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Document 52022JC0024

COMMUNICATION CONJOINTE AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre

JOIN/2022/24 final

Bruxelles, le 18.5.2022

JOIN(2022) 24 final

COMMUNICATION CONJOINTE AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS

sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre


1.Introduction

Les chefs d’État ou de gouvernement de l’UE, réunis à Versailles le 11 mars 2022, se sont engagés à «renforcer les capacités de défense européennes» à la lumière de l’agression militaire russe contre l’Ukraine. Ils sont convenus de: 1) augmenter les dépenses en matière de défense; 2) intensifier la coopération au moyen de projets conjoints; 3) remédier aux insuffisances et atteindre les objectifs en matière de capacités; 4) stimuler l’innovation, notamment au moyen de synergies civiles/militaires; et de 5) renforcer et développer notre industrie de la défense, y compris les PME. En outre, ils ont également invité «la Commission, en coordination avec l'Agence européenne de défense, à présenter une analyse des déficits d'investissement dans la défense d'ici la mi-mai et à proposer toute initiative supplémentaire nécessaire pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne». Cette mission a également été intégrée dans la boussole stratégique pour la sécurité et la défense 1 , adoptée par le Conseil et approuvée par le Conseil européen en mars 2022.

La présente communication conjointe fournit au Conseil européen l’analyse demandée, afin que l’augmentation des dépenses des États membres en matière de défense se traduise par un renforcement considérable de la base industrielle et technologique de défense de l’UE, ce qui accentuera l’effet de la dissuasion conventionnelle sur tous les types d'adversaires potentiels. S’appuyant notamment sur la communication relative au «paquet défense» du 15 février 2022 2 , elle propose aux États membres de nouvelles possibilités pour développer les acquisitions conjointes et coopérer avec l’industrie en vue d'accroître sa capacité de production afin de répondre aux besoins accrus, sur la base d’une demande consolidée et plus prévisible. La perception qu’ont les citoyens de la nécessité de renforcer l’action de l’UE en matière de défense est mise en évidence dans le rapport final de la conférence sur l’avenir de l’Europe 3 .

Ces mesures sont cruciales vu les répercussions considérables, pour la défense européenne, de l’agression militaire non provoquée de la Russie à l’encontre de l’Ukraine. Le retour de la guerre en Europe a mis en évidence les effets du sous-financement de la défense pendant des années, qui a entraîné une accumulation des déficits et des insuffisances dans les stocks militaires collectifs ainsi qu’une réduction des capacités de production industrielle. L'accroissement des dépenses en matière de défense devra non seulement remédier à cette situation mais aussi répondre de toute urgence au besoin à court terme de reconstitution et d'augmentation des stocks de la défense, y compris pour compenser l’assistance militaire à l’Ukraine.

Les États membres ont annoncé des augmentations de leur budget de la défense, pour un montant approchant, à ce jour, les 200 milliards d’euros supplémentaires sur les années à venir 4 . Bien que ces augmentations soient essentielles, il existe un risque sérieux qu'elles ne suffisent pas à pallier les insuffisances existantes si elles sont dépensées de manière non coordonnée. Les États membres de l’UE ne doivent donc pas seulement dépenser plus, mais aussi investir davantage et mieux ensemble, comme le soulignent la déclaration de Versailles et la boussole stratégique. Ce n’est qu’en collaborant que les États membres peuvent maximiser les économies d’échelle et faire face aux coûts élevés des capacités de pointe, tout en évitant de se faire concurrence pour des capacités d’approvisionnement limitées et en se gardant des doubles emplois inutiles.

L'histoire montre toutefois qu'il existe un risque que les États membres optent pour des solutions nationales, en raison de considérations liées à l’industrie et à la sécurité de l’approvisionnement, ou, lorsqu’elles ne sont pas disponibles, privilégient des solutions «prêtes à l'emploi» 5 non européennes compte tenu de la sensation d'urgence, au détriment d’éventuelles solutions de l’UE aux délais de mise en œuvre équivalents. Les industries de la défense peuvent être enclines à servir en priorité leur gouvernement national plutôt qu'une clientèle plus européenne. En l'absence de coordination et de coopération, l’augmentation des investissements aggraverait la fragmentation du secteur européen de la défense, limiterait le potentiel de coopération durant le cycle de vie des équipements, amplifierait les dépendances extérieures et compromettrait probablement l’interopérabilité. Les acquisitions à court terme auront une incidence à plus long terme à cet égard, conduisant à un affaiblissement de la puissance de marché et à une perte d'opportunités pour les prochaines décennies.

En résumé, le sous-financement persistant et le manque de coopération ont abouti à des insuffisances critiques en matière de capacités de défense, en particulier dans le haut de gamme et dans tous les domaines, ainsi qu'à la fragmentation des secteurs connexes en Europe. Il est essentiel que l’UE ne répète pas les erreurs du passé, sources d'inefficacités, de doubles emplois et de dépendances, et qu’elle s’appuie plutôt sur les initiatives de l’UE en matière de défense et sur les outils de développement des capacités mis en place ces dernières années pour renforcer la coopération des États membres en matière de défense. Ces initiatives — notamment le Fonds européen de la défense (FED) — visent à réduire la fragmentation du marché européen de la défense et à intensifier la coordination des politiques de défense des États membres ainsi que la planification et le développement des capacités, notamment grâce à la coopération structurée permanente (CSP), à l’examen annuel coordonné en matière de défense (EACD) et au plan de développement des capacités (PDC). Qui plus est, la boussole stratégique demande que soient organisées, à partir de 2022, des réunions annuelles des ministres de la défense sur les initiatives de défense de l'UE axées sur le développement des capacités, présidées par le haut représentant/vice-président de la Commission/chef de l'Agence européenne de défense, en tirant pleinement parti des formats existants. Il s’agit là d'avancées importantes pour remédier aux insuffisances existantes, mais elles doivent encore être renforcées pour tenir compte de la nouvelle situation, notamment en ce qui concerne l'action conjointe en matière d'investissement et d'acquisition de capacités de défense. Ces mesures sont essentielles pour que l’Europe puisse déployer des capacités de défense plus fortes et plus interopérables, tout en renforçant la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), ces deux éléments étant vitaux à la fois pour la sécurité à long terme de l’Europe et pour son autonomie stratégique.

L’objectif général est donc d’investir:

·ensemble, en tirant parti des économies d’échelle au moyen de projets collaboratifs et d'acquisitions conjointes. Développer et acheter ensemble fait baisser les prix et contribuera aussi à empêcher les États membres de se faire concurrence pour des ressources industrielles limitées, ce qui augmenterait encore les prix ou évincerait les États membres plus petits ou plus exposés, garantissant ainsi la solidarité. Les similitudes avec la situation en matière de vaccins contre la COVID en 2020-21 sont manifestes;

·mieux, en aidant les États membres à se concentrer sur les priorités établies de l’UE en matière de capacités. Celles-ci sont cohérentes avec celles de l’OTAN et seront également réexaminées à la lumière des orientations politiques et stratégiques fournies par la boussole stratégique. La présente analyse souligne certains déficits en matière de capacités qui sont urgents dans le contexte stratégique modifié; et

·européen, en encourageant les investissements dans la défense qui renforcent l'essor industriel, la capacité industrielle à plus long terme et la croissance économique au sein de l’Union, grâce à une industrie européenne de la défense plus compétitive. Le développement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) a acquis une importance stratégique dans le contexte de la détérioration de l’environnement géostratégique.

Cette approche est également bénéfique à l’OTAN, qui reste le fondement de la défense collective de ses membres. Les initiatives de l’UE visant à encourager la coopération en matière de défense contribuent également à rendre le partage des charges de part et d'autre de l'Atlantique plus équitable et la contribution européenne au sein de l’OTAN plus efficace. Les États membres peuvent utiliser leur réservoir unique de forces au niveau national ou au sein de l’UE, de l’OTAN, des Nations unies ou dans tout autre cadre encore. Les priorités de l’UE en matière de développement des capacités sont cohérentes avec celles convenues au sein de l’OTAN, tout en tenant compte de la différence de nature et de responsabilités entre les deux organisations et en garantissant un renforcement mutuel de leurs efforts respectifs. Le développement des capacités de défense est un pilier essentiel du dialogue et de la coopération accrus dont l’UE et l’OTAN sont convenus dans les déclarations communes de 2016 et 2018.

La présente communication conjointe examine: a) les dépenses en matière de défense au sein de l’UE, b) les déficits en matière de capacités et d'industrie auxquels il faut remédier, y compris les plus urgents, c) les moyens d’y remédier et d) les options permettant de renforcer la fourniture de capacités de défense.

2.Dépenses en matière de défense au sein de l’UE et niveaux de sous-investissement

En réponse aux nouvelles menaces pour la sécurité, la plupart des États membres annoncent, en 2022, des augmentations substantielles de leurs budgets de défense, allant même au-delà de 2 % de leur PIB dans certains cas, s’appuyant sur une tendance à la hausse amorcée il y a quelques années. En 2020, les États membres ont dépensé collectivement plus de 200 milliards d’EUR dans le domaine de la défense 6 et, en 2021, selon les estimations, leurs dépenses cumulées ont atteint 220 milliards d’EUR. Ces évolutions récentes font néanmoins suite à une période prolongée de coupes substantielles dans les dépenses consacrées à la défense après la crise économique et financière de 2007-2008; ces dépenses sont passées de 183 milliards d’EUR en 2008 à 159 milliards d’EUR en 2014 7 et n’ont atteint les niveaux d’avant la crise qu’en 2018-2019 (voir graphique ci-dessous). Entre 2009 et 2018, les réductions opérées par les États membres s’élèvent à un sous-investissement total d’environ 160 milliards d’EUR, par rapport au niveau des dépenses de 2008 8 .

 

Cette situation, parallèlement à la tendance structurelle à l’augmentation des coûts des systèmes de défense et à l’accent mis sur les opérations expéditionnaires dans certains États membres, a conduit à de fortes réductions du volume global des forces nationales, des quantités d’équipements et des stocks – la situation s’étant encore aggravée aujourd’hui en raison du soutien apporté à l’Ukraine. En conséquence, la capacité d’exploiter l’ensemble du spectre et à haute intensité a été négligée, tandis que les lacunes existantes et les capacités de pointe manquantes ont été, le cas échéant, couvertes par des alliés de l’OTAN non membres de l’UE, notamment les États-Unis.

En outre, au cours de la dernière décennie, les États-Unis (et, chose plus inquiétante, la Russie) ont augmenté leurs budgets de défense à un rythme bien plus élevé que l’Europe. Il est frappant de constater que la Chine a encore davantage augmenté son budget au cours de la même période. De 1999 à 2021, les dépenses combinées de l’UE dans le domaine de la défense ont augmenté de 19,7 %, contre 65,7 % pour les États-Unis, 292 % pour la Russie et 592 % pour la Chine 9 . Ces chiffres ne tiennent même pas compte de la sous-estimation significative des dépenses consacrées à la défense de la Chine et de la Russie, le pouvoir d’achat de leur budget étant plus élevé que ce que semble indiquer la conversion fondée sur les taux de change. En termes de parité de pouvoir d’achat, les budgets de défense russe et chinois pour 2021 sont estimés, respectivement, à 178 milliards d’USD et à 332 milliards d’USD 10 . De plus, la part des investissements dans les dépenses de défense aux États-Unis, en Chine et en Russie est nettement plus élevée que celle des États membres de l’UE.

Bien qu’il n’existe pas d’objectif juridiquement contraignant pour les différents niveaux de dépenses nationales en matière de défense pour les États membres, la grande majorité d’entre eux sont convenus, dans le cadre de l’OTAN et/ou de la coopération structurée permanente (CSP), de l’objectif d’augmenter leurs dépenses de défense 11 . À titre indicatif, si tous les États membres avaient consacré 2 % de leur PIB à la défense, dont 20 % à des investissements, de 2006 à 2020, cela aurait donné lieu à environ 1 100 milliards d’EUR supplémentaires pour la défense, dont quelque 270 milliards d’EUR d’investissements 12 .

Par ailleurs, les dépenses européennes en matière de défense se sont traduites, historiquement, par une efficacité et une production moindres par rapport à celles de nos alliés et de nos concurrents. On estime que le manque de coopération entre les États membres en matière de défense coûte des dizaines de milliards d’EUR par an 13 . Malgré l’augmentation des dépenses européennes en matière de défense en 2020, un nouveau point bas de 11 % 14 seulement des investissements dépensés de manière conjointe a été atteint – bien en deçà du seuil de 35 % convenu par les États membres dans le cadre de l’AED et fixé dans le cadre de la CSP – alors que 89 % ont été dépensés sur une base nationale. Le manque de coopération a entraîné des doubles emplois inutiles et une multiplication des systèmes de défense du même type au sein de l’UE. De plus, alors qu’en 2020, les dépenses combinées des États membres consacrées à la recherche et à la technologie (R&T) en matière de défense se sont élevées à 2,5 milliards d’EUR, cela ne représente que 1,2 % de leurs dépenses totales dans le domaine de la défense, ce qui est donc bien inférieur au seuil de 2 % convenu dans le cadre de l’AED et fixé comme un engagement plus contraignant dans le cadre de la CSP 15 . 

3.Les lacunes industrielles dans le domaine de la défense

La base industrielle européenne est constituée d’un vaste ensemble de contractants principaux, d’entreprises à moyenne capitalisation et de petites et moyennes entreprises qui développent et produisent la plupart des technologies de pointe et des capacités de défense dont les forces armées des États membres ont besoin et qu’elles pourraient acquérir. Dans l’ensemble, on estime que le chiffre d’affaires annuel du secteur de la défense de l’Union s’élève à près de 84 milliards d’EUR, ce qui permet, selon les estimations, de financer plus de 196 000 emplois hautement qualifiés directement et plus de 315 000 emplois indirectement 16 .. 

Malgré la compétitivité globale du secteur, celui-ci connaît des difficultés et des lacunes. Les entreprises du secteur de la défense ont encore principalement une structure à dimension nationale et bénéficient d’une relation étroite avec les gouvernements nationaux. Du fait de cette structure du marché, conjuguée à de faibles dépenses d’investissement, un certain nombre d’acteurs nationaux opèrent sur des marchés de petite taille et produisent donc de faibles volumes 17 . Plusieurs mesures de consolidation prises aux niveaux national et européen sont restées nettement en dessous du niveau de la consolidation industrielle américaine. 

Par conséquent, la BITD européenne (BITDE) reste très fragmentée, surtout en dehors des secteurs de l’aéronautique et des missiles. Cela réduit considérablement sa capacité à améliorer sa compétitivité en mettant commun les efforts de R&D et en réalisant des économies d’échelle au niveau de la production. En outre, en ce qui concerne certains équipements de défense essentiels il existe des dépendances auxquelles la BITDE n’apporte pas de solutions autochtones.

Fondamentalement, les difficultés de la BITDE s’expliquent par les déficits en question, qui sont dus au sous-investissement par les États membres de l’Union, et par la fragmentation des dépenses, combinés au fait qu’une part très importante des dépenses des États membres de l’Union ne sont pas investies dans la BITDE, même lorsqu’un produit fabriqué dans l’Union est disponible. À titre indicatif, entre 2007 et 2016 18 , on estime que plus de 60 % du budget de l’Union consacré à l’acquisition d’équipements de défense a été consacré à des importations militaires en provenance de pays tiers, avec les contrôles ou les restrictions par les pays tiers que cela entraîne 19 .

Le retour des conflits de haute intensité et de la menace territoriale appelle une conversion de l’écosystème des industries de défense de l’UE, afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement et l’accroissement des capacités de production, le cas échéant, ou une meilleure capacité à passer à la vitesse supérieure dans l’Union. En outre, en ce qui concerne les technologies de rupture susceptibles de modifier radicalement le champ de bataille du futur (IA, technologie quantique) et les équipements futurs, les causes profondes décrites risquent d’affecter la compétitivité de la BITDE sur le long terme de même que son aptitude au développement capacitaire (systèmes hypersoniques, combat collaboratif, par exemple).

4.Lacunes en matière de capacités

Avec la boussole stratégique, l’ambition générale affichée par l’Union est de continuer à développer «des forces qui couvrent tout le spectre des opérations et qui soient agiles et mobiles, interopérables, avancées sur le plan technologique, économes en énergie et résilientes». La boussole a également été l’occasion de rappeler que des insuffisances en matière de capacités critiques indispensables pour permettre à l’Union d’assumer l’ensemble des tâches relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) énoncées dans le traité, en particulier celles dont l’intensité est la plus élevée, avaient déjà été relevées. Ces insuffisances sont inscrites dans les priorités fixées par les États membres dans le plan de développement des capacités de 2018, qui sera réexaminé à la lumière de la boussole stratégique et restera une référence essentielle pour assurer la cohérence entre les initiatives de l’Union en matière de défense 20 .

Pour contribuer à atteindre ces priorités, le FED permet l’apport d’un soutien financier qui concourt à la mise en place de catalyseurs stratégiques et de capacités majeures 21 , alors que les États membres coopèrent également pour y parvenir à travers 60 projets menés dans le cadre de la PESCO.

La Commission et l’Agence européenne de défense (AED) ont analysé les déficits d’investissement dans le domaine de la défense. Dans ce contexte, l’AED a soumis aux États membres une analyse des lacunes en matière d’investissement à combler à court, moyen et long terme, selon trois axes d’action: 1) être prêt (améliorer l’état de préparation, y compris la reconstitution des stocks liés à l’aide à l’Ukraine); 2) augmenter les forces et capacités existantes; 3) renforcer et moderniser les capacités, sur la base des priorités en matière de capacités convenues à l’échelle de l’Union et à partir d’éléments apportés par l’EACD (voir annexe).

Compte tenu de l’accroissement de la menace sécuritaire, et sur la base de l’analyse coordonnée de la Commission et de l’AED, la Commission et le haut représentant proposent de mettre l’accent sur les lacunes capacitaires suivantes, que les acteurs du secteur européen de la défense peuvent contribuer à combler et auxquelles il est le plus urgent de remédier:

1.reconstituer les stocks: veiller à ce que les forces armées soient prêtes au combat et coordonner les demandes nationales concurrentes, pour éviter un emballement des prix, et garantir l’accès des pays les plus exposés aux capacités requises.

2.remplacer: supprimer progressivement les systèmes hérités de l’époque soviétique qui sont encore utilisés au sein des forces armées de l’Union et les remplacer par des solutions européennes (notamment pour: les chars de combat, les véhicules blindés de combat, les véhicules de combat d’infanterie, les véhicules blindés de transport de troupes, l’artillerie lourde, etc.), dans le cadre d’un effort plus large visant à augmenter les capacités existantes ainsi qu’à favoriser l’interopérabilité et à renforcer la sécurité d’approvisionnement;

3.renforcer: conforter les systèmes multicouches de défense aérienne et de lutte antimissile des États membres, en commençant par des systèmes à moyenne portée dans les États membres les plus exposés. La défense des concentrations de population, des forces militaires et/ou des infrastructures critiques contre les menaces aériennes et des missiles est un défi majeur dans la nouvelle situation en matière de sécurité.

Au-delà de ces lacunes capacitaires urgentes, la Commission et le haut représentant proposent de travailler sur les capacités stratégiques à moyen et à long terme ci-après, afin d’améliorer les capacités de défense de l’Europe face aux menaces persistantes:

·domaine aérien: la mise au point et la mise en œuvre, au stade opérationnel, de l’«Eurodrone» de moyenne altitude (MALE RPAS) – qui fait partie des projets relevant de la coopération structurée permanente (CSP) et du FED – ont gagné en importance. À court et à moyen terme, la mise à niveau et le développement des capacités de ravitaillement en vol et des flottes d’aéronefs existantes, l’établissement d’une défense aérienne multicouche susceptible de faire l’objet d’une gestion intégrée, ainsi que la mise au point et l’acquisition de capacités antidrones et de drones de taille moyenne armés sont des priorités. À moyen et plus long terme, la modernisation des systèmes de déni d’accès/d’interdiction de zone et de la flotte d’avions de combat multirôles dans l’Union est un autre domaine dans lequel les États membres ont l’intention de réaliser de nouveaux investissements et où la coordination des efforts contribuerait à optimiser les ressources, également en vue de la mise au point de la prochaine génération de systèmes;

·domaine terrestre: la mise à niveau et l’extension du stock existant de chars de combat et de véhicules blindés de combat ainsi que la disponibilité de systèmes de nouvelle génération sont devenues urgentes pour de nombreux États membres, compte tenu de la résurgence d’une guerre à grande échelle et de haute intensité en Europe. Le renforcement des capacités de combat terrestre devrait porter sur les moyens de soutien au combat, notamment sur un large éventail de systèmes antichar et de plateformes d’artillerie, l’accent étant mis sur les frappes de précision et les tirs de contre-batterie.

·domaine maritime: les mers Noire, Baltique et Méditerranée étant de plus en plus disputées, il demeure essentiel de continuer à conforter les forces navales des États membres et de renforcer les capacités de projection de forces et de puissance, mais aussi les systèmes de déni d’accès et d’interdiction de zone ainsi que de défense côtière. notamment les frégates, les sous-marins et les corvettes de patrouille, afin d’assurer la sûreté maritime. À moyen et à long terme, les capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance et la protection des lignes de communication maritimes seront améliorées grâce à des navires interconnectés haut de gamme complétés par des plateformes sans équipage opérant en surface ou immergés et la guerre électronique;

·domaine spatial (connectivité, surveillance, protection): la guerre en Ukraine est une illustration supplémentaire de l’importance des moyens critiques que sont la connectivité sécurisée par satellites, notamment un programme européen de connectivité ultrasécurisé hautement résilient reposant notamment sur le chiffrement quantique, ainsi que l’observation de la Terre depuis l’espace. L’optimisation des synergies avec le programme de connectivité spatiale de l’Union est l’un des avantages d’une collaboration dans ce contexte. La protection des infrastructures spatiales de l’Union contre les menaces (appréciation de la situation spatiale, SSA) est également une priorité de plus en plus pressante. Les moyens spatiaux peuvent également jouer un rôle clé dans la mise en place d’un système d’alerte rapide solide, nécessaire pour détecter le départ de missiles (balistiques ou hypersoniques, par exemple) et pour les suivre;

·cyberdéfense: pour contrer le risque croissant de cyberattaques de la part d’acteurs étatiques dans le contexte de la concurrence géopolitique, l’Union et ses États membres pourraient lancer des travaux destinés à la mise en place d’une capacité de cyberdéfense couvrant la totalité du spectre (de la recherche, la détection, en passant par la protection et la riposte, jusqu’aux capacités de défense active). Elle reposerait notamment sur des capacités d’appréciation de la situation en matière de cybersécurité et de partage d’informations [s’appuyant également sur d’éventuelles synergies avec une infrastructure européenne de «Cyberbouclier» des centres d’opérations de sécurité (OCS) 22 ], sur un commandement et un contrôle des opérations et missions militaires cyberrésilients et interopérables, des exercices et formations en matière de cybersécurité et des forces de cybersécurité de réserve à l’échelon national. En ces matières, l’Union peut jouer le rôle de plateforme de coopération entre les services de l’Union et les États membres et veiller aux synergies avec les programmes pertinents de l’Union.

En outre, la guerre en Ukraine a vu réaffirmée l’importance d’une logistique efficace et efficiente, en ce compris l’entretien, le maintien et la circulation des forces, des équipements et des fournitures sur tout le théâtre des opérations et à destination de celui-ci. La Commission a accéléré la mise en œuvre du budget consacré à la mobilité militaire dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (CEF) et est prête à préalimenter ce budget, dans les limites fixées par le CFP. Les infrastructures de transport, en particulier, nécessitent des investissements accrus. Les consultations avec les États membres sur leurs réserves de projets d’infrastructures de transport à double usage et l’insuffisance des fonds de cofinancement disponibles lors du premier appel à propositions au regard de l’ampleur des demandes déposées démontrent la nécessité d’un budget plus important, et la possibilité qu’un tel budget soit utilisé. L’Union devrait s’appuyer sur son action d’amélioration de la mobilité militaire, renforcer les capacités de transport stratégique et tactique par voie terrestre, aérienne et maritime ainsi que les synergies civiles/militaires dans le domaine des transports, de la résilience et de l’efficacité énergétique et, plus largement, accroître les synergies entre les capacités en matière de protection civile et de gestion des frontières et les besoins en matière de défense.

5.Cadre renforcé de coopération en matière de défense

Afin de combler ces lacunes, la Commission et le haut représentant proposent la voie à suivre pour coordonner et encourager l’acquisition conjointe d’équipements de défense, en commençant par la reconstitution des stocks, qui constitue la mesure la plus urgente. Cela compléterait les initiatives collaboratives de l’Union en matière de défense, comme celles qui existent dans le cadre du FED et de la CSP, et permettrait des synergies avec d’autres programmes de l’UE. L’industrie européenne de la défense dispose de fortes capacités et a des produits concurrentiels à offrir dans tous ces domaines.

Le succès de toute initiative de l’UE en matière de défense dépend de l’engagement des États membres à dépenser mieux, c’est-à-dire à investir, passer des marchés et travailler ensemble dans l’intérêt commun. L’approche coopérative proposée est essentielle pour rationaliser et renforcer tant la demande européenne en matière de défense (programmation et acquisition) que l’offre correspondante (développement et production).

5.1. Mesures immédiates: une task-force pour soutenir la coordination

Compte tenu de l’urgence des besoins, la Commission et le haut représentant/chef de l’Agence créeront rapidement une task-force pour les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense afin de travailler avec les États membres pour soutenir la coordination des acquisitions nécessaires à très court terme, en vue de faire face au nouveau contexte de sécurité. Dans un premier temps, la task-force se concentrerait sur la coordination afin d’éviter la concurrence pour l’obtention de commandes qui entraînerait une envolée des prix, une concentration excessive des demandes sur la même période, des pénuries d’approvisionnement et des difficultés pour les États membres les plus exposés à se procurer des équipements indispensables, en empêchant ainsi les conflits éventuels entre des procédures nationales parallèles de passation de marchés. Cela pourrait consister notamment à centraliser la collecte d’informations, à fournir un soutien méthodologique et à coordonner ou à gérer les achats. La task-force procéderait aussi à une estimation globale des besoins et cartographierait et soutiendrait l’accroissement des capacités de production industrielle de l’UE nécessaires pour répondre aux besoins.

Au sein de la task-force, et en partenariat avec la Commission, l’AED pourrait déjà faciliter cette passation conjointe de marchés à très court terme en s’appuyant sur son expertise et sur son expérience en la matière 23 . La task-force se coordonnerait aussi avec la cellule de coordination mise en place au sein du SEAE/de l’État-major de l’UE pour faciliter la coordination de l’assistance militaire à l’Ukraine, en vue d’aider les États membres à acquérir les équipements les plus urgents pour reconstituer leurs stocks.

5.2. Instrument à court terme de l’UE destiné à renforcer les capacités industrielles de défense au moyen d'acquisitions conjointes

Comme cela a été souligné, en l’absence de coordination et de coopération, l’augmentation des investissements des États membres aggraverait la fragmentation du secteur européen de la défense, limiterait le potentiel de coopération durant le cycle de vie des équipements, amplifierait les dépendances extérieures et compromettrait probablement l’interopérabilité. Les acquisitions à court terme auront une incidence à plus long terme à cet égard, conduisant à un affaiblissement de la puissance de marché et à une perte d'opportunités pour les prochaines décennies.

Les États membres doivent rétablir de toute urgence leur disponibilité au combat en termes de défense, compte tenu de la situation en matière de sécurité et des transferts déjà effectués vers l’Ukraine. Une reconstitution des stocks de matériel leur permettrait aussi, en particulier, de fournir une aide supplémentaire à l’Ukraine. Aujourd’hui, les États membres qui fournissent une assistance militaire à l’Ukraine peuvent bénéficier d’un remboursement financier au titre de la facilité européenne pour la paix. Toutefois, au moment de reconstituer leurs stocks et de se réapprovisionner en équipements, ils devraient saisir l’occasion de procéder à cela de manière collaborative, ce qui leur permettrait d’obtenir un meilleur rapport qualité/prix, en tirant parti des économies d’échelle, et de renforcer leur interopérabilité. Cela nécessite aussi d’étendre et de renforcer davantage la BITDE.

À cette fin, la Commission proposera un instrument spécifique à court terme, conçu dans un esprit de solidarité, afin d’encourager les États membres qui sont disposés à s’engager dans une acquisition conjointe à combler de manière collaborative les lacunes les plus urgentes et les plus critiques, en particulier celles créées par la réponse à l’agression actuelle. Le nouvel instrument contribuerait à consolider la passation conjointe de marchés publics dans le domaine de la défense et, grâce au financement de l’Union qui y est associé, à renforcer et à réformer leurs capacités industrielles dans le domaine de la défense. Le soutien financier de l’UE devrait aussi mobiliser de nouveaux investissements dans le domaine de la défense de la part des États membres et bénéficier à la base industrielle européenne, en faisant en sorte de garantir la capacité d’action des États membres de l’UE et de parvenir à une interopérabilité accrue.

Le nouvel instrument devrait rester simple et direct dans sa mise en œuvre, mais il devrait être subordonné au respect par les États membres de critères spécifiques, tels que la participation d’un minimum de trois États membres à la passation conjointe d’un marché. Pour la mise en œuvre de ce nouvel instrument, la Commission s’appuiera sur l’assistance de la task-force.

La Commission est prête à investir 500 millions d’EUR sur deux ans (2022-2024) dans ce dispositif. À cette fin, la Commission proposera aux colégislateurs d’adopter rapidement un règlement permettant la mise en place de l’instrument et le renforcement budgétaire correspondant.

5.3.    Un cadre de l’UE pour les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense

Au-delà des besoins urgents à court terme liés au nouveau paradigme de sécurité, il est nécessaire de progresser vers un cadre de l’UE pour les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense. Avec le Fonds européen de la défense, l’UE dispose d’un instrument solide pour encourager la R&D conjointe et collective dans le domaine de la défense jusqu’à la phase du prototype. L’AED est habilitée à mener des procédures conjointes de passation de marchés et mène déjà ce type de procédures, mais sa compétence à cet égard devrait être renforcée pour que l’UE bénéficie d’une capacité d’acquisition conjointe pleinement adaptée à sa finalité.

La Commission proposera dès lors, au troisième trimestre de 2022, un règlement relatif à un programme européen d’investissement dans le domaine de la défense. Il visera à établir les conditions et les critères permettant aux États membres de former des consortiums pouvant prétendre au statut de consortium pour les capacités européennes de défense (CCED), qui acquerront conjointement, pour l’usage des États membres participants, des capacités de défense développées de manière collaborative au sein de l’UE et qui bénéficieraient d’une exonération de la TVA. Ce nouvel outil compléterait les possibilités déjà ménagées sous l’égide de l’AED et pourrait aussi être utile à des projets relevant de la CSP.

En ce qui concerne la coopération fondée sur la recherche et le développement (R&D) d’un nouveau produit, un CCED tirerait aussi avantage de la flexibilité prévue à l’article 13, point c), de la directive sur les marchés publics dans le domaine de la défense, notamment, le cas échéant, en ce qui concerne les phases ultérieures de tout ou partie du cycle de vie du produit.

Un CCED créerait un élément coopératif très fort et apporterait des avantages supplémentaires, comme l’interopérabilité tout au long du cycle de vie, l’harmonisation des procédures et des programmes de formation pour l’exploitation, l’entretien, la réparation et la révision, ainsi que des économies d’échelle. L’exonération de la TVA s’appliquerait à l’exploitation, à l’entretien et au démantèlement, qui représentent des coûts importants durant le cycle de vie des équipements de défense. Les capacités acquises par l’intermédiaire d'un CCED seraient disponibles pour être utilisées par les États membres au niveau national ou dans le contexte de missions et d’opérations PSDC, ainsi que dans le cadre des Nations unies ou de l’OTAN. Le CCED pourrait aussi contribuer à créer des synergies et à regrouper les demandes de capacités destinées à répondre aux besoins de l’UE en matière de protection civile, de gestion des frontières et de défense.

Le règlement relatif à un programme européen d’investissement dans le domaine de la défense pourrait servir d’ancrage pour de futurs projets conjoints de développement et d'acquisition, présentant un intérêt commun élevé pour la sécurité des États membres et de l’Union, et, par extension de la logique de l’instrument à court terme, pour une éventuelle intervention financière de l’Union qui y serait associée en faveur du renforcement de la base industrielle de défense européenne, en particulier dans le cas de projets qu’aucun État membre ne pourrait développer ou acquérir seul.

5.4 Vers une programmation et une acquisition stratégiques conjointes de l’UE en matière de défense

Au-delà des outils visant à encourager la coopération en aval, il est primordial de proposer une coordination en amont plus ambitieuse. Une action coordonnée au niveau de l’UE est nécessaire pour éviter la mise en place de 27 approches nationales non coordonnées. Les processus et l’approche actuels ne sont pas exhaustifs et ne permettent pas de hiérarchiser suffisamment les priorités. Étant donné que les États membres vont commencer à adapter leur processus de planification pour tenir compte du nouveau paysage en matière de sécurité, il est primordial de mettre en place une approche plus structurée – une programmation et une acquisition stratégiques conjointes de l’UE en matière de défense – afin de concrétiser cette nouvelle ambition de manière coordonnée. Cette approche devrait s’appuyer sur les processus et structures existants et il importe aussi d'en assurer la cohérence avec le processus de planification OTAN.

À cette fin, une fonction conjointe de l’UE en matière de programmation et d'acquisition dans le domaine de la défense pourrait être envisagée, avec la participation des États membres, du haut représentant/chef de l’Agence et de la Commission. Elle garantirait une programmation pluriannuelle globale conjointe – s’appuyant sur la détermination précise des besoins et des spécifications par le FED ainsi que sur le cadre pluriannuel de l’activité de ce dernier –, agirait en tant que centrale d’achat pour l’acquisition conjointe d’équipements au niveau de l’UE et soutiendrait les États membres dans leurs procédures conjointes de passation de marchés, notamment en aval des projets financés par le FED.

À cet égard, les travaux de la task-force relevant de la section 4.1 pourraient être considérés comme un exercice pilote pour l’établissement ultérieur d’une telle fonction.

5.5 Renforcement de la capacité industrielle de l’Europe dans le domaine de la défense

Le renforcement de la coopération européenne en matière de défense nécessite également un plan d’action solide qui apporte clarté et visibilité à l’industrie de la défense en vue d’investir, de moderniser et de renforcer la capacité de production de l’UE dans le domaine de la défense, tout en lui permettant d’anticiper et d’éliminer les éventuels goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement et de garantir la sécurité d’approvisionnement de l’UE en ce qui concerne les capacités de défense.

La Commission soutiendra l’industrie de la défense dans ses efforts visant à moderniser ses chaînes et procédés de production, à accroître ses capacités de fabrication, à réduire les dépendances critiques et à s’attaquer aux principaux goulets d’étranglement.

Dans cette perspective, la Commission, le cas échéant en coopération avec l’AED, propose de mettre en place plusieurs mesures:

·Établir une cartographie détaillée des capacités existantes et des capacités supplémentaires nécessaires de l’UE en matière de fabrication industrielle, y compris en s’appuyant sur les efforts actuellement déployés dans le cadre de la stratégie industrielle et dans d’autres enceintes (par exemple, les travaux de l’AED concernant les principales activités stratégiques 24 ). L’objectif serait de parvenir à une vision commune de la capacité de production et des besoins nécessaires pour garantir la sécurité européenne d’approvisionnement aux États membres, y compris aux plus exposés d’entre eux.

·Envisager de permettre l’accès de l’industrie de la défense aux matières premières critiques (MRC) et à d’autres composants essentiels en temps de crise, y compris les machines-outils nécessaires à la production. La Commission présentera une initiative sur les matières premières critiques, incluant des mesures législatives, qui visera à renforcer la résilience et la sécurité d’approvisionnement de l’UE en ce qui concerne les matières premières critiques, y compris dans le domaine de la défense.

·Des mesures seront envisagées en ce qui concerne les compétences spécifiques en matière de défense, notamment les cybercompétences, afin de garantir l’accès de l’industrie de la défense à la main-d’œuvre nécessaire et le maintien de celle-ci, en particulier dans le domaine des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM) ainsi que dans tout autre domaine lié à l’effort extraordinaire actuellement consenti pour accroître les capacités de production. Il sera tout particulièrement veillé à attirer tous les talents et compétences.

·La Commission élaborera d’autres mesures (telles que des appels coordonnés entre les instruments existants de l’UE et des prêts de la BEI) pour soutenir les technologies critiques et les capacités industrielles en développant des projets stratégiques

·La Commission envisagera d’éventuelles modifications du cadre pour la recherche et l’innovation à double usage afin d’améliorer les synergies entre les instruments civils et ceux de la défense.

5.6 Soutien à l’effort de recherche et développement (R&D)

Le Fonds européen de la défense est le programme de R&D relatif à la défense de l’UE. Toutefois, compte tenu du nouveau paradigme en matière de sécurité et de l’alignement sans précédent de l’augmentation des dépenses en matière de défense, le FED devrait être en mesure de répondre aux nouveaux besoins. 

Il est primordial de définir une planification minutieuse pour soutenir des R&T et R&D 25 collaboratives, préparant le terrain pour de futures acquisitions et capacités conjointes, en évitant l’émergence de nouvelles dépendances à l’égard de pays tiers qui pourraient amoindrir la sécurité de l’approvisionnement et la sécurité de l’information des forces armées de l’UE, en particulier lors d’un conflit militaire.

Afin de préserver le pouvoir incitatif du FED dans le contexte de l’augmentation des dépenses nationales en matière de défense, la Commission envisagera de renforcer son budget lors du prochain réexamen global des priorités dans le cadre du réexamen à mi-parcours du CFP. En outre, comme annoncé dans le «paquet défense» de février, la Commission étudie la manière de réviser les primes du FED afin de soutenir encore davantage l’acquisition conjointe des capacités développées grâce au soutien financier du FED.

Enfin, la Commission rendra le Fonds attrayant pour les nouveaux entrants et soutiendra l’innovation en matière de défense, conjointement avec l’AED, dans le cadre du programme européen d’innovation prévu dans le domaine de la défense. À cette fin, la Commission accélérera la mise en place de l’initiative CASSINI en faveur de la défense, annoncée dans le «paquet défense» dans le cadre du programme d’innovation européen dans le domaine de la défense. L’initiative comprendra notamment un mécanisme de financement mixte au titre d’InvestEU, qui soutiendra l’innovation et ciblera les PME et les entreprises à moyenne capitalisation qui développent des technologies de défense, en coopération avec le Fonds européen d’investissement.

5.7 Renforcement du soutien de la BEI à la défense

La menace accrue pour la sécurité à laquelle l’UE est confrontée et la nécessité d’exploiter au mieux tous les instruments à sa disposition appellent à un renforcement du soutien de la Banque européenne d’investissement à l’industrie européenne de la défense et à l’acquisition conjointe, dépassant le soutien qu’elle apporte actuellement au double usage. La récente initiative stratégique pour la sécurité européenne (ISSE) de la Banque mettra à disposition des fonds pour la défense non fondamentale, avec une estimation initiale d’environ 6 milliards d’EUR d’ici à 2027, couvrant des domaines présentant des défaillances des marchés bien déterminées (par exemple, ne ciblant pas la capacité de production). Ce financement sera axé sur la recherche, le développement et l’innovation à double usage, les infrastructures de sécurité civile et les projets technologiques de pointe allant du nouvel espace, de l’intelligence artificielle et des technologies quantiques à la cybersécurité et à la biosécurité 26 . De même, la participation de la Banque au mécanisme financier coopératif lancé par l’AED se limitera au développement de technologies à double usage à l’appui des objectifs de la PSDC lorsqu’elle entrera en fonction.

Dans ce contexte, la Banque pourrait accroître les investissements en faveur des promoteurs et partenaires intéressés en vue de soutenir des projets de coopération en matière de R&T, c’est-à-dire des projets entrepris conjointement par deux États membres ou plus, y compris des projets CSP. Le groupe BEI soutiendrait également le renforcement des PME et des petites entreprises à moyenne capitalisation tout au long de la chaîne d’approvisionnement grâce à des prêts intermédiaires avec des partenaires financiers. Enfin, en collaborant avec les promoteurs dans les premières phases du développement de leur projet, le groupe BEI pourrait renforcer la viabilité du modèle économique des technologies émergentes essentielles pour l’avenir de l’industrie de la défense de l’UE.

La BEI pourrait également contribuer au renforcement à court terme de la production de l’industrie de la défense et aux efforts de modernisation à plus long terme. À cette fin, la BEI et ses actionnaires, les États membres, devraient être invités à évaluer s’il convient, dans les conditions actuelles du marché et le contexte géopolitique, qu’elle étende son soutien à ces projets industriels liés à la défense, en adaptant le cas échéant sa politique de prêt.

Actions de soutien à la coopération européenne en matière de défense

·La Commission et le haut représentant/chef de l’Agence mettront immédiatement en place une task force pour les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense, afin de coordonner une réponse de l’UE aux besoins urgents à très court terme, notamment la reconstitution des stocks.

·La Commission lancera un instrument à court terme pour renforcer les capacités industrielles européennes de défense grâce à l’acquisition conjointe.

·La Commission proposera, d’ici au troisième trimestre de 2022, un règlement européen relatif aux investissements dans le domaine de la défense, définissant les conditions et les critères nécessaires à la constitution d’un consortium pour les capacités européennes de défense, qui servira de base pour l’exonération de la TVA lors des acquisitions conjointes et de vecteur (comprenant un cofinancement éventuel) pour les projets européens de défense présentant un intérêt commun élevé.

·Envisager une fonction conjointe de l’UE en matière de programmation et d’acquisition dans le domaine de la défense.

·La Commission proposera une initiative sur les matières premières critiques, incluant des mesures législatives, afin de faciliter, entre autres, l’accès de l’industrie de la défense aux matières premières critiques, renforçant ainsi la résilience et la sécurité d’approvisionnement de l’UE.

·Lors du réexamen global des priorités dans le cadre du réexamen à mi-parcours du CFP, la Commission envisagera de renforcer les budgets du Fonds européen de la défense ainsi que la mobilité militaire grâce au mécanisme pour l’interconnexion en Europe.

·La BEI devrait intensifier son soutien à l’industrie européenne de la défense et à l’acquisition conjointe, au-delà du soutien qu’elle apporte actuellement au double usage.

·La Commission élaborera d’autres mesures (telles que des appels coordonnés entre les instruments existants de l’UE et des prêts de la BEI) pour soutenir les technologies critiques et les capacités industrielles en développant des projets stratégiques.

·La Commission envisagera d’éventuelles modifications du cadre pour la recherche et l’innovation à double usage afin d’améliorer les synergies entre les instruments civils et les instruments de défense.

6.Recommandations

La Commission et le haut représentant/chef de l’Agence européenne de défense recommandent au Conseil européen d’approuver cette analyse en soulignant la nécessité de remédier d’urgence et collectivement aux déficits d’investissement de l’Europe dans le domaine de la défense à court et à moyen terme, et d’inviter:

·la Commission et le haut représentant/chef de l’Agence à mettre immédiatement en place une task force chargée de coordonner les besoins à très court terme en matière de marchés publics dans le domaine de la défense et de dialoguer avec les États membres et les industriels de la défense de l’Union afin de soutenir la passation conjointe de marchés en vue de reconstituer les stocks, notamment à la lumière du soutien apporté à l’Ukraine;

·la Commission à proposer un instrument à court terme pour renforcer les capacités industrielles européennes de défense par la  passation conjointe de marchés;

·la Commission à présenter, d’ici le troisième trimestre de 2022, une proposition de règlement établissant un programme européen commun d’investissement dans la défense (EDIP), y compris un dispositif pour l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et pour les projets européens de défense présentant un intérêt commun élevé;

·les États membres, le haut représentant/chef de l’Agence et la Commission à envisager une fonction conjointe de l’UE en matière de programmation stratégique de la défense et de passation de marchés;

·la Commission à proposer de nouvelles mesures pour cartographier les capacités de fabrication supplémentaires actuelles et nécessaires ainsi que pour renforcer les capacités et la résilience du secteur industriel et technologique de défense européen;

·la BEI à déterminer si, dans les circonstances actuelles du marché et de la géopolitique, elle devrait renforcer son soutien à la défense européenne, y compris la capacité de production industrielle, en adaptant, si nécessaire, sa politique de prêt, et inviter les États membres, ses actionnaires, à soutenir ce processus. 

(1) Conseil de l’Union européenne, 7371/22.
(2) Notamment: Communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions: «Contribution de la Commission à la défense européenne» [COM (2022) 60 final] du 15 février 2022. 
(3)

  https://futureu.europa.eu/pages/reporting?format=html&locale=fr

(4) Chiffres agrégés sur la base d’informations de source ouverte.
(5) L’industrie de la défense ne produit généralement qu'après réception d'une commande ferme et n'a pas de stock de produits finaux disponible. Le terme «prêt à l'emploi» désigne des produits existants, par opposition au développement de nouveaux équipements.
(6) Données de l’AED: eda-defence-data-report-2019-2020.pdf (europa.eu) . (DK non inclus)
(7) Données de l’AED relatives à la défense pour la période 2019-2020, en euros constants 2020.
(8) Données de l’AED fondées sur l’examen annuel coordonné en matière de défense (EACD).
(9) SIPRI
(10) Source: Military Balance (bilan militaire) 2022.
(11) L’engagement nº 1 de la CSP est d’«augmenter régulièrement, en termes réels, les budgets consacrés à la défense afin d'atteindre les objectifs convenus». En 2006, les ministres de la défense de l’OTAN se sont efforcés de consacrer 2 % du PIB national à la défense, dont 20 % à des investissements. En 2014, lors du sommet du pays de Galles, les chefs d’État et de gouvernement sont convenus de progresser vers la réalisation de l’objectif consistant à consacrer 2 % du PIB à la défense en l’espace de dix ans.
(12) Ces deux estimations sont fondées sur les données de l’AED (DK non inclus).
(13)   Le Fonds européen de la défense (FED) (europa.eu)
(14)    Données fournies par 11 États membres.
(15) https://eda.europa.eu/docs/default-source/brochures/eda---defence-data-report-2019-2020.pdf
(16) Source: Estimation de l’AED fondée sur les données de l’Association européenne des industries aérospatiales et de défense (ASD).
(17) La plus grande entreprise est Airbus (transeuropéenne), suivie par un certain nombre de grandes entreprises en France, en Italie, en Allemagne et en Suède. De plus petits fabricants de plateformes, des fournisseurs d’équipements et des sous-traitants constituent le gros de la base industrielle et technologique de défense (BITD) des États membres. Le nombre total de PME de l’Union opérant dans les chaînes d’approvisionnement de la défense, qui comportent plusieurs niveaux et ont souvent une dimension transfrontière, est estimé à 2 500. Elles répondent aux besoins de clients du domaine de la défense terrestre (39,6 %), aérienne (30,5 %), maritime (18,7 %), cybernétique (7,8 %) et spatiale (3,4 %).
(18) Si l’on exclut 2013 (les chiffres des US ne sont pas disponibles pour cette année-là); les chiffres relatifs aux importations et aux exportations tiennent compte du Royaume-Uni et du Danemark [(source: département d’État des États-Unis, cité dans «The poison pill: EU defence on US terms?», IESUE, D. Fiott)]; les chiffres relatifs à l’Union tiennent compte du Royaume-Uni, mais pas du Danemark (source: données de l’AED en matière de défense, corrigées des taux de conversion d’Eurostat).
(19) Par exemple, au moyen du Programme d’incitation à la recapitalisation de l’Europe (ERIP), mis en place en 2018 par les États-Unis pour encourager le remplacement des équipements d’origine soviétique, 277 millions d’USD ont été accordés sous forme de subventions à certains pays européens, ce qui a permis aux États-Unis de leur vendre des armes pour un montant de 2,5 milliards d’USD.
(20) Le plan de développement des capacités (PDC) est l’outil utilisé par l’Union pour hiérarchiser ses priorités en matière de développement des capacités de défense. Il tient compte des insuffisances militaires liées au volet militaire de la PSDC (c’est-à-dire les opérations relevant du champ d’application de l’article 43 du traité UE) relevées dans le cadre du processus de l’objectif global ainsi que des enseignements tirés des missions et opérations, et intègre des facteurs tels que les tendances technologiques à moyen et à long terme et les besoins en matière de défense à l’échelon national. Le processus de l’objectif global est le cadre établi pour recenser les insuffisances militaires (objectifs de capacités à fort impact) sur la base de scénarios illustratifs découlant du niveau d’ambition militaire de la politique de sécurité et de défense commune. Ces objectifs de capacités à fort impact alimentent le PDC. L’examen annuel coordonné en matière de défense (EACD) permet de suivre la manière dont les États membres s’attellent à atteindre ces priorités dans leur planification nationale en matière de défense, en vue de recenser les possibilités de collaboration, et a débouché jusqu’à présent sur une coopération dans six «domaines prioritaires» spécifiques, à savoir: les chars de combat, les systèmes fantassins, les engins de surface de catégorie patrouille, les systèmes de lutte antidrones, les applications de défense spatiale et la mobilité militaire. La cohérence est assurée avec les exigences découlant des processus correspondants de l’OTAN, notamment le processus OTAN de planification de défense, et l’état de préparation, la robustesse et l’interopérabilité du réservoir unique de forces des États membres en seront renforcés.
(21)   Par exemple le projet européen MALE RPAS (un drone de moyenne altitude et de longue endurance), des systèmes antidrones, une capacité d’appréciation de la situation spatiale (SSA), des systèmes d’alerte rapide, la prochaine génération de capacités de frappe de précision au sol, la mise au point de technologies et de systèmes de cyberdéfense ou encore le soutien à des projets menés dans des PME innovantes.
(22)    Communication conjointe «La stratégie de cybersécurité de l’UE pour la décennie numérique», JOIN(2020) 18 final, section 1.2; la stratégie de cybersécurité fait partie de l’approche globale de l’union de la sécurité.
(23) L’article 42, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne désigne l’AED comme «[l]'Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement [...]». Les missions de l’AED sont définies à l’article 45 de ce même traité, qui dispose que, sous l’autorité du Conseil, l’Agence européenne de défense a pour mission «[...] b) de promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l’adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles [...]».
(24)    Les principales activités stratégiques de l’AED sensibilisent et promeuvent une compréhension commune, de la part des États membres, des institutions de l’UE et des acteurs industriels de la défense, des secteurs industriels et technologiques ainsi que des aptitudes et compétences dans lesquels des dépendances par rapport à des acteurs extérieurs à l’UE pourraient compromettre la liberté d’action de celle-ci dans le domaine de la défense.
(25)    En tenant compte des initiatives existantes, telles que l’agenda de recherche stratégique général et ses modules technologiques développés dans le cadre de l’Agence européenne de défense.
(26) Conférence annuelle de l’AED sur «L’innovation dans la défense européenne», tenue le 7 décembre 2021.
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