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Document 62016CJ0219

Unionin tuomioistuimen tuomio (toinen jaosto) 28.6.2018.
Lowell Financial Services GmbH vastaan Euroopan komissio.
Muutoksenhaku – Valtiontuet – Saksan verolainsäädäntö, joka koskee tiettyjen tappioiden siirtämistä seuraaville verovuosille (saneerauslauseke) – Päätös, jolla tukijärjestelmä todetaan sisämarkkinoille soveltumattomaksi – Kumoamiskanne – Tutkittavaksi ottaminen – SEUT 263 artiklan neljäs kohta – Yksityistä erikseen koskeva toimi – SEUT 107 artiklan 1 kohta – Valtiontuen käsite – Valikoivuusedellytys – Viitejärjestelmän määrittely – Tosiseikkojen oikeudellinen luonnehdinta.
Asia C-219/16 P.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:508

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

28 juin 2018 (*)

« Pourvoi – Aides d’État – Législation fiscale allemande concernant certains reports de pertes sur les années fiscales futures (“clause d’assainissement”) – Décision déclarant le régime d’aide incompatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Personne individuellement concernée – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Condition relative à la sélectivité – Détermination du cadre de référence – Qualification juridique des faits »

Dans l’affaire C‑219/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 14 avril 2016,

Lowell Financial Services GmbH, anciennement GFKL Financial Services AG, établie à Essen (Allemagne), représentée par Mes M. Schweda, J. Eggers, M. Knebelsberger et F. Loose, Rechtsanwälte,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et T. Maxian Rusche ainsi que par Mme K. Blanck-Putz, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République fédérale d’Allemagne,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 octobre 2017,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Lowell Financial Services GmbH, anciennement GFKL Financial Services GmbH, elle-même anciennement GFKL Financial Services AG (ci-après « GFKL »), demande, à titre principal, l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 février 2016, GFKL Financial Services/Commission (T‑620/11, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:59), dans la mesure où, par celui-ci, le Tribunal a rejeté comme étant non fondé le recours de GFKL tendant à l’annulation de la décision 2011/527/UE de la Commission, du 26 janvier 2011, concernant l’aide d’État de l’Allemagne C 7/10 (ex CP 250/09 et NN 5/10) au titre de la clause d’assainissement prévue par la loi relative à l’impôt sur les sociétés (« KStG, Sanierungsklausel ») (JO 2011, L 235, p. 26, ci-après la « décision litigieuse »), ainsi que l’annulation de cette décision.

2        Par son pourvoi incident, la Commission européenne demande, en substance, l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où, par celui-ci, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité qu’elle avait soulevée à l’encontre de ce recours et, par conséquent, le rejet du recours de première instance comme étant irrecevable.

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

3        Les antécédents du litige et la décision litigieuse, tels qu’ils sont présentés aux points 1 à 31 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

 Le droit allemand

4        En Allemagne, en vertu de l’article 10d, paragraphe 2, de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu, ci-après l’« EStG »), les pertes réalisées au cours d’un exercice fiscal peuvent être reportées sur des exercices fiscaux ultérieurs, les revenus imposables des années suivantes étant alors diminués par soustraction de ces pertes (ci-après la « règle du report des pertes »). En vertu de l’article 8, paragraphe 1, du Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après le « KStG »), la règle du report des pertes s’applique aux entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés.

5        Cette possibilité de report de pertes conduisait à l’acquisition, aux seules fins d’économies d’impôts, d’entreprises ayant cessé toute activité commerciale, mais disposant encore de pertes pouvant être reportées. Afin d’empêcher de telles opérations, considérées comme abusives, le législateur allemand a, au cours de l’année 1997, introduit dans le KStG l’article 8, paragraphe 4, limitant la possibilité de report de pertes aux entreprises juridiquement et économiquement identiques à celles ayant réalisé les pertes.

6        L’article 8, paragraphe 4, du KStG a été abrogé avec effet au 1er janvier 2008 par l’Unternehmensteuerreformgesetz (loi portant réforme de la fiscalité des entreprises). Cette loi a inséré dans le KStG un nouvel article 8c, paragraphe 1 (ci-après, également, la « règle de la mise en non-valeur des pertes »), qui limite, voire exclut, la possibilité de reporter les pertes lorsqu’a lieu une acquisition de 25 % ou plus des parts d’une société (ci-après la « prise de participation préjudiciable »). Selon cette disposition, d’une part, en cas de transfert de 25 % à 50 % du capital souscrit, des droits des associés, des droits de participation ou des droits de vote détenus dans une société dans les cinq ans qui suivent le transfert, les pertes non utilisées tombent en non-valeur proportionnellement à la modification opérée, exprimée en pourcentage. D’autre part, en cas de transfert à un acquéreur de plus de 50 % du capital souscrit, des droits des associés, des droits de participation ou des droits de vote détenus dans une société, les pertes non utilisées ne sont plus déductibles.

7        Aucune exception à la règle de la mise en non-valeur des pertes n’était prévue. Les autorités fiscales pouvaient cependant, dans une situation de prise de participation préjudiciable visant à assainir une entreprise en difficulté, accorder une exonération d’impôt en équité, en application d’un décret du Bundesministerium der Finanzen (ministère fédéral des Finances, Allemagne) du 27 mars 2003.

8        Au mois de juin 2009, par le Bürgerentlastungsgesetz Krankenversicherung (loi sur l’assurance maladie relative à l’allègement fiscal au profit des citoyens), un paragraphe 1a a été inséré à l’article 8c du KStG (ci-après, également, la « clause d’assainissement » ou la « mesure litigieuse »). En vertu de cette nouvelle disposition, une entité peut procéder à un report de pertes, même en cas de prise de participation préjudiciable au sens de l’article 8c, paragraphe 1, du KStG, lorsque les conditions suivantes sont réunies : l’acquisition des parts vise à l’assainissement de la société ; au moment de l’acquisition, celle-ci est insolvable, surendettée ou menacée de le devenir ; ses structures essentielles sont conservées, ce qui se réalise, en substance, par le maintien des emplois, par un apport substantiel au capital d’exploitation ou par la remise de dettes encore recouvrables ; aucun changement de secteur économique n’a lieu dans les cinq années qui suivent l’acquisition de la participation et, au moment de l’acquisition de la participation, la société n’avait pas cessé ses activités.

9        La mesure litigieuse est entrée en vigueur le 10 juillet 2009 et s’applique rétroactivement depuis le 1er janvier 2008, date de l’entrée en vigueur de la règle de la mise en non-valeur des pertes.

 La décision litigieuse

10      À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a constaté que « l’aide d’État que [la République fédérale d’Allemagne] a octroyée illégalement sur le fondement de l’article 8c, paragraphe 1a, [du KStG] [...] n’est pas compatible avec le marché intérieur ».

11      Aux fins de la qualification de la clause d’assainissement en tant qu’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cette institution a notamment estimé que cette clause instaurait une exception à la règle, établie à l’article 8c, paragraphe 1, du KStG, qui prévoyait la mise en non-valeur des pertes non utilisées par des sociétés dont l’actionnariat avait été modifié, et que ladite clause était, par conséquent, susceptible de conférer un avantage sélectif aux entreprises qui réunissaient les conditions pour en bénéficier, lequel ne se justifiait pas par la nature ou l’économie générale du système fiscal, la mesure litigieuse visant à lutter contre les problèmes dus à la crise économique et financière, ce qui constituait un objectif extérieur à ce système. Aux articles 2 et 3 de cette décision, elle a néanmoins déclaré que certaines aides individuelles octroyées dans le cadre de cette réglementation étaient, sous réserve du respect de certaines conditions, compatibles avec le marché intérieur.

12      À l’article 4 de la décision litigieuse, la Commission a enjoint à la République fédérale d’Allemagne de récupérer auprès des bénéficiaires les aides incompatibles octroyées dans le cadre de la réglementation visée à l’article 1er de cette décision. En application de l’article 6 de cette dernière, cet État membre devait notamment communiquer à la Commission une liste de ces bénéficiaires.

 Les faits à l’origine du litige

13      GFKL est une société de services financiers qui, au cours de l’année 2009, était en risque d’insolvabilité. Le 14 décembre 2009, un investisseur a racheté près de 80 % de ses actions et a, le 4 décembre 2010, procédé à une injection de plus de 50 millions d’euros par augmentation de capital, aux fins de son assainissement. À la date de la cession des actions, GFKL remplissait les conditions d’application de la clause d’assainissement. Cela avait été constaté dans un renseignement contraignant émis le 3 septembre 2009 par le Finanzamt Essen-NordOst (administration fiscale d’Essen-NordOst, Allemagne) (ci-après le « renseignement contraignant »).

14      Par lettre du 24 février 2010, la Commission a informé la République fédérale d’Allemagne de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en ce qui concerne la mesure litigieuse. Par lettre du 30 avril 2010, le ministère fédéral des Finances a ordonné à l’administration fiscale allemande de ne plus appliquer cette mesure.

15      L’administration fiscale d’Essen-NordOst a alors annulé le renseignement contraignant et a adressé à GFKL un avis d’imposition relatif à l’impôt sur les sociétés pour l’exercice fiscal de l’année 2009, qui ne faisait pas application de ladite mesure.

16      Le 22 juillet 2011, la République fédérale d’Allemagne a communiqué à la Commission une liste des entreprises ayant bénéficié de la mesure litigieuse. Cet État membre a également communiqué une liste des sociétés pour lesquelles des renseignements contraignants relatifs à l’application de la clause d’assainissement avaient été annulés, dans laquelle GFKL figurait.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17      Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 2 décembre 2011, GFKL a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

18      Par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 16 mars 2012, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

19      Le 29 février 2012, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir dans la procédure au soutien des conclusions de GFKL. Cette demande a été accueillie par une ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal du 2 mai 2012.

20      L’exception d’irrecevabilité a été jointe au fond, conformément à l’article 114, paragraphe 4, de ce même règlement de procédure, par une ordonnance du Tribunal du 17 juillet 2014.

21      À l’appui de son recours, GFKL a soulevé quatre moyens, le premier étant tiré de l’absence de caractère a priori sélectif de la mesure litigieuse, le deuxième étant tiré de l’absence d’utilisation de ressources d’État, le troisième étant tiré d’un défaut de motivation et le quatrième étant tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.

22      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, rejeté l’exception d’irrecevabilité, en jugeant que GFKL était directement et individuellement concernée par la décision litigieuse au motif, en substance, qu’elle bénéficiait, dès avant l’adoption de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, d’un droit acquis à une économie d’impôt, certifié par les autorités fiscales allemandes, et qu’elle disposait, en outre, d’un intérêt à agir. Le Tribunal a, d’autre part, rejeté le recours de GFKL comme étant non fondé.

 Les conclusions des parties

23      Par son pourvoi, GFKL demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où le recours a été rejeté comme étant non fondé et d’annuler la décision litigieuse ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où le recours a été rejeté comme étant non fondé et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner GFKL aux dépens.

25      Par son pourvoi incident, la Commission demande, en substance, à la Cour :

–        d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter le recours de première instance comme étant irrecevable ;

–        de rejeter le pourvoi ;

–        d’annuler le point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué, en ce qu’il condamne la Commission à supporter un tiers de ses dépens, et

–        de condamner GFKL aux dépens afférents à la procédure devant la Cour et à la procédure devant le Tribunal.

26      GFKL conclut au rejet du pourvoi incident et à la condamnation de la Commission aux dépens.

 Sur le pourvoi incident

27      Le pourvoi incident portant sur la recevabilité du recours de première instance, question préalable à celles relatives au fond soulevées par le pourvoi principal, il y a lieu de l’examiner en premier lieu.

 Argumentation des parties

28      La Commission fait valoir que, aux points 43 à 73 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de la notion d’affectation individuelle au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

29      En premier lieu, se référant aux arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570), ainsi que du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368), la Commission soutient que le critère pertinent pour établir si un requérant est individuellement concerné par une décision de la Commission déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur réside dans le fait de savoir si ce requérant est un bénéficiaire effectif ou un bénéficiaire potentiel d’une aide octroyée au titre de ce régime. Seuls les bénéficiaires effectifs seraient individuellement concernés par une telle décision.

30      Or, aux points 56, 64 et 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait fondé sa décision non pas sur cette jurisprudence, mais sur des arrêts qui ne seraient pas pertinents pour la présente affaire. En effet, aucune des circonstances ayant permis de conclure, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, EU:C:1985:18), du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina (C‑519/07 P, EU:C:2009:556), du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, EU:C:2014:100), ainsi que du 27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission (C‑133/12 P, EU:C:2014:105), sur lesquels le Tribunal s’appuie dans ces points, que les requérants étaient concernés individuellement, ne serait présente en l’espèce.

31      Ainsi, contrairement à ce que le Tribunal aurait exposé aux points 57 et 68 de l’arrêt attaqué, l’appréciation de la recevabilité du recours de première instance dépendrait non pas de la « situation factuelle et juridique » de GFKL ou de l’existence d’un « droit acquis », mais exclusivement de la question de savoir si cette dernière a ou non effectivement bénéficié d’une aide au titre du régime d’aide en cause. Les points 69 et 70 de l’arrêt attaqué seraient également entachés d’une erreur en ce que, de l’arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368), sur lequel le Tribunal s’est appuyé à ce point 70, il pourrait seulement être déduit qu’il importe peu, aux fins de l’appréciation de l’affectation individuelle, que la décision de la Commission soit ou non assortie d’une injonction de récupération de l’aide effectivement octroyée.

32      En deuxième lieu, la Commission observe que l’élément déterminant retenu par le Tribunal, dans son analyse de la « situation factuelle et juridique » de GFKL, afin de constater que cette dernière est individuellement concernée par la décision litigieuse, consiste dans l’existence d’un « droit acquis », relevée au point 68 de l’arrêt attaqué. Or, si ce « droit acquis » devait être entendu comme un droit acquis au sens du droit de l’Union, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. En effet, un tel droit ne pourrait être reconnu qu’en application du principe de protection de la confiance légitime et, selon la jurisprudence de la Cour, le bénéfice de cette protection serait, en principe, exclu en ce qui concerne les aides octroyées en violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

33      En troisième lieu, sur la base de cette même observation, la Commission fait valoir que, pour le cas où, par « droit acquis », le Tribunal aurait visé un droit acquis au sens du droit national, il a aussi commis une erreur de droit, le bénéfice d’un droit acquis en vertu du droit national étant, dans les circonstances de l’espèce, également contraire à la jurisprudence excluant, dans le cas d’aides octroyées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le bénéfice d’un tel droit.

34      Le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué devrait, par conséquent, être annulé et, GFKL n’étant pas un bénéficiaire effectif du régime d’aide en cause, le recours de première instance devrait être rejeté comme étant irrecevable.

35      GFKL fait observer que les conclusions telles que formulées par la Commission dans son pourvoi incident visent l’arrêt du 4 février 2016, Heitkamp BauHolding/Commission (T‑287/11, EU:T:2016:60), et non l’arrêt attaqué dans le présent pourvoi. Le pourvoi incident serait, par conséquent, irrecevable. Il serait, en tout état de cause, non fondé.

 Appréciation de la Cour

36      GFKL contestant à titre liminaire la recevabilité du pourvoi incident au motif qu’il ne vise pas l’arrêt attaqué, il convient de constater que les conclusions telles qu’elles ont été formellement présentées, dans la langue de procédure, par la Commission dans la partie conclusive de son pourvoi incident visent, effectivement, un arrêt autre que l’arrêt attaqué. Il ressort cependant sans ambiguïté de la lecture de l’argumentation présentée au soutien de ces conclusions ainsi que de la partie introductive du pourvoi incident que ce dernier est bien dirigé contre l’arrêt attaqué. L’erreur relevée par GFKL est donc, certes, grossière, mais demeure une erreur de plume qui, dans les circonstances de l’espèce, n’est pas susceptible d’entraîner l’irrecevabilité du pourvoi incident.

37      S’agissant de son bien-fondé éventuel, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

38      En l’occurrence, d’une part, il est constant que, comme le Tribunal l’a relevé au point 51 de l’arrêt attaqué, la décision litigieuse a pour unique destinataire la République fédérale d’Allemagne. D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 52 à 73 de cet arrêt, c’est en considérant que GFKL était directement et individuellement concernée par cette décision, et donc en vertu de la deuxième hypothèse visée à cette disposition, que le Tribunal a jugé que GFKL avait qualité pour agir.

39      Par la première branche de son moyen unique, la Commission fait valoir, en substance, que, aux points 56, 57, 64 et 68 à 71 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en appréciant cette condition de recevabilité du recours de GFKL au regard de la situation factuelle et juridique de cette dernière, alors que le seul critère pertinent aurait été de savoir si elle était un bénéficiaire effectif ou potentiel du régime d’aide en cause.

40      Selon la jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être individuellement concernés par cette décision que si celle-ci les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, ainsi que du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 57).

41      La possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure dès lors que cette application est effectuée en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêts du 16 mars 1978, Unicme e.a./Conseil, 123/77, EU:C:1978:73, point 16, ainsi que du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 47 et jurisprudence citée).

42      Ainsi, la Cour a précisé qu’une entreprise ne saurait, en principe, attaquer une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard d’une telle entreprise, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 49).

43      En revanche, lorsque la décision affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint d’opérateurs économiques (arrêts du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 71 et jurisprudence citée, ainsi que du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 59).

44      Ainsi, les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, points 34 et 35 ; voir, également, arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 53).

45      Certes, comme le soutient la Commission, il découle de cette jurisprudence que la Cour, d’une part, reconnaît que les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur sont individuellement concernés par une décision de la Commission déclarant ce régime incompatible avec le marché intérieur et ordonnant leur récupération et, d’autre part, exclut qu’un requérant soit considéré comme étant individuellement concerné en raison du seul fait qu’il est un bénéficiaire potentiel de ce régime. Toutefois, il ne peut pas en être déduit, comme le prétend la Commission, que, lorsqu’est en cause une décision de cette dernière déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur, le seul critère pertinent afin d’apprécier si un requérant est individuellement concerné, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par une telle décision, réside dans le fait de savoir si ce requérant est un bénéficiaire effectif ou un bénéficiaire potentiel d’une aide octroyée au titre de ce régime.

46      En effet, la jurisprudence rappelée aux points 42 et 44 du présent arrêt, développée dans le contexte spécifique des aides d’État, n’est qu’une expression particulière du critère juridique pertinent aux fins de l’appréciation de l’affectation individuelle, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, issu de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17). Selon cet arrêt, un requérant est individuellement concerné par une décision adressée à une autre personne lorsque cette décision l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne (voir également, dans le domaine des aides d’État, arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, EU:C:2000:570, point 32, et du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 52, ainsi que, dans d’autres domaines, arrêts du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, EU:C:1985:18, points 11, 19 et 31, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 93).

47      Partant, le fait qu’un requérant puisse relever, ou ne pas relever, de la catégorie des bénéficiaires effectifs ou des bénéficiaires potentiels d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché intérieur par une décision de la Commission ne saurait être décisif afin de déterminer si ce requérant est individuellement concerné par cette décision lorsqu’il est, en toute hypothèse, établi que ledit requérant est, par ailleurs, atteint par celle-ci en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne.

48      Il résulte de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur de droit que, après avoir rappelé, aux points 54 à 56 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence exposée aux points 40 à 43 du présent arrêt, le Tribunal s’est, au point 57 de l’arrêt attaqué, attaché à « vérifier si, eu égard à sa situation factuelle et juridique, [GFKL devait] être considérée comme individuellement concernée par la décision [litigieuse] ».

49      Il en résulte par ailleurs que c’est aussi sans commettre d’erreur de droit que, aux points 56, 64 et 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est, au soutien de son analyse, fondé sur les arrêts identifiés au point 30 du présent arrêt, dès lors que ceux-ci consistent tous en des cas d’application du critère de l’affectation individuelle issu de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), dans des contextes où, comme en l’espèce, le recours à l’expression particulière de cette jurisprudence, prenant la forme d’une distinction entre les bénéficiaires effectifs et les bénéficiaires potentiels d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché intérieur, n’apparaissait pas pertinent.

50      De même, c’est toujours sans commettre d’erreur de droit que, aux points 69 et 70 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’argumentation de la Commission selon laquelle seul un avantage effectivement octroyé au moyen de ressources d’État pourrait établir que GFKL était individuellement concernée en se fondant sur l’arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368). En effet, ainsi que cela a déjà été constaté au point 46 du présent arrêt, aux fins d’établir qu’un requérant est individuellement concerné, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par une décision de la Commission déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché intérieur, le critère pertinent est celui de savoir si le requérant est atteint par cette décision en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne, ce que le Tribunal a d’ailleurs aussi justement rappelé au point 70 de l’arrêt attaqué.

51      Par conséquent, la première branche du moyen unique du pourvoi incident n’étant pas fondée, elle doit être rejetée.

52      S’agissant des deuxième et troisième branches de ce moyen unique, il y a lieu de rappeler que, par celles-ci, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, au point 68 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en jugeant que GFKL était individuellement concernée au motif que cette société aurait eu un « droit acquis » à bénéficier d’une aide en application de la mesure litigieuse.

53      À cet égard, il convient de relever que, à ce point 68, le Tribunal a notamment exposé que « dans la présente affaire [...] il a été constaté que, en raison des spécificités de la législation fiscale allemande, [GFKL] bénéficiait d’un droit acquis à une économie d’impôt, certifié par les autorités fiscales allemandes [...], cette circonstance la différenciant par rapport à d’autres opérateurs qui ne sont concernés qu’en tant que bénéficiaires potentiels de la mesure litigieuse », en renvoyant à ce sujet au point 63 du même arrêt.

54      À ce point 63, le Tribunal a constaté que, « en application de la réglementation allemande, il était certain que, au moment de la clôture de l’exercice fiscal de l’année 2009, [GFKL] aurait réalisé une économie d’impôt, qu’elle était d’ailleurs en mesure de quantifier avec précision », dès lors que, « les autorités allemandes ne disposant d’aucune marge d’appréciation à l’égard de l’application de la mesure litigieuse, la réalisation de ladite économie d’impôt [...] n’était qu’une question de temps, en vertu des modalités d’application du régime fiscal ». À ce même point 63, il a relevé que, par conséquent, GFKL « disposait [...] d’un droit acquis, certifié par les autorités allemandes avant l’adoption de la décision d’ouverture puis de la décision [litigieuse], à l’application de cette économie d’impôt qui, en l’absence de ces décisions, se serait concrétisé par l’émission d’un avis d’imposition autorisant le report des pertes et l’inscription conséquente de celui-ci à son bilan » et qu’« [e]lle était, de ce fait, facilement identifiable par les autorités fiscales allemandes et par la Commission ».

55      Le Tribunal a appuyé ces constatations sur le point 62 de l’arrêt attaqué, dans lequel il a observé que les circonstances qu’il avait identifiées aux points 60 et 61 de cet arrêt comme caractérisant la situation factuelle et juridique de GFKL au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), avaient été certifiées par l’administration fiscale allemande, en particulier au moyen du renseignement contraignant. Ces circonstances consistaient, d’une part, dans le fait que, avant l’ouverture de la procédure formelle d’examen par la Commission, GFKL disposait d’un droit de reporter ses pertes en vertu de la réglementation allemande, les conditions prévues par la clause d’assainissement étant réunies et, d’autre part, dans le fait que, au cours de l’année 2009, GFKL avait réalisé des bénéfices imposables dont elle aurait déduit les pertes reportées au titre de la clause d’assainissement.

56      Au regard de ces éléments, le Tribunal a conclu, au point 64 de l’arrêt attaqué, que GFKL « ne saurait être uniquement considérée comme une entreprise concernée par la décision [litigieuse] en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel, mais [qu’]elle doit au contraire être considérée comme faisant partie d’un cercle fermé d’opérateurs économiques, lesquels étaient identifiés, ou au moins facilement identifiables au moment de l’adoption de la décision [litigieuse], au sens de l’arrêt [du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17)] ».

57      Il ressort ainsi d’une lecture d’ensemble des passages pertinents de l’arrêt attaqué que l’utilisation, par le Tribunal, au point 68 de celui-ci, des termes « droit acquis » visait uniquement à renvoyer de façon succincte à la situation factuelle et juridique particulière de GFKL, permettant de la considérer comme étant individuellement concernée par la décision litigieuse au sens de l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17).

58      Les deuxième et troisième branches du moyen unique du pourvoi incident reposant ainsi sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, elles doivent être écartées comme étant non fondées et, par conséquent, le pourvoi incident doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le pourvoi principal

59      À l’appui de son pourvoi, GFKL soulève deux moyens, le premier étant tiré de ce que la clause d’assainissement n’est pas une mesure sélective, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et le second étant tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.

 Argumentation des parties

60      Par son premier moyen, GFKL soutient, en premier lieu, que le Tribunal, aux points 114 et 115 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit dans la détermination du cadre de référence.

61      D’une part, lors de l’appréciation de la condition relative à la sélectivité, il conviendrait de commencer par identifier un régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné. Auraient ainsi été reconnus comme constituant des cadres de référence l’impôt sur les sociétés, l’impôt foncier ou encore le taux d’imposition. En revanche, le régime fiscal « normal » ne pourrait être constitué de multiples critères applicables en cascade, comme le Tribunal l’aurait pourtant constaté dans l’arrêt attaqué, en cumulant le principe du report des pertes avec une disposition qui déroge à ce principe et lui est même contraire, à savoir la règle de la mise en non-valeur des pertes. Une règle et son contraire ne pourraient constituer, simultanément ou conjointement, le régime fiscal « normal ».

62      Le Tribunal aurait à tout le moins dû tenir compte de la position de la clause d’assainissement dans l’économie générale de la loi et de sa finalité. L’interaction de la règle du report des pertes, de la règle de la mise en non-valeur des pertes et de la clause d’assainissement serait conçue de sorte que, dans les situations relevant de la clause d’assainissement, il ne pourrait y avoir une acquisition abusive des pertes comme dans les situations visées par la règle de la mise en non-valeur des pertes. La clause d’assainissement devrait ainsi être associée au report des pertes, qui constitue, dans le droit fiscal allemand, le régime fiscal commun ou « normal ».

63      D’autre part, le Tribunal, en déterminant le cadre de référence, aurait méconnu le cadre constitutionnel liant le législateur allemand, qui consacrerait le principe du report illimité des pertes. Il serait dès lors exclu que la règle de la mise en non-valeur des pertes, qui constitue une exception à ce principe, puisse faire partie du cadre de référence ou constituer la norme en droit fiscal des sociétés. De même, la clause d’assainissement ne pourrait pas être une exception au cadre de référence, celle-ci signifiant uniquement que des situations qui relèvent de son champ d’application ne nécessitent pas de relever d’une exception au principe général.

64      Au vu de ces éléments, la règle du report des pertes constituerait le cadre de référence, la règle de la mise en non-valeur des pertes serait une exception et la clause d’assainissement serait une partie intégrante du cadre de référence. Cette dernière ne serait donc pas a priori sélective.

65      En deuxième lieu, GFKL soutient, à titre subsidiaire, que le Tribunal a méconnu le fait que la mesure litigieuse n’introduit pas de différenciation entre les opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le supposé cadre de référence qu’il a identifié.

66      D’une part, même si, selon ce que le Tribunal a indiqué aux points 129, 136 et 156 de l’arrêt attaqué, le cadre de référence a pour objectif d’empêcher que des entreprises dont l’actionnariat est modifié reportent leurs pertes, cet objectif servant la finalité ultime de générer davantage de recettes budgétaires, les entreprises en difficulté et celles qui ne le sont pas ne seraient pas, au regard de cette finalité, dans une situation factuelle et juridique comparable.

67      Contrairement à ce que le Tribunal aurait exposé aux points 141, 145, 146, 159 et 160 de l’arrêt attaqué, cette mesure litigieuse ne poursuivrait pas un objectif de promotion de l’assainissement des entreprises en difficulté, mais prévoirait uniquement une incitation à l’investissement lorsque, du point de vue d’un investisseur agissant dans un contexte d’économie de marché, il apparaîtrait réaliste qu’un assainissement puisse être réalisé avec succès, en garantissant ainsi des recettes fiscales futures. À cet égard, la motivation exposée aux points 168 et 169 de l’arrêt attaqué et relative au créancier privé déformerait la substance de l’argumentation qui avait été présentée au Tribunal.

68      D’autre part, les considérations subsidiaires exposées par le Tribunal aux points 140 et suivants de l’arrêt attaqué, relatives à l’objectif de prévention de l’abus, seraient erronées, dans la mesure où elles seraient basées sur un scénario purement théorique.

69      En troisième lieu, GFKL fait valoir que, en tout état de cause, la clause d’assainissement ne favorise pas certaines entreprises ou certaines productions au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. D’une part, elle ne désignerait aucune catégorie d’entreprises qui serait favorisée en vertu de propriétés qui lui sont spécifiques et ne serait donc pas a priori sélective, conformément aux enseignements issus de l’arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938). Le point 145 de l’arrêt attaqué serait ainsi erroné. D’autre part, lorsque sont en cause des mesures fiscales nationales, la sélectivité devrait être interprétée de façon restrictive, afin d’éviter de porter atteinte à la répartition des compétences entre les États membres et l’Union européenne.

70      En quatrième lieu, GFKL avance, à titre encore plus subsidiaire, que le Tribunal a méconnu le fait que la clause d’assainissement est, en toute hypothèse, justifiée par la nature et les objectifs généraux du système fiscal allemand. Les points 158 et 164 de l’arrêt attaqué seraient également erronés à cet égard.

71      Par ailleurs, GFKL fait valoir que le présent moyen est bien recevable, dès lors qu’il porterait non pas sur les constatations factuelles effectuées par le Tribunal, mais sur la qualification de la clause d’assainissement en tant que mesure sélective au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et plus précisément sur la qualification juridique appliquée aux faits lors de chacune des trois étapes de l’examen de cette condition, tel que développé par la Cour.

72      La Commission soutient que ce premier moyen est, en tout ou au moins en grande partie, irrecevable. Sa première branche serait relative à la définition du cadre juridique national dans lequel la mesure litigieuse s’inscrit, ce qui serait une question de fait soustraite au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Ses deuxième et quatrième branches porteraient aussi sur des questions de fait, de même que sa troisième branche, dont, en outre, une partie de l’argumentation ne viserait aucun des motifs de l’arrêt attaqué.

73      En toute hypothèse, ce premier moyen ne serait pas fondé. S’agissant de la première branche, les points 114 et 115 de l’arrêt attaqué ne seraient entachés d’aucune erreur de droit dans la définition du cadre de référence. D’une part, le Tribunal aurait bien retenu un cadre de référence unique, selon lequel le report des pertes est possible lorsqu’existe une continuité économique. Cette règle devrait nécessairement être exposée en deux étapes juridiques, afin d’expliquer ce qu’il faut comprendre par « continuité économique », à savoir l’absence de prise de participation préjudiciable. En tout état de cause, le cadre de référence devrait être non pas « le plus haut niveau d’abstraction », mais la règle applicable aux entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause. Serait donc seule pertinente la disposition de référence qui est applicable aux entreprises se trouvant dans la même situation factuelle et juridique que les entreprises bénéficiaires de la mesure litigieuse.

74      À titre subsidiaire, la Commission invite la Cour à procéder à une substitution de motifs et à définir comme cadre de référence la seule règle de la mise en non-valeur des pertes.

75      D’autre part, la prétendue méconnaissance du droit constitutionnel allemand ne saurait fonder un moyen tiré d’une violation de la condition de sélectivité au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En tout état de cause, le point 119 de l’arrêt attaqué, réfutant cet argument, ne serait pas visé par le pourvoi, et le point 122 de celui-ci établirait que le Tribunal n’a pas méconnu l’argumentation de GFKL selon laquelle la mesure litigieuse serait anticonstitutionnelle.

76      La deuxième branche de ce moyen serait aussi dépourvue de fondement. Il ressortirait des travaux préparatoires à l’adoption de la mesure litigieuse que l’introduction de celle-ci conduit bien à une diminution des recettes fiscales. De plus, lorsque l’activité économique d’une société se justifie d’un point de vue économique, il serait possible de trouver un acquéreur pour la reprendre, indépendamment de l’existence d’une incitation fiscale.

77      Quant à la troisième branche du présent moyen, dans la mesure où elle est fondée sur les enseignements issus de l’arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T‑399/11, EU:T:2014:938), elle devrait être rejetée comme étant non fondée, cet arrêt ayant été annulé par la Cour sur pourvoi. Pour le surplus, la clause d’assainissement étant bien réservée à une catégorie d’entreprises, à savoir celles en difficulté, et liée à une propriété spécifique, à savoir le besoin d’assainissement, cette branche ne serait pas davantage fondée.

78      La quatrième branche de ce moyen devrait également être écartée. Seuls les objectifs inhérents au système fiscal seraient en mesure de justifier un régime fiscal a priori sélectif, lequel devrait en outre être cohérent et proportionné. Or, l’assainissement d’entreprises en difficulté constituerait un objectif extérieur au système fiscal et le principe de l’imposition en fonction de la capacité contributive ne pourrait, en tout état de cause, pas justifier la clause d’assainissement, dès lors qu’il n’apparaîtrait pas pour quelles raisons ce principe exigerait que l’acquéreur d’une entreprise en difficulté bénéficie du report de pertes alors que le bénéfice de ce report est refusé à l’acquéreur d’une entreprise saine. La justification par la protection de recettes fiscales durables ne saurait davantage être retenue, la clause d’assainissement entraînant une diminution de ces recettes.

 Appréciation de la Cour

79      Dans la mesure où la Commission conteste la recevabilité de ce premier moyen au motif qu’il ne porterait que sur des questions de fait, il y a lieu de rappeler que, certes, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments de preuve, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Toutefois, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées (arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 78 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 97).

80      Ainsi, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 79 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 98). En revanche, l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, de la qualification juridique au regard d’une disposition du droit de l’Union qui a été donnée à ce droit national par le Tribunal constituant une question de droit, il relève de la compétence de la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 83, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 61 à 63).

81      En l’occurrence, force est de constater que, au moins par la première branche du présent moyen, GFKL conteste la qualification de « cadre de référence » telle qu’elle a été appliquée par le Tribunal au droit allemand en cause. Or, la notion de « cadre de référence » se réfère à la première étape de l’analyse de la condition relative à la sélectivité de l’avantage, qui, selon la jurisprudence de la Cour, est elle-même constitutive de la notion d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 74 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54).

82      L’argumentation de GFKL visant ainsi, au moins en partie, à remettre en cause la qualification juridique des faits opérée par le Tribunal, le présent moyen ne saurait être d’emblée rejeté comme étant irrecevable dans son ensemble au motif qu’il ne porterait que sur des questions de fait.

83      S’agissant du fond, il convient de commencer par l’examen du deuxième argument avancé par GFKL dans le cadre de la première branche, qui ressort des points 63 et 71 du présent arrêt, dans la mesure où, par celui-ci, GFKL fait valoir, en substance, que le Tribunal a méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en qualifiant, à l’instar de la Commission dans la décision litigieuse, la règle de la mise en non-valeur des pertes de cadre de référence pertinent afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse, alors que cette règle, en tant qu’exception à la règle du report des pertes, ne pourrait pas constituer le régime fiscal commun ou « normal ».

84      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêts du 10 juin 2010, Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, EU:C:2010:335, point 31 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53).

85      En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, il résulte d’une jurisprudence également constante de la Cour que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

86      Par ailleurs, lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

87      S’agissant, en particulier, de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide, au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 72 et 73 ainsi que jurisprudence citée ; voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 56).

88      Dans ce contexte, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et démontrer, dans un deuxième temps, que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

89      La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient, dans un troisième temps, à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 52 ; voir, également, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

90      L’examen de la condition relative à la sélectivité implique donc, en principe, de déterminer, dans un premier temps, le cadre de référence dans lequel s’inscrit la mesure concernée, cette détermination revêtant une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 55).

91      Ainsi, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 60).

92      Toutefois, la qualification d’un système fiscal de « sélectif » n’est pas subordonnée au fait que celui-ci soit conçu de façon à ce que les entreprises bénéficiant éventuellement d’un avantage sélectif soient, en général, soumises aux mêmes charges fiscales que les autres entreprises mais profitent de règles dérogatoires, de sorte que l’avantage sélectif peut être identifié comme étant la différence entre la charge fiscale normale et celle supportée par ces premières entreprises (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 91).

93      En effet, une telle compréhension du critère de sélectivité présupposerait qu’un régime fiscal, afin qu’il puisse être qualifié de « sélectif », soit conçu selon une certaine technique réglementaire, ce qui aurait pour conséquence que des règles fiscales nationales échappent d’emblée au contrôle en matière d’aides d’État en raison du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire bien qu’elles produisent en droit et/ou en fait, par l’ajustement et la combinaison de diverses règles fiscales, les mêmes effets. Elle heurterait ainsi la jurisprudence constante selon laquelle l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes et les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets, et donc indépendamment des techniques utilisées (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 87, 92 et 93 ainsi que jurisprudence citée).

94      Si, conformément à cette jurisprudence, le recours à une technique réglementaire donnée ne peut permettre à des règles fiscales nationales d’échapper d’emblée au contrôle prévu par le traité FUE en matière d’aides d’État, le recours à la technique réglementaire utilisée ne saurait pas non plus suffire à définir le cadre de référence pertinent aux fins de l’analyse de la condition relative à la sélectivité, sauf à faire prévaloir de manière décisive la forme des interventions étatiques sur leurs effets. Partant, la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de la détermination du cadre de référence.

95      Cela étant, il découle en outre de cette même jurisprudence que, si, aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, la technique réglementaire utilisée n’est pas décisive, de sorte qu’il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère en utilisant cette technique réglementaire est pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 77).

96      Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions pour l’application d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en soi, conférer à cette mesure un caractère sélectif (arrêts du 29 mars 2012, 3M Italia, C‑417/10, EU:C:2012:184, point 42, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 59).

97      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner l’argumentation de GFKL, rappelée au point 83 du présent arrêt.

98      À cet égard, il convient de relever que, si, formellement, par cette argumentation, GFKL n’a visé que les points 114 et 115 de l’arrêt attaqué, qui contiennent la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu s’agissant de la détermination du cadre de référence qui serait pertinent en l’espèce, l’argumentation que cette société présente à la Cour, qui porte sur la qualification juridique erronée qui aurait été attribuée aux faits par le Tribunal, ne peut s’entendre que comme visant aussi nécessairement les motifs sur lesquels le Tribunal appuie cette qualification. Il convient donc, aux fins d’apprécier le bien-fondé éventuel de cette argumentation, d’examiner non seulement ces points 114 et 115, mais également les points 111 à 113 de l’arrêt attaqué qui en constituent le fondement.

99      Ainsi, il convient de relever que, au point 111 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, « dans la décision [litigieuse], la Commission a défini [...] la règle de la mise en non-valeur des pertes comme étant la règle générale au regard de laquelle il convenait d’examiner si les entreprises se situant dans une situation factuelle et juridique comparable étaient différenciées, tandis que [GFKL] se rapporte à la règle plus générale du report des pertes, qui s’applique à toute imposition ».

100    Il a également rappelé, au point 112 de cet arrêt, que « la règle du report des pertes constitue une faculté dont bénéficient toutes les sociétés lors de l’application de l’impôt sur les sociétés » et que « la règle de la mise en non-valeur des pertes limite ladite faculté lors de l’acquisition d’une participation égale ou supérieure à 25 % du capital et la supprime lors de l’acquisition d’une participation supérieure à 50 % du capital », constatant ensuite que « [c]ette dernière règle s’applique, dès lors, systématiquement à tous les cas de figure de modification de l’actionnariat égale ou supérieure à 25 % du capital, sans distinguer selon la nature ou les caractéristiques des entreprises concernées ».

101    Au point 113 dudit arrêt, le Tribunal a ajouté que, « [e]n outre, la clause d’assainissement est libellée sous forme d’exception à la règle de la mise en non-valeur des pertes et ne s’applique qu’aux situations, bien définies, qui sont sujettes à cette dernière règle ».

102    Au point 114 du même arrêt, il en a déduit que « force est de constater que la règle de la mise en non-valeur des pertes, à l’instar de la règle du report des pertes, fait partie du cadre législatif dans lequel s’inscrit la mesure litigieuse », que, « [e]n d’autres termes, le cadre législatif pertinent en l’espèce est composé par la règle générale du report des pertes, telle que limitée par la règle de la mise en non-valeur des pertes, et [que] c’est précisément dans ce cadre qu’il convient de vérifier si la mesure litigieuse introduit des différenciations entre opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au sens de la jurisprudence ».

103    Au point 115 de l’arrêt attaqué, le Tribunal en a conclu que « la Commission n’a[vait] pas commis d’erreur lorsque, tout en constatant l’existence d’une règle plus générale, à savoir celle du report des pertes, elle a[vait] établi que le cadre législatif de référence mis en place afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la règle de la mise en non-valeur des pertes ».

104    Comme le soutient GFKL, ce raisonnement a conduit le Tribunal à attribuer de manière erronée à la seule règle de la mise en non-valeur des pertes la qualification de cadre de référence au sens de la jurisprudence relative à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tout en excluant de ce cadre de référence la règle générale du report des pertes.

105    En effet, il ressort de ce raisonnement que, bien que le Tribunal ait constaté l’existence d’une règle fiscale générale applicable à l’ensemble des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, à savoir la règle du report des pertes, il a pourtant estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que le cadre de référence pertinent aux fins de l’examen du caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes, et ce alors qu’il était constant que cette dernière consistait elle-même en une exception à la règle du report des pertes et alors que l’examen d’ensemble du contenu de ces dispositions aurait dû permettre de constater que la clause d’assainissement avait pour effet de définir une situation relevant de la règle générale du report des pertes.

106    Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour, rappelée aux points 92 à 95 du présent arrêt, que la sélectivité d’une mesure fiscale ne saurait être justement appréciée à l’aune d’un cadre de référence constitué de quelques dispositions qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large. Partant, en excluant ainsi du cadre de référence pertinent en l’espèce la règle générale du report des pertes, le Tribunal a défini celui-ci de manière manifestement trop étroite.

107    Pour autant que, pour arriver à cette conclusion, le Tribunal s’est fondé sur le fait que la mesure litigieuse était libellée sous la forme d’une exception à la règle de la mise en non-valeur des pertes, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela a déjà été relevé au point 94 du présent arrêt, la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de la détermination du cadre de référence.

108    En outre, aucun argument utile au soutien de l’arrêt attaqué ne saurait, en l’espèce, être tiré de l’arrêt du 18 juillet 2013, P (C‑6/12, EU:C:2013:525), dès lors que, dans celui-ci, la Cour ne s’est pas prononcée sur ce qui devait constituer le cadre de référence dans l’affaire qui lui avait été soumise.

109    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la première branche du premier moyen du pourvoi de GFKL, en ce qu’elle fait grief au Tribunal d’avoir méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en qualifiant, à l’instar de la Commission dans la décision litigieuse, la règle de la mise en non-valeur des pertes de cadre de référence pertinent afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse, alors que cette règle, en tant qu’exception à la règle du report des pertes, ne pourrait pas constituer le régime fiscal commun ou « normal », est fondée.

110    Il convient également de relever que c’est sur le fondement de son appréciation, erronée en droit, selon laquelle la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a établi que le cadre de référence pertinent en l’espèce afin d’apprécier le caractère sélectif de la mesure litigieuse était constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes, que le Tribunal a analysé la suite de l’argumentation qui lui était présentée par GFKL, tendant à démontrer, notamment, l’absence de caractère a priori sélectif de la mesure litigieuse, une erreur dans l’appréciation de la situation juridique et factuelle des entreprises nécessitant un assainissement et la justification de la mesure litigieuse par la nature et l’économie du système fiscal.

111    Or, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée aux points 85 et 88 à 91 du présent arrêt, une erreur dans la détermination du cadre de référence à l’aune duquel le caractère sélectif d’une mesure doit être apprécié vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité. Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il a rejeté le recours de première instance comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments de cette première branche, ni les autres branches du premier moyen du pourvoi, ni le second moyen de celui-ci.

 Sur le recours devant le Tribunal

112    Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

113    Tel est le cas en l’espèce. Dans ce cadre, il suffit de relever qu’il résulte des motifs énoncés aux points 84 à 111 du présent arrêt que la première branche du premier moyen du recours de GFKL devant le Tribunal, dans la mesure où elle vise à établir que la Commission a commis une erreur dans la détermination du cadre de référence pertinent aux fins de l’appréciation du caractère sélectif de la mesure litigieuse lorsqu’elle l’a défini comme étant constitué par la seule règle de la mise en non-valeur des pertes, est fondée. Le caractère sélectif de la mesure litigieuse ayant ainsi été apprécié par la Commission à l’aune d’un cadre de référence déterminé de manière erronée, il y a lieu d’annuler la décision litigieuse.

 Sur les dépens

114    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

115    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

116    La Commission ayant succombé dans les pourvois incident et principal, la décision litigieuse étant annulée et GFKL ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par GFKL, afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi incident est rejeté.

2)      Les points 2 et 3 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 4 février 2016, GFKL Financial Services/Commission (T‑620/11, EU:T:2016:59), sont annulés.

3)      La décision 2011/527/UE de la Commission, du 26 janvier 2011, concernant l’aide d’État de l’Allemagne C 7/10 (ex CP 250/09 et NN 5/10) au titre de la clause d’assainissement prévue par la loi relative à l’impôt sur les sociétés (« KStG, Sanierungsklausel »), est annulée.

4)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par Lowell Financial Services GmbH, afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.

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