cette conception que, tout au moins lorsqu'un acte communautaire destiné à exercer des effets juridiques à l'égard des citoyens de la Communauté nécessite à cette fin des actes discrétionnaires nationaux, l'existence du domaine discrétionnaire national, la liberté des instances nationales de suivre ou non le chemin ouvert par les institutions communautaires ne permettent pas de dire que les actes de la Communauté concernent directement le citoyen communautaire.

    Lorsque, par contre, les requérantes invoquent la procédure administrative allemande dont l'usage est, d'admettre le particulier intéressé à exercer un recours contre des instructions intérieures adressées à des services subordonnés avant qu'un acte d'exécution ne soit pris, cette remarque est sans grande valeur contre la thèse que nous venons de développer. Des instructions internes créent des obligations juridiques, modifient directement la situation juridique parce qu'elles doivent être exécutées. C'est pourquoi elles ne peuvent se comparer à une situation où des services communautaires donnent des autorisations d'agir et laissent aux autorités nationales le soin d'en faire bu non usage. La remarque des requérantes pourrait tout au plus présenter de l'intérêt pour l'examen de la question dont nous n'avons pas à nous préoccuper maintenant, celle de savoir comment se présente le droit de recours des particuliers lorsqu'une administration communautaire adresse des décisions obligatoires aux États membres.

    Pour la même raison, nous ne voyons pas comment la thèse des requérantes selon laquelle l'adverbe «directement» veut dire uniquement qu'il devrait s'agir d'un effet juridique intentionnel, «dirigé», pourrait ébranler notre thèse. Selon elles, on pourrait aussi parler d'un résultat intentionnel et «dirigé» lorsque plusieurs administrations collaborent à sa réalisation par des actions successives émanant d'échelons différents. A notre avis, cette tentative d'interprétation échoue devant une situation où des instances nationales statuent librement sur la réalisation ou la non-réalisation d'une conséquence dont les autorités communautaires ont uniquement ouvert la voie en donnant une autorisation préalable.

    Cependant, il est vrai dans notre cas, et cela a été soigneusement remarqué au cours du procès, que la décision de la Commission avait suivi l'acte juridique national et ne l'avait donc pas précédé comme dans l'affaire 1-64, où ce n'est qu'après l'autorisation de la Commission que la mesure de sauvegarde nationale avait été prise. En outre, les requérantes estiment que l'on pourrait parler d'une autorisation dans le présent procès; ce qu'il faudrait apprécier en réalité, c'est la confirmation définitive d'une mesure nationale par la Commission, qui serait comparable à un acte définitif décisif pris après une procédure de référé.

    Devons-nous donc demander si tout cela nous contraint à juger différemment le cas particulier?

    Cela ne nous paraît pas nécessaire lors d'une considération de principe. Tout d'abord, contrairement à l'avis des requérantes, il nous semble certain que l'article 22 du règlement no 19, bien que ne parlant pas expressément d'une autorisation, ait pu au fond envisager quelque chose d'autre lorsque la Commission ne soulève pas d'objection contre une mesure gouvernementale de sauvegarde prise de façon autonome, c'est-à-dire lorsqu'elle permet son maintien. La procédure de l'article 22 copie en effet manifestement certaines procédures de sauvegarde que le traité connaît lui-même. C'est ce que prouve une comparaison avec les articles 73, 109 et 115 si l'on fait abstraction de la règle générale pour laquelle une autorisation préalable est nécessaire. Dans une procédure d'urgence, l'État membre prend les mesures nécessaires en toute liberté d'appréciation et décide de façon indépendante (selon l'article 22 du règlement no 19 lorsque la mise en œuvre de mesures pour créer l'organisation commune du marché des céréales expose le marché national à des troubles sérieux en raison des importations). Les mesures sont notifiées à la Commission et celle-ci décide aussitôt «si elles doivent être maintenues, modifiées ou éliminées». Le mot «doivent» à l'article 22 pourrait certes laisser penser qu'il s'agit toujours, même pour le maintien des mesures de sauvegarde, d'un ordre de la Commission qui, de son côté, exclut tout pouvoir discrétionnaire de l'État. Cependant, une telle interprétation ne serait pas raisonnable et elle serait donc erronée. En premier lieu, le mot «doivent» se réfère manifestement à «modifier» et «éliminer», donc à des cas où il existe en fait un ordre de la Commission, tandis que pour «maintenir»«peuvent» doit logiquement être envisagé. L'examen des clauses de sauvegarde mentionnées du traité est en ce sens. De l'article 73 du traité, on peut par exemple conclure que logiquement on ne peut penser à rien d'autre qu'à une autorisation lorsque la Commission, après la notification des mesures de sauvegardé, n'exige pas leur abrogation ou leur modification. Sinon, en effet, le pouvoir d'intervention du Conseil de ministres, qui est prévu à l'alinéa 1 de l'article 73 pour des autorisations données par la Commission, disparaîtrait, ce qui ne serait pas logique (cf. commentaire de Wohlfarth-Everling-Glaesner-Sprung, note 5 sous l'article 73).

    Ainsi devrait-il être certain que si la Commission agit dans un sens positif selon l'article 22 du règlement no 19, elle le fait dans le sens d'une autorisation et elle ne peut donc déterminer définitivement le destin juridique de la mesure prise et le faire sien. Il s'agit toujours de mesures gouvernementales dont la responsabilité, d'après le droit national, n'appartient qu'aux instances gouvernementales.

    D'un autre côté, il n'y a, à notre avis, aucune raison de répondre affirmativement à la question de savoir si le caractère direct de l'intérêt doit être reconnu dans un pareil cas, du fait que l'autorisation de la Commission n'est pas suivie d'un acte d'exécution gouvernemental. La façon dont différentes mesures concernent une personne doit se déterminer d'après le fond de leur contenu et non pas par l'ordre dans lequel ces actes se suivent dans le temps. L'élément décisif, c'est qu'entre l'individu et la mesure communautaire il y a l'exécution autonome des pouvoirs gouvernementaux qui se trouve dans le domaine discrétionnaire de l'État. Pour cela seulement, les sujets de la Communauté se trouvent dans un rapport direct, mais non pas avec la mesure confirmative de l'institution communautaire, qui peut à tout moment perdre son importance pour le particulier si les institutions gouvernementales compétentes se décident à éliminer les mesures de sauvegarde autorisées ou même à les rapporter. A bien comprendre les choses, l'acte de volonté gouvernementale est de ce fait le. véritable support de la mesure adoptée et son maintien constitue la base directe de la lésion des intérêts des requérantes.

    Cela devient particulièrement clair si l'on fait abstraction de la particularité du cas d'espèce qui consiste en ce que l'autorisation de la Commission ne devait plus rester valable que pendant quelques heures au moment où elle a été notifiée et qui était donc pratiquement exclusivement destinée à un fait passé. Si l'on envisage le cas d'une autorisation s'appliquant non seulement à des mesures de sauvegarde déjà prises mais qui doit être valable pendant une certaine durée dans le futur, il ne devrait y avoir aucun doute que l'acte d'autorisation, dans sa partie destinée à l'avenir, équivaut à une autorisation préalable telle que celle qui est prévue par exemple à l'article 226 du traité.

    Ici apparaît nettement la fonction décisive de l'acte de volonté étatique, car il est facile de s'imaginer que, pour une raison quelconque, l'État titulaire de l'autorisation, avant même l'expiration de la durée de validité, renonce de lui-même à appliquer les mesures de sauvegarde autorisées (ce qui d'ailleurs s'est aussi produit dans l'espèce, car les organismes allemands ont donné des ordres pour délivrer à nouveau des licences d'importation à partir du 4 octobre, bien que l'autorisation de la Commission s'étende encore jusqu'au 4 octobre).

    Mais ce serait une construction artificielle pour nos conceptions de décomposer, pour la question de l'intérêt, une mesure de sauvegarde prise comme un tout, et dont la substance juridique est toujours la même par rapport à l'État membre, en une partie relative au passé et une autre valable pour l'avenir.

    Ainsi semble-t-il certain, si l'on considère seulement la marche extérieure des événements et les normes de compétence auxquelles il est fait référence, que la décision de la Commission ne concerne pas directement les requérantes.

    Les requérantes, il est vrai, dans leur requête et dans leur mémoire écrit relatif à l'exception d'irrecevabilité, ont fait des commentaires qui vont plus loin sur le plan des faits et sur celui du droit, et elles s'y sont aussi référé au cours de l'audience orale. Si ces explications sont confirmées, l'appréciation juridique que nous venons de faire se présenterait assurément sous un jour nouveau. Elles se réfèrent aux motifs et aux objectifs qui, entre le 1er et le 3 octobre, ont amené les organismes intéressés allemands et européens à agir. Selon les requérantes, des erreurs ont manifestement été commises dans la mise en œuvre de l'organisation du marché des céréales; elles ont amené la Commission à fixer des prix inexacts et il en résulte un calcul incorrect des taux de prélèvement par le gouvernement ou par les organismes administratifs de la république fédérale d'Allemagne. Pour rectifier ces erreurs, disent les requérantes, la procédure de sauvegarde de l'article 22 du règlement no 19 a été mise en marche et cela avec un certain effet rétroactif. Cela pourrait laisser supposer que les organismes nationaux et supranationaux participant à la réglementation ont été d'accord sur les mesures à prendre et vraisemblablement aussi sur la nécessité de modifier la situation: juridique telle qu'elle existait lors de la matinée du 1er octobre, en choisissant une base et une forme juridiques qui ne convenaient pas à la situation donnée.

    La requérante no 2 dit textuellement ceci:

    «La partie défenderesse, par sa décision du 3 octobre 1963, a ainsi fait usage de son pouvoir discrétionnaire dans un but autre que celui qui est prescrit par le règlement no 19, alinéas 1 et 2 (cas du détournement de pouvoir).»

    Mais s'il en était ainsi, si effectivement, et les mémoires contiennent des offres de preuve sur ce point, il se confirmait que nous nous trouvons en présence d'une collaboration voulue d'organismes nationaux et supranationaux aboutissant à des conventions obligatoires ayant effet sur les requérantes, la question de l'intérêt direct devrait faire l'objet d'un nouvel examen, car celui auquel nous venons de procéder se base de façon décisive sur la thèse d'une action gouvernementale libre et autonome à laquelle la Commission s'est contentée de donner son consentement après un examen objectif et consciencieux.

    En l'état actuel du procès, qui écarte en principe tous les arguments relatifs au fond de l'affaire, il n'est pas possible d'approfondir cet ensemble de problèmes. Mais il est loisible de penser qu'une discussion complète de l'ensemble de la matière litigieuse sous forme écrite et orale, après continuation de la procédure écrite, aboutisse à l'éclaircir. En d'autres termes, nous nous trouvons ici devant une situation de fait dans laquelle, le cas échéant, la discussion du fond peut apporter des éléments décisifs sur la question de recevabilité.

    Il conviendrait de tirer les conséquences nécessaires de cette constatation et, compte tenu des particularités de fait du cas, dans l'intérêt de la sécurité du droit, de ne rendre un arrêt, y compris sur la question de la recevabilité, qu'une fois complètement achevé le déroulement du procès au cours de la procédure normale.

    II —

    En toute hypothèse, nous n'interromprons pas l'examen de la matière litigieuse, compte tenu des doutes qui viennent d'être indiqués, mais au contraire nous aborderons de plus la question de savoir comment il faudrait apprécier la condition de procédure de l'intérêt individuel.

    Pour répondre à cette question, nous partirons de la formule élaborée par la Cour dans l'affaire 25-62. Elle dit ceci: «Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire».

    D'après l'avis de la Commission, les conditions citées dans le cas d'espèce ne sont pas remplies, car ce qui compte pour cet examen, c'est la nature juridique de l'acte national autorisé. Son caractère normatif serait incontestable, car le blocage des importations qui a été décrété s'appliquait à chacun de ceux qui envisageaient d'importer du maïs à l'époque en cause.

    Par contre, les requérantes affirment qu'elles ont été mises à part parmi l'ensemble des personnes envisageables et qu'elles sont individualisées au sens de l'arrêt Plaumann en ce sens qu'elles ont présenté le 1er octobre des demandes régulières de certificats d'importation, conformément à la décision de la Commission du 27 septembre 1963 et à l'affiche de l'Einfuhr- und Vorratsstelle du 1er octobre 1963, et qu'elles avaient conclu des contrats d'achat avec des exportateurs français.

    Si l'on choisit d'examiner d'un point de vue formel les événements en cause, rien ne saurait être opposé aux points de vue soutenus par la Commission. En fait, la Commission s'est prononcée sur la légitimité d'une mesure nationale qui, au moment où elle a été prise, visait non seulement le passé mais aussi l'avenir et qui pouvait donc en ce sens réglementer un nombre indéterminé et indéterminable de situations, tout comme un acte normatif. Il s'y ajoute encore que la décision de la Commission ne se contentait pas de ratifier des faits passés, mais visait également aussi l'avenir, bien que pour une durée très courte. Il importe donc peu que l'on replace la mesure nationale au centre de l'examen, situation pour laquelle pourrait jouer le fait que l'intérêt résulte directement de cette mesure et indirectement seulement de la mesure communautaire, ou bien que l'on parte seulement de l'acte communautaire: dans les deux cas il semble qu'il n'existe pour le particulier que des effets normatifs qui, vus du point de vue du droit d'agir en annulation, constituent l'antithèse des effets juridiques individuels.

    Mais il ne faut pourtant pas s'en tenir à cette façon de voir les choses. A bien les comprendre, pour apprécier le mode de l'intérêt, individuel ou général, il faut se placer en premier lieu au moment où la décision d'autorisation a été prise, car ses effets juridiques se trouvent au premier plan de la procédure de recours, et non pas au moment de l'adoption de la mesure gouvernementale, qui n'a pris son caractère juridique obligatoire proprement dit que du fait de l'autorisation de la Commission. Si l'on envisage de cette manière l'acte communautaire, c'est-à-dire l'acte qui, bien que pris le 3 octobre 1963, n'est devenu effectif qu'avec sa communication à l'État membre intéressé au cours du 4 octobre, il faut admettre qu'il n'avait que des effets apparemment normatifs. Entre le moment où il est entré en vigueur et celui où il a cessé de l'être, le délai est en effet si court qu'en réalité il ne doit être considéré que comme une mesure visant exclusivement le passé: il se borne essentiellement à déclarer qu'une attitude passée ne donnait pas lieu à objection. Les choses vues sous cet angle, la décision de la Commission en ce qui concerne ses effets juridiques se rapproche manifestement des actes collectifs au sens du droit administratif allemand lesquels sont assimilés à des actes administratifs, parce qu'en fin de compte on peut déterminer les personnes qu'ils concernent.

    Il s'y ajoute encore ceci: nous avons entendu dire au cours du procès que la mesure nationale était déjà dotée d'un effet rétroactif. Elle a été prise au cours de l'après-midi du 1er octobre, mais elle devait s'appliquer à toutes les demandes présentées à partir du début de la journée. Le cas échéant, ce fait pourrait n'avoir aucune importance juridique s'il devait s'agir d'une mesure normative qui, en dehors de son effet pour l'avenir, devait viser en outre des faits passés. La particularité du cas d'espèce tient cependant à ce qu'à peu près au moment même où la mesure de sauvegarde a été prise avec effet rétroactif, la situation juridique s'est modifiée du point de vue de la Communauté. Si en effet jusqu'au 1er octobre au soir, en vertu de la fixation du prix franco frontière à laquelle la Commission a procédé, c'était le taux de prélèvement zéro qui s'appliquait en Allemagne pour les importations de maïs en provenance de France, la Commission, le soir du 1er octobre, a fixé un nouveau prix franco frontière avec effet du 2 octobre, par modification de sa décision du 27 septembre 1963, et ce prix se répercutait sur le taux de prélèvement applicable à partir du 2 octobre. En d'autres termes, tous ceux qui auraient présenté des demandes de certificats d'importation après le 1er octobre, auraient eu une situation juridique autre pour l'examen de leurs demandes que les importateurs qui avaient déjà présenté leurs demandes le 1er octobre et qui étaient soumis au taux de prélèvement en vigueur ce jour-là. Ainsi, la mesure de sauvegarde nationale revêt-elle un aspect tout à fait spécifique: elle semble avoir été adoptée avant tout pour empêcher une décision positive pour les demandes présentées le 1er octobre.

    Pour juger le droit de recours, la question décisive se présente donc ainsi: les requérantes sont-elles suffisamment individualisées pour autant que la décision les concerne, par le fait qu'elles avaient présenté le 1er octobre 1963 des demandes de certificats d'importation qui devaient être attribués selon des conditions de prélèvement régulières et bien déterminées et qui, ensuite, n'ont plus été valables? A notre avis, on ne pourrait pas répondre de façon négative à cette question, parce que d'autres importateurs auraient pu aussi présenter des demandes le 1er octobre. Nous savons par le procès que la demande était liée à certains effets juridiques qui constituaient même une charge pour le demandeur (obligation d'importer et dépôt d'une caution); en règle générale, la conclusion de contrats d'achat avec des exportateurs suivait directement. Sous cet angle, il ne nous semble pas arbitraire de faire une différence entre les importateurs qui remplissaient toutes les conditions pour la délivrance de certificats d'importation le 1er octobre, ce qui résulte de leurs demandes, et ceux qui ne constituaient que des candidats éventuels.

    C'est pourquoi nous estimons que l'on peut reconnaître aux requérantes un intérêt individuel, si ce n'est compte tenu de leurs «caractéristiques personnelles», tout au moins vu les «circonstances particulières» (comme le dit l'arrêt Plaumann), car manifestement elles constituaient l'objectif principal de la mesure de sauvegarde prise. Nous prônons ce résultat, bien qu'au total plus de vingt demandes soient parvenues à l'Einfuhr- und Vorratsstelle et que par conséquent de nombreuses entreprises se soient trouvées dans la même situation que les requérantes. Le nombre des personnes intéressées ne devrait en effet jouer un rôle, s'il y a lieu, qu'à partir seulement d'un ordre de grandeur plus considérable.

    III —

    Au total cependant, compte tenu des considérations sur la question de l'intérêt direct, nous devrions proposer de rejeter le recours si la Cour ne voulait pas se décider à éclaircir davantage les faits.

    Nous ne pouvons dire de façon définitive s'il en résulterait ainsi pour les requérantes une limitation insupportable de leur protection juridictionnelle. Quoi qu'il en soit, certaines de leurs objections sur la procédure de l'article 177, sur laquelle la Commission a tant insisté, ne nous paraissent pas complètement mal fondées.

    En ce qui concerne la possibilité d'agir en indemnisation contre la Communauté, les craintes des requérantes sont certainement compréhensibles, car il semble, d'après l'arrêt Plaumann, qu'une procédure d'indemnisation ne soit possible qu'après l'annulation de l'acte communautaire critiqué. Nous croyons cependant que le dernier mot n'a pas encore été dit dans cette question. Il nous semble qu'une telle exigence n'existe pas dans le droit de tous les États membres. Mais, dans une juste conception, la question des rapports des actions en indemnisation avec les actions en annulation, comme toutes les caractéristiques de l'action en responsabilité pour faute de service, doivent être tranchées «conformément aux principes généraux communs aux droits des Etats membres» (article 215, alinéa 2, du traité).

    IV — Nos conclusions sont les suivantes:

    En premier lieu, nous suggérons, en vertu de l'article 91, paragraphe 4, du règlement de procédure, de ne pas juger la demande de la Commission dès maintenant, mais de laisser d'abord plaider l'ensemble de l'affaire, parce que nous en attendons des éclaircissements supplémentaires sur la question de l'intérêt direct.

    Si la Cour ne devait pas nous suivre, les recours devraient être rejetés intégralement comme irrecevables, y compris aussi les conclusions subsidiaires, et les requérantes devraient être condamnées aux dépens.


    ( 1 ) Traduit de l'allemand.

    Top