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Document 62020CC0426

Opinion of Advocate General Pitruzzella delivered on 9 December 2021.
GD and ES v Luso Temp - Empresa de Trabalho Temporário SA.
Request for a preliminary ruling from the Tribunal Judicial da Comarca de Braga - Juízo do Trabalho de Barcelos.
Reference for a preliminary ruling – Social policy – Directive 2008/104/EC – Temporary agency work – Article 5(1) – Principle of equal treatment – Article 3(1)(f) – Concept of ‘basic working and employment conditions of temporary agency workers’ – Compensation payable in respect of days of paid annual leave not taken and the corresponding holiday bonus pay in the event of the termination of the employment relationship.
Case C-426/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:995

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 9 décembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑426/20

GD,

ES

contre

Luso Temp – Empresa de Trabalho Temporário SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Judicial da Comarca de Braga – Juízo do Trabalho de Barcelos (tribunal d’arrondissement de Braga, juge du travail de Barcelos, Portugal)]

« Renvoi préjudiciel – Travail intérimaire – Droit aux congés payés – Indemnité à la cessation de la relation de travail – Principe de l’égalité de traitement – Conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires »

1.

Le principe de l’égalité de traitement consacré par la directive 2008/104/CE ( 2 ) s’oppose-t-il à une disposition nationale qui autorise une entreprise utilisatrice à verser à un travailleur intérimaire mis à sa disposition, lors de la cessation de la relation de travail, des indemnités relatives à des congés non pris moins élevées que celles auxquelles auraient droit des travailleurs directement recrutés par la même entreprise utilisatrice ?

2.

Tel est le contenu essentiel de la demande de décision préjudicielle adressée à la Cour par la juridiction nationale portugaise dans le cadre d’un droit interne qui régit par une disposition particulière les droits des travailleurs intérimaires à la cessation de la relation de travail.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3.

Les considérants 1, 10, 11, 12 et 15 de la directive 2008/104 énoncent :

« (1)

La présente directive respecte les droits fondamentaux et principes qui sont reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle vise en particulier à assurer le plein respect de l’article 31 de la charte qui prévoit que tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité ainsi qu’à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.

[...]

(10)

Au sein de l’Union européenne, la situation juridique, le statut et les conditions de travail des travailleurs intérimaires se caractérisent par une très grande diversité.

(11)

Le travail intérimaire répond non seulement aux besoins de flexibilité des entreprises, mais aussi à la nécessité de concilier la vie privée et la vie professionnelle des salariés. Il contribue ainsi à la création d’emplois ainsi qu’à la participation et à l’insertion sur le marché du travail.

(12)

La présente directive établit un cadre protecteur pour les travailleurs intérimaires qui est non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des marchés du travail et des relations entre les partenaires sociaux.

[...]

(15)

Les contrats de travail à durée indéterminée sont la forme générale de relations de travail. S’agissant des travailleurs liés à l’entreprise de travail intérimaire par un contrat à durée indéterminée et, compte tenu de la protection particulière afférente à la nature de leur contrat de travail, il convient de prévoir la possibilité de déroger aux règles applicables dans l’entreprise utilisatrice. »

4.

L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire et qui sont mis à la disposition d’entreprises utilisatrices afin de travailler de manière temporaire sous leur contrôle et leur direction. »

5.

L’article 2 de ladite directive, intitulé « Objet », prévoit :

« La présente directive a pour objet d’assurer la protection des travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire en assurant le respect du principe de l’égalité de traitement, tel qu’il est énoncé à l’article 5, à l’égard des travailleurs intérimaires et en reconnaissant les entreprises de travail intérimaire comme des employeurs, tout en tenant compte de la nécessité d’établir un cadre approprié d’utilisation du travail intérimaire en vue de contribuer efficacement à la création d’emplois et au développement de formes souples de travail. »

6.

L’article 3 de la même directive, intitulé « Définitions », dispose à son paragraphe 1, sous f) :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f)

“conditions essentielles de travail et d’emploi” : les conditions de travail et d’emploi établies par la législation, la réglementation, les dispositions administratives, les conventions collectives et/ou toute autre disposition générale et contraignante, en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, relatives :

i)

à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux temps de pause, aux périodes de repos, au travail de nuit, aux congés, aux jours fériés ;

ii)

à la rémunération. »

7.

L’article 5 de la directive 2008/104, intitulé « Principe d’égalité de traitement », qui figure au chapitre II, relatif aux conditions de travail et d’emploi, dispose :

« 1.   Pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires sont au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste.

[...]

2.   En ce qui concerne la rémunération, les États membres peuvent, après consultation des partenaires sociaux, prévoir qu’il peut être dérogé au principe énoncé au paragraphe 1 lorsque les travailleurs intérimaires, liés à l’entreprise de travail intérimaire par un contrat à durée indéterminée, continuent d’être rémunérés dans la période qui sépare deux missions.

3.   Les États membres peuvent, après avoir consulté les partenaires sociaux, leur offrir la possibilité de maintenir ou de conclure, au niveau approprié et sous réserve des conditions fixées par les États membres, des conventions collectives qui, tout en garantissant la protection globale des travailleurs intérimaires, peuvent mettre en place, pour les conditions de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires, des dispositions qui peuvent différer de celles qui sont visées au paragraphe 1.

4.   Pour autant qu’un niveau de protection suffisant soit assuré aux travailleurs intérimaires, les États membres dans lesquels il n’existe pas de système juridique conférant aux conventions collectives un caractère universellement applicable ou dans lesquels il n’existe pas de système juridique ou de pratique permettant d’étendre les dispositions de ces conventions à toutes les entreprises similaires d’une zone géographique ou d’un secteur donné, peuvent, après consultation des partenaires sociaux au niveau national et sur la base d’un accord conclu avec eux, mettre en place, en ce qui concerne les conditions essentielles de travail et d’emploi, des dispositions qui dérogent au principe énoncé au paragraphe 1. Ces dispositions peuvent notamment prévoir un délai d’accès au principe de l’égalité de traitement.

[...] »

B.   Le droit portugais

8.

Aux termes de l’article 185 du Codigo do Trabalho (code du travail) approuvé par la loi 7/2009, du 12 février 2009 (ci-après le « code du travail »), qui est intitulé « Conditions de travail des travailleurs intérimaires » :

« [...]

6   – Les travailleurs intérimaires ont droit, proportionnellement à la durée de leur contrat, à des congés, à une prime de vacances et à une prime de Noël, ainsi qu’à d’autres prestations régulières et périodiques auxquelles ont droit les travailleurs de l’entreprise utilisatrice pour un travail égal ou de valeur égale.

[...] »

9.

Aux termes de l’article 237 du code du travail, intitulé « Droit aux congés » :

« 1 –   Le travailleur a droit, au cours de chaque année civile, à une période de congés payés, qui échoit le 1er janvier.

2 –   Le droit aux congés se rapporte en règle générale au travail presté au cours de l’année civile précédente, mais il n’est pas conditionné à la présence ou à l’effectivité du service.

[...] »

10.

L’article 238 du code du travail, intitulé « Durée de la période de congés », dispose, à son paragraphe 1 :

« 1 –   La durée annuelle des congés est de 22 jours ouvrables au minimum.

[...] »

11.

L’article 239 du code du travail, intitulé « Cas particuliers de durée des congés », est libellé comme suit :

« 1 –   L’année de son recrutement, le travailleur a droit à deux jours ouvrables de congé pour chaque mois de durée du contrat, jusqu’à concurrence de 20 jours, dont la jouissance peut avoir lieu après six mois complets d’exécution du contrat.

2 –   Si l’année civile se termine avant la date limite visée au paragraphe précédent, les congés peuvent être pris jusqu’au 30 juin de l’année suivante.

3 –   L’application des dispositions des paragraphes précédents ne peut avoir pour effet de faire bénéficier, au cours d’une même année civile, de plus de 30 jours ouvrables de congés, sans préjudice des dispositions d’une convention collective. »

12.

L’article 245 du code du travail, intitulé « Effets du contrat de travail sur le droit aux congés », prévoit :

« 1 –   En cas de cessation du contrat de travail, le travailleur a droit au paiement des congés et de la prime y afférente :

a)

correspondants aux congés échus et non pris ;

b)

proportionnels à la durée du service presté au cours de l’année de cessation du contrat.

2 –   Dans le cas visé sous a) au paragraphe précédent, la période de congé est prise en compte aux fins de l’ancienneté.

3 –   En cas de cessation d’un contrat au cours de l’année civile qui suit le recrutement ou d’un contrat dont la durée est inférieure à douze mois, le total des congés annuels ou de la rémunération correspondante auxquels le salarié a droit ne peut dépasser celui qui découle du calcul des congés annuels dus proportionnellement à la durée du contrat. »

II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

13.

GD et ES ont conclu un contrat de travail intérimaire avec l’agence Luso Temp - Empresa de Trabalho Temporário SA, respectivement le 29 octobre 2017 et le 9 octobre 2017. Dans ce contexte, les requérants ont été mis à la disposition de la société Inoveplástika - Inovação e Tecnologia em Plásticos SA, et leur mission s’est terminée le 28 octobre 2019 (dans le cas du requérant GD) et le 8 octobre 2019 (dans le cas du requérant ES).

14.

À la suite de la résiliation de leur contrat de travail, les requérants ont introduit un recours devant le Tribunal Judicial da Comarca de Braga – Juízo do Trabalho de Barcelos (tribunal d’arrondissement de Braga, juge du travail de Barcelos, Portugal), la juridiction de renvoi, afin d’obtenir le paiement des montants dus au titre des congés et au titre de la prime de vacances pour la période pendant laquelle ils ont été employés par la défenderesse dans le cadre des contrats de travail intérimaire en question.

15.

Les positions des requérants et de la défenderesse diffèrent en ce qui concerne la méthode de calcul des jours de congé.

16.

Les requérants fondent leurs demandes sur le régime général des congés qui découle des articles 237, 238, 239 et 245 du code du travail. Si ces dispositions avaient été appliquées, les requérants auraient acquis, le 1er janvier de chaque année (2018 et 2019), le droit à 22 jours de congé et auraient eu droit, en outre, à deux jours de congés pour chaque mois complet de service accompli au cours de l’année d’embauche (2017) et à un nombre de jours de congé proportionnel à la période de service accomplie au cours de l’année de cessation de la relation de travail (2019), soit un total de 67 (dans le cas du requérant GD) et de 65 (dans le cas du requérant ES) jours de congés payés.

17.

Pour sa part, la défenderesse soutient qu’il convient d’appliquer le régime spécial qui est prévu, pour les contrats de travail intérimaire, à l’article 185, paragraphe 6, du code du travail, en vertu duquel les requérants ont uniquement droit à une période de congés (et à la prime y afférente) proportionnelle à la durée de leurs contrats respectifs, soit un total de 44 jours de congés payés correspondant à deux années de travail.

18.

La juridiction de renvoi estime qu’il pourrait y avoir conflit entre l’article 185, paragraphe 6, du code du travail, d’une part, et l’article 3, paragraphe 1, sous f), et l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104, d’autre part. En effet, la disposition de droit portugais introduirait une différence de traitement entre, d’une part, les travailleurs qui ont été mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice et, d’autre part, les travailleurs qui ont été recrutés directement par l’entreprise utilisatrice.

19.

En substance, le travailleur intérimaire n’aurait droit qu’aux congés et à la prime au prorata de la période de service accomplie, alors que le travailleur recruté directement par l’entreprise utilisatrice aurait droit à tous les congés résultant de l’application du régime général du code du travail.

20.

La différence de traitement concernerait uniquement les travailleurs qui ont été mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice au cours d’une année donnée et qui ont cessé d’exercer leur activité pour celle-ci tout juste deux ans ou plus après cette date, comme c’est le cas en l’espèce. En revanche, aucune question ne se poserait dans le cas de travailleurs qui seraient au service de l’entreprise utilisatrice pendant une période n’excédant pas douze mois ou pendant une période débutant au cours d’une année civile et se terminant au cours de l’année civile suivante.

21.

C’est dans ce contexte que le Tribunal Judicial da Comarca de Braga (tribunal d’arrondissement de Braga) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 3, paragraphe 1, sous f), et l’article 5, paragraphe 1, de la [directive 2008/104] s’opposent-ils à une règle telle que celle contenue à l’article 185, paragraphe 6, du [code du travail], en vertu de laquelle les congés et la prime de vacances correspondante auxquels un travailleur intérimaire a droit sont toujours proportionnels au temps travaillé pour l’entreprise utilisatrice, même lorsque ce travailleur commence à travailler au cours d’une année civile et qu’il ne cesse son activité que deux années civiles ou plus après cette date, tandis qu’un travailleur recruté directement par l’entreprise utilisatrice et occupant le même poste pendant la même durée se verra appliquer le régime général des congés, qui lui garantit une période de congés plus longue et une prime de vacances correspondante plus élevée, car celles-ci ne sont pas proportionnelles au temps travaillé ? »

III. Analyse juridique

A.   Observations liminaires

22.

La question juridique sur laquelle la Cour devra se prononcer en réponse à la demande de décision préjudicielle introduite par la juridiction nationale portugaise dans la présente affaire est, en substance, celle de la compatibilité avec le droit de l’Union et, en particulier, avec les articles 3 et 5 de la directive 2008/104, d’une disposition nationale qui, en matière d’indemnité au titre de congés non pris, à verser à la cessation de la relation de travail, prévoit un traitement différencié, en l’espèce moins favorable, pour un travailleur intérimaire par rapport à un travailleur recruté directement par l’entreprise utilisatrice.

23.

En d’autres termes, il convient de répondre à la question, à ce jour inédite dans la jurisprudence de la Cour, de savoir si l’indemnité au titre de congés non pris, qui est due à la cessation de la relation de travail, est ou non incluse dans la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi » employée à l’article 5 de la directive 2008/104 en ce qui concerne l’obligation d’égalité de traitement entre le travailleur intérimaire et le travailleur recruté directement par l’entreprise utilisatrice.

24.

La réponse à cette question découle, à mon avis : a) d’une lecture systématique de la directive 2008/104 et, en particulier, de son objet et du contexte dans lequel elle s’insère ; b) de l’importance de l’institution des congés (et des droits économiques qui sont liés à ceux-ci) en droit social européen, et c) de la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de dispositions similaires sur l’égalité de traitement qui figurent dans d’autres directives en matière de protection des travailleurs atypiques ou précaires.

25.

En revanche, le texte de la directive 2008/104 est tout à fait neutre aux fins de notre analyse, dès lors qu’il n’inclut ni n’exclut l’indemnité qui fait l’objet de la demande dans l’affaire au principal des droits qui constituent les « conditions essentielles de travail et d’emploi ». En effet, l’article 3 de cette directive se borne à mentionner, dans une liste qui ne peut être exhaustive, la durée du travail, les heures supplémentaires, les temps de pause, les périodes de repos, le travail de nuit, les congés, les jours fériés et la rémunération.

26.

Il n’est donc fait aucune mention spécifique d’indemnités particulières ni de sommes dues à la cessation de la relation de travail. La seule mention pertinente est celle des « congés » et, comme nous le verrons dans les présentes conclusions, la jurisprudence de la Cour en a déjà donné, certes en ce qui concerne d’autres dispositions, une interprétation large englobant les droits de nature patrimoniale qui sont relatifs à ces congés.

27.

Je relève, cependant, que la présente affaire, qui a donné lieu au renvoi préjudiciel opéré, a la particularité suivante : elle me paraît, à la lecture de l’ordonnance de la juridiction nationale et des observations du gouvernement portugais, être un conflit relatif à l’interprétation de dispositions internes d’un État membre ; si tel était le cas, la Cour ne pourrait évidemment pas trancher ce conflit sans sortir de son rôle.

28.

La juridiction nationale semble, dans le raisonnement développé à l’appui de la demande de décision préjudicielle, pencher en faveur d’une interprétation de l’article 185, paragraphe 6, du code du travail en tant que règle spécifique qui, par dérogation aux règles générales, autoriserait, dans certaines circonstances, s’agissant de l’indemnité au titre des congés non pris à la cessation de la relation de travail, un traitement moins favorable des travailleurs intérimaires par rapport aux travailleurs recrutés directement par l’entreprise utilisatrice (et également par rapport à des travailleurs intérimaires dont le contrat est d’une durée inférieure).

29.

Le gouvernement portugais semble, en revanche, pencher en faveur d’une interprétation systématique selon laquelle la disposition figurant à l’article 185, paragraphe 6, du code du travail ne serait pas une dérogation aux dispositions des articles 237 et suivants de ce code, mais devrait être lue en combinaison avec celles-ci, de manière à éviter toute discrimination entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs recrutés directement par l’entreprise utilisatrice.

30.

La Cour devra, à mon avis, se borner à confirmer sa jurisprudence pour ce qui est de la portée du principe de l’égalité de traitement dans le cadre du travail intérimaire, question qui est inédite à ce jour, en précisant dans quelle mesure elle s’étend au droit aux congés et aux indemnités qui y sont liées, et à donner au juge national des indications sur le fondement desquelles il pourra, par une interprétation conforme, trancher des litiges tels que celui dont il est saisi.

B.   La question préjudicielle

1. Objet de la directive 2008/104, « flexicurité » et importance du droit aux congés (et des droits patrimoniaux qui y sont liés) en droit social de l’Union

31.

Conformément à une jurisprudence constante, « en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie » ( 3 ).

32.

C’est l’article 2 de la directive 2008/104 lui-même qui énonce que l’objet de cette directive est d’« assurer la protection des travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire en assurant le respect du principe de l’égalité de traitement, tel qu’il est énoncé à l’article 5 ».

33.

S’agissant du contexte dans lequel elle s’insère, la directive 2008/104, qui trouve sa base juridique à l’ancien article 137, paragraphes 1 et 2, CE (devenu l’article 153 TFUE) ( 4 ), a été adoptée, après une gestation longue et complexe, pour compléter, dans le cadre de l’économie du droit social européen, deux directives antérieures consacrées à des modalités atypiques de travail, régissant respectivement le travail à temps partiel et les relations de travail à durée déterminée ( 5 ).

34.

Par conséquent, la directive 2008/104 s’inscrit dans un contexte normatif plus général dont l’objectif consiste à généraliser l’application des formes de protection prévues à toutes les catégories de travailleurs atypiques ( 6 ).

35.

L’action de l’Union dans le domaine des politiques sociales a eu pour objectif global le développement des formes souples de travail, tout en visant à atteindre un plus grand degré d’harmonisation du droit social y afférent. Le modèle réglementaire sous-tendant cette action, fondé sur la recherche d’un équilibre entre la flexibilité et la sécurité sur le marché de travail, a été dénommé « flexicurité » ( 7 ).

36.

La directive 2008/104, qui constitue le résultat le plus abouti du débat sur la « flexicurité » lancé par la Commission européenne au cours des années ayant précédé son adoption ( 8 ), vise à atteindre un juste équilibre entre, d’une part, l’amélioration de la protection des travailleurs intérimaires et, d’autre part, le soutien du rôle positif que le travail intérimaire peut jouer en apportant plus de souplesse au marché du travail ( 9 ).

37.

L’objectif de l’harmonisation des conditions de travail, qui est de « rapprocher les conditions du travail intérimaire des relations de travail “normales” » ( 10 ), est poursuivi par la directive 2008/104 précisément au moyen de l’affirmation du principe de l’égalité de traitement.

38.

En effet, ainsi qu’il ressort très clairement du texte de la directive 2008/104 ( 11 ), les garanties qui encadrent le modèle de la « flexicurité », et, partant, l’importance particulière que revêt le principe de l’égalité de traitement, doivent également être considérées à la lumière du caractère résiduel de ces relations de travail par rapport à la forme générale de la relation de travail qui est constituée par les contrats de travail à durée indéterminée (conclus avec l’employeur qui utilise les prestations).

39.

La notion de « flexicurité », à savoir le modèle fondé sur la recherche d’un équilibre entre la promotion de l’emploi et la sécurité sur le marché du travail ( 12 ), ne peut être mise en œuvre que si le principe de l’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104, et véritable clef de voûte du système de la « flexicurité » dans toutes les directives par lesquelles celui-ci a été mis en place, est pleinement respecté.

40.

En effet, ainsi que cela a été constaté à juste titre, le compromis sur lequel repose la directive 2008/104 et qui a permis son adoption réside dans le fait que le principe de l’égalité de traitement entre travailleurs intérimaires et travailleurs de l’entreprise utilisatrice a été affirmé en échange de la suppression des interdictions et des obstacles à l’activité des entreprises de travail intérimaire ( 13 ).

41.

Le législateur national déplace ainsi le centre de gravité de la protection du plan de l’accès à celui de la relation avec l’utilisateur en mettant fortement l’accent sur le principe de l’égalité de traitement, à titre de technique de protection susceptible de jouer le rôle d’un garde-fou pour éviter que les plus grandes marges de flexibilité dans l’accès au travail n’entraînent une baisse excessive du niveau de protection ( 14 ).

42.

L’objet de la directive 2008/104 et le contexte dans lequel elle s’insère militent dès lors en faveur d’une interprétation large du principe de l’égalité de traitement ( 15 ) qui inclut par conséquent, parmi les institutions qui doivent être garanties aux travailleurs dans la même mesure que pour les travailleurs directement recrutés par l’entreprise utilisatrice, également les indemnités au titre des congés non pris.

43.

Par ailleurs, une interprétation restrictive aurait pour conséquence que le principe de l’égalité de traitement ne s’appliquerait pas au moment où le contrat du travailleur intérimaire est résilié, de sorte qu’il favoriserait la résiliation des contrats de travail intérimaire au lieu de mettre en œuvre l’un des objectifs poursuivis par la directive 2008/104, qui est de favoriser l’accès des travailleurs intérimaires à l’emploi permanent.

44.

Plaide également en ce sens l’importance, en droit social européen, de l’institution des congés et des droits de nature patrimoniale qui y sont liés.

45.

En effet, la Cour a déjà jugé que le droit au congé annuel payé constituait un « principe essentiel et impératif du droit social de l’Union, consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte » ( 16 ) et qu’il revêtait, en tant que principe essentiel du droit social de l’Union, un caractère impératif, ce principe essentiel « comportant le droit au congé annuel “payé” en tant que tel et le droit, consubstantiel au premier, à une indemnité financière au titre de congés annuels non pris lors de la cessation de la relation de travail » ( 17 ).

2. Sur l’interprétation large du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les « conditions essentielles de travail et d’emploi »

46.

En vertu de l’article 5 de la directive 2008/104, les travailleurs intérimaires doivent bénéficier, dès le premier jour de leur mission, de « conditions essentielles de travail et d’emploi » au moins identiques à celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par l’entreprise utilisatrice pour y occuper le même poste ( 18 ).

47.

En sus des considérations exposées dans les présentes conclusions en ce qui concerne l’objet, les objectifs et le contexte dans lequel s’inscrit la directive 2008/104 en droit social européen, ainsi que l’importance, déjà clairement reconnue par la Cour, du droit aux congés et des indemnités qui y sont liées, plaident également en faveur d’une interprétation large et extensive du principe de l’égalité de traitement certains précédents de la Cour qui portent sur la directive 2008/104 et sur les autres directives qui composent la mosaïque d’instruments protégeant le travailleur atypique ou précaire en droit social européen ( 19 ).

48.

L’interprétation large de la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », en ce sens que celle-ci englobe également les indemnités au titre des congés non pris qui sont dues à la cessation de la relation de travail, découle ainsi, selon moi, non seulement d’un cadre systématique d’ensemble relatif aux objectifs de la directive 2008/104 et à l’importance de l’institution des congés dans la relation de travail, mais également d’une analyse approfondie de certains précédents de la Cour, même si ces arrêts n’ont pas été spécifiquement rendus au sujet des articles 3 et 5 de la directive 2008/104.

49.

En effet, la Cour a récemment précisé, s’agissant de la directive 2008/104, qu’« il ressort du considérant 1 de cette directive que cette dernière vise à assurer le plein respect de l’article 31 de la charte] des droits fondamentaux de l’Union européenne qui, conformément à son paragraphe 1, consacre, de manière générale, le droit de tout travailleur à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. Les explications relatives à la Charte des droits fondamentaux [...] indiquent, à cet égard, que l’expression “conditions de travail” doit être entendue au sens de l’article 156 TFUE. Cette dernière disposition, toutefois, ne fait que viser, sans les définir plus avant, les “conditions de travail” comme étant l’un des domaines de la politique sociale de l’Union dans lequel la Commission peut intervenir pour encourager la coopération entre les États membres et faciliter la coordination de leur action. Au regard de la finalité protectrice des droits du travailleur intérimaire poursuivie par la directive 2008/104, cette absence de précision milite en faveur d’une interprétation large ( 20 ) de la notion de “conditions de travail” » ( 21 ).

50.

À cette affirmation de principe claire, il convient d’ajouter que, en ce qui concerne le principe de l’égalité de traitement, la Cour en a déjà clarifié les contours relativement à d’autres relations de travail qui diffèrent de la relation de travail « normale », la relation de travail salarié à durée indéterminée, laquelle, rappelons-le, constitue, ainsi que le législateur le précise explicitement, « la forme générale [des] relations de travail » ( 22 ). Elle l’a fait en délimitant avec précision la portée de l’expression « conditions de travail » pour ce qui est, certes, de dispositions autres que la directive 2008/104, mais dans des contextes semblables à celle-ci.

51.

En effet, la directive 2008/104 ayant été adoptée, comme je l’ai indiqué, pour compléter le cadre normatif existant en matière de politique sociale de l’Union européenne, il y a lieu de prendre en considération, ainsi que le suggère la Commission ( 23 ), ce qui a déjà été établi par la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de la notion de « conditions de travail » à propos de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée ( 24 ).

52.

S’agissant de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée ( 25 ), la Cour a déjà jugé que l’expression « conditions de travail » désignait les droits et obligations qui définissent une relation de travail déterminée, y compris tant les conditions relatives à l’embauche que celles qui sont relatives à la cessation de cette relation ( 26 ) et que cette expression visait également les indemnités que l’employeur est tenu de verser au travailleur à la fin de son contrat de travail à durée déterminée ( 27 ).

53.

Ce qui précède semble confirmer le critère selon lequel il convient, pour déterminer si une mesure relève de la notion de « conditions de travail », de prendre en considération l’intégralité de la relation de travail entre un travailleur et son employeur.

54.

Ensuite, ces considérations sont, ainsi que la Cour l’a jugé, pleinement transposables aux éventuelles indemnités allouées au travailleur lors de la résiliation de son contrat de travail avec son employeur, de sorte que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée doit être interprétée en ce sens que la notion de « conditions de travail » englobe l’indemnité que l’employeur est tenu de verser au travailleur lors de la résiliation de son contrat de travail à durée déterminée ( 28 ).

55.

De plus, la Cour a encore récemment affirmé, même s’il s’agissait d’une autre indemnité, non liée aux congés, dans le cadre d’une relation de travail à durée déterminée, qu’« une indemnité allouée au travailleur en raison de la résiliation du contrat de travail le liant à son employeur [...], relève de la notion de “conditions d’emploi”, au sens de la clause 4, point 1, dudit accord » ( 29 ).

56.

S’agissant, ensuite, des travailleurs à temps partiel, la Cour a jugé, en interprétant les dispositions figurant dans l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, que, dans le cas d’un travailleur qui n’a pas pu, pour des raisons indépendantes de sa volonté, exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail, l’indemnité financière à laquelle il a droit doit être calculée de sorte que ce travailleur soit placé dans une situation comparable à celle dans laquelle il aurait été s’il avait exercé ledit droit pendant la durée de sa relation de travail ( 30 ).

57.

Par ailleurs, s’agissant, d’une manière générale, du droit à une indemnité en cas de congé non pris, la Cour a précisé, dans le cadre de l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ( 31 ), que, lorsque la relation de travail a pris fin et que, partant, la prise effective du congé annuel payé n’est plus possible, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière afin d’éviter que toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue ( 32 ).

58.

Par conséquent, les dispositions combinées des articles 3 et 5 de la directive 2008/104, qui régissent la portée et l’étendue du principe de l’égalité de traitement pour les travailleurs intérimaires, doivent, selon moi, être interprétées de manière large, en se référant également à ce que la Cour a affirmé en ce qui concerne les « conditions d’emploi » qui sont le contenu du principe de l’égalité de traitement édicté pour les travailleurs à durée déterminée et pour les travailleurs à temps partiel.

59.

Je précise que, même si les raisons de protéger les travailleurs atypiques ou précaires sont les mêmes, les expressions utilisées par le législateur dans la directive 2008/104 visent de manière encore plus ciblée à assurer une protection effective et à tenir compte de la nécessité d’éviter la multiplication de statuts juridiques différenciés en ce qui concerne les travailleurs précaires.

60.

Je relève que ces expressions se distinguent des termes qui les ont précédés dans les directives sur le travail à durée déterminée et sur le travail à temps partiel par le fait, en premier lieu, qu’il a été décidé de définir le principe comme visant l’« égalité de traitement » et non la « non‑discrimination » ; en deuxième lieu, il est fait usage de l’expression « au moins celles » au lieu de « pas [...] moins favorable » en ce qui concerne la comparaison avec les conditions de travail des personnes comparables ; en troisième lieu, le champ d’application des conditions de travail se réfère explicitement à presque toutes les institutions de la relation de travail, en ne laissant pratiquement aucune place à une interprétation réductrice ; en quatrième lieu, c’est, en raison de la particularité du contrat de travail intérimaire, la possibilité de la « comparaison hypothétique » qui a été choisie, au lieu de la comparaison avec les travailleurs à temps plein ou à durée indéterminée « comparables ». De ce fait, la comparaison sera toujours possible dans le cas des travailleurs intérimaires, dès lors que la comparaison sera opérée avec le traitement auquel aurait droit un travailleur recruté directement et effectuant des tâches comparables, même si un tel travailleur ne fait pas effectivement partie des effectifs ( 33 ).

61.

Je formulerai une dernière considération en ce qui concerne les possibilités de dérogation qui sont ouvertes par les paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 5 de la directive 2008/104. Il ressort clairement du dossier que le législateur portugais n’a pas fait usage de la possibilité, ouverte par cette directive, de prévoir des dérogations à la portée du principe de l’égalité de traitement. Au contraire, il apparaît, à la lecture des observations du gouvernement portugais, que certaines ambiguïtés préexistantes figurant dans la législation nationale ont été levées lors de la transposition de ladite directive ( 34 ).

62.

Je me limiterai cependant à une brève observation incidente à cet égard : je doute que l’indemnité au titre de congés non pris (qui ne peut être considérée, à proprement parler, comme étant une « rémunération » ( 35 )) puisse faire l’objet d’une dérogation, eu égard au lien avec le droit fondamental aux congés et, en tout état de cause, je suis convaincu, à la lumière de l’économie générale de la directive 2008/104, de la nécessité de faire une lecture restrictive de toute faculté de dérogation au principe de l’égalité de traitement qui est accordée par le législateur communautaire.

63.

Pour conclure l’analyse à cet égard, l’objet de la directive 2008/104 et ses objectifs de protection des travailleurs précaires, ainsi que le contexte dans lequel cette directive a été élaborée et la façon dont elle s’inscrit dans le droit social européen, le caractère de droit fondamental des congés et des indemnités financières qui y sont liées, l’interprétation par la Cour de dispositions analogues en matière d’application de l’égalité de traitement aux travailleurs précaires sont tous des éléments qui plaident sans équivoque en faveur d’une interprétation large de l’expression « conditions essentielles de travail et d’emploi » qui inclut les indemnités dues au travailleur intérimaire à la fin du contrat au titre des congés non pris pendant la durée de la relation de travail.

64.

De telles indemnités devront, par conséquent, être calculées selon la même méthode que celle qui est adoptée pour les salariés employés directement par l’entreprise utilisatrice, de sorte que le calcul final soit, proportionnellement au temps travaillé, le même.

3. Sur les conséquences pour la juridiction de renvoi

65.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, le système de coopération établi à l’article 267 TFUE est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. La constatation des faits de l’affaire et l’interprétation de la législation nationale incombent aux juridictions des États membres.

66.

En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union et les indications, tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ( 36 ).

67.

Ainsi qu’il a déjà été exposé dans les présentes conclusions, la juridiction de renvoi considère que, au Portugal, les travailleurs intérimaires qui entrent au service d’une entreprise utilisatrice au cours d’une année civile et ne cessent pas leur activité avant deux ou plusieurs années civiles après la date de leur entrée en service se voient appliquer la réglementation spécifique prévue à l’article 185, paragraphe 6, du code du travail, selon laquelle les travailleurs intérimaires n’ont droit qu’au paiement des congés et à une prime de vacances calculée au prorata du temps travaillé. Cette méthode de calcul différerait de ce qui est prévu pour les travailleurs recrutés directement par l’entreprise utilisatrice, auxquels s’applique le régime général, plus avantageux, de calcul des congés payés qui est prévu aux articles 237 à 239 et 245 du code du travail.

68.

Les observations présentées par le gouvernement portugais semblent inviter à une lecture des dispositions du code du travail portugais différente de celle qui est envisagée par la juridiction de renvoi ( 37 ).

69.

Le rôle de la Cour n’est pas de porter une appréciation sur le fond du droit national : selon une jurisprudence constante, la Cour est, en effet, uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale, tandis qu’il appartient exclusivement à la juridiction nationale d’interpréter la législation nationale ( 38 ).

70.

Il convient, en outre, de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, les juridictions nationales doivent, dans la mesure du possible, interpréter le droit national à la lumière du droit européen ( 39 ).

71.

Le principe d’interprétation conforme impose aux autorités nationales de faire tout ce qui est en leur pouvoir, en tenant compte de l’ensemble du droit national et en appliquant des méthodes d’interprétation reconnues par ce droit, afin de garantir la pleine effectivité du droit de l’Union et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par ce droit.

72.

Toutefois, ce principe connaît certaines limites. En particulier, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu du droit de l’Union lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit national est limitée par les principes généraux du droit et ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national.

73.

En outre, ainsi qu’il a été souligné précédemment, la Cour ne saurait se substituer à l’appréciation effectuée par le juge national quant à la possibilité d’interpréter le droit national d’une manière telle qu’il puisse être conforme à ce que prévoit le droit de l’Union.

74.

Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, au Portugal, les travailleurs intérimaires bénéficient, au cours de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, de conditions essentielles de travail et d’emploi au moins égales à celles qui leur auraient été appliquées s’ils avaient été engagés directement par l’entreprise utilisatrice ( 40 ).

75.

La juridiction nationale devra donc vérifier si, comme le soutient le gouvernement portugais en ce qui concerne le calcul des congés et de l’indemnité y afférente en cas de résiliation du contrat, c’est le régime général prévu aux articles 237 à 239 et 245 du code du travail qui s’applique aux travailleurs intérimaires, nonobstant la règle spécifique prévue à l’article 185, paragraphe 6, de ce code. Dans ce cas, cette juridiction ne pourrait pas considérer que les travailleurs intérimaires bénéficient de conditions essentielles de travail et d’emploi moins favorables que celles qui leur seraient applicables s’ils avaient été recrutés directement par cette entreprise pour occuper le même poste et ne pourrait donc pas constater une violation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104.

IV. Conclusion

76.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunal Judicial da Comarca de Braga – Juízo do Trabalho de Barcelos (tribunal d’arrondissement de Braga, juge du travail de Barcelos, Portugal) de la manière suivante :

L’article 3, paragraphe 1, sous f), et l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire, s’opposent à une disposition législative d’un État membre en vertu de laquelle le travailleur intérimaire a droit, en cas de cessation de la relation de travail, aux congés et à la prime y afférente au prorata du temps travaillé pour l’entreprise utilisatrice si un travailleur recruté directement par l’entreprise utilisatrice et occupant le même poste pendant la même durée se voit appliquer un régime différent qui lui garantit une période de congés plus longue et une prime de vacances correspondante plus élevée. En effet, le principe de l’égalité de traitement impose, y compris pour ce qui est de l’institution de l’indemnité au titre de congés non pris acquis à la cessation de la relation de travail, qu’un travailleur intérimaire reçoive, pendant la durée de sa mission auprès de l’entreprise utilisatrice, le même traitement que celui qui serait applicable à un travailleur recruté directement par l’entreprise utilisatrice qui effectuerait les mêmes tâches.


( 1 ) Langue originale : l’italien.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9).

( 3 ) Voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld (C‑181/19, EU:C:2020:794, point 64 et jurisprudence citée), ainsi que du 12 mai 2021, Hauptzollamt B (Caviar d’esturgeons) (C‑87/20, EU:C:2021:382, point 25 et jurisprudence citée).

( 4 ) Qui habilitait les institutions à « arrêter [...] par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement », notamment aux « conditions de travail ».

( 5 ) Il s’agit de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9) et de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43). Voir aussi, dans le même sens, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire) (C‑681/18, EU:C:2020:300, point 36).

( 6 ) Voir, en ce sens, Peers, S., « Equal Treatment of Atypical Workers : A New Frontier for EU Law ? », Yearbook of European Law, vol. 32, no 1, 2013, p. 43 et suiv.

( 7 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire AKT (C‑533/13, EU:C:2014:2392, point 33).

( 8 ) Robin-Olivier, S., « A French Reading of the Directive 2008/104 on Temporary Agency Work », European Labour Law Journal, vol. 1, no 3, 2010, p. 398 et suiv.

( 9 ) Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l’application de la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire [COM (2014) 176 final, p. 20]. Dans le même sens, voir considérant 11 de la directive 2008/104.

( 10 ) Voir arrêt du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire) (C‑681/18, EU:C:2020:823, point 51).

( 11 ) Considérant 15 de la directive 2008/104.

( 12 ) Voir conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire) (C‑681/18, EU:C:2020:300, point 36).

( 13 ) Countouris, N., Horton, R., « The Temporary Agency Work Directive : Another Broken Promise ? », Industrial Law Journal, 2009, p. 329 et suiv.

( 14 ) Voir, en ce sens, Quaranta, M., « La somministrazione di lavoro : le nuove regole del Decreto Dignità ed i vincoli europei », dans Calcaterra, L. (sous la dir. de), La somministrazione di lavoro, Editoriale Scientifica, Naples, 2019, p. 407.

( 15 ) En ce sens, voir également observations de la Commission, point 22.

( 16 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a. (C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 113).

( 17 ) Voir arrêts du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:874, point 72), et du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth (C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 83).

( 18 ) Ainsi que le prévoit expressément l’article 3 de cette directive, lesdites conditions englobent, comme je l’ai indiqué, les institutions les plus importantes de la relation de travail qui ont déjà été citées (la rémunération, la durée du travail, les heures supplémentaires, les temps de pause, les périodes de repos, le travail de nuit, les congés et les jours fériés) et elles s’appliquent aux travailleurs intérimaires dans la mesure où elles constituent des dispositions générales et contraignantes en vigueur dans l’entreprise utilisatrice [voir rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l’application de la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire, COM (2014) 176 final, p. 5].

( 19 ) La directive 97/81 et la directive 1999/70.

( 20 ) Mise en italique par mes soins.

( 21 ) Voir arrêt du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire) (C‑681/18, EU:C:2020:823, point 54), qui reprend le point 44 des conclusions de l’avocate générale Sharpston.

( 22 ) Voir arrêt du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire) (C‑681/18, EU:C:2020:823, point 51), qui renvoie au considérant 15 de la directive 2008/104.

( 23 ) Voir observations de la Commission, point 35.

( 24 ) Une telle interprétation par analogie est justifiée non seulement par les objectifs communs qui sous-tendent ces dispositions, mais aussi par la portée même de la directive 2008/104, étant donné que, en vertu de son article 3, paragraphe 2, celle-ci s’applique à toutes les relations de travail à durée déterminée.

( 25 ) Aux termes duquel « [p]our ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives ».

( 26 ) Voir arrêt du 20 décembre 2017, Vega González (C‑158/16, EU:C:2017:1014, point 34).

( 27 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, de Diego Porras (C‑596/14, EU:C:2016:683, point 32).

( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, de Diego Porras (C‑596/14, EU:C:2016:683, points 28 et 30 à 32 ainsi que jurisprudence citée).

( 29 ) Voir arrêt du 22 janvier 2020, Baldonedo Martín (C‑177/18, EU:C:2020:26, point 36).

( 30 ) Voir arrêt du 11 novembre 2015, Greenfield (C‑219/14, EU:C:2015:745, point 51 et jurisprudence citée).

( 31 ) Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

( 32 ) Voir arrêt du 20 juillet 2016, Maschek (C‑341/15, EU:C:2016:576, point 26 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir, en ce sens, Zappalà, L. « Il lavoro somministrato e gli incerti confini della parità di trattamento », dans Calcaterra, L. (sous la dir. de), La somministrazione di lavoro, Editoriale Scientifica, Naples, 2019, p. 417.

( 34 ) Voir, en ce sens, observations du gouvernement portugais, point 52.

( 35 ) Institution qui peut, à certaines conditions, faire l’objet de dérogations en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/104.

( 36 ) Ordonnance du président de la Cour du 28 janvier 2015, Gimnasio Deportivo San Andrés (C‑688/13, EU:C:2015:46, points 30 à 32 et jurisprudence citée). Voir par exemple, en dernier lieu, arrêt du 3 octobre 2019, Fonds du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (C‑632/18, EU:C:2019:833, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée).

( 37 ) Comme je l’ai déjà indiqué dans les observations liminaires de mon analyse juridique, le gouvernement portugais semble pencher en faveur d’une interprétation systématique selon laquelle la disposition figurant à l’article 185, paragraphe 6, du code du travail ne serait pas une dérogation aux dispositions des articles 237 et suivants de ce code, mais devrait être lue en combinaison avec celles-ci, de manière à éviter toute discrimination entre les travailleurs intérimaires et les travailleurs recrutés directement par l’entreprise utilisatrice.

( 38 ) Voir, en particulier, arrêt du 10 juin 2021, Ultimo Portfolio Investment (Luxembourg) (C‑303/20, EU:C:2021:479, point 25 et jurisprudence citée).

( 39 ) Voir arrêts du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278, point 32) ; du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire) (C‑681/18, EU:C:2020:823, point 66), et du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom (C‑467/18, EU:C:2019:765, point 60 et jurisprudence citée).

( 40 ) Voir, par analogie, arrêt du 20 décembre 2017, Vega González (C‑158/16, EU:C:2017:1014, point 46 et jurisprudence citée).

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