COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 29.6.2022
COM(2022) 289 final
COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL
Rapport de prospective stratégique 2022
Garantir le couplage des transitions verte et numérique dans le nouveau contexte géopolitique
I.Introduction
Le monde connaît des changements géopolitiques profonds, qui ne font qu’accentuer les grandes tendances qui touchent déjà l’Union. Les répercussions à long terme de l’agression militaire de l’Ukraine par la Russie, notamment sur l’énergie, l’alimentation, l’économie, la sécurité, la défense et la géopolitique, pèseront clairement sur la trajectoire de l’Europe vers des transitions verte et numérique justes. Toutefois, ces difficultés, et les autres à venir, ne détourneront pas l’Union européenne de ses objectifs à long terme. Traitées avec les bonnes politiques, elles peuvent servir de catalyseur et accélérer leur réalisation. À terme, elles pourraient favoriser notre résilience et notre autonomie stratégique ouverte dans divers domaines, de l’énergie aux technologies de pointe en passant par l’alimentation, la sécurité et les approvisionnements critiques (y compris les matières premières nécessaires aux transitions).
C’est dans ce nouveau contexte géopolitique, et sur la base d’un exercice de prospective à part entière, que le rapport de prospective stratégique 2022 présente une réflexion stratégique tournée vers l’avenir sur les interactions entre les transitions verte et numérique. Toutes deux font partie des priorités politiques de l’Union et leur interaction aura de lourdes conséquences pour l’avenir. Leur réussite sera également essentielle pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies. Bien qu’elles soient de nature différente et soumises chacune à une dynamique propre, leur couplage, c’est-à-dire leur capacité à se renforcer mutuellement, mérite d’être étudié de plus près. La transition verte ne sera pas possible sans les objectifs et politiques définis dans le pacte vert pour l’Europe, une stratégie transversale visant à parvenir à la neutralité climatique et à réduire la dégradation de l’environnement à l’horizon 2050. Jusqu’à récemment, la durabilité ne faisait l’objet que d’une attention limitée dans le cadre de la transition numérique. Pour limiter ses effets indésirables et exploiter pleinement son potentiel de stimulation de la durabilité environnementale, sociale et économique, la transition numérique nécessite un cadre d’action et une gouvernance appropriés, comme indiqué dans la boussole numérique et le paquet «Ajustement à l’objectif 55».
D’ici 2050, la réussite du couplage dépendra de la capacité à déployer les technologies existantes et nouvelles à grande échelle, ainsi que de divers facteurs géopolitiques, sociaux, économiques et réglementaires. À la lumière de leur analyse, la présente communication recense dix principaux domaines dans lesquels il conviendra d’agir. Une approche stratégique, globale et tournée vers l’avenir de la double transition, qui en reconnaît la nature intrinsèquement géopolitique, est nécessaire pour renforcer encore les synergies et apaiser les tensions.
II.Synergies et tensions entre les transitions verte et numérique
Les technologies numériques pourraient jouer un rôle clé dans la neutralité climatique, la réduction de la pollution et la restauration de la biodiversité. En mesurant et en contrôlant les intrants et en développant l’automatisation, les technologies telles que la robotique et l’internet des objets pourraient améliorer l’utilisation rationnelle des ressources et renforcer la flexibilité des systèmes et des réseaux. Une gestion des données fondée sur les chaînes de blocs et économe en énergie tout au long du cycle de vie et de la chaîne de valeur des produits et des services pourrait stimuler la progression vers une économie plus circulaire et une durabilité compétitive. Les technologies numériques pourraient également faciliter le suivi, la déclaration et la vérification des émissions de gaz à effet de serre à des fins de tarification du carbone. Les passeports de produits numériques offrent une meilleure traçabilité des matériaux, des composants et de bout en bout et rendent les données plus accessibles, ce qui est essentiel pour la viabilité des modèles économiques circulaires. Les jumeaux numériques pourraient faciliter l’innovation et la conception de processus, de produits ou de bâtiments plus durables. L’informatique quantique facilitera les simulations trop complexes pour les ordinateurs classiques. Les technologies de données spatiales permettent de suivre les progrès accomplis en matière de durabilité en fournissant des informations en temps réel sur la planète. Le partage des données ou la ludification peuvent accroître la participation du public au pilotage des transitions et la cocréation d’innovations.
La transition verte transformera également le secteur numérique. Les énergies renouvelables, l’hydrogène renouvelable, l’énergie nucléaire (y compris les petits réacteurs modulaires) et la technologie de fusion nucléaire joueront tous un rôle important dans le contexte des besoins croissants en énergie du secteur numérique. Les politiques visant la neutralité climatique et l’efficacité énergétique des centres de données et des infrastructures en nuage à l’horizon 2030, notamment en répondant à leur demande d’électricité par l’énergie solaire ou éolienne, favoriseront le verdissement des technologies fondées sur les données, telles que l’analytique des mégadonnées, les chaînes de blocs et l’internet des objets. Toutefois, les retards dans le déploiement des capacités et des infrastructures de production d’énergies renouvelables peuvent poser problème. Une meilleure planification de leur implantation et l’utilisation de technologies adéquates pourraient permettre de réutiliser la chaleur produite par les centres de données dans le secteur tertiaire. La finance durable aidera à mobiliser des investissements neutres pour le climat dans le secteur numérique. Des modèles commerciaux et des modes de production mieux conçus, plus circulaires, peuvent contribuer à réduire les déchets électroniques. En ce qui concerne la demande, la consommation et les pratiques des entreprises et des citoyens joueront un rôle important dans la réduction de la consommation d’énergie liée aux technologies numériques.
Si les technologies numériques ne deviennent pas plus économes en énergie, leur utilisation généralisée entraînera une augmentation de la consommation énergétique. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont responsables de 5 à 9 % de la consommation mondiale d’électricité et d’environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre. L’absence de cadre concerté pour mesurer l’impact environnemental de la transition numérique, notamment les effets de rebond éventuels, donne lieu à des estimations très variées. Toutefois, des études montrent que la consommation électrique des TIC va continuer à augmenter, du fait de l’utilisation et de la production croissantes d’équipements grand public et de la demande des réseaux, des centres de données et des crypto-actifs. La consommation d’électricité va également augmenter en raison de l’utilisation accrue des plateformes en ligne, des moteurs de recherche, des concepts de réalité virtuelle, tels que le métavers, et des plateformes de diffusion de musique ou de vidéos en continu. Par contre, le déploiement des prochaines générations de puces à faible consommation d’énergie et de technologies de connectivité plus économes en énergie (5G et 6G, réseaux alimentés par l’intelligence artificielle) pourrait réduire l’empreinte globale des TIC.
Les déchets électroniques et l’empreinte environnementale des technologies numériques vont faire émerger de nouvelles tensions. Le recours accru à l’électronique, aux téléphones et aux équipements informatiques accélère la production mondiale de déchets électroniques, qui pourrait atteindre 75 millions de tonnes à l’horizon 2030. Dans l’Union, seulement 17,4 % de ces déchets sont correctement traités et recyclés à l’heure actuelle, tandis que la production de déchets électroniques augmente chaque année de 2,5 millions de tonnes. Sans politiques appropriées, chaque changement de norme ou de technologie nécessitera un remplacement massif des équipements. Par exemple, les utilisateurs devront remplacer leurs équipements pour pouvoir profiter sans restriction de la 5G et de la 6G, puisque la plupart des smartphones, tablettes et ordinateurs existants ne seront que rétrocompatibles. La transition numérique entraînera également une augmentation de la consommation d’eau, par exemple pour le refroidissement des centres de données ou la fabrication de semi-conducteurs. L’extraction et la transformation des matières premières nécessaires aux transitions suscitent des préoccupations environnementales et éthiques. Enfin, les risques climatiques et environnementaux auront des incidences sur la durée de vie et le fonctionnement des infrastructures numériques critiques. Au cours des 30 prochaines années, le coût des dommages causés par les événements météorologiques extrêmes frappant l’Union pourrait augmenter de 60 %.
D’une manière générale, si elles sont correctement gérées, les technologies numériques peuvent contribuer à créer une économie et une société climatiquement neutres et économes en ressources en réduisant la consommation d’énergie et de ressources dans les secteurs économiques clés et en devenant elles-mêmes plus économes en ressources.
III. Technologies critiques pour le couplage
L’énergie, les transports, l’industrie, les bâtiments et l’agriculture sont les secteurs de l’Union qui émettent le plus de gaz à effet de serre. La réduction de leur empreinte, comme le prévoit également le paquet «Ajustement à l’objectif 55», et le renforcement de leur résilience sont donc essentiels pour la réussite du couplage. Toutefois, sans technologies et politiques appropriées, l’impact négatif de ces secteurs sur l’environnement pourrait être d’autant plus difficile à atténuer que la population mondiale, qui devrait atteindre 9,7 milliards d’habitants à l’horizon 2050 et bénéficiera d’un revenu moyen plus élevé, aura besoin de plus de denrées alimentaires, de produits industriels, d’énergie, de logements, de mobilité et d’eau.
Jusqu’en 2030, la plupart des réductions des émissions de CO2 émaneront des technologies actuellement disponibles. La neutralité climatique et la circularité à l’horizon 2050 seront toutefois rendues possibles par le développement de nouvelles technologies, actuellement en phase expérimentale, de démonstration ou de prototype. Diverses technologies numériques pourraient favoriser le couplage dans tous les secteurs.
1.Numériser l’énergie
L’agression militaire de l’Ukraine par la Russie a renforcé l’importance des aspects géopolitiques de la transition vers une énergie propre et a mis en évidence la nécessité de l’accélérer et d’unir nos forces pour parvenir à un système énergétique plus résilient et à une véritable union de l’énergie. L’Union a présenté des solutions ambitieuses pour atténuer l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie sur les consommateurs (en particulier les personnes vulnérables et celles exposées au risque de précarité énergétique) et sur l’industrie, et pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement en énergie de l’Union. À moyen terme, un système intégré de l’Union reposant principalement sur la production d’énergie propre, la diversification des approvisionnements énergétiques ainsi que sur l’augmentation des économies d’énergie et de l’efficacité énergétique dans tous les secteurs constitue la solution la plus efficace sur le plan des coûts pour réduire la dépendance de l’Union vis-à-vis des combustibles fossiles. Par exemple, la mise en œuvre complète du paquet «Ajustement à l’objectif 55» permettrait de réduire la consommation de gaz de l’Union de 30 % d’ici à 2030. Cela est d’autant plus pertinent que la double transition entraînera une augmentation de la demande d’électricité.
La transition numérique peut renforcer la sécurité énergétique de l’Union. Les technologies numériques peuvent améliorer l’efficacité des flux de vecteurs énergétiques et accroître l’interconnectivité entre les marchés. Elles peuvent fournir les données nécessaires pour aligner l’offre et la demande à un niveau de détail plus élevé et quasiment en temps réel. Les technologies numériques, les nouveaux capteurs, les données satellitaires et les chaînes de blocs peuvent améliorer les prévisions de production et de demande d’énergie. Les réseaux intelligents pourraient ainsi adapter la consommation en fonction des conditions météorologiques qui influent sur la production des énergies renouvelables irrégulières. La gestion et la distribution des énergies renouvelables seraient ainsi plus efficaces, les échanges transfrontières facilités et les interruptions évitées. La transition numérique donnera aux citoyens et aux entreprises des moyens d’agir, en leur permettant de passer à des sources d’énergie vertes, d’ajuster leur consommation voire de vendre de l’énergie. L’«énergie en tant que service» et les services énergétiques innovants fondés sur les données peuvent modifier la façon dont les fournisseurs d’énergie et les consommateurs interagissent. En outre, les miniréseaux et les réseaux auto-organisés peuvent devenir un mode ascendant de gestion du système énergétique. Pour accroître la résilience face aux menaces hybrides, la numérisation des systèmes énergétiques nécessitera un renforcement des capacités de cybersécurité et des systèmes de communication sûrs, autonomes et omniprésents (connectivité spatiale sécurisée, par exemple).
2.Rendre les transports plus respectueux de l’environnement grâce aux technologies numériques
Conjuguée à la croissance démographique et à un niveau de vie plus élevé, la demande de transports continuera à croître. Le transport mondial de personnes pourrait quasiment tripler entre 2015 et 2050. Dans l’Union, le transport routier de voyageurs devrait augmenter d’environ 21 % et le transport routier de marchandises de 45 % à l’horizon 2050, malgré les efforts déployés pour transférer un plus grand volume de trafic vers d’autres modes de transport tels que le rail ou le transport par voie d’eau. L’urbanisation, la sensibilisation croissante des consommateurs, l’évolution des coûts des solutions de transport durables (encore relativement élevés aujourd’hui) et les nouveaux modèles commerciaux (notamment en ce qui concerne la gestion de la chaîne d’approvisionnement) auront également une incidence sur le secteur. En outre, la transition numérique pourrait encore accélérer l’hybridation du travail, et avoir ainsi des répercussions sur la mobilité locale et transfrontière des travailleurs.
Combinées aux technologies numériques, les utilisations plus nombreuses des batteries de nouvelle génération permettront d’évoluer significativement vers une mobilité durable. Différents modes de transport, dont le transport de personnes et de marchandises, les poids lourds ou l’aviation, sont concernés. Par exemple, des avions électriques pourraient effectuer les liaisons entre les petits aéroports régionaux de l’Union. La gestion de la demande supplémentaire d’électricité dans le secteur des transports, tant pour l’électrification directe que pour la production de masse de carburants renouvelables et à faible teneur en carbone pour les secteurs difficiles à décarboner comme l’aviation et le transport par voie d’eau, doit aller de pair avec l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules électriques. Elle nécessite également une approche au niveau des systèmes pour l’intégration de capteurs, de puissance de traitement et de logiciels avancés. L’utilisation des données des véhicules et de leur environnement peut optimiser les recharges. La recharge bidirectionnelle pourrait rendre les réseaux électriques intelligents plus flexibles en favorisant l’intégration des énergies renouvelables et en maximisant leur utilisation. En outre, combinée aux services spatiaux, la transition numérique peut concourir à des solutions fiables pour les navires et les véhicules connectés et automatisés (y compris autonomes), et contribuer ainsi à gérer plus efficacement le trafic et à réduire la consommation de carburant. Les modèles expérimentaux tels que les bancs d’essai ou les laboratoires vivants, qui permettent de tester des solutions de mobilité dans un environnement réel, peuvent aider à mieux comprendre les besoins des utilisateurs finals. Les jumeaux numériques des véhicules peuvent fournir des données complètes sur les performances en temps réel, l’historique de maintenance, la configuration, le remplacement des pièces ou la garantie. La mobilité intelligente nécessitera d’importants investissements pour développer de nouvelles technologies et infrastructures, et accéder à différentes technologies numériques telles que l’intelligence artificielle, le nuage ou les semi-conducteurs. En outre, pour atteindre une masse critique et éviter la dépendance vis-à-vis des principaux fournisseurs, les acteurs du secteur devront établir des partenariats, mutualiser leurs investissements et convenir de normes, d’infrastructures, de plateformes et de cadres de gouvernance communs. L’acceptation sociale et l’accessibilité financière des véhicules autonomes seront également des facteurs essentiels.
La transition numérique et l’intelligence artificielle favoriseront également l’émergence de solutions de mobilité multimodale plus efficaces en combinant tous les modes dans une seule et même plateforme interopérable («mobilité en tant que service» ou «transport en tant que service»). Elles pourraient améliorer l’efficacité, le choix des consommateurs et l’accessibilité, y compris financière, notamment des transports publics. En outre, les plateformes numériques encourageront d’autres solutions telles que la mutualisation et le partage. Les technologies numériques sont également essentielles pour mettre en place des services de mobilité multimodale connectés dans les villes, ainsi que dans les régions éloignées et rurales, et offrir aux citoyens et aux entreprises le choix entre différentes solutions de transport de personnes et de marchandises. En outre, les nouvelles technologies et solutions numériques et fondées sur l’intelligence artificielle à faibles émissions, telles que les drones, peuvent créer un large éventail d’applications et de services, allant de la livraison de marchandises à l’assistance médicale. Une plus grande interopérabilité entre les différents modes, opérateurs et plateformes ainsi qu’une connectivité omniprésente seront nécessaires. En particulier, un accès plus vaste et de meilleure qualité aux données de mobilité aidera les pouvoirs publics à suivre et à planifier les activités, les infrastructures et les services de transport, et à mieux aligner l’offre et la demande à un moindre coût et en respectant davantage l’environnement. L’accès aux données est également essentiel pour améliorer la gestion du trafic et proposer aux particuliers et aux entreprises un plus grand choix de solutions de mobilité durable.
3.Encourager la neutralité climatique de l’industrie grâce aux technologies numériques
Pour atteindre la neutralité climatique en 2050, l’industrie de l’Union devra, déjà d’ici à 2030, réduire ses émissions de CO2 de 23 % par rapport à 2015. À l’échelle mondiale, l’industrie est responsable d’environ 37 % du total de la consommation finale d’énergie et d’environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Environ 70 % des émissions industrielles mondiales totales de CO2 proviennent de quatre industries énergivores (acier, ciment, produits chimiques, pâte à papier et papier). Ces quatre industries sont également celles qui consomment le plus d’énergie dans l’Union.
Les technologies numériques joueront un rôle important dans la gestion de l’offre et de la demande des grands consommateurs industriels d’énergie dans un système comportant des sources et des matières premières variées. Les compteurs intelligents, y compris les compteurs divisionnaires, et les capteurs pourraient accroître l’efficacité énergétique en fournissant des informations en temps réel sur leur consommation et en alimentant les outils de gestion de l’énergie. Les systèmes de surveillance, d’analytique des mégadonnées et d’acquisition de données amélioreront l’efficacité des processus industriels et traiteront les données, ce qui permettra de prendre des décisions plus avisées. Les jumeaux numériques permettront d’améliorer la conception des systèmes, de tester de nouveaux produits, de suivre et d’assurer la maintenance préventive, d’évaluer le cycle de vie des produits et de sélectionner les matériaux les mieux adaptés. L’optimisation fondée sur les données contribuera à améliorer les matériaux existants, à mettre au point des solutions de remplacement plus vertes et à prolonger leur durée de vie. La surveillance et le suivi fournissent des informations sur les matériaux ou les pièces des produits, ce qui pourrait favoriser la circularité grâce à une meilleure maintenance et à un recyclage en circuit fermé de qualité. L’intégration des technologies manufacturières et numériques et d’autres technologies de pointe, telles que la robotique ou l’impression 3D et 4D, jouera également un rôle majeur. L’adoption de solutions numériques par le secteur industriel nécessite un niveau accru de préparation technologique et de cybersécurité pour protéger les données des processus industriels et l’intégrité de leur fonctionnement.
4.Écologiser les bâtiments grâce à la transition numérique
Les tendances démographiques et l’urbanisation feront évoluer la demande de bâtiments. L’augmentation de la population urbaine entraînera un doublement de la taille du parc immobilier mondial à l’horizon 2060. Dans l’Union, la proportion d’habitants vivant dans les régions principalement urbaines et intermédiaires pourrait atteindre 80 % d’ici à 2050. Les ménages de petite taille, susceptibles de consommer plus d’énergie par tête que les ménages de plus grande taille, seront également plus nombreux. Ces tendances, conjuguées à l’utilisation d’appareils numériques pour le travail à distance, l’éducation, la vie intelligente ou autonome, feront augmenter la consommation d’énergie des bâtiments. Dans l’Union, ce secteur représente actuellement 40 % de la consommation d’énergie, tandis que 75 % du parc immobilier est énergivore.
Pour parvenir à la neutralité climatique et produire des avancées significatives dans la réalisation de l’objectif zéro pollution, les nouveaux bâtiments devront être à émission nulle d’ici à 2030 et un cinquième des bâtiments existants devront être modernisés. Pour atteindre la neutralité climatique dans ce secteur, il faudrait remplacer le chauffage à combustibles fossiles par des solutions de remplacement durables, telles que des pompes à chaleur, réduire l’empreinte carbone de la consommation d’eau et améliorer les performances énergétiques globales, tout en veillant à ce que des solutions soient disponibles pour tous. Ces mesures contribueront à l’objectif de l’Union de rénover 35 millions de bâtiments énergivores d’ici à 2030. Des bâtiments et des compteurs intelligents pourraient permettre d’atteindre ces objectifs et de lutter contre la précarité énergétique. D’ici à 2030, la modélisation des données des bâtiments pourrait encore accroître l’efficacité énergétique et l’utilisation rationnelle de l’eau dans le secteur, en fournissant une analyse à long terme des choix de conception dans la construction et l’utilisation des bâtiments. La disponibilité de données anonymisées, les appareils intelligents ainsi que le comportement des consommateurs permettront de réaliser des investissements ciblés dans les rénovations. Des journaux de bord numériques et des analyses du cycle de vie seront nécessaires pour évaluer, déclarer, stocker et suivre les données sur les émissions tout au long de la vie, et contribueront à réduire l’impact environnemental des matériaux et à éviter d’utiliser ceux qui sont toxiques. Les jumeaux numériques pourraient changer la manière dont les espaces urbains sont planifiés, contrôlés et gérés. Ils pourraient déboucher sur une réduction des émissions urbaines, une utilisation plus efficace des ressources, une meilleure qualité de vie, une meilleure utilisation de l’espace et une plus grande résilience des bâtiments face aux événements dangereux.
5.Une agriculture plus intelligente et plus verte
Les crises climatiques et environnementales, les changements démographiques et l’instabilité géopolitique mettront à l’épreuve la résilience de l’agriculture de l’Union et son engagement sur la voie de la durabilité. En l’absence de mesures, les émissions agricoles mondiales pourraient augmenter de 15 à 20 % d’ici à 2050. D’ici là, 10 % de la surface du globe actuellement adaptée aux cultures et au bétail devrait devenir climatiquement inadaptée. D’autres menaces pour la biosphère, l’eau, le sol ou la biodiversité feront leur apparition. Dans le nouveau contexte géopolitique, l’Union doit réduire sa dépendance vis-à-vis des importations d’aliments pour animaux, d’engrais et d’autres intrants. Cette réduction doit se faire sans nuire à la productivité, à la sécurité alimentaire ou à l’écologisation du secteur, et tout en luttant contre l’insécurité alimentaire dans les pays partenaires à faible revenu.
Si elles sont correctement déployées, les technologies numériques peuvent rendre l’agriculture intelligente et plus verte. L’utilisation accrue de la télédétection in situ (pour adapter les traitements aux conditions spécifiques) et des services de l’Union fondés sur les données spatiales pourrait réduire la consommation d’eau, de pesticides, d’engrais et d’énergie, ce qui sera également bénéfique pour la santé humaine et animale. Les jumeaux numériques fourniront des données pour gérer la diversification des produits et utiliser la biodiversité fonctionnelle afin de repenser la lutte contre les organismes nuisibles. L’informatique quantique, combinée à la bio-informatique et à la génomique végétale, peut améliorer la compréhension des processus biologiques et chimiques nécessaires pour réduire la consommation de pesticides et d’engrais. Des plateformes numériques facilitant la distribution locale et luttant contre le gaspillage alimentaire pourraient stimuler la production locale et raccourcir les circuits de consommation. Les données satellitaires, les capteurs, les chaînes de blocs et les données de la chaîne de valeur pourraient renforcer la traçabilité et la transparence. Les plateformes numériques agricoles ouvertes servant au partage sécurisé et fiable de données et les services numériques tels que l’agriculture de précision pourraient renforcer la collaboration équitable au sein de la chaîne de valeur et créer des places de marchés efficaces. L’adoption généralisée de ces technologies nécessitera une réduction des coûts d’installation et de maintenance et une meilleure connectivité dans les zones périphériques et rurales. En outre, les solutions numériques conçues pour des processus normalisés devront pouvoir être utilisées à l’appui de modèles agricoles plus variés. L’adoption des technologies de couplage passera par la confiance, des niveaux élevés de sécurité et des compétences appropriées.
IV. Facteurs géopolitiques, économiques, sociaux et réglementaires déterminant le couplage
Les évolutions géopolitiques actuelles confirment la nécessité d’accélérer la double transition en renforçant la résilience de l’Union et son autonomie stratégique ouverte. Les répercussions de l’agression militaire de l’Ukraine par la Russie ont déjà changé les réalités géopolitiques et économiques. Dans ce contexte, divers facteurs ont une incidence sur le couplage: la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires et les répercussions sociales qui en découlent, la nécessité éventuelle d’accroître temporairement le recours au charbon, la pression accrue sur les finances publiques, la hausse des taux d’inflation, l’augmentation des cyberrisques, les problèmes d’approvisionnement et l’accès restreint aux matières premières et aux technologies critiques. Le nouveau sentiment d’urgence de devoir accélérer l’abandon des combustibles fossiles pourrait marquer un tournant pour la transition verte. La situation géopolitique va également stimuler la transformation des chaînes d’approvisionnement en raison de l’évolution des coûts de main-d’œuvre et de production mondiaux, ainsi que des répercussions de la pandémie de COVID-19. Elle incitera à adopter des chaînes d’approvisionnement moins vulnérables, plus diversifiées et plus fiables, voire à faire du «friend-shoring». Dans certains cas, elle pourrait également réduire l’empreinte carbone et favoriser l’économie circulaire. Dans ce contexte, des partenaires de l’Union tels que la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon ont, par exemple, mis en place ou commencé récemment à concevoir des systèmes de suivi des chaînes d’approvisionnement et des capacités nationales.
Garantir l’accès aux matières premières critiques sera primordial pour la double transition de l’Union. Actuellement, la dépendance de l’Union vis-à-vis de pays tiers, dont la Chine, pour un certain nombre de matières premières critiques est encore plus grande que celle vis-à-vis de la Russie pour les combustibles fossiles. La production propre de l’Union ne représente que 4 % du marché mondial des matières premières critiques utilisées dans la production des équipements numériques (palladium, tantale, néodyme, etc.). L’Union ne dispose pas non plus d’une industrie d’extraction, de transformation et de recyclage suffisamment développée. Jusqu’à présent, les progrès réalisés dans le développement des gisements intérieurs, y compris ceux qui revêtent une importance stratégique pour l’économie, ont été insuffisants, notamment parce que les projets continuent de se heurter à des obstacles importants. Dans le même temps, la réalisation de nos objectifs en matière d’énergie propre nécessitera une augmentation des volumes de diverses matières premières (une augmentation de 3 500 % de l’utilisation de lithium, un composant essentiel des solutions de mobilité électriques, par exemple). Le Chili possède actuellement 40 % des gisements de lithium, tandis que la Chine abrite 45 % des installations mondiales de raffinage de cette matière première. En outre, l’utilisation de cobalt devrait augmenter de 330 % et celle de l’aluminium et du cuivre de 30 à 35 %. Le commerce, la coopération et les partenariats avec un éventail varié de pays riches en minerais et partageant les mêmes valeurs restent particulièrement importants. L’augmentation de la demande mondiale intensifie la concurrence autour des ressources et risque d’aggraver la concentration de la production, faisant ainsi peser des risques géopolitiques supplémentaires sur l’offre. Au-delà de l’accès aux matières premières critiques, la capacité à définir des normes environnementales et sociales garantissant la durabilité des activités d’extraction, de raffinage, de recyclage et de production d’énergie sera essentielle dans le nouveau contexte géopolitique.
Conjuguées à des investissements suffisants, la circularité et la précision accrues de la production pourraient contribuer à réduire ces dépendances stratégiques. La transition numérique pourrait encore accélérer la circularité en améliorant la conception, la précision de la production et les processus de réparation, de rénovation et de recyclage. Par exemple, après 2040, outre le besoin persistant de métaux de première fusion, le recyclage pourrait devenir la principale source d’approvisionnement en métaux de transition de l’Union. Le recyclage sera d’autant plus important que la production d’acier ou d’aluminium à partir de ferraille consomme beaucoup moins d’énergie que celle réalisée à partir de matières premières, par exemple. La quantité et la qualité du recyclage sont toutes deux pertinentes. Par exemple, la contamination de l’acier et de l’aluminium par le cuivre entraîne d’importantes dépréciations et, par conséquent, une augmentation de la consommation d’énergie et des émissions.
La géopolitique des technologies prendra de l’importance. L’accès aux technologies critiques offrira un avantage concurrentiel et réduira les dépendances stratégiques. Les capacités actuellement limitées de l’Union en ce qui concerne certaines technologies horizontales affaiblissent sa position. La concurrence technologique pourrait se développer rapidement, ce qui entraînerait une fragmentation des écosystèmes mondiaux de l’innovation. Les coûts et les risques de cybersécurité, en particulier pour les technologies à double usage (infrastructures 5G et 6G ou technologies numériques dans l’agriculture, par exemple), pourraient ainsi augmenter. Cela est d’autant plus pertinent que le volume de données collectées, y compris sur les habitudes et les comportements des consommateurs, et le nombre d’appareils connectés vont considérablement augmenter. En outre, les divergences autour des valeurs et des modèles sociétaux devraient également s’accentuer. Elles sont déjà visibles dans les différentes approches de l’internet: par exemple, limitation de l’accès à certains contenus (Chine, Russie, etc.), adoption d’une approche fondée sur les valeurs (l’Union met l’accent sur la protection des données et l’intelligence artificielle digne de confiance) ou promotion de modèles de gouvernance spécifiques (largement privatisés, comme aux États-Unis, ou étatiques, comme dans le cas de la cybersouveraineté chinoise). Les liens entre les actes de cybermalveillance et la désinformation, qui menacent la démocratie, aggravent les clivages et entravent l’accès aux informations véridiques, suscitent de plus en plus d’inquiétudes. Ces préoccupations sont pertinentes puisque les 30 dernières années de progrès démocratiques ont été effacées: le niveau moyen de la démocratie dans le monde en 2021 est redescendu à celui de 1989. En outre, le contexte géopolitique actuel pourrait avoir des incidences sur les projets liés à la double transition dans les pays partenaires, qui sont déjà confrontés à des contraintes financières et d’approvisionnement en raison des conséquences de la pandémie de COVID-19. Ce problème devient d’autant plus vital que, pour la première fois, les progrès accomplis à l’échelle mondiale dans la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies se sont inversés.
La double transition devra passer par l’adaptation de nos politiques à un nouveau modèle économique. Cela implique de réorienter la vision traditionnelle du progrès économique vers une vision plus qualitative qui évolue autour du bien-être, de l’utilisation efficace des ressources, de la circularité et de la régénération. En fin de compte, la neutralité climatique, l’utilisation durable des ressources, la pollution zéro et l’arrêt du déclin de la biodiversité supposent un changement profond des politiques économiques et sociales, soutenu par une combinaison appropriée d’instruments de marché (la tarification du carbone, par exemple) et d’investissements des secteurs public et privé dans des projets durables. La croissance des entreprises sociales et des investissements d’impact stimule également ce changement.
La double transition sera juste ou ne sera pas: l’inclusion et l’accessibilité financière conditionneront son succès. Les personnes à revenus faibles et moyens sont plus vulnérables aux répercussions et aux coûts de la double transition (automatisation des emplois, accès aux solutions et aux services publics numériques, hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, financement de la rénovation énergétique des bâtiments ou précarité en matière de transport, par exemple). Il existe également un fossé entre les entreprises à la pointe de la technologie et celles qui accusent un retard dans ce domaine. Les disparités régionales en matière de développement économique et de prospérité sociale peuvent exacerber ces dichotomies. Les frictions sur les marchés du travail et des capitaux pourraient les rendre plus longues et plus coûteuses. Dans ce contexte, la neutralité climatique et la durabilité environnementale ne seront possibles que si elles sont accompagnées de mesures visant à aider ces groupes à assumer les charges financières connexes et à réduire ces disparités. La réalisation des objectifs de la décennie numérique de l’Europe et du socle européen des droits sociaux sera cruciale pour combler ces fossés, mais d’autres mesures pourraient être nécessaires. Cela est d’autant plus impérieux que ce sont les personnes se situant au bas de l’échelle des émissions qui ont le plus de difficultés à supporter la transition. En effet, actuellement, les 10 % d’Européens les plus riches ont des émissions par tête plus de trois fois supérieures à celles du reste des citoyens de l’Union
.
La double transition entraînera de profonds changements sur le marché du travail de l’Union et en ce qui concerne les compétences connexes. Les secteurs et régions qui dépendent fortement de l’exploitation du charbon, de l’extraction des combustibles fossiles et des chaînes de transformation et d’approvisionnement correspondantes enregistreront des pertes d’emplois. D’un autre côté, des emplois seront créés grâce à la transition verte, par exemple dans les domaines de l’énergie propre, de la rénovation et de l’économie circulaire
. De même, la transition numérique est susceptible de créer des emplois et des possibilités commerciales, par exemple dans les technologies de pointe, tout en entraînant la perte d’autres emplois, qui seront entièrement ou partiellement automatisés. La poursuite de la transition numérique, accélérée par la crise de la COVID-19, aura également des répercussions sur les conditions et les rythmes de travail, ainsi que sur l’accès à la protection sociale. Ces changements ne seront pas nécessairement simultanés et leurs répercussions sur les entreprises, les secteurs et les régions seront inégales, ce qui entraînera des déséquilibres potentiels de l’économie et du marché du travail. La transformation du contenu des emplois et la redistribution de l’emploi nécessiteront des compétences différentes. Dans l’ensemble, les effets des deux transitions sur le marché du travail sont potentiellement complémentaires, avec des effets amplificateurs et annihilateurs qui méritent d’être examinés plus avant.
Les modes de production et de consommation vont évoluer. Les technologies telles que l’informatique en nuage, l’internet des objets ou l’analytique des mégadonnées donneront de plus en plus naissance à de nouveaux modèles commerciaux, notamment la servicisation (vente de services plutôt que de produits). Par exemple, la fabrication en tant que service permettra aux petites entreprises d’utiliser des centres de production de pointe plus efficaces. Les modes de consommation, qui dépendent également de l’évolution démographique, seront d’une importance majeure, car la consommation des ménages représente jusqu’à 72 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les choix des consommateurs (utilisation d’un véhicule électrique, installation d’une pompe à chaleur, rénovation d’une maison, etc.) pourraient réduire les émissions cumulées de CO2 d’environ 55 % à l’échelle mondiale. Les choix comportementaux (changements alimentaires, utilisation des transports publics ou du vélo, par exemple) seront également cruciaux pour l’environnement et la santé globale de la population. Les technologies numériques auront également une incidence sur les modes de consommation. Avec l’essor du commerce électronique, elles faciliteront la consommation et guideront les décisions des consommateurs, qui s’appuieront de plus en plus sur des informations numériques. Elles stimuleront également l’économie sociale, collaborative et circulaire, ainsi que le passage de la propriété à la production et à la vente d’actifs, comme les énergies renouvelables ou les biens d’occasion (tels que les vêtements), par exemple. Le suivi personnel de l’exposition à la pollution, ainsi que la contribution et l’accès aux données environnementales au moyen de réseaux de microcapteurs et de dispositifs intelligents permettront aux citoyens de mieux faire leurs choix.
Les normes seront importantes pour mener à bien le couplage. Elles peuvent contribuer à la conception des méthodes d’essai, des systèmes de gestion ou des solutions d’interopérabilité nécessaires à la double transition. Dans de nombreux cas, elles sont exigées pour accéder au marché et soutiennent la mise en œuvre de la législation et des objectifs de l’Union, tels que l’approche harmonisée de l’Union en matière de produits durables. Les normes en matière de données joueront un rôle important pour ce qui est de garantir une utilisation efficace et fiable du volume exponentiel de données privées et d’origines diverses. Si la normalisation est indispensable pour la mise en œuvre de nos objectifs, de nombreux pays tiers l’utilisent de plus en plus de manière affirmée pour offrir à leurs industries un meilleur accès au marché et un meilleur déploiement technologique. En ce sens, le rôle de l’Union dans l’élaboration des normes mondiales et la voix des entreprises européennes au sein des organismes régionaux de normalisation demeureront essentiels.
Les investissements publics et privés resteront indispensables aux transitions et seront soutenus par des marchés de capitaux favorables au couplage. Le budget à long terme de l’Union pour la période 2021-2027, conjugué à l’instrument de relance NextGenerationEU, s’élève à 2 018 milliards d’EUR. Au moins 30 % de ces fonds seront consacrés à la lutte contre le changement climatique, soit la part la plus élevée jamais allouée du plus gros budget de l’Union jamais voté. En outre, en 2026-2027, 10 % des dépenses annuelles au titre du budget à long terme soutiendront la biodiversité. Les 25 plans adoptés jusqu’à présent dans le contexte de la facilité pour la reprise et la résilience consacrent 40 % des fonds aux objectifs écologiques et 26 % aux objectifs numériques, bien que l’accent mis sur l’utilisation potentielle de solutions numériques pour atteindre les objectifs climatiques soit quelque peu limité. Des mécanismes de financement spécifiques, comme le Fonds pour l’innovation ou le Fonds pour une transition juste, seront également importants. Néanmoins, les besoins supplémentaires en investissements privés et publics pour la double transition pourraient s’élever à près de 650 milliards d’EUR par an jusqu’en 2030. Dans la situation géopolitique actuelle, ces estimations se situent probablement dans la fourchette basse des besoins réels, en particulier en ce qui concerne la transition verte. Des investissements supplémentaires sont nécessaires, tout en tenant compte des risques d’augmentation de la dette publique, du repositionnement des priorités en matière de finances publiques et des perspectives économiques incertaines. Par exemple, une éventuelle augmentation des dépenses de défense pourrait avoir une incidence sur les budgets publics alloués à la double transition. Il est donc d’autant plus important de hiérarchiser les dépenses et d’améliorer la qualité et la composition des finances publiques et des synergies civilo-militaires, notamment dans le domaine des technologies et des systèmes spatiaux. Enfin, pour éviter d’importants délaissements d’actifs et les mécanismes de fermeture aux changements, il faudra réaliser davantage d’investissements à l’épreuve du temps afin que, par exemple, les bâtiments et les infrastructures énergétiques ou industrielles ne doivent pas être déclassés avant la fin de leur durée de vie, mais puissent plutôt être réutilisés ou modernisés. C’est également important pour ne pas favoriser les technologies existantes par rapport aux nouvelles.
V. Principaux domaines d’action
Face à l’urgence renouvelée découlant de l’évolution rapide de la situation géopolitique, des politiques appropriées sont nécessaires pour renforcer les possibilités et réduire au minimum les risques potentiels liés à l’interaction entre les transitions verte et numérique jusqu’en 2050.
1. Confrontée à un environnement géopolitique instable, l’Union doit continuer à renforcer sa résilience et son autonomie stratégique ouverte dans les secteurs critiques liés aux transitions. Dans le secteur de l’énergie, il convient d’intensifier les efforts en faveur des sources d’énergie vertes, en remplaçant notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles et en diversifiant les sources pendant la période de transition. Il serait également essentiel de développer les solutions de constitution de stocks et les capacités de stockage pour les vecteurs énergétiques actuels et futurs tels que l’hydrogène renouvelable. L’application du principe de primauté de l’efficacité énergétique dans l’ensemble de la société et dans tous les secteurs de l’économie réduirait considérablement la consommation d’énergie. L’ouverture et la coopération internationale seront essentielles pour favoriser l’innovation et le développement technologique, tout en garantissant le respect de la réciprocité et de l’égalité des conditions de concurrence. La création d’un environnement propice au développement de plateformes numériques industrielles interentreprises et d’entreprises à consommateurs et le fait de faciliter la collaboration stratégique entre les écosystèmes industriels contribueront à renforcer notre position vis-à-vis des concurrents technologiques. Des innovateurs de l’Union émergeront sur de nouvelles places de marché dans des secteurs cruciaux. Les travaux de l’observatoire européen des technologies critiques et le processus de réexamen périodique seront importants dans le contexte des risques actuels et futurs liés aux dépendances (technologiques) stratégiques. Dans la continuité des efforts de modernisation en cours, la boîte à outils des politiques commerciale, douanière, de la concurrence et des aides d’État devra également être mise à jour pour répondre aux difficultés résultant de la double transition et d’autres évolutions du marché, dues notamment à la situation géopolitique. Ainsi, l’Union se protégera contre les produits et procédés non durables des pays tiers, tout en atténuant les répercussions des coûts à court terme inévitables tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe. De même, la contribution de la politique agricole commune à la sécurité alimentaire et d’autres actions visant à renforcer la résilience des systèmes alimentaires seront étudiées de manière plus stratégique aux fins du couplage et de l’autonomie stratégique ouverte de l’Europe dans le nouveau contexte géopolitique.
2. L’Union doit redoubler d’efforts pour stimuler la double transition à l’échelle mondiale. Il convient de donner la priorité au multilatéralisme fondé sur des règles et à la coopération internationale fondée sur des valeurs. La coopération mondiale, notamment au moyen d’un programme proactif de recherche et d’innovation avec des partenaires partageant les mêmes valeurs, sera importante pour accélérer le développement des technologies de couplage et répondre aux préoccupations liées à la transition numérique. Les coûts et les avantages de la double transition devraient être clairement expliqués aux pays partenaires, en particulier à ceux qui sont susceptibles d’être les plus durement touchés. Il convient de renforcer la diplomatie verte et numérique et la sensibilisation en la matière, en tirant parti du pouvoir de réglementation et de normalisation et en promouvant les valeurs de l’Union. L’expérience de l’Union en matière d’échange des droits d’émission, qui consiste à les plafonner, à tarifer la pollution et à générer des recettes pour accélérer la décarbonation et soutenir les plus vulnérables, pourrait inciter d’autres pays à utiliser des systèmes similaires. Il y a lieu de mettre en place des partenariats stratégiques mutuellement bénéfiques, notamment avec les pays voisins et africains. Dans ce contexte, il s’agit notamment de soutenir financièrement des projets liés à la double transition, sur la base d’échanges et d’investissements non faussés, conformément à la stratégie «Global Gateway» de l’Union. Pour ce faire, il faudra développer les infrastructures physiques vertes et les infrastructures numériques (infrastructures 5G et 6G sécurisées, corridors de transit propres, énergies de substitution, alimentation en courant propre) et créer un environnement propice aux projets. Les obligations vertes pourraient constituer un outil efficace pour financer des projets d’infrastructures jumelées qui profiteraient à tous.
3. L’Union doit gérer ses approvisionnements en matières premières critiques de manière stratégique pour mener à bien la double transition, tout en renforçant ses capacités de défense et en préservant la compétitivité de son économie. Le développement des capacités intérieures et la diversification des sources d’approvisionnement tout au long de la chaîne de valeur permettront de réduire considérablement les dépendances stratégiques existantes et de ne pas les remplacer par de nouvelles. Cet aspect revêt une importance particulière dans le domaine des matières premières critiques, qui nécessite une approche systémique et à long terme. L’Union devrait renforcer sa capacité à surveiller les marchés mondiaux des matières premières afin d’anticiper et d’atténuer les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et de se doter, si nécessaire, d’instruments (constitution de stocks, passation conjointe de marchés, par exemple) pour se préparer à la prochaine rupture d’approvisionnement. Pour garantir ses approvisionnements, elle devra instaurer des partenariats stratégiques avec des pays riches en minerais, en particulier avec ceux qui partagent les mêmes valeurs, et mettre au point des projets intérieurs d’extraction et de transformation, tout en assurant un haut niveau de protection de l’environnement. L’Union doit également soutenir et accélérer la mise en place des projets européens stratégiques les plus importants, notamment en rationalisant et en accélérant les procédures d’autorisation, dans le respect total de l’acquis concernant l’environnement et des normes harmonisées en matière de participation du public. Ces mesures doivent être complétées par des investissements dans l’innovation et la transition vers l’économie circulaire, le développement des mines urbaines et la création d’un marché de matières premières secondaires avec l’introduction d’objectifs de collecte, d’efficacité du recyclage et de contenu recyclé: des produits plus durables et un recyclage plus répandu et de qualité réduiront la dépendance vis-à-vis des ressources primaires après 2035. Des efforts doivent être consentis pour promouvoir les normes de durabilité les plus strictes, encourager l’innovation, réduire au minimum l’empreinte environnementale et sociale de la chaîne de valeur des matières premières, et mobiliser le réseau d’accords de commerce et d’investissement et la force de frappe financière d’«Équipe Europe» pour attirer des investissements en faveur des actifs de toute la chaîne de valeur des matières premières dans l’Union et dans les pays tiers.
4. L’Union doit renforcer la cohésion sociale et économique pendant toute la durée des transitions. Les travailleurs, les entreprises, les secteurs et les régions en transition ont besoin de soutien et d’incitations sur mesure pour s’adapter. Le dialogue social, les investissements en faveur de la création d’emplois de qualité et l’établissement en temps opportun de partenariats entre les services publics de l’emploi, les syndicats, l’industrie et les établissements d’enseignement sont essentiels. Il convient également de renforcer la protection sociale, notamment les mécanismes visant à prévenir ou à traiter de manière ciblée les répercussions négatives sur les communautés et les ménages à revenus faibles et moyens et à lutter contre la pauvreté, ainsi que les dispositifs de sauvetage de l’emploi et les politiques accompagnant les transitions sur le marché du travail pour faire face aux chocs. Des stratégies et des investissements en faveur du développement régional, soutenus par la politique de cohésion, devraient accompagner la double transition, tout en réduisant les disparités économiques, sociales et technologiques, y compris l’injustice environnementale. Une connectivité ininterrompue et sécurisée, y compris dans les zones rurales et reculées, combinée au renforcement des capacités et des compétences, sera essentielle pour que tous les citoyens et toutes les entreprises puissent tirer profit du couplage.
5. Les systèmes d’éducation et de formation doivent être adaptés à la nouvelle réalité socio-économique. Cela suppose à la fois des compétences d’apprentissage pour s’adapter à une réalité technologique et un marché du travail en mutation rapide, et des compétences vertes et une sensibilisation au changement climatique pour soutenir la création de valeur dans la transition verte et une citoyenneté responsable. Pour que la double transition soit équitable pour tous, il faut augmenter considérablement les dépenses sociales liées au couplage, par exemple dans l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie, au sein d’un cadre de transition juste. Il convient de développer la mobilité de la main-d’œuvre entre les secteurs et la migration légale ciblée. Il sera également essentiel de soutenir les modes de vie durables à «1,5 degré» en impliquant les citoyens et les entreprises, en garantissant l’accessibilité financière et en élaborant des politiques et des infrastructures pour les animer.
6. Des investissements supplémentaires devraient être consacrés aux technologies et aux infrastructures qui soutiennent le couplage. Afin de renforcer la résilience de l’Union et de faciliter la double transition, des réformes et des investissements ciblés doivent remédier aux vulnérabilités tant au niveau national qu’au niveau de l’Union. Les politiques macroéconomiques et sectorielles pertinentes doivent être étroitement coordonnées. Une réorientation des investissements vers le long terme et des actifs durables est nécessaire. L’Union devra mobiliser de nouveaux investissements privés et publics à long terme dans le couplage, en particulier dans le domaine de la R&I dans les technologies et secteurs critiques, ainsi que dans l’adoption des technologies et les synergies entre celles-ci, le capital humain et les infrastructures. Pour ce faire, il est nécessaire de disposer d’un cadre favorable. L’achèvement de l’union bancaire et de l’union des marchés des capitaux sera essentiel pour renforcer la solidité des marchés financiers, atténuer les futurs risques éventuels pour la stabilité financière et garantir la profondeur et la liquidité des marchés financiers. Cela passe par la promotion de cadres en matière de finance durable pour augmenter les investissements privés dans les projets durables. La taxinomie de l’Union et le principe consistant à «ne pas causer de préjudice important» représentent un pas important dans ce sens. Ces investissements supplémentaires nécessiteront des outils de financement combinant ressources privées et publiques. Des projets plurinationaux pourraient faciliter la mutualisation des ressources privées, nationales et de l’Union. Les passations de marchés publics et privés verts devraient être étendues aux technologies numériques durables. Des subventions en faveur des modes de production et de consommation durables devraient être envisagées. L’entrepreneuriat social et les investissements d’impact des acteurs privés joueront un rôle important. Les politiques fiscales et la fiscalité doivent être adaptées à la double transition, mobiliser des investissements supplémentaires pour les projets qui la promeuvent et fournir les bons signaux de prix et les bonnes incitations aux producteurs, aux utilisateurs et aux consommateurs.
7. Le pilotage de la double transition nécessite des cadres de suivi robustes et fiables. Les quatre dimensions de la durabilité compétitive, à savoir l’équité, la durabilité environnementale, la stabilité économique et la productivité, nécessitent une politique ambitieuse et intégrée qui tienne compte à la fois des synergies et des tensions. Le passage nécessaire à un nouveau modèle économique exige une approche intégrée de mesure et de suivi du bien-être qui aille au-delà du PIB et s’intéresse aux générations actuelles et futures dans l’Union et dans le reste du monde. Afin de guider les décisions politiques de sorte à exploiter pleinement le potentiel de durabilité de la transition numérique et de tirer parti de la finance durable, il est nécessaire de créer un cadre solide au niveau de l’Union pour mesurer à la fois les effets positifs de cette transition et son empreinte globale en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’utilisation de l’énergie et des ressources, y compris des minerais et des terres rares. L’accès à des informations précises et fiables et à des statistiques officielles peut aider les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics à prendre des décisions avisées. Enfin, le suivi des données peut aider l’Union à déterminer si des mesures supplémentaires sont nécessaires.
8. Un cadre réglementaire de l’Union souple et à l’épreuve du temps, accordant une place centrale au marché unique, sera propice aux modèles commerciaux et aux modes de consommation durables. Le marché unique et ses différentes dimensions (par exemple en matière de données ou d’énergie) doivent évoluer en permanence pour accompagner la double transition. Un meilleur cadre réglementaire, comportant des incitations à l’innovation, est nécessaire pour promouvoir la circularité, créer des marchés porteurs, renforcer les écosystèmes industriels et garantir la diversité des acteurs du marché. Les obstacles administratifs devraient être systématiquement supprimés afin de faciliter les projets et infrastructures de couplage. Le rôle croissant des actifs incorporels nécessitera un cadre de propriété intellectuelle adapté à l’objectif visé. Les solutions numériques, telles que les jumeaux numériques, l’intelligence artificielle à des fins de prévisions, ou la modélisation dans les analyses d’impact, devraient être utilisées davantage dans le cadre de l’élaboration des politiques de l’Union. Le couplage pourrait être mieux analysé dans les évaluations de la législation existante, par l’examen des effets combinés. Les consommateurs devraient être protégés contre les pratiques trompeuses, telles que l’écoblanchiment ou l’obsolescence programmée. Les avantages et les difficultés des transitions doivent faire l’objet de discussions avec le public. La participation à la prise de décision pourrait être renforcée grâce aux technologies numériques ou aux laboratoires vivants. L’utilisation de l’intelligence artificielle pour favoriser la participation des citoyens à l’élaboration des politiques, comme cela a été le cas pour la plateforme numérique mise en place pour la conférence sur l’avenir de l’Europe, devrait être davantage étudiée.
9. La définition de normes sera essentielle pour le couplage et pour assurer à l’Union l’avantage du pionnier en matière de durabilité compétitive. La conception des produits fondée sur le principe «réduire, réparer, réutiliser et recycler» devrait être généralisée. Les mesures actuellement mises en œuvre pour garantir la durabilité des biens physiques dans l’Union doivent être assorties de normes applicables à tous les secteurs, afin d’infléchir la tendance à la surconsommation et à l’obsolescence programmée. Les récentes propositions de la Commission visant à obliger les vendeurs à fournir aux consommateurs des informations sur la durabilité et la réparabilité des produits pourraient constituer une base solide à cet égard. L’Union doit élaborer une approche plus stratégique des activités internationales de normalisation dans les enceintes internationales pertinentes. Pour garantir leur mise en œuvre, les normes internationales doivent être assorties d’un suivi et d’une traçabilité. Par exemple, une norme internationale pour les batteries pourrait exiger un passeport numérique permettant de suivre l’empreinte éthique et environnementale de leurs composants. L’utilisation de normes pour garantir l’interopérabilité des technologies et des infrastructures de couplage permettra également d’intégrer les partenaires de l’Union dans le processus de mise en œuvre.
10. Un cadre renforcé de cybersécurité et de partage des données sera nécessaire pour exploiter le potentiel des technologies de couplage. Une plus grande interopérabilité entre les différents propriétaires, producteurs et utilisateurs de données au sein de l’Union, y compris les systèmes d’information nationaux et infranationaux, facilitera le partage des données par les différents acteurs (pouvoirs publics, entreprises, société civile et chercheurs). Un cadre renforcé et plus sécurisé de partage des données, clarifiant l’ambiguïté concernant la responsabilité et la propriété en cas de transfert de données, protégera les personnes et les entreprises; il contribuera également à renforcer la confiance envers les technologies de couplage et leur acceptation. Il sera important d’adopter des approches communes en ce qui concerne les critères de cybersécurité des produits et des services, notamment les règles, les exigences techniques, les normes et les procédures. En outre, la résilience des entités et des infrastructures critiques doit être renforcée par un cadre «tous risques» de l’Union destiné à aider les États membres à faire en sorte que les entités critiques puissent prévenir les incidents perturbateurs, résister à ces incidents et les surmonter. L’accessibilité financière des technologies de cybersécurité sera également essentielle.
VI. Conclusions
Une meilleure compréhension des interactions entre les transitions verte et numérique est essentielle pour mener à bien le couplage compte tenu des grandes tendances et des événements imprévus à venir. Les domaines d’action présentés dans la présente communication (voir ci-dessus) répondent au besoin de maximiser les synergies et de remédier aux tensions entre les deux transitions. Cela nécessite d’anticiper le changement et d’adapter les actions de manière dynamique, tout en maintenant fermement le cap vers les objectifs à long terme. Ainsi, d’ici à 2050, un couplage réussi favorisera l’émergence d’une économie nouvelle, régénératrice et neutre pour le climat, qui réduira les niveaux de pollution et restaurera la biodiversité et le capital naturel grâce à des technologies, numériques et autres, durables. Il contribuera à positionner l’Union en tant que porte-drapeau de la durabilité compétitive et à renforcer sa résilience et son autonomie stratégique ouverte. Il ira de pair avec une transition juste profitant à l’ensemble des personnes, des communautés et des territoires en Europe et au-delà.
Le prochain rapport annuel de prospective stratégique portera sur les principales difficultés et possibilités auxquelles l’Europe sera confrontée dans les décennies à venir, et contiendra des réflexions stratégiques pertinentes pour renforcer le rôle de l’Union dans le monde.