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Document 62022CO0424

Order of the Court (Ninth Chamber) of 8 May 2024.
WN v Santander Bank Polska S.A.
Request for a preliminary ruling from the Sąd Okręgowy w Krakowie.
Case C-424/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:398

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

8 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Effets de la constatation du caractère abusif d’une clause – Contrat de prêt hypothécaire indexé sur une devise étrangère contenant des clauses abusives concernant la valorisation et le taux de change – Nullité de ce contrat – Effets restitutoires – Droit de rétention »

Dans l’affaire C‑424/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie, Pologne), par décision du 31 janvier 2022, parvenue à la Cour le 27 juin 2022, dans la procédure

WN

contre

Santander Bank Polska S.A.,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu-Matei, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre du litige opposant WN à Santander Bank Polska S.A., un établissement bancaire, au sujet du remboursement de sommes versées à cette dernière au titre d’un contrat de prêt hypothécaire devant être annulé au motif qu’il contient des clauses abusives.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 est ainsi libellé :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4        L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 Le droit polonais

5        L’article 496 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. no 16, position 93), dans sa version applicable au litige au principal, énonce :

« Si, à la suite de la rétractation du contrat, les parties doivent restituer des contreparties, chacune d’elles dispose d’un droit de rétention jusqu’à ce que l’autre partie offre de restituer la prestation obtenue ou garantisse le droit à restitution. »

6        L’article 497 de ce code est rédigé comme suit :

« L’article précédent s’applique mutatis mutandis en cas de résiliation ou d’annulation du contrat. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

7        Le 17 octobre 2008, WN et ses parents ont conclu avec Santander Bank Polska un contrat de prêt hypothécaire d’une durée de 360 mois, indexé sur le franc suisse (CHF) et portant sur un montant de 230 000 zlotys polonais (PLN) (environ 52 404 euros), assorti d’intérêts à un taux variable (ci-après le « contrat de prêt hypothécaire »). Les clauses de ce contrat prévoyaient que les mensualités de remboursement de ce prêt devaient être acquittées en zlotys polonais après conversion en application du cours de vente du franc suisse en vigueur le jour du paiement de la mensualité concernée, conformément au tableau des cours des devises étrangères de Santander Bank Polska. À la suite de la conclusion d’un avenant audit contrat, le 25 juin 2012, WN et ses parents ont obtenu la possibilité de payer ces mensualités directement en francs suisses.

8        Durant la période allant du 17 octobre 2008 au 20 mars 2018, WN a payé les montants de 59 219,30 PLN (environ 13 532 euros) et de 20 514,68 CHF (environ 21 832 euros) en remboursement de ce prêt.

9        Par une lettre du 17 octobre 2018, WN a informé Santander Bank Polska qu’il considérait que certaines clauses du contrat de prêt hypothécaire étaient abusives et demandé, en conséquence, à cette banque de recalculer le solde du prêt, estimant que Santander Bank Polska lui était redevable, premièrement, d’un montant de 19 194,25 PLN (environ 4 412 euros), correspondant à des versements excédentaires effectués au cours de la période allant du 17 octobre 2008 au 22 octobre 2012, deuxièmement, d’un montant de 20 514,68 CHF (environ 21 832 euros), correspondant à des sommes indument prélevées au cours de la période allant du 20 novembre 2012 au 20 mars 2018, et, troisièmement, d’un montant de 1 900,50 PLN (environ 437 euros), au titre du paiement indu d’une commission pour le risque lié à l’octroi d’un prêt sans sûreté.

10      Santander Bank Polska a rejeté la demande de WN.

11      WN a introduit un recours devant le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, par lequel il a demandé que Santander Bank Polska soit condamnée à lui verser, à titre principal, les sommes de 13 085,31 PLN (environ 2 989 euros) et de 20 514,68 CHF (environ 21 832 euros), majorées des intérêts moratoires au taux légal, et, à titre subsidiaire, la somme de 24 586,19 PLN (environ 5 617 euros), majorée des intérêts moratoires au taux légal.

12      Santander Bank Polska a conclu au rejet du recours de WN et a invoqué, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le contrat de prêt hypothécaire serait annulé, la compensation des créances dont WN demande le paiement avec, d’une part, sa propre créance portant sur le remboursement du capital prêté, à savoir un montant de 230 000 PLN, et, d’autre part, le montant qu’elle prétend lui être dû par WN à titre de rémunération pour l’utilisation de ce capital, soit 86 251,40 PLN (environ 19 823 euros). À titre encore plus subsidiaire, dans l’hypothèse où sa demande de compensation serait rejetée, cette banque a soulevé une exception de rétention à concurrence de ces deux montants.

13      Le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) expose que le droit de rétention suppose une déclaration de volonté unilatérale qui a pour effet de suspendre l’effectivité de la demande de l’autre partie, de telle sorte que la créance de cette dernière ne devient pas exigible et que sa demande d’exécution reste sans effets. Lorsqu’une telle exception est accueillie dans le cadre d’une action en restitution intentée par un consommateur contre un établissement bancaire, le jugement condamnant cet établissement à effectuer un paiement en faveur de ce consommateur ne doit pas être exécuté tant que ce dernier n’offre pas de restituer la prestation obtenue dudit établissement ou ne garantit pas la restitution de celle-ci.

14      Cette juridiction indique que le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) a, dans ses résolutions du 16 février 2021 et du 7 mai 2021, admis que le droit de rétention puisse être invoqué dans le contexte de l’annulation, dans son intégralité, d’un contrat de prêt hypothécaire en raison du fait que celui-ci contient des clauses abusives, afin de permettre à l’établissement bancaire concerné d’éviter les risques d’insolvabilité du consommateur.

15      La juridiction de renvoi précise que, du fait de l’exercice de ce droit de rétention, le consommateur concerné n’obtiendra pas la restitution des prestations qu’il a versées à cet établissement bancaire en vertu d’une clause contractuelle abusive tant qu’il n’aura pas offert de rembourser l’intégralité de la contrepartie qui lui a été fournie par ce dernier et qu’il est indifférent, à cet égard, de savoir si, et dans quelle mesure, le prêt en cause a déjà été remboursé par ce consommateur. Cette juridiction considère qu’il peut être difficile, pour celui-ci, de réunir les sommes nécessaires afin de restituer ou de garantir la restitution de la prestation due audit établissement, étant donné que les contrats de prêt hypothécaire portent sur des sommes élevées et qu’ils sont conclus à moyen ou à long terme.

16      De ce fait, le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) estime que l’accueil d’une exception de rétention dans des affaires portant sur des créances découlant de contrats de crédit entraîne une charge excessive pour les consommateurs concernés et suscite des doutes sérieux tant au regard du principe selon lequel les clauses contractuelles abusives ne lient pas le consommateur que du principe de protection effective du consommateur.

17      Dans la mesure où, en cas d’utilisation de telles clauses contractuelles, la sanction fondamentale est l’obligation, pour le professionnel concerné, de restituer la prestation et les avantages qu’il a obtenus au détriment du consommateur sur la base de ces clauses, cette juridiction estime que l’effectivité de cette sanction serait compromise s’il était admis qu’une exception de rétention permette de différer la mise en œuvre de l’effet restitutoire lié à la constatation du caractère abusif desdites clauses.

18      Le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) observe que, compte tenu du fait que le droit de rétention porte sur l’intégralité de la prestation dont la restitution est demandée par l’établissement bancaire, sans que les sommes remboursées au titre du contrat concerné par le consommateur soient prises en compte, ce dernier ne peut pas compter sur l’exécution rapide d’un jugement qui serait prononcé en sa faveur et doit, par ailleurs, réunir une somme importante, correspondant au capital prêté, ou, à tout le moins, en garantir la restitution, outre qu’il est possible que cette somme soit supérieure à celle restant due au titre du prêt en cause. Or, selon cette juridiction, de tels effets de la mise en œuvre du droit de rétention ne sont pas compatibles avec l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par la directive 93/13.

19      Par ailleurs, ladite juridiction relève que les établissements bancaires disposent d’autres moyens afin de garantir le paiement des sommes qu’ils considèrent dues par les consommateurs, tels que l’exception de compensation ou la garantie de la créance par voie d’une nouvelle hypothèque sur un bien immobilier déjà grevé d’une hypothèque garantissant le contrat frappé de nullité.

20      La juridiction de renvoi souligne que l’invocation du droit de rétention par un établissement bancaire a également pour effet de faire cesser l’état de retard de cet établissement, de telle sorte que le consommateur concerné perd le droit aux intérêts de retard. Cette juridiction précise que, en fonction de la position adoptée par la juridiction nationale saisie, cet état de retard cesse soit entièrement (dans l’hypothèse où il serait attribué à l’exception de rétention un effet rétroactif), soit au moment où ledit établissement invoque le droit de rétention.

21      Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens que, eu égard au principe qui veut que les consommateurs ne soient pas liés par les clauses contractuelles abusives (article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13) et au principe de protection effective des consommateurs (article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13), ces dispositions s’opposent à une jurisprudence nationale qui permet de différer la possibilité, pour le consommateur, de mettre à exécution les effets restitutoires de la constatation du caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu avec ce consommateur par un professionnel en ce qu’elle subordonne l’exécution de la prestation que le professionnel est condamné à fournir au consommateur à l’offre concomitante du consommateur de restituer la prestation obtenue ou à la garantie par ce dernier du droit à restitution du professionnel ? »

 La procédure devant la Cour

22      Par une décision du président de la Cour du 26 juillet 2022, la procédure dans la présente affaire a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat) (C‑520/21, EU:C:2023:478).

23      Par une lettre du 19 juin 2023, le greffe de la Cour a communiqué cet arrêt à la juridiction de renvoi et l’a invitée à lui indiquer si, à la lumière de celui-ci, elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

24      Par une lettre du 28 juin 2023, cette juridiction a informé la Cour qu’elle entendait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

25      Par une décision du président de la Cour du 30 juin 2023, la procédure dans la présente affaire a de nouveau été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt du 14 décembre 2023, Getin Noble Bank (Délai de prescription des actions en restitution) (C‑28/22, EU:C:2023:992).

26      Par une lettre du 14 décembre 2023, le greffe de la Cour a communiqué cet arrêt à la juridiction de renvoi et l’a invitée à lui indiquer si, à la lumière de celui-ci, elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

27      Par une lettre du 2 janvier 2024, cette juridiction a informé la Cour qu’elle entendait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

 Sur la question préjudicielle

28      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence.

29      Il convient également de rappeler que la coopération judiciaire instaurée par l’article 267 TFUE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. D’une part, la Cour est habilitée non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 201 ainsi que jurisprudence citée). D’autre part, conformément au point 11 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), il revient aux juridictions nationales de tirer, dans le litige pendant devant elles, les conséquences concrètes des éléments d’interprétation fournis par la Cour.

30      En l’occurrence, en dépit de la position exprimée par la juridiction de renvoi, la Cour estime que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi peut être clairement déduite des arrêts du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat) (C‑520/21, EU:C:2023:478), et du 14 décembre 2023, Getin Noble Bank (Délai de prescription des actions en restitution) (C‑28/22, EU:C:2023:992).

31      Ainsi qu’il ressort du point 29 de la présente ordonnance, il reviendra à la juridiction de renvoi de tirer les conséquences concrètes, dans le litige au principal, des éléments d’interprétation découlant de cette jurisprudence de la Cour.

32      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, dans le contexte de l’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, en raison du caractère abusif de certaines clauses de ce contrat, l’invocation, par cet établissement, d’un droit de rétention conduit à subordonner la possibilité, pour ce consommateur, d’obtenir le paiement des sommes auquel ledit établissement est condamné en vertu des effets restitutoires de la constatation du caractère abusif de ces clauses à l’offre concomitante dudit consommateur de restituer ou de garantir la restitution de l’intégralité de la prestation qu’il a obtenue du même établissement au titre dudit contrat, indépendamment des remboursements déjà effectués en exécution de celui-ci.

33      À cet égard, la Cour a notamment jugé dans l’arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat) (C‑520/21, EU:C:2023:478) :

« 58      [...] l’obligation pour le juge national d’écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes, dans la mesure où l’absence d’un tel effet serait susceptible de méconnaître l’effet dissuasif que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, entend attacher au constat du caractère abusif des clauses contenues dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, points 62 et 63).

59      Il convient, également, de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 exige que les États membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs “dans les conditions fixées par leurs droits nationaux” (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

60      Toutefois, l’encadrement par le droit national de la protection garantie aux consommateurs par la directive 93/13 ne saurait modifier l’étendue et, partant, la substance de cette protection, et par là même remettre en cause le renforcement de l’efficacité de ladite protection par l’adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives, qui a été voulu par le législateur de l’Union, ainsi qu’il est indiqué au dixième considérant de la directive 93/13 (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 65).

61      Par conséquent, s’il appartient aux États membres, au moyen de leur droit national, de définir les modalités dans le cadre desquelles le constat du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat est établi et les effets juridiques concrets de ce constat sont matérialisés, il n’en demeure pas moins qu’un tel constat doit permettre de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de cette clause abusive, notamment en fondant un droit à restitution des avantages indûment acquis, à son détriment, par le professionnel sur le fondement de ladite clause abusive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 66). »

34      En l’occurrence, il découle de la décision de renvoi que, conformément à l’interprétation jurisprudentielle du droit polonais mentionnée par la juridiction de renvoi, les mensualités de remboursement du prêt déjà payées par WN en vertu du contrat de prêt hypothécaire ne seraient pas prises en compte aux fins du calcul de la somme qui devrait être payée ou garantie par celui-ci à Santander Bank Polska par suite de l’invocation, par cette dernière, d’un droit de rétention. Partant, ce consommateur serait tenu au paiement d’une somme importante, susceptible de dépasser ses capacités financières, de telle sorte qu’il pourrait être plus avantageux pour lui de poursuivre l’exécution de ce contrat plutôt que d’exercer les droits qu’il tire de la directive 93/13, en violation des dispositions de cette directive telles qu’interprétées par la jurisprudence rappelée au point précédent.

35      Par ailleurs, dans la mesure où il ressort de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour que le droit de rétention invoqué par Santander Bank Polska porte également sur la créance que cette banque fait valoir concernant la rémunération à laquelle elle prétend au titre de l’utilisation du capital par WN, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat) (C‑520/21, EU:C:2023:478), la Cour a également jugé ce qui suit :

« 78      [...] une interprétation du droit national selon laquelle l’établissement de crédit aurait le droit de demander au consommateur une compensation allant au-delà du remboursement du capital versé au titre de l’exécution de ce contrat et, partant, de recevoir une rémunération pour l’utilisation de ce capital par le consommateur, contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par l’annulation dudit contrat.

79      Par ailleurs, l’effectivité de la protection conférée aux consommateurs par la directive 93/13 serait compromise si ceux-ci étaient, lorsqu’ils invoquent leurs droits tirés de cette directive, exposés au risque de devoir payer une telle compensation. [...] [U]ne telle interprétation risquerait de créer des situations dans lesquelles il serait plus avantageux, pour le consommateur, de poursuivre l’exécution du contrat comportant une clause abusive plutôt que d’exercer les droits qu’il tire de ladite directive.

[...]

81      À cet égard, en premier lieu, conformément au principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude), il ne saurait être admis ni qu’une partie tire des avantages économiques de son comportement illicite ni que celle-ci soit indemnisée pour les désavantages provoqués par un tel comportement.

[...]

85      [En conséquence], dans le contexte de l’annulation dans son intégralité d’un contrat de prêt hypothécaire au motif que celui-ci ne peut pas subsister après la suppression des clauses abusives, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que :

–        [...]

–        ils s’opposent à une interprétation [...] du droit national selon laquelle l’établissement de crédit a le droit de demander au consommateur une compensation allant au-delà du remboursement du capital versé au titre de l’exécution de ce contrat ainsi que du paiement des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure. »

36      Enfin, dans la mesure où il ressort également de la décision de renvoi que l’accueil de l’exception de rétention invoquée par Santander Bank Polska porterait atteinte au droit, pour WN, d’obtenir des intérêts de retard, il convient de rappeler que la Cour a notamment jugé ce qui suit dans l’arrêt du 14 décembre 2023, Getin Noble Bank (Délai de prescription des actions en restitution) (C‑28/22, EU:C:2023:992) :

« 86      [...] l’effectivité de la protection conférée aux consommateurs par la directive 93/13 serait compromise si ceux-ci, lorsqu’ils invoquent les droits qu’ils tirent de cette directive, étaient exposés au risque de ne pas obtenir des intérêts de retard sur les sommes qui doivent leur être restituées en raison de l’invalidité d’un tel contrat à partir de l’expiration du délai imparti au professionnel pour s’exécuter, après que ce professionnel a reçu une invitation à restituer ces sommes.

87      [Dès lors,] l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, lorsqu’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un professionnel ne peut plus rester contraignant après la suppression des clauses abusives figurant dans ce contrat, ce professionnel peut invoquer un droit de rétention lui permettant de subordonner la restitution des prestations qu’il a reçues de ce consommateur à la présentation, par ce dernier, d’une offre de restituer les prestations qu’il a lui-même reçues dudit professionnel ou d’une garantie portant sur la restitution de ces dernières prestations, lorsque l’exercice, par le même professionnel, de ce droit de rétention entraîne la perte, pour ledit consommateur, du droit d’obtenir des intérêts de retard à partir de l’expiration du délai imparti au professionnel concerné pour s’exécuter, après que celui-ci a reçu l’invitation à restituer les prestations qui lui avaient été payées en exécution dudit contrat. »

37      En conséquence, dès lors que, dans l’hypothèse où le droit de rétention de Santander Bank Polska serait invoqué avec succès, l’état de retard de cet établissement bancaire cesserait, de telle sorte que WN perdrait, en tout ou en partie, le droit d’obtenir des intérêts de retard à compter de la mise en demeure adressée audit établissement, il y a lieu de constater qu’admettre une telle possibilité compromettrait tant l’effectivité de la protection conférée aux consommateurs par la directive 93/13 que l’effet dissuasif poursuivi par celle-ci.

38      Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, dans le contexte de l’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, en raison du caractère abusif de certaines clauses de ce contrat, l’invocation, par cet établissement, d’un droit de rétention conduit à subordonner la possibilité, pour ce consommateur, d’obtenir le paiement des sommes auquel ledit établissement est condamné en vertu des effets restitutoires de la constatation du caractère abusif de ces clauses à l’offre concomitante dudit consommateur de restituer ou de garantir la restitution de l’intégralité de la prestation qu’il a obtenue du même établissement au titre dudit contrat, indépendamment des remboursements déjà effectués en exécution de celui-ci.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle du droit national selon laquelle, dans le contexte de l’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire conclu avec un consommateur par un établissement bancaire, en raison du caractère abusif de certaines clauses de ce contrat, l’invocation, par cet établissement, d’un droit de rétention conduit à subordonner la possibilité, pour ce consommateur, d’obtenir le paiement des sommes auquel ledit établissement est condamné en vertu des effets restitutoires de la constatation du caractère abusif de ces clauses à l’offre concomitante dudit consommateur de restituer ou de garantir la restitution de l’intégralité de la prestation qu’il a obtenue du même établissement au titre dudit contrat, indépendamment des remboursements déjà effectués en exécution de celui-ci.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.

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