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Document 61994TO0146

Order of the President of the Court of First Instance of 29 June 1994.
Calvin Williams v Court of Auditors of the European Communities.
Officials - Procedure for interim relief - Suspension of operation of a measure - Disciplinary proceedings - Removal from post.
Case T-146/94 R.

European Court Reports – Staff Cases 1994 I-A-00175; II-00571

ECLI identifier: ECLI:EU:T:1994:72

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

29 juin 1994 ( *1 )

«Fonctionnaires - Procédure de référé - Sursis à exécution -Procédure disciplinaire — Révocation»

Dans l'affaire T-146/94 R,

Calvin Williams, fonctionnaire de la Cour des comptes européenne, demeurant à Strassen (Luxembourg), représenté par Me Eric Boigelot, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Jean-Paul Noesen, 18, rue des Glacis,

partie requérante,

contre

Cour des comptes européenne, représentée par MM. Jean-Marie Sténier et Jan Inghelram, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de M. Guy Engel, 282, rue de Rollingergrund,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution de la décision du 24 juin 1993, par laquelle l'autorité investie du pouvoir de nomination a infligé à la partie requérante la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression du droit à pension d'ancienneté prévue à l'article 86, paragraphe 2, sous f). du statut des fonctionnaires des Communautés européennes,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Faits et procédure

1

Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 11 mars 1994, le requérant a introduit, en vertu de l'article 91, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), un recours visant à l'annulation de:

la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») du 24 juin 1993, qui lui a infligé, en vertu de l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, la sanction disciplinaire de la révocation sans suppression du droit à pension d'ancienneté;

la décision explicite de rejet opposée le 24 janvier 1994 à la réclamation qu'il avait introduite en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du statut;

pour autant que de besoin, la décision implicite de rejet de la même réclamation intervenue le 23 janvier 1994.

Le requérant demande, en outre, que la partie défenderesse soit condamnée, d'une part, à le réintégrer dans toutes ses fonctions, à son grade et à son échelon, avec effet rétroactif à la date de la décision attaquée, et, d'autre part, à lui verser tous ses arriérés de traitement, y compris tous les avantages dont il dispose, dus à partir du 25 juin 1993 et majorés d'intérêts au taux de 8 % l'an.

2

Par acte séparé enregistré au greffe le même jour, le requérant a également introduit, en vertu de l'article 91, paragraphe 4, du statut, une demande de mesures provisoires visant à obtenir le sursis à l'exécution de la décision qui lui a infligé la sanction disciplinaire de la révocation.

3

La Cour des comptes européenne (ci-après «Cour des comptes») a présenté ses observations écrites sur la présente demande en référé le 27 avril 1994.

4

A l'invitation du président du Tribunal, la Cour des comptes a, par lettre du 4 mai 1994, précisé le montant net exact auquel le requérant aurait droit s'il demandait la jouissance anticipée de sa pension d'ancienneté. Par lettre du 30 mai 1994, la partie requérante a pris position sur la réponse fournie par la partie défenderesse.

5

Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 20 juin 1994.

6

Avant d'examiner le bien-fondé de la présente demande en référé, il convient de rappeler brièvement les antécédents du litige, tels qu'ils ressortent des mémoires déposés par les parties.

7

Le 27 mars 1992, dans le cadre d'une campagne électorale pour l'élection du comité du personnel, le requérant a diffusé deux écrits intitulés «Going Political (I, II)», dans lesquels il mettait notamment en cause l'honorabilité des membres de la Cour des comptes.

8

Suite à la diffusion de ces écrits, 1'AIPN, par décision du 2 avril 1992, a suspendu le requérant de ses fonctions avec maintien de sa rémunération et a saisi le conseil de discipline d'un rapport ouvrant une procédure disciplinaire à son égard.

9

Du point de vue disciplinaire, les faits qui lui étaient reprochés devraient entraîner sa révocation sans réduction ou suppression du droit à la pension au sens de l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut. Le conseil de discipline a considéré que les écrits incriminés contenaient des propos injurieux et diffamatoires à l'égard des membres de la Cour des comptes et d'un certain nombre de personnes et que leur diffusion par le requérant auprès des membres et du personnel de la Cour des comptes constituaient une violation de l'article 12 du statut. Le conseil de discipline n'a, cependant, pas retenu les manquements aux articles 9, paragraphe 3, 11, 17, 21, premier alinéa, et 60 du statut, que l'AIPN avait fait valoir dans son rapport.

10

C'est dans ces conditions que la décision litigieuse du 24 juin 1993 a été adoptée. L'AIPN a estimé que, outre une infraction à l'article 12, premier alinéa, du statut, il y avait également lieu de retenir, à la charge du requérant, une violation du devoir de loyauté du fonctionnaire vis-à-vis de l'institution dont il relève et de ses supérieurs, prévu à l'article 21 du statut. Par ailleurs, l'AIPN a considéré comme circonstance aggravante le fait que le requérant avait déjà fait l'objet - le 1er février 1984 et le 13 février 1989 - de deux sanctions disciplinaires pour des faits comparables et a relevé qu'il avait été débouté, par un arrêt du Tribunal du 26 novembre 1991, Williams/Cour des comptes (T-146/89, Rec. p. II-1293), d'un recours en annulation dirigé contre cette seconde sanction.

En droit

11

En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CE et de l'article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

12

L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent

13

L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond. En tout état de cause, c'est à la partie requérante qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 30 novembre 1993, D./Commission, T-549/93 R, Rec. p. II-1347, point 42, et, en dernier lieu, l'ordonnance du président du Tribunal du 2 mai 1994, Candiotte/Conseil, T-108/94 R, Rec, point 19).

Arguments des parties

13

S'agissant des circonstances établissant l'urgence, le requérant fait valoir que, depuis le 24 juin 1993, il se trouve sans aucun emploi et, par conséquent, sans la moindre rémunération. Qui plus est, il ne pourrait percevoir le moindre montant lié à sa pension avant l'âge à laquelle il y aura droit en vertu du statut. Ayant épuisé les quelques économies qu'il avait réalisées, il ne serait plus en mesure, à l'heure actuelle, de faire face à ses dépenses et à celles des personnes à sa charge, d'autant plus qu'il devrait payer d'importants frais médicaux en raison de troubles de santé liés à ses problèmes professionnels. Le requérant explique, enfin, que c'est ce changement de circonstances par rapport au moment où sa révocation a eu lieu qui l'a amené à introduire, plusieurs mois après l'adoption de la décision attaquée, la présente demande en référé.

14

En ce qui concerne l'existence de moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, la suspension de la décision litigieuse, le requérant fait valoir, tout d'abord, que l'AIPN a violé, de manière manifeste, notamment l'article 12, premier alinéa, du statut et les principes généraux qui le sous-tendent. Selon le requérant, la notion d'«expression publique d'opinions» visée par cette disposition ne peut que renvoyer à des personnes extérieures à l'institution. Or, ainsi que l'indiquerait le rapport du conseil de discipline, il ne serait nullement établi que la diffusion des écrits incriminés, qui aurait été le motif principal de la décision litigieuse, ait atteint des personnes étrangères à la Cour des comptes. Par ailleurs, selon le requérant, prétendre qu'un syndicaliste actif comme lui, qui, de surcroît, participait à l'époque à une campagne électorale, manque à la dignité de sa fonction en dénonçant ce qu'il considère, de bonne foi, comme des manquements de l'institution dont il relève serait aller à l'encontre du sens même de la fonction syndicale. Quant à la prétendue violation de son devoir de loyauté, prévu par l'article 21, premier alinéa, du statut, le requérant allègue que les écrits litigieux et leur diffusion ne s'inscrivent même pas dans le cadre de ses rapports avec l'institution dont il relève et ses supérieurs, mais plutôt dans le cadre de ses rapports avec ses électeurs potentiels, au cours d'une campagne électorale. Le requérant allègue, enfin, qu'en tout état de cause la sanction qui lui a été infligée est hors de proportion avec les faits qui lui sont reprochés.

15

La partie défenderesse, pour sa part, outre qu'elle met en doute la recevabilité de la demande en référé au regard de l'article 43, paragraphe 1, du règlement de procédure, estime que le requérant n'a pas démontré le caractère urgent de celle-ci. En effet, selon la défenderesse, le préjudice invoqué a un caractère purement pécuniaire et, de ce fait, il lui est applicable une jurisprudence constante, selon laquelle un tel préjudice ne saurait être regardé comme irréparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure. La défenderesse fait observer que, en tout état de cause, le requérant peut bénéficier à tout moment, sur simple demande de sa part, de la jouissance anticipée de sa pension d'ancienneté au titre de l'article 9 de l'annexe VIII du statut, dont le montant serait équivalent à celui de l'allocation de chômage, soit 60000 BFR. Se fondant sur l'ordonnance du président du Tribunal du 23 novembre 1990, Speybrouck/Parlement (T-45/90 R, Rec. p. II-705), la défenderesse fait valoir qu'un tel montant constitue une rémunération suffisante, qui ne permet plus de conclure qu'il y a un risque de préjudice grave et irréparable dans le chef du requérant.

16

S'agissant du fumus boni juris, la partie défenderesse rétorque au moyen tiré par le requérant de la violation de l'article 12, premier alinéa, du statut que l'interprétation qui a été donnée à cette disposition, ainsi que la motivation de la décision litigieuse qui se fonde sur elle, sont exactement conformes à l'arrêt Williams/Cour des comptes, précité. La décision litigieuse serait, d'ailleurs, rédigée exactement dans les mêmes termes que la décision du 13 février 1989, laquelle a donné lieu à l'arrêt précité, que la défenderesse invoque dans la présente procédure. Quant à la prétendue violation de l'article 21, premier alinéa, du statut, la défenderesse fait valoir qu'elle a suivi intégralement l'interprétation que le Tribunal a donnée, dans l'arrêt susmentionné, de cette disposition. La défenderesse estime, enfin, que les circonstances aggravantes et atténuantes de la sanction infligée au requérant ont été bien soupesées par 1'AIPN et que, dans ces conditions, le moyen tiré d'une violation manifeste du principe de proportionnalité ne peut pas être retenu.

Appréciation du juge des référés

17

Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, s'agissant des conditions établissant l'urgence à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision litigieuse, le requérant se limite à faire valoir, en substance, que celle-ci entraîne dans son chef un préjudice grave d'ordre pécuniaire.

18

Or, à cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir en dernier lieu l'ordonnance D./Commission, précitée, point 45), un préjudice d'ordre purement pécuniaire ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure.

19

En l'espèce, il faut observer que, en cas d'éventuelle annulation, par le Tribunal, de la décision attaquée, le requérant aura droit au versement de toutes les sommes qu'il aurait dû percevoir à partir du 24 juin 1993 jusqu'à sa réintégration.

20

Il appartient toutefois au juge des référés d'apprécier, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, si l'exécution de la décision attaquée peut causer au requérant un préjudice d'une telle gravité que l'annulation de cette décision au terme de la procédure au principal ne pourrait plus permettre de le réparer.

21

A ce propos, il convient de relever, tout d'abord, que la sanction de la révocation qui a été infligée au requérant a pour conséquence, en vertu de l'article 47 du statut, la cessation définitive de ses fonctions et, par suite, l'interruption du versement de toute rémunération de la part de la Cour des comptes. Dans un tel cas, le requérant peut cependant demander, à tout moment, la jouissance anticipée de sa pension d'ancienneté, conformément à l'article 9 de l'annexe VIII du statut. Ainsi qu'il résulte du dossier, le montant mensuel auquel il aurait droit serait de 57590 BFR, après déduction d'une somme de 1507 BFR, lui permettant de continuer à bénéficier, en vertu de l'article 72, paragraphe 2 bis, du statut, de la couverture du régime d'assurance maladie commun aux institutions des Communautés européennes.

22

Bien qu'il y ait une différence substantielle entre la rémunération afférente à l'emploi que le requérant occupait à la date de sa révocation et le montant auquel il peut prétendre au titre de la jouissance anticipée de sa pension, cette constatation ne permet pas, à elle seule, de conclure à l'existence d'un préjudice irréparable dans le chef du requérant. En effet, dans l'attente d'une décision quant au fond, le montant de 57590 BFR, ainsi que la couverture du régime d'assurance maladie commun aux institutions des Communautés européennes, assureront au requérant une situation financière de nature à lui permettre de faire face à ses dépenses essentielles.

23

Dans ces circonstances et en tout état de cause, il résulte de la mise en balance des intérêts des parties, à laquelle le juge des référés se doit de procéder (voir l'ordonnance D./Commission, précitée, point 43), que le sursis à l'exécution de la décision litigieuse, et, par suite, l'imposition à la Cour des comptes du maintien d'une relation de travail dans une situation comme celle de l'espèce, où le requérant a été révoqué, au terme d'une procédure disciplinaire, pour des fautes considérées comme graves, serait hors de proportion par rapport au préjudice allégué par le requérant.

24

Il convient de souligner ensuite que, au cas où le Tribunal devrait annuler la décision litigieuse, le fait que le requérant ait demandé la jouissance anticipée de sa pension d'ancienneté ne saurait en aucun cas empêcher son rétablissement dans tous ses droits à partir du 24 juin 1993, mesure que comporterait l'exécution d'un tel arrêt. Ainsi que la partie défenderesse l'a formellement reconnu à l'audition, l'éventuelle annulation de la décision litigieuse aurait pour conséquence que l'article 47 du statut, permettant au requérant de demander la jouissance anticipée de sa pension d'ancienneté en vertu de l'article 9 de l'annexe VIII du statut, ne serait plus applicable, puisque, en exécution d'un tel arrêt, la partie défenderesse devrait le réintégrer dans ses fonctions.

25

Par ailleurs, et ainsi qu'il a été précisé à l'audition, s'il est vrai que le fait que le requérant demande, dès maintenant, la jouissance anticipée de sa pension d'ancienneté implique qu'il reçoive une somme mensuelle inférieure de 37768 BFR au montant auquel il pourrait prétendre s'il attendait l'âge de 60 ans pour demander cette pension, il n'en reste pas moins que, à la longue et compte tenu de son espérance de vie, la différence entre le montant global de la pension dont la jouissance serait demandée dès maintenant et le montant global de la pension perçue seulement à partir de 60 ans ne saurait être considérée comme représentant un préjudice grave dans le chef du requérant, de nature à justifier l'intervention du juge des référés.

26

II convient de relever enfin que la partie défenderesse a confirmé formellement, à l'audition, qu'elle est prête à verser au requérant la somme correspondante à la pension à laquelle celui-ci a droit, à compter de la date où sa demande serait introduite, et cela à titre provisoire pendant les quelques semaines nécessaires à la régularisation administrative du dossier relatif à la pension du requérant.

27

II résulte de ce qui précède que l'exécution de la décision litigieuse ne saurait entraîner, à première vue, dans le chef du requérant, un dommage irréversible, qui ne pourrait être réparé même si ladite décision devait être annulée dans la procédure principale.

28

Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les moyens et arguments invoqués par le requérant à l'appui du recours au principal revêtent une apparence de bon droit.

 

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

 

1)

La demande en référé est rejetée.

 

2)

Les dépens sont réservés.

 

Fait à Luxembourg, le 29 juin 1994.

Le greffier

H. Jung

Le président

J. L. Cruz Vilaça


( *1 ) Lingue de procedure: le français.

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