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Document 61959CC0003

Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 5 novembre 1959.
République fédérale d'Allemagne contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
Affaire 3-59.

édition spéciale anglaise 1960 00117

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1959:25

Conclusions de l'avocat général

M. MAURICE LAGRANGE

5 novembre 1959

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Ouvrant par une sorte de préface, ou d'introduction, la longue série de litiges dont la Cour est saisie en matière de transports, le gouvernement de la République fédérale, par le présent recours, vous invite à vous prononcer sur quelques questions de principe, touchant à certaines règles fondamentales du traité, mais qui ne préjugent en rien la solution des autres litiges et, notamment, de celui que le même gouvernement a soulevé par son recours 19-58.

Nous pensons d'ailleurs que, si les questions posées par le présent recours sont importantes, leur solution est simple.

I

Voyons d'abord les textes. Ce sont essentiellement l'article 70 du traité et le paragraphe 10 de la convention relative aux dispositions transitoires.

L'article 70 (régime définitif) explicite, en ce qui concerne les tarifs de transport pour le charbon et l'acier, la règle de non-discrimination déjà posée à l'article 4. Quant au paragraphe 10, il organise une procédure permettant, dans certains délais, d'«atteindre les buts définis à l'article 70 du traité».

Les conditions de transport, et notamment la tarification, demeurant soumises à la compétence nationale, c'est par l'intermédiaire des États que doit être réalisée normalement l'application du traité et de la convention. S'il s'agit d'assurer le respect des règles permanentes posées à l'article 70, c'est l'État qui doit en premier lieu les observer et les faire observer, notamment en usant des pouvoirs qu'il possède à l'égard des entreprises de transport, et, si besoin est, en obtenant, par voie législative ou autre, les compléments nécessaires à ces pouvoirs.

Quant à la réalisation des étapes prévues au paragraphe 10 de la convention, elle a dû se faire au moyen d'accords intergouvernementaux préparés par une commission d'experts, la Haute Autorité n'intervenant que pour animer les études et prendre l'initiative des négociations.

Toutefois, une intervention directe de la Haute Autorité est prévue dans un cas particulier, celui qui vise «l'application de mesures tarifaires intérieures spéciales, dans l'intérêt d'une ou plusieurs entreprises productrices de charbon ou d'acier». L'article 70, en son quatrième alinéa, dispose que cette application «est soumise à l'accord préalable de la Haute Autorité qui s'assure de la conformité (de ces mesures) avec les principes du présent traité; elle peut donner, ajoute le texte, un accord temporaire ou conditionnel».

Quant à celles de ces mesures tarifaires qui étaient «en vigueur lors de l'institution de la Haute Autorité», le septième alinéa du paragraphe 10 de la convention dispose qu'elles «seront notifiées à la Haute Autorité qui devra accorder pour leur modification les délais nécessaires pour éviter toute perturbation économique grave».

Ce système, vous le voyez, est très voisin de celui qui concerne les ententes: principe d'interdiction sauf autorisation préalable, mais, pour les situations existant à l'entrée en vigueur du traité, ou, plus exactement, lors de «l'institution de la Haute Autorité» (pour les transports), lors de l'ouverture du marché commun (pour les ententes, du moins d'après votre jurisprudence), institution d'une règle transitoire qui laisse subsister la situation jusqu'à ce que la Haute Autorité ait pu se prononcer sur sa compatibilité avec le traité.

Bien que le texte de l'alinéa 7 de la convention soit assez elliptique, on s'aperçoit qu'il permet trois possibilités :

1o

Si la mesure tarifaire spéciale se trouve compatible avec les règles des deux premiers alinéas de l'article 70, elle est entièrement conforme au traité et l'on peut estimer (en tout cas, la Haute Autorité l'admet) qu'en pareil cas il n'y a pas lieu pour elle de donner son accord en exécution de l'alinéa 4 ;

2o

Si la mesure n'est pas conforme auxdites règles, mais est néanmoins jugée conforme aux «principes» du traité, l'on peut estimer (la Haute Autorité l'admet également) qu'elle pourra faire l'objet d'un accord, au besoin «temporaire ou conditionnel», selon l'article 70, alinéa 4;

3o

Enfin, si elle est jugée à la fois non conforme aux règles de l'article 70 et non susceptible d'autorisation, la Haute Autorité fixera pour sa «modification» (c'est-à-dire pour son remplacement par une mesure légale) «les délais nécessaires pour éviter toute perturbation économique grave».

Nous ne voulons pas nous prononcer ici sur l'interprétation de ce quatrième alinéa de l'article 70, sur lequel vous aurez à vous pencher lors de l'examen au fond des litiges de transports, pas plus que sur l'interprétation des autres dispositions du même article, en liaison avec l'article 4 et les principes du titre premier. Mais ce que nous retenons pour l'instant, du point de vue de la procédure, et qui nous paraît incontestable, c'est que les «mesures tarifaires intérieures spéciales dans l'intérêt d'une ou plusieurs entreprises productrices de charbon ou d'acier», visées au quatrième alinéa de l'article 70, qui étaient en vigueur lors de l'institution de la Haute Autorité, le sont restées légalement jusqu'à ce que la Haute Autorité se soit prononcée à leur égard en application du paragraphe 10, alinéa 7, de la convention. La seule obligation des gouvernements était de les lui notifier, ce que le gouvernement fédéral a fait pour sa part.

II

Comment, maintenant, se présente le litige?

C'est seulement, vous le savez, le 9 février 1958, la veille du jour de l'expiration de la période transitoire, que la Haute Autorité a pris l'ensemble de ses décisions pour l'application des textes que nous venons de rappeler, décisions qui ont fait l'objet d'une série de lettres en date du 12 février, publiées au Journal officiel du 3 mars.

Trois de ces décisions concernent le gouvernement fédéral: elles sont relatives aux mesures tarifaires spéciales applicables, respectivement, aux transports ferroviaires des combustibles minéraux destinés à la sidérurgie, aux transports ferroviaires des combustibles minéraux autres que ceux destinés à la sidérurgie et aux transports ferroviaires de minerais. La première et la troisième intéressent seules le présent litige.

Appliquant les distinctions que nous avons relevées il y a un instant, la Haute Autorité a considéré certains tarifs comme compatibles avec l'article 70 dans son ensemble et ne soulevant pas d'objection de sa part; d'autres ont fait l'objet d'un accord en conformité de l'alinéa 4, eu égard à la situation particulière de certaines entreprises appelées à en bénéficier; d'autres, enfin, ont été jugées comme ne pouvant faire l'objet d'un tel accord et, en ce qui les concerne, des délais ont été fixés pour leur suppression ou leur modification, par paliers.

Contre cette dernière partie des décisions, le gouvernement fédéral a formé, sous le no 19-58, un recours qu'il qualifie lui-même de recours en annulation. Toutefois, dans ce recours, le gouvernement fédéral se fonde non seulement sur l'article 33, mais aussi sur l'article 88 et sur l'article 37, dispositions qui, vous le savez, instituent des procédures spéciales, l'une pour le cas de manquement des États à leurs obligations, et la seconde pour le cas où l'action ou l'inaction de la Haute Autorité entraînerait dans l'économie générale des États membres des troubles fondamentaux et persistants.

Depuis, le requérant a entamé la procédure spéciale de l'article 37, et il n'en a plus été question dans le recours 19-58. Pour ce qui est de l'article 88, le requérant s'est borné à citer cette disposition, mais sans insister: toute la discussion s'est poursuivie dans le cadre du recours en annulation formé sur la base de l'article 33.

Le premier des délais fixés par les décisions du 9 février étant venu à expiration le 1er juillet 1958 sans que les modifications de tarif prévues pour cette date fussent intervenues, la Haute Autorité demanda des explications au gouvernement fédéral, lequel répondit qu'il ne se considérait pas comme tenu d'exécuter les décisions tant que la Cour n'aurait pas statué sur le recours qu'il avait formé contre ces mêmes décisions.

La Haute Autorité ouvrit alors la procédure de l'article 88: après avoir mis le gouvernement fédéral en mesure de présenter ses observations (lettre du 8 octobre 1958, à laquelle il fut répondu le 30 octobre), elle prit le 1er décembre 1958 une décision basée sur l'alinéa premier dudit article. Cette décision relève qu'en n'exécutant pas les décisions relatives aux tarifs alors qu'aucun sursis n'avait été accordé par la Cour, le gouvernement fédéral a manqué à une obligation lui incombant en vertu du traité, et elle lui impartit un délai jusqu'au 31 janvier 1959 pour remplir son obligation.

Telle est la décision que le gouvernement fédéral a attaquée devant la Cour par un recours de pleine juridiction fondé sur le deuxième alinéa de l'article 88 et que vous avez actuellement à examiner.

III

Toute l'argumentation du recours tend à démontrer que les décisions de février 1958 ne comportaient pas pour le gouvernement requérant une obligation, qu'il aurait été tenu d'exécuter, de modifier les tarifs dans les conditions fixées par ces décisions.

Nous ne reprendrons pas en détail l'analyse de cette argumentation, que vous connaissez. Il semble — autant qu'il soit possible de la résumer en quelques mots — qu'elle repose sur un raisonnement alternatif.

Dans un premier raisonnement, on soutient que la question de fond qui sépare les deux parties — à savoir la compatibilité des tarifs en cause avec le traité — peut être discutée à l'occasion d'un recours formé contre la décision de la Haute Autorité prise en vertu de l'article 88, c'est-à-dire contre la décision attaquée par le présent recours, et, à cet égard, le requérant invoque, par voie d'analogie, la jurisprudence de la Cour sur l'exception d'illégalité. D'autre part, on soutient que les décisions du 9 février 1958 ne peuvent être regardées que comme des conditions auxquelles serait subordonnée une autorisation accordée conformément à l'article 70, alinéa 4: il n'appartenait pas à la Haute Autorité de prescrire avec force obligatoire des dispositions tarifaires définies. Dès lors, l'illégalité des tarifs, entraînant l'obligation de les modifier, ne peut résulter que de la mise en jeu de la procédure de l'article 88.

Dans un deuxième raisonnement, on reprend l'idée que seule la procédure de l'article 88 peut avoir un effet contraignant vis-à-vis d'un État. Mais, on considère que les décisions du 9 février 1958 doivent déjà être considérées comme prises en vertu de l'article 88, alinéa 1. Dans cette optique, le recours 19-58 formé contre lesdites décisions aurait le caractère d'un recours de pleine juridiction au titre du deuxième alinéa de l'article 88. Or, d'après le troisième alinéa du même article, ce recours est suspensif, et la Haute Autorité n'est pas en droit de prendre d'autres mesures avant qu'il ne soit jugé: la décision attaquée serait donc illégale en tant qu'elle impartit au requérant un délai expirant le 31 janvier 1959 pour exécuter ses obligations.

Messieurs, nous estimons que la thèse du requérant est incompatible avec les règles établies par le traité.

Elle procède, à notre avis, d'une confusion entre le caractère obligatoire des décisions de la Haute Autorité et les conditions d'exécution forcée de ces mêmes décisions. «Les décisions sont obligatoires en tous leurs éléments», dit en propres termes l'article 14 du traité. L'obligation prend naissance par le seul effet, selon le cas, de la notification ou de la publication de la décision (art. 15), et, sauf disposition contraire (telle que l'article 66, § 5, 2e al.), le recours n'est pas suspensif, à moins que le sursis n'ait été accordé par la Cour ou son président statuant en référé. Toutes ces règles sont valables aussi bien à l'égard des États que des entreprises.

Tout autre est la question de l'exécution forcée, c'est-à-dire de ce qu'on appelle les «voies d'exécution». Ici, comme il est naturel, les règles sont différentes suivant que l'exécution est recherchée contre une entreprise, personne privée, ou contre un État. Contre les entreprises peuvent être prononcées, outre des amendes, des astreintes dont le caractère contraignant est certain; et, d'autre part, une procédure d'exécution forcée, faisant appel aux procédures nationales, est prévue pour assurer l'exécution des décisions de la Haute Autorité comportant des obligations pécuniaires. En ce qui concerne les États, est instituée la procédure spéciale de l'article 88 que nous n'avons pas besoin de rappeler.

Mais, ce qu'il y a lieu de noter, c'est que, dans les deux hypothèses, l'inexécution des décisions de la Haute Autorité, permettant de déclencher le mécanisme des voies d'exécution, ne constitue qu'un cas particulier d'infraction au traité. Il peut fort bien arriver, en effet, que l'infraction résulte directement de l'inexécution (que ce soit par un État ou par une entreprise) d'une obligation, positive ou négative, prévue par le traité ou par un règlement d'application: c'est le cas, par exemple, pour un État, de la création d'une charge spéciale ou de l'institution d'une subvention interdite par l'article 4. L'État qui commet un tel acte se met de plein droit en infraction avec le traité, sans interposition d'aucune décision de la Haute Autorité. Pour une entreprise, ce sera le cas, par exemple, d'une pratique discriminatoire interdite par l'article 60. C'est pourquoi, les sanctions pécuniaires applicables aux entreprises sont prévues aussi bien pour la violation directe du traité que pour la méconnaissance des décisions de la Haute Autorité (ex. : art. 64 pour les prix). Et c'est aussi pourquoi, de son côté, l'article 88 vise, d'une manière générale, le manquement d'un État «à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité».

Ainsi (et pour ne parler maintenant que des États), l'article 88 s'applique aussi bien à la création par un État d'une situation contraire au traité qu'au refus ou à l'absence d'exécution de sa part d'une décision de la Haute Autorité, car il va de soi que refuser ou s'abstenir d'exécuter une décision de la Haute Autorité ayant un caractère obligatoire constitue pour un État un «manquement à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité», pour reprendre les termes de l'article 88: cela résulte non seulement du principe posé à l'article 14, que nous avons rappelé, mais, en outre, des termes mêmes de l'article 86 et de l'engagement que les États ont pris en acceptant cette disposition.

Cela dit, il est bien évident que la nature du manquement sera fort différente selon qu'il s'agit du premier ou du second cas que nous venons de distinguer: dans le premier cas, en effet, c'est la Haute Autorité qui doit prendre l'initiative en décelant dans l'action d'un État ce qu'elle pense être une infraction au traité. Si l'État maintient son attitude, c'est qu'il estime, quant à lui, n'être pas en infraction avec le traité. Le litige qui naît de cette contradiction, s'il n'est pas résolu à l'amiable, va être porté devant la Cour selon la procédure de l'article 88 et c'est par la voie du recours ouvert à l'alinéa 2 de cet article que la Cour se trouvera appelée à juger le fond, c'est-à-dire le point de savoir si l'action de l'État est ou non compatible avec le traité. C'est, évidemment, en pensant à des cas de ce genre que les auteurs du traité ont tenu à instituer une procédure donnant aux États le maximum de garanties et, notamment, celle d'un recours de pleine juridiction.

Dans le second cas, au contraire, la procédure de l'article 88 sera purement formelle, puisqu'elle aura pour seul objet de constater que l'État ne s'est pas conformé à une décision, par hypothèse exécutoire, de la Haute Autorité. Dans cette circonstance, il est évident que le recours de l'article 88 ne pourra pas porter sur le fond, car ce serait remettre en cause la légalité de la décision dont la méconnaissance constitue précisément l'objet — et le seul objet — du manquement. Le recours de pleine juridiction ne pourra porter que sur les circonstances de l'exécution ou de la non-exécution, ce qui peut très bien soulever certaines difficultés. Quant à la légalité de la décision, elle ne peut être contestée que par la voie ouverte par le traité à cet effet, qui est le recours en annulation de l'article 33. Il n'a pas été jugé nécessaire, ici, de prévoir spécialement en faveur des États un recours de pleine juridiction, puisque, en ce cas, est intervenue une décision de la Haute Autorité entourée des formalités habituelles: le droit commun du traité s'applique; et vous savez combien, dans l'espèce, ces formalités ont été nombreuses: commission d'experts qui a siégé pendant des années, consultations avec les gouvernements, enquêtes sur place, etc. Vous savez aussi jusqu'à quel point peut aller le contrôle de «légalité» que la Cour exerce sur la base de l'article 33 et les garanties qu'il comporte, surtout pour les États, non limités comme les entreprises quant aux moyens.

C'est à tort, d'autre part, que le requérant invoque la jurisprudence de la Cour relative à l'exception d'illégalité; en effet, cette exception ne peut être invoquée qu'à l'encontre de décisions normatives, de règlements, pris pour l'application du traité, dont la méconnaissance est assimilable à une méconnaissance des dispositions du traité lui-même et dont il est possible que l'intérêt à en invoquer l'illégalité ne surgisse qu'au moment de leur application. Or, dans l'espèce, nous sommes en présence d'une décision individuelle concernant un gouvernement déterminé et faisant application à un certain nombre de cas concrets de règles prévues par le traité: c'est un refus d'autorisation qui n'a pas le moindre caractère normatif. Toute votre jurisprudence est en ce sens.

Dès lors, Messieurs, la situation juridique dans le présent litige nous paraît parfaitement claire.

La Haute Autorité, par ses décisions du 9 février 1958, s'est prononcée sur l'ensemble des «tarifs spéciaux» qui lui avaient été communiqués. Il faut, bien entendu, mettre à part ceux des tarifs examinés qui ont été reconnus compatibles avec l'article 70, alinéas 1 et 2, et que la Haute Autorité a estimé n'être pas sujets à accord au titre du quatrième alinéa: il ne peut être question pour ces tarifs, qui ne sont pas litigieux, de constatation d'un manquement. Il convient d'exclure également les tarifs que la Haute Autorité a considérés comme relevant d'un accord au titre du quatrième alinéa, mais pour lesquels précisément elle a donné son accord: ici non plus, il ne peut y avoir «manquement» de la part de l'État du fait de ne pas les avoir modifiés.

Restent les tarifs litigieux. La Haute Autorité, par ses décisions du 9 février 1958, leur a reconnu le caractère de «mesures tarifaires intérieures spéciales, dans l'intérêt d'une ou plusieurs entreprises productrices de charbon ou d'acier», selon les termes du quatrième alinéa de l'article 70, et elle a estimé que ces tarifs, d'une part, étaient contraires aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article 70 et, d'autre part, ne remplissaient pas les conditions jugées nécessaires pour bénéficier d'un «accord» au titre du quatrième alinéa. Elle a, en conséquence, appliquant le paragraphe 10, alinéa 7, de la convention, imparti des délais pour leur modification.

Messieurs, il est possible que la Haute Autorité se soit trompée. Il est possible que les tarifs litigieux remplissent les conditions prévues pour un accord au titre du quatrième alinéa; il est possible également que certains d'entre eux, voire la totalité, soient conformes au traité, sans même avoir besoin d'un accord de la Haute Autorité: toutes ces questions relèvent du recours 19-58 et seront jugées sur ce recours. Mais ce qui est certain, c'est que le maintien en vigueur de ces tarifs, jusqu'à la décision de la Haute Autorité, était parfaitement légal en vertu des dispositions transitoires de la convention et que, dès lors, aucun manquement ne pouvait être et n'a d'ailleurs été constaté par les décisions du 9 février 1958.

D'autre part — et c'est une deuxième constatation, encore plus évidente que la première —, la Haute Autorité a bien pris le 9 février 1958 des décisions, au sens de l'article 14 du traité, notifiées au gouvernement fédéral par les diverses lettres du 12 février, et par lesquelles, se plaçant, comme nous venons de le voir, sur le terrain des dispositions combinées de l'article 70 du traité et du paragraphe 10, alinéa 4, de la convention, la Haute Autorité fixe à ce gouvernement des délais pour supprimer par paliers les tarifs spéciaux litigieux. Ces décisions sont «obligatoires en tous leurs éléments», et elles sont exécutoires, nonobstant le recours en annulation formé contre elles en vertu de l'article 33, dès lors que le sursis n'a pas été accordé (et vous savez qu'en l'espèce il n'a même pas été demandé).

Dans ces conditions, le fait pour le gouvernement fédéral de s'être abstenu de prendre, conformément à l'article 86, dans l'ordre interne, les mesures nécessaires pour que les modifications de tarif interviennent dans les conditions et aux dates fixées par la Haute Autorité dans ses décisions de février 1958 constitue à lui seul un manquement, de la part de l'État qu'il représente, à l'une des obligations, et non la moindre, que cet État a assumée en acceptant le traité, à savoir l'engagement d'exécuter et de faire exécuter les décisions de la Haute Autorité.

Nous devons encore répondre à un dernier grief du recours: la décision attaquée n'aurait pu fixer au requérant, pour remplir son obligation, un délai plus court que celui dont il dispose pour former un recours en vertu de l'article 88, deuxième alinéa, ce qui serait contraire à l'effet suspensif de ce recours. En effet, la date limite fixée par la Haute Autorité dans sa décision est le 31 janvier 1959, alors que le délai de recours, qui est de deux mois en l'espèce, n'expirait que le 11 février 1959.

Ici encore, il s'agit d'une confusion entre le caractère obligatoire des décisions de la Haute Autorité et les voies d'exécution. Le recours du deuxième alinéa de l'article 88 n'est nullement suspensif: ce qui est seulement suspendu, c'est le droit pour la Haute Autorité, tant que le recours n'a pas été jugé (et jugé, bien entendu, par un rejet), de prendre, avec l'avis conforme du Conseil à une majorité qualifiée, les mesures de sanctions prévues au troisième alinéa.

Au début de sa réplique, le requérant se défend avec force d'un reproche qu'il croit, à tort ou à raison, avoir décelé dans l'exposé du mémoire en défense de la Haute Autorité, reproche d'avoir «cherché à se soustraire à l'exécution provisoire des décisions du 9 février 1958 en invoquant abusivement et sans intention sérieuse des moyens de droit prévus par le traité». Après avoir affirmé qu'il se proposait exclusivement de faire usage des moyens de droit prévus à l'article 88, moyens de droit constituant des garanties au profit des États membres, il déclare que «cette procédure ne tend pas à retarder, mais, bien au contraire, à accélérer ce contrôle juridictionnel qu'il vise et auquel il a un droit manifeste».

Messieurs, quant à nous, nous ne nous reconnaissons pas le droit, et nous n'avons jamais eu l'idée, de mettre en doute les intentions du gouvernement de la République fédérale et nous sommes entièrement persuadé que, si votre arrêt est conforme à nos conclusions, ce gouvernement se fera un devoir de procéder aussitôt à l'exécution des décisions du 9 février 1958.

Nous concluons :

au rejet du recours,

et à ce que les dépens soient supportés par le requérant.

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