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Document 62010FJ0071

    EUROOPA LIIDU AVALIKU TEENISTUSE KOHTU OTSUS (esimene koda) 5.6.2012.
    Nicola Cantisani versus Euroopa Komisjon.
    Avalik teenistus – Lepingulised töötajad – Konverentsitõlk – Personalieeskirjade artiklid 12a ja 24 – Psühholoogiline ahistamine – Huvide konflikt – Kahju hüvitamise nõue.
    Kohtuasi F‑71/10.

    Court reports – Reports of Staff Cases

    ECLI identifier: ECLI:EU:F:2012:71

    ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
    DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

    5 juin 2012 (*)

    « Fonction publique – Agents contractuels – Interprète de conférence – Articles 12 bis et 24 du statut – Harcèlement moral – Conflit d’intérêts – Demande indemnitaire »

    Dans l’affaire F‑71/10,

    ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

    Nicola Cantisani, ancien agent interprète de conférence de la Commission européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me S. de Lannoy, avocat,

    partie requérante,

    contre

    Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

    partie défenderesse,

    LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
    (première chambre),

    composé de MM. H. Kreppel (rapporteur), président, E. Perillo et R. Barents juges,

    greffier : M. J. Tomac, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 janvier 2012,

    rend le présent

    Arrêt

    1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 30 août 2010, M. Cantisani demande l’annulation de la décision par laquelle la Commission européenne a rejeté sa demande d’assistance pour le harcèlement moral qu’il aurait subi entre 1999 et 2007, lorsqu’il exerçait les fonctions d’agent interprète de conférence (ci-après « AIC »). Le requérant sollicite également la condamnation de la Commission à lui verser des dommages-intérêts.

     Cadre juridique

    1.     Dispositions statutaires

    2        L’article 12 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), issu du règlement (CE, Euratom) no 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004, le modifiant (JO L 124, p. 1), dispose :

    « 1.      Tout fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel.

    2.      Le fonctionnaire victime de harcèlement moral ou sexuel ne subit aucun préjudice de la part de l’institution. Le fonctionnaire ayant fourni des preuves de harcèlement moral ou sexuel ne subit aucun préjudice de la part de l’institution, pour autant qu’il ait agi de bonne foi.

    3.      Par harcèlement moral, on entend toute conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne.

    […] »

    3        Aux termes de l’article 24 du statut, dans sa version applicable au litige :

    « Les Communautés assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.

    […] »

    4        Le titre VII du statut, intitulé « Des voies de recours », contient un article 91, dont le paragraphe 1, dans sa version applicable au litige, est ainsi libellé :

    « La Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour statuer sur tout litige entre les Communautés et l’une des personnes visées au présent statut et portant sur la légalité d’un acte faisant grief à cette personne au sens de l’article 90, paragraphe 2. Dans les litiges de caractère pécuniaire, la Cour de justice a une compétence de pleine juridiction. »

    5        Le régime applicable aux autres agents (ci-après le « RAA ») est subdivisé en neuf titres dont les quatre premiers sont successivement intitulés « Dispositions générales » (titre I), « Des agents temporaires » (titre II), « Des agents auxiliaires » (titre III) et « Agents contractuels » (titre IV).

    6        L’article 11, premier alinéa, première phrase, du RAA, qui figure au titre II « Des agents temporaires », se lit comme suit :

    « Les dispositions des articles 11 à 26 du statut concernant les droits et obligations des fonctionnaires sont applicables par analogie. […] »

    7        Le titre IV « Agents contractuels » contient les articles 79 à 119 du RAA.

    8        Selon l’article 81 du RAA :

    « L’article 11 s’applique par analogie. »

    9        L’article 90, premier alinéa, du RAA dispose :

    « Par dérogation aux dispositions du présent titre, les interprètes de conférence engagés par le Parlement européen ou engagés par la Commission pour le compte des institutions et organismes communautaires sont soumis aux conditions prévues dans la convention du 28 juillet 1999 conclue entre le Parlement européen, la Commission et la Cour de justice, agissant au nom des institutions, d’une part, et les associations représentatives de la profession, d’autre part. »

    10      Enfin, aux termes de l’article 117 du RAA, également contenu au titre IV « Agents contractuels » :

    « Les dispositions du titre VII du statut relatives aux voies de recours sont applicables par analogie. »

    2.     Autres dispositions

    11      Le 18 décembre 1997, la Commission a adopté un texte intitulé « Code de bonne conduite en matière de relations entre le [service commun interprétation-conférences] et les interprètes free-lance » (ci-après le « code de bonne conduite »). Le service commun interprétation-conférences de la Commission (ci-après le « SCIC ») est le service de rattachement des interprètes free-lance (également appelés les « AIC ») engagés par la Commission.

    12      Le code de bonne conduite se compose de cinq chapitres, intitulés respectivement « [l]’instruction des demandes » (titre 1er), « [l]es tests » (titre 2), « [l]’engagement » (titre 3), « [l]e suivi » (titre 4) et « [d]ispositions finales » (titre 5). Le code de bonne conduite comprend également plusieurs annexes, en particulier un formulaire de rapport d’évaluation (ci-après l’« annexe Ia »), un formulaire de rapport d’audition (ci-après l’« annexe Ib ») et le mandat du « Groupe de qualité » mentionné au point 4.3 dudit code (ci-après le « groupe de qualité »).

    13      Le titre 1er du code de bonne conduite prévoit que les personnes souhaitant être agréées comme interprète free-lance doivent soumettre leur candidature à un comité d’instruction, lequel est chargé d’établir « l’admissibilité des candidats aux tests professionnels ».

    14      Selon le titre 2 du code de bonne conduite, l’« agréation » d’un interprète free-lance est obtenue à la suite d’un test professionnel passé devant un « [c]omité d’agréation ». Le même chapitre précise que la combinaison linguistique d’un interprète free-lance agréé peut être élargie postérieurement à l’agréation, en particulier sur la base d’un avis positif du chef d’unité linguistique.

    15      Au titre 3 du code de bonne conduite, il est indiqué que « [c]haque engagement donne lieu à l’établissement d’un contrat envoyé à l’interprète qui le retourne daté et signé » (point 3.1). Par ailleurs, il ressort de ce même chapitre que des propositions dites d’« engagement à long terme » peuvent être faites aux interprètes free-lance. Selon le point 3.2, ces propositions sont formulées, en règle générale, à la « mi-novembre pour la période [allant de] janvier à juillet de l’année suivante » ainsi qu’à la « mi-mai pour la période [allant de] septembre à décembre de la même année », à condition que l’interprète free-lance accepte au moins « [35] journées de travail pour la période [allant de] janvier à juillet » et « [20] journées de travail pour la période [allant de] septembre à décembre ».

    16      Enfin, au titre 4 du code de bonne conduite, il est énoncé que « [l]es exigences professionnelles et déontologiques [des interprètes free-lance] sont identiques à celles demandées aux interprètes permanents » et que ces exigences font l’objet d’une « évaluation continue » selon des critères relatifs à la « qualité des prestations d’interprétation en simultanée/consécutive », à la « déontologie en réunion » et aux « contacts avec le [s]ervice » (point 4.2).

    17      Le point 4.3 du code de bonne conduite dispose en particulier :

    « Un rapport d’évaluation sera établi tous les deux ans pour chaque interprète free-lance par le chef d’unité linguistique.

    Le rapport d’évaluation consiste en trois rapports d’audition complétés par l’appréciation et les commentaires du chef de l’unité linguistique (voir [annexes Ia et Ib]).

    Le rapport d’évaluation sera communiqué à l’interprète qui pourra demander un entretien au chef de l’unité linguistique compétent.

    Les interprètes qui ne satisfont plus aux critères exigés en seront informés par écrit et peuvent se voir retirer l’agréation par le chef du [s]ervice, sur proposition motivée du chef d’unité linguistique compétent et après avis favorable du ‘[g]roupe de qualité’.

    La même procédure peut être initialisée auprès du ‘[g]roupe de qualité’, sur demande motivée du chef du [s]ervice ou des chefs d’unité linguistique compétent[s] pour toute faute dont un interprète free-lance se serait rendu coupable et dont il aura été informé au préalable par écrit. Lorsque les faits sont établis, le ‘[g]roupe de qualité’ propose une sanction appropriée à la gravité des faits incriminés.

    Dans les deux cas, l’interprète sera entendu par le ‘[g]roupe de qualité’, accompagné s’il le souhaite d’une personne de son choix pour assurer sa défense.

    La décision finale est prise par le chef du [s]ervice sur proposition du ‘[g]roupe de qualité’ et elle est communiquée par écrit à l’interprète. »

    18      La convention du 28 juillet 1999, visée à l’article 90, premier alinéa, du RAA, et annotée le 13 octobre 2004 à la suite de l’adoption du règlement no 723/2004 (ci-après la « convention du 28 juillet 1999 »), fixe le régime pécuniaire des agents interprètes de conférence recrutés par les institutions de l’Union européenne.

    19      Selon l’article 23 de la convention du 28 juillet 1999, « [e]n application de l’article 117 du [RAA], les différents individuels sont soumis aux voies de recours prévues par le titre VII du [s]tatut. »

    20      Le 31 août 2001, la Commission a adopté un document intitulé « S[uivi de qualité des AIC] » (ci-après le « document sur le suivi des AIC »), contenant des dispositions d’exécution du code de bonne conduite. Ce document comprend trois chapitres intitulés : « Le [s]uivi de qualité » (chapitre I), « Procédure du suivi » (chapitre II) et « Résultat et conséquences du suivi de qualité » (chapitre III).

    21      Au chapitre I, point 1, du document sur le suivi des AIC, il est notamment indiqué que l’AIC agréé par le SCIC doit faire l’objet « d’un suivi de la qualité de son travail ».

    22      Le point 2 du chapitre I du document sur le suivi des AIC dispose :

    « Dans le cadre de la participation à la gestion du [SCIC] en matière de définition des besoins et d’affectation en réunion des [AIC] et en tant que responsable de la qualité, de l’orientation professionnelle et de l’évolution des carrières des [AIC], le [c]hef d’[u]nité [d’i]nterprétation assure un suivi des prestations des [AIC] […].

    Ce suivi a pour objectif de garantir que les prestations correspondent aux exigences professionnelles et déontologiques du SCIC et de permettre ainsi de justifier les engagements et affectations en réunion des [AIC] qui ont reçu l’agrément du SCIC.

    Vu le pourcentage élevé du travail confié aux [AIC], le rôle des interprètes fonctionnaires dans l’exercice de contrôle de la qualité que fournit le SCIC est essentiel pour garantir le bon fonctionnement du [s]ervice. »

    23      Quant au chapitre II (« Procédure du suivi ») du document sur le suivi des AIC, son point 2, intitulé « Modalités du suivi », contient les dispositions suivantes :

    « Le suivi doit être conçu comme un exercice permanent de chaque [u]nité d’[i]nterprétation pour maintenir le niveau de qualité requis.

    Les rapports établis dans la langue de l’[AIC] faisant l’objet du rapport serviront également au [chef d’unité d’interprétation] pour justifier ses propositions d’engagement (long terme) et d’affectation en réunion des [AIC].

    Le [chef d’unité d’interprétation] peut obtenir lui-même les informations nécessaires (avec des rapports/informations de l’[u]nité [‘r]éunions-[p]lanning[’]) ou en charger des interprètes qualifiés de sa confiance.

    […]

    Le résultat de l’exercice permanent de suivi de qualité est communiqué par écrit à l’[AIC] par le [chef d’unité d’interprétation] tous les trois ans. L’[AIC] peut demander un entretien avec le [chef d’unité d’interprétation] compétent.

    Lors de son dialogue avec le [chef d’unité d’interprétation], l’[AIC] peut consulter les rapports qui ont été établis sur ses prestations. »

    24      Enfin, le chapitre III du document sur le suivi des AIC prévoit que « [l]e chef d’unité d’interprétation] est appelé à établir […] un dialogue professionnel qui permettra de faire une mise au point des prestations des [AIC] engagés par le SCIC » et que « [c]e dialogue sera un instrument clef pour garantir la qualité des prestations des [AIC] du SCIC à tout moment et dans toutes circonstances ».

    25      Ce même chapitre III précise que « [q]uand une amélioration de la qualité des prestations s’avère nécessaire, le dialogue permet de corriger les dérives face aux exigences professionnelles (qualité) et déontologiques (comportement en réunion) ».

    26      Le 18 septembre 2003, la Commission a adopté un document intitulé « P[rocédure ‘suivi qualité] AIC’ », destiné à mettre à jour le document sur le suivi des AIC. Au point 2.2 du document du 18 septembre 2003, il est énoncé que les chefs d’unité d’interprétation peuvent, soit par eux-mêmes, soit en désignant à cette fin un fonctionnaire, obtenir les informations nécessaires sur la qualité du travail d’un AIC. Il est également précisé, au point 2.3 du même document, que les AIC peuvent, à l’occasion du dialogue avec leur chef d’unité d’interprétation, consulter les rapports d’audition les concernant.

     Faits à l’origine du litige

    27      De 1975 à janvier 2007, date à laquelle il a été placé en congé de maladie, le requérant, qui présente une cécité de naissance, a exercé les fonctions d’AIC au service de l’unité « Interprétation anglaise » (ci-après l’« unité anglaise ») du SCIC. La combinaison linguistique du requérant, qui comprenait initialement le français et l’italien comme langues passives, a été élargie, à la demande de l’intéressé, à l’espagnol en septembre 2001.

    28      Entre les mois de janvier 1999 et novembre 2006, alors que l’unité anglaise était successivement dirigée par M. C. (de 1998 à janvier 2004), M. M. (de janvier 2004 à juillet 2005), et M. S. (à partir d’août 2005), le requérant a fait l’objet de plus de 60 rapports d’audition établis par les interprètes fonctionnaires avec lesquels il avait été amené à travailler en cabine. Un nombre significatif de ces rapports faisait état d’appréciations critiques par rapport à la qualité des prestations du requérant et à son comportement en cabine. Enfin, il est constant entre les parties que les rapports d’audition susmentionnés n’ont pas été communiqués au requérant au fur et à mesure qu’ils étaient établis, mais à des dates ultérieures.

    29      Pendant toute la période où le requérant prétend avoir été harcelé moralement, soit de 1999 à janvier 2007, celui-ci n’a fait l’objet d’aucun rapport d’évaluation tel que défini au point 4.3 du code de bonne conduite.

    30      En 1999 et en 2002, deux procédures ont été ouvertes devant le groupe de qualité.

    31      La première procédure a été déclenchée à la suite de la rédaction d’un rapport d’audition très négatif établi le 1er juillet 1999 et concernant une réunion ayant eu lieu le 22 juin 1999. Au vu de ce rapport, M. C., chef de l’unité anglaise, a saisi le groupe de qualité, précisant toutefois qu’il recommandait non de retirer l’agréation de l’intéressé, mais seulement de donner à celui-ci un « dernier avertissement formel » et de l’informer que toute plainte ultérieure concernant la qualité de ses prestations conduirait au retrait immédiat de son agrément. Au terme de l’instruction du dossier, le groupe de qualité, qui s’était fait communiquer par le chef de l’unité anglaise non seulement le rapport d’audition établi le 1er juillet 1999, mais également trois autres rapports établis successivement les 29 janvier, 23 février et 7 juin 1999, a constaté, dans une note adressée au directeur général du SCIC le 15 septembre 1999, que les « faits reprochés (manque de qualité, surtout du point de vue de la présentation) » au requérant « [étaient] confirmés par les rapports qui [faisaient] surtout état de problèmes de présentation que l’interprète [devait] s’employer à corriger ». Le groupe de qualité a alors proposé « de continuer le suivi de la qualité et de demander au [c]hef de l’[unité anglaise] de lui faire un rapport sur l’évolution de la situation ». Par note du 23 septembre 1999, l’intéressé a été informé que la « qualité de [son] travail » ferait l’objet d’un « suivi ». Par ailleurs, par lettre du même jour, M. C. a proposé son assistance au requérant et lui a rappelé le travail en cours au sein du SCIC concernant l’aide technique offerte aux interprètes atteints de cécité.

    32      Dans le cadre du suivi de la qualité du travail du requérant, celui-ci a fait l’objet, entre le 30 octobre 1999 et le 19 octobre 2000, de 17 rapports d’audition. À la lumière de la teneur générale de ces rapports, M. C., chef de l’unité anglaise, a, par lettre du 28 décembre 2000, proposé au groupe de qualité de réduire le suivi des prestations de l’intéressé au « niveau habituel applicable aux AIC ». Il a ajouté néanmoins que, si la qualité devait baisser de nouveau, des « mesures appropriées » seraient prises et a confirmé son intention de demander l’affectation de l’intéressé à des réunions concernant des sujets qui lui étaient familiers.

    33      La seconde procédure devant le groupe de qualité a été ouverte à la suite de la rédaction, le 18 octobre 2002, d’un autre rapport d’audition très défavorable au requérant, dans lequel étaient dénoncés son manque de ponctualité et une attitude générale « très médiocre ». Le chef de l’unité anglaise a transmis ce rapport au groupe de qualité le 7 novembre 2002, sans toutefois solliciter l’ouverture d’une procédure formelle telle que prévue au point 4.3 du code de bonne conduite. Cependant, quelques mois plus tard, en mai 2003, le groupe de qualité a décidé, de sa propre initiative, d’ouvrir une procédure de cette nature et a demandé à l’unité anglaise de lui communiquer l’ensemble des rapports d’audition qui avaient été établis concernant les prestations du requérant. Après avoir délibéré sur le cas de l’intéressé et soumis une proposition au directeur général du SCIC, le groupe de qualité a, par courrier du 14 octobre 2003, informé le requérant qu’« il [avait] été décidé par le [directeur général] du [SCIC] de continuer à [lui] appliquer la procédure de suivi normalement prévue dans le [code de bonne conduite] ».

    34      Outre les procédures devant le groupe de qualité qui viennent d’être évoquées, la qualité, estimée insuffisante par l’administration, des prestations et du comportement du requérant a également emporté des conséquences sur l’exclusion de ce dernier de la liste des AIC susceptibles de se voir proposer des engagements à long terme (ci-après la « liste d’engagement à long terme »).

    35      En effet, le requérant qui, à la suite de l’élargissement de sa combinaison linguistique à l’espagnol en septembre 2001, avait été inclus dans la liste d’engagement à long terme pour la période allant de janvier à juillet 2002, a été retiré de cette liste pour la période allant de septembre à décembre 2002, en raison d’un rapport d’audition établi le 15 avril 2002 et qui faisait état, s’agissant d’une réunion ayant eu lieu le 12 avril précédent, d’absences fréquentes de l’intéressé hors de la cabine d’interprétation, d’une insuffisante concentration et de faiblesses dans sa connaissance de la langue espagnole. L’exclusion du requérant de la liste d’engagement à long terme s’est prolongée à la période allant de janvier à juillet 2003.

    36      Le requérant a de nouveau été inclus dans la liste d’engagement à long terme pour les périodes allant de septembre à décembre 2003, de janvier à juillet 2004 et de septembre à décembre 2004. Toutefois, au regard de la qualité estimée insuffisante de ses prestations, M. M., chef de l’unité anglaise du 15 janvier 2004 au 31 juillet 2005, a décidé de le retirer de ladite liste pour les périodes allant de janvier à juillet 2005 et de septembre à décembre 2005. La réclamation introduite par l’intéressé le 18 août 2005 contre cette décision a été rejetée par l’administration le 20 décembre 2005. Par la suite, et jusqu’à la cessation de son activité d’AIC, le requérant n’a plus été inscrit sur la liste d’engagement à long terme.

    37      Enfin, le 5 août 2005, M. C., qui avait dirigé l’unité anglaise de 1998 à janvier 2004 et était devenu entre-temps chef du département « Interprétation IV » au sein de la direction A « Interprètes » de la direction générale (DG) « Interprétation », a écrit au requérant pour l’informer que, dans le cadre de la procédure de fusion des listes des AIC des services d’interprétation des trois institutions (Parlement, Commission et Cour de justice), il n’avait pas été en mesure, en tant que représentant de la Commission, de le recommander sans réserve aux autres institutions, cela en raison de l’inconstance de son travail.

    38      Le 18 janvier 2007, un médecin psychiatre a constaté l’incapacité de travail du requérant.

    39      Depuis cette date, l’intéressé n’a pas repris son activité.

    40      À compter du 19 février 2007, un revenu de remplacement destiné à couvrir l’incapacité totale temporaire de travail du requérant pendant la période allant du 21 janvier 2007 au 15 mars 2007 a été versé au requérant par la compagnie d’assurance Allianz, en vertu d’un contrat d’assurance que la Commission avait souscrit par l’intermédiaire de la compagnie d’assurance Vanbreda International (ci-après la « compagnie d’assurance »), afin de couvrir les AIC contre les risques d’accident, de maladie et de perte d’emploi qui en découlent.

    41      Le 15 mars 2007, la compagnie d’assurance a informé le requérant qu’il était mis fin au versement du revenu de remplacement à compter de ce même jour, au motif que l’incapacité totale temporaire de travail aurait eu pour origine une maladie ayant commencé en 1999, soit avant la prise d’effet du contrat en 2003.

    42      Toutefois, suite à un avis émis dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, le requérant a été reconnu au cours de l’année 2009 comme atteint d’une incapacité totale temporaire de travail en lien avec son activité professionnelle au sein de la Commission et le bénéfice d’un revenu de remplacement lui a été accordé.

    43      Par note du 29 janvier 2009, le requérant a introduit une demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut au motif qu’il aurait été victime, depuis 1999 et jusqu’en janvier 2007, date à laquelle il a été mis en congé de maladie, de harcèlement moral de la part des responsables successifs de l’unité anglaise (ci-après la « demande d’assistance »). À cette note étaient joints, en particulier, une note de 62 pages reprenant la chronologie des attaques dont il prétendait avoir été victime, un dossier de 125 pièces destiné à étayer la réalité de ces attaques, et enfin une note relative à la « logique » du harcèlement moral qu’il aurait subi.

    44      Suite à une demande en ce sens émanant de la Commission, le requérant a rempli et communiqué à celle-ci le 22 mars 2009 un « formulaire de renseignements complémentaire » dans lequel était résumée, en 27 rubriques successives, la chronologie des agissements constitutifs, de son point de vue, de harcèlement moral.

    45      Une enquête administrative a été ouverte le 5 juin 2009 et confiée à l’Office d’investigation et de discipline (IDOC). Le requérant a été informé de l’ouverture de l’enquête par note du 11 juin 2009.

    46      Par lettre du 22 juin 2009 adressée à l’administration, le requérant a en outre avancé des allégations de conflit d’intérêts à l’encontre de Mme E., chef de l’unité « Gestion commune des [AIC] » de la direction B « Administration et ressources » de la DG « Interprétation » et compagne de M. C., chef de l’unité anglaise de 1998 à janvier 2004. Selon l’intéressé, Mme E., en raison de sa vie maritale avec le chef de l’unité anglaise, sous l’autorité duquel il avait travaillé de 1998 à janvier 2004, aurait dû déclarer un conflit d’intérêts en tant que responsable de la gestion des dossiers relatifs à l’intervention de la compagnie d’assurance. En outre, toujours selon le requérant, Mme E. aurait pu intervenir pour retarder le traitement de son dossier d’assurance.

    47      Dans son rapport établi le 17 juillet 2009, l’IDOC a conclu à l’absence de harcèlement moral au cours de la période allant de 1999 à 2007 et a recommandé le classement sans suite de l’affaire.

    48      Sur la base des conclusions du rapport de l’IDOC, le directeur de la direction B « Statut : politique, gestion et conseil » de la DG « Personnel et administration », agissant en qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »), a rejeté la demande d’assistance par décision du 9 octobre 2009 (ci-après la « décision litigieuse »). Dans la décision litigieuse, l’administration a indiqué au requérant qu’il ne faisait pas partie du personnel statutaire et, partant, ne pouvait donc bénéficier de la protection prévue à l’article 24 du statut.

    49      Par note du 8 janvier 2010, le requérant a introduit une réclamation, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut à l’encontre de la décision litigieuse.

    50      En janvier 2010, le requérant, assisté de son conseil, a consulté son dossier individuel dans les bureaux de la Commission. Selon lui, à cette date, le dossier individuel n’était ni classé ni inventorié.

    51      Par décision du 7 mai 2010, notifiée au conseil du requérant le 30 mai suivant, l’AHCC a rejeté la réclamation introduite par la note du 8 janvier 2010.

    52      En juillet 2010, le requérant a été reconnu en invalidité permanente totale. Un litige demeure pendant entre le requérant et la compagnie d’assurance Allianz concernant le montant des indemnités dues par celle-ci du fait de l’invalidité totale permanente.

    53      Au mois d’août 2010, une copie de son dossier individuel, désormais classé et inventorié, a été communiquée au requérant.

     Procédure et conclusions des parties

    54      Le recours a été introduit le 30 août 2010.

    55      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    –        annuler la décision litigieuse ;

    –        l’indemniser pour le préjudice matériel et moral subi du fait des actes de harcèlement dont il aurait été victime ;

    –        condamner la Commission aux dépens.

    56      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    –        rejeter le recours comme irrecevable et en tout état de cause comme non fondé ;

    –        condamner le requérant aux dépens.

    57      Le Tribunal a demandé la production de documents et posé plusieurs questions aux parties par le biais de mesures d’organisation de la procédure. Les parties ont déféré auxdites mesures.

     En droit

    1.     Sur la compétence du Tribunal

    58      La Commission exprime ses doutes quant à la compétence du Tribunal pour connaître du présent recours, expliquant que, de son point de vue, il ne serait pas certain que les AIC puissent être regardés comme des agents au sens du RAA. Selon la Commission, le litige pourrait relever du droit national, et donc des juridictions belges, ou du Tribunal de l’Union européenne, en tant que juge de la légalité des actes de la Commission. La Commission, après avoir rappelé que la décision litigieuse concluait aussi à la non-appartenance du requérant au personnel statutaire, s’en remet toutefois à l’appréciation du Tribunal sur cette question.

    59      À cet égard, l’article 90, premier alinéa, du RAA, dans sa version applicable au litige, dispose que « [p]ar dérogation aux dispositions du présent titre, les interprètes de conférence engagés par le Parlement européen ou engagés par la Commission pour le compte des institutions et organismes communautaires sont soumis aux conditions prévues dans la convention du 28 juillet 1999 conclue entre le Parlement européen, la Commission et la Cour de justice, agissant au nom des institutions, d’une part, et les associations représentatives de la profession, d’autre part ».

    60      Or, le « présent titre », auquel il est fait référence dans l’article 90, premier alinéa, du RAA et aux dispositions duquel celles de l’article 90 dérogeraient, est le titre IV du RAA, intitulé « Agents contractuels ». Il s’ensuit que l’engagement par la Commission d’un AIC en application de cette disposition confère nécessairement à celui-ci la qualité d’agent contractuel, et en particulier d’un agent contractuel au sens de l’article 3 ter du RAA, puisque l’article 90 du RAA figure au chapitre 5 du titre IV susmentionné, chapitre intitulé « Dispositions particulières applicables aux agents contractuels visés à l’article 3 ter ».

    61      Dans ces conditions, par application de l’article 117 du RAA, le Tribunal est compétent pour connaître de tout litige survenant entre la Commission et les AIC qu’elle recrute, et notamment de tout litige portant sur l’article 24 du statut, dont bénéficient les agents contractuels en vertu des articles 81 et 11 du RAA.

    62      L’exception d’incompétence soulevée par la Commission doit, dès lors, être écartée comme non fondée.

    2.     Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse

     Sur la recevabilité

     Arguments des parties

    63      La Commission soulève deux fins de non-recevoir à l’encontre des conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

    64      La Commission fait d’abord valoir que, le requérant n’ayant pas respecté un délai raisonnable pour introduire la demande d’assistance, les conclusions dirigées contre la décision litigieuse seraient irrecevables.

    65      La Commission soutient ensuite que le requérant aurait cherché, en introduisant la demande d’assistance, à réparer son omission de former recours contre la décision du 20 décembre 2005 par laquelle l’AHCC, statuant sur la réclamation qu’il avait présentée le 18 août 2005, avait déjà rejeté le grief de harcèlement moral, décision qui, par suite, faute ainsi d’avoir été contestée, était devenue définitive.

    66      Le requérant conclut à la recevabilité de ses conclusions à fins d’annulation de la décision litigieuse.

     Appréciation du Tribunal

    67      En premier lieu, s’agissant du caractère prétendument tardif de la demande d’assistance, s’il est constant que les articles 12 bis et 24 du statut ne fixent expressément aucun délai pour l’introduction d’une demande d’assistance en matière de harcèlement moral, il a été jugé que, en vertu des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, un fonctionnaire ou un agent désireux d’introduire une telle demande doit le faire dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal du 8 février 2011, Skareby/Commission, F‑95/09, points 41 à 44) et qu’un délai de cinq ans devait être considéré comme raisonnable pour pouvoir valablement dénoncer un harcèlement moral auprès de l’administration et demander son assistance (arrêt Skareby/Commission, précité, point 53).

    68      Par ailleurs, il a été jugé que le point de départ du délai d’introduction d’une demande d’assistance en matière de harcèlement moral correspondait au dernier acte de l’auteur présumé du harcèlement moral ou, en tout cas, au moment à partir duquel l’auteur présumé n’est plus en mesure de renouveler ses actes à l’encontre de sa victime (arrêt Skareby/Commission, précité, point 49).

    69      En l’espèce, parmi les éléments constitutifs du harcèlement moral qu’il dénonce dans la demande d’assistance, le requérant fait valoir qu’il aurait fait l’objet, à l’initiative des chefs successifs de l’unité anglaise, d’un nombre excessif de rapports d’audition, les plus récents d’entre eux ayant été établis les 26 octobre et 7 novembre 2006.

    70      Dans ces conditions, la demande d’assistance, datée du 29 janvier 2009 et enregistrée par la Commission le 12 février 2009, soit moins de trois ans après les derniers actes des auteurs présumés du harcèlement moral, ne saurait être regardée comme tardive.

    71      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir tirée de la prétendue tardiveté de la demande d’assistance doit être écartée en tout état de cause.

    72      La deuxième fin de non-recevoir soulevée par la Commission est tirée de ce que le requérant aurait cherché, en introduisant la demande d’assistance, à réparer l’omission de former recours contre la décision du 20 décembre 2005 par laquelle l’AHCC, statuant sur la réclamation qu’il avait présentée le 18 août 2005, avait déjà rejeté le grief de harcèlement moral.

    73      À cet égard, s’il est vrai que, dans la note du 18 août 2005 par laquelle le requérant a présenté une réclamation contre la décision du nouveau chef de l’unité anglaise, M. M., de le retirer de la liste d’engagement à long terme pour les périodes allant de janvier à juillet 2005 et de septembre à décembre 2005, celui-ci a fait valoir que cette décision était intervenue dans un contexte de harcèlement moral, la note en cause ne contenait aucune demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut. Ainsi, la décision du 20 décembre 2005 rejetant la réclamation susmentionnée ne saurait être regardée comme ayant refusé de faire droit à une demande d’assistance, et ce nonobstant la circonstance que, dans cette décision, la Commission s’est prononcée, pour l’écarter, sur l’existence du harcèlement moral allégué. Par suite, la décision du 20 décembre 2005 et la décision litigieuse n’ayant pas le même objet, la Commission n’est pas fondée à prétendre que le requérant aurait cherché, en introduisant la demande d’assistance, à réparer le fait qu’il avait omis de former recours contre la décision du 20 décembre 2005. La deuxième fin de non-recevoir soulevée par la Commission doit ainsi être écartée.

    74      Il s’ensuit que les conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse sont recevables.

     Sur le fond

    75      Le requérant soulève trois moyens, tirés, premièrement, de l’irrégularité de l’enquête effectuée par l’IDOC, deuxièmement, de l’existence d’un harcèlement moral et, troisièmement, de l’existence d’un conflit d’intérêts.

     Sur le premier moyen, tiré de l’irrégularité de l’enquête effectuée par l’IDOC

    –       Arguments des parties

    76      Le requérant fait valoir, premièrement, que l’IDOC n’aurait effectué aucune « véritable enquête » approfondie, au prétexte – erroné – qu’il n’aurait pas fait partie du personnel statutaire, deuxièmement, que l’IDOC aurait conduit l’enquête sans sa collaboration, troisièmement, que la demande d’assistance n’aurait pas fait l’objet d’une analyse approfondie, quatrièmement, que l’enquête aurait été conduite en méconnaissance du devoir de sollicitude.

    77      La Commission conclut au rejet du moyen.

    –       Appréciation du Tribunal

    78      S’agissant, en premier lieu, du grief selon lequel l’IDOC n’aurait pas effectué de « véritable enquête », il importe de rappeler que, en vertu de l’article 24 du statut, il incombe à chaque institution de l’Union de protéger ses fonctionnaires et agents contre le harcèlement ou un traitement dégradant quel qu’il soit de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Par ailleurs, il résulte d’une jurisprudence constante que, en vertu de l’obligation d’assistance, l’administration doit, en présence d’un incident incompatible avec l’ordre et la sérénité du service, intervenir avec toute l’énergie nécessaire et répondre avec la rapidité et la sollicitude requises par les circonstances de l’espèce en vue d’établir les faits et d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées. À cette fin, il suffit que le fonctionnaire ou agent qui réclame la protection de son institution apporte un commencement de preuve de la réalité des attaques dont il affirme être l’objet. En présence de tels éléments, il appartient à l’institution en cause de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci (arrêt de la Cour du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission, 224/87, points 15 et 16 ; arrêts du Tribunal de première instance du 21 avril 1993, Tallarico/Parlement, T‑5/92, point 31, et du 5 décembre 2000, Campogrande/Commission, T‑136/98, point 42).

    79      En l’espèce, il est vrai que, dans son rapport, l’IDOC a estimé que le requérant ne faisait pas partie du « personnel statutaire » et que, par suite, il ne pouvait pas avoir recours à la procédure consistant à introduire une demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut, procédure qualifiée de « formelle » par le point 6.3 de la décision C(2006) 1624/3 du 26 avril 2006 relative à la politique en matière de protection de la dignité de la personne et de lutte contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel à la Commission européenne.

    80      Or, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le requérant, en sa qualité d’AIC, était un agent contractuel au sens du RAA, bénéficiant, en vertu des articles 81 et 11 du RAA, de la protection de l’article 24 du statut. Toutefois, il y a lieu de relever que, en dépit de la qualification erronée qu’il a faite de la situation juridique du requérant, l’IDOC a mené une enquête approfondie en vue d’établir les faits à l’origine de la demande d’assistance et a rédigé, au terme de celle-ci, un rapport circonstancié de 46 pages, répondant aux différents griefs soulevés par l’intéressé. Le requérant n’est donc pas fondé à prétendre qu’aucune « véritable enquête » n’aurait été conduite par l’IDOC.

    81      En ce qui concerne, en deuxième lieu, le grief tiré de ce que l’enquête effectuée par l’IDOC aurait été conduite sans la collaboration du requérant, il ressort des pièces du dossier que celui-ci, en annexe à la demande d’assistance, a fourni une documentation importante, comportant, en particulier, une note de 62 pages reprenant la chronologie des attaques dont il prétendait avoir été victime, un dossier de 125 pièces destiné à étayer la réalité de ces attaques, et enfin une note relative à la « logique » du harcèlement moral qu’il aurait subi, mettant ainsi l’IDOC en mesure de connaître de manière approfondie la teneur de ses griefs. Par ailleurs, après avoir été, dès le mois de janvier 2009, reçu par l’IDOC, en présence des représentants des services concernés, le requérant a, le 26 mai 2009, de nouveau été entendu par l’IDOC, accompagné de son conseil, au cours d’une réunion qui a duré plusieurs heures. Enfin, par la suite, plusieurs contacts et échanges d’informations ont eu lieu entre le requérant, assisté de son conseil, et l’IDOC. Il en résulte que, contrairement à ce que prétend le requérant, l’enquête doit être regardée comme ayant été faite « en collaboration avec l’auteur de la plainte », au sens de la jurisprudence susmentionnée.

    82      Le fait que l’IDOC n’a pas accompli certains actes d’investigation demandés par le requérant n’est pas de nature à contredire une telle conclusion. En effet, l’IDOC, auquel il incombait de conduire son enquête en toute indépendance et selon les méthodes qu’il jugeait les plus appropriées, a pu estimer que, compte tenu des informations en sa possession, il n’y avait pas lieu, en particulier, de procéder à la confrontation du requérant avec les interprètes fonctionnaires ayant rédigé à son encontre des rapports d’audition négatifs ni même d’examiner si les autres AIC avaient fait l’objet d’autant de rapports d’audition.

    83      S’agissant, en troisième lieu, de ce que la demande d’assistance n’aurait pas fait l’objet d’une analyse approfondie, il est constant que, suite à l’introduction de la demande d’assistance et des documents y annexés, le requérant a, à la demande de la Commission, transmis à celle-ci un « formulaire de renseignements complémentaire », dans lequel étaient résumés, en 27 rubriques, les agissements qu’auraient eus à son encontre les chefs de l’unité anglaise sous l’autorité desquels il avait travaillé, agissements constitutifs, de son point de vue, de harcèlement moral. Or, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de la procédure ouverte à la suite de la demande d’assistance, l’IDOC a examiné de manière détaillée l’ensemble des 27 agissements incriminés par le requérant, y compris ceux qui avaient déjà été invoqués dans la réclamation du 18 août 2005 contre la décision du chef de l’unité anglaise de l’exclure de la liste d’engagement à long terme à compter de janvier 2005. Par ailleurs, la circonstance que l’IDOC n’a pas expressément répondu à la totalité des griefs figurant dans les documents annexés à la demande d’assistance, notamment dans la note de 62 pages, n’implique pas que ces griefs n’auraient pas été examinés, ceux-ci ayant été, au demeurant, résumés par le requérant lui-même dans le formulaire de renseignements complémentaire. Il s’ensuit que le grief tiré de ce que la demande d’assistance n’aurait pas fait l’objet d’une analyse approfondie doit être écarté.

    84      En quatrième et dernier lieu, quant au grief tiré de la méconnaissance du devoir de sollicitude, si le requérant prétend que l’IDOC n’aurait pas procédé à une enquête équilibrée tenant compte à la fois de l’intérêt du service et de son intérêt personnel, une telle allégation, exprimée en des termes généraux et dépourvue de tout élément probant, doit être écartée.

    85      Il s’ensuit que le moyen tiré de l’irrégularité de l’enquête effectuée par l’IDOC ne saurait être accueilli.

     Sur le deuxième moyen, tiré de l’existence d’un harcèlement moral

    –       Arguments des parties

    86      Le requérant soutient que, contrairement aux conclusions du rapport d’enquête de l’IDOC et à ce qu’a estimé l’AHCC dans la décision litigieuse, il aurait été victime de harcèlement moral.

    87      Le requérant fait en effet valoir en substance :

    –        que les chefs successifs de l’unité anglaise n’auraient pas établi de rapport d’évaluation de ses prestations, en méconnaissance du code de bonne conduite ;

    –        qu’aucun « dialogue professionnel » au sens du document sur le suivi des AIC n’aurait non plus été organisé ;

    –        que ses prestations auraient donné lieu à un nombre considérable de rapports d’audition (plus de 60 rapports entre 1999 et 2006), alors que, selon le code de bonne conduite, l’administration n’aurait été en droit d’établir que trois rapports d’audition par période d’évaluation ;

    –        que les rapports d’audition le concernant auraient été établis par des interprètes fonctionnaires ayant travaillé en équipe avec lui, alors que ceux-ci ne pouvaient effectuer une pareille tâche en raison de leur implication personnelle dans ses prestations ;

    –        qu’une partie des rapports d’audition n’auraient pas été rédigés selon le modèle annexé au code de bonne conduite ;

    –        que la Commission aurait méconnu le principe du respect des droits de la défense, en ne recourant pas aux procédures dans lesquelles un tel principe est mis en œuvre et en ne lui communiquant pas les rapports d’audition le concernant ;

    –        qu’il aurait été victime de discrimination du fait de son handicap physique, et que les chefs successifs de l’unité anglaise auraient commis un détournement de pouvoir en usant de leur pouvoir à des fins non motivées par un intérêt public ;

    –        que son dossier administratif serait demeuré, pendant la période litigieuse, non classé et non inventorié.

    88      En défense, la Commission conteste la réalité du harcèlement moral allégué par le requérant.

    –       Appréciation du Tribunal

    89      L’article 12 bis, paragraphe 3, du statut définit le harcèlement moral comme une « conduite abusive » qui requiert, pour être établie, que deux conditions cumulatives soient satisfaites. La première condition est relative à l’existence de comportements, paroles, actes, gestes ou écrits qui se manifestent « de façon durable, répétitive ou systématique », ce qui implique que le harcèlement moral doit être compris comme un processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppose l’existence d’agissements répétés ou continus, et qui sont « intentionnels ». La seconde condition cumulative, unie à la première par la conjonction de coordination « et », exige que ces comportements, paroles, actes, gestes ou écrits aient pour effet de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne. Du fait que l’adjectif « intentionnel » concerne la première condition, et non la seconde, il est possible de tirer une double conclusion. D’une part, les comportements, paroles, actes, gestes ou écrits, visés par l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, doivent présenter un caractère volontaire, ce qui exclut du champ d’application de cette disposition les agissements qui se produiraient de manière accidentelle. D’autre part, il n’est en revanche pas requis que ces comportements, paroles, actes, gestes ou écrits aient été commis avec l’intention de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne. En d’autres termes, il peut y avoir harcèlement moral au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut sans que le harceleur ait entendu, par ses agissements, discréditer la victime ou dégrader délibérément ses conditions de travail. Il suffit que ses agissements, dès lors qu’ils ont été commis volontairement, aient entraîné objectivement de telles conséquences (voir en ce sens, arrêt du Tribunal du 9 décembre 2008, Q/Commission, F‑52/05, point 135, non annulé sur ce point par arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juillet 2011, Commission/Q, T‑80/09 P).

    90      Enfin, les agissements en cause devant, en vertu de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, présenter un caractère abusif, il s’ensuit que la qualification de harcèlement est subordonnée à la condition que celui-ci revête une réalité objective suffisante, au sens où un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, le considérerait comme excessif et critiquable (arrêt du Tribunal du 16 mai 2012, Skareby/Commission, F‑42/10, point 135).

    91      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de statuer sur les griefs tirés de l’existence d’un harcèlement moral, ce qui suppose d’abord d’examiner la réalité des différents agissements reprochés par le requérant à sa hiérarchie, puis de déterminer si ces agissements ont eu pour effet de porter objectivement atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique de l’intéressé.

    92      En premier lieu, s’agissant du grief tiré de ce que le requérant n’aurait fait l’objet d’aucun rapport d’évaluation, il ressort des dispositions légales relatives au recrutement et au suivi des AIC que ceux-ci doivent, à intervalles réguliers, faire l’objet d’une évaluation formelle. Ainsi, le point 4.3 du code de bonne conduite dispose qu’un rapport d’évaluation doit être établi tous les deux ans pour chaque AIC par le chef de l’unité linguistique et que ce rapport, qui consiste en trois rapports d’audition complétés par l’appréciation et les commentaires de celui-ci, est communiqué à l’AIC, lequel dispose alors de la faculté de solliciter un entretien avec le chef de l’unité linguistique.

    93      En l’espèce, il est constant que, durant l’ensemble de la période au cours de laquelle il prétend avoir été victime de harcèlement moral, soit entre 1999 et 2007, le requérant n’a fait l’objet d’aucun rapport d’évaluation, alors que, ainsi qu’il vient d’être dit, l’obligation pour l’administration d’établir de tels rapports était expressément prévue par le code de bonne conduite. Toutefois, une telle circonstance ne saurait, en tant que telle, être regardée comme ayant eu pour effet de porter objectivement atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique de l’intéressé, ce d’autant que les différents chefs de l’unité anglaise ont, à plusieurs reprises, eu l’occasion d’alerter le requérant sur la qualité de ses prestations et de son comportement.

    94      En deuxième lieu, le requérant se plaint de la méconnaissance par la Commission du chapitre III du document sur le suivi des AIC, qui dispose notamment que, dans le cas en particulier où le suivi des prestations d’un AIC met en évidence la nécessité d’améliorer la qualité du travail de celui-ci, le chef de l’unité linguistique concernée doit organiser avec l’AIC un « dialogue professionnel ». Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant a été reçu à plusieurs reprises par ses supérieurs hiérarchiques successifs (les 13 juin 2001, 16 avril 2002 et 19 juillet 2002 par M. C., le 27 mai 2005 par M. M., le 5 août 2005 par M. S.) et qu’au cours de chacune de ces réunions ceux-ci lui ont fait part de leurs inquiétudes quant à la qualité de ses prestations et à son comportement et ont exploré les solutions susceptibles de remédier au niveau insuffisant de ses prestations. Par ailleurs, il importe de relever que, lors de la réunion du 16 avril 2002, le chef de l’unité anglaise et le requérant avaient convenu de se rencontrer à nouveau le 18 avril suivant, afin de discuter de la teneur d’un rapport d’audition très négatif établi le 15 avril 2002, mais que l’intéressé lui-même a finalement renoncé à se rendre à cet entretien. Dans ces conditions, le grief tiré du défaut de « dialogue professionnel » doit être écarté comme non fondé.

    95      En troisième lieu, le requérant critique le nombre prétendument excessif des rapports d’audition dont il aurait fait l’objet.

    96      Il importe à titre liminaire de relever qu’aucune disposition ne fixe le nombre maximal de rapports d’audition dont un AIC peut faire l’objet au cours d’une période d’évaluation. En particulier, et contrairement à ce que prétend le requérant, le fait que, selon les dispositions du code de bonne conduite, trois rapports d’audition soient requis pour que le chef de l’unité linguistique puisse, en y ajoutant son appréciation et ses commentaires, établir un rapport d’évaluation, n’implique aucunement que le nombre de rapports d’audition serait limité à trois pour chaque période d’évaluation et qu’un chef d’unité linguistique ne pourrait légalement pas faire établir un plus grand nombre de rapports d’audition. Enfin, il importe de souligner que, au chapitre II du document sur le suivi des AIC, il est indiqué en particulier que le suivi, par les chefs d’unité linguistique, de la qualité du travail des AIC constitue un « exercice permanent » afin de « maintenir le niveau de qualité requis ».

    97      Il n’en demeure pas moins que les supérieurs hiérarchiques des AIC ne peuvent en principe faire établir qu’un nombre raisonnable de rapports d’audition, le caractère raisonnable devant être apprécié au regard des circonstances particulières de chaque cas.

    98      En l’espèce, s’il est vrai que le requérant a fait l’objet de plus de 60 rapports d’audition entre les mois de janvier 1999 et novembre 2006, ce nombre élevé s’explique et se justifie par le fait que, pendant toute cette période, des interprètes fonctionnaires ayant travaillé en cabine avec l’intéressé ont, à intervalles réguliers, alerté les chefs successifs de l’unité anglaise du niveau moyen, voire nettement insuffisant, des prestations et de la conduite de celui-ci, ce qui rendait nécessaire un suivi rigoureux et étroit, par le biais de rapports d’audition, du travail du requérant.

    99      Ainsi, dès le début de la période mentionnée ci-dessus, à la suite de l’invitation faite en janvier 1999 par M. C. aux interprètes fonctionnaires de l’unité anglaise de rédiger un rapport d’audition à chaque fois qu’ils seraient amenés à travailler en équipe avec un AIC, afin de procéder à l’évaluation de celui-ci, il ressort des pièces du dossier que quatre rapports d’audition ont été établis les 29 janvier, 23 février, 7 juin et 1er juillet 1999 concernant le requérant. Or, ces rapports ont fait état de prestations « très moyennes », voire « insatisfaisantes ». En particulier, le rapport d’audition du 1er juillet 1999 a souligné le caractère « absolument non professionnel » du comportement et des prestations du requérant et relevait les graves problèmes d’inattention et de compréhension dont il avait fait preuve. C’est d’ailleurs à la lumière de ces rapports que, le 2 juillet 1999, M. C., chef de l’unité anglaise, a saisi le groupe de qualité, lequel a proposé au directeur général du SCIC, qui l’a accepté, « de continuer le suivi de la qualité et de demander au [c]hef de l’[unité anglaise] de lui faire un rapport sur l’évolution de la situation ».

    100    Dans le cadre de cette procédure spéciale de suivi du travail du requérant, qui s’est déroulée entre octobre 1999 et décembre 2000, 17 rapports d’audition ont été établis. Or, si la majorité d’entre eux a qualifié de « satisfaisantes » les prestations de l’intéressé, certains ont au contraire été très critiques. Il en a été ainsi des rapports datés des 28 janvier, 19 mai et 13 octobre 2000, ce dernier soulignant en particulier les problèmes de style, de contenu et de présentation générale rencontrés par le requérant.

    101    Après l’élargissement à l’espagnol de la combinaison linguistique du requérant, en septembre 2001, plusieurs interprètes fonctionnaires ont, à intervalles réguliers, alerté le chef de l’unité anglaise, M. C., sur le caractère insuffisant des prestations du requérant. Ainsi, un courriel du 2 octobre 2001 a souligné le comportement relâché du requérant, tandis qu’un autre courriel du 3 octobre 2001 a regretté son manque de ponctualité. Peu après, un rapport d’audition du 25 octobre 2001 a jugé « très moyennes » (« borderline ») les prestations du requérant lors d’une réunion tenue le 24 octobre 2001, notamment l’usage de l’anglais, l’auteur du rapport relevant en particulier le « manque de flexibilité dans l’usage de l’anglais » et une « diction particulièrement pauvre particulièrement à la fin des interventions ». De même, le 3 décembre 2001, un fonctionnaire interprète a établi un rapport très négatif concernant une réunion tenue le 28 novembre 2001. Enfin, dans un rapport du 15 avril 2002, un autre fonctionnaire interprète a dénoncé les absences fréquentes du requérant de la cabine d’interprétation, une insuffisante concentration ainsi que des faiblesses dans sa connaissance de la langue espagnole. C’est, notamment, à la suite de ce dernier rapport que le requérant a été exclu de la liste d’engagement à long terme pour la période allant de septembre à décembre 2002, exclusion qui s’est prolongée jusqu’en juillet 2003.

    102    Enfin, au cours de la période allant d’octobre 2002 à novembre 2006, soit sur une période de plus de quatre ans, treize nouveaux rapports d’audition ont été établis. Or, si certains de ces rapports ont été positifs, plusieurs autres ont souligné au cours de cette période l’insuffisante motivation du requérant ainsi que la persistance de difficultés en ce qui concerne la qualité des prestations et le comportement. Il en a été ainsi, par exemple, d’un rapport du 16 décembre 2003, très négatif tant sur la préparation par l’intéressé de la réunion concernée que sur sa capacité à suivre le déroulement de celle-ci, ainsi que d’un rapport du 7 novembre 2006 dans lequel était mentionné le fait que « [le requérant] n’écout[ait] ni ce qui s[’est] dit à la réunion ni ses collègues ».

    103    Ainsi, compte tenu des circonstances rappelées ci-dessus, le grief tiré du nombre prétendument excessif de rapports d’audition entre 1999 et 2006 doit être écarté.

    104    En quatrième lieu, le requérant critique la pratique ayant consisté à confier la tâche d’établir les rapports d’audition concernant la qualité des prestations des AIC à des interprètes fonctionnaires amenés à travailler avec lesdits AIC. Toutefois, non seulement aucune disposition légale ne prohibe une telle pratique, mais celle-ci est expressément prévue par le document sur le suivi des AIC, dont le point I.2 rappelle que « [v]u le pourcentage élevé du travail confié aux […] AIC, le rôle des interprètes fonctionnaires dans l’exercice du contrôle de la qualité que fournit le SCIC est essentiel pour garantir un bon fonctionnement [de celui-ci] », et dont le point II.2 précise que le chef de l’unité linguistique « peut obtenir par lui-même les informations nécessaires [relatives à la qualité des prestations des AIC] ou en charger des interprètes qualifiés de sa confiance ».

    105    Certes, la circonstance, pour le chef d’une unité linguistique, de demander à un interprète fonctionnaire d’établir un rapport d’audition pour un AIC avec lequel il fait équipe est susceptible d’entraîner des répercussions sur les relations humaines et professionnelles entre l’interprète fonctionnaire et l’AIC concernés. Il en va de même dans l’hypothèse où ce chef d’unité est conduit à prendre en considération un rapport d’audition concernant un AIC établi spontanément par un interprète fonctionnaire.

    106    Toutefois, dès lors, d’une part, que le suivi du travail des AIC est requis par la nécessité d’assurer aux prestations délivrées par le SCIC le plus haut degré de qualité et de fiabilité, d’autre part, que le nombre d’AIC dans certaines unités linguistiques, comme c’est le cas dans l’unité anglaise qui compte environ 150 AIC, fait obstacle à ce que les chefs de ces unités linguistiques exercent seuls cette tâche, le fait pour des interprètes fonctionnaires d’établir des rapports d’audition concernant des AIC ne saurait être regardé comme fautif ni a fortiori comme constitutif de harcèlement moral. Par ailleurs, s’il est vrai que le titre 4 du code de bonne conduite prévoit que les AIC « sont affectés en réunion dans les mêmes conditions que les interprètes fonctionnaires » et que les uns et les autres doivent respecter, lors des séances de travail, un certain nombre de règles, parmi lesquelles un esprit de « collégialité », et si le document sur le suivi des AIC rappelle que les exigences de l’« esprit d’équipe » et d’« assistance » doivent prévaloir entre interprètes fonctionnaires et AIC travaillant au sein d’une même équipe, ces textes ne sauraient être lus comme prohibant l’établissement de rapports d’audition concernant des AIC par des interprètes fonctionnaires.

    107    En cinquième lieu, s’il est vrai qu’une partie des rapports d’audition a été établie de manière informelle, sous forme de courriers électroniques envoyés par des interprètes fonctionnaires aux chefs successifs de l’unité anglaise, et non selon le modèle annexé au code de bonne conduite, cette circonstance, à la supposer même fautive, ne saurait être regardée comme ayant porté atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique du requérant.

    108    En sixième lieu, le requérant fait valoir en substance que les rapports d’audition le concernant ne lui auraient été communiqués que tardivement, en tout cas après avoir servi de fondement à la saisine du groupe de qualité ainsi qu’aux décisions l’excluant de la liste d’engagement à long terme et de la liste unique des AIC des services d’interprétation des trois institutions (Parlement, Commission et Cour de justice). Selon l’intéressé, en agissant ainsi, la Commission aurait méconnu le principe des droits de la défense.

    109    Il convient à titre liminaire de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense est applicable dans le cadre de toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci (voir, par exemple, arrêt du Tribunal de première instance du 8 mars 2005, Vlachaki/Commission, T‑277/03, point 64, et la jurisprudence citée). Selon ce principe, la personne concernée doit être mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments qui pourraient être retenus à sa charge dans l’acte à intervenir (voir, notamment, arrêt de la Cour du 9 novembre 2006, Commission/De Bry, C‑344/05 P, point 37, et la jurisprudence citée).

    110    En l’espèce, si l’intéressé entend invoquer la méconnaissance du principe du respect des droits de la défense dans le cadre des différentes procédures le concernant introduites devant le groupe de qualité, un tel grief ne saurait être accueilli, dès lors qu’aucune décision portant retrait de l’agrément du requérant n’a été adoptée par le chef de service à l’issue de ces procédures.

    111    Par ailleurs, s’agissant des décisions d’exclusion du requérant de la liste d’engagement à long terme ou de la décision de ne pas inscrire le requérant sur la liste unique des AIC des services d’interprétation des trois institutions (Parlement, Commission et Cour de justice), à supposer même que ces décisions aient été prises sans que l’intéressé ait pu préalablement exercer ses droits de la défense, une telle circonstance ne pourrait être regardée à elle seule comme caractérisant un harcèlement moral.

    112    Enfin, le requérant ne saurait se plaindre de ce que la communication tardive des rapports d’audition le concernant aurait méconnu ses droits de la défense, dès lors que lesdits rapports ne constituaient pas par eux-mêmes des actes faisant grief. De même, à la supposer contraire au principe de bonne administration, la communication tardive de ces rapports ne saurait être constitutive de harcèlement moral.

    113    En septième lieu, s’agissant des griefs tirés de ce que le requérant aurait été victime de discrimination en raison de sa cécité et de ce que les chefs successifs de l’unité anglaise auraient usé de leur pouvoir à des fins non motivées par l’intérêt public, commettant ainsi un détournement de pouvoir, l’intéressé n’apporte aucun élément à l’appui de ces allégations. Au contraire, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le nombre important de rapports d’audition sur le travail du requérant, de même que l’exclusion du requérant de la liste d’engagement à long terme, s’expliquent par le niveau parfois très moyen, voire négatif, de certaines de ses prestations et par la nécessité, pour les chefs successifs de l’unité anglaise, d’obtenir toute information sur la qualité de son travail. En outre, il importe de souligner que, dans une attestation établie le 9 novembre 2010, le fonctionnaire qui avait dirigé l’unité anglaise pendant près de quinze années, entre 1983 et 1998, et sous l’autorité duquel le requérant avait travaillé, a indiqué qu’il avait également rencontré des difficultés importantes avec le requérant, la technique d’interprétation de celui-ci n’étant pas « solide » et sa motivation insuffisante, et que, en dépit des remarques régulières qu’il lui avait faites, aucun progrès durable n’avait pu être constaté.

    114    Par ailleurs, aucun élément du dossier ne vient corroborer l’affirmation du requérant selon laquelle les interprètes fonctionnaires ayant établi les rapports d’audition négatifs le concernant auraient manqué d’objectivité, ce d’autant que certains d’entre eux ont, à d’autres occasions, également rédigé des rapports d’audition positifs le concernant. Il en va ainsi, notamment, de Mme K., auteur d’un rapport d’audition très critique, en date du 1er juillet 1999, puis d’un rapport satisfaisant, en date du 15 décembre 1999, et de Mme H., qui a établi des rapports d’audition tant négatifs (rapports des 23 février 1999 et 3 mai 2002) que positifs (rapports des 26 novembre 1999 et 17 avril 2002). Il doit également être signalé que M. C., chef de l’unité anglaise particulièrement mis en cause par le requérant dans la demande d’assistance, a rédigé des rapports d’audition le concernant faisant état de prestations d’un niveau satisfaisant (rapports des 16 novembre 2001 et 14 mai 2002).

    115    Enfin, il ressort des pièces du dossier que l’administration a, à plusieurs reprises, pris en compte la situation de handicap présentée par le requérant, en évitant, par exemple, de l’affecter, de même que les autres interprètes non voyants, à des réunions dont la préparation exigeait la lecture d’une documentation écrite. Dans le même sens, lorsque, par lettre du 23 septembre 1999, M. C., chef de l’unité anglaise, a informé le requérant que, conformément à l’avis du groupe de qualité, il allait poursuivre le suivi de la qualité de ses prestations, il lui a proposé son « assistance » et lui a rappelé que le SCIC avait entrepris un certain nombre d’actions en matière d’aide technique à apporter aux AIC non voyants. Toujours dans le même sens, par lettre du 2 octobre 2000, M. C. a demandé à la responsable de la programmation de l’interprétation au sein du SCIC de faire en sorte que le requérant soit affecté à des réunions portant sur des questions qui lui étaient familières. Cette responsable a, par lettre du 11 octobre suivant, confirmé qu’elle s’efforcerait de donner suite à cette demande, tout en évoquant certaines difficultés pratiques à la mettre en œuvre et en relevant le caractère exceptionnel de cette mesure.

    116    En huitième et dernier lieu, la circonstance que le dossier administratif de l’intéressé n’aurait pas été tenu avec toute la rigueur requise et n’aurait fait l’objet d’un classement et d’un inventaire qu’à l’occasion de sa transmission à l’IDOC ne saurait être regardée comme ayant porté atteinte à sa personnalité, à sa dignité ou à son intégrité physique ou psychique.

    117    Il résulte de ce qui précède que les faits invoqués par le requérant, pris isolément ou considérés dans leur totalité, ne sauraient être regardés comme ayant eu objectivement pour effet de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique de l’intéressé.

    118    Par suite, le moyen tiré de l’existence d’un harcèlement moral commis par les chefs successifs de l’unité anglaise doit être écarté comme non fondé.

     Sur le troisième moyen, tiré de l’existence d’un conflit d’intérêts dans la personne de Mme E.

    –       Arguments des parties

    119    Le requérant fait valoir que Mme E., responsable de l’unité « Gestion commune des [AIC] » de la direction B « Administration et ressources » de la DG « Interprétation » et compagne de M. C., son chef d’unité de 1998 à janvier 2004, aurait fait en sorte de retarder le traitement du litige l’opposant à la compagnie d’assurance concernant le versement d’un revenu de remplacement. Le requérant ajoute que Mme E. aurait également établi la note à partir de laquelle a été rédigée la décision du 20 décembre 2005 ayant rejeté la réclamation qu’il avait formée contre la décision du nouveau chef de l’unité anglaise, M. M., l’excluant de la liste d’engagement à long terme à compter de janvier 2005, réclamation dans laquelle il avait dénoncé le harcèlement moral qu’il avait subi de la part de M. C. Le requérant en déduit une violation par Mme E. de l’article 11 bis du statut qui interdit à tout fonctionnaire de traiter une affaire dans laquelle il a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance. Le requérant ajoute que le comportement de Mme E. aurait également participé du harcèlement moral dont il a été victime.

    120    En défense, la Commission conclut au rejet du moyen.

    –       Appréciation du Tribunal

    121    L’article 11 bis, paragraphe 1, du statut prévoit que, « [d]ans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel, notamment familial ou financier, de nature à compromettre son indépendance […] ».

    122    En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que, le 27 octobre 2005, en sa qualité de chef de l’unité « Gestion commune des [AIC] », Mme E. a rédigé une note destinée à éclairer l’AHCC sur la réponse à apporter à la réclamation du requérant dirigée contre la décision du nouveau chef de l’unité anglaise, M. M., de le retirer de la liste d’engagement à long terme à compter de janvier 2005. Or, il est constant que dans cette note, Mme E., qui vivait maritalement avec M. C., a notamment écarté le bien-fondé des accusations de harcèlement moral portées par l’intéressé à l’encontre de M. C., précédent chef de l’unité anglaise. Toutefois, à supposer même que, eu égard à la nature des liens qui l’unissait à M. C., Mme E. aurait dû s’abstenir de rédiger une telle note, ce afin de respecter les dispositions de l’article 11 bis, paragraphe 1er, du statut, cet acte isolé serait insusceptible de relever d’un comportement de harcèlement moral et, partant, serait dépourvu de toute incidence sur la légalité de la décision litigieuse. Au demeurant, suite au rejet de la réclamation, le requérant n’a introduit aucun recours contentieux à l’encontre de la décision de le retirer de la liste d’engagement à long terme.

    123    Par ailleurs, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que, postérieurement à la mise en congé de maladie du requérant en janvier 2007, Mme E. se serait efforcée de retarder ou même d’influencer le traitement du litige opposant le requérant à la compagnie d’assurance concernant le versement d’un revenu de remplacement. Au contraire, il ressort des pièces du dossier que les certificats médicaux communiqués par le requérant les 22 janvier, 16 février et 20 avril 2007 à l’unité dirigée par Mme E. ont été transmis avec célérité à la compagnie d’assurance et qu’en outre un agent de cette unité a, le 29 mars 2007, écrit un courrier électronique à la compagnie d’assurance pour l’informer que, du point de vue de la Commission, il n’y avait pas de raison d’interrompre le paiement du revenu de remplacement, ce qu’avait pourtant décidé de faire ladite compagnie. Par ailleurs, s’il est vrai qu’un autre agent de la même unité a exprimé l’accord de la Commission pour que, ainsi que le proposait la compagnie d’assurance, le requérant soit soumis à une expertise médicale, cet accord ne saurait constituer une faute, une telle expertise s’avérant usuelle dans ce type de procédure. Enfin, ainsi qu’il ressort d’un courrier électronique du 25 mai 2007 envoyé au requérant, ce même agent a rappelé à la compagnie d’assurance le caractère urgent du dossier du requérant.

    124    Il s’ensuit que le troisième moyen ne saurait être accueilli.

    125    L’ensemble des moyens soulevés ayant été écarté, les conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse doivent être rejetées.

    3.     Sur les conclusions indemnitaires

     Arguments des parties

    126    Le requérant demande d’abord au Tribunal de condamner la Commission à l’indemniser du préjudice matériel et moral subi du fait des actes de harcèlement dont il aurait été victime.

    127    Le requérant prétend ensuite que la Commission devrait être tenue de lui payer la somme de 50 000 euros, correspondant aux honoraires qu’il a versés à son avocat dans le cadre de la procédure précontentieuse.

    128    Enfin, le requérant soutient que, en n’assurant pas le suivi du dossier d’assurance, la Commission serait responsable du retard mis par la compagnie d’assurance à lui verser le revenu de remplacement qui lui était dû, de telle sorte que la Commission devrait être condamnée à l’indemniser du préjudice qui en serait résulté, celui-ci s’élevant au montant des intérêts moratoires sur la somme due par la compagnie d’assurance depuis la date à laquelle ce revenu aurait dû lui être payé.

    129    La Commission conclut au rejet des conclusions indemnitaires.

     Appréciation du Tribunal

    130    En premier lieu, en ce qui concerne les conclusions tendant à la condamnation de la Commission à réparer le préjudice matériel et moral résultant des actes de harcèlement prétendument subis, il importe de rappeler que l’article 24, second alinéa, du statut a pour objet la réparation des dommages causés à un fonctionnaire ou à un agent par l’un des agissements émanant de tiers ou d’autres fonctionnaires visés au premier alinéa de ce même article, sous réserve qu’il n’ait pas pu en obtenir réparation auprès de leurs auteurs (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 5 octobre 2006, Schmidt-Brown/Commission, C‑365/05 P, point 78). La recevabilité du recours en indemnité intenté par un fonctionnaire ou un agent au titre de l’article 24, second alinéa, du statut est ainsi subordonnée à l’épuisement des voies de recours nationales, pour autant que celles-ci assurent d’une manière efficace la protection des personnes intéressées et puissent aboutir à la réparation du dommage allégué (voir arrêts du Tribunal de première instance du 9 mars 2005, L/Commission, T‑254/02, point 148, et Commission/Q, précité, point 67).

    131    Or, en l’espèce, il n’est ni établi ni même allégué que, pour parvenir à la réparation du préjudice résultant du prétendu harcèlement moral subi, le requérant aurait épuisé les voies de recours nationales ni que celles-ci n’auraient pas assuré de manière efficace sa protection. Il s’ensuit que les conclusions tendant à la réparation dudit préjudice doivent être rejetées comme irrecevables. En tout état de cause, ces conclusions seraient-elles recevables, le Tribunal ne pourrait les accueillir au fond, dès lors que les allégations de harcèlement moral ont été rejetées par le présent arrêt.

    132    En deuxième lieu, s’agissant des conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de ce que le requérant aurait été contraint d’exposer, pour un montant de 50 000 euros, des frais d’honoraires d’avocat dans le cadre de la procédure précontentieuse concernant la demande d’assistance, elles ne sauraient non plus être accueillies. En effet, dans l’hypothèse où le préjudice invoqué serait la conséquence du harcèlement moral prétendument subi par le requérant, ces conclusions devraient être, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, rejetées comme irrecevables. Dans l’hypothèse où le préjudice serait la conséquence de la prétendue illégalité de la décision litigieuse, les conclusions devraient être rejetées comme non fondées, tous les moyens dirigés contre cette décision ayant été écartés comme non fondés.

    133    En troisième lieu, pour ce qui est des conclusions visant à la réparation du préjudice résultant du versement tardif, du fait de la Commission, du revenu de remplacement par la compagnie d’assurance, elles doivent également être rejetées, le requérant n’ayant ni introduit devant la Commission une demande indemnitaire pour être indemnisé d’un tel comportement non décisionnel de l’administration ni, en tout état de cause, établi la réalité d’une faute commise par l’administration à l’origine du versement tardif du revenu de remplacement par la compagnie d’assurance.

    134    Il s’ensuit que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

    135    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

     Sur les dépens

    136    Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 dudit règlement, « [u]ne partie, même gagnante, peut être condamnée partiellement voire totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais qui sont jugés frustratoires ou vexatoires ».

    137    Il résulte des motifs du présent arrêt que le requérant est la partie qui succombe. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce qu’il soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner le requérant à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission.

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
    (première chambre)

    déclare et arrête :

    1)      Le recours est rejeté.

    2)      M. Cantisani supporte, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.

    Kreppel

    Perillo

    Barents

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juin 2012.

    Le greffier

     

           Le président

    W. Hakenberg

     

           H. Kreppel


    * Langue de procédure : le français.

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