COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 17.7.2019
COM(2019) 343 final
COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS
Renforcement de l'état de droit au sein de l'Union
Plan d'action
I.
INTRODUCTION
L'Union européenne est fondée sur un ensemble de valeurs communes, dont les droits fondamentaux, la démocratie et l’état de droit. Elles sont le socle de nos sociétés et de notre identité commune. Aucune démocratie ne peut fonctionner sans des juridictions indépendantes qui assurent la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques ni sans une société civile active et des médias libres garants du pluralisme. L’état de droit est un principe bien établi et bien défini en substance. Malgré les différences entre les identités nationales, les systèmes juridiques et les traditions, que l’Union est tenue de respecter, cette définition substantielle est la même pour tous les États membres.
L’état de droit garantit que toutes les autorités publiques agissent toujours dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs de la démocratie et aux droits fondamentaux, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales. L’état de droit a une incidence directe sur la vie de chaque citoyen: il s’agit d’une condition préalable pour assurer un traitement équitable devant la loi et la défense des droits individuels, pour éviter l’abus de pouvoir par les autorités publiques et pour que les décideurs rendent des comptes. Le respect de l’état de droit est également essentiel pour donner confiance aux citoyens dans les institutions publiques. Sans cette confiance, les sociétés démocratiques ne peuvent fonctionner. L’état de droit recouvre le degré de responsabilité avec lequel les lois sont élaborées, l’équité avec laquelle elles sont appliquées et l’efficacité dont elles font preuve. Comme le reconnaissent la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, il couvre aussi des questions institutionnelles telles que l’indépendance et l’impartialité des juridictions et la séparation des pouvoirs
. Des arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne ont continué de souligner que l’état de droit est au cœur de l’ordre juridique de l’Union.
Le projet européen repose sur un respect permanent de l’état de droit dans tous les États membres. Il s’agit d’une condition préalable à l’application effective du droit de l’Union et à l’instauration d’une confiance mutuelle entre les États membres. Il est également une pièce maîtresse du bon fonctionnement de l’Union européenne en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice et en tant que marché intérieur, dans lequel les lois sont appliquées de manière effective et uniforme et où les budgets sont exécutés conformément aux règles applicables. Les menaces qui pèsent sur l’état de droit mettent donc en péril les fondements juridiques, politiques et économiques du fonctionnement de l’UE. C’est la raison pour laquelle la promotion et la défense de l’état de droit constituent un impératif central du travail de la Commission européenne en tant que gardienne des traités. Les manquements d’un État membre au respect de l’état de droit ont une incidence sur les autres États membres et sur l’Union européenne en général et il est dans l’intérêt de celle-ci de résoudre les problèmes qui s’y rapportent chaque fois qu’ils apparaissent.
Si, en principe, tous les États membres sont réputés respecter l’état de droit en toutes circonstances, les problèmes rencontrés récemment dans certains d’entre eux ont rappelé que l’état de droit ne pouvait être considéré comme acquis. Ces problèmes ont suscité des inquiétudes quant à la capacité de l’Union à faire face à de telles situations. De nombreuses affaires récentes ayant un écho au niveau de l’UE concernaient l’indépendance du processus judiciaire. D’autres exemples ont trait à l’affaiblissement des cours constitutionnelles, à un recours accru à des ordonnances ou aux attaques répétées d’une branche de l'État contre une autre. De manière plus large, la corruption à haut niveau et l’abus de pouvoir sont liés à des situations où le pouvoir politique cherche à bafouer l’état de droit, tandis que les manœuvres visant à saborder le pluralisme et à affaiblir des observateurs critiques essentiels tels que la société civile et les médias indépendants sont autant de signaux d’alerte des menaces qui pèsent sur l’état de droit.
Dans sa communication du 3 avril 2019, la Commission européenne a donné un aperçu des divers instruments disponibles aujourd’hui pour relever les défis qui se posent à l’état de droit au sein de l’Union et a ouvert un débat sur la manière de le renforcer. Les institutions et organes de l’UE, les États membres, les organisations internationales, les réseaux judiciaires, la société civile et le monde académique ont pris part à ce débat et apporté de précieuses contributions. Ce débat a clairement fait ressortir l’importance de l’état de droit et la nécessité de disposer dans l’Union d’instruments plus puissants pour le faire respecter, ce qui rejoint la préoccupation grandissante pour les questions liées à l’état de droit exprimée par les institutions de l’Union européenne.
À Sibiu, en mai 2019, les dirigeants européens se sont unanimement engagés à «[continuer] à protéger notre mode de vie, la démocratie et l'état de droit». Le Conseil européen a confirmé l’engagement de Sibiu dans son programme stratégique adopté le 21 juin 2019. Il plaide en faveur d’une plus grande priorité à accorder aux questions liées à l’état de droit au Conseil européen et au Conseil. Le respect de l’état de droit a occupé une place de choix lors des débats au Parlement européen pendant la législature 2014-2019, ainsi que dans les programmes des présidences du Conseil. Il a également été un thème de campagne important lors des élections européennes de 2019. Les partis politiques européens ont commencé à se demander si les partis qui remettent en question l’état de droit et les valeurs communes de l’UE ne devraient pas être exclus des partis.
Bien que ce débat doive se poursuivre, la présente communication énonce des actions concrètes pour le court et le moyen termes. Certaines actions peuvent être mises en œuvre immédiatement. D’autres devront être développées ultérieurement pour constituer un chantier de premier ordre pour la prochaine Commission, le Parlement européen et le Conseil. Le renforcement de l’état de droit dans l’Union est, et doit rester, un objectif central pour tous.
II.
L’ÉTAT DE DROIT: UNE VALEUR PARTAGÉE PAR LES EUROPÉENS
Depuis la communication d’avril, le débat sur l’état de droit s’est intensifié. La Commission a pu profiter d’un large éventail de contributions et de réflexions. Elle a reçu 60 contributions écrites d’acteurs institutionnels nationaux, européens et internationaux ainsi que de la société civile et du monde académique. Elle a aussi participé à des conférences et à des débats au niveau européen et dans les capitales. Les contributions ont souligné l’importance de l’état de droit et le caractère impérieux de son respect dans l’Union. Elles ont aussi confirmé la pertinence et la complémentarité des trois piliers présentés dans la communication d’avril: la promotion, la prévention et la réponse à apporter. Certains ont considéré que le développement des instruments était une priorité, tandis que d’autres ont estimé qu’une meilleure application des outils existants ferait déjà la différence. Quelques contributions s’interrogeaient sur la dimension européenne de la question. Cette interrogation reflète une réalité, à savoir que l’importance de l’état de droit dans le fonctionnement de l’UE, pour ses citoyens et ses entreprises, ne peut être prise comme allant de soi et qu’il convient de la promouvoir et de l’expliquer davantage. Elle souligne aussi combien il est important de montrer que l’action de l’UE est objective, proportionnée et non discriminatoire et que l’Union ne devrait apporter une réponse formelle que lorsque les mécanismes nationaux d’équilibre des pouvoirs sont inopérants.
En outre, en avril 2019, la Commission a mené une enquête Eurobaromètre dans l’ensemble des États membres. Les résultats révèlent un soutien massif apporté à l’état de droit, avec des différences mineures entre les États membres. Plus de 80 % des citoyens de l’ensemble des États membres ont reconnu l’importance des principes fondamentaux de l’état de droit. Parmi les autres conclusions marquantes de l’enquête, l’importance que revêtent les médias et la société civile pour obliger les personnes au pouvoir à rendre des comptes jouit d’un large soutien, plus de 85 % des Européens jugeant qu’il est important que les médias, les journalistes et la société civile puissent travailler librement et exprimer des critiques sans risquer d’être intimidés.
L’Eurobaromètre a aussi souligné que les Européens considèrent qu'il est important que l’état de droit s’applique dans toute l’Union, 89 % d’entre eux se prononçant pour un respect de l’état de droit dans tous les autres États membres de l’Union.
Les Européens ont également plaidé pour une amélioration de l’état de droit avec, de nouveau, une majorité claire (plus de 80 %) en faveur d’améliorations aux principes clés de l’état de droit. Le besoin d’améliorations s’est surtout fait ressentir dans la protection juridictionnelle effective, la légalité et la lutte contre les décisions arbitraires - ainsi que dans la liberté des médias et la société civile.
La consultation menée après la communication d’avril a aussi rendu compte de l’importance que revêt l’état de droit pour les citoyens et qui se traduit par la volonté de nombreuses organisations de la société civile et milieux académiques de s’engager davantage dans la promotion et la prévention de l’état de droit et de faire office de lanceurs d’alerte quand des problèmes surgissent. Parmi les actions qui semblaient particulièrement intéressantes figurent l’organisation de dialogues avec les citoyens à l’échelle de l’UE, le développement de connaissances sur l’état de droit grâce à des sources accessibles et faciles d’utilisation et des plateformes ouvertes pour partager des informations et des alertes.
III.
UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE POUR L’ENSEMBLE DES ÉTATS MEMBRES ET DES INSTITUTIONS DE L’UE
Le respect de l’état de droit en tant que valeur commune incombe d’abord et avant tout à chaque État membre. Garantir le bon fonctionnement de leur état de droit est une responsabilité constitutionnelle interne mais aussi une responsabilité vis-à-vis de l’Union et des autres États membres. Le principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, du TUE) souligne l’obligation des États membres de faciliter l’accomplissement par l’Union de sa mission et de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. Il souligne également l’obligation de l’Union et des États membres de s’assister mutuellement, ce qui signifie qu’il est de la responsabilité de l’ensemble des institutions de l’Union de fournir une assistance proportionnée aux États membres afin que ces derniers garantissent le respect de l’état de droit.
La communication d’avril fait remarquer que l’état de droit est aussi l’un des principes qui guident l’action extérieure de l’UE et qu’il est devenu peu à peu un élément central du processus d’adhésion à l’Union et de la politique de voisinage. Le programme stratégique du Conseil européen confirme que la défense des valeurs européennes devrait être au cœur des relations extérieures de l’Union. La Commission soutient déjà activement les réformes de l’état de droit dans les pays tiers.
Une autre obligation essentielle des États membres est de garantir aux citoyens l’exercice de leurs droits, en leur permettant notamment d’accéder à la justice et à des procès équitables. En vertu de l’article 19 du TUE, tous les États membres confient aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit. En effet, les juridictions nationales jouent un rôle crucial dans l’application du droit de l’Union, car elles sont chargées en premier lieu d’appliquer le droit de l’Union et de mettre en œuvre le mécanisme de renvoi préjudiciel, en vertu de l’article 267 du TFUE, afin de garantir la cohérence et l’uniformité de l’interprétation du droit de l’UE. À cet égard, et comme le confirme la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne, la garantie de l’indépendance judiciaire est une obligation juridique qui est au cœur de l’état de droit.
L’article 19, paragraphe 1, du TUE exige une protection juridictionnelle effective par des tribunaux indépendants pour concrétiser la valeur de l’état de droit. Cette disposition est au cœur d’un certain nombre de renvois préjudiciels des juridictions nationales et de procédures d’infraction engagées par la Commission devant la Cour. Dès 2006, la Cour a jugé que la notion d’«indépendance de la justice» était un concept autonome du droit de l’Union sous-entendant que les juges devaient être protégés contre toute intervention extérieure susceptible de mettre en péril l’indépendance de leur jugement
. Cet arrêt a été suivi en 2018 et en 2019 par un certain nombre d’arrêts importants. La Cour a estimé que les États membres sont tenus, en vertu du droit de l’Union, de veiller à ce que leurs juridictions répondent aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, expression concrète de l’état de droit, et que l’indépendance des juridictions nationales est essentielle pour assurer cette protection juridictionnelle
.
Dans d’autres arrêts, la Cour a défini plus en détail les exigences des garanties d’indépendance et d’impartialité, notant leur importance capitale tant pour le bon fonctionnement du système de coopération judiciaire incarné par le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 du TFUE que pour les instruments de droit dérivé fondés sur le principe de confiance mutuelle
. La Cour a également pris des mesures provisoires pour suspendre les réformes nationales susceptibles de compromettre l’indépendance du pouvoir judiciaire
. Plus récemment, la Cour a statué que, bien que l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence nationale, ces derniers doivent, au moment d’exercer cette compétence, se conformer aux obligations qui leur incombent en vertu de la législation de l’Union européenne et peuvent par conséquent faire l’objet d'un contrôle par la Cour
. D’autres affaires introduites par des juridictions nationales et la Commission sont pendantes devant la Cour et pourraient conduire à une nouvelle évolution importante de la jurisprudence.
Il existe également une jurisprudence évolutive de la Cour qui souligne que les problèmes systématiques liés à l’état de droit peuvent avoir une incidence particulière dans le domaine des finances de l’Union
.
IV.
ACTIONS VISANT À RENFORCER L’ÉTAT DE DROIT
La communication d’avril présente les instruments existants pour encourager et faire appliquer l’état de droit dans l’Union. Après évaluation de l’expérience acquise à ce jour, la Commission a dégagé des pistes pour renforcer ces instruments en se basant sur trois piliers: la promotion d’une culture de l’état de droit, la prévention des problèmes liés à l’état de droit pour qu’ils n’apparaissent pas ou ne s’approfondissent pas et la capacité de prendre conjointement des mesures efficaces lorsqu’un problème sérieux est constaté.
Il est important de rappeler ici les principes fondamentaux qui sous-tendent l’action de l’Union en matière d’état de droit. Premièrement, tant l’UE que les autres États membres ont un intérêt légitime à ce que l’état de droit fonctionne correctement au niveau national. Deuxièmement, la responsabilité de garantir l’état de droit incombe avant tout à chaque État membre et les mécanismes nationaux de recours devraient toujours être utilisés en premier lieu. Troisièmement, le rôle de l’UE dans ce domaine doit être objectif et tous les États membres doivent bénéficier d’un traitement égal; l’ensemble de ses institutions doivent contribuer selon leur rôle institutionnel respectif. Enfin, l’objectif ne doit pas être d’infliger une sanction, mais de trouver une solution qui protège l’état de droit, axée sur la coopération et le soutien mutuel – sans exclure une réponse effective, proportionnée et dissuasive en dernier ressort.
Promotion: renforcer les connaissances et promouvoir une culture commune de l’état de droit
Le meilleur moyen d’assurer le respect de nos valeurs communes est l’existence d’une culture politique et juridique solide soutenant l'état de droit dans tous les États membres. Il n’est toutefois pas possible d’affirmer que c’est toujours le cas. Les changements politiques survenus dans plusieurs États membres ont généré des situations dans lesquelles des principes tels que la séparation des pouvoirs, la coopération loyale entre les institutions et le respect de l’opposition ou de l’indépendance judiciaire semblent avoir été mis à mal – parfois en raison de choix stratégiques délibérés. Un manque d’informations et une connaissance limitée par le grand public des problèmes liés à l’état de droit constituent un terreau propice à de tels développements. L’enquête Eurobaromètre a révélé que plus de la moitié des Européens estiment ne pas avoir une connaissance suffisante des valeurs fondamentales de l’Union.
Ces lacunes doivent être comblées par des actions en amont de promotion de l’état de droit au sein de l’Union, tant au niveau professionnel que dans le grand public. De telles actions chercheraient à enraciner l’état de droit dans le discours politique national et européen, à la fois en diffusant les connaissances concernant les exigences et les normes liées au droit de l’UE et l’importance de l’état de droit pour les citoyens et les entreprises et en habilitant les parties prenantes désireuses de promouvoir les questions liées à l’état de droit. Pour que les citoyens et les entreprises aient conscience du rôle et de l’importance des systèmes judiciaires, ceux-ci doivent être modernes et accessibles. La confiance mutuelle dans les systèmes judiciaires des autres États membres revêt aussi une importance capitale et constitue une condition préalable à un marché unique fonctionnant réellement.
L’intention du Conseil de discuter de sa propre approche de l’état de droit sous la présidence finlandaise à l’automne 2019 pourrait apporter des améliorations utiles à la promotion de l’état de droit parmi les États membres.
La société civile, les médias, le monde universitaire et les systèmes éducatifs des États membres ont tous un rôle à jouer en garantissant une place à l’état de droit dans les débats publics et les programmes éducatifs. L’un des principaux défis à cet égard consiste à promouvoir une culture de l’état de droit au sein du grand public, comme le souligne la recommandation du Conseil relative à la promotion de valeurs communes. La Commission a reçu des contributions d’organisations de la société civile témoignant de leur volonté d’approfondir ces travaux. La Commission donnera suite à l’idée d’une manifestation annuelle consacrée à l’état de droit en vue d’établir un dialogue avec et entre les organisations de la société civile et les décideurs politiques au niveau de l’UE. La Commission demeurera également particulièrement attentive aux tentatives visant à faire pression sur la société civile et les médias indépendants, dont elle continuera à soutenir le travail. Dans le contexte du nouveau cadre financier pluriannuel, bien que ces programmes ne soient pas spécifiques à l’état de droit, la Commission a proposé un cadre de financement plus solide et plus cohérent pour ce type de travaux au titre du futur programme «Droits et valeurs» et du programme «Europe créative». La Commission invite le Parlement européen et le Conseil à adopter rapidement ces programmes afin qu’ils puissent démarrer en temps opportun. Par ailleurs, la recherche financée par l’UE sur l’état de droit devrait continuer d’être encouragée et les résultats des projets en cours dûment diffusés.
La transparence et l’accès à l’information sont des outils essentiels pour la société civile et les médias dans le cadre des mécanismes d’équilibre des pouvoirs au niveau national. Les lois sur la transparence et l’accès aux informations doivent être effectivement appliquées dans tous les États membres et au niveau de l’UE. Afin de renforcer la visibilité de l’état de droit, la Commission a l’intention de mettre au point une stratégie de communication spécifique sur l’état de droit, notamment pour rendre les informations pertinentes accessibles dans toutes les langues officielles et pour expliquer clairement son importance pour l’Union dans son ensemble ainsi que pour les particuliers et les entreprises.
Les réseaux européens jouent déjà un rôle important dans la promotion et l’échange d’idées et de bonnes pratiques. Au sein du système judiciaire, des réseaux tels que le réseau européen des présidents des Cours suprêmes de l’Union européenne, l’Association des Conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’UE, le réseau européen des conseils de la justice et le réseau européen de formation judiciaire devraient être soutenus pour promouvoir davantage l’état de droit. Le soutien de la Commission à tous ces réseaux devrait donner la priorité aux projets visant à promouvoir l’état de droit, en mettant particulièrement l’accent sur les États membres confrontés à des difficultés en matière d’état de droit. La poursuite de la coopération entre les institutions chargées du contrôle constitutionnel devrait également être encouragée et soutenue, y compris en ce qui concerne les activités de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes. Le réseau européen des médiateurs pourrait également poursuivre ses échanges d’expériences et de bonnes pratiques en matière de promotion d’une bonne administration et contribuer à la collecte et à la diffusion de données pertinentes.
De manière plus générale, les systèmes judiciaires nationaux ont également un rôle important à jouer pour assurer la promotion des normes dans le domaine de l’état de droit. La participation des conseils judiciaires nationaux, des juges et des procureurs aux débats nationaux sur les réformes judiciaires constitue en soi une partie importante des mécanismes d'équilibre des pouvoirs au niveau national.
Les parlements nationaux jouent également un rôle essentiel pour garantir l’état de droit dans les États membres, à la fois en tant que législateurs et en tant qu’instances habilitées à demander des comptes à l’exécutif. Le Parlement européen, la Conférence des Organes parlementaires spécialisés dans les Affaires de l’Union des Parlements de l’Union européenne et la Conférence des Présidents des Parlements de l’Union européenne pourraient accorder la priorité au dialogue interparlementaire sur les questions relatives à l’état de droit, par exemple en organisant une manifestation annuelle. Ce thème pourrait également être abordé dans les débats parlementaires nationaux sur les questions européennes. La Commission est disposée à contribuer à stimuler ce dialogue. Des échanges parlementaires bilatéraux et un soutien, par exemple en ce qui concerne les meilleures pratiques du point de vue de l’amélioration de la réglementation (telles que la législation fondée sur des données factuelles ou la transparence des procédures) ou des groupes parlementaires représentant divers partis sur l’état de droit, seraient également bénéfiques.
La communication d’avril a souligné la contribution qui pourrait découler de l’intensification de la coopération avec les travaux du Conseil de l’Europe. Le mémorandum d’accord de 2007 entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne confère au Conseil de l’Europe un rôle spécifique en tant que «référence en matière de droits de l’homme, de primauté du droit et de démocratie en Europe» et l’UE s’est engagée à tenir compte de ses travaux. Dans le plein respect des responsabilités institutionnelles et politiques des deux institutions, la Commission a l’intention de s’appuyer sur cette coopération et d’accroître la participation de l’UE au sein des organes du Conseil de l’Europe, en rendant la coopération au niveau des services plus forte et plus systématique. L’UE participe déjà activement au Conseil de l’Europe à de nombreux niveaux, y compris avec la Commission en tant qu’observateur à la Commission de Venise. Une nouvelle étape importante consiste, pour l’Union européenne, à disposer du statut d’observateur au sein du groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe. En accord avec le Conseil, la Commission a pris les mesures nécessaires pour demander le statut d’observateur, qui lui a été accordé en juillet 2019. L’UE apporte un financement important aux activités du Conseil de l’Europe.
L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
constituera un signal politique fort de l’engagement de l’Union en faveur de l’état de droit et de son soutien à la Convention et à son système d’exécution, notamment judiciaire. La Commission a intensifié ses efforts en vue de la reprise des négociations d’adhésion
.
La Commission approfondira également sa coopération avec d’autres institutions internationales travaillant sur des questions relatives à l’état de droit, grâce à une coopération renforcée et plus systématique au niveau des services. Il s’agit notamment de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui travaille sur l’état de droit dans le cadre de ses travaux sur la démocratisation, et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le cadre de laquelle la coopération pourrait explorer les avantages socio-économiques de l’état de droit.
Le travail du rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats et de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui assure le secrétariat de la convention contre la corruption, ainsi que de la Banque mondiale, a également contribué au débat au sein de la communauté internationale sur l’état de droit et ses implications.
Des organisations internationales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques travaillent sur la question sous l’angle du développement économique et de l’importance de l’état de droit pour le climat général des affaires et des investissements. Le Comité économique et social européen a également souligné la nécessité de prendre davantage en considération les aspects économiques de l’état de droit. Le Semestre européen pour la coordination des politiques économiques a tenu compte de l’importance de l’état de droit pour l’environnement des entreprises dans ses travaux visant à promouvoir des réformes structurelles propices à la croissance dans des domaines tels que l’efficacité des systèmes de justice et la lutte contre la corruption - un lien également reconnu par la Banque centrale européenne et les partenaires sociaux européens, soulignant l’importance de l’état de droit en tant que garantie pour les citoyens, les employeurs et les travailleurs européens.
La Commission entend s’appuyer sur la volonté de tous ces acteurs de s’engager à renforcer l’état de droit
.
La Commission entend:
·exploiter pleinement les possibilités de financement offertes à la société civile et aux milieux universitaires pour soutenir le renforcement d’une culture de l’état de droit, en particulier auprès du grand public, et assurer le suivi de l’idée d’un événement annuel consacré à l’état de droit ouvert aux parties prenantes nationales et aux organisations de la société civile;
·renforcer la coopération avec le Conseil de l’Europe, y compris la Commission de Venise et le GRECO, et envisager d’y apporter un soutien accru dans le cadre des priorités de l’Union en matière d’état de droit;
·renforcer la coopération avec d’autres organisations internationales telles que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Organisation de coopération et de développement économiques;
·s’appuyer sur la coopération avec les réseaux judiciaires et autres réseaux européens afin de promouvoir les normes relatives à l’état de droit, y compris tout soutien qui pourrait être demandé en ce qui concerne la coopération entre les cours constitutionnelles;
·élaborer une stratégie de communication publique spécifique sur l’état de droit, notamment en modernisant le site web consacré à l’état de droit afin qu’il devienne un point de référence pour toutes les informations pertinentes.
La Commission invite:
·le Parlement européen et les parlements nationaux à développer une coopération interparlementaire spécifique sur les questions relatives à l’état de droit, à laquelle la Commission pourrait contribuer;
·le Conseil et les États membres à examiner les moyens de promouvoir les normes relatives à l’état de droit, y compris dans le cadre des discussions en cours ou à venir sur l’état de droit;
·les États membres à renforcer la promotion de l’État de droit aux niveaux national, régional et local, notamment par l’éducation et la société civile;
·les organisations de la société civile et les partenaires sociaux à poursuivre leur suivi et leur contribution au débat sur l’impact et les conséquences concrètes des défaillances de l’état de droit dans leur domaine de compétence respectif.
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Prévention: coopération et soutien pour renforcer l’état de droit au niveau national
La responsabilité de veiller au respect de l'état de droit au niveau national incombe en premier lieu aux États membres. Les autorités judiciaires nationales, associées à d’autres contre-pouvoirs nationaux, tels que les cours constitutionnelles et les médiateurs, constituent les premiers grands axes de défense contre les atteintes à l’état de droit émanant d’une quelconque branche de l’État. Néanmoins, l’UE a un rôle légitime à jouer en soutenant les autorités nationales et en veillant à ce que les évolutions négatives soient prises en compte à un stade précoce. Le rôle des institutions de l’Union devrait être de faciliter la coopération et le dialogue afin d’éviter que des problèmes n’atteignent le point où une réponse formelle est requise en vertu du cadre pour l’état de droit, par des procédures d’infraction ou par des actions au titre de l’article 7 du traité sur l’Union européenne.
Pour que l’UE puisse jouer pleinement son rôle à cet égard, les institutions de l’UE doivent acquérir une meilleure connaissance et une meilleure compréhension de l’évolution de la situation dans chaque État membre, en mettant en place un suivi spécifique, afin d’être en mesure d’identifier les risques pour l’état de droit, d’élaborer des solutions possibles et de cibler le soutien à un stade précoce. Ce suivi devrait porter sur l’évolution et les réformes liées à l’état de droit dans les États membres et contribuer à contrôler le caractère durable et irréversible des réformes qui ont été adoptées à la suite de l’intervention de l’UE, telles que les procédures d’infraction ou le mécanisme de coopération et de vérification.
Afin de renforcer les capacités de l’UE, la Commission a donc l’intention d’approfondir son suivi de l’évolution de la situation en matière d’état de droit dans les États membres. En coopération avec les États membres et les autres institutions de l’UE en tant que de besoin, ce suivi s’effectuera dans le cadre d’un cycle d’examen de l’état de droit, qui présentera les caractéristiques suivantes:
(I)Champ d'application
Le cycle d’examen couvrirait toutes les différentes composantes de l’état de droit, y compris, par exemple, les problèmes systémiques liés au processus d’adoption des lois, l’absence de protection juridictionnelle effective par des juridictions indépendantes et impartiales, ou le non-respect de la séparation des pouvoirs. L’examen porterait également sur la capacité des États membres à lutter contre la corruption et, lorsqu’il y a un rapport avec l’application du droit de l’UE, examinerait les questions concernant le pluralisme des médias et les élections. Il existe également un lien avec le contrôle de l’application effective du droit de l’Union, notamment la capacité de tous les acteurs jouant un rôle dans l’application du droit de l’Union à exercer leurs fonctions: les tribunaux, les parquets, les autorités répressives, les autorités indépendantes, les administrations publiques ayant un rôle de surveillance, les médiateurs et les institutions et défenseurs des droits de l’homme
.
Ce processus concernerait tous les États membres, mais il devrait être plus approfondi dans les États membres où des risques de régression ou des faiblesses particulières ont été constatés.
(II)Sources d'information
Le cycle d’examen reposerait sur une utilisation cohérente des sources d’information existantes. Cela permettrait de mettre davantage l’accent sur une série de domaines présentant de l’intérêt pour l’état de droit. Il faut que tous les acteurs - tant institutionnels que de la société civile - partagent des informations et fassent entendre leur position. Il existe de nombreuses sources d’information, notamment les organes du Conseil de l’Europe, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ainsi que des organes de l’UE tels que l’Agence des droits fondamentaux
. Cette Agence, dont le mandat couvre les droits pertinents en matière d’état de droit, comme le droit à un recours juridictionnel effectif, a mis au point le système d’information européen sur les droits fondamentaux (EFRIS) afin de faciliter l’accès aux informations et rapports pertinents existants concernant la situation dans les États membres. Cette diversité de sources d’information pourrait être mieux utilisée, regroupée et complétée plus efficacement que ce n’est le cas aujourd’hui. Les formes spécifiques qu’un tel suivi renforcé pourrait prendre devront être développées, y compris en coopération avec les autorités nationales et les autres institutions de l’UE, et devraient impliquer un processus de collecte d’informations et de dialogue permanent avec les autorités nationales et les parties prenantes.
(III)Participation des États membres et des parties prenantes
En plus de s’appuyer sur des sources pertinentes, la Commission invitera tous les États membres à s’engager davantage dans un échange mutuel d’informations et un dialogue sur des sujets liés à l’état de droit, tels que la réforme judiciaire, la lutte contre la corruption, et le processus législatif, ou sur des mesures de soutien à la société civile et aux médias indépendants en tant qu’acteurs de l’état de droit. Un certain nombre de ces questions sont déjà abordées dans le cadre du Semestre européen, lorsqu’elles sont liées à des facteurs essentiels pour la croissance. Ce dialogue sera complété par une approche plus ciblée en matière d’état de droit, englobant des aspects supplémentaires de l’état de droit. La régularité et l’intensité de la coopération devraient être renforcées dans les États membres où les problèmes liés à l’état de droit sont plus apparents, toujours dans le but de trouver des solutions collaboratives aux problèmes avant qu’ils ne s’aggravent.
Sur cette base, un réseau de points de contact nationaux dans les États membres devrait être mis en place pour le dialogue sur les questions relatives à l’état de droit. Ce réseau s’appuierait sur les contacts déjà existants dans les domaines pertinents pour l’état de droit, tels que les réseaux de points de contact nationaux dans le domaine de la justice et de la lutte contre la corruption
, et pourrait les intégrer. Il servirait de forum de discussion sur les questions horizontales, y compris, le cas échéant, sur le développement éventuel de la panoplie d’instruments dont dispose l’UE en matière d’état de droit, ainsi que pour le partage d’informations et de bonnes pratiques. Les personnes de contact seront des points focaux pour le dialogue bilatéral avec chaque État membre et contribueraient à la préparation et à la collecte d’informations pertinentes pour le rapport sur l’état de droit (voir ci-dessous). Le réseau de points de contact nationaux pourrait constituer un forum d’alerte rapide sur les réformes liées à l’état de droit et de discussion entre les États membres.
Les organes compétents du Conseil de l’Europe, l’OSCE et l’OCDE, ainsi que les réseaux judiciaires pourraient également être invités à partager leur expertise et à présenter leurs points de vue, y compris les réseaux européens des présidents des Cours suprêmes de l’UE, l’Association des Conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’UE et le réseau européen des conseils de la justice.
Ce processus de dialogue est particulièrement opportun pour détecter tôt d’éventuels problèmes liés à l’état de droit. Un cadre bien défini et avec des échéances régulières permet en effet d’améliorer la compréhension et de réduire au minimum le risque de confrontation. Le dialogue offre également aux États membres la possibilité d’examiner, dès leur phase préparatoire, des réformes délicates quant à l’état de droit, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Les normes élaborées par la Cour de justice peuvent servir d’indicateurs pour signaler les domaines dans lesquels les réformes devraient être envisagées avec prudence (par exemple, des réformes pouvant nuire – et parfois involontairement – à l’indépendance des magistrats ou des autorités de régulation). Ce dialogue permettra de déterminer s’il y a éventuellement lieu de solliciter un soutien ou une compétence externe au sujet d'évolutions nationales spécifiques.
(IV)Rapport annuel sur l’état de droit
Pour assurer la transparence et la sensibilisation nécessaires et pour maintenir l’état de droit au rang des priorités politiques de l’UE, la Commission entend publier chaque année un rapport sur l’état de droit résumant la situation de tous les États membres. Alimenté par les diverses sources décrites ci-dessus, ce rapport fournirait une synthèse des évolutions significatives dans les États membres et au niveau de l’UE, y compris de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, et d’autres informations utiles, telles que des extraits pertinents du tableau de bord de la justice dans l’UE et des rapports par pays établis dans le cadre du Semestre européen. Il serait l’occasion de faire le point sur l’état d’avancement des processus formels visant à garantir l’état de droit, ainsi que sur le travail accompli par les institutions de l’Union pour promouvoir les normes de l’état de droit et favoriser l’essor d’une culture correspondante. Il pourrait mettre en avant les meilleures pratiques et recenser les problèmes récurrents. Cet examen se limiterait aux questions touchant directement à l’état de droit dans l’UE.
Le tableau de bord de la justice dans l’UE, qui fournit des données comparatives sur l’indépendance, la qualité et l’efficacité des systèmes de justice nationaux, pourrait être approfondi et amélioré, notamment pour mieux couvrir les domaines liés à l’état de droit, comme en matière de justice pénale et administrative.
Le rapport sur l’état de droit pourrait en outre nourrir le dialogue avec le Parlement européen et le Conseil, ainsi que les discussions au sein de ceux-ci.
(V)Dialogues interinstitutionnels sur l’état de droit
Le cycle d’examen pourrait aider au maintien d’un débat dynamique et à l’amélioration continue des outils permettant de renforcer l’état de droit. Il pourrait constituer une contribution importante aux travaux du Parlement européen et du Conseil, idéalement dans le cadre d’un calendrier régulier et cohérent de coopération interinstitutionnelle.
Le Parlement européen et le Conseil pourraient exploiter le rapport annuel de la Commission sur l’état de droit pour alimenter leurs propres discussions et débats. En ce qui concerne le Conseil, l’examen pourrait, par exemple, nourrir les discussions qu’il consacre à l’état de droit ou faire l’objet d’un suivi dans les conclusions du Conseil. Dans ce contexte, la Commission se félicite des discussions à venir sur l’approche du Conseil à l’égard de l’état de droit, programmées durant la présidence finlandaise au second semestre de 2019 et qui, parallèlement aux débats en cours sur un mécanisme d’examen par les pairs, pourraient porter sur des synergies utiles. Le rapport annuel sur l’état de droit pourrait également servir de base aux débats au sein du Parlement européen et du Conseil. Le travail des institutions sera d’autant plus efficace qu’il s’inscrira dans un processus conjoint, auquel les différentes institutions pourraient également donner suite de diverses manières. D’autres institutions de l’UE, telles que le Comité économique et social et le Comité des régions, pourraient également apporter leur contribution.
La Commission se réjouit à la perspective d’approfondir les travaux menés avec le Parlement européen, le Conseil et les États membres dans les mois à venir et n’exclut aucune possibilité prévue par les traités pour améliorer la connaissance mutuelle des systèmes nationaux. En sa qualité de gardienne des traités, elle doit toutefois conserver son autonomie en ce qui concerne tant le contenu que le calendrier de ses propres évaluations. Une idée récurrente née du débat sur l’état de droit concerne la mise en place d’un panel d’experts indépendants en dehors de la Commission ou des institutions de l’UE, afin qu’il formule des avis éclairés et objectifs sur les enjeux liés à l’état de droit, tandis que d’autres propositions envisagent plutôt la création d’une nouvelle agence spécialisée. Ces approches soulèvent cependant un certain nombre de problèmes en termes de légitimité, d’équilibre des contributions et de responsabilité à l’égard des résultats. Certes, la Commission puise déjà dans toutes les sources légitimes d’information et de compétence et procède à des recoupements entre celles-ci – et elle continuera de le faire –, mais la compétence externe ne saurait se substituer aux évaluations effectuées par la Commission elle-même, d’autant plus lorsque les conclusions qu’elle en tire peuvent servir de fondement à des actes assortis d’effets juridiques et financiers, et susceptibles de recours devant la Cour de justice. D’ailleurs, ni le Parlement européen ni le Conseil ne peuvent déléguer l’élaboration de décisions à des organismes extérieurs. L’autorité et la responsabilité des institutions, telles que fixées par l’équilibre institutionnel découlant des traités, doivent être maintenues.
Enfin, la Commission invite également les partis politiques européens à faire en sorte que leurs membres nationaux prennent dûment en considération le respect de l’état de droit et agissent sur cette question qui figure en bonne place dans leurs programmes paneuropéens. Le règlement (UE, Euratom) nº 1141/2014 relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes
exige que ceux-ci respectent, notamment dans leurs programmes et leurs activités, les valeurs sur lesquelles se fonde l’Union, telles qu’énoncées à l’article 2 du TUE
. Dans l’hypothèse où la Commission aurait des raisons de douter du respect de ces valeurs, elle pourrait demander à l’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes de vérifier le respect des conditions énoncées dans ledit règlement
. Cette autorité pourrait décider de radier un parti politique ou une fondation politique si elle devait établir qu’il y a eu violation manifeste et grave de ces conditions.
La Commission entend:
·instituer un cycle d’examen de l’état de droit afin de vérifier la situation en la matière dans les États membres. À l’appui de ce processus, la Commission rédigera un rapport annuel sur l’état de droit, affinera le tableau de bord de la justice dans l’UE et renforcera le dialogue avec les autres institutions de l’UE, les États membres et les parties intéressées;
·instaurer un dialogue spécifique avec tous les États membres sur des sujets touchant à l’état de droit, notamment par l’intermédiaire d’un réseau de personnes de contact.
La Commission invite:
·les États membres à désigner leur point de contact national pour le dialogue et l’échange d’informations sur les questions relatives à l’état de droit;
·le Parlement européen et le Conseil à organiser un suivi spécifique du rapport annuel de la Commission sur l’état de droit et à convenir avec la Commission d’une approche intégrée pour rassembler de manière cohérente les travaux menés par les institutions sur la détection précoce et la résolution des problèmes liés à l’état de droit;
·les partis politiques européens à faire en sorte que leurs membres nationaux respectent effectivement l’état de droit.
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Réagir: mesures prises, au niveau de l’Union, pour faire respecter l’état de droit en cas de défaillance des mécanismes nationaux
Le développement de son approche de promotion et de prévention devrait rendre l’UE beaucoup plus solide et contribuer à la prémunir à l’avenir contre des atteintes graves et persistantes à l’état de droit. L’objectif est de réduire considérablement la nécessité de réagir au niveau de l’UE. Cependant, lorsque les mécanismes nationaux de protection de l’état de droit ne semblent pas en mesure de faire face aux menaces qui pèsent sur l’état de droit dans un État membre, il incombe conjointement aux institutions et aux États membres de l’UE de prendre des mesures pour remédier à cette situation. Cette responsabilité conjointe a été confirmée par la Cour de justice.
Dans de récents arrêts rendus dans le cadre de procédures d’infraction et de renvois préjudiciels, la Cour de justice a précisé les obligations découlant du droit de l’Union en ce qui concerne l’état de droit et, en particulier, l’indépendance de la justice
. Elle a réaffirmé l’importance de l’indépendance du pouvoir judiciaire et du respect de l’état de droit pour le bon fonctionnement de l’Union: elle a ainsi ordonné la suspension de législations nationales qui, selon l’évaluation que la Commission en avait faite, portaient atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire et elle a déclaré que l’organisation de la justice par les États membres était subordonnée au respect des obligations découlant du droit de l’Union. Ces décisions de la Cour ont ajouté une dimension importante aux processus en cours au niveau de l’UE pour préserver l’état de droit et jouent un rôle majeur dans la résolution des difficultés en la matière. Il existe également une jurisprudence évolutive de la Cour qui souligne que les problèmes systématiques liés à l’état de droit peuvent avoir une incidence particulière dans le domaine des finances de l’Union
.
La Commission tirera davantage parti de cette jurisprudence: elle est résolue à saisir la Cour de justice des atteintes à l’état de droit affectant l’application du droit de l’Union, lorsqu’il ne pourra y être remédié au moyen des mécanismes nationaux d’équilibre des pouvoirs. S’appuyant sur son approche actuelle pour faire respecter l’état de droit
et sur la jurisprudence évolutive de la Cour de justice, la Commission suivra une ligne de conduite stratégique pour les procédures d’infraction portant sur l’état de droit, en introduisant au besoin des demandes de procédure accélérée et de mesures provisoires. En outre, la Commission promouvra activement les normes élaborées dans la jurisprudence de la Cour de justice, notamment en compilant les conclusions et décisions pertinentes de celle-ci.
Comme souligné dans la communication d’avril et dans les contributions qui ont suivi, le temps est un facteur essentiel lorsque l’on doit gérer une éventuelle crise de l’état de droit. De nombreux problèmes liés à l’état de droit sont sensibles au facteur temps, et plus ils sont longs à résoudre, plus le risque est grand d’accentuer ces problèmes et plus l’État membre concerné et l’Union ont du mal à en corriger les effets négatifs. Il est donc important que les institutions de l’Union agissent rapidement et adoptent une approche plus cohérente et concertée, et, en particulier, que les processus formels prévus dans le cadre pour l’état de droit et à l’article 7 du TUE soient assortis de procédures et de délais plus clairs.
En ce qui concerne l’article 7 du TUE, les institutions devraient collaborer pour renforcer le caractère collectif de la prise de décision entre elles. La Commission salue l’intention du Conseil de mettre en place de nouvelles procédures en ce qui concerne les auditions au titre de l’article 7. Il s’agit d’une étape importante dans la mise en place d’une procédure plus efficace. Il serait particulièrement utile que le Conseil examine si les discussions au sein de sa configuration «Affaires générales» pourraient être améliorées moyennant leur préparation au niveau technique au sein d’un groupe de travail du Conseil. Il pourrait également être utile d’améliorer le processus décisionnel en ce qui concerne les étapes institutionnelles, grâce à des règles de procédure claires. Afin d’assurer l’équilibre institutionnel, il convient de donner au Parlement européen la possibilité de faire valoir ses arguments dans les procédures qu’il a engagées. La participation ponctuelle des organes du Conseil de l’Europe ou d’autres experts externes pourrait également être envisagée.
La Commission réfléchira également à la manière d’associer davantage d’autres institutions dès les premiers stades du processus relatif au cadre pour l’état de droit de 2014, tout en respectant la nécessité d’un dialogue confidentiel avec l’État membre concerné au début de la procédure. L’objectif principal devrait toujours être de trouver une solution le plus tôt possible; à défaut, il est possible de parvenir à un compromis en veillant à ce que le Parlement européen et le Conseil soient pleinement informés de l’état de la procédure et puissent exprimer leur point de vue en connaissance de cause avant qu’une étape critique ne soit franchie. Cela ira de pair avec une approche plus collective de l’état de droit entre les institutions.
L’évaluation permanente de la situation, réalisée de manière objective et fondée sur une expertise solide et des informations pertinentes, est un aspect crucial. Le processus doit continuer à reposer sur des normes publiques et reconnues en matière d’état de droit. L’évaluation et le dialogue devraient s’appuyer sur toutes les sources d’expertise pertinente disponibles, et la Commission conservera son autonomie et son indépendance d’appréciation, conformément à son rôle de gardienne des traités
. Les États membres confrontés à une procédure relative à l’état de droit peuvent également faire appel à la compétence des organes du Conseil de l’Europe ou d’autres organismes indépendants, pas seulement pour résoudre le problème, mais aussi pour démontrer leur bonne foi et permettre un dialogue constructif. L’avis de ces organes peut également être sollicité en l’absence de paramètres clairement définis sur une question spécifique.
Afin de garantir une approche efficace de l’Union en matière d’état de droit et un esprit de coopération sincère, il est essentiel d’apaiser rapidement les tensions ou de prévoir la possibilité de mettre fin au processus formel visant à garantir l’état de droit dès que l’État membre concerné a pris les mesures nécessaires pour rétablir le respect de l’État de droit. L’Union et les autres États membres doivent avoir l’assurance suffisante que l’état de droit a été rétabli de manière durable. À cette fin, l’annonce de l’intention de clore une procédure pourrait être liée à l’aide apportée par la Commission à l’État membre concerné, afin de garantir, notamment par un suivi spécifique, que les engagements sont effectivement mis en œuvre et maintenus. Le même suivi pourrait également être utilisé après la fin de processus spécifiques tels que le mécanisme de coopération et de vérification.
Outre les procédures formelles liées à l’état de droit, il peut également être nécessaire d’agir dans des domaines spécifiques de l’activité de l’Union potentiellement affectés par les défaillances de l’état de droit dans les États membres. Dans des arrêts récents, la Cour de justice a par exemple souligné l’incidence de certaines défaillances généralisées en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire pour la confiance mutuelle sur laquelle se fondent les instruments adoptés dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
Cette approche protectrice du fonctionnement de l’Union est aussi au cœur du règlement que la Commission a proposé en 2018 pour assurer la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre. Une telle approche pourrait être nécessaire dans les politiques européennes autres que celle visant à protéger les intérêts financiers de l’Union, afin d’éviter ou de pallier les risques pour la mise en œuvre de la législation ou des politiques de l’Union. La Commission examinera la nécessité de prendre d’autres mesures pour remédier à l’incidence que des problèmes persistants liés à l’état de droit pourraient avoir sur d’autres politiques de l’Union.
La protection des intérêts financiers de l’Union pourrait déjà bénéficier d’améliorations opérationnelles. Sur la base des actions prévues dans sa nouvelle stratégie antifraude (CAFS), la Commission examinera les possibilités de mettre en place une fonction d’analyse de données issues de différentes sources portant sur les systèmes en place dans les États membres pour la protection des intérêts financiers de l’Union. Cette fonction pourrait permettre de recenser les problèmes de gestion des risques liés aux intérêts financiers de l’Union et éventuellement de donner l’alerte lorsque des situations problématiques se profilent, par exemple en cas de réaction lente ou lacunaire aux rapports de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – et, dans l’avenir, à la suite de la coopération avec le Parquet européen – ou d’insuffisance des structures de contrôle nationales. L’idée serait d’intervenir très tôt et de déterminer si le problème est ponctuel ou récurrent. Ce système pourrait soutenir le mécanisme décrit dans la proposition de la Commission concernant la défaillance généralisée de l’état de droit, ou d’autres procédures liées à la protection des intérêts financiers de l’Union.
La Commission:
·fera pleinement usage de ses prérogatives de gardienne des traités pour garantir le respect des exigences du droit de l’Union en matière d’état de droit;
·poursuivra une approche stratégique en matière de procédures d’infraction, en s’appuyant sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et en promouvant les normes établies par cette jurisprudence, notamment en compilant les conclusions de la Cour en la matière;
·réfléchira à la manière d’associer plus régulièrement d’autres institutions de l’Union à la mise en œuvre du cadre pour l’état de droit de 2014;
·aidera les États membres à apaiser les tensions ou à mettre fin au processus formel visant à garantir l’état de droit, notamment en assurant un suivi;
·examinera, d’ici à fin 2020, si l’incidence des problèmes persistants liés à l’état de droit sur la mise en œuvre des politiques de l’Union exige de mettre en place des mécanismes nouveaux, complémentaires de la proposition de règlement relatif à la protection du budget de l’Union;
·étudiera la possibilité de créer, en s’appuyant sur sa stratégie antifraude, une fonction d’analyse des données permettant de mieux repérer les problèmes de gestion des risques liés à la protection des intérêts financiers de l’Union. Elle explorera aussi la possibilité de donner l’alerte, si nécessaire, lorsque des situations problématiques se profilent.
La Commission invite:
·le Parlement européen et le Conseil à examiner la manière dont les institutions pourraient mener les procédures relevant de l’article 7 du TUE dans un esprit plus collectif;
·le Conseil à concrétiser son intention louable d’établir des règles de procédure plus claires et plus stables pour l’application du processus relevant de l’article 7;
·le Parlement européen et le Conseil à adopter rapidement le règlement relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre.
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V.
CONCLUSIONS ET PROCHAINES ÉTAPES
Le respect de l’état de droit est une responsabilité partagée de toutes les institutions de l’Union et de tous les États membres. Toutes les parties doivent assumer cette responsabilité et jouer leur rôle. Outre les mesures qu’elle prendra au titre de la présente communication, la Commission est déterminée à poursuivre le débat et à adopter des mesures supplémentaires, le cas échéant, dans sa sphère de compétence. L’objectif commun doit être de créer dans l’Union une approche stratégique coordonnée et cohérente qui associe tous les acteurs concernés. Parmi les principaux éléments d’une telle approche stratégique figurent la mise en avant d’une culture commune de l’état de droit dans toute l’Union, la capacité effective de traiter les problèmes en amont grâce à des mesures préventives, ainsi que l’engagement à mener une action conjointe efficace chaque fois que nécessaire pour endiguer les problèmes lorsque les mesures préventives ne suffisent pas.
La présente communication énonce des engagements et des pistes de réflexion qui s’inscrivent dans le plan d’action proposé par la Commission. Il sera nécessaire d’assurer un suivi continu ces prochains mois, en coopération avec les autres institutions, États membres et parties prenantes de l’Union. Le débat a mis en lumière de nombreuses idées positives dignes d’être approfondies et aptes à alimenter les actions concrètes qui seront menées dans l’avenir en complément des mesures prises au titre de la présente communication. La Commission invite toutes les parties intéressées à participer à ce débat et se réjouit à la perspective de s’entretenir avec le Parlement nouvellement élu et le Conseil au sujet de la mise en place d’une approche coordonnée.
Dans l’intervalle, la Commission continuera à jouer pleinement son rôle de gardienne des traités, en prenant les mesures adaptées qui s’imposent pour faire respecter le droit de l’Union, et s’emploiera à renforcer la capacité de l’Union à cet égard, ce qui devrait permettre de consolider l’état de droit dans l’Union et de refléter pleinement l’importance cruciale de l’état de droit pour tous les citoyens de l’Union, mais aussi pour l’Union tout entière.