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Document 62022TJ0371

Arrêt du Tribunal (neuvième chambre) du 17 juillet 2024 (Extraits).
Marco Montanari contre EUCAP Sahel Niger.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mission EUCAP Sahel-Niger – Agents nationaux détachés – Harcèlement moral – Rejet d’une demande indemnitaire – Recours en annulation – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité – Responsabilité non contractuelle – Droit à la dignité – Articles 1er et 31 de la charte des droits fondamentaux – Procédure de médiation – Absence de communication du rapport du médiateur – Absence de mise en œuvre des recommandations du médiateur – Droit à une bonne administration – Article 41 de la charte des droits fondamentaux – Devoir de sollicitude – Préjudice moral – Préjudice matériel – Lien de causalité.
Affaire T-371/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2024:494

Affaire T‑371/22

Marco Montanari

contre

EUCAP Sahel Niger

Arrêt du Tribunal (neuvième chambre) du 17 juillet 2024

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mission EUCAP Sahel-Niger – Agents nationaux détachés – Harcèlement moral – Rejet d’une demande indemnitaire – Recours en annulation – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité – Responsabilité non contractuelle – Droit à la dignité – Articles 1er et 31 de la charte des droits fondamentaux – Procédure de médiation – Absence de communication du rapport du médiateur – Absence de mise en œuvre des recommandations du médiateur – Droit à une bonne administration – Article 41 de la charte des droits fondamentaux – Devoir de sollicitude – Préjudice moral – Préjudice matériel – Lien de causalité »

  1. Politique étrangère et de sécurité commune – Compétence du juge de l’Union – Actes adoptés par une mission civile de l’Union européenne en matière de gestion du personnel – Actes relatifs à des agents détachés par les États membres – Actes ayant pour objet de répondre aux besoins de la mission sur le théâtre des opérations – Inclusion

    (Art. 19, § 1, TUE ; art. 263, 268 et 340, 2e al., TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; décision du Conseil 2012/392/PESC, art. 7, § 1 et 2)

    (voir points 44-49)

  2. Recours en indemnité – Autonomie par rapport au recours en annulation – Limites – Recours visant à procurer le même résultat que celui du recours en annulation – Irrecevabilité

    (Art. 263, 268 et 340, 2e al., TFUE)

    (voir points 61-63)

  3. Recours en indemnité – Objet – Demande d’indemnisation d’un préjudice non imputable à l’institution ou à l’organe défendeur – Irrecevabilité

    (Art. 268 TFUE)

    (voir point 70)

  4. Recours en indemnité – Autonomie par rapport au recours en annulation – Limites – Recours visant à indemniser des préjudices résultant d’une décision définitive refusant l’ouverture d’une enquête administrative pour harcèlement – Recours indemnitaire ne tendant pas au retrait, à l’abrogation ou à la modification de cette décision définitive – Absence de tardiveté du recours indemnitaire

    (Art. 263, 268 et 340, 2e al., TFUE)

    (voir points 91-98)

  5. Recours en indemnité – Responsabilité non contractuelle – Délai de prescription – Prescription ne constituant pas une fin de non-recevoir d’ordre public

    (Art. 268 TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 46 et 53, 1er al.)

    (voir point 105)

  6. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Illégalité – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Condition non nécessaire dans le contentieux des agents de missions civiles de l’Union européenne – Portée – Applicabilité aux agents nationaux détachés auprès d’une mission par les États membres

    (Art. 268, 270 et 340, 2e al., TFUE ; statut des fonctionnaires, art. 90 et 91)

    (voir points 113-118, 225)

  7. Politique étrangère et de sécurité commune – Missions civiles de l’Union européenne – Personnel – Recours devant le juge de l’Union – Recours d’un agent national détaché – Applicabilité de certaines dispositions du statut – Admissibilité – Condition – Agent concerné placé, dans l’exercice de ses fonctions sur le théâtre des opérations, dans une situation comparable à celle des agents détachés par les institutions, soumis au statut

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 20 ; statut des fonctionnaires, art. 12 bis ; décision du Conseil 2012/392/PESC)

    (voir points 123-129, 224)

  8. Politique étrangère et de sécurité commune – Missions civiles de l’Union européenne – Personnel -Refus de diligenter une enquête administrative à la suite de plaintes pour harcèlement moral d’un agent – Contrôle juridictionnel – Portée – Obligation de prendre en compte l’ensemble du contexte factuel pertinent

    (Décision du Conseil 2012/392/PESC)

    (voir point 136)

  9. Politique étrangère et de sécurité commune – Missions civiles de l’Union européenne – Personnel – Obligation d’assistance incombant à l’administration – Portée – Devoir de l’administration d’examiner les demandes d’assistance en matière de harcèlement moral et d’informer le demandeur de la suite réservée à sa demande – Portée – Présentation d’un commencement de preuve – Rejet de la demande d’ouverture d’enquêtes administratives formulées par le requérant – Violation de l’obligation d’assistance

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 1er et 31, § 1 ; statut des fonctionnaires, art. 12 bis et 24 ; décision du Conseil 2012/392/PESC, art. 6, § 2 et 3)

    (voir points 137-141, 152, 159, 160, 178-179, 194-200, 214-217, 219, 223, 231, 267-269)

  10. Politique étrangère et de sécurité commune – Missions civiles de l’Union européenne – Personnel – Demande d’assistance concernant un prétendu harcèlement moral – Principe de bonne administration – Portée – Décision de rejet d’ouverture d’une enquête administrative après le rapport d’un médiateur – Absence de communication au plaignant des constats et de la recommandation du médiateur – Violation du droit d’être entendu

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2)

    (voir points 251-261)

  11. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Lien de causalité – Préjudice moral résultant du refus d’une mission civile de l’Union européenne de diligenter une enquête administrative à la suite de plaintes pour harcèlement moral d’un agent – Décision entachée de violations du devoir d’assistance et du droit à une bonne administration – Existence d’un lien de causalité – Limites – Préjudice partiellement causé par le comportement négligent de l’agent – Situation conflictuelle entre la mission et cet agent partiellement imputable à ce dernier

    (Art. 340, 2e al., TFUE)

    (voir points 286-290, 310-320)

  12. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Préjudice – Obligation pour la personne lésée de faire preuve d’une diligence raisonnable pour limiter la portée du préjudice

    (Art. 340, 2e al., TFUE)

    (voir points 301, 302)

  13. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Lien de causalité – Préjudice financier d’un agent d’une mission civile de l’Union européenne résultant de sa démission – Décision de la mission refusant de diligenter une enquête administrative à la suite de plaintes pour harcèlement moral – Cause déterminante du préjudice n’étant pas constituée par les agissements de la mission – Absence de lien de causalité dans la situation de l’espèce

    (Art. 340, 2e al., TFUE)

    (voir points 303-308)

Résumé

Accueillant partiellement un recours en responsabilité non contractuelle formé par M. Montanari, ancien agent national détaché auprès de la mission de politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne au Niger (ci-après la « Mission »), le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur l’imputabilité à cette Mission des agissements de son commandant d’opération civile (COC), qui est hiérarchiquement rattaché au Service européen d’action extérieure (SEAE).

En avril 2015, le requérant a été détaché par le gouvernement italien auprès de la Mission en qualité de conseiller politique.

En mars 2017, il a introduit une première plainte pour harcèlement contre le responsable de la presse et de l’information publique de la Mission, puis une seconde plainte contre ce dernier ainsi que contre le chef de la Mission, pour comportement déloyal envers l’autorité de la Mission et négligence grave mettant en cause le devoir de sollicitude.

En juillet 2017, le requérant a demandé au COC d’ouvrir une enquête pour harcèlement contre le chef de la Mission et son adjoint. Le même jour, le chef de la Mission a adressé un avertissement au requérant pour lui avoir manqué de respect lors d’une réunion. À l’initiative du COC, un médiateur chargé d’examiner la situation sur place a rendu un rapport.

En novembre 2017, le chef de la Mission a rejeté la demande du requérant tendant à la régularisation d’une absence injustifiée et lui a adressé un second avertissement. Le requérant a alors réitéré auprès du COC l’ouverture d’une enquête pour des faits de harcèlement de la part du chef de la Mission et de son adjoint.

Par une décision du 10 avril 2018, le COC a définitivement rejeté la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant.

Dans ce contexte, le requérant a saisi le Tribunal, d’une part, d’un recours en annulation de la décision de la Mission rejetant sa demande indemnitaire en réparation des préjudices matériels, physiques et moraux qui auraient résulté de faits de harcèlement moral et de violations du droit à une bonne administration et du devoir de sollicitude et, d’autre part, d’un recours en indemnité.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, concernant sa compétence, le Tribunal rappelle que, par la décision 2012/392 ( 1 ), la Mission a été créée pour soutenir le renforcement des capacités des intervenants nigériens en matière de sécurité en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Son personnel est essentiellement composé d’agents détachés par les États membres, les institutions de l’Union et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ( 2 ). Certes, l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392 prévoit qu’il appartient à l’État membre, à l’institution de l’Union ou au SEAE, respectivement, de répondre à toute plainte liée au détachement et d’intenter toute action contre l’agent concerné.

Toutefois, premièrement, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rendue à propos de dispositions régissant l’activité d’autres missions relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et rédigées dans des termes analogues à ceux de la décision 2012/392, les agents détachés par les États membres et ceux détachés par les institutions de l’Union étant soumis aux mêmes règles en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations, le juge de l’Union est compétent pour contrôler la légalité des actes de gestion du personnel relatifs à des agents détachés par les États membres ayant pour objet de répondre aux besoins de ces missions sur le théâtre des opérations.

Deuxièmement, le requérant soulève la question de la légalité d’actes de gestion du personnel relatifs aux opérations sur le théâtre des opérations, et non des questions liées au détachement, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2012/392. Par conséquent, l’exception d’incompétence soulevée par la Mission est rejetée.

Le Tribunal examine ensuite les différentes exceptions d’irrecevabilité.

Il rappelle ainsi notamment qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte visé soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. En outre, c’est à la partie requérante qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, l’action en indemnité, fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, a été instituée comme une voie de recours autonome. Or, des conclusions tendant soit à l’annulation du refus d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union de reconnaître un droit à réparation qu’une partie requérante fait valoir au titre des articles 268 et 340 TFUE, soit à ce que le Tribunal constate l’obligation de l’institution, de l’organe ou de l’organisme en cause d’admettre l’existence d’un tel droit visent à faire constater que l’institution, l’organe ou l’organisme en cause est tenu à réparation et doivent être rejetées comme étant irrecevables, dès lors que la partie requérante ne justifie, en principe, d’aucun intérêt à présenter de telles conclusions en sus de sa demande en réparation.

En l’occurrence, le Tribunal rejette comme étant irrecevables les conclusions en annulation du requérant, estimant que celui-ci n’a pas justifié d’un intérêt à demander, en plus de ses conclusions indemnitaires, l’annulation de la décision de la Mission rejetant sa troisième demande indemnitaire.

Le Tribunal écarte enfin une à une les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Mission.

Ainsi, en premier lieu, le Tribunal constate que les actes reprochés (notamment, l’exclusion du requérant de certaines réunions et l’avertissement qui lui a été adressé) et les manquements imputés à la Mission par le requérant (notamment, l’absence de traitement dans un délai raisonnable de ses plaintes et de ses signalements) se rattachent respectivement à l’exercice, par le chef de la Mission et par le COC, des prérogatives qu’ils tiennent de la décision 2012/392 et, partant, à l’exécution par la Mission de son mandat, dont celle-ci doit être tenue pour responsable conformément à l’article 13, paragraphe 4, de cette décision.

En deuxième lieu, le Tribunal souligne qu’un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait, à l’abrogation ou à la modification d’une décision individuelle devenue définitive et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler tout ou partie des effets juridiques de cette décision. De même, doit être rejetée comme étant irrecevable une action en réparation qui est formulée comme une injonction et qui vise, non pas à indemniser un préjudice imputable à un acte illicite ou à une omission, mais à amender l’acte litigieux.

En l’occurrence, il ne ressort pas des écritures présentées par le requérant que celui-ci solliciterait une réparation en nature par laquelle la Mission devrait ouvrir une enquête préliminaire ou disciplinaire à l’égard du chef de la Mission et de son adjoint, ce qui équivaudrait à solliciter l’annulation de la décision du 10 avril 2018. Partant, le caractère définitif de cette décision individuelle ne saurait faire obstacle à la recevabilité du recours.

En dernier lieu, le Tribunal constate que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Mission et tirée d’une prescription quinquennale ou quadriennale n’est pas assortie de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

Sur le fond, le Tribunal rappelle, de façon préalable, que la responsabilité non contractuelle de l’Union ne peut être engagée que si la personne qui estime avoir subi un préjudice établit l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Néanmoins, lorsqu’elle agit en tant qu’employeur, l’Union est soumise à une responsabilité accrue, la seule constatation d’une illégalité commise étant suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de sa responsabilité pour les dommages causés à ses fonctionnaires et agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique européenne, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une violation « suffisamment caractérisée » d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers. Or, bien que les agents nationaux détachés auprès de la Mission par les États membres ne soient pas régis par le statut, ils n’en demeurent pas moins soumis aux mêmes règles que celles applicables aux agents détachés par les institutions de l’Union et dont la situation est régie par le statut, en ce qui concerne l’exercice de leurs fonctions sur le théâtre des opérations. Dès lors, la seule constatation d’une illégalité est suffisante pour considérer comme remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à un agent national détaché auprès de la Mission à l’occasion de l’exercice de ses fonctions sur le théâtre des opérations.

Dans ce contexte, examinant successivement les violations invoquées par le requérant, le Tribunal considère, en premier lieu, que le requérant est fondé à soutenir que, en s’abstenant de diligenter une enquête administrative à la suite de ses allégations de harcèlement moral, la Mission a violé l’article 1er et l’article 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que l’article 12 bis du statut.

Pour parvenir à cette conclusion, s’agissant tout d’abord de l’applicabilité des dispositions du statut, et en particulier de son article 12 bis, paragraphe 3, qui définit le harcèlement moral, le Tribunal relève que, en vertu du principe d’égalité de traitement, il est tenu d’appliquer à la situation du requérant, par analogie, les dispositions statutaires relatives au harcèlement moral et à la protection fonctionnelle des fonctionnaires et des agents temporaires ou contractuels ainsi que la jurisprudence rendue sur le fondement de ces dispositions. En effet, la différence de situation entre les agents détachés auprès de la Mission par les États membres et ceux détachés par les institutions ne saurait objectivement justifier que les premiers, lorsqu’ils exercent leurs fonctions sur le théâtre des opérations et sont alors placés dans une situation comparable à celle des seconds, ne bénéficient pas du même niveau et des mêmes règles de protection contre le harcèlement moral.

Le Tribunal rappelle ensuite que, lorsqu’une demande d’assistance est introduite et qu’elle est assortie d’un commencement de preuve suffisant des faits allégués, il incombe à l’autorité saisie ( 3 ) de répondre avec la rapidité et la sollicitude requises. Elle doit prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête administrative, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci et, au regard des résultats de l’enquête, d’adopter les mesures qui s’imposent, telles que l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la personne mise en cause lorsque l’administration conclut, à l’issue de l’enquête administrative, à l’existence d’un harcèlement moral.

En l’occurrence, premièrement, le Tribunal considère que la décision du chef de la Mission prise en mai 2017 d’exclure le requérant des réunions d’état-major ne saurait être regardée, prise isolément, comme un indice de harcèlement moral vis-à-vis du requérant. En effet, aux termes de l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la décision 2012/392, le chef de la Mission exerce le commandement et le contrôle des effectifs, des équipes et des unités fournis par les États contributeurs et donne des instructions à l’ensemble du personnel de la Mission en assurant sa coordination et sa gestion au quotidien. En outre, l’administration dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’organisation du service.

Deuxièmement, le Tribunal indique que, en l’absence de justification, par la Mission, du caractère tardif de la formulation du premier avertissement adressé au requérant, tant au regard du délai prévu par l’article 11 du code de conduite ( 4 ) qu’au regard de l’ancienneté des faits à l’origine de cet avertissement, et en l’absence d’indications quant à la date exacte à laquelle le chef de la Mission a eu connaissance du signalement effectué par le requérant en juillet 2017, la notification de cet avertissement moins d’une heure après ce signalement peut être considérée comme excessive ou critiquable. En effet, celle-ci est susceptible d’être interprétée comme tendant à pénaliser le requérant en raison dudit signalement, contrairement aux exigences prévues par l’article 7 du code de conduite ( 5 ), et, partant, constitue, prise isolément, l’indice d’un harcèlement moral.

Troisièmement, dans les circonstances particulières dans lesquelles elle est intervenue, la décision du service des ressources humaines de la Mission (ci-après le « service RH ») de relancer, le 27 juillet 2017, la procédure d’évaluation du requérant le lendemain même du départ du médiateur, sans attendre ses conclusions, et plus de neuf mois avant le terme du détachement du requérant, est excessive ou critiquable.

En effet, la Mission n’a pas justifié des motifs pour lesquels le service RH a engagé cette démarche administrative à cette date, alors qu’il résulte de l’article 7 de l’annexe IX de l’OPLAN ( 6 ), relative aux ressources humaines, que la procédure d’évaluation des agents qui souhaitaient solliciter le renouvellement de leur détachement auprès de la Mission devait intervenir lors de la présentation d’une demande en ce sens de leur part, au plus tard trois mois avant le terme du détachement. En outre, une obligation d’agir avec prudence s’imposait, conformément au principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, et, en raison de l’article 7 du code de conduite, à la suite du signalement précité.

Partant, une telle relance peut être interprétée comme visant à évincer le requérant de la Mission au terme de son détachement sans attendre les propositions du médiateur, de sorte que cette décision constitue, prise isolément, un indice de harcèlement moral.

Dernièrement, l’envoi par le service RH au requérant, fin juillet 2017, d’un décompte actualisé de ses congés ne saurait être regardé, pris isolément, comme un acte excessif ou critiquable de nature à caractériser un indice de harcèlement moral à son égard. En effet, sans préjudice de l’obligation de diligence et, notamment, de prudence, s’imposant à la Mission dans l’attente des conclusions du médiateur, ni les articles 1er et 31 de la Charte, ni l’article 12 bis du statut et, en l’espèce, ni les dispositions de l’annexe IX de l’OPLAN et du code de conduite n’imposaient à la Mission de soustraire le requérant aux procédures de gestion des ressources humaines de la Mission au seul motif qu’il avait effectué des signalements pour harcèlement moral à l’encontre du chef de la Mission et de son adjoint.

Par ailleurs, le Tribunal relève que l’environnement global de travail dans lequel s’inscrivaient les faits invoqués par le requérant était caractérisé par l’intention du chef de la Mission de se séparer du requérant sans pour autant mettre en œuvre la procédure prévue à l’article 8 de l’annexe IX de l’OPLAN visant à mettre fin à un détachement avant son terme.

En second lieu, le Tribunal considère que le requérant est fondé à soutenir que la Mission a violé le droit à une bonne administration.

À cet égard, il rappelle que, dans le cadre de litiges en matière de harcèlement impliquant des fonctionnaires ou des agents de l’Union, la personne ayant déposé une plainte pour harcèlement est en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations à l’institution concernée avant que celle-ci ne prenne une décision, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus au cours de la procédure d’enquête, la communication de ce résumé devant être effectuée, le cas échéant, dans le respect du principe de confidentialité. Il en va ainsi dans la mesure où ces déclarations ont été utilisées dans le rapport remis à l’autorité qui a pris la décision de ne pas donner suite à la plainte, et qui comprend des recommandations au regard desquelles cette autorité a fondé sa décision.

Or, en l’espèce, dès lors que le COC a rejeté, en avril 2018, la demande d’ouverture d’une enquête administrative présentée par le requérant sur le fondement du rapport du médiateur rendu fin juillet 2017, et compte tenu de la recommandation qui figurait dans ce rapport, il aurait dû assurer le respect du droit d’être entendu du requérant en lui donnant l’occasion de faire valoir ses observations sur ce rapport et de fournir éventuellement des renseignements supplémentaires avant qu’il n’adopte cette décision. En effet, l’audition du requérant aurait pu conduire le COC à adopter une conclusion différente, à savoir la décision de diligenter une enquête administrative.

Après avoir admis que le requérant a établi l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice moral allégué et les violations constatées, le Tribunal constate toutefois que celui-ci est en partie, en raison de son comportement négligent, l’un des protagonistes de la situation conflictuelle qu’il qualifie de harcèlement, ayant donné lieu au préjudice moral dont il se plaint. En conséquence, le Tribunal accueille partiellement son recours en indemnité.


( 1 ) Décision 2012/392/PESC du Conseil, du 16 juillet 2012, concernant la mission PSDC de l’Union européenne au Niger (EUCAP Sahel Niger) (JO 2012, L 187, p. 48).

( 2 ) Voir article 7, paragraphe 1, de la décision 2012/392.

( 3 ) Au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

( 4 ) Il ressort de l’article 11 du code de conduite et de discipline pour les missions civiles de la politique de sécurité et de défense communes (PSDC) de l’Union (ci-après le « code de conduite ») que, sur la base d’un rapport faisant état d’un manquement éventuel, la décision de l’autorité responsable sur les suites à donner audit manquement, qui peut conduire l’autorité à traiter l’affaire comme une question de management, doit intervenir dans un délai de dix jours ouvrables.

( 5 ) L’article 7, paragraphe 1, du code de conduite dispose que le membre de la Mission qui a signalé un manquement éventuel n’est pas pénalisé du fait ou à la suite de ce signalement, à condition qu’il ait agi de manière raisonnable et de bonne foi.

( 6 ) L’article 7 de l’annexe IX du plan opérationnel révisé de la Mission (OPLAN), relative aux ressources humaines, subordonne la prolongation du détachement d’un agent détaché à l’accord du chef de la Mission, sur la base d’une demande en ce sens de l’agent concerné présentée trois mois avant le terme de la période de détachement en cours et d’un rapport d’évaluation des performances favorable établi par son responsable hiérarchique direct.

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