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Document 62013CO0033
Order of the Court (Fifth Chamber) of 6 February 2014. # Marcin Jagiełło v Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi. # Reference for a preliminary ruling: Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi - Poland. # Request for a preliminary ruling - Article 99 of the Rules of Procedure of the Court of Justice - Taxation - VAT - Sixth Directive - Right of deduction - Refusal - Invoice issued by a company acting as a front. # Case C-33/13.
Usnesení Soudního dvora (pátého senátu) ze dne 6. února 2014.
Marcin Jagiełło v. Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi.
Žádost o rozhodnutí o předběžné otázce podaná Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi.
Žádost o rozhodnutí o předběžné otázce – Článek 99 jednacího řádu Soudního dvora – Daně – DPH – Šestá směrnice – Právo na odpočet – Odepření – Faktura vydaná společností jednající pod krycím názvem.
Věc C‑33/13.
Usnesení Soudního dvora (pátého senátu) ze dne 6. února 2014.
Marcin Jagiełło v. Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi.
Žádost o rozhodnutí o předběžné otázce podaná Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi.
Žádost o rozhodnutí o předběžné otázce – Článek 99 jednacího řádu Soudního dvora – Daně – DPH – Šestá směrnice – Právo na odpočet – Odepření – Faktura vydaná společností jednající pod krycím názvem.
Věc C‑33/13.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:184
*A9* Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi, postanowienie z dnia 12/12/2012 (I SA/ Łd 1140/12)
ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)
6 février 2014 (*)
«Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Fiscalité – TVA – Sixième directive – Droit à déduction – Refus – Facture émise par une société agissant comme prête-nom»
Dans l’affaire C‑33/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi (Pologne), par décision du 12 décembre 2012, parvenue à la Cour le 22 janvier 2013, dans la procédure
Marcin Jagiełło
contre
Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas, D. Šváby et C. Vajda, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour M. Jagiełło, par Me L. Korpecki, adwokat,
– pour le Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi, par M. T. Szymanski, en qualité d’agent,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2001/115/CE du Conseil, du 20 décembre 2001 (JO L 15, p. 24, ci-après la «sixième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Jagiełło au Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi (directeur de la chambre fiscale de Łódź) au sujet du refus de ce dernier d’admettre le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») acquittée en amont par M. Jagiełło sur des opérations considérées comme suspectes.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 En vertu de l’article 2, point 1, de la sixième directive, sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».
4 L’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose:
«1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.»
5 Selon l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme «livraison d’un bien» le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.
6 Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, «[l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible».
7 L’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies, point 1, de ladite directive, dispose:
«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti».
8 L’article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies, point 2, de cette directive, prévoit que, pour pouvoir exercer le droit à déduction visé à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de ladite directive, l’assujetti doit détenir une facture établie conformément à l’article 22, paragraphe 3, de celle-ci.
9 Selon cet article 22, paragraphe 3, sous b), sixième tiret, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de la sixième directive, la quantité et la nature des biens livrés doivent figurer sur la facture.
Le droit polonais
10 L’article 5, paragraphes 1, point 1, et 2, de la loi relative à la taxe sur les biens et les services (Ustawa r. o podatku od towarów i usług), du 11 mars 2004 (Dz. U. n° 54, position 535, ci-après la «loi relative à la TVA»), dispose que les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire national sont soumises au paiement de la TVA, qu’elles aient été effectuées dans le respect des conditions de fond et de forme prévues par le droit national ou non.
11 Selon l’article 15, paragraphe 1, de cette loi, sont considérées comme assujetties les personnes morales, les entités organisationnelles dénuées de personnalité juridique ainsi que les personnes physiques qui exercent d’une façon indépendante l’une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cet article, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Conformément audit paragraphe 2, est considérée comme activité économique «toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services».
12 Aux termes de l’article 86, paragraphe 1, de ladite loi, dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti visé à l’article 15 de cette même loi est autorisé à déduire de la TVA dont il est redevable le montant de celle qu’il a acquittée en amont.
13 L’article 88, paragraphe 3a, point 4, sous a), de la loi relative à la TVA prévoit que les factures émises constatant des opérations qui n’ont pas été effectuées ne peuvent, pour la partie relative à ces opérations, servir de base à la déduction de la TVA en amont, au remboursement du différentiel de TVA ou au remboursement de la TVA acquittée en amont.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 Au cours de l’année 2005, M. Jagiełło, exerçant une activité économique de transport de marchandises et de vente de vêtements, a déduit de la TVA dont il était redevable la TVA figurant sur des factures d’achat de carburant, émises par Bogromil sp. z o.o. (ci-après «Bogromil»), une société à responsabilité limitée de droit polonais,← (ci-après les «factures en cause»).
15 L’administration fiscale a refusé à M. Jagiełło le droit de déduire cette TVA au motif que les factures en cause ne reflétaient pas les transactions économiques réellement effectuées.
16 En effet, Bogromil, par ailleurs inscrite en tant qu’assujetti à la TVA, aurait été impliquée dans des transactions portant sur du carburant illégal et aurait servi de prête-nom à M. Kucharski, véritable propriétaire et vendeur du carburant en cause. La comptabilité de Bogromil n’aurait en effet laissé apparaître aucune facture d’achat de carburant pour moteurs diesel, de sorte que l’administration fiscale en a conclu que cette société ne disposait pas d’un tel carburant et que, partant, elle n’avait pu le revendre à d’autres opérateurs économiques.
17 Cela étant, cette administration n’a pas remis en cause le fait que M. Jagiełło avait effectué l’achat et qu’il avait utilisé le produit livré aux fins d’une activité économique relative à des prestations de transport. En outre, ladite administration n’a ni examiné ni constaté que la quantité et le prix de la marchandise effectivement livrée étaient conformes aux données mentionnées sur les factures en cause.
18 M. Jagiełło a introduit un recours devant la juridiction de renvoi à l’encontre de la décision du Dyrektor Izby Skarbowej w Łodzi lui refusant le droit de déduire la TVA des factures en cause, au motif que cette décision violerait en particulier l’article 88, paragraphe 3a, point 4, sous a), de la loi relative à la TVA, lu en combinaison avec l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive. Il soutient qu’il remplit les conditions pour pouvoir déduire cette TVA, dès lors qu’il avait reçu la facture constatant l’acquisition de la marchandise ainsi que la marchandise. En outre, il aurait fait preuve d’une diligence raisonnable dans le cadre de la transaction en cause, étant donné qu’il avait obtenu de Bogromil, notamment, la confirmation de son enregistrement en tant qu’assujetti à la TVA.
19 Dans ces conditions, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Łodzi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 4, paragraphes 1 et 2, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 1, de la [sixième directive], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la vente effectuée par une personne qui utilise la dénomination sociale d’une autre personne, avec l’accord de celle-ci, aux fins de dissimuler sa propre activité économique, soit qualifiée de livraison de biens?
2) L’article 17 de la [sixième directive] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la déduction de la TVA d’une facture établie par une personne ayant uniquement servi de prête-nom à la vente de biens effectuée par une autre personne, sans qu’il soit établi que l’acquéreur savait ou pouvait savoir, sur le fondement de circonstances objectives, que la transaction à laquelle il participait était impliquée dans une fraude ou dans d’autres irrégularités, commises par l’émetteur de la facture ou un opérateur collaborant avec ce dernier?»
Sur les questions préjudicielles
20 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un assujetti se voie refuser le droit de déduire la TVA due ou acquittée pour des biens qui lui ont été livrés, au motif que, compte tenu de fraudes ou d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture afférente à cette livraison, cette dernière est considérée comme n’ayant pas été réellement effectuée par ledit émetteur.
21 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
22 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
23 Selon une jurisprudence bien établie, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (voir, notamment, arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, non encore publié au Recueil, point 37 et jurisprudence citée; du 6 septembre 2012, Tóth, C‑324/11, non encore publié au Recueil, point 23, ainsi que du 6 décembre 2012, Bonik, C‑285/11, non encore publié au Recueil, point 25).
24 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut en principe être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts précités Mahagében et Dávid, point 38; Tóth, point 24, ainsi que Bonik, point 26 et jurisprudence citée).
25 Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêts précités Mahagében et Dávid, point 39; Tóth, point 25; Bonik, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 28 février 2013, Forvards V, C‑563/11, point 27).
26 La question de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir, notamment, arrêts précités Mahagében et Dávid, point 40, ainsi que Bonik, point 28 et jurisprudence citée).
27 Il ressort du libellé de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive que, pour pouvoir bénéficier du droit à déduction, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un assujetti au sens de cette directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ce droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens ou ces services soient fournis par un autre assujetti (voir arrêts du 15 décembre 2005, Centralan Property, C‑63/04, Rec. p. I‑11087, point 52; Tóth, précité, point 26, et Bonik, précité, point 29, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 29).
28 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que, selon l’article 4 de la sixième directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante, des activités économiques de producteur, de commerçant ou de prestataire de services.
29 Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, le requérant souhaitant exercer le droit à déduction a la qualité d’assujetti au sens de la sixième directive, qu’il a reçu des biens, à savoir du carburant, et qu’il les a utilisés en aval pour les besoins de ses opérations taxées. En outre, Bogromil, émettrice des factures en cause et fournisseur désigné sur ces factures, était enregistrée en tant qu’assujetti à la TVA. De plus, il découle du dossier soumis à la Cour que, du point de vue formel, les factures en cause comportaient toutes les indications prescrites.
30 S’agissant, toutefois, de la réalisation effective, par Bogromil, des livraisons qu’elle a facturées, il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, l’administration fiscale a conclu à l’absence des livraisons effectuées par cette société, notamment en raison du fait que celle-ci n’avait pas été en mesure de livrer les biens en cause, étant donné que sa comptabilité ne laissait apparaître aucune facture d’achat de carburant et qu’elle avait agi comme prête-nom au profit du véritable propriétaire du carburant livré.
31 Pour autant que cette conclusion de l’administration fiscale est contestée par le requérant au principal, il appartient à la juridiction nationale d’en vérifier le bien-fondé en effectuant, conformément aux règles de preuve du droit national, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêts Tóth, précité, point 50; Bonik, précité, point 32; du 31 janvier 2013, LVK – 56, C‑643/11, non encore publié au Recueil, point 57, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 33).
32 En effet, le fait qu’un bien n’a pas été reçu directement de la main de l’émetteur de la facture n’est pas nécessairement la conséquence d’une dissimulation frauduleuse du fournisseur réel, mais peut avoir d’autres raisons, telles que, notamment, l’existence de deux ventes successives portant sur les mêmes biens, qui, sur ordre, sont transportés directement du premier vendeur au second acquéreur, de sorte qu’il y a deux livraisons successives au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, mais un seul transport effectif (voir ordonnance Forvards V, précitée, point 34). En outre, il n’est pas nécessaire que le premier acquéreur soit devenu propriétaire des biens en cause au moment de ce transport, étant donné que l’existence d’une livraison au sens de cette disposition ne présuppose pas le transfert de la propriété juridique du bien (voir en ce sens, notamment, arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C‑320/88, Rec. p. I‑285, point 9, ainsi que du 18 juillet 2013, Evita-K, C‑78/12, non encore publié au Recueil, point 33).
33 Toutefois, si l’administration fiscale déduit de l’existence de fraudes ou d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture que l’opération facturée et invoquée pour fonder le droit à déduction n’a pas été réalisée effectivement, cette administration doit, pour que le droit à déduction puisse être refusé, établir, au vu d’éléments objectifs et sans exiger du destinataire de la facture des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que ladite opération était impliquée dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir arrêts précités Bonik, point 45,et LVK – 56, point 64, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 35).
34 En effet, certes, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive et les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, Rec. p. I‑1609, points 68 et 71; Bonik, précité, points 35 et 36, et LVK – 56, précité, point 58, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 36).
35 Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir arrêts précités Mahagében et Dávid, point 42; Bonik, point 37, et LVK – 56, point 59, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 37).
36 Néanmoins, selon une jurisprudence également bien établie, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par la sixième directive de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne de livraison, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (voir en ce sens, notamment, arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C‑354/03, C‑355/03 et C‑484/03, Rec. p. I‑483, points 52 et 55; du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C‑439/04 et C‑440/04, Rec. p. I‑6161, points 45, 46 et 60, et LVK – 56, précité, point 60, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 38).
37 La détermination des mesures pouvant, dans un cas d’espèce, raisonnablement être exigées d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA pour s’assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude commise par un opérateur en amont dépend essentiellement des circonstances dudit cas d’espèce (voir arrêt Mahagében et Dávid, précité, point 59, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 39).
38 Lorsqu’il existe des indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, un opérateur avisé pourrait, selon les circonstances de l’espèce, se voir obligé de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d’acheter des biens ou des services, afin de s’assurer de la fiabilité de celui-ci (arrêt Mahagében et Dávid, précité, point 60, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 40).
39 La Cour a jugé, à cet égard, que l’administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l’assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA, d’une part, de vérifier que l’émetteur de la facture afférente aux biens et aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d’autre part, de disposer de documents à cet égard (voir arrêts précités Mahagében et Dávid, point 61, et LVK – 56, point 61, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 41).
40 Il s’ensuit qu’une juridiction nationale qui est appelée à décider si, dans un cas particulier, une opération imposable faisait défaut, et devant laquelle l’administration fiscale s’est notamment fondée sur des irrégularités dans la sphère de l’émetteur de la facture, doit veiller à ce que l’appréciation des éléments de preuve n’aboutisse pas à vider de son sens la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt et à obliger de manière indirecte le destinataire de la facture à procéder à des vérifications auprès de son cocontractant qui, en principe, ne lui incombent pas (voir arrêt LVK – 56, précité, point 62, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 42).
41 Toutefois, si les documents présentés par le destinataire des factures en cause devaient s’avérer entachés d’irrégularités ou si la livraison en cause comportait d’autres irrégularités que ce destinataire aurait pu remarquer, ce fait constitue un élément à prendre en considération lors de l’appréciation globale à effectuer par la juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêt LVK – 56, précité, point 63, ainsi que ordonnance Forvards V, précitée, point 43).
42 Une telle irrégularité peut, notamment, résulter de ce que la nature des biens effectivement livrés ne correspond pas à la nature des biens mentionnée sur la facture, en vue de répondre à l’obligation figurant à l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci. En effet, en règle générale, il peut raisonnablement être exigé d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA de s’assurer que la nature des biens livrés correspond à la nature des biens facturés. À cet égard, il ressort du dossier soumis à la Cour que, dans l’affaire au principal, les factures en cause mentionnaient qu’elles concernaient la livraison de carburant pour moteurs diesel, tandis que la vente aurait en réalité porté sur un produit pétrolier d’une nature différente, mais néanmoins utilisable pour la propulsion de poids lourds équipés de moteurs diesel.
43 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un assujetti se voie refuser le droit de déduire la TVA due ou acquittée pour des biens qui lui ont été livrés, au motif que, compte tenu de fraudes ou d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture afférente à cette livraison, cette dernière est considérée comme n’ayant pas été réellement effectuée par ledit émetteur, sauf s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans qu’il soit exigé de l’assujetti des vérifications qui ne lui incombent pas, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que ladite livraison était impliquée dans une fraude à la TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2001/115/CE du Conseil, du 20 décembre 2001, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un assujetti se voie refuser le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour des biens qui lui ont été livrés, au motif que, compte tenu de fraudes ou d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture afférente à cette livraison, cette dernière est considérée comme n’ayant pas été réellement effectuée par ledit émetteur, sauf s’il est établi, au vu d’éléments objectifs et sans qu’il soit exigé de l’assujetti des vérifications qui ne lui incombent pas, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que ladite livraison était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
* Langue de procédure: le polonais.