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Document 62024CO0143

Order of the Court (Ninth Chamber) of 26 September 2024.
PL v État belge.
Request for a preliminary ruling from the Tribunal de première instance de Liège.
Case C-143/24.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:810

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

26 septembre 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115/CE – Champ d’application – Décision de retour – Exceptions – Droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres »

Dans l’affaire C‑143/24 [Bandundu – II] (i),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 16 février 2024, parvenue à la Cour le 23 février 2024, dans la procédure

PL

contre

État belge,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu‑Matei, présidente de chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de juge de la neuvième chambre, et M. S. Rodin, juge,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 5, 6 et 13 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), et des articles 1er, 7, 14, 20, 21, 24 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en responsabilité introduit par PL contre l’État belge.

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

3        Les considérants 6 et 24 de la directive 2008/115 énoncent :

« (6) Les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente. Conformément aux principes généraux du droit de l’Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l’être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l’on prenne en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier. Lorsqu’ils utilisent les formulaires types pour les décisions liées au retour, c’est-à-dire les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement, les États membres devraient respecter ce principe et se conformer pleinement à l’ensemble des dispositions applicables de la présente directive.

[...]

(24) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la [Charte]. »

4        L’article 6, paragraphe 4, de cette directive prévoit :

« À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour. »

 Le droit belge

5        L’article 9 de la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, du 15 décembre 1980 (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les étrangers »), dispose :

« Pour pouvoir séjourner dans le Royaume au-delà du terme fixé à l’article 6, l’étranger qui ne se trouve pas dans un des cas prévus à l’article 10 doit y être autorisé par le Ministre ou son délégué.

Sauf dérogations prévues par un traité international, par une loi ou par un arrêté royal, cette autorisation doit être demandée par l’étranger auprès du poste diplomatique ou consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l’étranger. »

6        L’article 9 bis, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« Lors de circonstances exceptionnelles et à la condition que l’étranger dispose d’un document d’identité, l’autorisation de séjour peut être demandée auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmettra au ministre ou à son délégué. Quand le ministre ou son délégué accorde l’autorisation de séjour, celle-ci sera délivrée en Belgique.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7        Le 12 octobre 2010, PL, ressortissante d’un pays tiers, a introduit une demande d’asile en Belgique.

8        Le 4 juillet 2012, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Belgique) a rejeté sa demande. Le 31 décembre 2012, le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) a rejeté le recours introduit par PL contre cette décision.

9        Le 8 septembre 2012, PL a introduit une demande de séjour humanitaire sur le fondement de l’article 9 bis de la loi sur les étrangers en invoquant essentiellement la longueur de sa procédure d’asile et de son séjour, son travail et son ancrage local durable.

10      Le 18 mars 2013, l’autorité administrative compétente a considéré cette demande comme étant irrecevable au motif que, aucun élément invoqué par PL ne constituant une « circonstance exceptionnelle », au sens de cet article 9 bis, une telle demande aurait dû être formulée non pas en Belgique, mais dans le pays d’origine.

11      Par un arrêt du 2 septembre 2019, le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté le recours introduit contre cette décision. Le 10 juin 2021, le Conseil d’État (Belgique), sans saisir au préalable la Cour d’une demande de décision préjudicielle, a rejeté le pourvoi en cassation introduit contre cet arrêt en jugeant, notamment, que l’article 9 bis de la loi sur les étrangers ne constituait pas une mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115.

12      Le 26 juillet 2021, PL a saisi le tribunal de première instance de Liège (Belgique), qui est la juridiction de renvoi, afin de mettre en cause la responsabilité de l’État belge, notamment, pour violation du droit de l’Union. PL fait valoir, entre autres, que le refus de rendre publics les critères permettant de recourir à l’article 9 bis de la loi sur les étrangers conduit à l’impossibilité d’introduire utilement une demande de régularisation.

13      À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, pour juger si l’État belge a engagé sa responsabilité, il importe de déterminer si l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115 régit les demandes de séjour humanitaire fondées sur l’article 9 bis de la loi sur les étrangers et, dans l’affirmative, si l’examen au cas par cas et sur la base de critères objectifs consacré au considérant 6 de cette directive s’applique aux décisions prises sur le fondement de cet article 6, paragraphe 4.

14      Cette juridiction considère qu’un lien entre cet article 9 bis et ladite directive paraît ressortir du tableau de correspondance transmis par le Royaume de Belgique à la Commission européenne tout comme d’un courrier adressé par celle-ci à une avocate. Elle relève encore que, compte tenu de son objet, l’article 9 bis de la loi sur les étrangers semble s’inscrire dans la faculté laissée aux États membres, par l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, d’accorder un titre de séjour autonome pour des motifs charitables, humanitaires ou autres.

15      Par conséquent, la juridiction de renvoi n’exclut pas que, indépendamment du fait que l’objectif de cette directive n’est pas de régir les conditions de séjour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre concerné, l’article 9 bis de la loi sur les étrangers puisse constituer une application de l’article 6, paragraphe 4, de ladite directive et que les principes régissant la même directive, rappelés notamment à ses considérants 6 et 24, puissent s’appliquer aux décisions fondées sur cet article 9 bis.

16      Dans ces conditions, le tribunal de première instance de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

« 1)      Le droit de l’Union, essentiellement les dispositions de la Charte [...] et de la directive [2008/115], s’applique-t-il à une pratique d’un État membre lui permettant de régulariser sur place un étranger s’y trouvant en séjour illégal ?

2)      Si oui, les articles 5, 6, et 13 de la directive [2008/115], lus en conformité avec ses considérants 6 et 24, ainsi que les articles 1er, 7, 14, 20, 21, 24 et 47 de la Charte [...] doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsqu’un État membre envisage d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire, il puisse, d’une part, exiger dudit ressortissant qu’il prouve au préalable l’impossibilité d’introduire sa demande dans son pays d’origine et, d’autre part, ne pas énoncer dans sa législation les conditions et critères, a fortiori objectifs, permettant de justifier de ces motifs charitables, humanitaires ou autres (que ce soit sur le plan de la recevabilité, en exigeant la démonstration de circonstances exceptionnelles sans les définir ou sur le plan du fond, en ne prévoyant aucun critère objectif permettant de définir les motifs, notamment humanitaires, justifiant une autorisation de séjour), ce qui rend imprévisible, voire arbitraire, la réponse à une telle demande ?

3)      Dans le cas où ces critères peuvent ne pas être prévus par la législation, en cas de refus, le droit à un recours effectif n’est-il pas mis à mal par le fait que le seul recours organisé est de stricte légalité à l’exclusion de toute considération d’opportunité ? »

 Sur les questions préjudicielles

17      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence.

18      Il convient également de rappeler que la coopération judiciaire instaurée par l’article 267 TFUE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. D’une part, la Cour est habilitée non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 201 ainsi que jurisprudence citée). D’autre part, conformément au point 11 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), il revient aux juridictions nationales de tirer dans le litige pendant devant elles les conséquences concrètes des éléments d’interprétation fournis par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, point 43).

19      En l’occurrence, la Cour estime que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi peut être clairement déduite de l’arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) (C‑69/21, EU:C:2022:913). Il y a donc lieu de faire application de l’article 99 du règlement de procédure dans la présente affaire.

20      Ainsi qu’il ressort du point 18 de cette ordonnance, il reviendra à la juridiction de renvoi de tirer les conséquences concrètes, dans le litige au principal, des éléments d’interprétation découlant de cette jurisprudence de la Cour.

21      Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/115, lue en combinaison avec la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à la décision par laquelle les autorités d’un État membre refusent d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur son territoire, un « droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres », au sens de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive et, dans l’affirmative, si ladite directive établit des critères s’imposant à ces autorités.

22      À cet égard, la Cour a notamment jugé, dans l’arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique) (C‑69/21, EU:C:2022:913) :

« 84        [...] il importe de rappeler que les normes et les procédures communes instaurées par la directive 2008/115 ne portent que sur l’adoption de décisions de retour et l’exécution de ces décisions, cette directive n’ayant pas pour objet d’harmoniser dans leur intégralité les règles des États membres relatives au séjour des ressortissants étrangers. Partant, ladite directive ne régit ni la manière dont un droit de séjour doit être attribué aux ressortissants de pays tiers ni les conséquences du séjour irrégulier, sur le territoire d’un État membre, de ressortissants de pays tiers à l’égard desquels aucune décision de retour vers un pays tiers ne peut être adoptée [...]

85      Il s’ensuit qu’aucune disposition de la directive 2008/115 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle exigerait qu’un État membre accorde un titre de séjour à un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur son territoire, lorsque ce ressortissant ne peut faire l’objet ni d’une décision de retour, ni d’une mesure d’éloignement, au motif qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé serait exposé, dans le pays de destination, à un risque réel d’augmentation rapide, significative et irrémédiable de la douleur causée par sa maladie.

86      S’agissant, en particulier, de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, cette disposition se limite à permettre aux États membres d’octroyer, pour des raisons charitables ou humanitaires, un droit de séjour, sur le fondement de leur droit national, et non du droit de l’Union, aux ressortissants de pays tiers séjournant irrégulièrement sur leur territoire.

87      Or, conformément à l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, les dispositions de celle-ci n’étendent pas le champ d’application du droit de l’Union. Partant, il ne saurait être considéré que, en vertu de l’article 7 de la Charte, un État membre puisse être tenu d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers relevant du champ d’application de cette directive. »

23      Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées que la directive 2008/115, lue en combinaison avec la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’applique pas à la décision par laquelle les autorités d’un État membre refusent d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur son territoire, un « droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres », au sens de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive.

 Sur les dépens

24      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lue en combinaison avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’applique pas à la décision par laquelle les autorités d’un État membre refusent d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers, en séjour irrégulier sur son territoire, un « droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres », au sens de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.

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