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Document 62005CJ0402

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 3 septembre 2008.
Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation contre Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes.
Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) - Mesures restrictives à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban - Nations unies - Conseil de sécurité - Résolutions adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies - Mise en œuvre dans la Communauté - Position commune 2002/402/PESC - Règlement (CE) nº 881/2002 - Mesures visant des personnes et entités incluses dans une liste établie par un organe des Nations unies - Gel de fonds et de ressources économiques - Comité du Conseil de sécurité créé par le paragraphe 6 de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité (comité des sanctions) - Inclusion de ces personnes et entités dans l’annexe I du règlement (CE) nº 881/2002 - Recours en annulation - Compétence de la Communauté - Base juridique combinée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE - Droits fondamentaux - Droit au respect de la propriété, droit d’être entendu et droit à un contrôle juridictionnel effectif.
Affaires jointes C-402/05 P et C-415/05 P.

Recueil de jurisprudence 2008 I-06351

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2008:461

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

3 septembre 2008 ( *1 )

«Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) — Mesures restrictives à l’encontre de personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Nations unies — Conseil de sécurité — Résolutions adoptées au titre de chapitre VII de la charte des Nations unies — Mise en œuvre dans la Communauté — Position commune 2002/402/PESC — Règlement (CE) no 881/2002 — Mesures visant des personnes et entités incluses dans une liste établie par un organe des Nations unies — Gel de fonds et de ressources économiques — Comité du Conseil de sécurité créé par le paragraphe 6 de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité (comité des sanctions) — Inclusion de ces personnes et entités dans l’annexe I du règlement (CE) no 881/2002 — Recours en annulation — Compétence de la Communauté — Base juridique combinée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE — Droits fondamentaux — Droit au respect de la propriété, droit d’être entendu et droit à un contrôle juridictionnel effectif»

Dans les affaires jointes C-402/05 P et C-415/05 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits respectivement les 17 et 21 novembre 2005,

Yassin Abdullah Kadi, demeurant à Jeddah (Arabie saoudite), représenté par MM. I. Brownlie et D. Anderson, QC, ainsi que par M. P. Saini, barrister, mandatés par M. G. Martin, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,

Al Barakaat International Foundation, établie à Spånga (Suède), représentée par Mes L. Silbersky et T. Olsson, advokater,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop ainsi que Mmes E. Finnegan et E. Karlsson, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenu par:

Royaume d’Espagne, représenté par M. J. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

République française, représentée par M. G. de Bergues ainsi que par Mmes E. Belliard et S. Gasri, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes H. G. Sevenster et M. de Mol, en qualité d’agents,

parties intervenantes aux pourvois,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Brown, J. Enegren et P. J. Kuijper, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par:

République française, représentée par M. G. de Bergues ainsi que par Mmes E. Belliard et S. Gasri, en qualité d’agents,

partie intervenante aux pourvois,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes R. Caudwell, E. Jenkinson et S. Behzadi-Spencer, en qualité d’agents, assistées de MM. C. Greenwood, QC, et A. Dashwood, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. C. W. A. Timmermans (rapporteur), A. Rosas et K. Lenaerts, présidents de chambre, M. J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, P. Kūris, Mme P. Lindh, MM. J.-C. Bonichot, T. von Danwitz et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 octobre 2007,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions aux audiences des 16 janvier 2008 (C-402/05 P) et 23 janvier 2008 (C-415/05 P),

rend le présent

Arrêt

1

Par leurs pourvois, M. Kadi (C-402/05 P) et Al Barakaat International Foundation (ci-après «Al Barakaat») (C-415/05 P) demandent l’annulation des arrêts du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 septembre 2005, respectivement, Kadi/Conseil et Commission (T-315/01, Rec. p. II-3649), ainsi que Yusuf et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (T-306/01, Rec. p. II-3533) (ci-après, respectivement, l’«arrêt attaqué Kadi» et l’«arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat» ainsi que, ensemble, les «arrêts attaqués»).

2

Par ces arrêts, le Tribunal a rejeté les recours en annulation introduits par M. Kadi et Al Barakaat contre le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 139, p. 9, ci-après le «règlement litigieux»), pour autant que cet acte les concerne.

Le cadre juridique

3

Selon l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la charte des Nations unies, signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945, les buts des Nations unies incluent celui de «[m]aintenir la paix et la sécurité internationales» et celui de «[r]éaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion».

4

Aux termes de l’article 24, paragraphes 1 et 2, de la charte des Nations unies:

«1.   Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation [des Nations unies (ONU)], ses membres confèrent au Conseil de sécurité [des Nations unies (ci-après le «Conseil de sécurité»)] la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom.

2.   Dans l’accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité pour lui permettre d’accomplir lesdits devoirs sont définis aux chapitres VI, VII, VIII et XII.»

5

L’article 25 de la charte des Nations unies prévoit que «[l]es membres de l’[ONU] conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente charte».

6

Les articles 39, 41 et 48 de la charte des Nations unies font partie du chapitre VII de celle-ci, intitulé «Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression».

7

Aux termes de l’article 39 de la charte des Nations unies:

«Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.»

8

L’article 41 de la charte des Nations unies est libellé comme suit:

«Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les membres des Nations unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.»

9

En vertu de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, les décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales «sont exécutées par les membres des Nations unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie».

10

L’article 103 de la charte des Nations unies énonce que, «[e]n cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront».

Les antécédents des litiges

11

Les antécédents des litiges ont été exposés aux points 10 à 36 de l’arrêt attaqué Kadi et 10 à 41 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat.

12

Aux fins du présent arrêt, ils peuvent être résumés comme suit.

13

Le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1267 (1999), par laquelle il a notamment condamné le fait que des terroristes continuent d’être accueillis et entraînés et que des actes de terrorisme soient préparés en territoire afghan, réaffirmé sa conviction que la répression du terrorisme international est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales et déploré que les Taliban continuent de donner refuge à Oussama ben Laden et de permettre à celui-ci ainsi qu’à ses associés de diriger un réseau de camps d’entraînement de terroristes à partir du territoire tenu par eux et de se servir de l’Afghanistan comme d’une base pour mener des opérations terroristes internationales.

14

Au paragraphe 2 de cette résolution, le Conseil de sécurité a exigé que les Taliban remettent sans délai Oussama ben Laden soit directement ou indirectement aux autorités compétentes d’un État où il a été inculpé, soit aux autorités compétentes d’un État où il sera arrêté et traduit en justice. Afin d’assurer le respect de cette obligation, le paragraphe 4, sous b), de ladite résolution dispose que tous les États devront «[g]eler les fonds et autres ressources financières, tirés notamment de biens appartenant aux Taliban ou contrôlés directement ou indirectement par eux, ou appartenant à, ou contrôlés par, toute entreprise appartenant aux Taliban ou contrôlée par les Taliban, tels qu’identifiés par le comité créé en application du paragraphe 6 ci-après, et veiller à ce que ni les fonds ou autres ressources financières en question ni tous autres fonds ou ressources financières ainsi identifiés ne soient mis à la disposition ou utilisés au bénéfice des Taliban ou de toute entreprise leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par les Taliban, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire, à moins que le comité n’ait donné une autorisation contraire, au cas par cas, pour des motifs humanitaires».

15

Au paragraphe 6 de la même résolution, le Conseil de sécurité a décidé de créer, conformément à l’article 28 de son règlement intérieur provisoire, un comité du Conseil de sécurité (ci-après le «comité des sanctions»), composé de tous ses membres, chargé notamment de veiller à la mise en œuvre, par les États, des mesures imposées par le paragraphe 4 de cette résolution, d’identifier les fonds ou autres ressources financières visés audit paragraphe 4 et d’examiner les demandes de dérogation aux mesures imposées par ce même paragraphe 4.

16

Considérant qu’une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1267 (1999), le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 15 novembre 1999, la position commune 1999/727/PESC, relative aux mesures restrictives à l’encontre des Taliban (JO L 294, p. 1).

17

L’article 2 de cette position commune prescrit le gel des fonds et des autres ressources financières détenus à l’étranger par les Taliban, dans les conditions définies dans ladite résolution.

18

Le 14 février 2000, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE et 301 CE, le règlement (CE) no 337/2000, concernant l’interdiction des vols et le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 43, p. 1).

19

Le 19 décembre 2000, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1333 (2000), exigeant, notamment, que les Taliban se conforment à la résolution 1267 (1999), en particulier en cessant d’offrir refuge et entraînement aux terroristes internationaux et à leurs organisations et en remettant Oussama ben Laden aux autorités compétentes pour qu’il soit traduit en justice. Le Conseil de sécurité a décidé, en particulier, de renforcer l’interdiction des vols et le gel des fonds imposés conformément à la résolution 1267 (1999).

20

C’est ainsi que le paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) dispose notamment que tous les États devront «[g]eler sans retard les fonds et autres actifs financiers d’[Oussama ben] Laden et des individus et entités qui lui sont associés, tels qu’identifiés par le [comité des sanctions], y compris l’organisation Al-Qaida, et les fonds tirés de biens appartenant à [Oussama ben] Laden et aux individus et entités qui lui sont associés ou contrôlés directement ou indirectement par eux, et veiller à ce que ni les fonds et autres ressources financières en question ni tous autres fonds ou ressources financières ne soient mis à la disposition ou utilisés directement ou indirectement au bénéfice d’[Oussama ben] Laden, de ses associés ou de toute autre entité leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par eux, y compris l’organisation Al-Qaida, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire».

21

Dans cette même disposition, le Conseil de sécurité a chargé le comité des sanctions de tenir, sur la base des informations communiquées par les États et les organisations régionales, une liste à jour des individus et des entités que ce comité a identifiés comme étant associés à Oussama ben Laden, y compris l’organisation Al-Qaida.

22

Au paragraphe 23 de la résolution 1333 (2000), le Conseil de sécurité a décidé que les mesures imposées, notamment, au titre du paragraphe 8 de cette résolution seraient appliquées pendant une période de douze mois à l’issue de laquelle il déterminerait si elles devaient être prorogées dans les mêmes conditions.

23

Considérant qu’une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 26 février 2001, la position commune 2001/154/PESC, concernant des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre des Taliban et modifiant la position commune 96/746/PESC (JO L 57, p. 1).

24

L’article 4 de la position commune 2001/154 dispose:

«Les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des personnes et entités associées à celui-ci, telles que les a identifiées le [comité des sanctions], seront gelés, et aucuns fonds ou autres ressources financières ne seront mis à la disposition d’Oussama ben Laden, ni des personnes et entités associées à celui-ci, telles que les a identifiées le [comité des sanctions], conformément aux dispositions de la [résolution 1333 (2000)].»

25

Le 6 mars 2001, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE et 301 CE, le règlement (CE) no 467/2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement no 337/2000 (JO L 67, p. 1).

26

Aux termes du troisième considérant de ce règlement, les mesures prévues par la résolution 1333 (2000) «sont couvertes par le traité et, notamment en vue d’éviter toute distorsion de la concurrence, une législation communautaire est donc nécessaire afin de mettre en œuvre les décisions concernées du Conseil de sécurité pour ce qui est du territoire de la Communauté».

27

L’article 1er du règlement no 467/2001 définit ce qu’il y a lieu d’entendre par «fonds» et par «gel des fonds».

28

Aux termes de l’article 2 de ce règlement:

«1.   Tous les fonds et autres ressources financières appartenant à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme désignés par le comité des sanctions […] et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2.   Les fonds ou autres ressources financières ne doivent pas être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisés au bénéfice des personnes, des entités ou des organismes désignés par le comité des sanctions […] et énumérés à l’annexe I.

3.   Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas aux fonds et ressources financières faisant l’objet d’une dérogation accordée par le comité des sanctions […]. Ces dérogations peuvent être obtenues par l’intermédiaire des autorités compétentes des États membres énumérées à l’annexe II.»

29

L’annexe I du règlement no 467/2001 contient la liste des personnes, des entités et des organismes visés par le gel des fonds imposé à l’article 2 de ce même règlement. Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, de celui-ci, la Commission des Communautés européennes est habilitée à modifier ou à compléter ladite annexe I sur la base des décisions du Conseil de sécurité ou du comité des sanctions.

30

Le 8 mars 2001, le comité des sanctions a publié une première liste consolidée des des personnes et entités devant être soumises au gel des fonds en vertu des résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) (voir communiqué AFG/131 SC/7028 dudit comité, du 8 mars 2001, ci-après la «liste récapitulative»). Cette liste a été modifiée et complétée à diverses reprises. Par la suite, la Commission a adopté divers règlements au titre de l’article 10 du règlement no 467/2001, par lesquels elle a modifié ou complété l’annexe I de ce dernier.

31

Les 17 octobre et 9 novembre 2001, le comité des sanctions a publié deux nouveaux addenda à la liste récapitulative, comprenant respectivement les noms de la personne et de l’entité suivantes:

«Al-Qadi, Yasin (A. K. A. Kadi, Shaykh Yassin Abdullah; A. K. A. Kahdi, Yasin), Jeddah, Saudi Arabia», et

«Barakaat International Foundation, Box 4036, Spånga, Stockholm, Sweden; Rinkebytorget 1, 04, Spånga, Sweden».

32

Par le règlement (CE) no 2062/2001 de la Commission, du 19 octobre 2001, modifiant, pour la troisième fois, le règlement no 467/2001 (JO L 277, p. 25), le nom de M. Kadi a été ajouté, avec d’autres, à l’annexe I de ce dernier règlement.

33

Par le règlement (CE) no 2199/2001 de la Commission, du 12 novembre 2001, modifiant, pour la quatrième fois, le règlement no 467/2001 (JO L 295, p. 16), le nom d’Al Barakaat a été ajouté, avec d’autres, à ladite annexe I.

34

Le 16 janvier 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1390 (2002), qui fixe les mesures à imposer à l’égard d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et d’autres personnes, groupes, entreprises et entités associés. À ses paragraphes 1 et 2, cette résolution prévoit notamment, en substance, le maintien des mesures de gel de fonds imposées aux paragraphes 4, sous b), de la résolution 1267 (1999) et 8, sous c), de la résolution 1333 (2000). Conformément au paragraphe 3 de la résolution 1390 (2002), ces mesures devaient être réexaminées par le Conseil de sécurité douze mois après leur adoption, délai au terme duquel il déciderait soit de les maintenir, soit de les améliorer.

35

Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette dernière résolution, le Conseil a adopté, le 27 mai 2002, la position commune 2002/402/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, et abrogeant les positions communes 96/746, 1999/727, 2001/154 et 2001/771/PESC (JO L 139, p. 4). L’article 3 de la position commune 2002/402 prescrit, notamment, la poursuite du gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes, entreprises et entités visés dans la liste établie par le comité des sanctions conformément aux résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000).

36

Le 27 mai 2002, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, le règlement litigieux.

37

Aux termes du quatrième considérant de ce règlement, les mesures prévues, entre autres, par la résolution 1390 (2002) «sont couvertes par le traité et, pour éviter notamment une distorsion de concurrence, il y a lieu d’arrêter une législation communautaire afin de mettre en œuvre, sur le territoire de la Communauté, les décisions pertinentes du Conseil de sécurité».

38

L’article 1er du règlement litigieux définit les «fonds» et le «gel des fonds» en des termes identiques, en substance, à ceux de l’article 1er du règlement no 467/2001.

39

Aux termes de l’article 2 du règlement litigieux:

«1.   Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par une personne physique ou morale, un groupe ou une entité désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2.   Aucun fonds ne doit […] être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisé au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I.

3.   Aucune ressource économique ne doit […] être mise, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisée au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I, de manière à leur permettre d’obtenir des fonds, des biens ou des services.»

40

L’annexe I du règlement litigieux contient la liste des personnes, entités et groupes visés par le gel des fonds imposé à l’article 2 de ce règlement. Cette liste comprend notamment les noms de l’entité et de la personne suivantes:

«Fondation internationale Barakaat, boîte postale 4036, Spånga, Stockholm, Suède; Rinkebytorget 1, 04, Spånga, Suède», et

«Al-Qadi, Yasin (alias KADI, Shaykh Yassin Abdullah; alias KAHDI, Yasin), Jeddah, Arabie saoudite».

41

Le 20 décembre 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1452 (2002), destinée à faciliter le respect des obligations en matière de lutte antiterroriste. Le paragraphe 1 de cette résolution prévoit un certain nombre de dérogations et d’exceptions au gel des fonds et des ressources économiques imposé par les résolutions 1267 (1999) et 1390 (2002), qui pourront être appliquées pour des motifs humanitaires par les États, sous réserve de l’approbation du comité des sanctions.

42

Le 17 janvier 2003, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1455 (2003), qui vise à améliorer la mise en œuvre des mesures imposées aux paragraphes 4, sous b), de la résolution 1267 (1999), 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) ainsi que 1 et 2 de la résolution 1390 (2002). Conformément au paragraphe 2 de la résolution 1455 (2003), ces mesures seraient de nouveau améliorées à l’expiration d’un délai de douze mois, ou plus tôt s’il y avait lieu.

43

Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1452 (2002), le Conseil a adopté, le 27 février 2003, la position commune 2003/140/PESC, concernant des exceptions aux mesures restrictives imposées par la position commune 2002/402 (JO L 53, p. 62). L’article 1er de la position commune 2003/140 prévoit que, lorsqu’elle mettra en œuvre les mesures visées à l’article 3 de la position commune 2002/402, la Communauté tiendra compte des exceptions autorisées par ladite résolution.

44

Le 27 mars 2003, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 561/2003, modifiant, en ce qui concerne les exceptions au gel des fonds et des ressources économiques, le règlement no 881/2002 (JO L 82, p. 1). Au quatrième considérant de ce règlement, le Conseil indique que, compte tenu de la résolution 1452 (2002), il est nécessaire d’ajuster les mesures imposées par la Communauté.

45

Aux termes de l’article 1er du règlement no 561/2003, le règlement litigieux est complété par l’article suivant:

«Article 2 bis

1.   L’article 2 ne s’applique pas aux fonds ou aux ressources économiques lorsque:

a)

l’une quelconque des autorités compétentes des États membres, recensées dans l’annexe II, a établi, à la demande d’une personne physique ou morale intéressée, que ces fonds ou ces ressources économiques sont:

i)

nécessaires à des dépenses de base, y compris celles qui sont consacrées à des vivres, des loyers ou des remboursements de prêts hypothécaires, des médicaments et des frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et des services collectifs;

ii)

destinés exclusivement au paiement d’honoraires professionnels raisonnables et au remboursement de dépenses correspondant à des services juridiques;

iii)

destinés exclusivement au paiement de charges ou frais correspondant à la garde ou à la gestion de fonds ou ressources économiques gelés, ou

iv)

nécessaires pour des dépenses extraordinaires, et

b)

cela a été notifié au comité des sanctions, et

c)

i)

dans le cas de l’utilisation des fonds établie en vertu des points a) i), ii) et iii), le comité des sanctions n’a pas émis, dans les quarante-huit heures suivant la notification, d’objection à cette utilisation, ou

ii)

dans le cas de l’utilisation des fonds établie en vertu du point a) iv), le comité des sanctions a approuvé cette utilisation.

2.   Toute personne souhaitant bénéficier des dispositions visées au paragraphe 1 adresse sa demande à l’autorité compétente pertinente de l’État membre recensée dans l’annexe II.

L’autorité compétente indiquée à l’annexe II est tenue de notifier, par écrit, à la personne qui a présenté la demande ainsi qu’à tout(e) autre personne, entité ou organisme reconnu(e) comme étant directement concerné(e) si la demande a été accordée.

L’autorité compétente informe également les autres États membres de l’octroi ou non de la dérogation demandée.

3.   Les fonds libérés et transférés au sein de la Communauté afin de faire face à des dépenses ou ayant été admis au titre du présent article ne sont pas soumis à d’autres mesures restrictives en application de l’article 2.

[…]»

Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

46

Par requêtes déposées au greffe du Tribunal, M. Kadi et Al Barakaat ont introduit des recours visant à l’annulation du règlement no 467/2001 ainsi que, pour le premier, du règlement no 2062/2001 et, pour la seconde, du règlement no 2199/2001, pour autant que ces règlements les concernent. Dans le cours de la procédure devant le Tribunal, les requérants ont modifié leurs conclusions et moyens de façon à viser désormais le règlement litigieux, pour autant que celui-ci les concerne.

47

Par ordonnances du président de la première chambre du Tribunal, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions des parties défenderesses en première instance.

48

Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a, à titre liminaire, décidé qu’il y avait lieu de considérer que chacun des recours était désormais dirigé contre le seul Conseil, soutenu par la Commission ainsi que par le Royaume-Uni, et avait pour unique objet une demande d’annulation du règlement litigieux, pour autant que celui-ci concerne les requérants respectifs (arrêts attaqués Kadi, point 58, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 77).

49

Au soutien de ses conclusions, M. Kadi invoquait, dans sa requête devant le Tribunal, trois moyens d’annulation, essentiellement tirés de la violation de ses droits fondamentaux. Le premier moyen était tiré de la violation du droit d’être entendu, le deuxième de la violation du droit au respect de la propriété ainsi que du principe de proportionnalité, et le troisième de la violation du droit à un contrôle juridictionnel effectif.

50

Pour sa part, Al Barakaat fondait ses conclusions sur trois moyens d’annulation tirés, le premier, de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement litigieux, le second, de la violation de l’article 249 CE et, le troisième, de la violation de ses droits fondamentaux.

Quant à la compétence du Conseil en ce qui concerne l’adoption du règlement litigieux

51

Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a tout d’abord examiné la question de savoir si le Conseil était compétent pour adopter le règlement litigieux sur la base légale des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, en considérant, au point 61 de l’arrêt attaqué Kadi, qu’il s’agissait d’un moyen d’ordre public qui pouvait donc être soulevé d’office par le juge communautaire.

52

Dans l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a, au préalable, rejeté le grief des requérants relatif au prétendu manque de base juridique du règlement no 467/2001.

53

Au point 107 dudit arrêt, le Tribunal a en effet jugé appropriée une telle démarche, alors même que ce grief était devenu sans objet du fait de l’abrogation de ce règlement par le règlement litigieux, estimant que les motifs fondant ce rejet comptaient parmi les prémisses de son raisonnement en ce qui concerne la base juridique de ce dernier règlement, désormais seul visé par le recours en annulation.

54

À cet égard, il a d’abord rejeté, aux points 112 à 116 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, l’argument selon lequel les mesures en cause frappaient des particuliers, de surcroît ressortissants d’un État membre, alors que les articles 60 CE et 301 CE autoriseraient uniquement le Conseil à prendre des mesures à l’égard de pays tiers.

55

Au point 115 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que, de même que les sanctions économiques ou financières peuvent légitimement frapper de manière spécifique les dirigeants d’un pays tiers, plutôt que ce pays en tant que tel, elles doivent également pouvoir viser, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les individus et entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par eux.

56

Selon le point 116 dudit arrêt, cette interprétation, non contraire à la lettre des articles 60 CE et 301 CE, est justifiée tant par des considérations d’efficacité que par des préoccupations d’ordre humanitaire.

57

Le Tribunal a ensuite rejeté, aux points 117 à 121 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, l’argument selon lequel les mesures en cause visaient non pas à interrompre ou à réduire les relations économiques avec un pays tiers, mais à lutter contre le terrorisme international et, plus particulièrement, contre Oussama ben Laden.

58

Enfin, aux points 122 et 123 de ce même arrêt, il a rejeté l’argument selon lequel lesdites mesures étaient disproportionnées par rapport à l’objectif visé par les articles 60 CE et 301 CE.

59

S’agissant ensuite des griefs dirigés contre la base juridique du règlement litigieux, le Tribunal a jugé, en premier lieu, que, comme l’avaient soutenu le Conseil et la Commission, les articles 60 CE et 301 CE ne constituent pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour fonder ce règlement (arrêts attaqués Kadi, points 92 à 97, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 128 à 133).

60

Il a, en particulier, constaté que ledit règlement vise à mettre en œuvre des sanctions dites «intelligentes» («smart sanctions») d’un nouveau type, caractérisées par l’absence de tout lien entre celles-ci et le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers, dès lors que, après l’effondrement du régime des Taliban, les mesures en cause, telles que prévues par la résolution 1390 (2002), ont été dirigées directement contre Oussama ben Laden, le réseau Al-Qaida ainsi que les personnes et entités qui leur sont associées.

61

Selon le Tribunal, au vu du libellé des articles 60 CE et 301 CE, et spécialement des expressions «à l’égard des pays tiers concernés» et «avec un ou plusieurs pays tiers» y figurant, un recours à ces articles pour imposer des sanctions de ce nouveau type n’est pas possible. Ceux-ci ne permettraient en effet que l’adoption de mesures à l’encontre d’un pays tiers, pouvant inclure les dirigeants d’un tel pays ainsi que des individus et entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par eux. Toutefois, lorsque le régime visé par de telles mesures a disparu, il n’existerait plus de lien suffisant entre ces individus ou entités et le pays tiers concerné.

62

Le Tribunal a jugé, en deuxième lieu, que le Conseil avait considéré à juste titre que l’article 308 CE ne constitue pas, à lui seul, une base juridique adéquate pour permettre l’adoption du règlement litigieux (arrêts attaqués Kadi, points 98 à 121, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 134 à 157).

63

À cet égard, il a décidé que la lutte contre le terrorisme international, particulièrement par l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel de fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international, ne peut être rattachée à aucun des objets explicitement assignés à la Communauté par les articles 2 CE et 3 CE (arrêts attaqués Kadi, point 116, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 152).

64

Selon le Tribunal, les mesures prévues par le règlement litigieux ne peuvent en effet pas s’autoriser de l’objectif visant à l’établissement d’une politique commerciale commune [article 3, paragraphe 1, sous b), CE], dès lors que les relations commerciales de la Communauté avec un pays tiers ne sont pas en cause dans un contexte tel que celui des affaires dont il était saisi. Ne pourrait pas non plus être retenu l’objectif visant à l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur [article 3, paragraphe 1, sous g), CE], dès lors, notamment, que, en tout état de cause, les éléments d’appréciation soumis au Tribunal ne lui permettaient pas de considérer que ce règlement contribue effectivement à prévenir un risque d’entraves à la libre circulation des capitaux ou de distorsions sensibles de la concurrence.

65

Le Tribunal a jugé, en troisième lieu, que le Conseil était toutefois compétent pour adopter le règlement litigieux, qui met en œuvre, dans la Communauté, les sanctions économiques et financières prévues par la position commune 2002/402, sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE (arrêts attaqués Kadi, point 135, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 170).

66

À cet égard, le Tribunal a considéré qu’il y avait lieu de tenir compte de la passerelle spécifiquement établie, lors de la révision résultant du traité de Maastricht, entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures (arrêts attaqués Kadi, point 123, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 159).

67

Selon le Tribunal, les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions tout à fait particulières du traité CE, en ce qu’elles envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont fixés par le traité CE, mais l'un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union européenne par l’article 2 UE, à savoir la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune (ci-après la «PESC») (arrêts attaqués Kadi, point 124, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 160).

68

Dans le cadre des articles 60 CE et 301 CE, l’action de la Communauté est en réalité, selon le Tribunal, une action de l’Union mise en œuvre sur le fondement du pilier communautaire après adoption, par le Conseil, d’une position commune ou d’une action commune au titre de la PESC (arrêts attaqués Kadi, point 125, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 161).

Quant au respect de l’article 249 CE

69

Dans l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a ensuite examiné un moyen exclusivement invoqué dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, selon lequel le règlement litigieux, dans la mesure où il porte directement atteinte aux droits des particuliers et prescrit l’application de sanctions individuelles, n’a pas de portée générale et contrevient donc à l’article 249 CE. Ce règlement devrait en conséquence être considéré non comme un règlement, mais comme un faisceau de décisions individuelles.

70

Aux points 184 à 188 de cet arrêt, le Tribunal a rejeté ce moyen.

71

Au point 186 dudit arrêt, il a jugé que le règlement litigieux a incontestablement une portée générale au sens de l’article 249, deuxième alinéa, CE, dès lors qu’il interdit à quiconque de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition de certaines personnes.

72

Le Tribunal a ajouté que la circonstance que ces personnes sont nommément désignées à l’annexe I de ce règlement, de sorte qu’elles apparaissent comme étant directement et individuellement concernées par celui-ci, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, n’affecte en rien la généralité de cette interdiction, qui vaut erga omnes, ainsi qu’il ressort en particulier de l’article 11 du même règlement.

Quant au respect de certains droits fondamentaux

73

S’agissant, enfin, des moyens tirés, dans les deux affaires, de la violation des droits fondamentaux des requérants, le Tribunal a estimé qu’il était opportun d’examiner, d’abord, l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et les ordres juridiques nationaux ou l’ordre juridique communautaire ainsi que la mesure dans laquelle les compétences de la Communauté et des États membres sont liées par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Cet examen déterminerait en effet l’étendue du contrôle de légalité, notamment au regard du respect des droits fondamentaux, qu’il incombe au Tribunal d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à de telles résolutions. Ce ne serait que dans la mesure où il devrait être constaté que les violations alléguées des droits fondamentaux invoqués relèvent bien de son contrôle juridictionnel et qu’elles sont susceptibles d’entraîner l’annulation du règlement litigieux qu’il y aurait lieu, pour le Tribunal, de se prononcer sur ces violations (arrêts attaqués Kadi, points 178 à 180, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 228 à 230).

74

Examinant ainsi, dans un premier temps, l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et les ordres juridiques nationaux ou l’ordre juridique communautaire, le Tribunal a jugé que, du point de vue du droit international, les États membres, en tant que membres de l’ONU, sont tenus de respecter le principe de la primauté de leurs obligations assumées «en vertu de la charte» des Nations unies, consacré à l’article 103 de celle-ci, qui implique, notamment, que l’obligation, prévue à l’article 25 de cette charte, de mettre en œuvre les décisions du Conseil de sécurité prévaut sur toute autre obligation conventionnelle qu’ils auraient contractée (arrêts attaqués Kadi, points 181 à 184, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 231 à 234).

75

Selon le Tribunal, cette obligation des États membres de respecter le principe de la primauté des obligations assumées en vertu de la charte des Nations unies n’est pas affectée par le traité CE, dès lors qu’il s’agit d’une obligation résultant d’une convention antérieure à celui-ci, rentrant par conséquent dans les prévisions de l’article 307 CE. Bien plus, l’article 297 CE viserait à assurer le respect de ce principe (arrêts attaqués Kadi, points 185 à 188, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 235 à 238).

76

Le Tribunal en a conclu que les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ont un effet obligatoire pour les États membres, qui sont tenus, en cette qualité, de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de ces résolutions et peuvent, et même doivent, laisser inappliquée toute norme de droit communautaire, fût-elle une disposition de droit primaire ou un principe général du droit communautaire, qui ferait obstacle à la bonne exécution des obligations contractées en vertu de ladite charte (arrêts attaqués Kadi, points 189 et 190, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 239 et 240).

77

Toutefois, selon le Tribunal, cet effet obligatoire desdites résolutions issu d’une obligation de droit international ne s’impose pas à la Communauté, dès lors que celle-ci n’est pas, en tant que telle, directement liée par la charte des Nations unies, n’étant ni membre de l’ONU, ni destinataire des résolutions du Conseil de sécurité, ni le successeur aux droits et obligations de ses États membres au sens du droit international public (arrêts attaqués Kadi, point 192, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 242).

78

En revanche, un tel effet obligatoire s’imposerait à la Communauté en vertu du droit communautaire (arrêts attaqués Kadi, point 193, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 243).

79

À cet égard, le Tribunal, en se référant, par analogie, notamment au point 18 de l’arrêt du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a. (21/72 à 24/72, Rec. p. 1219), a jugé que, dans toute la mesure où, en vertu du traité CE, la Communauté a assumé des compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application de la charte des Nations unies, les dispositions de cette charte ont pour effet de lier la Communauté (arrêts attaqués Kadi, point 203, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 253).

80

Au point suivant de ces derniers arrêts, le Tribunal en a conclu, d’une part, que la Communauté ne peut violer les obligations incombant à ses États membres en vertu de la charte des Nations unies ni entraver l’exécution de celles-ci et, d’autre part, qu’elle est tenue, en vertu même du traité par lequel elle a été instituée, d’adopter, dans l’exercice de ses compétences, toutes les dispositions nécessaires pour permettre à ses États membres de se conformer à ces obligations.

81

Ainsi amené, dans un second temps, à déterminer l’étendue du contrôle de légalité, notamment au regard des droits fondamentaux, qu’il lui incombe d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à des résolutions des Nations unies, tels que le règlement litigieux, le Tribunal a d’abord rappelé, aux points 209 de l’arrêt attaqué Kadi et 260 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que, selon la jurisprudence, la Communauté européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions.

82

Aux points 212 de l’arrêt attaqué Kadi et 263 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a toutefois estimé que se pose, dans les affaires dont il était saisi, la question de savoir s’il existe des limites structurelles, imposées par le droit international général ou par le traité CE lui-même, audit contrôle juridictionnel.

83

À cet égard, le Tribunal a rappelé, aux points 213 de l’arrêt attaqué Kadi et 264 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que le règlement litigieux, adopté au vu de la position commune 2002/402, constitue la mise en œuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’ONU, de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions édictées à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et d’autres personnes, groupes, entreprises et entités associés qui ont été décidées et, par la suite, renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées sur le fondement du chapitre VII de la charte des Nations unies.

84

Dans ce contexte, la Communauté a agi, selon le Tribunal, au titre d’une compétence liée, ne lui laissant aucune marge d’appréciation autonome dans l’exercice de celle-ci, de sorte qu’elle ne pouvait, en particulier, ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification (arrêts attaqués Kadi, point 214, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 265).

85

Le Tribunal en a déduit que la contestation, par les requérants, de la légalité interne du règlement litigieux implique que le Tribunal procède à un contrôle indirect ou incident de la légalité des résolutions mises en œuvre par ledit règlement au regard des droits fondamentaux tels que protégés dans l’ordre juridique communautaire (arrêts attaqués Kadi, points 215 et 216, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, points 266 et 267).

86

Aux points 217 à 225 de l’arrêt attaqué Kadi, rédigés en des termes identiques à ceux des points 268 à 276 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a jugé ce qui suit:

«217

Les institutions et le Royaume-Uni invitent le Tribunal à décliner par principe toute compétence pour procéder à un tel contrôle indirect de la légalité de ces résolutions qui, en tant que règles de droit international liant les États membres de la Communauté, s’imposeraient à lui comme à toutes les institutions de la Communauté. Ces parties estiment, en substance, que le contrôle du Tribunal devrait se limiter, d’une part, à la vérification du respect des règles de forme, de procédure et de compétence qui s’imposaient, en l’espèce, aux institutions communautaires et, d’autre part, à la vérification de l’adéquation et de la proportionnalité des mesures communautaires en cause par rapport aux résolutions du Conseil de sécurité qu’elles mettent en œuvre.

218

Force est de reconnaître qu’une telle limitation de compétence s’impose en tant que corollaire des principes dégagés ci-dessus, dans le cadre de l’examen de l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire.

219

Ainsi qu’il a déjà été exposé, les résolutions en cause du Conseil de sécurité ont été adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Dans ce contexte, la détermination de ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales, ainsi que des mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir, relève de la responsabilité exclusive du Conseil de sécurité et échappe, comme telle, à la compétence des autorités et juridictions nationales ou communautaires, sous la seule réserve du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, visé à l’article 51 de ladite charte.

220

Dès lors que, agissant au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité, par le biais de son comité des sanctions, décide que les fonds de certains individus ou entités doivent être gelés, sa décision s’impose à tous les membres des Nations unies, conformément à l’article 48 de la charte.

221

Au regard des considérations énoncées aux points 193 à 204 ci-dessus, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité d’une telle décision à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait dès lors se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire.

222

D’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités [conclue à Vienne le 23 mai 1969].

223

D’autre part, une telle compétence serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE, aux termes duquel le juge communautaire exerce ses attributions dans les conditions et aux fins prévues par les dispositions des traités CE et UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts [du 24 novembre 1992,] Poulsen et Diva Navigation, [C-286/90, Rec. p. I-6019,] point 9, et [du 16 juin 1998,] Racke, [C-162/96, Rec. p. I-3655,] point 45).

224

Il convient d’ajouter que, eu égard notamment à l’article 307 CE et à l’article 103 de la charte des Nations unies, l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire, soit aux principes de cet ordre juridique ne saurait affecter la validité d’une résolution du Conseil de sécurité ou son effet sur le territoire de la Communauté (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, Rec. p. 1125, point 3; du 8 octobre 1986, Keller, 234/85, Rec. p. 2897, point 7, et du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 38).

225

Force est donc de considérer que les résolutions en cause du Conseil de sécurité échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et que celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.»

87

Aux points 226 de l’arrêt attaqué Kadi et 277 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a jugé qu’il était néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions du Conseil de sécurité en cause au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

88

À cet égard, le Tribunal a jugé, aux points 227 à 231 de l’arrêt attaqué Kadi, rédigés en des termes identiques à ceux des points 278 à 282 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, ce qui suit:

«227

Il convient de relever, à cet égard, que la convention de Vienne sur le droit des traités, qui codifie le droit international coutumier (et dont l’article 5 dispose qu’elle s’applique ‘à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale et à tout traité adopté au sein d’une organisation internationale’), prévoit, en son article 53, la nullité des traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens), définie comme ‘une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère’. De même, l’article 64 de la convention de Vienne dispose que, ‘si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin’.

228

Au demeurant, la charte des Nations unies elle-même présuppose l’existence de principes impératifs de droit international et, notamment, la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans le préambule de la charte, les peuples des Nations unies se sont ainsi déclarés résolus à ‘proclamer [… leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine’. Il ressort en outre du chapitre premier de la charte, intitulé ‘Buts et principes’, que les Nations unies ont notamment pour but d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

229

Ces principes s’imposent tant aux membres de l’ONU qu’à ses organes. Ainsi, aux termes de l’article 24, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité doit, dans l’accomplissement des devoirs que lui impose la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, agir ‘conformément aux buts et principes des Nations Unies’. Les pouvoirs de sanction que possède le Conseil de sécurité dans l’exercice de cette responsabilité doivent donc être utilisés dans le respect du droit international et, en particulier, des buts et principes des Nations unies.

230

Le droit international permet ainsi de considérer qu’il existe une limite au principe de l’effet obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité: elles doivent respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi improbable soit-il, elles ne lieraient pas les États membres de l’ONU ni, dès lors, la Communauté.

231

Le contrôle juridictionnel incident exercé par le Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation d’un acte communautaire adopté, sans exercice d’une quelconque marge d’appréciation, en vue de mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, peut donc très exceptionnellement s’étendre à la vérification du respect des règles supérieures du droit international relevant du jus cogens et, notamment, des normes impératives visant à la protection universelle des droits de l’homme, auxquelles ni les États membres ni les instances de l’ONU ne peuvent déroger parce qu’elles constituent des ‘principes intransgressibles du droit international coutumier’ (avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Rec. 1996, p. 226, point 79; voir également, en ce sens, [point 65 des] conclusions de l’avocat général […] Jacobs [dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 juillet 1996,] Bosphorus [(arrêt du 30 juillet 1996, C-84/95, Rec. p. I-3953)]).»

89

En particulier, s’agissant, en premier lieu, de la violation alléguée du droit fondamental au respect de la propriété, le Tribunal a considéré, aux points 237 de l’arrêt attaqué Kadi et 288 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, qu’il y avait lieu d’apprécier si le gel des fonds prévu par le règlement litigieux, tel que modifié par le règlement no 561/2003 et, indirectement, par les résolutions du Conseil de sécurité que ces règlements mettent en œuvre, viole les droits fondamentaux du requérant.

90

Aux points 238 de l’arrêt attaqué Kadi et 289 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a décidé que tel n’est pas le cas à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens.

91

À cet égard, le Tribunal a jugé, aux points 239 et 240 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 290 et 291 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que les dérogations et exemptions à l’obligation de gel des fonds prévues dans le règlement litigieux à la suite de la modification de celui-ci par le règlement no 561/2003, mettant lui-même en œuvre la résolution 1452 (2002) démontrent que cette mesure n’a ni pour objet ni pour effet de soumettre les personnes inscrites sur la liste récapitulative à un traitement inhumain ou dégradant.

92

Aux points 243 à 251 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 294 à 302 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a jugé en outre que le gel des fonds n’est pas constitutif d’une atteinte arbitraire, inadéquate ou disproportionnée au droit à la propriété privée des intéressés et, partant, ne peut être considéré comme contraire au jus cogens, eu égard aux circonstances suivantes:

les mesures en cause poursuivent un objectif d’intérêt général fondamental pour la communauté internationale, à savoir la lutte contre le terrorisme international, et l’ONU dispose d’une légitimité pour entreprendre une action de protection contre les agissements d’organisations terroristes;

le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, porte atteinte non pas à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à l’utilisation de ces derniers;

les résolutions du Conseil de sécurité en cause prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des sanctions;

ces résolutions aménagent une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen, par l’intermédiaire de l’État membre de leur nationalité ou de leur résidence.

93

En deuxième lieu, pour ce qui concerne la violation alléguée du droit d’être entendu, et en particulier, d’une part, du prétendu droit des requérants d’être entendus par les institutions communautaires avant l’adoption du règlement litigieux, le Tribunal a jugé, au point 258 de l’arrêt attaqué Kadi, auquel correspond mutatis mutandis le point 328 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, ce qui suit:

«Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des observations liminaires sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire formulées ci-dessus, les institutions communautaires étaient tenues de transposer dans l’ordre juridique communautaire des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions du comité des sanctions qui ne les habilitaient aucunement, au stade de leur mise en œuvre concrète, à prévoir un quelconque mécanisme communautaire d’examen ou de réexamen des situations individuelles, dès lors que tant la substance des mesures en cause que les mécanismes de réexamen (voir points 262 et suivants […]) étaient entièrement du ressort du Conseil de sécurité et de son comité des sanctions. En conséquence, les institutions communautaires ne disposaient d’aucun pouvoir d’enquête, d’aucune possibilité de contrôle des faits retenus par le Conseil de sécurité et le comité des sanctions, d’aucune marge d’appréciation quant à ces faits et d’aucune liberté d’appréciation quant à l’opportunité de l’adoption de sanctions à l’égard du requérant. Le principe de droit communautaire relatif au droit d’être entendu ne saurait trouver à s’appliquer dans de telles circonstances, où une audition de l’intéressé ne pourrait en aucun cas amener l’institution à revoir sa position.»

94

Le Tribunal en a conclu, au point 259 de l’arrêt attaqué Kadi, que le Conseil n’était pas tenu d’entendre le requérant au sujet de son maintien sur la liste des personnes et entités visées par les sanctions dans le contexte de l’adoption et de la mise en œuvre du règlement litigieux et, au point 329 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que le Conseil n’était pas tenu d’entendre les requérants en première instance avant l’adoption du règlement litigieux.

95

S’agissant, d’autre part, de la violation du prétendu droit des requérants d’être entendus par le comité des sanctions dans le contexte de leur inscription sur la liste récapitulative, le Tribunal a constaté, aux points 261 de l’arrêt attaqué Kadi et 306 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, qu’un tel droit n’est pas prévu par les résolutions du Conseil de sécurité en cause.

96

Il a en outre jugé au point 307 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat qu’aucune norme impérative relevant de l’ordre public international n’exige une audition préalable des intéressés dans des circonstances telles que celles de l’espèce.

97

Le Tribunal a par ailleurs relevé que, si elles ne prévoient pas un droit d’audition personnelle, les résolutions du Conseil de sécurité en cause et les règlements successifs qui les ont mises en œuvre dans la Communauté instaurent néanmoins un mécanisme de réexamen des situations individuelles, en prévoyant que les intéressés peuvent s’adresser au comité des sanctions par l’intermédiaire de leurs autorités nationales afin d’obtenir soit leur retrait de la liste récapitulative, soit une dérogation au gel des fonds (arrêts attaqués Kadi, point 262, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 309).

98

En se référant, aux points 264 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 311 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, aux «directives régissant la conduite des travaux du [comité des sanctions]», telles qu’adoptées par ce comité le 7 novembre 2002 et amendées le 10 avril 2003 (ci-après les «directives du comité des sanctions»), et, aux points 266 de l’arrêt attaqué Kadi et 313 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, à diverses résolutions du Conseil de sécurité, le Tribunal a constaté, auxdits points, l’importance qu’attache le Conseil de sécurité, dans toute la mesure du possible, aux droits fondamentaux des personnes inscrites sur la liste récapitulative, et notamment aux droits de la défense.

99

Aux points 268 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 315 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, il a jugé que ne saurait passer pour inadmissible au regard des normes impératives relevant de l’ordre public international le fait, relevé au point précédent de chacun de ces arrêts, que la procédure de réexamen ne confère pas directement aux intéressés eux-mêmes le droit de se faire entendre par le comité des sanctions, seule autorité compétente pour se prononcer, à la demande d’un État, sur le réexamen de la situation de ceux-ci, de sorte qu’ils dépendent, pour l’essentiel, de la protection diplomatique que les États accordent à leurs ressortissants.

100

Le Tribunal a ajouté que les intéressés ont la possibilité d’introduire un recours juridictionnel fondé sur le droit interne, voire directement sur le règlement litigieux ainsi que sur les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité qu’il met en œuvre, contre un éventuel refus abusif de l’autorité nationale compétente de soumettre leur cas, pour réexamen, au comité des sanctions (arrêts attaqués Kadi, point 270, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 317).

101

En outre, le Tribunal a jugé que, dans des circonstances telles que celles des affaires dont il était saisi, où est en cause une mesure conservatoire limitant la disponibilité des biens des intéressés, le respect des droits fondamentaux de ceux-ci n’impose pas que les faits et éléments de preuve retenus à leur charge leur soient communiqués, dès lors que le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions estiment que des motifs intéressant la sûreté de la communauté internationale s’y opposent (arrêts attaqués Kadi, point 274, ainsi que Yusuf et Al Barakaat, point 320).

102

Au vu de ces considérations, le Tribunal a conclu, aux points 276 de l’arrêt attaqué Kadi et 330 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que le moyen tiré par les requérants de la violation du droit d’être entendu devait être rejeté.

103

Pour ce qui concerne, en dernier lieu, le moyen relatif à la violation du droit à un contrôle juridictionnel effectif, le Tribunal a jugé, aux points 278 à 285 de l’arrêt attaqué Kadi, rédigés en des termes en substance identiques à ceux des points 333 à 340 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, ce qui suit:

«278

En l’espèce, le requérant a pu introduire un recours en annulation devant le Tribunal au titre de l’article 230 CE.

279

Dans le cadre de ce recours, le Tribunal exerce un entier contrôle de la légalité du règlement [litigieux] quant au respect, par les institutions communautaires, des règles de compétence ainsi que des règles de légalité externe et des formes substantielles qui s’imposent à leur action.

280

Le Tribunal contrôle également la légalité du règlement [litigieux] au regard des résolutions du Conseil de sécurité que ce règlement est censé mettre en œuvre, notamment sous l’angle de l’adéquation formelle et matérielle, de la cohérence interne et de la proportionnalité du premier par rapport aux secondes.

281

Statuant au titre de ce contrôle, le Tribunal constate qu’il n’est pas contesté que le requérant est bien l’une des personnes physiques inscrites le 19 octobre 2001 sur la liste [récapitulative].

282

Dans le cadre du présent recours en annulation, le Tribunal s’est de surcroît reconnu compétent pour contrôler la légalité du règlement [litigieux] et, indirectement, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité, au regard des normes supérieures du droit international relevant du jus cogens, notamment les normes impératives visant à la protection universelle des droits de la personne humaine.

283

En revanche, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 225 ci-dessus, il n’incombe pas au Tribunal de contrôler indirectement la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire.

284

Il n’appartient pas davantage au Tribunal de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve que le Conseil de sécurité a retenus à l’appui des mesures qu’il a prises ni encore, sous réserve du cadre limité défini au point 282 ci-dessus, de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Un tel contrôle ne pourrait pas être exercé sans empiéter sur les prérogatives du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies en matière de détermination, premièrement, d’une menace pour la paix et la sécurité internationales et, deuxièmement, des mesures appropriées pour y faire face ou y remédier. Au demeurant, la question de savoir si un individu ou une organisation représente une menace pour la paix et la sécurité internationales, de même que la question de savoir quelles mesures doivent être prises à l’égard des intéressés en vue de contrer cette menace, implique une appréciation politique et des jugements de valeur qui relèvent en principe de la seule compétence de l’autorité à laquelle la communauté internationale a confié la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

285

Force est ainsi de constater que, dans la mesure qui vient d’être indiquée au point 284 ci-dessus, le requérant ne dispose d’aucune voie de recours juridictionnel, le Conseil de sécurité n’ayant pas estimé opportun d’établir une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions.»

104

Aux points 286 de l’arrêt attaqué Kadi et 341 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, le Tribunal a jugé qu’une telle lacune dans la protection juridictionnelle des requérants n’est toutefois pas en soi contraire au jus cogens.

105

À cet égard, le Tribunal a considéré, aux points 288 à 290 de l’arrêt attaqué Kadi, rédigées en des termes en substance identiques à ceux des points 343 à 345 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, ce qui suit:

«288

En l’espèce, le Tribunal considère que la limitation du droit d’accès du requérant à un tribunal, résultant de l’immunité de juridiction dont bénéficient en principe, dans l’ordre juridique interne des États membres des Nations unies, les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, conformément aux principes pertinents du droit international (notamment les articles 25 et 103 de [cette] charte), est inhérente à ce droit, tel qu’il est garanti par le jus cogens.

289

Une telle limitation est justifiée tant par la nature des décisions que le Conseil de sécurité est amené à prendre au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies que par le but légitime poursuivi. Dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt du requérant à voir sa cause entendue sur le fond par un tribunal n’est pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt général essentiel qu’il y a à ce que la paix et la sécurité internationales soient maintenues face à une menace clairement identifiée par le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la charte des Nations unies. À cet égard, il convient d’accorder une importance significative à la circonstance que, loin de prévoir des mesures d’une durée d’application illimitée ou indéterminée, les résolutions successivement adoptées par le Conseil de sécurité ont toujours prévu un mécanisme de réexamen de l’opportunité du maintien de ces mesures après un laps de temps de 12 ou 18 mois au plus […]

290

Enfin, le Tribunal estime que, en l’absence d’une juridiction internationale compétente pour contrôler la légalité des actes du Conseil de sécurité, l’instauration d’un organe tel que le comité des sanctions et la possibilité, prévue par les textes, de s’adresser à lui à tout moment pour obtenir le réexamen de tout cas individuel, au travers d’un mécanisme formalisé impliquant tant le ‘gouvernement requis’ que le ‘gouvernement identifiant’ […], constituent une autre voie raisonnable pour protéger adéquatement les droits fondamentaux du requérant tels qu’ils sont reconnus par le jus cogens.»

106

Par conséquent, le Tribunal a rejeté les moyens tirés d’une violation du droit à un contrôle juridictionnel effectif et, par suite, les recours dans leur ensemble.

Les conclusions des parties au pourvoi

107

Par son pourvoi, M. Kadi demande à la Cour:

d’annuler, dans son intégralité, l’arrêt attaqué Kadi;

de déclarer nul le règlement litigieux, et

de condamner le Conseil et/ou la Commission aux dépens afférents au présent pourvoi et à la procédure devant le Tribunal.

108

Par son pourvoi, Al Barakaat demande à la Cour:

d’annuler l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat;

de déclarer nul le règlement litigieux, et

de condamner le Conseil et la Commission aux dépens afférents au présent pourvoi et à la procédure devant le Tribunal.

109

Le Conseil conclut dans les deux affaires au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.

110

Dans l’affaire C-402/05 P, la Commission demande à la Cour:

de constater qu’aucun moyen invoqué par le requérant n’est de nature à infirmer le dispositif de l’arrêt attaqué Kadi, tout en remplaçant les motifs de celui-ci comme suggéré dans son mémoire en réponse;

en conséquence, de rejeter le pourvoi, et

de condamner le requérant aux dépens.

111

Dans l’affaire C-415/05 P, la Commission demande à la Cour:

de rejeter le recours dans son ensemble, et

de condamner la requérante aux dépens.

112

Le Royaume-Uni forme un pourvoi incident et demande à la Cour:

de rejeter les pourvois, et

d’annuler la partie des arrêts attaqués qui traite de la question du jus cogens, à savoir les points 226 à 231 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 277 à 281 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat.

113

Le Royaume d’Espagne, autorisé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil par ordonnances du président de la Cour des 27 avril 2006 (affaire C-402/05 P) et 15 mai 2006 (affaire C-415/05 P), demande à la Cour:

de rejeter entièrement les pourvois des requérants et de confirmer, dans leur intégralité, les arrêts attaqués;

de condamner les requérants aux dépens;

de rejeter les prétentions de la Commission en ce qui concerne le premier moyen de chaque pourvoi et de confirmer les arrêts attaqués, et

de condamner la Commission aux dépens;

subsidiairement, au cas où la Cour annulerait les arrêts attaqués et, en conséquence, déclarerait nul le règlement litigieux, de considérer comme définitifs les effets de ce règlement, au titre de l’article 231 CE, jusqu’à l’adoption d’un nouveau règlement le remplaçant.

114

La République française, autorisée à intervenir au soutien des conclusions du Conseil et de la Commission par ordonnances du président de la Cour des 27 avril 2006 (affaire C-402/05 P) et 15 mai 2006 (affaire C-415/05 P), demande à la Cour:

de rejeter les pourvois des requérants, d’accueillir les pourvois incidents du Royaume-Uni et de procéder à une substitution de motifs en ce qui concerne la partie des arrêts attaqués traitant du jus cogens, et

de condamner les requérants aux dépens.

115

Le Royaume des Pays-Bas, autorisé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil par ordonnances du président de la Cour des 27 avril 2006 (affaire C-402/05 P) et 15 mai 2006 (affaire C-415/05 P), conclut, dans les deux affaires, au rejet du pourvoi, pourvu que la Cour procède à une substitution de motifs concernant l’étendue du contrôle de légalité et, subsidiairement, la question de savoir si des normes du jus cogens ont été transgressées.

Les moyens d’annulation des arrêts attaqués

116

M. Kadi soulève deux moyens tirés, le premier, du défaut de base juridique du règlement litigieux et, le second, de la violation de plusieurs règles de droit international qu’aurait commise le Tribunal et des conséquences que cette violation aurait engendrées quant à l’appréciation des moyens relatifs à la violation de certains de ses droits fondamentaux qu’il avait invoqués devant le Tribunal.

117

Al Barakaat soulève trois moyens tirés, le premier, du défaut de base juridique du règlement litigieux, le deuxième, de la violation de l’article 249 CE et, le troisième, de la violation de certains de ses droits fondamentaux.

118

Dans le cadre de son pourvoi incident, le Royaume-Uni soulève un moyen unique relatif à l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en concluant dans les arrêts attaqués qu’il était compétent pour examiner la compatibilité des résolutions du Conseil de sécurité en cause avec les règles du jus cogens.

Sur les pourvois

119

Par ordonnance du 13 novembre 2007, le président de la Cour a ordonné la radiation du nom de Ahmed Ali Yusuf du registre de la Cour à la suite du désistement de celui-ci du pourvoi qu’il avait introduit conjointement avec Al Barakaat dans l’affaire C-415/05 P.

120

Les parties et M. l’avocat général ayant été entendus sur ce point, il y a lieu, pour cause de connexité, de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 43 du règlement de procédure de la Cour.

Sur les moyens relatifs à la base juridique du règlement litigieux

Argumentation des parties

121

Par son premier moyen, M. Kadi fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 135 de l’arrêt attaqué Kadi, que le règlement litigieux pouvait être adopté sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

122

Ce moyen est subdivisé en trois branches.

123

Par la première branche, M. Kadi soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les articles 60 CE et 301 CE peuvent être considérés comme constituant une base juridique partielle pour le règlement litigieux. Le Tribunal n’expliciterait d’ailleurs pas la manière dont ces dispositions, qui ne sauraient constituer un fondement que pour des mesures contre des pays tiers, peuvent être visées, en combinaison avec l’article 308 CE, en tant que base juridique dudit règlement, alors que celui-ci ne comporte que des mesures dirigées contre des individus et des entités non étatiques.

124

Par la deuxième branche, M. Kadi allègue que, si les articles 60 CE et 301 CE devaient néanmoins être retenus en tant que base juridique partielle du règlement litigieux, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ce qu’il aurait incorrectement interprété l’article 301 CE et la fonction de «passerelle» que celui-ci prévoit, cet article n’incluant en aucun cas le pouvoir de prendre des mesures visant à réaliser un objectif du traité UE.

125

Par la troisième branche, M. Kadi reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en interprétant l’article 308 CE de manière telle que cette disposition puisse fournir une base juridique à une réglementation pour laquelle les pouvoirs d’action nécessaires ne sont pas prévus dans le traité et qui n’était pas nécessaire pour réaliser l’un des objets de la Communauté. Aux points 122 à 134 de l’arrêt attaqué Kadi, le Tribunal aurait assimilé à tort les objectifs des deux ordres juridiques intégrés mais distincts que constituent l’Union et la Communauté et aurait ainsi méconnu les limites de l’article 308 CE.

126

Une telle conception serait en outre incompatible avec le principe d’attribution prévu à l’article 5 CE. À cet égard, il découlerait des points 28 à 35 de l’avis 2/94, du 28 mars 1996 (Rec. p. I-1759), que la mention d’un objectif dans le traité UE ne saurait remédier à l’absence de cet objectif dans l’énumération des objets du traité CE.

127

Le Conseil et la République française réfutent la première branche du premier moyen de M. Kadi en faisant valoir, notamment, que la mention des articles 60 CE et 301 CE dans la base juridique du règlement litigieux est justifiée par la circonstance que ceux-ci prévoient des mesures restrictives dont le champ d’application devait être étendu, moyennant le recours à l’article 308 CE, à des personnes ou entités non étatiques et donc non couvertes par les deux premiers articles susmentionnés.

128

Le Royaume-Uni soutient, pour sa part, que l’article 308 CE a été utilisé en tant que mécanisme permettant de compléter les compétences instrumentales prévues aux articles 60 CE et 301 CE, ceux-ci ne constituant donc pas le fondement juridique partiel du règlement litigieux. Le Royaume d’Espagne avance en substance la même argumentation.

129

S’agissant de la deuxième branche dudit moyen, le Conseil soutient que la raison d’être de la passerelle prévue à l’article 301 CE consiste précisément à lui conférer un pouvoir de prendre des mesures visant à réaliser un objectif du traité UE.

130

Le Royaume d’Espagne, la République française et le Royaume-Uni soutiennent que c’est l’article 308 CE, et non les articles 60 CE et 301 CE, qui a permis l’adoption de mesures restrictives visant des individus et des entités non étatiques, en complétant ainsi le champ d’application de ces deux derniers articles.

131

Pour ce qui concerne la troisième branche du premier moyen de M. Kadi, le Conseil fait valoir que la raison d’être de la passerelle que comporte l’article 301 CE est précisément d’utiliser, à titre exceptionnel, les pouvoirs conférés à la Communauté d’imposer des sanctions économiques et financières pour réaliser un objectif de la PESC, et donc de l’Union, plutôt qu’un objet de la Communauté.

132

Le Royaume-Uni et les États membres intervenants au pourvoi partagent en substance cette position.

133

Le Royaume-Uni précise sa position en indiquant que, selon lui, l’action prévue par le règlement litigieux peut être considérée comme contribuant à réaliser non un objectif de l’Union, mais un objet de la Communauté, à savoir celui, implicite, purement instrumental et sous-jacent aux articles 60 CE et 301 CE de fournir des moyens effectifs de mise en œuvre, exclusivement par des mesures économiques coercitives, d’actes adoptés en vertu de la compétence que le titre V du traité UE confère à l’Union.

134

Selon cet État membre, lorsque la réalisation de cet objectif instrumental nécessite des formes de coercition économique excédant les pouvoirs spécifiquement conférés au Conseil par les articles 60 CE et 301 CE, il est approprié de recourir à l’article 308 CE pour compléter ces pouvoirs.

135

La Commission, après avoir déclaré qu’elle avait reconsidéré son point de vue, fait valoir, à titre principal, que les articles 60 CE et 301 CE, eu égard à leur libellé et à leur contexte, ont constitué, à eux seuls, des bases juridiques appropriées et suffisantes pour l’adoption du règlement litigieux.

136

À cet égard, la Commission invoque en substance les arguments suivants:

le libellé de l’article 301 CE serait suffisamment large pour couvrir les sanctions économiques prises à l’encontre de particuliers pour autant que ceux-ci se trouvent dans un pays tiers ou y soient associés à un autre titre. Les termes «relations économiques» engloberaient un vaste éventail d’activités. Toute sanction économique, même si elle vise un pays tiers, tel un embargo, affecterait directement les particuliers concernés et seulement indirectement ce pays. Le texte de l’article 301 CE, en particulier les termes «en partie», n’exigerait pas qu’une mesure partielle vise un segment particulier des pays concernés, tel son gouvernement. Permettant à la Communauté d’interrompre totalement les relations économiques avec tous les pays, cette disposition devrait également l’autoriser à interrompre les relations économiques avec un nombre limité de particuliers dans un nombre limité de pays;

la coïncidence terminologique entre l’article 41 de la charte des Nations unies et l’article 301 CE marquerait l’intention claire des rédacteurs de cette dernière disposition de prévoir une plate-forme pour la mise en œuvre, par la Communauté, de toute mesure prise par le Conseil de sécurité qui requiert une action communautaire;

l’article 301 CE mettrait en place une passerelle procédurale entre la Communauté et l’Union, mais ne viserait ni à accroître ni à réduire le champ de la compétence communautaire. En conséquence, cette disposition devrait être interprétée aussi largement que les compétences communautaires pertinentes.

137

La Commission soutient que les mesures en cause relèvent de la politique commerciale commune, compte tenu de l’effet sur les échanges des mesures interdisant le mouvement de ressources économiques, voire que ces mesures constituent des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux, dès lors qu’elles comportent l’interdiction de transférer des ressources économiques à des particuliers dans des pays tiers.

138

La Commission fait également valoir qu’il découle de l’article 56, paragraphes 1 et 2, CE que les mouvements de capitaux et les paiements entre la Communauté et les pays tiers relèvent de la compétence communautaire, les États membres ne pouvant prendre des mesures de sanction dans ce domaine que dans le cadre de l’article 60, paragraphe 2, CE, et non dans celui de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE.

139

La Commission estime en conséquence qu’il ne pouvait être recouru, pour l’adoption du règlement litigieux, à l’article 308 CE, dès lors qu’un pouvoir d’action est prévu aux articles 60 CE et 301 CE. Ces derniers articles fourniraient le fondement pour la composante principale ou prépondérante de ce règlement, par rapport à laquelle d’autres composantes, tel le gel des avoirs de personnes qui sont à la fois ressortissants d’États membres de l’Union et associées à un groupe terroriste étranger, seraient purement secondaires, la Commission se référant à cet égard, notamment, à l’arrêt du 10 janvier 2006, Commission/Conseil (C-94/03, Rec. p. I-1, point 35).

140

À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que, avant de recourir à l’article 308 CE, il convient d’examiner l’applicabilité des articles du traité CE en matière de politique commerciale commune et de libre circulation des capitaux et des paiements.

141

À titre très subsidiaire, elle soutient que, si l’article 308 CE devait être retenu comme base juridique du règlement litigieux, ce serait en tant que base juridique unique, le recours à cette disposition devant se fonder sur la considération que l’action de la Communauté est nécessaire pour atteindre l’un des objets de celle-ci, et non, comme l’a jugé le Tribunal, pour réaliser les objectifs du traité UE, en l’occurrence ceux de la PESC.

142

Il s’agirait, en l’occurrence, de l’objet communautaire que constitue la politique commerciale commune, visé à l’article 3, paragraphe 1, sous b), CE, et de celui relatif à la libre circulation des capitaux, visé implicitement à l’article 3, paragraphe 1, sous c), CE, lu en combinaison avec les dispositions pertinentes du traité CE, à savoir celles de l’article 56 CE, relatif à la libre circulation des capitaux avec les pays tiers. Les mesures en cause, dès lors qu’elles auraient des effets sur les échanges, indépendamment du fait qu’elles ont été adoptées dans le cadre de la poursuite d’objectifs de politique étrangère, relèveraient desdits objets communautaires.

143

M. Kadi, le Royaume d’Espagne, la République française et le Royaume-Uni réfutent la thèse avancée par la Commission à titre principal, en objectant ce qui suit:

il s’agirait d’une interprétation extensive des articles 60 CE et 301 CE qui méconnaîtrait la nature radicalement différente et nouvelle des sanctions dites «intelligentes» en cause, dès lors que celles-ci ne présentent plus aucun lien avec un pays tiers, interprétation qui serait hasardeuse, car ces articles ont été introduits à une époque où les sanctions étaient caractérisées par un tel lien;

à la différence des sanctions intelligentes en cause, un embargo total vise essentiellement les dirigeants d’un pays tiers sur lesquels une telle mesure tend à exercer une pression et seulement de façon indirecte les opérateurs économiques du pays concerné, de sorte qu’il ne saurait être soutenu que toute sanction, y compris l’embargo, vise en premier lieu des particuliers;

à la différence de l’article 41 de la charte des Nations unies, l’article 301 CE viserait spécifiquement l’interruption des relations économiques «avec un ou plusieurs pays tiers», de sorte qu’aucun argument ne pourrait être tiré de la similarité du libellé de ces deux dispositions;

l’article 301 CE ne serait pas une simple disposition procédurale. Cette disposition instituerait une base juridique ainsi qu’une procédure spécifique et conférerait à l’évidence une compétence matérielle à la Communauté;

les mesures qu’impose le règlement litigieux ne concerneraient pas les relations commerciales entre la Communauté et des pays tiers et ne peuvent donc se réclamer de l’objectif de la politique commerciale commune;

le Tribunal aurait jugé à bon droit que ces mesures ne contribuent pas à prévenir un risque d’entraves à la libre circulation des capitaux et que l’article 60, paragraphe 2, CE ne saurait fonder des mesures restrictives contre des individus ou des entités. Cette disposition ne visant que des mesures à l’encontre de pays tiers, les mesures en cause ne pourraient avoir été adoptées que dans le cadre de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE.

144

La thèse subsidiaire de la Commission est également réfutée par M. Kadi ainsi que par le Royaume d’Espagne et la République française.

145

Un recours aux articles 133 CE ou 57, paragraphe 2, CE ne serait pas permis, dès lors que les mesures prévues par le règlement litigieux ne concernent pas les relations commerciales avec des pays tiers et ne relèvent pas de la catégorie de mouvements de capitaux visés à l’article 57, paragraphe 2, CE.

146

De plus, il ne pourrait être soutenu que le règlement litigieux vise à réaliser des objets de la Communauté au sens de l’article 308 CE. En effet, l’objet de la libre circulation des capitaux serait exclu, dès lors que l’application de la mesure de gel de fonds prévue par ce règlement ne serait susceptible d’engendrer aucun risque plausible et sérieux de divergences entre les États membres. L’objet de la politique commerciale commune ne serait pas non plus pertinent, dès lors que le gel des actifs d’un individu n’ayant pas de liens avec le gouvernement d’un pays tiers ne concernerait pas les échanges avec un tel pays et ne poursuivrait pas un objectif de politique commerciale.

147

Dans l’hypothèse où la thèse qu’elle soutient à titre principal serait retenue, la Commission demande à la Cour, pour des raisons de sécurité juridique et pour la bonne mise en œuvre des obligations assumées dans le cadre des Nations unies, de considérer comme définitifs les effets du règlement litigieux dans son ensemble, en vertu de l’article 231 CE.

148

Dans la même hypothèse, le Royaume d’Espagne et la République française introduisent également une demande en ce sens.

149

En revanche, M. Kadi s’oppose à ces demandes, arguant que le règlement litigieux constitue une violation grave de droits fondamentaux. En tout état de cause, une exception devrait être prévue pour des personnes qui, tel le requérant, ont déjà introduit un recours contre ce règlement.

150

Par son premier moyen, Al Barakaat fait grief au Tribunal, premièrement, d’avoir jugé, aux points 158 à 170 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que le règlement litigieux pouvait être adopté sur le fondement des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE combinés.

151

Le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, aux points 160 et 164 dudit arrêt, que les articles 60 CE et 301 CE ne visent pas exclusivement la réalisation d’une action de la Communauté, mais peuvent également concerner un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en œuvre de la PESC.

152

Deuxièmement, Al Barakaat fait grief au Tribunal d’avoir jugé, aux points 112, 113, 115 et 116 du même arrêt, que des sanctions décidées contre des individus dans l’objectif d’influencer les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers sont couvertes par les dispositions des articles 60 CE et 301 CE et que cette interprétation est justifiée tant par des considérations d’efficacité que par des préoccupations d’ordre humanitaire.

153

Le Conseil rétorque que c’est à juste titre que le Tribunal a jugé, au point 161 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que, en raison de la passerelle que comportent les articles 60 CE et 301 CE, les sanctions édictées sur le fondement de ces dispositions, à la suite de l’adoption d’une position commune ou d’une action commune au titre de la PESC prévoyant l’interruption ou la réduction des relations économiques de la Communauté avec un ou plusieurs pays tiers, visent à réaliser l’objectif de la PESC que poursuivent ces actes de l’Union.

154

Le Conseil fait également valoir que le Tribunal a jugé à bon droit qu’un recours à l’article 308 CE en tant que base juridique complémentaire du règlement litigieux était justifié, dès lors que cet article sert uniquement à permettre l’extension de sanctions économiques et financières déjà prévues aux articles 60 CE et 301 CE à l’encontre d’individus ou d’entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé.

155

Enfin, le Conseil estime que la critique de la requérante quant à l’effectivité et à la proportionnalité des sanctions prévues par ce règlement est sans pertinence en ce qui concerne l’adéquation de la base juridique dudit règlement.

156

S’agissant de ce second grief, le Royaume-Uni estime également que celui-ci est sans pertinence dans le cadre du pourvoi introduit par Al Barakaat, dès lors que, conformément au point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé qu’il n’était plus nécessaire de se prononcer sur la légalité du règlement no 467/2001.

157

Pour le surplus, les arguments invoqués par le Royaume d’Espagne, la République française, le Royaume-Uni et la Commission sont, en substance, les mêmes que ceux soulevés par ces parties dans le cadre du pourvoi de M. Kadi.

Appréciation de la Cour

158

S’agissant, en premier lieu, des griefs dirigés par Al Barakaat contre les points 112, 113, 115 et 116 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, il y a lieu de constater que ces points portent sur la base juridique du règlement no 467/2001.

159

Or, ce règlement a été abrogé par le règlement litigieux et remplacé par ce dernier. En outre, comme l’a indiqué le Tribunal au point 77 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat sans être contesté par Al Barakaat dans son pourvoi, le recours de celle-ci devant le Tribunal, après qu’elle eut adapté ses conclusions et moyens au règlement litigieux, avait pour unique objet une demande d’annulation de ce dernier règlement, pour autant que celui-ci la concerne.

160

Dans ces circonstances, lesdits griefs ne sauraient en aucun cas entraîner l’annulation dudit arrêt et doivent donc être considérés comme inopérants.

161

En tout état de cause, les considérations de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat auxquelles se rapportent ces griefs, qualifiées par le Tribunal de prémisses de son raisonnement relatif à la base juridique du règlement litigieux, sont reprises dans des points subséquents dudit arrêt ainsi que dans l’arrêt attaqué Kadi et seront examinées dans le cadre de l’appréciation des moyens dirigés contre ces points.

162

Partant, il n’y a pas lieu d’examiner ces griefs en tant qu’ils portent sur la base juridique du règlement no 467/2001.

163

Il convient, en deuxième lieu, de statuer sur le bien-fondé de la thèse soutenue à titre principal par la Commission, selon laquelle les articles 60 CE et 301 CE, eu égard à leur libellé et à leur contexte, constituent, à eux seuls, une base juridique appropriée et suffisante pour le règlement litigieux.

164

Cette thèse est dirigée contre les points 92 à 97 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 128 à 133 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, dans lesquels le Tribunal s’est prononcé en sens contraire.

165

Ladite thèse doit être rejetée.

166

Le Tribunal a en effet jugé à bon droit que, au vu du libellé des articles 60 CE et 301 CE, en particulier des termes «à l’égard des pays tiers concernés» et «avec un ou plusieurs pays tiers» y figurant, ces dispositions visent l’adoption de mesures à l’encontre de pays tiers, cette dernière notion pouvant inclure les dirigeants d’un tel pays ainsi que des individus et entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par ceux-ci.

167

Or, les mesures restrictives prévues par la résolution 1390 (2002), que le règlement litigieux vise à mettre en œuvre, constituent des mesures caractérisées par l’absence de tout lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers. En effet, à la suite de l’effondrement du régime des Taliban, ces mesures sont dirigées directement contre Oussama ben Laden, le réseau Al-Qaida ainsi que les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’elles figurent sur la liste récapitulative. Partant, elles ne relèvent pas, en tant que telles, du champ d’application des articles 60 CE et 301 CE.

168

Retenir l’interprétation des articles 60 CE et 301 CE que préconise la Commission, selon laquelle il suffirait que les mesures restrictives en cause visent des personnes ou des entités se trouvant dans un pays tiers ou y étant associées à un autre titre, donnerait une portée excessivement large à ces dispositions et ne tiendrait nullement compte de l’exigence, découlant des termes mêmes de celles-ci, que les mesures décidées sur la base desdites dispositions doivent être prises à l’encontre de pays tiers.

169

En outre, le but essentiel et l’objet du règlement litigieux est de combattre le terrorisme international, en particulier de le couper de ses ressources financières en gelant les fonds et les ressources économiques des personnes ou entités soupçonnées d’être impliquées dans des activités qui y sont liées, et non d’affecter les relations économiques entre la Communauté et chacun des pays tiers dans lesquels ces personnes ou entités se trouvent, à supposer d’ailleurs que leur lieu de résidence soit connu.

170

Les mesures restrictives prévues par la résolution 1390 (2002) et mises en œuvre par le règlement litigieux ne sauraient en effet être considérées comme des mesures visant à réduire les relations économiques avec chacun de ces pays tiers, non plus d’ailleurs que celles avec certains États membres de la Communauté, dans lesquels se trouvent des personnes ou des entités dont le nom est inclus dans la liste récapitulative, laquelle est reprise à l’annexe I de ce règlement.

171

La thèse soutenue par la Commission ne saurait en outre être justifiée par l’expression «en partie» figurant à l’article 301 CE.

172

Cette expression se réfère en effet à l’éventuelle limitation de la portée matérielle ou personnelle des mesures pouvant, par hypothèse, être prises dans le cadre de cette disposition. Elle n’a cependant pas d’incidence sur la qualité requise des destinataires potentiels de ces mesures et ne saurait donc justifier une extension de l’application de celles-ci à des destinataires n’ayant aucun lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers et qui, de ce fait, ne tombent pas dans le champ d’application de ladite disposition.

173

L’argument de la Commission relatif à la coïncidence terminologique entre l’article 41 de la charte des Nations unies et l’article 301 CE, dont elle déduit que cette dernière disposition constitue une plate-forme pour la mise en œuvre, par la Communauté, de toute mesure prise par le Conseil de sécurité qui requiert une action communautaire, ne saurait lui non plus prospérer.

174

En effet, l’article 301 CE vise spécifiquement l’interruption des relations économiques «avec un ou plusieurs pays tiers», alors qu’une telle expression ne figure pas dans l’article 41 de la charte des Nations unies.

175

De surcroît, à d’autres égards, le champ d’application de l’article 41 de la charte des Nations unies ne coïncide pas non plus avec celui de l’article 301 CE, dès lors que la première disposition permet l’adoption d’une série de mesures autres que celles visées par la seconde, y compris des mesures de nature foncièrement différente de celles tendant à interrompre ou à réduire des relations économiques avec des pays tiers, telle la rupture des relations diplomatiques.

176

L’argument de la Commission selon lequel l’article 301 CE établirait une passerelle procédurale entre la Communauté et l’Union de sorte que cette disposition devrait être interprétée aussi largement que les compétences communautaires pertinentes, dont celles relatives à la politique commerciale commune et à la libre circulation des capitaux, doit également être rejeté.

177

Cette interprétation de l’article 301 CE est en effet susceptible de réduire le champ d’application et, partant, l’effet utile de cette disposition, car celle-ci, au vu de ses termes mêmes, vise l’adoption de mesures affectant les relations économiques avec des pays tiers potentiellement très diverses et qui donc, a priori, ne doivent pas être limitées aux domaines relevant d’autres compétences matérielles communautaires telles que celles en matière de politique commerciale commune ou de libre circulation des capitaux.

178

Ladite interprétation ne trouve du reste pas d’appui dans le libellé de l’article 301 CE, celui-ci conférant une compétence matérielle à la Communauté dont la portée est, en principe, autonome par rapport à celle d’autres compétences communautaires.

179

Il y a lieu d’examiner, en troisième lieu, la thèse avancée par la Commission à titre subsidiaire, selon laquelle, si le règlement litigieux ne pouvait être adopté sur la seule base juridique des articles 60 CE et 301 CE, un recours à l’article 308 CE ne serait pas justifié, dès lors que cette dernière disposition n’est applicable, notamment, que si aucune autre disposition du traité CE ne confère la compétence nécessaire pour adopter l’acte concerné. Or, les mesures restrictives qu’impose ledit règlement relèveraient des pouvoirs d’action de la Communauté, en particulier des compétences de celle-ci en matière de politique commerciale commune et de mouvements de capitaux ainsi que de paiements.

180

À cet égard, le Tribunal a jugé, aux points 100 de l’arrêt attaqué Kadi et 136 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, qu’aucune disposition du traité CE ne prévoit l’adoption de mesures comparables à celles édictées par le règlement litigieux, visant à la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, à l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel de fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international qui sont dénués de tout lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers, de sorte que la première condition d’applicabilité de l’article 308 CE est remplie en l’espèce.

181

Cette conclusion doit être approuvée.

182

En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte (voir, notamment, arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Conseil, C-440/05, Rec. p. I-9097, point 61 et jurisprudence citée).

183

Or, d’une part, un acte communautaire ne relève de la compétence en matière de politique commerciale commune prévue à l’article 133 CE que s’il porte spécifiquement sur les échanges internationaux en ce qu’il est essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges commerciaux et a des effets directs et immédiats sur le commerce ou les échanges des produits concernés (voir, notamment, arrêt du 12 mai 2005, Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia et ERSA, C-347/03, Rec. p. I-3785, point 75 et jurisprudence citée).

184

S’agissant du but essentiel et de l’objet du règlement litigieux, ainsi qu’il a été exposé au point 169 du présent arrêt, celui-ci vise à lutter contre le terrorisme international et prévoit à cet effet l’imposition d’un ensemble de mesures restrictives de nature économique et financière, telles que le gel des fonds et des ressources économiques, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international.

185

Eu égard à ce but et à cet objet, il ne saurait être considéré que ce règlement porte spécifiquement sur les échanges internationaux en ce qu’il serait essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges commerciaux.

186

En outre, si ledit règlement peut certes avoir des effets sur le commerce ou les échanges internationaux, son but n’est manifestement pas de générer des effets directs et immédiats de cette nature.

187

Le règlement litigieux ne pouvait donc être fondé sur la compétence communautaire en matière de politique commerciale commune.

188

D’autre part, selon la Commission, le règlement litigieux, en ce qu’il interdit le transfert de ressources économiques à des particuliers dans des pays tiers, relève du champ d’application des dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des capitaux et des paiements.

189

Cette affirmation doit également être rejetée.

190

S’agissant, tout d’abord, de l’article 57, paragraphe 2, CE, il convient de constater que les mesures restrictives qu’impose le règlement litigieux ne relèvent pas de l’une des catégories de mesures énumérées à cette disposition.

191

S’agissant, ensuite, de l’article 60, paragraphe 1, CE, cette disposition ne saurait non plus fonder le règlement litigieux, dès lors que son champ d’application est déterminé par celui de l’article 301 CE.

192

Or, ainsi qu’il a déjà été jugé au point 167 du présent arrêt, cette dernière disposition ne vise pas l’adoption de mesures restrictives telles que celles en cause, qui sont caractérisées par l’absence de tout lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers.

193

S’agissant, enfin, de l’article 60, paragraphe 2, CE, il y a lieu de constater que cette disposition ne comporte pas de compétence communautaire à cet effet, dès lors qu’elle se limite à permettre aux États membres d’adopter, pour certains motifs exceptionnels, des mesures unilatérales contre un pays tiers concernant les mouvements de capitaux et les paiements, sous réserve du pouvoir du Conseil d’imposer à un État membre de modifier ou d’abolir de telles mesures.

194

Il convient d’examiner, en quatrième lieu, les griefs dirigés par M. Kadi, dans le cadre des deuxième et troisième branches de son premier moyen, contre les points 122 à 135 de l’arrêt attaqué Kadi, par Al Barakaat contre les points 158 à 170 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat ainsi que la critique de la Commission contre ces mêmes points des arrêts attaqués.

195

À ces points, le Tribunal a jugé que le règlement litigieux avait pu être adopté sur le fondement des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE combinés, au motif que, en raison de la passerelle spécifiquement établie entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE, d’une part, et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures, d’autre part, un recours à l’article 308 CE, dans le contexte particulier envisagé par les deux premiers articles, est justifié pour atteindre de tels objectifs et, en l’occurrence, l’objectif de la PESC visé par le règlement litigieux, à savoir la lutte contre le terrorisme international et le financement de celui-ci.

196

À cet égard, il y a lieu de constater que les arrêts attaqués sont effectivement entachés d’une erreur de droit.

197

En effet, s’il est exact de considérer, comme l’a fait le Tribunal, qu’une passerelle a été établie entre les actions de la Communauté comportant des mesures économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE ainsi que les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures, dont la PESC, ni le libellé des dispositions du traité CE ni la structure de celui-ci ne donnent un fondement à une conception selon laquelle cette passerelle s’étendrait à d’autres dispositions du traité CE, et en particulier à l’article 308 CE.

198

S’agissant spécifiquement de l’article 308 CE, si la position du Tribunal était retenue, cette disposition permettrait, dans le contexte particulier des articles 60 CE et 301 CE, l’adoption d’actes communautaires visant non pas l’un des objets de la Communauté, mais l’un des objectifs relevant du traité UE en matière de relations extérieures, au nombre desquels figure la PESC.

199

Force est toutefois de constater qu’une telle conception se heurte au libellé même de l’article 308 CE.

200

En effet, un recours à cette disposition requiert que l’action envisagée, d’une part, ait trait au «fonctionnement du marché commun» et, d’autre part, vise à réaliser «l’un des objets de la Communauté».

201

Or, cette dernière notion, eu égard à ses termes clairs et précis, ne saurait en aucun cas être comprise comme incluant les objectifs de la PESC.

202

La coexistence de l’Union et de la Communauté en tant qu’ordres juridiques intégrés mais distincts ainsi que l’architecture constitutionnelle des piliers, voulues par les auteurs des traités actuellement en vigueur, relevées à juste titre par le Tribunal aux points 120 de l’arrêt attaqué Kadi et 156 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, constituent en outre des considérations de nature institutionelle militant contre une extension de ladite passerelle à des articles du traité CE autres que ceux avec lesquels celle-ci établit un lien de façon expresse.

203

Par ailleurs, l’article 308 CE, faisant partie intégrante d’un ordre institutionnel basé sur le principe des compétences d’attribution, ne saurait constituer un fondement pour élargir le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions dudit traité et, en particulier, de celles qui définissent les missions et les actions de la Communauté (avis 2/94, précité, point 30).

204

De même l’article 3 UE, auquel le Tribunal se réfère aux points 126 à 128 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 162 à 164 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, en particulier le second alinéa de cet article, ne saurait servir de base à un élargissement des compétences de la Communauté au-delà des objets de la Communauté.

205

L’incidence de cette erreur de droit sur la validité des arrêts attaqués sera examinée ultérieurement, au terme de l’appréciation des autres griefs soulevés à l’encontre des développements de ces arrêts relatifs à la possibilité d’inclure l’article 308 CE dans la base juridique du règlement litigieux en combinaison avec les articles 60 CE et 301 CE.

206

Ces autres griefs peuvent être regroupés en deux catégories.

207

La première catégorie comprend notamment la première branche du premier moyen de M. Kadi, dans laquelle celui-ci reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en admettant que l’article 308 CE avait pu compléter la base juridique du règlement litigieux constituée par les articles 60 CE et 301 CE. Or, ces deux derniers articles ne pourraient constituer la base juridique, même partielle, du règlement litigieux, dès lors que, suivant l’interprétation du Tribunal lui-même, des mesures visant des personnes ou entités n’ayant aucun lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers, destinataires uniques du règlement litigieux, ne rentrent pas dans le champ d’application desdits articles.

208

Cette critique peut être rapprochée de celle émise par la Commission, selon laquelle, s’il devait être jugé que le recours à l’article 308 CE peut être admis, ce devrait être en tant que base juridique unique, et non en combinaison avec les articles 60 CE et 301 CE.

209

La seconde catégorie inclut les critiques de la Commission contre la décision du Tribunal contenue aux points 116 et 121 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 152 et 157 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, selon laquelle, aux fins de l’application de l’article 308 CE, l’objectif du règlement litigieux, à savoir, selon le Tribunal, la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières, telles des mesures de gel de fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international, ne peut être rattaché à l’un des objets assignés par le traité CE à la Communauté.

210

La Commission soutient à cet égard que les mesures de mise en œuvre qu’impose le règlement litigieux en matière de sanctions économiques et financières relèvent, par leur nature, des objets de la Communauté, à savoir, d’une part, la politique commerciale commune et, d’autre part, la libre circulation des capitaux.

211

Quant à la première catégorie de griefs susmentionnée, il y a lieu de rappeler que l’article 308 CE vise à suppléer l’absence de pouvoirs d’action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques du traité CE dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que la Communauté puisse exercer ses fonctions en vue d’atteindre l’un des objets fixés par ce traité (avis 2/94 précité, point 29).

212

Or, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que l’article 308 CE pouvait être inclus, avec les articles 60 CE et 301 CE, dans la base juridique du règlement litigieux.

213

En effet, ce dernier, en ce qu’il impose des mesures restrictives de nature économique et financière, relève manifestement du champ d’application ratione materiae des articles 60 CE et 301 CE.

214

Dans cette mesure, l’inclusion de ces articles dans la base juridique du règlement litigieux était donc justifiée.

215

Par ailleurs, ces dispositions s’inscrivent dans le prolongement d’une pratique, fondée, avant l’introduction des articles 60 CE et 301 CE par le traité de Maastricht, sur l’article 113 du traité CE (devenu, après modification, article 133 CE) (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 1995, Werner, C-70/94, Rec. p. I-3189, points 8 à 10, et du 14 janvier 1997, Centro-Com, C-124/95, Rec. p. I-81, points 28 et 29), qui consistait à confier à la Communauté la mise en œuvre d’actions décidées dans le cadre de la coopération politique européenne et comportant l’imposition de mesures restrictives de nature économique visant des pays tiers.

216

Les articles 60 CE et 301 CE ne prévoyant toutefois pas de pouvoirs d’action exprès ou implicites pour imposer de telles mesures à des destinataires n’ayant aucun lien avec le régime dirigeant d’un pays tiers tels que ceux visés par le règlement litigieux, cette absence de pouvoir, due aux limitations du champ d’application ratione personae desdites dispositions, pouvait être suppléée en recourant à l’article 308 CE en tant que base juridique dudit règlement en sus des deux premiers articles fondant cet acte du point de vue de sa portée matérielle, pourvu toutefois que les autres conditions auxquelles l’applicabilité de l’article 308 CE est assujettie aient été remplies.

217

Il y a donc lieu de rejeter comme non fondés les griefs regroupés dans la première catégorie susmentionnée.

218

S’agissant des autres conditions d’applicabilité de l’article 308 CE, il convient ensuite d’examiner la seconde catégorie de griefs susmentionnée.

219

La Commission soutient que, si la position commune 2002/402, que le règlement litigieux vise à mettre en œuvre, poursuit l’objectif de la lutte contre le terrorisme international, objectif relevant de la PESC, ce règlement doit, quant à lui, être considéré comme comportant une mesure d’exécution visant à imposer des sanctions économiques et financières.

220

Or, cet objectif relèverait des objets de la Communauté au sens de l’article 308 CE, en particulier ceux relatifs à la politique commerciale commune et à la libre circulation des capitaux.

221

Le Royaume-Uni estime que l’objectif propre du règlement litigieux, purement instrumental, à savoir l’instauration de mesures économiques coercitives, doit être distingué de son objectif sous-jacent, relevant de la PESC, relatif au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Or, ledit objectif contribuerait à l’objet communautaire implicite sous-tendant les articles 60 CE et 301 CE, qui est de fournir des moyens effectifs de mise en œuvre, exclusivement par des mesures économiques coercitives, d’actes adoptés dans le cadre de la PESC.

222

À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif poursuivi par le règlement litigieux est d’empêcher immédiatement les personnes associées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban de disposer de toute ressource financière et économique, afin de faire obstacle au financement d’activités terroristes (arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, C-117/06, Rec. p. I-8361, point 63).

223

Contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 116 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 152 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, cet objectif peut être rattaché à des objets assignés par le traité CE à la Communauté. Les arrêts attaqués sont donc également entachés d’une erreur de droit sur ce point.

224

À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que cela a été exposé au point 203 du présent arrêt, dès lors qu’il fait partie intégrante d’un ordre institutionnel basé sur le principe des compétences d’attribution, l’article 308 CE ne saurait constituer un fondement pour élargir le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité CE.

225

Or, l’objectif poursuivi par le règlement litigieux peut être rattaché à l’un des objets de la Communauté au sens de l’article 308 CE, de sorte que l’adoption de ce règlement n’a pas constitué une méconnaissance du domaine des compétences de la Communauté tel que celui-ci résulte du cadre général que constitue l’ensemble des dispositions du traité CE.

226

En effet, les articles 60 CE et 301 CE, en ce qu’ils prévoient une compétence communautaire pour imposer des mesures restrictives de nature économique afin de mettre en œuvre des actions décidées dans le cadre de la PESC, sont l’expression d’un objectif implicite et sous-jacent, à savoir celui de rendre possible l’adoption de telles mesures par l’utilisation efficace d’un instrument communautaire.

227

Cet objectif peut être considéré comme constituant un objet de la Communauté au sens de l’article 308 CE.

228

Cette interprétation est corroborée par l’article 60, paragraphe 2, CE. En effet, si le premier alinéa de ce paragraphe prévoit une compétence, strictement encadrée, des États membres pour prendre des mesures unilatérales contre un pays tiers concernant les mouvements de capitaux et les paiements, cette compétence ne peut, aux termes de ce même alinéa, être exercée qu’aussi longtemps que des mesures communautaires n’ont pas été prises au titre du premier paragraphe de cet article.

229

La mise en œuvre de mesures restrictives de nature économique décidées dans le cadre de la PESC par l’utilisation d’un instrument communautaire ne déborde pas le cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité CE, dès lors que de telles mesures, de par leur nature, présentent en outre un lien avec le fonctionnement du marché commun, ce lien constituant une autre condition d’application de l’article 308 CE, ainsi qu’il a été dit au point 200 du présent arrêt.

230

En effet, si des mesures économiques et financières telles que celles imposées par le règlement litigieux, consistant dans un gel, en principe généralisé, de tous les fonds et autres ressources économiques des personnes et entités visées, étaient imposées unilatéralement par chaque État membre, une prolifération de ces mesures nationales serait susceptible d’affecter le fonctionnement du marché commun. De telles mesures pourraient en particulier avoir une incidence sur les échanges entre les États membres, notamment pour ce qui concerne le mouvement des capitaux et des paiements, ainsi que sur l’exercice par des opérateurs économiques de leur droit d’établissement. En outre, il pourrait en résulter des distorsions de concurrence, dès lors que d’éventuelles différences entre les mesures prises unilatéralement par les États membres pourraient avantager la position concurrentielle de certains opérateurs économiques ou préjudicier à celle-ci sans que ces avantages ou désavantages soient fondés sur des raisons économiques.

231

L’affirmation, par le Conseil, au quatrième considérant du règlement litigieux, selon laquelle il y a lieu d’arrêter une législation communautaire «pour éviter notamment une distorsion de la concurrence» se révèle donc, à cet égard, pertinente.

232

Il convient à ce stade de statuer sur l’incidence des erreurs de droit, constatées aux points 196 et 223 du présent arrêt, sur la validité des arrêts attaqués.

233

Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit communautaire, alors que le dispositif de cet arrêt apparaît néanmoins fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté (voir, notamment, arrêt du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C-167/04 P, Rec. p. I-8935, point 186 et jurisprudence citée).

234

Or, force est de constater que la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal, aux points 135 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 158 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, quant à la base juridique du règlement litigieux, à savoir que le Conseil était compétent pour adopter ce règlement sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, est fondée pour d’autres motifs de droit.

235

En effet, si, comme il a été jugé aux points 196 à 204 du présent arrêt, l’inclusion de l’article 308 CE dans la base juridique du règlement litigieux ne saurait se justifier par le fait que cet acte poursuivrait un objectif relevant de la PESC, cette disposition pouvait néanmoins être retenue pour fonder ce règlement dès lors que, ainsi qu’il découle des points 225 à 231 du présent arrêt, il est légitime de considérer que ledit règlement vise à réaliser un objet de la Communauté et est en outre lié au fonctionnement du marché commun au sens de l’article 308 CE. Par ailleurs, l’ajout de celui-ci à la base juridique du règlement litigieux a permis au Parlement européen de participer au processus décisionnel relatif aux mesures en cause qui visent spécifiquement des particuliers alors que, dans le cadre des articles 60 CE et 301 CE, aucun rôle n’est prévu pour cette institution.

236

Dès lors, les moyens dirigés contre les arrêts attaqués en tant que, par ceux-ci, le Tribunal a décidé que les articles 60 CE, 301 CE et 308 CE constituent la base juridique légale du règlement litigieux doivent être rejetés dans leur entièreté comme non fondés.

Sur le moyen relatif à la violation de l’article 249 CE

Argumentation des parties

237

Par son deuxième moyen, Al Barakaat fait grief au Tribunal d’avoir jugé, au point 188 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que le règlement litigieux satisfait à l’exigence de portée générale inscrite à l’article 249 CE, dès lors qu’il s’adresse de manière générale et abstraite à l’ensemble des personnes susceptibles de détenir matériellement des fonds appartenant à une ou plusieurs des personnes mentionnées à l’annexe de ce règlement.

238

Al Barakaat soutient «qu’il est incorrect de ne pas considérer la personne dont les fonds sont gelés comme destinataire de l’acte concerné, puisque l’exécution de la décision doit reposer, de manière raisonnable, sur une mesure légale dirigée contre celui qui dispose des ressources».

239

Par ailleurs, il serait contradictoire d’affirmer, d’une part, au point 112 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, qu’il s’agit de mesures restrictives frappant directement des individus ou des organisations et, d’autre part, au point 188 du même arrêt, que ces mesures ne visent pas ces individus ou organisations, mais constituent une forme de dispositions d’exécution adressées à d’autres personnes.

240

Le Royaume d’Espagne et le Royaume-Uni ainsi que le Conseil et la Commission souscrivent, en substance, à l’analyse du Tribunal.

Appréciation de la Cour

241

Le Tribunal a jugé à bon droit, aux points 184 à 188 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, que la circonstance que les personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives qu’impose le règlement litigieux sont nommément désignées à l’annexe I de ce règlement, de sorte qu’elles apparaissent comme étant directement et individuellement concernées par celui-ci, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, n’implique pas que cet acte n’aurait pas une portée générale au sens de l’article 249, deuxième alinéa, CE et qu’il ne saurait être qualifié de règlement.

242

En effet, s’il est vrai que le règlement litigieux impose des mesures restrictives aux personnes et aux entités dont les noms figurent sur la liste exhaustive qui constitue son annexe I, liste d’ailleurs régulièrement modifiée par la suppression ou l’ajout de noms, afin qu’elle reste conforme à la liste récapitulative, force est de constater que les destinataires de ce règlement sont déterminés de manière générale et abstraite.

243

Le règlement litigieux, à l’instar de la résolution 1390 (2002) qu’il vise à mettre en œuvre, comporte une interdiction, libellée de manière particulièrement large, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition desdites personnes ou entités (voir, en ce sens, arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, points 50 à 55).

244

Or, ainsi que le Tribunal l’a jugé à juste titre aux points 186 et 188 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, cette interdiction s’adresse à quiconque est susceptible de détenir matériellement les fonds ou les ressources économiques en question.

245

C’est ainsi que ladite interdiction trouve à s’appliquer dans des circonstances telles que celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, laquelle portait sur la question de savoir si le règlement litigieux interdit la transcription définitive du transfert de propriété d’un bien immobilier sur un registre foncier à la suite de la conclusion d’un contrat de vente si l’un des acheteurs est une personne physique inscrite sur la liste figurant à l’annexe I de ce règlement.

246

En effet, au point 60 dudit arrêt, la Cour a décidé qu’une opération telle que ladite transcription est interdite, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement litigieux, dès lors qu’elle impliquerait qu’une ressource économique soit mise à la disposition d’une personne inscrite sur cette liste, ce qui lui permettrait d’obtenir des fonds, des biens ou des services.

247

Eu égard à ce qui précède, le moyen tiré par Al Barakaat de la violation de l’article 249 CE doit également être rejeté comme non fondé.

Sur les moyens relatifs à la violation de certains droits fondamentaux

Sur les griefs portant sur la partie des arrêts attaqués relative aux limites du contrôle par le juge communautaire, au regard des droits fondamentaux, de la légalité interne du règlement litigieux

248

Par la première branche de son second moyen, M. Kadi soutient que l’arrêt attaqué Kadi, en tant qu’il se prononce, d’une part, sur les rapports entre l’ONU et les membres de cette organisation et, d’autre part, sur les modalités d’application des résolutions du Conseil de sécurité, est entaché d’erreurs de droit en ce qui concerne l’interprétation des principes de droit international concernés, ce qui aurait engendré d’autres erreurs de droit dans l’appréciation des moyens relatifs à la violation de certains droits fondamentaux spécifiques du requérant.

249

Cette branche comporte cinq griefs.

250

Par le premier grief, M. Kadi fait valoir que, aux points 183 et 184 dudit arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit en confondant la question de la primauté des obligations des États en vertu de la charte des Nations unies, consacrée à l’article 103 de celle-ci, avec celle, apparentée mais distincte, de l’effet contraignant des décisions du Conseil de sécurité visé à l’article 25 de cette charte.

251

Par le deuxième grief, M. Kadi reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en partant de la prémisse, aux points 217 à 225 de l’arrêt attaqué Kadi, selon laquelle, à l’instar des obligations conventionnelles, les résolutions adoptées en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies doivent être automatiquement insérées dans la sphère de droit et de compétence des membres de l’ONU.

252

Par le troisième grief, M. Kadi allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 212 à 225 ainsi que 283 et 284 de l’arrêt attaqué Kadi, qu’il n’a aucun pouvoir lui permettant de contrôler la légalité des résolutions du Conseil de sécurité adoptées en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies.

253

Par le quatrième grief, M. Kadi soutient que le raisonnement tenu par le Tribunal, aux points 225 à 232 dudit arrêt, au sujet du jus cogens présente une incohérence majeure, dans la mesure où, s’il devait prévaloir, le principe selon lequel les résolutions du Conseil de sécurité ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et bénéficient en ce sens d’une immunité de juridiction devrait s’appliquer de manière générale, sans que les questions relevant du jus cogens constituent une exception à ce principe.

254

Par le cinquième grief, M. Kadi fait valoir que la circonstance que le Conseil de sécurité n’a pas établi une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions n’implique ni que les États membres n’ont aucun pouvoir légitime, en adoptant des mesures raisonnables, d’améliorer la constatation des faits sous-jacente à l’imposition de sanctions et l’identification des personnes qu’elles visent ni qu’il leur soit interdit de créer un recours approprié en vertu de la marge de tolérance dont ils disposent dans l’exécution de leurs obligations.

255

Dans son mémoire en réplique, en se référant à l’arrêt Bosphorus, précité, M. Kadi soutient en outre que le droit communautaire exige que toutes les mesures législatives communautaires soient soumises au contrôle juridictionnel exercé par la Cour, lequel porte également sur le respect des droits fondamentaux, même si l’origine de la mesure en cause est un acte de droit international tel qu’une résolution du Conseil de sécurité.

256

Aussi longtemps que le droit des Nations unies n’offre pas une protection adéquate à ceux qui affirment que leurs droits fondamentaux ont été violés, il devrait y avoir un contrôle des actes adoptés par la Communauté pour mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité. Or, selon M. Kadi, la procédure de réexamen devant le comité des sanctions, fondée sur la protection diplomatique, n’offre pas une protection des droits de l’homme équivalente à celle assurée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), telle qu’exigée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande, du 30 juin 2005 (Recueil des arrêts et décisions 2005-VI, § 155).

257

M. Kadi fait valoir que cette argumentation, qui est subsidiaire par rapport aux arguments fondés sur le droit international, est soulevée pour le cas où la Cour devrait juger qu’un conflit existe entre les objectifs de la mise en œuvre fidèle des résolutions du Conseil de sécurité et les principes du procès équitable ou de la protection juridictionnelle.

258

Par ailleurs, ledit grief constituerait non pas un moyen nouveau, mais un développement de la proposition fondamentale, formulée dans le pourvoi, selon laquelle la Communauté est tenue, lorsqu’elle décide d’agir par voie législative pour mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, de veiller, en tant que condition de la légalité de la législation qu’elle entend ainsi instaurer, à ce que celle-ci respecte les critères minimaux en matière de droits de l’homme.

259

Par la première branche de son troisième moyen, Al Barakaat critique les observations liminaires du Tribunal dans l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat relatives à l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou l’ordre juridique communautaire ainsi qu’à l’étendue du contrôle de légalité qu’il incombait au Tribunal d’exercer.

260

Une résolution du Conseil de sécurité, en soi contraignante en droit international public, ne pourrait avoir d’effet juridique à l’encontre de justiciables dans un État que si elle a été mise en œuvre conformément à la loi en vigueur.

261

Or, il n’existerait aucun fondement juridique permettant d’affirmer qu’un traitement particulier ou une exception existerait pour ce qui concerne la mise en œuvre de résolutions du Conseil de sécurité en ce sens qu’un règlement communautaire visant à une telle mise en œuvre ne devrait pas être conforme aux règles communautaires relatives à l’adoption de règlements.

262

À l’inverse, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Conseil approuvent en substance l’analyse opérée à cet égard par le Tribunal dans les arrêts attaqués et souscrivent à la conclusion qu’il en a tirée, selon laquelle, pour ce qui concerne la légalité interne du règlement litigieux, celui-ci, en ce qu’il met en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, échappe en principe à tout contrôle du juge communautaire, y compris quant au respect des droits fondamentaux, et bénéficie dans cette mesure d’une immunité juridictionnelle.

263

Toutefois, contrairement au Tribunal, ces parties estiment qu’aucun contrôle de la légalité interne de résolutions du Conseil de sécurité ne peut être exercé par le juge communautaire. Elles reprochent donc au Tribunal d’avoir décidé qu’un tel contrôle est possible au regard du jus cogens.

264

Les arrêts attaqués, en ce qu’ils admettent une exception à cet égard, sans toutefois identifier la base juridique de celle-ci, notamment sur le fondement des dispositions du traité, seraient incohérents, dans la mesure où les arguments excluant, de manière générale, l’exercice d’un contrôle juridictionnel, par le juge communautaire, des résolutions du Conseil de sécurité militeraient également contre la reconnaissance d’une compétence pour exercer un tel contrôle au regard du seul jus cogens.

265

En outre, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni ainsi que la Commission estiment que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les droits fondamentaux en cause dans les présentes affaires relèvent du jus cogens.

266

Une norme ne saurait être qualifiée de jus cogens que si elle ne peut souffrir aucune dérogation. Or, les droits invoqués en l’espèce — le droit à un procès équitable et le droit au respect de la propriété — feraient l’objet de limitations et d’exceptions.

267

Le Royaume-Uni forme à cet égard un pourvoi incident, en sollicitant l’annulation de la partie des arrêts attaqués qui traite du jus cogens, à savoir les points 226 à 231 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 277 à 281 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat.

268

La République française et le Royaume des Pays-Bas, pour leur part, suggèrent à la Cour d’opérer une substitution de motifs, en concluant au rejet des moyens de M. Kadi et d’Al Barakaat relatifs au jus cogens en raison de l’incompétence totale des juridictions communautaires pour exercer un contrôle sur les résolutions du Conseil de sécurité, y compris au regard du jus cogens.

269

Quant à la Commission, elle soutient que deux raisons peuvent justifier qu’il ne soit pas donné suite à une obligation de mise en œuvre de résolutions du Conseil de sécurité telles que celles en cause, dont les termes stricts ne laissent place à aucun pouvoir d’interprétation des autorités communautaires lors de leur mise en œuvre, à savoir, d’une part, le cas où la résolution concernée serait contraire au jus cogens et, d’autre part, celui où cette résolution sortirait du champ d’application ou violerait les buts et principes des Nations unies et aurait donc été adoptée ultra vires.

270

En effet, dès lors que, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité est lié par les buts et principes des Nations unies, y compris, selon l’article 1er, paragraphe 3, de cette charte, le développement et la promotion des droits de l’homme, un acte adopté par cet organe en violation de ceux-ci, y inclus les droits fondamentaux des particuliers en cause, pourrait être considéré comme adopté ultra vires et, partant, comme non contraignant pour la Communauté.

271

La Commission estime toutefois que le Tribunal a jugé à bon droit que le juge communautaire ne peut en principe contrôler la validité d’une résolution du Conseil de sécurité à la lumière des buts et principes de la charte des Nations unies.

272

Dans l’hypothèse où l’exercice d’un tel contrôle devrait néanmoins être admis, la Commission fait valoir que la Cour, en tant que juridiction d’une organisation internationale autre que l’ONU, ne peut statuer elle-même sur cette question que si la violation de droits de l’homme est particulièrement flagrante et évidente, en se référant, à cet égard, à l’arrêt Racke, précité.

273

Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, du fait de l’existence de la procédure de réexamen devant le comité des sanctions et puisqu’il doit être présumé que le Conseil de sécurité a mis en balance les impératifs de la sécurité internationale en cause et les droits fondamentaux concernés.

274

S’agissant de l’enseignement de l’arrêt Bosphorus, précité, la Commission soutient que, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la question relative à la légalité et à l’éventuelle nullité de la résolution en cause pourrait surgir en ce qui concerne le règlement litigieux si la Cour devait juger que la Communauté ne peut mettre en œuvre une résolution contraignante du Conseil de sécurité dès lors que les standards en matière de droits de l’homme appliqués par cette instance, notamment en ce qui concerne le droit d’être entendu, sont insuffisants.

275

Par ailleurs, le Royaume-Uni estime que l’argumentation de M. Kadi selon laquelle la légalité de toute réglementation adoptée par les institutions communautaires afin de mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité demeure soumise, en vertu du droit communautaire, au contrôle intégral de la Cour, indépendamment de son origine, dès lors qu’elle a été avancée pour la première fois dans le mémoire en réplique du requérant, constitue un moyen nouveau. Partant, conformément aux articles 42, paragraphe 2, et 118 du règlement de procédure de la Cour, cette argumentation devrait être écartée.

276

Subsidiairement, ledit État membre soutient que le statut spécial des résolutions adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, résultant de l’interaction des articles 25, 48 et 103 de cette charte, reconnu par l’article 297 CE, implique que l’action menée par un État membre pour exécuter ses obligations en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales soit à l’abri de tout recours fondé sur le droit communautaire. La primauté de telles obligations s’étendrait de façon évidente aux principes du droit communautaire de nature constitutionnelle.

277

Ce même État membre soutient que, dans l’arrêt Bosphorus, précité, la Cour ne s’est pas reconnue compétente pour apprécier la validité d’un règlement visant à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, mais s’est bornée à interpréter le règlement concerné dans le but de déterminer si une mesure prévue par celui-ci devait être appliquée par les autorités d’un État membre dans un cas concret. La République française partage en substance cette interprétation dudit arrêt.

Appréciation de la Cour

278

À titre liminaire, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Royaume-Uni quant à l’argumentation avancée par M. Kadi dans son mémoire en réplique, selon laquelle la légalité de toute réglementation adoptée par les institutions communautaires, y compris celle visant à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, demeure soumise, en vertu du droit communautaire, au contrôle intégral de la Cour, indépendamment de son origine.

279

En effet, ainsi que le fait valoir M. Kadi, il s’agit d’un argument supplémentaire constituant l’ampliation du moyen, énoncé antérieurement, à tout le moins implicitement, dans le pourvoi et présentant un lien étroit avec ce moyen, selon lequel la Communauté était tenue, lors de la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité, de veiller, en tant que condition de la légalité de la législation qu’elle entendait ainsi instaurer, à ce que celle-ci respecte les critères minimaux en matière de droits de l’homme (voir en ce sens, notamment, ordonnance du 13 novembre 2001, Dürbeck/Commission, C-430/00 P, Rec. p. I-8547, point 17).

280

Il convient d’examiner les griefs par lesquels les requérants reprochent au Tribunal d’avoir jugé, en substance, qu’il découle des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors qu’il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant place à aucune marge à cet effet, ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel quant à sa légalité interne, sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens, et bénéficie donc dans cette mesure d’une immunité juridictionnelle.

281

À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23).

282

Il convient de rappeler également qu’un accord international ne saurait porter atteinte à l’ordre des compétences fixé par les traités et, partant, à l’autonomie du système juridique communautaire dont la Cour assure le respect en vertu de la compétence exclusive dont elle est investie par l’article 220 CE, compétence que la Cour a d’ailleurs déjà considérée comme relevant des fondements mêmes de la Communauté (voir, en ce sens, avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I-6079, points 35 et 71, ainsi que arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande, C-459/03, Rec. p. I-4635, point 123 et jurisprudence citée).

283

En outre, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, Rec. p. I-5305, point 29 et jurisprudence citée).

284

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires (avis 2/94, précité, point 34) et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci (arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p. I-5659, point 73 et jurisprudence citée).

285

Il découle de l’ensemble de ces éléments que les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires doivent respecter les droits fondamentaux, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ce traité.

286

À cet égard, il importe de souligner que, dans un contexte tel que celui de l’espèce, le contrôle de légalité devant ainsi être assuré par le juge communautaire porte sur l’acte communautaire visant à mettre en œuvre l’accord international en cause, et non sur ce dernier en tant que tel.

287

S’agissant plus particulièrement d’un acte communautaire qui, tel le règlement litigieux, vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’incombe donc pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une telle résolution adoptée par cet organe international, ce contrôle fût-il limité à l’examen de la compatibilité de cette résolution avec le jus cogens.

288

Par ailleurs, un éventuel arrêt d’une juridiction communautaire par lequel il serait décidé qu’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une telle résolution est contraire à une norme supérieure relevant de l’ordre juridique communautaire n’impliquerait pas une remise en cause de la primauté de cette résolution au plan du droit international.

289

Ainsi, la Cour a déjà annulé une décision du Conseil approuvant un accord international après avoir examiné la légalité interne de celle-ci au regard de l’accord en cause et avoir constaté une violation d’un principe général du droit communautaire, en l’occurrence le principe général de non-discrimination (arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C-122/95, Rec. p. I-973).

290

Il y a dès lors lieu d’examiner si, comme l’a jugé le Tribunal, les principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire impliquent qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux est en principe exclu, nonobstant le fait que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 281 à 284 du présent arrêt, un tel contrôle constitue une garantie constitutionnelle relevant des fondements mêmes de la Communauté.

291

À cet égard, il convient d’abord de rappeler que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts précités Poulsen et Diva Navigation, point 9, ainsi que Racke, point 45), la Cour ayant en outre précisé, au même point du premier de ces arrêts, qu’un acte adopté en vertu de ces compétences doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international.

292

De plus, la Cour a jugé que les compétences de la Communauté prévues aux articles 177 CE à 181 CE en matière de coopération et de développement doivent être exercées dans le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies et des autres organisations internationales (arrêt du 20 mai 2008, Commission/Conseil, C-91/05, Rec. p. I-3651, point 65 et jurisprudence citée).

293

Le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies s’impose tout autant dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, lors de la mise en œuvre par la Communauté, par l’adoption d’actes communautaires pris sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

294

Dans l’exercice de cette dernière compétence, la Communauté se doit en effet d’attacher une importance particulière au fait que, conformément à l’article 24 de la charte des Nations unies, l’adoption, par le Conseil de sécurité, de résolutions au titre du chapitre VII de cette charte constitue l’exercice de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité, responsabilité qui, dans le cadre dudit chapitre VII, inclut le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir.

295

Il convient ensuite de constater que les compétences prévues aux articles 60 CE et 301 CE ne peuvent être exercées qu’à la suite de l’adoption d’une position commune ou d’une action commune en vertu des dispositions du traité UE relatives à la PESC qui prévoit une action de la Communauté.

296

Or, si, du fait de l’adoption d’un tel acte, la Communauté est tenue de prendre, dans le cadre du traité CE, les mesures qu’impose cet acte, cette obligation implique, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, que, lors de l’élaboration de ces mesures, la Communauté tienne dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée ainsi que des obligations pertinentes découlant de la charte des Nations unies relatives à une telle mise en œuvre.

297

Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que, aux fins de l’interprétation du règlement litigieux, il y a également lieu de tenir compte du texte et de l’objet de la résolution 1390 (2002), que ce règlement, selon son quatrième considérant, vise à mettre en œuvre (arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, point 54 et jurisprudence citée).

298

Il y a toutefois lieu de relever que la charte des Nations unies n’impose pas le choix d’un modèle déterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de cette charte, cette mise en œuvre devant intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU. En effet, la charte des Nations unies laisse en principe aux membres de l’ONU le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions.

299

Il découle de l’ensemble de ces considérations que les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

300

Une telle immunité juridictionnelle d’un acte communautaire tel que le règlement litigieux, en tant que corollaire du principe de primauté au plan du droit international des obligations issues de la charte des Nations unies, en particulier de celles relatives à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de cette charte, ne trouve par ailleurs aucun fondement dans le traité CE.

301

Il est certes exact que la Cour a déjà admis que l’article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE) pouvait, si ses conditions d’application étaient réunies, permettre des dérogations même au droit primaire, par exemple à l’article 113 du traité CE, relatif à la politique commerciale commune (voir, en ce sens, arrêt Centro-Com, précité, points 56 à 61).

302

Il est également vrai que l’article 297 CE permet implicitement des entraves au fonctionnement du marché commun qui seraient causées par des mesures qu’un État membre adopterait pour mettre en œuvre des engagements internationaux qu’il a contractés en vue de maintenir la paix et la sécurité internationales.

303

Toutefois, ces dispositions ne sauraient être comprises comme autorisant une dérogation aux principes de la liberté, de la démocratie ainsi que du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés à l’article 6, paragraphe 1, UE en tant que fondement de l’Union.

304

L’article 307 CE ne pourrait en effet en aucun cas permettre la remise en cause des principes qui relèvent des fondements mêmes de l’ordre juridique communautaire, parmi lesquels celui de la protection des droits fondamentaux, qui inclut le contrôle par le juge communautaire de la légalité des actes communautaires quant à leur conformité avec ces droits fondamentaux.

305

Une immunité juridictionnelle du règlement litigieux quant au contrôle de la compatibilité de celui-ci avec les droits fondamentaux qui trouverait sa source dans une prétendue primauté absolue des résolutions du Conseil de sécurité que cet acte vise à mettre en œuvre ne pourrait pas non plus être fondée sur la place qu’occuperaient les obligations découlant de la charte des Nations unies dans la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique communautaire si ces obligations étaient classifiées dans cette hiérarchie.

306

En effet, l’article 300, paragraphe 7, CE prévoit que les accords conclus selon les conditions fixées à cet article lient les institutions de la Communauté et les États membres.

307

Ainsi, en vertu de cette disposition, si elle était applicable à la charte des Nations unies, cette dernière bénéficierait de la primauté sur les actes de droit communautaire dérivé (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06, Rec. p. I-4057, point 42 et jurisprudence citée).

308

Toutefois, cette primauté au plan du droit communautaire ne s’étendrait pas au droit primaire et, en particulier, aux principes généraux dont font partie les droits fondamentaux.

309

Cette interprétation est corroborée par le paragraphe 6 du même article 300 CE, selon lequel un accord international ne peut entrer en vigueur si la Cour a rendu un avis négatif sur sa compatibilité avec le traité CE, à moins que celui-ci n’ait été modifié au préalable.

310

Il a cependant été soutenu devant la Cour, notamment lors de l’audience, que, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans plusieurs décisions récentes, s’est déclarée incompétente pour contrôler la conformité de certains actes intervenus dans le cadre de la mise en œuvre de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, les juridictions communautaires devraient s’abstenir de contrôler la légalité du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux, dès lors que cet acte vise également à mettre en œuvre de telles résolutions.

311

À cet égard, il convient de constater que, ainsi que l’a d’ailleurs relevé la Cour européenne des droits de l’homme elle-même, une différence fondamentale existe entre la nature des actes concernés par lesdites décisions, à l’égard desquels cette juridiction s’est déclarée incompétente pour exercer un contrôle de conformité par rapport à la CEDH, et celle d’autres actes pour lesquels sa compétence apparaît incontestable (voir Cour eur. D. H., décision Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France, Allemagne et Norvège du 2 mai 2007, non encore publiée au Recueil des arrêts et décisions, § 151).

312

En effet, si, dans certaines affaires dont elle a été saisie, la Cour européenne des droits de l’homme s’est déclarée incompétente ratione personae, celles-ci concernaient des actions directement imputables à l’ONU en tant qu’organisation à vocation universelle remplissant un objectif impératif de sécurité collective, en particulier des actions d’un organe subsidiaire de l’ONU instauré dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ou des actions se situant dans le cadre de l’exercice de pouvoirs valablement délégués par le Conseil de sécurité en application de ce même chapitre, et non des actions imputables aux États défendeurs devant ladite Cour, ces actions n’ayant par ailleurs pas eu lieu sur le territoire de ces États et n’ayant pas découlé d’une décision des autorités de ceux-ci.

313

En revanche, au paragraphe 151 de la décision Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France, Allemagne et Norvège, précitée, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que, dans l’affaire ayant donné lieu à son arrêt Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande, précité, concernant une mesure de saisie mise en œuvre par les autorités de l’État défendeur sur son territoire national à la suite d’une décision d’un ministre de cet État, elle a reconnu sa compétence, notamment ratione personae, vis-à-vis de l’État défendeur, bien que la mesure en cause eût été décidée sur la base d’un règlement communautaire pris lui-même en application d’une résolution du Conseil de sécurité.

314

En l’espèce, il y a lieu de constater que le règlement litigieux ne saurait être considéré comme constituant un acte directement imputable à l’ONU en tant qu’action relevant de l’un des organes subsidiaires de celle-ci instaurés dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ou se situant dans le cadre de l’exercice de pouvoirs valablement délégués par le Conseil de sécurité en application de ce même chapitre.

315

En outre, et en tout état de cause, la question de la compétence de la Cour pour se prononcer sur la validité du règlement litigieux se pose dans un cadre fondamentalement différent.

316

En effet, ainsi qu’il a déjà été rappelé aux points 281 à 284 du présent arrêt, le contrôle, par la Cour, de la validité de tout acte communautaire au regard des droits fondamentaux doit être considéré comme l’expression, dans une communauté de droit, d’une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un accord international ne saurait porter atteinte.

317

La question de la compétence de la Cour se pose en effet dans le cadre de l’ordre juridique interne et autonome de la Communauté, dont relève le règlement litigieux, et dans lequel la Cour est compétente pour contrôler la validité des actes communautaires au regard des droits fondamentaux.

318

Il a en outre été soutenu que, eu égard à la déférence s’imposant aux institutions communautaires à l’égard des institutions des Nations unies, la Cour devrait renoncer à exercer un contrôle de la légalité du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux, même si un tel contrôle était possible, dès lors que, dans le cadre du régime de sanctions instauré par les Nations unies, compte tenu en particulier de la procédure de réexamen telle qu’elle a été récemment améliorée de manière significative par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité, les droits fondamentaux sont suffisamment protégés.

319

Selon la Commission, tant que, dans ledit régime de sanctions, les particuliers ou entités concernés ont une possibilité acceptable d’être entendus grâce à un mécanisme de contrôle administratif s’intégrant dans le système juridique des Nations unies, la Cour ne devrait intervenir d’aucune façon.

320

À cet égard, il convient tout d’abord de relever que, si, effectivement, à la suite de l’adoption par le Conseil de sécurité de plusieurs résolutions, des modifications ont été apportées au régime des mesures restrictives instauré par les Nations unies pour ce qui concerne tant l’inscription sur la liste récapitulative que la radiation de celle-ci [voir, spécialement, les résolutions 1730 (2006), du 19 décembre 2006, et 1735 (2006), du 22 décembre 2006], ces modifications sont intervenues postérieurement à l’adoption du règlement litigieux, de sorte que, en principe, elles ne sauraient être prises en compte dans le cadre des présents pourvois.

321

En tout état de cause, l’existence, dans le cadre de ce régime des Nations unies, de la procédure de réexamen devant le comité des sanctions, même en tenant compte des modifications récentes apportées à celle-ci, ne peut entraîner une immunité juridictionnelle généralisée dans le cadre de l’ordre juridique interne de la Communauté.

322

En effet, une telle immunité, qui constituerait une dérogation importante au régime de protection juridictionnelle des droits fondamentaux prévu par le traité CE, n’apparaît pas justifiée, dès lors que cette procédure de réexamen n’offre manifestement pas les garanties d’une protection juridictionnelle.

323

À cet égard, s’il est désormais possible pour toute personne ou entité de s’adresser directement au comité des sanctions en soumettant sa demande de radiation de la liste récapitulative au point dit «focal», force est de constater que la procédure devant ce comité demeure essentiellement de nature diplomatique et interétatique, les personnes ou entités concernées n’ayant pas de possibilité réelle de défendre leurs droits et ledit comité prenant ses décisions par consensus, chacun de ses membres disposant d’un droit de veto.

324

Il ressort à cet égard des directives du comité des sanctions, telles que modifiées en dernier lieu le 12 février 2007, que le requérant ayant présenté une demande de radiation ne peut en aucune manière faire valoir lui-même ses droits lors de la procédure devant le comité des sanctions ni se faire représenter à cet effet, le gouvernement de l’État de sa résidence ou de sa nationalité ayant seul la faculté de transmettre éventuellement des observations sur cette demande.

325

En outre, lesdites directives n’imposent pas au comité des sanctions de communiquer audit requérant les raisons et les éléments de preuve justifiant l’inscription de celui-ci sur la liste récapitulative ni de lui donner un accès, même limité, à ces données. Enfin, en cas de rejet de la demande de radiation par ce comité, aucune obligation de motivation ne pèse sur ce dernier.

326

Il découle de ce qui précède que les juridictions communautaires doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes communautaires qui, tel le règlement litigieux, visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

327

Partant, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 212 à 231 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 263 à 282 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, qu’il découle des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors qu’il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant aucune marge à cet effet, doit bénéficier d’une immunité juridictionnelle quant à sa légalité interne sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens.

328

Les moyens des requérants sont donc fondés sur ce point, de sorte qu’il y a lieu d’annuler les arrêts attaqués à cet égard.

329

Il en découle qu’il n’y a plus lieu d’examiner les griefs dirigés contre la partie des arrêts attaqués relative au contrôle du règlement litigieux au regard des règles de droit international relevant du jus cogens et, partant, il n’est pas non plus nécessaire d’examiner le pourvoi incident du Royaume-Uni sur ce point.

330

En outre, dès lors que, dans la partie subséquente des arrêts attaqués relative aux droits fondamentaux spécifiques invoqués par les requérants, le Tribunal s’est limité à examiner la légalité du règlement litigieux au regard de ces seules règles, alors qu’il lui incombait d’effectuer un examen, en principe complet, au regard des droits fondamentaux relevant des principes généraux du droit communautaire, il y a également lieu d’annuler cette partie subséquente desdits arrêts.

Sur les recours devant le Tribunal

331

Conformément à l’article 61, premier alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice, celle-ci, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer définitivement sur le litige, lorsqu’il est en état d’être jugé.

332

En l’espèce, la Cour estime que les recours en annulation du règlement litigieux introduits par les requérants sont en état d’être jugés et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux-ci.

333

Il convient, en premier lieu, d’examiner les griefs que M. Kadi et Al Barakaat ont fait valoir quant à la violation des droits de la défense, en particulier celui d’être entendu, et du droit à un contrôle juridictionnel effectif qu’emporteraient les mesures de gel de fonds telles qu’elles leur ont été imposées par le règlement litigieux.

334

À cet égard, au vu des circonstances concrètes ayant entouré l’inclusion des noms des requérants dans la liste des personnes et des entités visées par les mesures restrictives contenue à l’annexe I du règlement litigieux, il doit être jugé que les droits de la défense, en particulier le droit d’être entendu ainsi que le droit à un contrôle juridictionnel effectif de ceux-ci n’ont manifestement pas été respectés.

335

En effet, selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH, ce principe ayant d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1) (voir arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271, point 37).

336

En outre, au vu de la jurisprudence de la Cour dans d’autres domaines (voir, notamment, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, point 15, ainsi que du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, points 462 et 463), il doit être conclu en l’espèce que l’efficacité du contrôle juridictionnel, devant pouvoir porter notamment sur la légalité des motifs sur lesquels est fondée, en l’occurrence, l’inclusion du nom d’une personne ou d’une entité dans la liste constituant l’annexe I du règlement litigieux et entraînant l’imposition à ces destinataires d’un ensemble de mesures restrictives, implique que l’autorité communautaire en cause est tenue de communiquer ces motifs à la personne ou entité concernée, dans toute la mesure du possible, soit au moment où cette inclusion est décidée, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’elle l’a été afin de permettre à ces destinataires l’exercice, dans les délais, de leur droit de recours.

337

Le respect de cette obligation de communiquer lesdits motifs est en effet nécessaire tant pour permettre aux destinataires des mesures restrictives de défendre leurs droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt Heylens e.a., précité, point 15) que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de l’acte communautaire en cause qui lui incombe en vertu du traité CE.

338

Pour ce qui concerne les droits de la défense, et en particulier le droit d’être entendu, s’agissant de mesures restrictives telles que celles qu’impose le règlement litigieux, il ne saurait être requis des autorités communautaires qu’elles communiquent lesdits motifs préalablement à l’inclusion initiale d’une personne ou d’une entité dans ladite liste.

339

En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 308 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, une telle communication préalable serait de nature à compromettre l’efficacité des mesures de gel de fonds et de ressources économiques qu’impose ce règlement.

340

Afin d’atteindre l’objectif poursuivi par ledit règlement, de telles mesures doivent, par leur nature même, bénéficier d’un effet de surprise et, ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, s’appliquer avec effet immédiat (voir, en ce sens, arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, point 63).

341

Pour des raisons tenant également à l’objectif poursuivi par le règlement litigieux et à l’efficacité des mesures prévues par celui-ci, les autorités communautaires n’étaient pas non plus tenues de procéder à une audition des requérants préalablement à l’inclusion initiale de leurs noms dans la liste figurant à l’annexe I de ce règlement.

342

En outre, s’agissant d’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de la Communauté et de ses États membres peuvent s’opposer à la communication de certains éléments aux intéressés et, dès lors, à l’audition de ceux-ci sur ces éléments.

343

Cela ne signifie cependant pas, s’agissant du respect du principe de protection juridictionnelle effective, que des mesures restrictives telles que celles imposées par le règlement litigieux échappent aÌ tout contrôle du juge communautaire deÌs lors qu’il est affirmé que l’acte qui les édicte touche à la la sécurité nationale et au terrorisme.

344

Toutefois, en pareil cas, il incombe au juge communautaire de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les soucis légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité d’accorder à suffisance au justiciable le bénéfice des règles de procédure (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 131).

345

En l’espèce, force est de constater, tout d’abord, que ni le règlement litigieux ni la position commune 2002/402 à laquelle celui-ci renvoie ne prévoient une procédure de communication des éléments justifiant l’inclusion des noms des intéressés dans l’annexe I dudit règlement et d’audition de ces derniers, que ce soit concomitamment à cette inclusion ou postérieurement à celle-ci.

346

Il doit ensuite être relevé que, à aucun moment, le Conseil n’a informé les requérants des éléments retenus contre eux qui auraient justifié l’inclusion initiale de leurs noms dans l’annexe I du règlement litigieux et, partant, l’imposition des mesures restrictives prévues par celui-ci.

347

Il n’est en effet pas contesté qu’aucune information n’a été fournie à cet égard aux requérants, que ce soit dans le règlement no 467/2001 tel que celui-ci a été modifié, respectivement, par les règlements nos 2062/2001 et 2199/2001, ayant mentionné pour la première fois leurs noms dans une liste de personnes, entités ou organismes visés par une mesure de gel de fonds, dans le règlement litigieux ou à un quelconque stade ultérieur.

348

Dès lors que le Conseil n’a pas communiqué aux requérants les éléments retenus à leur charge pour fonder les mesures restrictives qui leur ont été imposées ni accordé à ceux-ci le droit de prendre connaissance desdits éléments dans un délai raisonnable après l’édiction de ces mesures, les requérants n’étaient pas en mesure de faire connaître utilement leur point de vue à cet égard. Partant, les droits de défense des requérants, en particulier celui d’être entendu, n’ont pas été respectés.

349

En outre, à défaut d’avoir été informés des éléments retenus à leur charge et compte tenu des rapports, déjà relevés aux points 336 et 337 du présent arrêt, qui existent entre les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, les requérants n’ont pas non plus pu défendre leurs droits au regard desdits éléments dans des conditions satisfaisantes devant le juge communautaire, de sorte qu’une violation dudit droit à un recours juridictionnel effectif doit également être constatée.

350

Enfin, il y a lieu de constater qu’il n’a pas été remédié à cette violation dans le cadre des présents recours. En effet, dès lors qu’aucun élément de cette nature ne peut faire l’objet d’une vérification par le juge communautaire, selon la position de principe adoptée par le Conseil, ce dernier n’a avancé aucun élément à cet effet.

351

La Cour ne peut donc que constater qu’elle n’est pas en mesure de procéder au contrôle de la légalité du règlement litigieux pour autant qu’il concerne les requérants, de sorte qu’il doit être conclu que, pour ce motif également, le droit fondamental à un recours juridictionnel effectif dont ceux-ci bénéficient n’a, en l’espèce, pas été respecté.

352

Partant, il doit être jugé que le règlement litigieux, pour autant qu’il concerne les requérants, a été adopté sans fournir aucune garantie quant à la communication des éléments retenus à charge de ceux-ci ou quant à leur audition à cet égard, de sorte qu’il doit être conclu que ce règlement a été arrêté selon une procédure au cours de laquelle les droits de la défense n’ont pas été respectés, ce qui a également eu pour conséquence que le principe de protection juridictionnelle effective a été enfreint.

353

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les moyens invoqués par M. Kadi et Al Barakaat à l’appui de leurs recours en annulation du règlement litigieux et tirés d’une violation de leurs droits de défense, en particulier le droit d’être entendu, ainsi que du principe de protection juridictionnelle effective sont fondés.

354

Il convient d’examiner, en second lieu, le moyen que soulève M. Kadi quant à la violation du droit au respect de la propriété qu’emporteraient les mesures de gel qui lui sont imposées en vertu du règlement litigieux.

355

Selon une jurisprudence constante, le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit communautaire. Ce principe n’apparaît toutefois pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir, notamment, arrêt Regione autonoma Friuli-Venezia Giulia et ERSA, précité, point 119 et jurisprudence citée; voir également, en ce sens, dans le cadre d’un régime de mesures restrictives, arrêt Bosphorus, précité, point 21).

356

Afin de déterminer la portée du droit fondamental au respect de la propriété, principe général du droit communautaire, il y a lieu de tenir compte, notamment, de l’article 1er du protocole additionnel no 1 à la CEDH, qui consacre ce droit.

357

Il convient donc d’examiner si la mesure de gel prévue par le règlement litigieux constitue une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même du droit fondamental au respect de la propriété de personnes qui, tel M. Kadi, sont mentionnées dans la liste reprise à l’annexe I dudit règlement.

358

Cette mesure de gel constitue une mesure conservatoire qui n’est pas censée priver lesdites personnes de leur propriété. Toutefois, elle comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété de M. Kadi, restriction qui, au surplus, doit être qualifiée de considérable eu égard à la portée générale de la mesure de gel et compte tenu du fait que celle-ci lui a été applicable depuis le 20 octobre 2001.

359

Se pose dès lors la question de savoir si cette restriction à l’usage du droit de propriété de M. Kadi peut être justifiée.

360

À cet égard, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il y a donc lieu de rechercher si l’équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et l’intérêt du ou des individus concernés. Ce faisant, une grande marge d’appréciation doit être reconnue au législateur tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la législation en cause [voir en ce sens, notamment, Cour eur. D. H., arrêt J. A. PYE (Oxford) Ltd. et J. A. PYE (Oxford) Land Ltd. c. Royaume-Uni du 30 août 2007, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions, §§ 55 et 75].

361

Ainsi que la Cour l’a déjà jugé dans le cadre d’un autre régime communautaire de mesures restrictives de nature économique mettant également en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, l’importance des objectifs poursuivis par un acte communautaire tel le règlement litigieux est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris ceux qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété (voir, en ce sens, arrêt Bosphorus, précité, points 22 et 23).

362

En l’espèce, les mesures restrictives prévues par le règlement litigieux contribuent à la mise en œuvre, au niveau de la Communauté, des mesures restrictives décidées par le Conseil de sécurité à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida, des Taliban ainsi que des autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés.

363

Au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la lutte par tous les moyens, conformément à la charte des Nations unies, contre les menaces à l’égard de la paix et de la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme, le gel des fonds, avoirs financiers et autres ressources économiques des personnes identifiées par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions comme étant associées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban ne saurait, en soi, passer pour inadéquat ou disproportionné (voir, en ce sens, arrêt Bosphorus, précité, point 26, ainsi que Cour eur. D. H., arrêt Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande, précité, § 167).

364

À cet égard, il convient également de prendre en considération le fait que le règlement litigieux dans sa version modifiée par le règlement no 561/2003, adopté à la suite de la résolution 1452 (2002) prévoit, entre autres dérogations et exemptions, que, à la demande des intéressés, et sauf opposition expresse du comité des sanctions, les autorités nationales compétentes déclarent le gel des fonds inapplicable aux fonds nécessaires à des dépenses de base, notamment celles qui sont consacrées à l’achat de vivres ainsi qu’au paiement de loyers, de frais médicaux, d’impôts ou de services collectifs. En outre, les fonds nécessaires à n’importe quelle autre «dépense extraordinaire» peuvent être dégelés moyennant une autorisation expresse du comité des sanctions.

365

Il y a lieu en outre de relever que les résolutions du Conseil de sécurité que le règlement litigieux vise à mettre en œuvre prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des mesures qu’elles édictent ainsi qu’une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen moyennant une demande pouvant désormais être adressée directement audit comité par l’intermédiaire du point dit «focal».

366

Il doit en être conclu que les mesures restrictives qu’impose le règlement litigieux constituent des restrictions au droit de propriété qui, en principe, pourraient être justifiées.

367

Il y a lieu d’examiner en outre si, lors de l’application de ce règlement à M. Kadi, le droit de propriété de celui-ci a été respecté dans les circonstances de l’espèce.

368

À cet égard, il convient de rappeler que les procédures applicables doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes. Pour s’assurer du respect de cette condition, qui constitue une exigence inhérente à l’article 1er du protocole no 1 de la CEDH, il y a lieu de considérer les procédures applicables d’un point de vue général (voir en ce sens, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Jokela c. Finlande du 21 mai 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002-IV, § 45 et jurisprudence citée ainsi que § 55).

369

Or, le règlement litigieux, pour autant qu’il concerne M. Kadi, a été adopté sans fournir à ce dernier aucune garantie lui permettant d’exposer sa cause aux autorités compétentes, et ce dans une situation dans laquelle la restriction de ses droits de propriété doit être qualifiée de considérable, eu égard à la portée générale et à la durée effective des mesures restrictives dont il fait l’objet.

370

Dès lors, il doit être conclu que, dans les circonstances de l’espèce, l’imposition des mesures restrictives que comporte le règlement litigieux à l’égard de M. Kadi, en raison de l’inclusion de ce dernier dans la liste contenue à l’annexe I du règlement litigieux constitue une restriction injustifiée de son droit de propriété.

371

Partant, le moyen tiré par M. Kadi de la violation du droit fondamental au respect de la propriété est fondé.

372

Il résulte de tout ce qui précède que le règlement litigieux, pour autant qu’il concerne les requérants, doit être annulé.

373

Cependant, l’annulation, dans cette mesure, du règlement litigieux avec effet immédiat serait susceptible de porter une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose ce règlement et que la Communauté se doit de mettre en œuvre, dès lors que, dans l’intervalle précédant son éventuel remplacement par un nouveau règlement, M. Kadi et Al Barakaat pourraient prendre des mesures visant à éviter que des mesures de gel de fonds puissent encore leur être appliquées.

374

Par ailleurs, dans la mesure où il découle du présent arrêt que le règlement litigieux doit être annulé, pour autant qu’il concerne les requérants, en raison d’une violation de principes applicables dans le cadre de la procédure suivie lors de l’adoption des mesures restrictives instaurées par ce règlement, il ne saurait être exclu que, sur le fond, l’imposition de telles mesures aux requérants puisse tout de même s’avèrer justifiée.

375

Au vu de ces éléments, il y a lieu, en vertu de l’article 231 CE, de maintenir les effets du règlement litigieux en ce qu’il inclut les noms des requérants dans la liste constituant l’annexe I de celui-ci pendant une brève période qui doit être fixée de façon à permettre au Conseil de remédier aux violations constatées, mais qui tienne aussi dûment compte de l’importante incidence des mesures restrictives dont il s’agit sur les droits et libertés des requérants.

376

Dans ces circonstances, il sera fait une juste application de l’article 231 CE en maintenant les effets du règlement litigieux, pour autant qu’il concerne les requérants, pendant une période ne pouvant excéder trois mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt.

Sur les dépens

377

En vertu de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 69 du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, dispose, à son paragraphe 2, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le paragraphe 4, premier alinéa, dudit article 69 prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

378

Les pourvois de M. Kadi et d’Al Barakaat étant accueillis et le règlement litigieux étant annulé pour autant qu’il concerne ces derniers, il y a lieu de condamner le Conseil et la Commission à supporter, outre leurs propres dépens, chacun la moitié des dépens exposés par M. Kadi et Al Barakaat tant en première instance qu’à l’occasion des présents pourvois, conformément aux conclusions en ce sens des requérants.

379

Le Royaume-Uni supporte ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’aux pourvois.

380

Le Royaume d’Espagne, la République française ainsi que le Royaume des Pays-Bas supportent leurs propres dépens afférents aux pourvois.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

 

1)

Les arrêts du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission (T-315/01) ainsi que Yusuf et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (T-306/01), sont annulés.

 

2)

Le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, est annulé pour autant qu’il concerne M. Kadi et Al Barakaat International Foundation.

 

3)

Les effets du règlement no 881/2002, pour autant qu’il concerne M. Kadi et Al Barakaat International Foundation, sont maintenus pendant une période ne pouvant excéder trois mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt.

 

4)

Le Conseil de l’Union européenne et la Commission des Communautés européennes sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, chacun la moitié des dépens exposés par M. Kadi et Al Barakaat International Foundation tant en première instance qu’à l’occasion des présents pourvois.

 

5)

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens exposés tant en première instance qu’à l’occasion des présents pourvois.

 

6)

Le Royaume d’Espagne, la République française ainsi que le Royaume des Pays-Bas supportent leurs propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langues de procédure: l’anglais et le suédois.

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