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Document 62016CJ0098

Judgment of the Court (Seventh Chamber) of 4 May 2017.
European Commission v Hellenic Republic.
Failure of a Member State to fulfil obligations — Taxation — Free movement of capital — Article 63 TFEU — Article 40 of the EEA Agreement — Inheritance taxes — Bequest in favour of not-for-profit bodies — Application of a preferential rate to bodies existing or legally constituted in Greece and to similar bodies outside Greece on a reciprocal basis — Different treatment — Restriction — Justification.
Case C-98/16.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:346

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

      4 mai 2017 (*)      

« Manquement d’État – Fiscalité – Libre circulation des capitaux – Article 63 TFUE – Article 40 de l’accord EEE – Droits de succession – Legs en faveur d’organismes sans but lucratif – Application d’un taux préférentiel aux organismes qui existent ou sont légalement constitués en Grèce ainsi qu’aux organismes étrangers similaires sous réserve de réciprocité – Différence de traitement – Restriction – Justification »

Dans l’affaire C‑98/16,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 17 février 2016,

Commission européenne, représentée par MM. W. Roels et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République hellénique, représentée par Mmes M. Tassopoulou et V. Karra, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme A. Prechal, président de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui prévoit un taux préférentiel des droits de succession pour les legs effectués en faveur d’organismes sans but lucratif qui sont établis dans d’autres États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) sous réserve de réciprocité, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »).

 Le cadre juridique

2        L’article 25, paragraphe 3, du code grec des droits de succession prévoit :

« Les acquisitions sont soumises à une imposition distincte, conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 29, dès lors que les bénéficiaires sont :

[...]

(b) les personnes morales sans but lucratif, qui existent ou sont légalement constituées en Grèce, ainsi que les personnes morales étrangères similaires sous réserve de réciprocité et les biens visés à l’article 96 de la loi d’urgence no 2039/1939 (FEK A’ 455), dès lors qu’ils poursuivent de manière avérée des buts d’intérêt national ou religieux ou, plus largement, des buts philanthropiques ou éducatifs ou artistiques ou d’intérêt général au sens de l’article 1er de la loi d’urgence no 2039/1939. »

3        L’article 29, paragraphe 5, de ce code dispose :

« Les fonds acquis à cause de décès par les personnes définies au paragraphe 3 de l’article 25 sont soumis à une taxe calculée séparément par application d’un taux de 0,5 %. Les autres biens acquis par ces personnes sont soumis à une taxe calculée séparément par application d’un taux de 0,5 %. »

 La procédure précontentieuse

4        Le 24 octobre 2012, à la suite d’échanges infructueux intervenus dans le cadre du système « EU Pilot », la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République hellénique, par laquelle elle attirait son attention sur une éventuelle incompatibilité de l’article 25, paragraphe 3, sous b), et de l’article 29, paragraphe 5, du code des droits de succession (ci-après les « dispositions litigieuses ») avec l’article 63 TFUE et l’article 40 de l’accord EEE, en ce qui concerne le traitement fiscal des legs en faveur d’organismes sans but lucratif.

5        Par deux courriers du 4 février et du 1er octobre 2013, la République hellénique a fait valoir que les dispositions litigieuses étaient compatibles avec les articles visés par la Commission.

6        N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a émis, le 21 novembre 2013, un avis motivé auquel la République hellénique a répondu par une lettre du 21 mars 2014. Dans cette lettre, la République hellénique réaffirmait la compatibilité des dispositions litigieuses avec le droit de l’Union et indiquait que celles-ci ne seraient pas modifiées.

7        C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

8        La Commission fait valoir que les dispositions litigieuses vont à l’encontre du principe de libre circulation des capitaux, tel que garanti à l’article 63 TFUE et à l’article 40 de l’accord EEE.

9        Elle fait observer, tout d’abord, que les dispositions litigieuses ont pour effet de taxer plus lourdement les legs lorsque le bénéficiaire est une personne morale sans but lucratif ayant son siège dans un État membre de l’Union ou de l’EEE, autre que la République hellénique, qui ne réserve pas le même traitement fiscal aux personnes morales sans but lucratif établies en Grèce. La valeur des biens légués à une telle personne morale serait, de ce fait, réduite, ce qui constituerait une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux.

10      La Commission se réfère à l’arrêt du 22 avril 2010, Mattner (C‑510/08, EU:C:2010:216, point 26), dans lequel la Cour a jugé que, en ce qui concerne les donations, les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant qu’elles constituent des restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la donation d’un résident d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel se trouvent les biens concernés et qui impose la donation de ceux-ci.

11      Cette institution déduit par analogie de cet arrêt que la diminution de la valeur des legs effectués en faveur des personnes morales sans but lucratif établies dans un État membre de l’Union ou de l’EEE qui ne réserve pas le même traitement fiscal aux personnes morales sans but lucratif établies en Grèce, en conséquence du taux d’imposition plus élevé appliqué à des tels legs, revêt le même caractère restrictif.

12      En outre, la Commission souligne que l’application à certains mouvements transfrontaliers de capitaux d’un taux d’imposition plus élevé que celui appliqué aux mouvements de capitaux à l’intérieur de la Grèce rend les premiers moins attractifs que les seconds, dissuadant ainsi les résidents grecs de désigner comme légataires des personnes morales sans but lucratif établies dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE. À cet égard, la Commission renvoie à l’arrêt du 10 février 2011, Missionswerk Werner Heukelbach (C‑25/10, EU:C:2011:65, point 37), dans lequel la Cour a jugé que l’article 63 TFUE s’oppose à la législation d’un État membre qui réserve la possibilité de bénéficier du taux réduit des droits de succession aux organismes sans but lucratif ayant leur siège d’opération dans cet État membre ou dans l’État membre dans lequel le de cujus résidait effectivement ou avait son lieu de travail au moment de son décès, ou dans lequel il a antérieurement effectivement résidé ou eu son lieu de travail.

13      Ensuite, en ce qui concerne l’argument avancé par la République hellénique concernant la non-comparabilité des situations, la Commission souligne que celle-ci n’explique pas pour quelle raison la situation des organismes sans but lucratif établis en Grèce ne serait pas comparable à celle des organismes ayant les mêmes caractéristiques établis dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE.

14      En réponse aux arguments avancés par la République hellénique pour justifier le maintien de la condition de réciprocité, la Commission rappelle que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie de la Cour, l’application du droit de l’Union n’est pas subordonnée au principe de réciprocité (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, EU:C:1986:37, point 26). Au contraire, dans l’application du droit de l’Union, il conviendrait de mettre l’accent sur l’égalité entre non-ressortissants et ressortissants. Par conséquent, il ne serait pas possible de faire dépendre le respect du droit de l’Union par un État membre du respect que les autres États membres accordent à ce même droit.

15      Enfin, concernant les justifications invoquées par la République hellénique, la Commission fait valoir que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, la prévention de la perte de recettes fiscales ne constitue pas un motif impérieux d’intérêt général. Plus précisément, s’agissant des organismes caritatifs, il résulterait de l’arrêt du 10 février 2011, Missionswerk Werner Heukelbach (C‑25/10, EU:C:2011:65, point 30), qu’un État membre ne saurait réserver le bénéfice d’avantages fiscaux aux seuls organismes qui sont établis sur son territoire au motif que les activités exercées par ceux-ci sont susceptibles de le décharger de certaines de ses responsabilités.

16      La République hellénique s’oppose à l’argumentation développée par la Commission et conclut à la compatibilité des dispositions litigieuses avec la libre circulation des capitaux.

17      En premier lieu, cet État membre estime que l’allégation de la Commission selon laquelle l’application d’un taux supérieur à certaines personnes morales étrangères à but non lucratif rendrait les mouvements transfrontaliers de capitaux moins attractifs n’est pas démontrée. Il ne serait, en effet, pas acquis que la volonté du testateur puisse être influencée par le taux auquel sera imposé le legs, ni que ce taux soit un paramètre essentiel pour choisir le légataire, ce dernier demeurant libre, en tout état de cause, d’accepter ou de refuser un legs qui lui est destiné.

18      Par ailleurs, la République hellénique fait valoir que, la fiscalité directe relevant de la compétence des États membres, le choix d’appliquer un régime plus ou moins favorable à certaines catégories de personnes morales, en raison du rôle particulier qu’elles jouent dans la société, relève uniquement de l’appréciation de ceux-ci.

19      La République hellénique souligne que la jurisprudence issue de l’arrêt du 22 avril 2010, Mattner (C‑510/08, EU:C:2010:216), à laquelle fait référence la Commission, n’est pas transposable au cas d’espèce, les dispositions relatives à la taxation des legs n’ayant pas le même fondement que les dispositions relatives à l’imposition des donations. Le régime favorable réservé aux personnes morales à but non lucratif s’expliquerait, en effet, par le rôle particulier qu’elles jouent dans la société grecque et qui revêtirait une importance cruciale, compte tenu de l’état actuel de l’économie qui contraint l’État à réduire les ressources publiques disponibles pour la politique sociale.

20      C’est également à la lumière de ce contexte que devrait être analysée la condition de réciprocité prévue par les dispositions litigieuses. La suppression d’une telle condition aurait pour effet de favoriser les organismes établis dans des États membres qui ne prévoient pas des avantages fiscaux similaires à ceux en cause en l’espèce et ferait supporter à la République hellénique la charge des conséquences défavorables de l’application de la libre circulation des capitaux.

21      En deuxième lieu, la République hellénique soutient que la situation des organismes à but non lucratif établis en Grèce n’est pas comparable à celle des organismes à but non lucratif établis dans un autre État membre, en raison du rôle que les premiers jouent dans la société grecque ainsi que du profit que cette dernière tire des dispositions litigieuses.

22      Par conséquent, les États membres seraient en droit, d’une part, d’exiger qu’un lien suffisamment étroit existe entre les organismes à but non lucratif et les activités qu’ils exercent aux fins de l’octroi de certains avantages fiscaux et, d’autre part, de décider quels sont les intérêts de la collectivité qu’ils veulent promouvoir en octroyant de tels avantages fiscaux à ces organismes.

23      En troisième lieu, la République hellénique fait valoir que la restriction à la libre circulation des capitaux, à la supposer établie, serait justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, en l’occurrence la nécessité de prévenir une réduction des recettes fiscales qu’entraînerait la modification des dispositions litigieuses.

24      À cet égard, cet État membre estime qu’il conviendrait de réviser, à la lumière des évolutions économiques défavorables qui affectent l’ensemble de l’Union, la jurisprudence de la Cour selon laquelle la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne figure ni parmi les objectifs énoncés à l’article 65 TFUE ni parmi les raisons impérieuses d’intérêt général.

25      En conclusion, la République hellénique soutient que les dispositions litigieuses ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la mesure en cause.

 Appréciation de la Cour

 Sur la liberté concernée

26      Selon une jurisprudence constante de la Cour, les successions, qui consistent en une transmission à une ou plusieurs personnes du patrimoine laissé par une personne décédée, constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 TFUE, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêts du 10 février 2011, Missionswerk Werner Heukelbach, C‑25/10, EU:C:2011:65, point 16, et du 26 mai 2016, Commission/Grèce, C‑244/15, EU:C:2016:359, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

27      En l’occurrence, les dispositions litigieuses concernent le taux d’imposition des dons effectués par voie de testament et acquis par le bénéficiaire en raison du décès du de cujus. Ces dispositions prévoient qu’un taux préférentiel est automatiquement appliqué aux legs effectués en faveur d’organismes sans but lucratif qui existent ou ont été légalement constitués en Grèce. En revanche, l’application d’un tel taux préférentiel aux legs effectués en faveur de personnes morales établies dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE est subordonnée à la condition qu’il existe, dans la législation de ces États membres, une disposition de loi prévoyant un allègement des droits de succession équivalent.

28      Ainsi, les dispositions litigieuses, qui sont relatives à l’impôt sur les successions et portent sur des situations dont les éléments constitutifs ne se cantonnent pas tous à l’intérieur d’un seul État membre, relèvent de la libre circulation des capitaux.

 Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

29      L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit de façon générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres.

30      Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, en cas de succession, les mesures interdites par l’articles 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions à la libre circulation des capitaux, comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel se trouvent les biens concernés et qui impose la transmission de ceux-ci par voie de succession (arrêts du 22 avril 2010, Mattner, C‑510/08, EU:C:2010:216, point 26, et du 26 mai 2016, Commission/Grèce, C‑244/15, EU:C:2016:359, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

31      À cet égard, la Cour a déjà jugé que la réglementation d’un État membre qui fait dépendre l’application d’un taux réduit du lieu de résidence du défunt ou du bénéficiaire au moment du décès, lorsqu’elle aboutit à ce que les successions impliquant des non-résidents soient soumises à une charge fiscale plus lourde que celle n’impliquant que des résidents, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, points 25 et 26 ; du 3 septembre 2014, Commission/Espagne, C‑127/12, non publié, EU:C:2014:2130, point 58, ainsi que du 26 mai 2016, Commission/Grèce, C‑244/15, EU:C:2016:359, point 29).

32      Or, en l’espèce, les dispositions litigieuses prévoient que le traitement fiscal des legs effectués en faveur de certaines personnes morales sans but lucratif établies en Grèce est plus favorable que celui des legs en faveur d’entités similaires établies dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE. En effet, un taux préférentiel de 0,5 % est automatiquement appliqué aux personnes morales sans but lucratif qui existent ou ont été légalement constituées en Grèce, tandis que ce même taux ne peut s’appliquer à des personnes morales établies dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE que si la condition de réciprocité est remplie. Il est constant que, dans le cas où cette condition de réciprocité n’est pas remplie, le taux applicable varie de 20 à 40 %, en fonction de la valeur du bien imposable.

33      Cette imposition plus lourde a pour effet de réduire la valeur des biens légués aux personnes morales étrangères sans but lucratif établies dans des États membres de l’Union ou de l’EEE dont la législation nationale ne prévoirait pas un allègement des droits de succession équivalent.

34      En outre, ainsi que la Commission l’a relevé, l’application d’un taux d’imposition plus élevé à certains mouvements de capitaux transfrontaliers par rapport à celui appliqué aux mouvements de capitaux à l’intérieur de la Grèce est de nature à rendre les premiers moins attrayants que les seconds, en dissuadant les résidents grecs de désigner comme légataires des personnes établies dans des États membres de l’Union ou de l’EEE qui ne satisfont pas à la condition de réciprocité.

35      Il s’ensuit que les dispositions litigieuses constituent une restriction à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

 Sur l’existence d’une justification

36      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, « l’article 63 [TFUE] ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres [...] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ». La dérogation prévue à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE est néanmoins encadrée par l’article 65, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que les dispositions nationales ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 TFUE.

37      Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations arbitraires interdites en vertu de l’article 65, paragraphe 3, TFUE. Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une réglementation fiscale nationale, qui, aux fins du calcul des droits de succession, opère une différence de traitement entre les résidents et les non-résidents puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que cette différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. Une telle réglementation doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 2016, Commission/Grèce, C‑244/15, EU:C:2016:359, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).

38      En l’espèce, en premier lieu, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la République hellénique, la différence de traitement qui découle des dispositions litigieuses ne saurait être justifiée par le motif qu’elle se rapporte à des situations qui sont objectivement différentes.

39      En effet, ainsi que le relève la Commission, les dispositions litigieuses concernent les même types de mouvements de capitaux ainsi que les mêmes types d’organismes. Par ailleurs, il ressort de ces dispositions que le régime fiscal des legs appréhende de la même manière les organismes sans but lucratif établis en Grèce et ceux établis dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE. Ce n’est que dans le cas où il n’existe pas, dans la législation de ce dernier État, un avantage fiscal similaire à celui prévu par lesdites dispositions que la législation grecque opère une différence de traitement.

40      Par conséquent, dès lors que la législation nationale met sur le même plan, aux fins de l’imposition d’un legs acquis par succession, les organismes sans but lucratif établis en Grèce et ceux établis dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE, elle ne peut, sans enfreindre les exigences du droit de l’Union, traiter différemment ces derniers, dans le cadre de cette même imposition, en ce qui concerne l’octroi du traitement préférentiel. En traitant de manière identique, sauf en ce qui concerne le montant du taux applicable, les legs effectués au profit de ces deux catégories d’organisme sans but lucratif, le législateur national a admis, en effet, qu’il n’existait entre ces dernières aucune différence de situation objective de nature à justifier une différence de traitement (voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 51 et jurisprudence citée).

41      Il s’ensuit que la situation d’un organisme sans but lucratif établi dans un État membre de l’Union ou de l’EEE autre que la République hellénique et celle des organismes sans but lucratif qui existent ou ont été légalement constitués en Grèce sont comparables aux fins de l’application du taux préférentiel pour les legs effectués en faveur de ceux-ci.

42      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que les organismes établis en Grèce jouent, dans la société grecque, un rôle particulier et qui revêt une importance cruciale compte tenu de l’état actuel de l’économie de cet État membre.

43       En effet, la Cour a déjà jugé que, s’il est légitime pour un État membre d’exiger, aux fins de l’octroi de certains avantages fiscaux, qu’un lien suffisamment étroit existe entre les organismes qu’il reconnaît comme poursuivant certains de ses objectifs d’intérêt général et les activités qu’ils exercent, celui-ci ne saurait toutefois réserver le bénéfice de tels avantages aux seuls organismes établis sur son territoire et dont les activités sont susceptibles de le décharger de certaines de ses responsabilités (arrêts du 27 janvier 2009, Persche, C‑318/07, EU:C:2009:33, point 44, et du 10 février 2011 Missionswerk Werner Heukelbach, C‑25/10, EU:C:2011:65, point 30).

44      En particulier, l’éventualité pour un État membre d’être déchargé de certaines de ses responsabilités ne suffit pas à elle seule pour permettre à celui-ci d’introduire une différence de traitement entre les organismes reconnus d’intérêt général nationaux et ceux établis dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 27 janvier 2009, Persche, C-318/07, EU:C:2009:33, point 46, et du 10 février 2011 Missionswerk Werner Heukelbach, C-25/10, EU:C:2011:65, point 31).

45      En second lieu, il convient d’examiner si la différence de traitement découlant des dispositions litigieuses peut être objectivement justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

46      La République hellénique fait valoir, en substance, que la perte des recettes publiques résultant du traitement fiscal préférentiel réservé aux organismes sans but lucratif établis en Grèce est intégralement compensée par le rôle que jouent ces organismes dans la société grecque. En revanche, si le traitement fiscal préférentiel était étendu aux personnes morales sans but lucratif établies dans des États membres de l’Union ou de l’EEE qui n’accordent pas un traitement fiscal similaire aux personnes morales grecques, cela réduirait de façon injustifiée les recettes du budget de l’État. La République hellénique estime donc que, compte tenu notamment de la situation économique actuelle de la Grèce, le maintien de la clause de réciprocité est justifié par la nécessité de prévenir la réduction des recettes fiscales.

47      Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne figure ni parmi les objectifs énoncés à l’article 65 TFUE ni parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté instituée par le traité (arrêts du 7 septembre 2004, Manninen, C‑319/02, EU:C:2004:484, point 49 ; du 27 janvier 2009, Persche, C‑318/07, EU:C:2009:33, point 46, et du 10 février 2011 Missionswerk Werner Heukelbach, C‑25/10, EU:C:2011:65, point 31). Il en va d’ailleurs de même s’agissant de la sauvegarde de l’intérêt de l’économie nationale (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 72 et jurisprudence citée).

48      Il s’ensuit que la République hellénique n’a invoqué aucune raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier, en l’espèce, une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63 TFUE.

 Sur le manquement à l’article 40 de l’accord EEE

49      Dans la mesure où les stipulations de l’article 40 de l’accord EEE revêtent la même portée juridique que les dispositions, identiques en substance, de l’article 63 TFUE, l’ensemble des considérations qui précèdent, relatives à l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63 TFUE, est, dans les circonstances du présent recours, transposable mutatis mutandis audit article 40 (voir, par analogie, arrêt du 1er décembre 2011, Commission/Belgique, C‑250/08, EU:C:2011:793, point 83 et jurisprudence citée).

50       Il s’ensuit que le recours introduit par la Commission est fondé.

51      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui prévoit un taux préférentiel des droits de succession pour les legs effectués en faveur d’organismes sans but lucratif qui sont établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE sous réserve de réciprocité, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

52      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

1)      En adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui prévoit un taux préférentiel des droits de succession pour les legs effectués en faveur d’organismes sans but lucratif qui sont établis dans d’autres États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen sous réserve de réciprocité, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.

2)      La République hellénique est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le grec.

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