CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 15 décembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑204/21

Commission européenne

contre

République de Pologne

« Article 258 TFUE – Manquement d’État – Régime disciplinaire des juges – État de droit – Indépendance des juges – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 267 TFUE – Contrôle du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial – Compétence exclusive de l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Indépendance de l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême) – Droit au respect de la vie privée – Droit à la protection des données à caractère personnel – Règlement (UE) 2016/679 »

Table des matières

 

I. Portée du recours

 

II. Le cadre juridique – Le droit polonais

 

A. La loi modifiée sur la Cour suprême

 

B. La loi modifiée relative aux juridictions de droit commun

 

C. La loi modifiée relative aux juridictions administratives

 

D. La loi modificative – Dispositions transitoires

 

III. La procédure précontentieuse

 

IV. La procédure devant la Cour

 

V. Le cadre juridique

 

VI. Appréciation juridique

 

A. Sur le deuxième grief – La compétence exclusive de la chambre extraordinaire pour examiner les griefs et les questions de droit tirés de l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge

 

1. Arguments des parties

 

2. Analyse

 

a) Recevabilité

 

b) Sur le fond

 

B. Sur le premier grief – L’interdiction faite aux juridictions nationales de vérifier le respect de l’exigence de l’Union relative au droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi

 

1. Arguments des parties

 

2. Analyse

 

a) Recevabilité

 

b) Sur le fond

 

1) Observations liminaires sur la portée des premier et deuxième griefs de la Commission

 

2) Sur le droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi

 

C. Sur le troisième grief – La qualification d’« infraction disciplinaire » de l’examen du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi

 

1. Arguments des parties

 

2. Analyse

 

a) Observations liminaires sur la portée des deuxième et troisième griefs de la Commission

 

b) La procédure disciplinaire

 

D. Sur le quatrième grief – La compétence de la chambre disciplinaire pour connaître des affaires ayant une incidence directe sur le statut des juges et des juges auxiliaires et l’exercice de leurs fonctions

 

1. Arguments des parties

 

2. Analyse

 

E. Sur le cinquième grief – La violation du droit fondamental des juges au respect de leur vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel

 

1. Arguments des parties

 

2. Analyse

 

VII. Sur les dépens

 

VIII. Conclusion

I. Portée du recours

1.

Le présent recours en manquement introduit au titre de l’article 258 TFUE résulte de l’adoption, le 20 décembre 2019, par la République de Pologne de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois) ( 2 ). En substance, la Commission européenne soutient que certaines dispositions de la loi modificative enfreignent les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’article 267 TFUE, le principe de primauté du droit de l’Union, ainsi que le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que par l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ( 3 ).

2.

Dans la requête, la Commission formule cinq griefs.

3.

Les trois premiers griefs, qui sont liés, sont tirés de ce que la loi modificative limite, voire exclut, la possibilité pour une juridiction nationale de garantir aux justiciables se prévalant de droits qu’ils tirent du droit de l’Union l’accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, enfreignant ainsi les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, et l’article 267 TFUE. Les deux premiers griefs sont également tirés de ce que la loi modificative viole le principe de primauté. Dans les affaires relatives à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union, les États membres sont tenus d’assurer le respect du droit fondamental à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Lorsqu’ils considèrent que ce droit a été violé, les justiciables doivent, en principe, pouvoir introduire un recours devant une juridiction nationale. Dès lors, dans les affaires relatives aux droits individuels tirés du droit de l’Union, toute juridiction nationale doit pouvoir vérifier si le droit des justiciables à voir leur cause entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, a été violé. Toute limitation ou exclusion de la possibilité pour une juridiction nationale de s’assurer que les justiciables se prévalant de droits qu’ils tirent du droit de l’Union ont accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, constitue un manquement aux obligations découlant des dispositions précitées ( 4 ).

4.

Le quatrième grief concerne la compétence que la loi modificative a conférée à l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire, ci-après la « chambre disciplinaire ») du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne, ci-après la « Cour suprême ») pour connaître des questions relatives au statut des juges. La Commission soutient que, dès lors que la chambre disciplinaire ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité des juges, la loi en cause affecte l’indépendance des juges dont le statut est soumis au contrôle de la chambre disciplinaire et viole ainsi l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

5.

Le cinquième grief a trait à l’obligation, que la loi modificative impose aux juges, de communiquer des informations relatives à leurs activités publiques et sociales au sein d’associations et fondations sans but lucratif, en ce compris l’appartenance à un parti politique avant leur nomination, et prévoit la publication de ces informations. La Commission considère que ces obligations sont disproportionnées et violent le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel, garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que par l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

II. Le cadre juridique – Le droit polonais

A. La loi modifiée sur la Cour suprême

6.

L’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 ( 5 ), a institué deux nouvelles chambres au sein de la Cour suprême : la chambre disciplinaire et l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, ci-après la « chambre extraordinaire »).

7.

À toutes fins utiles pour la présente procédure, la loi modificative a modifié la loi sur la Cour suprême en insérant des paragraphes 2 à 6 à l’article 26 ; un point 1a à l’article 27, paragraphe 1 ; un paragraphe 3 à l’article 45 ; des paragraphes 2 à 5 à l’article 82, et en modifiant l’article 29 et l’article 72, paragraphe 1.

8.

L’article 26, paragraphes 2 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême dispose :

« 2.   La [chambre extraordinaire] est compétente pour connaître des demandes ou déclarations concernant la récusation d’un juge ou la désignation de la juridiction devant laquelle une procédure doit être menée, y compris les griefs tirés de l’absence d’indépendance de la juridiction ou du juge. La juridiction saisie de l’affaire envoie immédiatement une demande au président de la [chambre extraordinaire] afin que celle-ci soit traitée conformément aux règles fixées par des dispositions distinctes. La présentation d’une demande au président de la [chambre extraordinaire] ne suspend pas la procédure en cours.

3.   La demande visée au paragraphe 2 n’est pas examinée si elle concerne la constatation ou l’appréciation de la légalité de la nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles.

4.   La [chambre extraordinaire] est compétente pour connaître des recours tendant à faire constater l’illégalité de jugements ou arrêts définitifs de la [Cour suprême], des juridictions de droit commun, des juridictions militaires et des juridictions administratives, y compris le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne, ci-après la “Cour suprême administrative”)], si l’illégalité consiste à remettre en cause le statut de la personne nommée à un poste de juge qui a statué dans l’affaire.

5.   Les dispositions relatives au constat d’illégalité d’un jugement définitif s’appliquent mutatis mutandis à la procédure dans les affaires visées au paragraphe 4, et les dispositions relatives à la réouverture d’une procédure juridictionnelle close par un jugement définitif s’appliquent aux affaires pénales. Il n’est pas nécessaire d’établir prima facie la vraisemblance ou la survenance d’un préjudice causé par le prononcé du jugement faisant l’objet du recours.

6.   Un recours tendant à faire constater l’illégalité d’un jugement définitif, visé au paragraphe 4, peut être introduit devant la [chambre extraordinaire] sans passer par la juridiction qui a rendu le jugement attaqué, même lorsqu’une partie n’a pas épuisé les voies de recours à sa disposition, y compris le recours extraordinaire devant [la Cour suprême]. »

9.

L’article 27, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême dispose :

« Relèvent de la compétence de la chambre disciplinaire :

[...]

1a)

les affaires relatives à l’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges, les juges auxiliaires, les procureurs et les procureurs auxiliaires, ou de les placer en détention provisoire ;

2)

les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges [de la Cour suprême] ;

3)

les affaires relatives à la mise à la retraite d’un juge [de la Cour suprême]. »

10.

L’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême dispose :

« 2.   Dans le cadre des activités [de la Cour suprême] ou de ses organes, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des tribunaux et des cours, des organes constitutionnels de l’État ou des organes de contrôle et de protection du droit.

3.   [La Cour suprême] ou un autre organe du pouvoir ne peut pas constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer les fonctions juridictionnelles qui en découle. »

11.

L’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême dispose :

« La déclaration visée à l’article 88 a de la [loi modifiée relative aux juridictions de droit commun] est soumise par les juges de la [Cour suprême] au premier président de la [Cour suprême] et par le premier président de la [Cour suprême] à la [Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, ci-après la “KRS”] ».

12.

En vertu de l’article 72, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême :

« Un juge de [la Cour suprême] répond, sur le plan disciplinaire, des manquements professionnels (fautes disciplinaires), y compris en cas :

1)

de violation manifeste et flagrante des règles de droit ;

2)

d’actes ou omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire ;

3)

d’actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne. »

13.

Conformément à l’article 73, paragraphe 1, de ladite loi, la chambre disciplinaire est la juridiction disciplinaire de deuxième (et dernière) instance pour les juges des juridictions de droit commun, et la juridiction disciplinaire de première et de deuxième instance pour les juges de la Cour suprême.

14.

L’article 82 de la loi modifiée sur la Cour suprême prévoit ce qui suit :

« [...]

2.   Lorsqu’[elle] examine une affaire dans laquelle se pose une question de droit relative à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction, [la Cour suprême] sursoit à statuer et défère cette question à une formation constituée de l’ensemble des membres de la [chambre extraordinaire].

3.   Si, lors de l’examen d’une demande visée à l’article 26, paragraphe 2, [la Cour suprême] nourrit des doutes sérieux quant à l’interprétation des dispositions juridiques qui doivent fonder la décision, [elle] peut surseoir à statuer et déférer une question de droit à une formation constituée de l’ensemble des membres de la [chambre extraordinaire].

4.   Lorsqu’elle adopte une décision visée au paragraphe 2 ou 3, la [chambre extraordinaire] n’est pas liée par la décision d’une autre formation de jugement de [la Cour suprême], sauf si celle-ci a acquis force de principe juridique.

5.   Une décision adoptée par l’ensemble des membres de la [chambre extraordinaire] sur la base du paragraphe 2 ou 3 est contraignante pour l’ensemble des formations de [la Cour suprême]. Tout écart par rapport à une décision ayant acquis force de principe juridique requiert qu’il soit de nouveau statué par voie de décision de l’assemblée plénière de [la Cour suprême], l’adoption de cette décision requérant la présence d’au moins deux tiers des juges de chacune des chambres. L’article 88 ne s’applique pas. »

B. La loi modifiée relative aux juridictions de droit commun

15.

La loi modificative a modifié l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 ( 6 ) (ci-après la « loi modifiée relative aux juridictions de droit commun »), notamment en insérant un article 42 a et un paragraphe 4 à l’article 55, ainsi qu’en modifiant l’article 107, paragraphe 1, et l’article 110, paragraphe 2 a.

16.

L’article 42 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun est libellé comme suit :

« 1.   Dans le cadre des activités des juridictions ou des organes des juridictions, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des tribunaux et des cours, des organes constitutionnels de l’État ou des organes de contrôle et de protection du droit.

2.   Une juridiction de droit commun ou un autre organe du pouvoir ne peut pas constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer les fonctions juridictionnelles qui en découle.

[...] »

17.

L’article 55, paragraphe 4, de cette loi prévoit :

« Les juges peuvent statuer sur toutes les affaires dans leur lieu d’affectation ainsi que dans d’autres juridictions dans les cas définis par la loi (compétence du juge). Les dispositions relatives à l’attribution des affaires ainsi qu’à la désignation et à la modification des formations de jugement ne limitent pas la compétence d’un juge et ne peuvent être invoquées pour constater qu’une formation de jugement est contraire à la loi, qu’une juridiction est inadéquatement pourvue ou qu’une personne qui n’est pas habilitée ou compétente pour statuer en fait partie. »

18.

En vertu de l’article 88 a de ladite loi, tous les juges polonais ( 7 ) doivent divulguer certaines informations qui sont ensuite rendues publiques dans le Biuletyn informacji publicznej (Bulletin d’information publique) :

« 1.   Un juge est tenu de déposer une déclaration écrite indiquant :

1)

son appartenance à une association, avec mention du nom et du siège de l’association, des fonctions exercées et de la période d’affiliation ;

2)

la fonction exercée dans une instance d’une fondation sans but lucratif, avec mention du nom et du siège de la fondation et de la période pendant laquelle la fonction a été exercée ;

3)

son appartenance à un parti politique avant sa nomination à un poste de juge et pendant l’exercice de son mandat avant la date du 29 décembre 1989, avec mention du nom du parti, des fonctions exercées et de la période d’affiliation.

2.   Les déclarations visées au paragraphe 1 sont soumises par les juges au président de la cour d’appel compétente et par les présidents des cours d’appel au [Minister Sprawiedliwości (ministre de la Justice)].

3.   Les déclarations visées au paragraphe 1 sont soumises dans un délai de 30 jours à compter de la date d’entrée en fonction du juge et dans un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle se produisent les circonstances visées au paragraphe 1.

4.   Les informations contenues dans les déclarations visées au paragraphe 1 sont publiques et publiées dans le Bulletin d’information publique visé dans la loi du 6 septembre 2001 sur l’accès à l’information publique, au plus tard 30 jours à compter de la date à laquelle la déclaration est soumise à l’instance habilitée. »

19.

Aux termes de l’article 107, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun :

« Un juge répond, sur le plan disciplinaire, des manquements professionnels (fautes disciplinaires), y compris en cas :

[...]

2)

d’actes ou omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire ;

3)

d’actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne ;

[...] »

20.

L’article 110, paragraphe 2 a, de cette loi dispose :

« La juridiction disciplinaire dans le ressort de laquelle le juge faisant l’objet de la procédure exerce ses fonctions est territorialement compétente pour connaître des affaires visées à l’article 37, paragraphe 5, et à l’article 75, paragraphe 2, point 3. Dans les affaires visées à l’article 80 et à l’article 106zd, la juridiction compétente en première instance est [la Cour suprême] en formation à juge unique de la chambre disciplinaire et, en deuxième instance, [la Cour suprême] en formation à trois juges de la chambre disciplinaire. »

C. La loi modifiée relative aux juridictions administratives

21.

La loi modificative a modifié la loi relative à l’organisation des juridictions administratives ( 8 ) (ci-après la « loi modifiée relative aux juridictions administratives ») notamment en insérant des paragraphes 1a et 1b à l’article 5 et un paragraphe 2 à l’article 8, ainsi qu’en modifiant l’article 29, paragraphe 1, et l’article 49, paragraphe 1.

22.

L’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives dispose :

« 1a.   Dans le cadre des activités d’une juridiction administrative ou de ses organes, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des tribunaux et des cours, des organes constitutionnels de l’État ou des organes de contrôle et de protection du droit.

1b.   Une juridiction administrative ou un autre organe du pouvoir ne peut pas constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer les fonctions juridictionnelles qui en découle. »

23.

L’article 8, paragraphe 2, de cette loi dispose :

« La déclaration visée à l’article 88 a de la [loi modifiée relative aux juridictions de droit commun] est transmise par les juges d’un [Wojewódzki Sąd Administracyjny (tribunal administratif de voïvodie, Pologne)] au président compétent d’un tribunal administratif régional, par le président d’un tribunal administratif régional et par les juges de [la Cour suprême administrative] au président de [la Cour suprême administrative], et par le président de [la Cour suprême administrative] à la [KRS]. »

24.

En vertu de l’article 29, paragraphe 1, de cette loi, les infractions disciplinaires prévues à l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun sont applicables également en ce qui concerne les juges des juridictions administratives.

25.

Conformément à l’article 49, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, les infractions disciplinaires prévues à l’article 72, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême sont applicables également en ce qui concerne les juges de la Cour suprême administrative.

D. La loi modificative – Dispositions transitoires

26.

Conformément à l’article 8 de la loi modificative, l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun s’applique aux affaires ouvertes ou clôturées avant la date d’entrée en vigueur de la loi modificative, soit le 14 février 2020.

27.

Aux termes de l’article 10 de la loi modificative :

« 1.   Les dispositions de la [loi sur la Cour suprême], dans la version résultant de la présente loi, s’appliquent également aux affaires soumises à l’examen de la [chambre extraordinaire] qui ont été introduites et n’ont pas été clôturées par un jugement définitif, y compris une décision, avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

2.   La juridiction saisie d’une affaire visée au paragraphe 1 renvoie celle-ci sans délai, et au plus tard sept jours après l’entrée en vigueur de la présente loi, à la [chambre extraordinaire], qui peut révoquer les actes accomplis antérieurement dans la mesure où ils empêchent que l’examen de l’affaire se poursuive conformément à la loi.

3.   Les actes accomplis par les juridictions et par les parties ou les participants à la procédure dans les affaires visées au paragraphe 1 après la date d’entrée en vigueur de la présente loi en violation du paragraphe 2 ne produisent pas d’effets procéduraux. »

III. La procédure précontentieuse

28.

Estimant que, en ayant adopté la loi modificative, la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées énoncées au point 1 des présentes conclusions, la Commission a, le 29 avril 2020, adressé une lettre de mise en demeure à cet État membre. La République de Pologne a répondu par une lettre du 29 juin 2020, dans laquelle elle contestait toutes les allégations selon lesquelles elle avait violé le droit de l’Union.

29.

Le 30 octobre 2020, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle maintenait que la loi modificative méconnaissait les dispositions du droit de l’Union mentionnées dans la lettre de mise en demeure.

30.

Le 3 décembre 2020, la Commission a émis une lettre de mise en demeure complémentaire concernant l’activité juridictionnelle de la chambre disciplinaire dans des affaires relatives au statut des juges et des juges auxiliaires en vertu de l’article 27, paragraphe 1, points 1a, 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême.

31.

Dans sa réponse du 30 décembre 2020 à l’avis motivé de la Commission du 30 octobre 2020, la République de Pologne a contesté les manquements allégués. Le 4 janvier 2021, la République de Pologne a répondu à la lettre de mise en demeure complémentaire de la Commission du 3 décembre 2020, en faisant valoir que les griefs tirés du manque d’indépendance de la chambre disciplinaire n’étaient pas fondés.

32.

Le 27 janvier 2021, la Commission a émis un avis motivé complémentaire concernant l’activité juridictionnelle de la chambre disciplinaire dans les affaires relatives au statut des juges et des juges auxiliaires. Par une lettre du 26 février 2021, la République de Pologne a répondu que le grief formulé dans l’avis motivé complémentaire n’était pas fondé.

IV. La procédure devant la Cour

33.

Par une requête déposée le 1er avril 2021, la Commission a saisi la Cour du présent recours au titre de l’article 258 TFUE. La Commission demande à la Cour de constater cinq manquements :

« ‐

en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 42 a, paragraphes 1 et 2, et l’article 55, paragraphe 4, de [la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun], l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphes 2 et 3, de [la loi modifiée sur la Cour suprême], l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de [la loi modifiée relative aux juridictions administratives], ainsi que l’article 8 de la loi modificative, interdisant à toute juridiction nationale de vérifier le respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la [Charte], à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme [(ci-après la “Cour EDH”)] concernant l’article 6, paragraphe 1, de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la “CEDH”)], ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union ;

en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la [loi modifiée sur la Cour suprême], ainsi que l’article 10 de la loi modificative, établissant la compétence exclusive de [la chambre extraordinaire] pour examiner les griefs et questions de droit concernant l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la [Charte], ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union ;

en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la [loi modifiée relative aux juridictions de droit commun] et l’article 72, paragraphe 1, points 1 à 3, de la [loi modifiée sur la Cour suprême], permettant de qualifier d’“infraction disciplinaire” l’examen du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la [Charte] ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE ;

en habilitant la [chambre disciplinaire], dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, à statuer sur des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire (par exemple les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges et les juges auxiliaires ou de les arrêter, les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges de la Cour suprême ainsi que les affaires relatives à la mise à la retraite de juges de la Cour suprême), la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ;

en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 88 a de la [loi modifiée relative aux juridictions de droit commun], l’article 45, paragraphe 3, de la [loi modifiée sur la Cour suprême] et l’article 8, paragraphe 2, de la [loi modifiée relative aux juridictions administratives], la République de Pologne a enfreint le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la [Charte], ainsi que par l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du [RGPD] ».

34.

La Commission demande également la condamnation de la République de Pologne aux dépens.

35.

Dans le mémoire en défense, déposé le 17 juin 2021, la République de Pologne conclut à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter le présent recours dans son intégralité comme non fondé et de condamner la Commission aux dépens.

36.

La Commission et la République de Pologne ont déposé un mémoire en réplique et un mémoire en duplique, respectivement les 28 juillet 2021 et 7 septembre 2021.

37.

Par acte séparé, déposé le 1er avril 2021, la Commission a introduit une demande de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE, demandant à la Cour d’ordonner à la République de Pologne de surseoir à l’application de certaines dispositions introduites par la loi modificative dans l’attente de l’arrêt statuant sur le fond de la présente affaire.

38.

Par ordonnance du 14 juillet 2021 ( 9 ), la vice-présidente de la Cour a fait droit à la demande de mesures provisoires de la Commission jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à la présente instance et a réservé les dépens ( 10 ).

39.

Le 16 août 2021, considérant que l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) du 14 juillet 2021, rendu dans l’affaire P 7/20 [ci-après l’« arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), affaire P 7/20 »], constituait un changement de circonstances, la République de Pologne a demandé à la Cour de rapporter son ordonnance du 14 juillet 2021 en application de l’article 163 du règlement de procédure de la Cour. Cet État membre a également demandé que l’affaire soit renvoyée devant la grande chambre de la Cour ( 11 ).

40.

Par ordonnance du 6 octobre 2021 ( 12 ), la vice-présidente de la Cour a rejeté les demandes de la République de Pologne et a réservé les dépens. Dans cette ordonnance, la vice-présidente de la Cour a précisé que le principe de primauté du droit de l’Union impose à toutes les instances des États membres de donner plein effet aux normes de l’Union et que le droit des États membres ne saurait affecter l’effet reconnu à ces dispositions. En vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, qui est clair, précis et inconditionnel, tout État membre doit veiller à ce que les juridictions susceptibles de statuer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union satisfassent aux exigences d’une protection juridictionnelle effective. Les dispositions nationales concernant l’organisation de la justice dans les États membres peuvent faire l’objet d’un contrôle au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, dans le contexte d’un recours en manquement, ainsi que, par voie de conséquence, de mesures provisoires tendant, notamment, à la suspension desdites dispositions dans le même contexte. Le fait qu’une cour constitutionnelle nationale déclare que de telles mesures provisoires sont contraires à l’ordre constitutionnel de l’État membre concerné ne modifie en rien cette appréciation. Ainsi, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, un État membre ne saurait invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, pour porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union ( 13 ).

41.

Dans l’intervalle, le 7 septembre 2021, la Commission a fait valoir qu’il ne ressortait pas des informations fournies par la République de Pologne par lettre du 16 août 2021, que cette dernière avait adopté toutes les mesures nécessaires pour exécuter les mesures provisoires imposées par l’ordonnance du 14 juillet 2021. La Commission a fait valoir que, afin de garantir la pleine efficacité de cette ordonnance, l’application effective du droit de l’Union ainsi que le respect des principes de l’État de droit et de l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union, il était nécessaire que la Cour impose à la République de Pologne le paiement d’une astreinte journalière d’un montant susceptible d’inciter cet État membre à donner plein effet, dans les meilleurs délais, à ces mesures provisoires. La République de Pologne a soutenu qu’elle avait adopté toutes les mesures nécessaires à l’exécution de l’ordonnance du 14 juillet 2021.

42.

Par ordonnance du 27 octobre 2021 ( 14 ), le vice-président de la Cour a condamné la République de Pologne à payer à la Commission une astreinte d’un montant de 1000000 euros par jour, à compter de la date de la notification de cette ordonnance et jusqu’à ce que cet État membre se conforme aux obligations découlant de l’ordonnance du 14 juillet 2021 ou, à défaut, jusqu’au jour du prononcé de l’arrêt mettant fin à la présente instance, et a réservé les dépens.

43.

Par décision du président de la Cour du 30 septembre 2021, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède ont été admis à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Ces États membres ont présenté à la Cour des observations écrites.

44.

Par une décision du 7 octobre 2021, le président de la Cour a décidé de faire juger la présente affaire par priorité, en application de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

45.

Le 28 juin 2022, s’est tenue une audience au cours de laquelle le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par la Cour.

V. Le cadre juridique

46.

Afin de trancher les questions soulevées devant la Cour dans le cadre du présent recours en manquement, il convient de se référer aux principes juridiques bien établis suivants.

47.

L’Union est fondée sur des valeurs communes aux États membres dans une société caractérisée par la justice ( 15 ). La confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle ils partagent une série de valeurs communes. Il s’ensuit que le respect par un État membre des valeurs consacrées à l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre ( 16 ).

48.

Le respect de l’État de droit est l’une de ces valeurs communes, dont l’article 19, paragraphe 1, TUE est une expression concrète. Son second alinéa impose aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. L’article 47, deuxième alinéa, première phrase, de la Charte, qui reflète le principe général de protection juridictionnelle effective, prévoit également que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ( 17 ). Par ailleurs, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte ont un effet direct et confèrent aux particuliers des droits qu’ils peuvent invoquer devant les juridictions nationales ( 18 ).

49.

Il appartient aux États membres ( 19 ) de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer une protection juridictionnelle effective ( 20 ) dans les domaines couverts par le droit de l’Union dans lequel les juridictions relevant de ce système, qui sont susceptibles de se prononcer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective ( 21 ). Il appartient dès lors aux États membres de désigner les juridictions et/ou les institutions compétentes pour contrôler la validité des dispositions nationales et de prévoir les voies de recours et les procédures qui permettent de contester cette validité, et, lorsque le recours est fondé, d’annuler lesdites dispositions ainsi que, le cas échéant, de déterminer les effets d’une telle annulation ( 22 ). Sauf lorsqu’il en dispose autrement, le droit de l’Union n’impose aucun modèle juridictionnel particulier ( 23 ) aux États membres et ne leur impose pas non plus d’adopter un système de voies de recours spécifique, pour autant que les voies de recours disponibles respectent les principes d’équivalence et d’effectivité ( 24 ). Dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit de l’Union ( 25 ). Cette approche reflète les principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5 TUE ainsi que l’autonomie procédurale des États membres ( 26 ).

50.

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose à des dispositions nationales relatives à l’organisation de la justice qui réduisent la protection des valeurs de l’État de droit, notamment les garanties d’indépendance des juges. La Cour a par ailleurs jugé qu’un État membre ne saurait modifier sa législation de manière à réduire la protection de l’État de droit. Les États membres doivent dès lors s’abstenir d’adopter des règles qui portent atteinte à l’indépendance des juges ( 27 ).

51.

L’exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, est un élément constitutif du droit à une protection juridictionnelle effective, lequel fait à son tour partie du droit fondamental à un procès équitable consacré à l’article 47 de la Charte. Dans ce contexte, l’indépendance des juges des États membres revêt une importance fondamentale pour l’ordre juridique de l’Union ( 28 ).

52.

L’exigence d’indépendance des juges revêt deux aspects. Le premier, d’ordre externe, requiert que l’instance exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée des interventions ou des pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second aspect, d’ordre interne, rejoint la notion d’« impartialité ». Il vise à garantir, en ce qui concerne l’objet du litige, l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs. Cet aspect de l’indépendance exige que les juridictions soient objectives et n’aient aucun intérêt dans la solution du litige autre que la stricte application de la règle de droit ( 29 ).

53.

L’exigence d’impartialité revêt également deux aspects. D’une part, le tribunal doit être subjectivement impartial, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel. Leur impartialité personnelle est présumée jusqu’à preuve du contraire. D’autre part, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire qu’il doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime ( 30 ).

54.

Enfin, en exigeant que le tribunal soit « établi préalablement par la loi », l’article 47 de la Charte vise à assurer que l’organisation du système judiciaire soit régie par une loi adoptée par le pouvoir législatif d’une manière conforme aux règles encadrant l’exercice de sa compétence, évitant ainsi que cette organisation ne soit laissée à la discrétion du pouvoir exécutif. Cette exigence s’applique à la base légale de l’existence même du tribunal ainsi qu’à toute autre disposition du droit interne dont le non‑respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire en cause, telles que les dispositions régissant la composition de la formation de jugement ( 31 ).

55.

L’exigence que le tribunal soit établi par la loi n’est pas respectée lorsqu’une irrégularité commise lors de la nomination des juges ( 32 ) est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer une influence indue et ainsi porter atteinte à l’intégrité du processus de nomination. Tel est le cas lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire ( 33 ). Une telle irrégularité peut semer un doute légitime dans l’esprit des justiciables quant à l’indépendance ( 34 ) et à l’impartialité du ou des magistrats ainsi nommés.

56.

Les exigences d’indépendance, d’impartialité et d’établissement préalable par la loi sont intrinsèquement liées et se recoupent. Le non‑respect de l’une de ces exigences peut entraîner le non‑respect de l’une ou de toutes les autres ( 35 ).

57.

Les États membres, notamment leurs pouvoirs judiciaires, doivent protéger les droits que les justiciables tirent de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte de deux manières.

58.

D’une part, le droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, a pour corollaire que tout justiciable doit, en principe, avoir la possibilité de se prévaloir de ce droit ( 36 ). Par ailleurs, lorsque l’existence d’un tribunal indépendant et impartial est contestée pour un motif qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvu de sérieux ( 37 ), toute juridiction ( 38 ) a l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tel tribunal. Cette compétence est nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Un tel contrôle constitue donc une formalité substantielle dont le respect relève de l’ordre public et doit être vérifié à la demande des parties ou d’office ( 39 ). Dans des cas exceptionnels, les juridictions d’un État membre peuvent être amenées à apprécier si le droit fondamental d’une personne à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, a été violé dans un autre État membre ( 40 ).

59.

D’autre part, les juridictions doivent respecter le principe de primauté du droit de l’Union ( 41 ). Dans le cadre de leur compétence, les juridictions appelées à appliquer le droit de l’Union sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer le plein effet du droit de l’Union, en laissant au besoin inappliquée toute disposition ou jurisprudence nationale contraire au droit de l’Union ( 42 ). Afin d’écarter l’application d’une disposition de droit interne, le juge chargé, par le droit national, d’appliquer le droit de l’Union doit être en mesure d’apprécier et d’établir si une disposition de droit national est contraire au droit de l’Union. Conformément au principe de primauté du droit de l’Union ( 43 ), une distinction claire est faite entre l’exercice du pouvoir de laisser inappliquée, dans un cas particulier, une disposition de droit national jugée contraire au droit de l’Union et le pouvoir d’annuler une telle disposition, qui a pour effet de priver celle-ci de toute validité ( 44 ).

60.

S’agissant du rôle des constitutions nationales et des juridictions constitutionnelles nationales évoqué dans le mémoire en duplique ( 45 ), la Cour a jugé que l’Union est tenue de respecter l’identité nationale des États membres en vertu de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Le droit de l’Union n’impose pas aux États membres de choisir un modèle constitutionnel particulier. Toutefois, les ordres constitutionnels respectifs des États membres doivent garantir l’indépendance de leurs juridictions. Pour autant qu’une juridiction constitutionnelle puisse assurer une protection juridictionnelle effective, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que les juridictions de droit commun d’un État membre sont liées par une décision de la cour constitutionnelle de cet État membre jugeant une législation nationale conforme à la Constitution dudit État membre. Il ne saurait en aller de même lorsque l’application de ces règles nationales empêche ces juridictions de droit commun d’apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale que la cour constitutionnelle de cet État membre a jugée conforme à une disposition constitutionnelle nationale prévoyant la primauté du droit de l’Union. En vertu de ce dernier principe, un État membre ne saurait invoquer des dispositions de droit national, fussent‑elles d’ordre constitutionnel, pour porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union. Le principe de primauté du droit de l’Union s’impose à l’ensemble des organes d’un État membre et les dispositions internes, y compris constitutionnelles, ne sauraient y faire obstacle. Il appartient à la Cour, dans l’exercice de sa compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive du droit de l’Union, de préciser la portée du principe de primauté du droit de l’Union ( 46 ).

61.

Dans les présentes conclusions, je commencerai par examiner le deuxième grief formulé par la Commission, tiré du monopole de juridiction allégué pour connaître des questions relatives à l’absence d’indépendance d’une juridiction et ainsi déterminer le droit d’accéder à une juridiction indépendante. Ce grief a une portée moins large que le premier, qui a trait au droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte. En outre, la décision proposée en ce qui concerne le deuxième grief est susceptible d’avoir des conséquences sur celle à adopter en ce qui concerne le premier grief.

VI. Appréciation juridique

A. Sur le deuxième grief – La compétence exclusive de la chambre extraordinaire pour examiner les griefs et les questions de droit tirés de l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge

1.   Arguments des parties

62.

Par son deuxième grief, la Commission soutient que, en attribuant à la chambre extraordinaire la compétence exclusive pour statuer sur les griefs et les questions de droit tirés de l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, ainsi que de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union. Ce grief porte sur l’adoption et le maintien en vigueur de l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, ainsi que de l’article 82, paragraphe 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, et de l’article 10 de la loi modificative.

63.

Lors de l’audience, la Commission a confirmé qu’elle considère que la chambre extraordinaire dispose d’une compétence exclusive pour statuer sur les questions relatives à l’indépendance des juridictions, des formations de jugement et des juges. Elle a précisé que ces questions ne peuvent pas faire l’objet d’un appel devant d’autres juridictions. La Commission a également relevé que le monopole du contrôle de l’indépendance par la chambre extraordinaire est extrêmement limité dès lors que l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême prévoit que la chambre extraordinaire n’est pas compétente pour examiner les questions d’indépendance relatives à la nomination d’un juge ou à sa légitimité à exercer des fonctions juridictionnelles. La Commission a également confirmé que les trois premiers griefs ne se contredisent pas, ainsi que le soutient la République de Pologne, dans la mesure où, en vertu des dispositions du droit polonais applicables, il n’est pas possible de contrôler la procédure de nomination d’un juge.

64.

Le deuxième grief comporte quatre branches. En premier lieu, l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême confère à la chambre extraordinaire la compétence exclusive pour statuer sur les demandes de récusation de juges et la désignation des juridictions compétentes lorsqu’est invoquée l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge. La juridiction saisie d’une telle demande doit la renvoyer sans délai devant la chambre extraordinaire. La décision de la chambre extraordinaire lie la juridiction indépendamment du fait que cette chambre soit ou non compétente pour statuer sur le fond de l’affaire.

65.

Au point 166 de l’arrêt A. K., la Cour a jugé qu’une juridiction saisie d’un litige qui, en vertu d’une disposition de droit national, devrait être examiné par une juridiction ne répondant pas aux exigences d’indépendance ou d’impartialité a l’obligation de laisser inappliquée cette disposition nationale en vue de garantir une protection juridictionnelle effective au sens de l’article 47 de la Charte et de permettre que ce litige soit tranché par une juridiction répondant à ces exigences.

66.

En conférant à la chambre extraordinaire la compétence exclusive pour trancher ces questions, l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême prive les juridictions nationales, à l’exception de la chambre extraordinaire, du droit de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE d’une question concernant l’exigence d’indépendance au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. La Commission considère que l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême empêche les juridictions nationales d’examiner, d’office ( 47 ) ou à la demande d’une partie à la procédure ( 48 ), si le juge saisi d’une affaire relevant du droit de l’Union satisfait à l’exigence d’indépendance au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. L’indépendance d’une juridiction ou d’un juge est une question horizontale susceptible de se poser dans toute affaire et toute juridiction saisie d’une affaire relevant du droit de l’Union doit pouvoir l’examiner. L’attribution d’une compétence exclusive pour trancher ces questions ne saurait être justifiée par la nécessité d’instituer des juridictions spécialisées dans cette matière.

67.

En deuxième lieu, la Commission fait valoir que, en vertu de l’article 82, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la chambre extraordinaire est seule compétente pour trancher les questions de droit relatives à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction qui se posent dans des affaires pendantes devant la Cour suprême. Conformément à l’article 82, paragraphes 3 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, dans de telles affaires, la chambre extraordinaire, siégeant en formation plénière, adopte une décision qui lie toutes les formations de la Cour suprême et qui ne peut être infirmée que par une résolution de la Cour suprême, siégeant en formation plénière, adoptée par au moins deux tiers des juges de chacune de ses chambres. Lorsqu’elle adopte sa décision, la chambre extraordinaire n’est liée par aucune autre décision de la Cour suprême, sauf lorsqu’il s’agit d’une « décision de principe ». La Commission considère que ces dispositions privent les autres chambres de la Cour suprême de la possibilité de se prononcer sur de telles questions et violent ainsi l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte.

68.

En troisième lieu, la Commission fait valoir que l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême enfreint également ces dispositions du droit de l’Union en ce qu’elles confèrent à la chambre extraordinaire la compétence exclusive pour connaître des recours tendant à faire constater l’illégalité de jugements ou arrêts définitifs de toute juridiction polonaise, y compris ceux des autres chambres de la Cour suprême et de la Cour suprême administrative, lorsque l’illégalité alléguée concerne le statut du juge ayant statué sur l’affaire. Ces recours peuvent être introduits devant la chambre extraordinaire sans être entendus par la juridiction qui a rendu le jugement en cause, indépendamment de la question de savoir si la partie a épuisé les autres voies de recours à sa disposition.

69.

En quatrième lieu, la Commission fait valoir que les dispositions transitoires prévues à l’article 10 de la loi modificative violent également le droit de l’Union. En vertu de ces dispositions, les juridictions polonaises étaient tenues de renvoyer devant la chambre extraordinaire, avant le 21 février 2020, les affaires en cours à la date du 14 février 2020 relatives à des questions relevant de la compétence exclusive de la chambre extraordinaire en vertu de l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, ainsi que de l’article 82, paragraphes 2 à 4, de la loi modifiée sur la Cour suprême. Après le renvoi de telles affaires, la chambre extraordinaire « peut révoquer les actes accomplis antérieurement dans la mesure où ils empêchent que l’examen de l’affaire se poursuive conformément à la loi ». En outre, la loi modificative prive d’effets procéduraux les actes accomplis dans de telles affaires, notamment par des juges, après le 14 février 2020.

70.

La Commission considère que les compétences susmentionnées de la chambre extraordinaire vont à l’encontre de l’article 267 TFUE et des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. Elles sont également contraires à l’obligation qui incombe aux juridictions nationales d’appliquer les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, conformément au principe de primauté du droit de l’Union.

71.

La Commission souligne que, en ce qui concerne les questions relatives à l’indépendance des juges et des juridictions, toutes les juridictions nationales doivent pouvoir appliquer les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, de manière à assurer aux justiciables leur droit fondamental à un recours effectif. Dans le cadre d’un litige dont elle est saisie, toute juridiction d’un État membre agissant dans l’exercice de sa compétence a l’obligation d’appliquer les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, et de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de droit de l’Union ayant un effet direct. Les dispositions nationales en cause privent l’ensemble des juridictions polonaises, à l’exception de la chambre extraordinaire, du droit de statuer sur des questions incidentes, telles que la récusation d’un juge faisant partie d’une formation de jugement et la détermination de la juridiction compétente. Ces dispositions empêchent également les juridictions nationales de garantir une protection juridictionnelle effective en écartant l’application de dispositions nationales conférant la compétence pour connaître des affaires relevant du droit de l’Union à des juridictions et à des juges qui ne satisfont pas aux dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte.

72.

La Commission considère également que, depuis le 14 février 2020, les dispositions contestées dans le cadre de la présente procédure empêchent les autres juridictions nationales d’exercer leur droit et, s’agissant des juridictions de dernière instance, de mettre en œuvre leur obligation de poser des questions préjudicielles au titre de l’article 267 TFUE relatives à l’interprétation des exigences d’indépendance et d’impartialité d’une juridiction en vertu du droit de l’Union. En particulier, les juridictions nationales autres que la chambre extraordinaire sont privées de la possibilité de trancher ces questions. Par ailleurs, l’article 26, paragraphes 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 4, de la loi modifiée sur la Cour suprême ne visent pas uniquement les questions incidentes puisqu’ils confèrent à la chambre extraordinaire une compétence exclusive. Ce droit et cette obligation sont inhérents au système de coopération établi par l’article 267 TFUE et aux fonctions que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE confère au juge chargé de l’application du droit de l’Union.

73.

Selon la Commission, les dispositions transitoires figurant à l’article 10 de la loi modificative violent également l’article 267 TFUE dans la mesure où elles empêchent les juridictions nationales de maintenir les questions préjudicielles qu’elles ont posées avant le 14 février 2020. L’article 10, paragraphe 2, de la loi modificative permet à la chambre extraordinaire de révoquer les actes accomplis par une juridiction nationale et, notamment, de retirer les questions préjudicielles posées par cette dernière. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, afin d’assurer l’effectivité des pouvoirs que lui confère l’article 267 TFUE, une juridiction nationale doit pouvoir maintenir une demande de décision préjudicielle.

74.

Dans le mémoire en réplique, la Commission souligne qu’elle ne remet pas en cause le droit des législateurs nationaux d’adopter des lois régissant la compétence des juridictions. Elle s’interroge plutôt sur le monopole accordé à la chambre extraordinaire pour statuer sur le respect de l’exigence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge prévue par le droit de l’Union alors que de tels éléments sont susceptibles d’être soulevés devant toutes les juridictions nationales. La Commission ne soutient pas que le respect des exigences de l’Union concernant l’indépendance de la juridiction et du juge doit toujours être examiné par la juridiction saisie. Dans un État membre qui compte 10000 juges, la compétence pour appliquer l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte ne saurait toutefois être réservée à une chambre comptant 20 juges. La Commission fait également valoir que la chambre extraordinaire a été instituée par la loi sur la Cour suprême du 8 décembre 2017 et que ses membres ont été nommés sur proposition de la KRS. Étant donné que le rôle joué par la KRS dans la nomination des juges suscite souvent des demandes de récusation, la chambre extraordinaire elle-même ne saurait être impartiale et objective en matière d’indépendance des juges ( 49 ).

75.

Lors de l’audience, en réponse à une question de la Cour, la Commission a confirmé que la question de l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge ne peut pas être soulevée devant une juridiction supérieure en appel. La chambre extraordinaire a donc une compétence exclusive pour toutes les questions relatives à l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge.

76.

La République de Pologne estime que le deuxième grief n’est pas fondé et doit être rejeté dans son intégralité.

77.

S’agissant de la violation alléguée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, la République de Pologne considère que la Commission interprète l’arrêt A. K. de manière erronée. Il résulte de cet arrêt que, si une affaire comportant un élément de droit de l’Union a été déférée à une juridiction incompétente et si une partie soutient que l’examen de l’affaire par une juridiction compétente violerait les droits qu’elle tire de l’article 47 de la Charte, la juridiction incompétente peut faire droit à cet argument et renvoyer l’affaire devant une autre juridiction indépendante qui, en l’absence des règles attribuant la compétence à une juridiction non indépendante, serait compétente. Selon la République de Pologne, il ne résulte pas de l’arrêt A. K. que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE empêche les États membres d’adopter des règles de compétence des juridictions. En outre, la position d’une juridiction qui doit renvoyer l’affaire à la juridiction compétente et celle d’une juridiction saisie d’une demande de récusation dirigée contre un juge, d’une question de droit ou d’un doute quant à la légalité d’un jugement définitif sont fondamentalement différentes. L’adoption de la position présentée par la Commission entraînerait une violation du droit à un tribunal établi par la loi et, dans les cas de récusation d’un juge, du droit à un tribunal indépendant. L’établissement de la compétence des juridictions dans toutes les affaires dont ces dernières peuvent connaître constitue la condition sine qua non pour assurer l’accès à un tribunal établi par la loi.

78.

La République de Pologne souligne que l’adoption de dispositions relatives à la compétence des tribunaux relève de la compétence exclusive des États membres. Si ces derniers doivent respecter l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, cette disposition ne saurait régir la répartition des compétences entre les juridictions nationales. La République de Pologne relève que la Commission n’a pas remis en cause l’indépendance de la chambre extraordinaire. Le deuxième grief repose donc sur l’affirmation que les juridictions nationales ont le droit de connaître de certaines catégories d’affaires, un droit qui, de l’avis de la Commission, porterait atteinte à la compétence matérielle d’autres juridictions. À cet égard, elle fait observer que, dans les affaires tranchées par l’arrêt A. K., les juridictions de renvoi n’étaient pas compétentes pour juger ces affaires au fond et qu’elles les ont renvoyées à une juridiction compétente pour ce faire. Ce renvoi est régi par l’article 200, paragraphe 14, de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. de 2020, position 1575, telle que modifiée) (ci-après le « code de procédure civile »), aux termes duquel toute juridiction examine d’office sa compétence et, si elle constate qu’elle n’est pas compétente, renvoie l’affaire à la juridiction compétente.

79.

S’agissant de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême relatif à la récusation des juges, la République de Pologne soutient qu’un juge (ou une formation de jugement) saisi d’une demande de récusation le (ou la) concernant doit renvoyer cette demande à une autre formation de jugement ou à une juridiction supérieure. L’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême n’empêche donc pas le juge, la formation de jugement ou la juridiction compétente de statuer sur de telles questions incidentes. Lors de l’audience, la République de Pologne a confirmé, en réponse à une question de la Cour, que la question de l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge peut être soulevée en appel.

80.

La République de Pologne considère qu’un recours visant à faire constater l’illégalité d’un jugement définitif en vertu de l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême ne porte pas sur une question préliminaire ou incidente et qu’il doit être porté devant une juridiction spécialisée compétente pour trancher cette question. La procédure est engagée par un recours extraordinaire contre un jugement définitif qui, selon une partie, viole le droit matériel ou les règles de procédure et lui a causé un préjudice. Selon la République de Pologne, reconnaître à n’importe quel justiciable la possibilité de soulever une telle question devant n’importe quelle juridiction dans n’importe quelle procédure porterait atteinte, notamment, aux principes de l’autorité de la chose jugée et de sécurité juridique. Il est évident que la juridiction qui a rendu l’arrêt attaqué ne peut être saisie d’une telle demande. En outre, l’arrêt A. K. ne permet pas de comprendre pourquoi la Commission considère que, pour qu’il existe un recours effectif en cas de violation de l’article 47 de la Charte, la juridiction qui a rendu la décision contestée doit être saisie de ce recours. Conférer à une chambre spécialisée la compétence pour connaître de ces questions renforce les garanties procédurales des parties et ne porte pas atteinte au droit à un tribunal.

81.

La République de Pologne soutient que les conclusions de la Commission relatives à l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême et à la compétence de la chambre extraordinaire pour les questions de droit relatives à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction ne sont pas fondées. En vertu de l’article 1er, point 1, sous a), de la loi modifiée sur la Cour suprême, cette dernière est compétente pour adopter des résolutions résolvant des questions de droit relatives à toutes les affaires relevant de la compétence de la Cour suprême. L’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême confère à la chambre extraordinaire compétence pour interpréter le droit. Elle ne limite donc pas les autres juridictions dans leur appréciation des faits. En outre, les juridictions ont le droit, mais pas l’obligation, de soumettre de telles questions à la chambre extraordinaire.

82.

La République de Pologne soutient que l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, ainsi que l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 10 de la loi modificative ne restreignent pas la compétence des juridictions pour déférer des questions préjudicielles à la Cour en vertu de l’article 267 TFUE. En tout état de cause, la chambre extraordinaire est une juridiction de dernière instance qui, en vertu de l’article 267 TFUE, est tenue de poser une question préjudicielle en cas de doute quant à l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

83.

La République de Pologne estime que, la Commission n’ayant pas expliqué en quoi les dispositions nationales en cause dans le cadre du deuxième grief violent le principe de primauté, ce grief doit être rejeté ( 50 ).

84.

Quant aux mesures transitoires figurant à l’article 10 de la loi modificative, la République de Pologne fait valoir que cette disposition est déjà expirée. La Commission n’a produit aucun élément, fondé sur le libellé de cette disposition ou sur la pratique de la chambre extraordinaire, démontrant que cette chambre a fait valoir ou pourrait faire valoir cette disposition pour retirer les demandes de décision préjudicielle introduites par d’autres juridictions polonaises ou pour porter atteinte à l’effet utile des arrêts de la Cour. Par ailleurs, l’article 200, paragraphe 1, du code de procédure civile et l’article 35, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks postępowania karnego (loi portant code de procédure pénale), du 6 juin 1997 (Dz. U. de 2021, position 534, telle que modifiée) (ci-après le « code de procédure pénale »), dont la Commission n’a pas contesté la légalité, régissent la compétence des juridictions.

85.

Dans le mémoire en duplique, la République de Pologne souligne que les griefs relatifs à l’absence d’indépendance de la chambre extraordinaire qu’a formulés la Commission, et qui sont décrits au point 74 des présentes conclusions, ne figuraient pas dans la requête. S’agissant de moyens nouveaux, ils doivent être rejetés en application de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure.

2.   Analyse

a)   Recevabilité

86.

La Commission a formulé les griefs relatifs à l’absence d’indépendance de la chambre extraordinaire tirés de l’implication de la KRS dans la nomination des juges qui y siègent et des ressources humaines limitées de cette chambre qui ne compte que 20 juges ( 51 ) pour la première fois dans le mémoire en réplique ( 52 ).

87.

Il suffit de rappeler que, conformément à l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

88.

Durant la phase précontentieuse de la présente procédure, et au moment où elle a introduit le présent recours, la Commission savait ( 53 ) que la chambre extraordinaire avait été instituée en application de la loi sur la Cour suprême du 8 décembre 2017, elle connaissait le nombre de juges siégeant dans cette chambre et leur mode de désignation, notamment le rôle joué par la KRS. Dans la mesure où les griefs de la Commission portent sur ces éléments, ils doivent être rejetés comme étant irrecevables.

89.

Dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges ( 54 ), la Cour a conclu à l’existence de doutes légitimes s’agissant de l’indépendance de la KRS et de son rôle dans la nomination des membres de la chambre disciplinaire de la Cour suprême. Selon la Cour, cette circonstance, combinée à d’autres éléments, peut faire naître des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de cette chambre disciplinaire. La Cour a dès lors jugé que, en ne garantissant pas l’indépendance et l’impartialité de la chambre disciplinaire, la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

90.

S’il est indiscutable que la Commission n’a pas formulé de demande analogue à l’égard de la chambre extraordinaire à un stade quelconque de la présente procédure, cela semble quelque peu surprenant. Dans ce contexte, il peut être relevé que l’arrêt de la Cour relatif à l’absence de garantie, par la République de Pologne, quant à l’indépendance et à l’impartialité de la chambre disciplinaire est fondé sur un certain nombre d’éléments qui ne se limitaient pas à des doutes quant à l’indépendance de la KRS ( 55 ). Ainsi, même si la Cour se fondait sur les conclusions relatives à l’indépendance de la KRS auxquelles elle est parvenue dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges ( 56 ), cela ne suffirait pas, en soi, à justifier qu’elle conclue, dans le cadre de la présente procédure, à l’absence d’indépendance de la chambre extraordinaire ( 57 ).

91.

Par ailleurs, dans son arrêt du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ( 58 ), la Cour EDH a jugé, à l’unanimité, que la République de Pologne avait violé l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH dans la mesure où la chambre extraordinaire n’est pas un « tribunal établi par la loi » ( 59 ). Pour parvenir à cette conclusion, la Cour EDH s’est largement appuyée sur la jurisprudence de la Cour relative aux récentes réformes de la justice en Pologne. La Cour EDH s’est fondée sur la constatation qu’une violation manifeste du droit interne a porté atteinte aux règles fondamentales de la procédure de nomination des juges à la chambre extraordinaire. Ces irrégularités dans le processus de nomination ont si gravement compromis la légitimité de la chambre extraordinaire que celle-ci ne présente pas les caractéristiques d’un « tribunal établi par la loi » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. À cet égard, la Cour EDH a indiqué sans équivoque que la recommandation de candidats aux postes de juges de la chambre extraordinaire – une condition sine qua non de leur nomination par le président de la République de Pologne ( 60 ) – avait été confiée à la KRS, un organe qui n’était pas doté de garanties suffisantes pour exclure tout doute quant à son indépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif ( 61 ).

92.

Cet arrêt de la Cour EDH ne lie pas la Cour dès lors que l’Union n’a pas adhéré à la CEDH. Toutefois, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, la Cour doit veiller à ce que son interprétation de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaisse pas celui garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH ( 62 ). La norme établie dans l’arrêt définitif Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ( 63 ) peut donc être pertinente dans le cadre de toute procédure future devant la Cour. Il peut également être relevé incidemment que, conformément à l’article 46 de la CEDH, la République de Pologne doit respecter l’arrêt définitif Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ( 64 ) et prendre les mesures appropriées pour s’y conformer rapidement ( 65 ).

b)   Sur le fond

93.

La Commission s’appuie largement sur l’arrêt A. K. pour étayer son deuxième grief. Dans cette affaire, la compétence exclusive de la chambre disciplinaire pour connaître des recours introduits par des juges nationaux sur le fondement du droit de l’Union ( 66 ) a été remise en cause en raison du manque allégué d’indépendance et d’impartialité de cette chambre au regard de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte. Compte tenu du profond désaccord entre la Commission et la République de Pologne quant à l’interprétation de cet arrêt, j’aimerais en citer les points 165 et 166 :

« 165.   Or, une disposition nationale qui conférerait une compétence exclusive pour connaître d’un litige dans lequel un justiciable allègue, comme en l’occurrence, une violation de droits découlant de règles du droit de l’Union à une instance déterminée ne satisfaisant pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 47 de la Charte priverait l’intéressé de tout recours effectif, au sens de cet article et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78, et méconnaîtrait le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la Charte [...].

166.   Il s’ensuit que, lorsqu’il apparaît qu’une disposition nationale réserve la compétence pour connaître d’un litige tel que ceux au principal à une instance ne répondant pas aux exigences d’indépendance ou d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union, en particulier, de l’article 47 de la Charte, une autre instance saisie d’un tel litige a l’obligation, en vue de garantir une protection juridictionnelle effective, au sens dudit article 47, et conformément au principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de laisser inappliquée cette disposition nationale, de manière à ce que ce litige puisse être tranché par une juridiction répondant à ces mêmes exigences et qui serait compétente dans le domaine concerné si ladite disposition n’y faisait pas obstacle, à savoir, en règle générale, la juridiction qui était compétente, conformément à la législation en vigueur, avant qu’intervienne la modification législative ayant attribué cette compétence à l’instance ne satisfaisant pas auxdites exigences [...] » ( 67 ).

94.

Il ressort de ce qui précède que l’arrêt A. K. n’a pas contesté la compétence exclusive que la législation nationale a conférée à la chambre disciplinaire pour connaître des actions engagées par des juges concernant les droits qu’ils tirent de la directive 2000/78. La Cour a plutôt considéré que la législation nationale ne saurait réserver la compétence exclusive à une juridiction qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité imposées par l’article 47 de la Charte ( 68 ). Il ressort également clairement des passages cités au point précédent des présentes conclusions que la Cour n’a pas considéré que toute autre juridiction nationale répondant à ces exigences serait ou aurait dû être compétente pour statuer sur cette question. La Cour a simplement jugé que la juridiction compétente, en vertu du droit national, pour statuer sur de telles questions en vertu d’une législation antérieure était compétente pour connaître de l’affaire ( 69 ).

95.

L’arrêt A. K. confirme le droit de chaque État membre, conformément au principe de l’autonomie procédurale, de définir sa propre architecture juridictionnelle et d’établir les modalités procédurales des recours permettant aux justiciables de sauvegarder les droits qu’ils tirent du droit de l’Union. Outre l’exigence selon laquelle les juridictions nationales doivent être indépendantes, impartiales et établies préalablement par la loi ( 70 ), les règles régissant ces recours doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. Les exigences découlant de ces principes valent tant pour ce qui est de la désignation des juridictions compétentes pour connaître des actions fondées sur ce droit que pour ce qui est des modalités procédurales régissant de telles actions. Le respect de ces exigences doit être analysé en tenant compte de la place des règles concernées dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de ladite procédure et des particularités de ces règles devant les diverses instances nationales ( 71 ).

96.

La Commission n’a pas soutenu que l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, ainsi que l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 10 de la loi modificative ne respectent pas le principe d’équivalence. Au contraire, elle a centré son grief sur le principe d’effectivité et notamment sur le droit à un recours effectif. Elle affirme, par principe, que les questions relatives à l’indépendance d’une juridiction ou d’un juge sont des questions horizontales susceptibles de se poser dans chaque affaire et que toute juridiction nationale saisie d’une affaire relevant du droit de l’Union devrait pouvoir les examiner. La compétence pour connaître de telles questions ne devrait donc pas être réservée à des juridictions spécialisées.

97.

L’analyse de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême montre que cette disposition confère à la chambre extraordinaire la compétence exclusive pour statuer sur des griefs tirés, notamment, de l’absence d’indépendance d’un juge ou d’une juridiction et pour trancher ces questions. Toutes les juridictions, y compris celles saisies d’une affaire relevant du droit de l’Union, doivent donc transférer au président de la chambre extraordinaire tout grief ( 72 ) tiré de l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge. Ce renvoi ne suspend pas la procédure devant la juridiction saisie ( 73 ).

98.

Les termes « est compétente » figurant à l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême sont sans équivoque et suffisent, à mon sens, à garantir que la question de l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge relève de la compétence exclusive de la chambre extraordinaire ( 74 ). Le libellé de cette disposition ne semble donc pas étayer la thèse de la République de Pologne selon laquelle des questions d’indépendance peuvent être soulevées en appel. De plus, lorsque la Cour a soulevé cet élément lors de l’audience, la République de Pologne n’a pas apporté de preuve convaincante que ces questions peuvent être valablement invoquées dans le cadre d’un appel. Cela étant précisé, la Commission n’a pas soutenu, et il ne ressort pas non plus de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, que la question de l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction doit être portée devant la chambre extraordinaire par la voie d’un recours distinct et indépendant. Une question soulevée au titre de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême est plutôt traitée comme un incident de procédure ou une exception sur lesquels la chambre extraordinaire doit statuer. La Commission n’a pas fait valoir que l’obligation de renvoyer un tel incident de procédure ou une telle exception devant la chambre extraordinaire serait tellement lourde qu’elle porterait atteinte à la pleine efficacité des droits reconnus aux justiciables par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte. Par ailleurs, rien ne permet de considérer que le renvoi de ces questions devant la chambre extraordinaire créerait des désavantages procéduraux de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits que l’article 19, paragraphe 1, TUE et l’article 47 de la Charte confèrent aux justiciables. S’il est vrai que les questions relatives à l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge peuvent être des questions horizontales qui ne doivent pas nécessairement être tranchées par des juridictions spécialisées, il n’y a rien d’illégitime à ce qu’elles soient tranchées par une autre juridiction ou formation de jugement. Une telle pratique peut même renforcer et uniformiser la mise en œuvre des règles applicables, assurant ainsi une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union dans le plein respect du principe de primauté.

99.

Si la règle nationale en cause portait atteinte à l’effet utile de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ( 75 ), par exemple en octroyant un monopole pour statuer sur l’indépendance d’une juridiction à une autre juridiction qui manque elle-même d’indépendance, le principe de primauté du droit de l’Union imposerait au juge saisi d’un tel recours ( 76 ) de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein effet de ces dispositions du droit de l’Union en laissant au besoin inappliquées les dispositions ou la jurisprudence nationales contraires ( 77 ).

100.

Dès lors, en l’absence de violation du principe d’équivalence ou d’effectivité, je considère que des règles nationales de compétence qui limitent ou restreignent les juridictions ou formations de jugement susceptibles de statuer sur les questions d’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge ne méconnaissent pas l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte, ni le principe de primauté du droit de l’Union.

101.

Il s’ensuit que l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême n’empêche pas les juridictions nationales d’examiner si elles satisfont à l’exigence d’indépendance au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ( 78 ). Il se borne à attribuer à la chambre extraordinaire la compétence exclusive pour statuer sur l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge lorsqu’une telle question lui est renvoyée.

102.

Les arguments de la Commission, résumés aux points 67 et 68 des présentes conclusions, relatifs à l’article 26, paragraphes 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême décrivent simplement le contenu de ces dispositions ( 79 ). Comme cela a été indiqué au point 66 des présentes conclusions, la Commission affirme, par principe, que les questions relatives à l’indépendance des juges et des juridictions ont un caractère horizontal. Partant, ces dispositions du droit national violeraient l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte en privant toutes les juridictions polonaises, à l’exception de la chambre extraordinaire, du droit de statuer sur les questions relatives à l’indépendance des juridictions ou des juges dans les procédures auxquelles renvoient ces dispositions du droit national. Or, la Commission n’a pas démontré que ces dispositions du droit national ainsi que les procédures et les règles de compétence qu’elles prévoient portent atteinte à la pleine efficacité de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte ou au principe de primauté du droit de l’Union. Au contraire, elle n’a pas réfuté les arguments de la République de Pologne selon lesquels le traitement de ces procédures par une juridiction spécialisée serait conforme à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte.

103.

Quant à l’allégation de la Commission selon laquelle l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, ainsi que l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême violent l’article 267 TFUE, outre le fait que ces dispositions ne font aucunement référence à cet article, la Commission n’a pas démontré qu’elles empêchent ou entravent, en droit ou en fait ( 80 ), l’introduction par une juridiction nationale autre que la chambre extraordinaire, saisie d’une affaire dans laquelle la question de l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge est soulevée, d’une demande de décision préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE ( 81 ).

104.

À cet égard, il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant une juridiction nationale dans le cadre duquel elle est appelée à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel ( 82 ).

105.

Dès lors, au-delà de l’exercice de la compétence exclusive que l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6 ( 83 ), ainsi que l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême confèrent à la chambre extraordinaire, la question de l’indépendance des juridictions, des formations de jugement et des juges est une question horizontale susceptible de se poser devant n’importe quelle juridiction, comme l’a fait valoir à juste titre la Commission. Une juridiction saisie de questions relatives à l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge dans une procédure pendante devant elle peut, le cas échéant, saisir la Cour d’un renvoi à titre préjudiciel.

106.

L’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis. Les juridictions nationales sont libres d’exercer cette faculté à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié ( 84 ). En outre, il est de jurisprudence constante que, même lorsque le droit national impose à une juridiction de suivre les appréciations d’une autre juridiction, cette seule circonstance ne prive pas la première juridiction de la faculté de poser des questions préjudicielles relatives à l’interprétation et à la validité du droit de l’Union en vertu de l’article 267 TFUE. La première juridiction est libre, notamment si elle considère qu’une décision d’une autre juridiction pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de poser des questions à la Cour ( 85 ). En outre, un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour lie le juge national quant à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union en cause pour la solution du litige au principal ( 86 ).

107.

Il résulte de ce qui précède que les juridictions de la République de Pologne peuvent saisir la Cour de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, même à l’issue d’une procédure telle que celle prévue à l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême. Elles peuvent également adopter toute mesure nécessaire pour assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par le droit de l’Union et laisser inappliqué, à l’issue de la procédure, la disposition législative nationale en cause ou l’arrêt de la chambre extraordinaire, si elles l’estiment contraire au droit de l’Union. En tant que juridiction de dernière instance, la chambre extraordinaire est, en principe, tenue de saisir la Cour en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE lorsqu’une question relative à l’interprétation du traité FUE est soulevée devant elle.

108.

Quant aux allégations de la Commission relatives aux mesures transitoires de l’article 10 de la loi modificative, il est de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation telle qu’elle se présentait au terme du délai de mise en conformité fixé dans l’avis motivé ( 87 ). L’article 10 de la loi modificative est entré en vigueur le 14 février 2020. La Commission, en réponse à une question de la Cour lors de l’audience, a confirmé qu’elle ne disposait d’aucun élément prouvant que cette disposition a continué de produire des effets après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 30 décembre 2020. Elle a donc admis que l’article 10 de la loi modificative était « expiré » à cette date. Le grief de la Commission relatif à l’article 10 de la loi modificative est dès lors irrecevable.

109.

Quoi qu’il en soit, en l’absence de tout élément de nature à remettre en cause la légitimité du transfert à la chambre extraordinaire de la compétence exclusive pour statuer sur les questions d’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge en vertu de l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, et de l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, les arguments de la Commission concernant les mesures transitoires contenues à l’article 10 de la loi modificative, qui ne prévoient que l’application dans le temps des dispositions susmentionnées, ne sauraient prospérer.

110.

La Commission cherche également à faire constater que, en appliquant les dispositions nationales visées par le présent grief, la République de Pologne a enfreint la primauté du droit de l’Union. Il suffit de relever que l’allégation relative à la primauté porte sur la mise en œuvre, par la République de Pologne, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 47 de la Charte et de l’article 267 TFUE. Il ne s’agit donc pas d’un grief distinct et il n’y a pas lieu de statuer sur celui-ci ( 88 ).

111.

Je propose dès lors à la Cour de rejeter le deuxième grief.

B. Sur le premier grief – L’interdiction faite aux juridictions nationales de vérifier le respect de l’exigence de l’Union relative au droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi

1.   Arguments des parties

112.

La Commission fait valoir que, en interdisant à toute juridiction nationale de vérifier le respect de l’exigence de l’Union relative au droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH concernant l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union.

113.

La Commission considère, premièrement, que l’article 42 a, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, ainsi que l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, interdisent à ces juridictions nationales de contrôler la légalité de la nomination de juges ou la légitimité d’instances juridictionnelles de la République de Pologne, et donc de vérifier si une juridiction dans laquelle siège un juge a été établie préalablement par la loi au sens des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte, lues à la lumière de l’arrêt de la Cour EDH dans l’affaire Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande ( 89 ). Dans le mémoire en réplique, la Commission fait valoir que le libellé des dispositions précitées du droit polonais ne semble pas opérer de distinction entre le contrôle juridictionnel de l’acte de nomination d’un juge par le président de la République et le contrôle juridictionnel visant à assurer le respect des garanties prévues par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. En effet, la régularité de la procédure de nomination d’un juge affecte non seulement la validité de l’acte de nomination, mais également la mise en œuvre de l’exigence de l’Union relative à l’accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. Au point 134 de l’arrêt A. K., la Cour a précisé qu’il est nécessaire de s’assurer que tant les conditions de fond que les modalités procédurales de nomination des juges ne puissent faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité de ces juges à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent.

114.

Deuxièmement, la Commission fait valoir que l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun empêche les juridictions polonaises d’apprécier la légitimité des membres d’une formation de jugement à exercer des fonctions juridictionnelles. Il interdit aux juridictions de constater, de leur propre initiative ou à la demande des parties, sur la base des « dispositions relatives à l’attribution des affaires ainsi qu’à la désignation et à la modification des formations de jugement », qu’une formation de jugement est contraire à la loi, qu’elle est inadéquatement pourvue ou qu’une personne n’est pas habilitée ou compétente pour statuer. En conséquence, cette disposition empêche les juridictions de vérifier, par une appréciation de la légalité d’un jugement, si une juridiction est un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi et, partant, si elle était compétente pour connaître de l’affaire. En outre, en vertu de l’article 8 de la loi modificative, l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun s’applique également aux affaires pendantes. Dans le mémoire en réplique, la Commission a précisé que, en vertu de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, le juge qui a été désigné conformément aux dispositions relatives à l’attribution des affaires est réputé avoir le pouvoir de statuer légalement dans une affaire donnée. Cela empêche de vérifier le respect des exigences relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, dans le cadre d’un appel interjeté contre un arrêt.

115.

La Commission considère que les dispositions nationales susmentionnées empêchent toute juridiction polonaise de se conformer à son obligation de vérifier, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, si, en raison de sa composition, elle constitue un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. En outre, ces dispositions empêchent les juridictions de vérifier, dans le cas où cette question est importante pour leur propre jugement (par exemple lorsqu’il s’agit de l’annulation d’une décision en raison de l’irrégularité de la formation de jugement d’une juridiction), si une autre juridiction respecte les exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, lues à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, compte tenu des circonstances entourant la nomination du juge ou la légitimité de l’instance juridictionnelle.

116.

Selon la Commission, le contrôle juridictionnel des exigences relatives à un tribunal indépendant établi par la loi, au sens des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, n’exige pas qu’un mécanisme spécifique soit instauré à cet effet. Il n’impose pas non plus nécessairement au juge national d’annuler l’acte de nomination d’un juge ou de révoquer la personne nommée. Il est donc sans pertinence que, en vertu de la Constitution de la République de Pologne, l’acte de nomination d’un juge ne puisse pas être remis en cause. Il appartient à la juridiction nationale saisie de déterminer les conséquences du non‑respect de l’exigence relative à un tribunal indépendant, établi préalablement par la loi, en se fondant sur le droit national applicable et en tenant dûment compte de l’efficacité du droit de l’Union et d’éléments tels que le principe de sécurité juridique.

117.

La République de Pologne fait valoir que la Commission n’a pas expliqué son grief relatif à la violation alléguée de l’article 267 TFUE et du principe de primauté. Elle soutient également que la Commission n’a pas fait référence à l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et n’a pas expliqué en quoi cette disposition violerait le droit de l’Union.

118.

La République de Pologne opère une distinction claire entre le contrôle juridictionnel de l’acte de nomination d’un juge et de ses effets et le contrôle juridictionnel des garanties qu’une juridiction doit offrir en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Le droit polonais n’autorise pas le premier type de contrôle juridictionnel et la Cour n’a pas formulé de critique à cet égard dans son arrêt A. K. ( 90 ). En vertu de la Constitution de la République de Pologne et conformément à la jurisprudence constante des juridictions polonaises, le pouvoir de nomination des juges est une prérogative du président de la République. Cette compétence n’est pas, et n’a jamais été, soumise à un contrôle juridictionnel au motif que le fait de permettre de telles contestations porterait atteinte au principe de l’inamovibilité des juges. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les conditions de révocation d’un juge doivent être prévues par la loi, justifiées et proportionnées. Cela est également conforme à la jurisprudence de la Cour EDH, selon laquelle l’organisation de la justice ne doit pas être laissée à l’appréciation du pouvoir judiciaire. Par ailleurs, le droit polonais prévoit un contrôle juridictionnel du droit à un tribunal indépendant et des garanties prévues par le droit de l’Union. La République de Pologne ajoute que l’interprétation des dispositions attaquées retenue par la Commission n’est pas étayée par la jurisprudence.

119.

La République de Pologne considère que l’article 42 a, paragraphes 1 et 2, ainsi que l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives ne limitent pas le pouvoir des juridictions nationales de contrôler la garantie accordée aux justiciables en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte.

120.

À cet égard, la République de Pologne fait observer, en premier lieu, que, en cas de doute sur l’impartialité d’un juge, il est possible de demander sa récusation sur le fondement des articles 48 à 54 du code de procédure civile ( 91 ), des articles 40 à 44 du code de procédure pénale ( 92 ) ou des articles 18 à 24 de l’ustawa – Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi (loi portant code de procédure administrative), du 30 août 2002 ( 93 ) (ci-après le « code de procédure administrative »).

121.

En deuxième lieu, si la compétence d’une juridiction particulière est mise en cause ou si des doutes sont soulevés quant au droit d’un justiciable à un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, la question peut être renvoyée devant une autre juridiction compétente en vertu du droit national ( 94 ), qui respecte l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

122.

En troisième lieu, si la composition de la juridiction saisie est contraire à la loi ou si un juge récusé a participé à l’examen de l’affaire, la juridiction d’appel est tenue d’annuler d’office la procédure et de révoquer le jugement conformément à l’article 379, paragraphe 4, du code de procédure civile, à l’article 349, paragraphe 1, point 1, du code de procédure pénale et à l’article 183, paragraphe 2, point 4, du code de procédure administrative. La constatation d’une violation de l’article 47 de la Charte peut entraîner la nullité d’une procédure et l’annulation d’un jugement au motif que ce dernier n’a pas été rendu par une juridiction indépendante et impartiale, établie préalablement par la loi. En revanche, la juridiction d’appel ne peut pas remettre en cause le mandat du juge qui a rendu le jugement attaqué ni sa compétence à statuer.

123.

Dans le mémoire en duplique, la République de Pologne a indiqué que l’article 42 a, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives ont pour finalité de prévenir la remise en cause des mandats ou des relations de travail des juges dans d’autres procédures que celles qui sont prévues par la Constitution de la République de Pologne et les actes qui la mettent en œuvre. De plus, l’article 45 de la Constitution de la République de Pologne, les traités internationaux et la Charte garantissent le droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. C’est à la lumière de l’ensemble de ces dispositions qu’il convient d’interpréter la législation nationale. Les irrégularités dans la nomination d’un juge ou la violation du droit à un tribunal établi préalablement par la loi n’entraînent pas l’annulation de l’acte de nomination d’un juge ou de la procédure à laquelle ce dernier a participé ( 95 ).

124.

La République de Pologne estime que la Commission a interprété de manière erronée l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun. Elle fait valoir que cette disposition n’empêche pas de vérifier qu’une juridiction est adéquatement pourvue. Cette disposition se borne à codifier la jurisprudence de la Cour suprême qui prévoit que l’examen d’une affaire en violation des dispositions relatives à la répartition des affaires entre les juges de la juridiction compétente ne constitue pas un motif de recours extraordinaire visé à l’article 387 du code de procédure civile et à l’article 439, paragraphe 1, point 2, du code de procédure pénale qui conduirait à l’annulation de la procédure et à la cassation de l’arrêt attaqué. Une telle violation peut, néanmoins, constituer un motif de recours ordinaire. Une partie peut dès lors demander l’annulation d’un arrêt au motif qu’une violation du règlement de procédure applicable a eu une incidence négative sur l’issue du litige de son point de vue. En outre, une partie peut demander la récusation d’un juge si sa participation à l’affaire porte atteinte au droit à un tribunal impartial.

125.

La République de Pologne soutient que, contrairement à ce qu’affirme la Commission et qui est rapporté au point 114 des présentes conclusions, l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ne fait pas référence à l’appréciation par les juridictions de la question de savoir si la juridiction qui a rendu la décision était un tribunal établi préalablement par la loi. En effet, cette disposition ne porte que sur les conséquences d’une violation des dispositions relatives à la répartition des affaires et à la désignation des formations de jugement. Il s’ensuit que le grief de la Commission selon lequel l’article 8 de la loi modificative, qui prévoit que l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun s’applique également aux affaires pendantes, doit aussi être rejeté.

2.   Analyse

a)   Recevabilité

126.

La République de Pologne fait valoir que les violations de l’article 267 TFUE et du principe de primauté du droit de l’Union invoquées par la Commission dans le premier grief ne sont pas démontrées. Elle affirme en outre que la Commission n’a fourni aucune justification ni aucune preuve du fait que l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême viole le droit de l’Union. La République de Pologne considère également que les explications ou éléments de preuve que la Commission a produits à l’appui de ces allégations sont tardifs et que la Cour ne doit pas les prendre en considération.

127.

Dans le cadre d’une procédure en manquement engagée en vertu de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement en apportant à la Cour tous les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de cette circonstance, la Commission ne pouvant se fonder sur une présomption quelconque ( 96 ). En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, point c), du règlement de procédure, la Commission est tenue, dans toute requête déposée au titre de l’article 258 TFUE, d’indiquer les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés ( 97 ). Le bien-fondé d’un recours au titre de l’article 258 TFUE doit donc être examiné uniquement au regard des conclusions formulées dans la requête introductive d’instance.

128.

Dans son premier grief, la Commission s’est contentée de faire référence à l’article 267 TFUE sans expliquer, même sommairement, en quoi les dispositions du droit polonais qu’elle a identifiées violent cette disposition. Le fait que la Commission ait, dans son avis motivé du 30 octobre 2020, expliqué la pertinence de l’article 267 TFUE dans le cadre du présent grief ne suffit pas aux fins de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, point c), du règlement de procédure. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission dans le mémoire en réplique, la Cour ne saurait présumer l’existence d’un « lien fonctionnel » entre la violation alléguée de l’article 267 TFUE et les dispositions du droit polonais en cause. Si la Commission a pu expliquer ce « lien fonctionnel » dans le cadre de son deuxième grief, ce grief vise d’autres dispositions du droit polonais.

129.

En revanche, je considère que, au point 75 de la requête, la Commission expose de manière sommaire les raisons pour lesquelles elle considère que les dispositions du droit polonais identifiées dans son premier grief violent le principe de primauté du droit de l’Union. En outre, l’article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême reprenant, en substance, l’article 29, paragraphe 3, de la même loi ( 98 ), il suffisait à la Commission de faire référence à cet article 26, paragraphe 3, dans son premier grief, dès lors que les raisons pour lesquelles elle considère que cette dernière disposition viole le droit de l’Union peuvent être clairement déduites des termes dans lesquels ce grief a été exprimé, envisagés dans leur ensemble.

130.

Au vu de ce qui précède, je propose à la Cour de rejeter, comme étant irrecevable, l’argumentation de la Commission relative à l’article 267 TFUE dans le cadre du premier grief.

b)   Sur le fond

1) Observations liminaires sur la portée des premier et deuxième griefs de la Commission

131.

La République de Pologne soutient que les arguments soulevés par la Commission dans le cadre du deuxième grief ne sont pas cohérents avec son premier grief et le contredisent. La Commission estime que cette affirmation n’est pas fondée.

132.

Le deuxième grief porte sur la compétence exclusive que le droit national accorde à la chambre extraordinaire pour statuer sur des questions relatives à l’indépendance des juridictions, des formations de jugement et des juges. Le premier grief critique, notamment, le fait que certaines dispositions du droit polonais interdisent à toute juridiction nationale, y compris la chambre extraordinaire ( 99 ), de contrôler la légalité de la nomination des juges en Pologne. Le premier grief est donc tiré de ce qu’aucune juridiction polonaise n’est compétente pour contrôler la légalité de la nomination des juges en Pologne au regard du droit de l’Union. J’estime dès lors que les deux premiers griefs de la Commission sont cohérents et ne se contredisent pas.

2) Sur le droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi

133.

La République de Pologne ne conteste pas que les juridictions de droit commun, la Cour suprême et les juridictions administratives doivent respecter les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, lus à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et du principe de primauté du droit de l’Union. Elle ne conteste pas non plus que les juridictions en question doivent vérifier si le droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, est respecté, conformément à l’arrêt Simpson. La République de Pologne soutient que les dispositions nationales contestées par la Commission se limitent à empêcher que l’acte de nomination d’un juge par le président de la République puisse être contesté. Dans ce contexte, elle fait référence à plusieurs autres dispositions du droit polonais qui permettent aux juges de vérifier le respect de l’accès à un tribunal impartial, établi préalablement par la loi.

134.

Contrairement à ce que soutient la République de Pologne, dans le cadre de la présente procédure, la Commission ne conteste ni la prérogative du président de la République de nommer les juges ni l’absence de possibilité de contester l’acte de nomination d’un juge en vertu du droit polonais ( 100 ).

135.

Au point 133 de l’arrêt A. K., la Cour a relevé que le fait que les juges soient nommés par le président de la République n’est pas de nature à créer une dépendance de ces derniers à son égard ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, les intéressés ne sont soumis à aucune pression. En outre, aux points 129 à 136 de l’arrêt A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) ( 101 ), la Cour indique que l’absence éventuelle de la possibilité d’exercer un recours juridictionnel dans le contexte d’un processus de nomination à des postes de juges d’une juridiction suprême nationale peut, dans certains cas, ne pas s’avérer problématique pour l’application des exigences découlant du droit de l’Union, pour autant que d’autres voies de recours effectives soient ouvertes. Il peut en aller différemment lorsque les voies de recours préexistantes sont supprimées et que d’autres éléments pertinents caractérisant une procédure de nomination dans un contexte juridico-factuel national donné font naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes de nature systémique quant à l’indépendance et à l’impartialité des juges nommés dans le cadre de ce processus ( 102 ).

136.

Par son premier grief, la Commission se limite donc à alléguer qu’il est interdit à toutes les juridictions de droit commun, aux juridictions administratives et à la Cour suprême, y compris la chambre extraordinaire ( 103 ), de vérifier, de leur propre initiative ou à la demande d’une partie, si une juridiction garantit aux justiciables leur droit à un recours effectif dans les domaines couverts par le droit de l’Union devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ( 104 ). Selon la Commission, les dispositions attaquées ont au moins deux effets pernicieux. D’une part, elles empêchent les juridictions de contrôler de telles questions, indépendamment de la nature et de l’étendue du recours éventuellement ouvert en droit national. D’autre part, elles empêchent également les juridictions de laisser inappliquées des dispositions nationales contraires à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte.

137.

La Commission et la République de Pologne sont en désaccord sur la portée des dispositions nationales en cause dans le cadre du premier grief.

138.

Le libellé de l’article 42 a, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, de l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, ainsi que de l’article 5, paragraphe 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives interdit explicitement aux juridictions en cause de constater ou d’apprécier la légalité de la nomination d’un juge. Ces mêmes dispositions interdisent également auxdites juridictions de constater ou d’apprécier le pouvoir d’exercer les fonctions juridictionnelles qui en découle.

139.

L’article 42 a, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 29, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 5, paragraphe 1a, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives prévoient également que ces juridictions ne peuvent pas « remettre en cause la légitimité des tribunaux et des cours [...] ou des organes de contrôle et de protection du droit ». L’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 8 de la loi modificative ( 105 ) s’opposent à ce que les dispositions relatives à l’attribution des affaires ainsi qu’à la désignation et à la modification des formations de jugement soient invoquées afin de limiter la compétence d’un juge ou de constater qu’une formation de jugement est contraire à la loi, qu’une juridiction est inadéquatement pourvue ou qu’une personne qui n’est pas habilitée ou compétente pour statuer en fait partie.

140.

À première vue, le libellé de ces dispositions ne se limite pas à empêcher qu’une juridiction ait la compétence pour annuler, erga omnes, l’acte de nomination d’un juge par le président de la République. Il empêche au contraire toute juridiction polonaise, que ce soit de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, de relever ou d’examiner, en toutes circonstances et pour quelque raison que ce soit, si un juge a été nommé légalement ou s’il peut exercer des fonctions juridictionnelles, indépendamment de la nature de l’illégalité alléguée, de l’acte ou de la procédure mis en cause ou de la voie de recours ouverte. Ces dispositions sont donc tellement larges qu’elles suppriment toute possibilité pour les juridictions nationales d’examiner les questions inhérentes à l’indépendance de la composition d’une juridiction comme l’exige l’arrêt Simpson ( 106 ).

141.

Bien que les juridictions nationales soient obligées de renvoyer les questions relatives à l’indépendance d’un juge ou d’une juridiction à la chambre extraordinaire en vertu de l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, l’article 26, paragraphe 3, de la même loi exclut explicitement que la chambre extraordinaire puisse apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou de son pouvoir d’exercer des fonctions juridictionnelles. Par ailleurs, conformément à l’article 42 a, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, à l’article 29, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême et à l’article 5, paragraphe 1a, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, aucune juridiction polonaise ne peut remettre en cause la légitimité d’une juridiction. L’application des voies de recours correspondantes en droit national est donc tout aussi limitée.

142.

En outre, si les interdictions prévues à l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et à l’article 8 de la loi modificative peuvent, ainsi que le fait valoir la République de Pologne, concerner, dans de nombreux cas, des questions de nature purement organisationnelle ainsi que la gestion des affaires et de la charge de travail, il se peut que de telles questions suscitent des doutes quant au point de savoir si une juridiction a été établie préalablement par la loi ou si elle est impartiale. Or, l’interdiction absolue de soulever ou d’examiner de telles questions dans les circonstances décrites dans la législation contestée va au-delà de ce que la République de Pologne affirme être les objectifs de ces dispositions et rend impossible toute voie de recours juridictionnelle permettant de remédier à une telle violation. Il s’ensuit que les dispositions nationales en cause sont à ce point larges qu’elles régissent tous les aspects du contrôle du droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, garanti par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte.

143.

La République de Pologne a produit à titre d’éléments de preuve, à la demande de la Cour, un grand nombre d’autres dispositions de droit national qui prévoient, notamment, la récusation des juges, le renvoi d’une affaire à une autre juridiction et l’annulation d’une procédure par des juridictions d’appel en raison du non‑respect des exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. L’article 48 du code de procédure civile et l’article 40 du code de procédure pénale prévoient, par exemple, la récusation automatique des juges dans certaines circonstances. En vertu de l’article 49 du code de procédure civile et des articles 41 et 42 du code de procédure pénale, un juge peut demander à être récusé ou une partie peut demander la récusation d’un juge. Conformément à l’article 379, paragraphe 4, du code de procédure civile et à l’article 439 du code de procédure pénale, la participation d’un juge qui fait l’objet d’une récusation automatique entraîne l’annulation de la procédure concernée.

144.

Dans ce contexte, il convient de noter que la République de Pologne a indiqué que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a, à plusieurs reprises, limité la portée des règles nationales relatives à la récusation des juges. Ainsi, l’article 49 du code de procédure civile a été partiellement abrogé le 9 juin 2020, dans la mesure où il permettait de récuser un juge en raison de sa nomination irrégulière par le président de la République, sur proposition de la KRS ( 107 ). Cette même disposition a également été partiellement abrogée le 28 février 2022, dans la mesure où elle reconnaissait, en tant que circonstance susceptible de semer un doute légitime quant à l’impartialité d’un juge dans une affaire donnée, la procédure de nomination de celui-ci par le président de la République, sur proposition de la KRS ( 108 ). L’article 41, paragraphe 1, et l’article 42, paragraphe 1, du code de procédure pénale ont été abrogés le 12 mars 2020 dans la mesure où ils permettaient que soit examinée une demande de récusation d’un juge en raison d’une irrégularité dans sa nomination par le président de la République sur proposition de la KRS ( 109 ). Cette jurisprudence pose des limites claires à la possibilité de récuser un juge en raison d’une irrégularité dans sa nomination, et la distingue d’un recours contre l’acte de nomination d’un juge par le président de la République.

145.

Les différentes dispositions du droit polonais relatives à la récusation des juges ne remettent pas non plus en cause le fait que les termes de l’article 42 a, paragraphes 1 et 2, et de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, de l’article 26, paragraphe 3, ainsi que de l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, de l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives et de l’article 8 de la loi modificative sont extrêmement larges et ne se limitent pas aux procédures visant à contester l’acte de nomination d’un juge. Ces dispositions visent plutôt à empêcher qu’une juridiction ne contrôle la composition de la formation de jugement ou tout acte conduisant à la nomination d’un juge, fermant ainsi toute voie de recours en cas de violation des exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

146.

Même en admettant que d’autres dispositions du droit national permettent aux juridictions de contrôler, à tout le moins dans une certaine mesure, le respect des garanties prévues à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte ( 110 ), leur coexistence avec les dispositions du droit national que la Commission a contestées dans son premier grief et les limitations apportées par la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) à leur mise en œuvre créeraient une insécurité juridique considérable et affecteraient les possibilités pour les juridictions et les parties d’accéder à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, en contrariété avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte. La Commission demande également à la Cour de constater que, en appliquant les dispositions nationales auxquelles elle fait référence dans le cadre du présent grief, la République de Pologne a violé la primauté du droit de l’Union. Comme je l’ai indiqué dans ma conclusion sur le deuxième grief ( 111 ), la demande relative à la primauté n’est pas un chef de conclusions autonome et il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande en tant que telle.

147.

Je propose donc à la Cour de constater que les dispositions nationales en cause dans le premier grief sont susceptibles de porter atteinte à la compétence des juridictions polonaises pour contrôler le respect des exigences relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, en violation des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, et méconnaissent dès lors ces dispositions du droit de l’Union.

C. Sur le troisième grief – La qualification d’« infraction disciplinaire » de l’examen du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi

1.   Arguments des parties

148.

Ce grief porte sur l’ajout de deux nouvelles infractions disciplinaires à l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ( 112 ) et à l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême ( 113 ), ainsi que sur la loi modificative qui introduit à l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême une infraction disciplinaire consistant en la « violation manifeste et flagrante des règles de droit ». Selon la Commission, l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ainsi que l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême qualifient d’« infraction disciplinaire » l’appréciation effectuée par une juridiction nationale de l’indépendance d’un autre juge ou d’une autre instance juridictionnelle ainsi que de leur statut de « tribunal établi préalablement par la loi ». La République de Pologne aurait dès lors manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, et de l’article 267 TFUE.

149.

La Commission part du principe que l’on ne saurait considérer qu’une juridiction nationale commet une infraction disciplinaire et encourt des sanctions disciplinaires lorsqu’elle s’acquitte des obligations prévues à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte.

150.

Selon la Commission, la première infraction disciplinaire visée par les dispositions citées au point 148 des présentes conclusions concerne des actes ou des omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire. La seconde concerne des actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne.

151.

Les juges des juridictions de droit commun et des juridictions administratives qui commettent ces infractions peuvent être révoqués ou transférés dans une autre juridiction. Un juge peut faire l’objet de sanctions financières ou être démis de ses fonctions pour ce qui est qualifié d’« infractions mineures » ( 114 ). Les juges de la Cour suprême et de la Cour suprême administrative s’exposent à une révocation sans condition pour de telles infractions ( 115 ). La Commission relève que, selon la République de Pologne, les infractions disciplinaires en cause visent à assurer l’« effet utile » de l’article 42 a et de l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 29, paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême ( 116 ), ainsi que le respect, par les juridictions nationales, des nouvelles compétences exclusives qui ont été attribuées à la chambre extraordinaire ( 117 ).

152.

La Commission soutient que l’examen par une juridiction de la régularité de la procédure de nomination des juges au titre de l’arrêt Simpson ( 118 ) peut être qualifié d’« acte mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge [ou] l’effectivité de la nomination d’un juge » au sens de l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et, partant, donner lieu à l’ouverture d’une procédure disciplinaire.

153.

En outre, ainsi qu’elle l’a indiqué dans le cadre de son deuxième grief, la Commission estime que toutes les juridictions nationales doivent pouvoir apprécier l’indépendance de la juridiction ou du juge saisi d’une affaire donnée. Cette appréciation relève actuellement de la compétence exclusive de la chambre extraordinaire. Toute juridiction nationale qui enfreint les dispositions du droit national visées par le deuxième grief en invoquant le principe de primauté du droit de l’Union est susceptible de faire l’objet d’une procédure disciplinaire en vertu de l’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, c’est-à-dire en raison d’un acte ou d’une omission qui empêche ou compromet sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire.

154.

La constatation par une juridiction qu’un tribunal n’est pas établi préalablement par la loi en raison d’irrégularités dans la procédure de nomination d’un juge peut être qualifiée d’« acte mettant en cause l’effectivité de la nomination d’un juge » et dès lors de faute en vertu de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ou de l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême.

155.

Les infractions disciplinaires introduites à l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et à l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême portent également sur le contenu des décisions judiciaires qui apprécient l’indépendance et l’impartialité d’un autre juge ou d’une autre juridiction ou le statut de « tribunal établi préalablement par la loi ». Cette situation est contraire à l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) ( 119 ) dans lequel la Cour a jugé que l’indépendance des juges exige que le régime disciplinaire ne soit pas utilisé en tant que système de contrôle politique sur le contenu des décisions judiciaires.

156.

Les mêmes dispositions du droit national permettent également de considérer que constituent des infractions disciplinaires les demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, qu’une juridiction introduit en vertu de l’article 267 TFUE lorsqu’elle éprouve des doutes quant à la légalité de la compétence d’une juridiction ( 120 ).

157.

La Commission estime que ces infractions disciplinaires ne sont pas conformes à l’arrêt A. K., comme le soutient la République de Pologne. Si elle conclut, sur la base des critères énoncés aux points 132 à 154 de cet arrêt, qu’une juridiction n’est pas indépendante et impartiale conformément à l’article 47 de la Charte, une juridiction nationale est tenue de laisser inappliquées les dispositions nationales qui confèrent compétence à cette juridiction. Un tel comportement pourrait être qualifié d’« infraction disciplinaire » en vertu de l’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, dès lors qu’il pourrait s’agir d’un acte ou d’une omission de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire. En outre, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, la Cour n’a pas jugé, au point 133 de l’arrêt A. K., que la nomination des juges par le président de la République ne peut pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. La Cour a précisé que le seul fait qu’un juge ait été nommé par le président de la République ne peut, en soi, faire naître des doutes quant à son impartialité, si, une fois nommé, l’intéressé n’est soumis à aucune pression extérieure et ne reçoit pas d’instructions dans l’exercice de ses fonctions.

158.

La loi modificative a introduit à l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême une infraction disciplinaire consistant en la « violation manifeste et flagrante des règles de droit ». Cette infraction disciplinaire concernait déjà les juges des juridictions de droit commun en vertu de l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun. Dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges, la Cour a examiné la compatibilité de cette dernière disposition avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. L’infraction disciplinaire consistant en la « violation manifeste et flagrante des règles de droit » est une notion vague susceptible d’affecter le contenu des décisions judiciaires. Il ne saurait être exclu que l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, lu dans le contexte d’intensification des travaux des agents disciplinaires et de pressions de l’exécutif sur l’activité des instances disciplinaires à la suite des modifications apportées par la loi sur la Cour suprême ( 121 ), soit utilisé pour exercer un contrôle politique de l’activité juridictionnelle des juges de la Cour suprême.

159.

Dans le mémoire en réplique, la Commission souligne que le troisième grief porte sur le contenu et le libellé des dispositions législatives en cause plutôt que sur leur appréciation judiciaire ou leur application. Dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges ( 122 ), la Cour a considéré qu’il est essentiel que soient prévues des règles qui définissent, de manière suffisamment claire et précise, les comportements susceptibles d’engager la responsabilité disciplinaire des juges, afin de garantir l’indépendance inhérente à leur mission et d’éviter qu’ils ne soient exposés au risque que leur responsabilité disciplinaire soit engagée du seul fait de leurs décisions. Les termes « actes mettant en cause » utilisés à l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et à l’article 72, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, ne concernent pas seulement la mise en cause de l’acte de nomination, par le président de la République, d’un juge.

160.

La Commission indique également que la République de Pologne ne conteste pas les similitudes existant entre l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun. Le raisonnement formulé par la Cour dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges s’applique a fortiori à l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême.

161.

La République de Pologne soutient que le troisième grief n’est pas fondé, la Commission n’ayant pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe en vertu de l’article 258 TFUE. Elle relève notamment que la Commission s’appuie sur le libellé des dispositions nationales en cause et ne produit aucun élément de preuve quant à leur mise en œuvre et à la jurisprudence qui les interprète.

162.

L’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême sont calqués sur le droit français ( 123 ). La Commission n’a jamais contesté la compatibilité de ces dispositions avec le droit de l’Union. En outre, selon la République de Pologne, il ne saurait être déduit de ces dispositions du droit national que celles-ci couvrent des affaires auxquelles s’applique le droit de l’Union, y compris l’article 19, paragraphe 1, TUE. L’application du droit de l’Union n’est pas un acte ou une omission susceptible d’empêcher ou de compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire.

163.

La République de Pologne fait valoir que l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême avancée par la Commission est également contredite par la finalité de ces dispositions, qui est de garantir que des juges, qui sont membres d’une profession fondée sur la confiance publique, ne se comportent pas d’une manière incompatible avec la dignité de leur fonction. Puisqu’il est du devoir d’une juridiction d’appliquer le droit et de soulever des questions préjudicielles, l’allégation de la Commission selon laquelle ces faits pourraient constituer une infraction disciplinaire est erronée. Ces dispositions ne permettent pas non plus de contrôler les décisions judiciaires ni d’engager la responsabilité disciplinaire d’un magistrat parce qu’il a examiné si le droit à un tribunal est garanti. La position de la Commission n’est donc pas fondée d’un point de vue linguistique, logique et empirique et la jurisprudence nationale ne la soutient pas.

164.

S’agissant de l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême ( 124 ), la République de Pologne considère que la Commission a confondu le contrôle, par une juridiction nationale, du respect des garanties prévues par les dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte avec l’effet de ce contrôle, qui revient à remettre en cause l’exercice, par le président de la République, de sa prérogative en ce qui concerne la nomination d’un juge déterminé.

165.

Les infractions disciplinaires invoquées ne visent pas l’examen de la question de savoir si le droit d’un justiciable à un tribunal, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, a été respecté. Ces dispositions du droit national s’opposent en revanche à ce qu’une juridiction mette en cause la validité d’un acte de nomination d’un juge dans le cadre d’une procédure autre que celle prévue par la Constitution de la République de Pologne ou par les dispositions adoptées sur son fondement.

166.

Les dispositions nationales en cause ne s’opposent pas à ce que l’exercice des voies de recours visant à remédier à une violation des droits d’une partie au titre de l’article 47 de la Charte aboutisse par exemple à l’annulation d’un jugement, à la récusation d’un juge ou au renvoi d’une affaire devant une autre juridiction répondant aux exigences de cette disposition de la Charte conformément à l’arrêt A. K. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle aux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE. Depuis l’adoption de ces dispositions, les juridictions polonaises ont introduit plusieurs demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. La Commission ne soutient pas qu’une des juridictions ayant déféré de telles questions a été confrontée à une procédure disciplinaire et la République de Pologne confirme que cela n’a pas été le cas.

167.

La République de Pologne confirme également que l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême correspond à l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun, qui prévoit que la responsabilité disciplinaire du juge est engagée en cas de « violation manifeste et flagrante des règles de droit ». Cette dernière disposition est en vigueur, inchangée, depuis le 1er octobre 2001. Elle n’a, jusqu’à présent, fait l’objet d’aucune contestation. L’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême se borne donc à uniformiser la définition de l’infraction disciplinaire déjà applicable aux juges des juridictions de droit commun. Selon la République de Pologne, il serait inacceptable que le législateur exonère les juges de la Cour suprême, qui doivent satisfaire aux normes les plus élevées en termes de comportement et de connaissances juridiques, de leur responsabilité pour des manquements disciplinaires consistant en une violation manifeste et flagrante des règles de droit.

168.

Conformément à la jurisprudence de la Cour suprême, une violation des règles de droit est « manifeste » lorsque « l’erreur du juge est facile à constater, qu’elle a été commise en rapport avec la disposition en cause, bien que la signification de cette disposition ne doive pas faire naître de doutes même chez les personnes ayant une qualification juridique moyenne et que son application ne nécessite pas une analyse plus approfondie » ( 125 ) ou lorsque, « dans l’esprit de tout juriste, sans considérations plus approfondies, elle ne fait naître aucun doute quant au fait qu’il y a eu violation d’une règle de droit » ( 126 ). Il ressort donc clairement tant du libellé de l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême que de la jurisprudence y afférente que le respect de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 47 de la Charte et de l’article 267 TFUE ne constitue pas une violation manifeste et flagrante des règles de droit.

169.

Dans le mémoire en duplique, la République de Pologne rappelle que, contrairement à ce que soutient la Commission et qui est repris au point 159 des présentes conclusions, la jurisprudence de la Cour ( 127 ) exige que l’appréciation de la législation nationale tienne compte de son application pratique, y compris de toute jurisprudence nationale qui l’interprète.

2.   Analyse

a)   Observations liminaires sur la portée des deuxième et troisième griefs de la Commission

170.

La République de Pologne soutient que les arguments soulevés dans le cadre du deuxième grief de la Commission ne sont pas cohérents avec le troisième grief et le contredisent. La Commission demande à la Cour de rejeter cet argument. Le deuxième grief concerne la compétence exclusive que certaines dispositions du droit national confèrent à la chambre extraordinaire pour statuer sur des questions relatives à l’indépendance des juridictions, des formations de jugement et des juges. Le troisième grief est tiré de ce que l’examen, par une juridiction, du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, est qualifié d’« infraction disciplinaire ». Ces deux griefs sont clairement différents. Je ne partage donc pas l’affirmation selon laquelle ces deux griefs se contredisent manifestement et propose à la Cour de rejeter l’objection invoquée par la République de Pologne à cet égard.

b)   La procédure disciplinaire

171.

En conséquence des exigences relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, le régime disciplinaire des juges doit présenter les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation de ce régime en tant que système de contrôle politique sur le contenu des décisions judiciaires. Des règles qui définissent, notamment, les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires et les sanctions applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires, constituent un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire ( 128 ).

172.

Le régime disciplinaire applicable aux juges relève de l’organisation de la justice et, donc, de la compétence des États membres. En fonction de la manière dont un État membre l’impose, la responsabilité disciplinaire des juges peut contribuer à la responsabilisation et à l’efficacité du système judiciaire. Dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, en assurant notamment l’indépendance des juridictions appelées à statuer sur les questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit, afin de garantir aux justiciables la protection juridictionnelle effective requise par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 129 ).

173.

La sauvegarde de cette indépendance n’exclut pas totalement que la responsabilité disciplinaire d’un juge puisse, dans des cas très rares et tout à fait exceptionnels, être engagée du fait de ses décisions. L’exigence d’indépendance ne vise pas à protéger des comportements totalement inexcusables dans le chef de juges, qui consisteraient à méconnaître délibérément et de mauvaise foi ou en raison de négligences particulièrement graves et grossières les règles de droit national et de l’Union qu’ils sont censés appliquer, ou à verser dans l’arbitraire ou le déni de justice, alors qu’ils sont appelés à statuer sur des litiges ( 130 ).

174.

Afin de préserver l’indépendance des juges et d’éviter qu’un régime disciplinaire ne soit détourné de ses finalités légitimes, il est essentiel que le fait qu’une décision judiciaire comporte une éventuelle erreur dans l’interprétation et/ou l’application des règles de droit national et/ou de l’Union, ou dans l’appréciation des faits et l’évaluation des preuves, ne puisse, à lui seul, conduire à engager la responsabilité disciplinaire ( 131 ).

175.

La mise en cause de la responsabilité disciplinaire doit donc être encadrée par des critères objectifs et vérifiables, fondés sur les exigences essentielles d’une bonne administration de la justice, et par des garanties visant à éviter tout risque de pressions extérieures sur le contenu des décisions judiciaires et permettant d’écarter ainsi, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime quant à l’imperméabilité des juges concernés et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent ( 132 ). À cet effet, il est essentiel que soient prévues des règles qui définissent, de manière suffisamment claire et précise, les comportements susceptibles d’engager la responsabilité disciplinaire des juges, afin de garantir leur indépendance et d’éviter qu’ils ne soient exposés au risque que leur responsabilité disciplinaire soit engagée du fait du contenu de leurs décisions ( 133 ). La Cour a également jugé que le fait de ne pas exposer les juges nationaux à des procédures ou à des sanctions disciplinaires pour avoir exercé leur faculté de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE constitue une garantie inhérente à leur indépendance ( 134 ).

176.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, la portée des dispositions législatives nationales qui font l’objet d’une procédure en manquement doit, en règle générale, s’apprécier compte tenu de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales ( 135 ). En formulant son troisième grief, la Commission allègue que les termes mêmes des dispositions nationales violent clairement des dispositions du droit de l’Union identifiables et qu’il n’est donc pas nécessaire de s’interroger sur la manière dont ces dispositions sont appliquées en pratique ( 136 ). Dès lors que la Commission a choisi de présenter l’affaire de cette manière, je ne vois aucune raison logique pour laquelle la Cour ne pourrait pas la juger recevable et statuer sur ce fondement, au risque que le grief ainsi formulé par la Commission ne prospère pas.

177.

La République de Pologne affirme que le libellé de l’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême est analogue à des dispositions équivalentes du droit français et relève que la Commission n’a jamais contesté la validité de ces dernières. Par ailleurs, la République de Pologne soutient que l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême n’accorde pas à l’organe chargé de trancher un litige une marge d’appréciation plus importante que les dispositions équivalentes des droits belge, danois et néerlandais.

178.

À cet égard, il suffit de relever que le présent recours en manquement est dirigé contre la République de Pologne. La légalité des règles en vigueur dans d’autres États membres n’étant pas en cause dans la présente procédure en manquement, cet État membre ne saurait s’en prévaloir pour démontrer qu’il n’a pas violé le droit de l’Union ( 137 ).

179.

Dans la mesure où il concerne l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, le troisième grief de la Commission est étroitement lié au deuxième grief. La Commission estime que toutes les juridictions nationales doivent pouvoir apprécier si les exigences d’indépendance, d’impartialité et d’établissement préalable par la loi sont satisfaites. La Commission comprend les dispositions susmentionnées en ce sens qu’une telle appréciation est susceptible d’être qualifiée d’« acte qui compromet sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire ou qui met en cause l’existence de la relation de travail d’un juge ou l’effectivité de sa nomination ».

180.

Ainsi que je l’ai indiqué dans ma proposition de réponse au deuxième grief, j’estime que, en l’absence de violation des principes d’équivalence ou d’effectivité, les règles nationales de compétence qui limitent ou restreignent les juridictions ou les formations de jugement qui peuvent statuer sur des questions relatives à l’indépendance d’une juridiction, d’une formation de jugement ou d’un juge ne méconnaissent pas, en principe, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte. Pour autant que les règles de compétence soient claires et précises, une juridiction, une formation de jugement ou un juge ne doit pas, dans le cours normal de la procédure, usurper la compétence conférée à une autre juridiction.

181.

À mon avis, le libellé de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême est tellement large et imprécis qu’il peut raisonnablement être interprété en ce sens que l’examen par un juge du respect de l’une des exigences relatives au tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, visées à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte ( 138 ), peut constituer une infraction disciplinaire. Il peut être soutenu de manière crédible qu’une juridiction, agissant dans le cadre de sa compétence, qui examine si elle‑même, ou une autre juridiction, respecte l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte ou qui saisit la Cour de demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE ( 139 ), pourrait avoir empêché ou sérieusement compromis le fonctionnement d’une autorité judiciaire ou qu’elle aurait mis en cause l’effectivité de la nomination d’un juge.

182.

L’article 107, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême font référence à des actes ou à des omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire. Ils ne précisent pas que ces actes ou omissions doivent être illégaux au regard du droit national ou du droit de l’Union. L’affirmation de la République de Pologne selon laquelle un acte accompli dans les limites et en application de la loi ne peut pas constituer une infraction disciplinaire en vertu de ces dispositions est donc indéfendable. La lecture des dispositions en cause ne permet pas non plus d’établir l’existence d’une infraction disciplinaire, ni, en l’espèce, l’absence alléguée d’infraction disciplinaire, avec la clarté et la précision requises par la loi.

183.

L’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême font également état d’actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne. Ces dispositions sont rédigées de manière tellement large qu’elles couvrent des questions qui vont au-delà de la contestation de l’acte de nomination d’un juge par le président de la République. Les termes visent, à mon sens, toute tentative de contester un aspect de la procédure de nomination d’un juge ( 140 ), y compris, par exemple, le respect de l’exigence relative au tribunal, établi préalablement par la loi, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte. Compte tenu de l’étendue du libellé de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, il existe un risque manifeste que l’introduction d’une demande de décision préjudicielle relative à ces dispositions du droit de l’Union puisse être qualifiée d’« infraction disciplinaire ».

184.

Les mêmes considérations valent pour l’examen de l’impartialité d’une juridiction. Alors que le droit polonais contient de nombreuses dispositions relatives à la récusation des juges, les arrêts du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) en ont considérablement limité la portée ( 141 ). L’examen d’une demande de récusation d’un juge fondée sur une irrégularité de sa procédure de nomination est ainsi susceptible de constituer une infraction disciplinaire.

185.

Quant à l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, il est constant que le libellé, la portée et la finalité de cette disposition sont les mêmes que ceux de l’article 107, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun. Aux points 140 et 141 de l’arrêt Régime disciplinaire des juges, la Cour a jugé que l’article 107, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ne répondait pas aux exigences de clarté et de précision. Après avoir examiné l’application de cette disposition à la lumière, notamment, de la jurisprudence nationale invoquée par la République de Pologne, la Cour a jugé que les termes « violation manifeste et flagrante des règles de droit » n’excluent pas que la responsabilité des juges puisse être engagée sur le seul fondement du contenu prétendument erroné de leurs décisions, tout en limitant cette responsabilité à des hypothèses tout à fait exceptionnelles.

186.

En l’espèce, la République de Pologne s’appuie sur la jurisprudence de la Cour suprême relative à l’article 107, paragraphe 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun pour démontrer que l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême ne saurait être interprété en ce sens qu’il permettrait d’imposer des sanctions disciplinaires en conséquence du respect des exigences énoncées à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte.

187.

Les arrêts relatifs à l’article 107, paragraphe 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun qu’a produits la République de Pologne, dont le plus récent date de 2015 ( 142 ), ont été adoptés par la chambre de la Cour suprême qui était compétente avant la réforme de cette juridiction par la loi sur la Cour suprême ( 143 ), et non par la chambre disciplinaire dans sa forme actuelle.

188.

En outre, comme l’indique la Commission dans le mémoire en réplique, dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges ( 144 ), la Cour a constaté que, dans une décision récente ( 145 ), la chambre disciplinaire actuelle a adopté une interprétation large de l’article 107, paragraphe 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun qui s’écarte de la jurisprudence antérieure de la Cour suprême et fait régresser la protection de l’État de droit ( 146 ). Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une législation nationale fait l’objet d’interprétations juridictionnelles divergentes, dont certaines appliquent cette législation d’une manière conforme au droit de l’Union tandis que d’autres ne le font pas, cette législation n’est, à tout le moins, pas suffisamment claire et précise pour assurer une application compatible avec le droit de l’Union ( 147 ).

189.

Conformément à l’article 73, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la chambre disciplinaire est la juridiction disciplinaire de deuxième (et dernière) instance pour les juges des juridictions de droit commun et la juridiction disciplinaire de première et deuxième instance pour les juges de la Cour suprême. Étant donné que la chambre disciplinaire ne répond pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité visées à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 148 ), il existe un risque accru que l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême ( 149 ) soit interprété de manière à permettre l’utilisation du régime disciplinaire pour influencer les décisions judiciaires ( 150 ).

190.

Dans la mesure où je propose à la Cour de déclarer que, en adoptant l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, je propose à celle-ci d’accueillir le troisième grief.

D. Sur le quatrième grief – La compétence de la chambre disciplinaire pour connaître des affaires ayant une incidence directe sur le statut des juges et des juges auxiliaires et l’exercice de leurs fonctions

1.   Arguments des parties

191.

Par son quatrième grief, qui vise plusieurs dispositions de l’article 27, paragraphe 1, de la loi modifiée sur la Cour suprême, la Commission soutient que la République de Pologne a violé l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE en conférant à la chambre disciplinaire, dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties selon la jurisprudence de la Cour ( 151 ), la compétence pour statuer sur les affaires ayant une incidence directe sur le statut des juges et des juges auxiliaires et l’exercice de leurs fonctions.

192.

La Commission considère que l’analyse globale d’une série d’éléments concernant la composition et la compétence de la chambre disciplinaire, les conditions dans lesquelles ses membres ont été nommés, et en particulier le rôle joué par la KRS, organe constitutionnel chargé d’assurer l’indépendance des juridictions et des juges, ainsi que le fait que les mesures ont été introduites simultanément dans le droit polonais font apparaître une « rupture systémique » avec le régime antérieur. Non seulement cela fait naître des doutes légitimes quant à l’indépendance de la chambre disciplinaire, à son imperméabilité à l’égard d’éléments extérieurs et à son impartialité par rapport aux intérêts en présence dans les affaires dans lesquelles elle est habilitée à statuer, mais cela porte également directement atteinte à l’indépendance des juges relevant de sa compétence.

193.

La Commission relève que la chambre disciplinaire nouvellement créée s’est vu confier certaines catégories d’affaires concernant le statut de juges qui relevaient jusqu’alors des juridictions de droit commun ou d’autres juridictions. En outre, tous les membres de la chambre disciplinaire ont été nommés sur la base d’une procédure impliquant la KRS, dans sa composition modifiée. À cet égard, le mandat de quatre ans de quinze membres de la KRS a été raccourci et la procédure de sélection des futurs membres a été modifiée afin d’accroître l’influence de la Diète sur sa composition. La Commission souligne également que l’insertion des paragraphes 1b et 4 à l’article 44 de la loi sur la KRS ( 152 ) a réduit l’effectivité du contrôle juridictionnel des résolutions de la KRS présentant au président de la République des candidats à des postes de juges à la Cour suprême ( 153 ). Enfin, la Commission fait également état du degré d’autonomie organisationnelle, fonctionnelle et financière accru de la chambre disciplinaire par rapport aux quatre autres chambres de la Cour suprême.

194.

Le quatrième grief est dirigé contre trois dispositions : premièrement, l’article 27, paragraphe 1, point 1a, de la loi modifiée sur la Cour suprême, relatif aux demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre des juges et des juges auxiliaires ou de les placer en détention ; deuxièmement, l’article 27, paragraphe 1, point 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême, en matière de droit du travail et des assurances sociales applicables aux juges de la Cour suprême, et, troisièmement, l’article 27, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême qui régit la mise à la retraite d’office des juges.

195.

La Commission rappelle que la Cour a jugé que l’indépendance des juges impose que les règles gouvernant le régime disciplinaire de ceux qui ont pour tâche de juger présentent les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation de ce régime en tant que système de contrôle politique sur le contenu des décisions judiciaires. L’édiction de règles qui définissent les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires et les sanctions concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure qui garantit pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire ( 154 ).

196.

La Commission fait valoir que, lorsque la chambre disciplinaire statue en première et en deuxième instance sur la levée de l’immunité judiciaire d’un juge avant l’ouverture d’une procédure pénale à son encontre, elle doit examiner s’il existe des motifs légitimes de soupçonner que l’infraction alléguée a été commise. La chambre disciplinaire doit également se prononcer sur les mesures supplémentaires, notamment la suspension du juge dans ce contexte. Ce faisant, la chambre disciplinaire interfère directement dans l’exercice, par ce juge, de ses fonctions juridictionnelles. Dès lors que la suspension d’un juge peut être d’une durée indéterminée, pendant laquelle sa rémunération est réduite de 25 % à 50 %, la perspective que ces mesures supplémentaires puissent être prises peut constituer un moyen de pression sur les juges, et avoir une incidence sur leurs décisions.

197.

La Commission ajoute que la compétence exclusive de la chambre disciplinaire en matière de droit du travail, d’assurances sociales et de mise à la retraite, y compris pour les questions relatives à la rémunération, aux congés et aux absences, aux indemnités et à la mise à la retraite pour cause de maladie ou de déficience physique ou mentale, a une incidence directe sur les conditions dans lesquelles les juges de la Cour suprême exercent leurs fonctions juridictionnelles.

198.

Selon la Commission, la chambre disciplinaire s’estime compétente pour connaître des affaires qui visent à déterminer la relation de travail des juges de la Cour suprême dans le cadre de procédures engagées en vertu de l’article 189 du code de procédure civile. La Commission considère que, à l’instar des procédures disciplinaires et des décisions de levée de l’immunité des juges, il importe qu’une juridiction indépendante prenne ou contrôle de telles décisions afin de protéger les juges contre les pressions injustifiées et les incertitudes susceptibles d’affecter leur indépendance.

199.

Dans le mémoire en réplique, la Commission reprend le raisonnement exposé par la Cour aux points 88 à 110 de l’arrêt Régime disciplinaire des juges, dans lequel la Cour a jugé que, en ne garantissant pas l’indépendance et l’impartialité de la chambre disciplinaire, la République de Pologne avait porté atteinte à l’indépendance des juges des juridictions de droit commun et de la Cour suprême, manquant ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Si les États membres peuvent définir les règles relatives à l’immunité judiciaire, l’application de ces règles ne saurait porter atteinte à l’indépendance des juges. La Commission ajoute que, dans l’affaire Reczkowicz c. Pologne ( 155 ), la Cour EDH a jugé que la chambre disciplinaire n’est pas un tribunal établi préalablement par la loi.

200.

La République de Pologne conclut au rejet du quatrième grief. En effet, le fait qu’un organe du pouvoir exécutif nomme les juges n’est pas de nature à créer une dépendance de ces derniers à son égard ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, les intéressés ne sont soumis à aucune pression ni influence dans l’exercice de leurs fonctions ( 156 ). Une évaluation globale de la procédure de nomination des juges de la chambre disciplinaire et du système de garanties qui les protège après leur nomination démontrerait qu’aucune pression extérieure ne peut être exercée sur ceux-ci.

201.

Selon la République de Pologne, sa Constitution fixe la procédure de nomination de tous les juges, y compris ceux de la chambre disciplinaire. En vertu des dispositions combinées de l’article 179 et de l’article 144, paragraphe 3, point 17, de la Constitution de la République de Pologne, le président de la République nomme les juges, sur proposition de la KRS, pour une durée indéterminée. La nomination des juges est une prérogative bien établie du président de la République, que ce dernier exerce, conformément à l’article 31 de la loi sur la Cour suprême, après avis du premier président de la Cour suprême. Le président de la République publie un avis au Monitor Polski, le journal officiel polonais, pour annoncer le nombre de postes de juges vacants à pourvoir dans chaque chambre de la Cour suprême. L’article 30 de la loi sur la Cour suprême établit une liste exhaustive des conditions que doivent remplir les candidats aux postes de juges à la Cour suprême ( 157 ). Dans un délai d’un mois suivant la publication de l’annonce, toute personne satisfaisant aux conditions d’accès aux fonctions de juge de la Cour suprême peut présenter à la KRS sa candidature au poste de juge au sein de la chambre spécifiée dans l’annonce. Après avoir constaté que les candidats remplissent les conditions et les exigences formelles de présentation des candidatures, le président de la KRS désigne, en application de l’article 31, paragraphe 1, de la loi sur la KRS, un groupe d’au moins trois membres de la KRS chargé d’émettre un avis sur les candidatures présentées. Après avoir examiné ces candidatures, la KRS présente au président de la République une proposition de nomination de juges aux postes vacants de la Cour suprême. Si la proposition de la KRS ne lie pas le président de la République, celui-ci ne peut pas nommer une personne dont la KRS n’a pas proposé la nomination. De cette manière, le rôle de la KRS ne diffère pas de celui des conseils de la magistrature d’autres États membres.

202.

La République de Pologne souligne que l’indépendance des juges de la chambre disciplinaire découle non seulement de la procédure de leur nomination, mais surtout du vaste système de garanties qui permet d’assurer que tous les juges de la chambre disciplinaire statuent sans subir aucune pression extérieure. Conformément à l’article 179 de la Constitution de la République de Pologne, les juges sont nommés pour une durée indéterminée. L’article 180 de la Constitution de la République de Pologne prévoit en outre que les juges sont inamovibles. Un juge ne peut être révoqué, suspendu de ses fonctions, déplacé dans un autre ressort ou une autre fonction contre sa volonté qu’en vertu d’une décision de justice et uniquement dans les cas prévus par la loi. Un juge part à la retraite lorsqu’il a atteint l’âge légal et peut, selon les modalités prévues par la loi, être mis à la retraite à la suite d’une maladie ou d’une infirmité le rendant incapable d’exercer ses fonctions. En vertu de l’article 181 de la Constitution de la République de Pologne, un juge est couvert par l’immunité et ne peut donc être tenu pénalement responsable ni privé de liberté sans l’accord préalable d’un tribunal spécifié par la loi. Les juges ont en outre l’obligation de rester apolitiques en vertu de l’article 178, paragraphe 3, de la Constitution de la République de Pologne. Conformément à l’article 44 de la loi sur la Cour suprême, les juges de cette juridiction (y compris ceux de la chambre disciplinaire) ne peuvent, en principe, occuper un autre emploi. Parallèlement, les juges de la Cour suprême bénéficient de conditions matérielles appropriées, qui ont pour but de compenser les interdictions et les restrictions qui leur sont imposées. Les juges de la chambre disciplinaire ont droit à un supplément de rémunération s’élevant à 40 % du total de la rémunération de base ainsi qu’à une indemnité de fonction (sauf lorsque le juge occupe un emploi d’enseignant scientifique ou de scientifique, pour la période allant de la date de son entrée en fonction jusqu’à la fin de cet emploi) en raison des règles relatives à l’incompatibilité avec l’exercice d’autres fonctions.

203.

Selon la République de Pologne, la Commission n’a pas expliqué comment l’indépendance de la chambre disciplinaire fait naître une possibilité d’exercer des pressions sur les juges siégeant en son sein. La création de la chambre disciplinaire était justifiée par l’inefficacité des procédures disciplinaires et l’incapacité des juges de la Cour suprême à faire respecter les conséquences des manquements disciplinaires commis par les juges. L’indépendance de la chambre disciplinaire au sein de la Cour suprême, associée à son absence de dépendance par rapport à d’autres pouvoirs, démontre que les allégations de la Commission ne sont pas fondées. Par ailleurs, la République de Pologne souligne que le transfert de compétence à la chambre disciplinaire est lié à l’organisation judiciaire, laquelle relève de la compétence exclusive des États membres. Ainsi, dans certains États membres ( 158 ), les juges ne bénéficient d’aucune immunité. Si la Commission considère que l’immunité judiciaire est une exigence du droit de l’Union, elle devrait adresser cette demande à tous les États membres.

204.

La République de Pologne considère que la procédure de nomination des juges à la chambre disciplinaire offre des garanties d’indépendance bien plus élevées que les procédures dont la Cour a considéré qu’elles répondent aux normes découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 159 ). Elle insiste sur le fait qu’il n’y a eu aucune « rupture systémique » et que la Commission applique de manière flagrante le principe de deux poids, deux mesures. La Commission n’a pas expliqué la notion de « rupture systémique », qui n’est pas une notion juridique et n’apparaît pas dans la jurisprudence internationale. La réforme du système judiciaire n’est pas non plus liée à une quelconque « rupture ». Au contraire, la chambre disciplinaire exerce les fonctions d’une juridiction disciplinaire en première ou en deuxième instance.

2.   Analyse

205.

Si l’organisation de la justice, y compris les règles régissant les poursuites pénales à l’encontre des juges, relève de la compétence des États membres, l’exercice de cette compétence doit être conforme au droit de l’Union. Lorsqu’un État membre prévoit des règles spécifiques régissant les poursuites pénales à l’encontre des juges, ces règles doivent être justifiées par des exigences objectives et vérifiables tenant à la bonne administration de la justice, comme l’impose l’exigence d’indépendance afin d’écarter, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs, notamment toute influence directe ou indirecte du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif susceptible d’avoir une incidence sur leurs décisions. De telles règles doivent, à l’exemple de celles relatives à la responsabilité disciplinaire des juges, offrir les garanties nécessaires assurant que ces procédures pénales ne puissent pas être utilisées en tant que système de contrôle politique sur l’activité desdits juges et qu’elles garantissent pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte ( 160 ).

206.

En vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tout État membre doit assurer que les juridictions susceptibles de se prononcer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective ( 161 ). De par leur nature même, les affaires relevant de la compétence de la chambre disciplinaire en vertu de l’article 27, paragraphe 1, points 1a, 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême peuvent avoir une incidence immédiate, directe et profonde sur le statut des juges et l’exercice de leurs fonctions ( 162 ). Eu égard aux lourdes conséquences que de telles mesures peuvent avoir sur leur vie et leur carrière, il est impératif que les mesures adoptées en vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous a), paragraphes 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême à l’égard de juges susceptibles de se prononcer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union soient contrôlées par un organe répondant lui-même à l’exigence de protection juridictionnelle effective conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 163 ).

207.

Il s’ensuit que la chambre disciplinaire, compétente pour appliquer l’article 27, paragraphe 1, points 1a, 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, doit offrir toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité afin d’éviter tout risque que des mesures adoptées en application de ces dispositions puissent être utilisées en tant que système de contrôle politique sur le contenu des décisions judiciaires. Il est sans pertinence, dans ce contexte, que d’autres États membres disposent d’un régime d’immunité judiciaire différent ( 164 ).

208.

Dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges, la Cour a jugé, de façon catégorique, sur la base de plusieurs critères, que la chambre disciplinaire ne respectait pas les exigences d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. À cet égard, la Cour s’est largement appuyée sur les éléments qu’elle avait déjà exposés dans l’arrêt A. K. auquel la requête fait référence. Le mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour le 17 juin 2021, soit environ un mois avant le prononcé de l’arrêt Régime disciplinaire des juges. Si, dans le mémoire en réplique du 28 juillet 2021, la Commission s’est appuyée sur cet arrêt afin d’étayer le quatrième grief, dans le mémoire en duplique déposé le 7 septembre 2021, la République de Pologne n’a pas formulé d’observations sur ce grief.

209.

L’importance de l’arrêt Régime disciplinaire des juges ( 165 ) pour l’appréciation du quatrième grief est telle que j’en résumerai brièvement les points pertinents ( 166 ). S’appuyant sur les diverses considérations énoncées aux points 89 à 110 de cet arrêt, plutôt que sur un seul élément, la Cour a jugé que la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dès lors que la chambre disciplinaire ne satisfaisait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité ( 167 ). Elle s’est fondée, notamment, sur le fait que l’institution ex nihilo d’une chambre disciplinaire disposant d’une compétence exclusive pour connaître de certaines affaires disciplinaires avait coïncidé avec l’adoption d’une réglementation nationale portant atteinte à l’inamovibilité et à l’indépendance des juges de la Cour suprême. Elle a relevé que la chambre disciplinaire bénéficiait, au sein de la Cour suprême, d’une autonomie organisationnelle, fonctionnelle et financière particulièrement large, par rapport à d’autres chambres de cette juridiction. La rémunération des juges de la chambre disciplinaire dépasse d’environ 40 % celle des juges affectés aux autres chambres de la Cour suprême sans aucune justification objective. Lors de son institution initiale, la chambre disciplinaire devait être composée exclusivement de nouveaux juges nommés par le président de la République, sur proposition de la KRS ( 168 ).

210.

Avant ces nominations, la KRS avait fait l’objet d’une profonde réforme ( 169 ). Selon la Cour, de tels changements étaient susceptibles de créer un risque, jusqu’alors inexistant dans la procédure de sélection précédemment mise en œuvre, d’emprise accrue des pouvoirs législatif et exécutif sur la KRS et d’atteinte à l’indépendance de cet organe. La KRS nouvellement composée a été, en outre, mise en place moyennant un raccourcissement du mandat en cours, d’une durée de quatre ans, des membres qui composaient jusqu’alors cet organe. La Cour a également constaté que la réforme législative de la KRS était intervenue concomitamment à l’adoption d’une nouvelle loi sur la Cour suprême ( 170 ), qui a mis en œuvre une vaste réforme de cette juridiction ( 171 ).

211.

Selon la Cour, l’ensemble de ces éléments est de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de la chambre disciplinaire à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent. La Cour a jugé que ces éléments étaient susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite instance qui est propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer auxdits justiciables dans une société démocratique et un État de droit ( 172 ).

212.

Contrairement à ce que soutient la République de Pologne, une appréciation globale de la procédure de nomination des juges de la chambre disciplinaire et les conditions dans lesquelles cette chambre opère n’excluent pas l’existence de doutes légitimes quant à l’éventualité que des pressions extérieures puissent être exercées sur ceux-ci. Au moment de la rédaction des présentes conclusions, les doutes légitimes quant à l’indépendance et à l’impartialité de la chambre disciplinaire décrits dans l’arrêt Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) ( 173 ) et l’arrêt A. K. subsistent.

213.

En conséquence de ce qui précède, je propose à la Cour de constater que, en attribuant à la chambre disciplinaire, dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas assurées, la compétence pour connaître des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire, telles que les demandes d’autorisation d’engager des procédures pénales contre les juges et les juges auxiliaires ou de les placer en détention, les affaires relatives au droit du travail et aux assurances sociales qui concernent les juges de la Cour suprême et les affaires relatives à leur mise à la retraite obligatoire, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

E. Sur le cinquième grief – La violation du droit fondamental des juges au respect de leur vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel

1.   Arguments des parties

214.

La Commission soutient que, en imposant aux juges de communiquer, dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la notification de leur nomination, des informations relatives à leur appartenance à un organisme professionnel ou à une association, à la fonction exercée au sein d’une fondation sans but lucratif, en ce compris leur appartenance à un parti politique, et en publiant ces informations dans le Bulletin d’information publique avant leur entrée en fonction, la République de Pologne a violé le droit fondamental des juges au respect de leur vie privée et leur droit à la protection des données à caractère personnel garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que par l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

215.

L’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives imposent aux juges de déposer une déclaration écrite indiquant leur appartenance aux organismes visés à l’article 88 a, paragraphe 1, points 1 à 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun. Ces informations sont publiées au Bulletin des informations publiques au plus tard 30 jours à compter de la date de dépôt de ladite déclaration ( 174 ). La Commission considère que ces dispositions concernent le traitement des données à caractère personnel telles que définies à l’article 4, point 1, du RGPD, c’est-à-dire des informations concernant une personne physique identifiée ou identifiable. Les informations visées à l’article 88 a, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ayant trait aux opinions politiques d’un juge avant sa nomination à la fonction de juge ( 175 ), ou aux convictions philosophiques liées à l’appartenance à une association ou à une fondation ( 176 ), elles relèvent de catégories particulières de données à caractère personnel au sens de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

216.

Selon la Commission, le traitement des données à caractère personnel des juges étant soumis au RGPD, l’exception visée à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de ce règlement, dont se prévaut la République de Pologne, n’est pas applicable. À cet égard, il suffit de renvoyer au considérant 20 ( 177 ) et à l’article 37, paragraphe 1, sous a), du RGPD, qui, pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, prévoient une dérogation uniquement en ce qui ce concerne la compétence des autorités de contrôle à l’égard des juridictions dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle.

217.

La Commission considère, en outre, que les obligations contestées de communiquer et de publier des informations sur l’appartenance à un parti politique avant la nomination à la fonction de juge ainsi que sur les activités publiques et sociales d’un juge au sein d’une association ou d’une fondation sont incompatibles avec le principe général de proportionnalité, dès lors qu’elles ne sont ni appropriées ni nécessaires pour atteindre l’objectif affiché par la République de Pologne d’accroître l’impartialité des juges. Elles sont donc incompatibles tant avec les articles 7 et 8 de la Charte, qu’avec l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD. Les obligations en cause limitent le droit au respect de la vie privée ( 178 ) des juges et leur droit à la protection des données à caractère personnel les concernant ( 179 ). Les restrictions possibles à ces droits doivent, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, être prévues par la loi et respecter le contenu essentiel des droits consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte. Elles doivent, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaires et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

218.

La Commission considère que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, du RGPD, le droit de l’État membre constituant la base juridique du traitement des données à caractère personnel nécessaire au respect d’une obligation légale ou à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement doit répondre à un objectif d’intérêt public et être proportionné au but légitime poursuivi ( 180 ). Par ailleurs, le traitement de données sensibles révélant les opinions politiques d’un juge avant sa nomination de même que ses convictions philosophiques liées à son appartenance à une association ou à une fondation doit être justifié par l’une des exceptions prévues à l’article 9, paragraphe 2, du RGPD.

219.

Selon la Commission, il ne saurait être exclu que les organes chargés de garantir le respect des normes déontologiques et professionnelles applicables aux juges, ou de désigner les formations de jugement, puissent être informés des activités exercées par ceux-ci en dehors de leurs fonctions et susceptibles de donner lieu à des conflits d’intérêts dans une affaire précise. Pour autant, le traitement de ces informations devrait être strictement limité à cette finalité et, en particulier, ne devrait pas être utilisé à d’autres fins, y compris à des fins susceptibles d’entraîner une discrimination à l’égard d’un juge ou d’exercer des pressions extérieures sur sa personne ou une influence sur sa carrière judiciaire.

220.

La Commission estime que les dispositions nationales en cause sont disproportionnées dans la mesure où elles ne se limitent pas à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, même si elles n’étaient appliquées qu’au contrôle interne d’éventuels conflits d’intérêts. En particulier, l’appartenance passée à un parti politique relève de la vie du juge avant sa nomination et n’affecte dès lors pas directement son activité. En ce qui concerne l’appartenance à un parti politique et la fonction exercée au sein de celui-ci avant le 29 décembre 1989, il est impossible de soutenir que de telles informations pourraient servir à apprécier l’impartialité d’un magistrat dans les affaires dont il est saisi plus de 30 ans plus tard. Il n’existe pas non plus de lien entre l’accès à ces données et la procédure de nomination puisque ces données sont présentées après l’entrée en fonction du juge.

221.

En tout état de cause, l’objectif consistant à assurer que toute affaire soit jugée par un magistrat impartial peut être atteint par des moyens moins restrictifs, tels que la récusation d’un juge dans les affaires où un doute est soulevé quant à son impartialité. Dans le mémoire en réplique, la Commission indique que, lors de leur nomination, les juges jurent d’administrer la justice conformément au droit, en pleine impartialité et en toute conscience. En vertu de l’article 82, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, les juges sont également tenus de préserver la dignité de leur fonction.

222.

Dans le mémoire en réplique, la Commission relève également que la Constitution de la République de Pologne exige que les juges soient apolitiques et impartiaux. La République de Pologne n’a pas justifié la nécessité d’adopter l’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun au regard de cette exigence. Les informations relatives à l’appartenance à une association, à la fonction exercée au sein d’une fondation sans but lucratif et à l’appartenance à un parti politique sont révélatrices des opinions politiques ou des convictions religieuses ou philosophiques d’un juge, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du RGPD. En outre, la notion d’« association », au sens de l’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, n’étant pas définie, elle s’applique à l’appartenance à des associations religieuses, obligeant ainsi les juges à divulguer leurs convictions dans ce contexte. Selon la Commission, cette disposition a été introduite afin que les informations recueillies et traitées puissent être utilisées à d’autres fins, par exemple pour exercer des pressions sur les juges ou susciter à leur égard la méfiance des personnes qui ne partagent pas leurs convictions.

223.

La République de Pologne estime que le cinquième grief doit être rejeté dans la mesure où les dispositions litigieuses n’entrent pas dans le champ d’application du RGPD. Elle s’appuie sur l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, pour affirmer que ce dernier ne s’applique pas au traitement de données à caractère personnel dans le cadre d’une activité qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union. Dès lors, comme l’organisation de la justice relève de la compétence exclusive des États membres, le RGPD ne s’applique pas à cette activité.

224.

En tout état de cause, la République de Pologne considère que les dispositions nationales en cause sont compatibles avec le RGPD. Les informations relatives à certaines activités des juges en dehors de la sphère juridictionnelle peuvent avoir une incidence sur l’exercice de leurs fonctions et sur l’existence de motifs de récusation dans une affaire particulière. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, une ancienne affiliation à un parti politique peut avoir un effet sur l’activité judiciaire actuelle d’un juge et sur l’existence de motifs de récusation dans une affaire particulière. Ces obligations visent à fournir des informations aux parties à la procédure et à leur permettre de présenter une demande de récusation motivée. Elles n’ont pas pour objectif d’empêcher un juge d’exercer des activités publiques incompatibles avec les principes d’indépendance ( 181 ), mais plutôt de permettre de vérifier ad casum que le juge n’est pas engagé dans des activités qui peuvent donner l’impression qu’il n’est pas pleinement objectif. Les dispositions nationales sont donc proportionnées à l’objectif de renforcer l’impartialité et la neutralité politique des juges, ce qui, comme la Commission elle-même l’admet, constitue la finalité des dispositions attaquées.

225.

Selon la République de Pologne, l’objectif d’obtenir des informations sur l’affiliation à un parti politique avant le 29 décembre 1989 afin d’évaluer l’impartialité d’un juge statuant dans des affaires plus de 30 ans plus tard est tout à fait légitime étant donné que la politisation du pouvoir judiciaire était une caractéristique propre aux anciens régimes communistes en Europe centrale et orientale.

226.

La République de Pologne relève que la Commission n’exclut pas que la participation aux activités d’une fondation ou d’un organisme à but non lucratif puisse avoir un effet direct sur les activités actuelles d’un juge, et ne saurait être assimilée aux activités de personnes privées. Contrairement à ce que soutient la Commission, le traitement des informations demandées se limite exclusivement à renforcer la confiance du public dans l’impartialité et la neutralité politique des juges. Ces données ne peuvent pas être utilisées à d’autres fins, y compris celles qui pourraient conduire à une discrimination à l’encontre d’un juge, à des pressions extérieures sur ce dernier ou à une influence sur sa carrière professionnelle. La Commission ne fournit aucun élément de preuve à l’appui de son argument et ses affirmations sont donc purement hypothétiques.

227.

La République de Pologne rejette également l’argument de la Commission selon lequel l’objectif des dispositions nationales peut être atteint par des moyens moins restrictifs. Ces obligations visent à fournir aux parties à la procédure des informations suffisantes pour présenter une demande de récusation d’un juge à un stade approprié. Cet objectif ne saurait être atteint par les moyens décrits par la Commission. Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel les informations en cause ne devraient pouvoir être utilisées que dans le cadre du contrôle interne d’éventuels conflits d’intérêts, qui ne seraient communiqués qu’aux personnes chargées de veiller au respect des normes éthiques et professionnelles des juges et à celles chargées de déterminer la composition de la formation de jugement.

228.

Le traitement des données concernant l’affiliation des juges à des fondations, associations ou partis politiques répond donc au critère de proportionnalité nécessaire à l’exécution d’une mission effectuée dans l’intérêt public. Par conséquent, la République de Pologne considère que, nonobstant sa position sur l’application de l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, les dispositions contestées répondent également aux critères de l’article 6, paragraphe 3, dernière phrase, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), et l’article 6, paragraphe 3, première phrase, sous b), du RGPD. En outre, les données concernées ne relèvent pas de la catégorie des données à caractère personnel particulières à laquelle renvoie l’article 9, paragraphe 1, du RGPD. Il n’est donc pas nécessaire de procéder au test de proportionnalité auquel la Commission fait référence. Les obligations en cause ne visent pas à obliger un juge à déposer une déclaration contenant des informations relatives à ses opinions politiques ou religieuses ou à ses convictions philosophiques. En vertu de la Constitution de la République de Pologne, les juges, tout comme les autres citoyens, ont le droit à la liberté de parole, de conviction, d’association et de réunion ( 182 ) pour autant que, dans l’exercice de ces droits, ils se comportent dans le respect de la dignité de leur fonction ainsi que de l’impartialité et de l’indépendance de la justice.

2.   Analyse

229.

Si le grief de la Commission relatif à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte est bref et repose sur les mêmes arguments que ceux qu’elle soulève en ce qui concerne la violation du RGPD alléguée, je considère qu’il est tiré d’une violation autonome de la Charte par la République de Pologne ( 183 ).

230.

L’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, TUE, de même que l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, précisent que les dispositions de cette dernière n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités. La Cour n’est donc pas compétente pour examiner la compatibilité avec la Charte d’une réglementation nationale qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union ( 184 ).

231.

Au point 21 de l’arrêt Åkerberg Fransson ( 185 ), la Cour a jugé que, les droits fondamentaux garantis par la Charte devant être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent du droit de l’Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s’appliquer. L’applicabilité du droit de l’Union implique donc celle des droits fondamentaux garantis par la Charte. Il s’ensuit que les droits fondamentaux garantis par la Charte s’appliquent à toutes les situations régies par le droit de l’Union et qu’ils doivent, dès lors, être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union. Encore faut-il, pour que la Charte soit applicable, que, dans le domaine concerné, le droit de l’Union impose des obligations spécifiques aux États membres à l’égard de la situation en cause ( 186 ).

232.

Le RGPD impose des obligations spécifiques aux États membres lorsqu’ils traitent des données à caractère personnel. Les informations auxquelles se réfèrent l’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives concernent une personne physique identifiée ou identifiable ( 187 ) au sens de l’article 4, point 1, du RGPD. Leur collecte et leur publication ultérieure constituent des traitements au sens de l’article 4, point 2, du RGPD ( 188 ). Partant du principe que le traitement des données à caractère personnel des juges en cause dans le présent grief relève du champ d’application du RGPD, et est donc régi par le droit de l’Union, la Cour est compétente pour apprécier si l’adoption par la République de Pologne de la réglementation nationale en cause viole l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte. Quant à l’allégation de la République de Pologne selon laquelle le RGPD ne s’applique pas à l’organisation et/ou à l’administration de la justice dans un État membre, dès lors que cette activité ne relève pas du champ d’application matériel du droit de l’Union en vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, la Cour a jugé que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union ( 189 ). Le champ d’application matériel du RGPD est très large. Aux termes de son article 2, paragraphe 1, le RGPD « s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier ». L’article 2, paragraphe 2, sous a) à d), du RGPD exclut, dans certaines circonstances, certains traitements de données du champ d’application matériel de ce règlement. Parmi ces exclusions, l’on peut citer l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD qui vise la situation où le traitement est effectué dans le cadre d’une activité qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union ( 190 ).

233.

Dans son arrêt Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) ( 191 ), la Cour ( 192 ) a jugé que l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD, lu à la lumière du considérant 16 de ce règlement ( 193 ), exclut du champ d’application dudit règlement les traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités étatiques dans le cadre d’une activité qui vise à préserver la sécurité nationale ou d’une activité pouvant être rangée dans la même catégorie. Le seul fait qu’une activité soit propre à l’État ou à une autorité publique ne suffit donc pas pour que cette exception soit automatiquement applicable à une telle activité. Contrairement à ce que soutient la République de Pologne, l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD n’exclut pas l’organisation et/ou l’administration de la justice dans les États membres du champ d’application matériel de ce règlement ( 194 ).

234.

Par ailleurs, il peut être relevé que certaines dérogations spécifiques du RGPD limitent son application à l’égard des « juridictions [qui] agissent dans le cadre de leur fonction juridictionnelle » ( 195 ). Le RGPD n’exclut donc pas l’organisation de la justice ni l’administration de la justice de son champ d’application en tant que telles, mais limite l’application de certaines de ses dispositions dans certaines circonstances.

235.

Par conséquent, l’organisation et/ou l’administration de la justice dans un État membre ne constituent pas une activité qui ne relève pas du champ d’application matériel du droit de l’Union en vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD ( 196 ). Des dispositions nationales qui prévoient le traitement de données à caractère personnel relevant du champ d’application du RGPD doivent se conformer à ce règlement et, de manière implicite, respecter les droits fondamentaux consacrés par la Charte. Eu égard à l’objectif, énoncé à l’article 1er, paragraphe 2, du RGPD, de protéger les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel, pour autant que les conditions d’un traitement licite de données à caractère personnel en vertu de ce règlement sont remplies, ce traitement est réputé satisfaire également aux exigences fixées aux articles 7 et 8 de la Charte ( 197 ).

236.

Ainsi qu’il ressort de son considérant 10, le RGPD a notamment pour objectif d’assurer un niveau élevé de protection des personnes physiques au sein de l’Union. À cette fin, il vise à assurer une application cohérente et homogène des règles de protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement de leurs données à caractère personnel dans l’ensemble de l’Union. Comme l’indique le considérant 4 du RGPD, le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu, mais doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité.

237.

Sous réserve des dérogations admises à l’article 23 du RGPD, tout traitement de données à caractère personnel doit respecter les principes le régissant ainsi que les droits de la personne concernée énoncés respectivement aux chapitres II et III de ce règlement. En particulier, tout traitement de données à caractère personnel doit, d’une part, être conforme aux principes énoncés à l’article 5 dudit règlement et, d’autre part, satisfaire aux conditions de licéité énumérées à l’article 6 de ce même règlement ( 198 ).

238.

Les données à caractère personnel doivent, conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous a) à d), du RGPD, être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée, être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard de ces finalités, être exactes et, si nécessaire, tenues à jour.

239.

La Commission ne soutient pas que la République de Pologne a violé un des principes relatifs au traitement des données à caractère personnel énoncés à l’article 5 du RGPD ( 199 ). S’agissant de l’article 6 du RGPD, il est précisé dans l’arrêt Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) ( 200 ) que cette disposition prévoit une liste exhaustive et limitative des cas dans lesquels un traitement des données à caractère personnel peut être considéré comme étant licite. Un traitement de données licite doit dès lors relever de l’un des cas prévus à cette disposition ( 201 ).

240.

Le traitement de données n’est licite en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du RGPD que s’il est nécessaire pour respecter une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ( 202 ). Un tel traitement n’est licite au regard de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du RGPD que s’il est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement ( 203 ). Étant donné que, dans le cadre de la présente procédure, le traitement des données est prévu par la loi, sa licéité doit être examinée au regard de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du RGPD. Conformément à l’article 6, paragraphe 3, du RGPD, la base juridique du traitement auquel renvoie l’article 6, paragraphe 1, sous c), de ce règlement doit être établie par le droit de l’Union ou par le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis ( 204 ), et définir la finalité de ce traitement. En outre, l’article 6, paragraphe 3, du RGPD prévoit que le droit de l’Union ou le droit interne doit répondre à un objectif d’intérêt public et être proportionné à l’objectif légitime poursuivi. Le considérant 39 du RGPD précise que les données à caractère personnel ne devraient être traitées que si la finalité du traitement ne peut être raisonnablement atteinte par d’autres moyens.

241.

Les droits consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte ainsi que par le RGPD ne sont pas non plus absolus et s’appliquent par rapport à leur fonction dans la société ( 205 ). Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par celle-ci, tels que le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit à la protection des données à caractère personnel, doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. La Cour a également précisé que la réglementation comportant l’ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel doit prévoir des règles claires et précises régissant sa portée et son application ( 206 ).

242.

Le cinquième grief de la Commission porte principalement sur la proportionnalité des dispositions nationales en cause. La Commission ne prétend pas que l’objectif d’assurer l’accès à un tribunal impartial ne relève pas de l’intérêt général ( 207 ) et que le traitement n’est pas conforme à l’article 6, paragraphe 1, sous c), et à l’article 6, paragraphe 3, du RGPD, ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte sur ce fondement ( 208 ). Il suffit de rappeler que, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, les États membres doivent garantir l’accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 209 ). La Commission fait valoir, en substance, que les dispositions nationales sont illégales en ce qu’elles ne sont ni appropriées ni nécessaires pour atteindre l’objectif déclaré de la République de Pologne, qui est d’assurer l’impartialité de la justice.

243.

L’article 9, paragraphe 1, du RGPD interdit explicitement le traitement de certaines données à caractère personnel déterminées jugées particulièrement sensibles ( 210 ). L’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun ( 211 ) requiert la communication d’informations relatives à l’appartenance des juges : i) à une association ( 212 ), avec mention des fonctions exercées et de la période d’affiliation ; ii) à une instance d’une fondation sans but lucratif, avec mention de la période pendant laquelle cette fonction a été exercée, et iii) à un parti politique avant la nomination à un poste de juge ou pendant l’exercice du mandat avant la date du 29 décembre 1989. L’appartenance à une association ou l’exercice d’une fonction dans une instance d’une fondation sans but lucratif pourrait viser l’appartenance à, ou l’exercice d’une fonction dans, une instance d’un syndicat, d’une organisation sportive, d’une communauté philosophique ou d’un club social. Les termes « appartenance » et « fonction exercée » ne sont pas définis et pourraient faire référence à une appartenance ou une fonction formelle ou informelle. La terminologie utilisée dans les dispositions nationales analysées est tellement large et imprécise qu’elle pourrait englober presque toute forme d’association entre personnes. En outre, hormis l’article 88 a, paragraphe 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, les dispositions nationales en cause n’imposent aucune limitation dans le temps des données requises. Un juge pourrait potentiellement être tenu de déclarer sa qualité de membre d’une association sportive amateur remontant à sa petite enfance.

244.

La portée des dispositions contestées est donc très large. L’obligation de déposer une déclaration écrite indiquant toute appartenance à un parti politique, à une association ou à toute fonction exercée dans une instance d’une fondation sans but lucratif couvrant une durée illimitée, et la publication de ces données, sont susceptibles de constituer un traitement de données à caractère personnel révélant les opinions politiques d’un juge, ses convictions philosophiques ou encore son appartenance à un syndicat.

245.

L’article 9, paragraphe 1, du RGPD interdit la collecte et la publication de données à caractère personnel sensibles qui révèlent, notamment, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale. L’article 9, paragraphe 2, du RGPD prévoit certaines exceptions et dérogations à cette interdiction. Parmi celles-ci figure l’article 9, paragraphe 2, sous g), du RGPD, en vertu duquel de telles données à caractère personnel peuvent être traitées lorsque « le traitement est nécessaire pour des motifs d’intérêt public important, sur la base du droit de l’Union ou du droit d’un État membre qui doit être proportionné à l’objectif poursuivi, respecter l’essence du droit à la protection des données et prévoir des mesures appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts de la personne concernée » ( 213 ).

246.

Il peut également être relevé que la République de Pologne n’a pas indiqué les mesures qu’elle a prises pour protéger les droits fondamentaux des juges garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte ou par le RGPD, en particulier ses articles 6 et 9, comme l’exige l’article 9, paragraphe 2, sous g), dudit règlement, afin d’atténuer les effets des dispositions qu’elle a adoptées.

247.

Sur cette seule base, la République de Pologne a violé le droit fondamental des juges au respect de leur vie privée et leur droit à la protection des données à caractère personnel, garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que par l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

248.

Dans un souci d’exhaustivité, j’examinerai si les dispositions nationales en cause sont appropriées ou nécessaires pour atteindre l’objectif affirmé par la République de Pologne d’assurer l’impartialité des juges. Assurer l’accès à un tribunal indépendant et impartial constitue un motif d’intérêt public important ( 214 ) au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous g), du RGPD. Une transparence accrue en ce qui concerne l’appartenance antérieure des juges à des fondations, associations, etc., est, en principe, de nature à renforcer la confiance du public dans l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

249.

Il n’a pas été établi que l’adoption des dispositions nationales en cause était nécessaire à la poursuite de leur objectif affirmé. D’une part, ces dispositions n’indiquent pas les raisons pour lesquelles elles ont été adoptées. D’autre part, au cours de la présente procédure, la République de Pologne n’a pas démontré qu’elles étaient nécessaires. Elle n’a pas indiqué que, avant l’adoption de ces dispositions, les dispositions nationales existantes en matière d’impartialité du pouvoir judiciaire et de récusation des juges étaient inadéquates ou que le public n’avait pas confiance dans l’impartialité du pouvoir judiciaire en Pologne. Les dispositions nationales en cause semblent reposer sur la présomption que le public perçoit le pouvoir judiciaire comme étant partial. Cela ressort particulièrement de l’exigence prévue à l’article 88 a, paragraphe 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun en ce qui concerne l’appartenance d’un juge à un parti politique pendant l’exercice de son mandat avant la date du 29 décembre 1989. Dans l’arrêt Getin Noble Bank ( 215 ), la Cour a jugé que la nomination d’un juge lorsque la République populaire de Pologne était un État communiste ne saurait, en soi, être de nature à susciter des doutes légitimes et sérieux, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité de ce juge, lors de l’exercice de son mandat quelque 30 ans plus tard.

250.

Quant à la question de savoir si la finalité du traitement ne pouvait être raisonnablement atteinte par d’autres moyens, même si les dispositions nationales en cause permettent, comme l’affirme la République de Pologne, de vérifier ad casum que le juge n’est pas engagé dans des activités qui peuvent donner l’impression qu’il n’est pas pleinement objectif, elles permettent au grand public d’accéder à des données à caractère personnel sensibles ( 216 ). L’objectif affiché des dispositions nationales aurait pu être atteint par des moyens beaucoup moins invasifs en permettant, par exemple, aux avocats des parties à une affaire d’accéder à ces données et en limitant toute divulgation ultérieure de données sans rapport avec la finalité spécifique et circonscrite d’assurer l’impartialité de la justice.

251.

Le traitement des données à caractère personnel sensibles en cause constitue une limitation grave du droit des juges au respect de leur vie privée et de leur droit à la protection des données à caractère personnel en vertu de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte et du RGPD. Cela va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

252.

Je propose dès lors à la Cour de constater que l’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême ainsi que l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives enfreignent l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

VII. Sur les dépens

253.

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

254.

En l’espèce, la Commission et la République de Pologne ont conclu respectivement à la condamnation de l’autre partie à l’instance aux dépens.

255.

La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé, sauf en ce qui concerne le deuxième grief, il y a lieu de la condamner aux quatre cinquièmes des dépens, y compris les quatre cinquièmes des dépens afférents à la procédure de référé.

256.

Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède doivent donc supporter leurs propres dépens.

VIII. Conclusion

257.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de :

constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 42 a, paragraphes 1 et 2, et l’article 55, paragraphe 4, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001, telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019 (ci-après la « loi modificative ») (ci-après la « loi modifiée relative aux juridictions de droit commun »), l’article 26, paragraphe 3, et l’article 29, paragraphes 2 et 3, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017, telle que modifiée par la loi modificative (ci-après la « loi modifiée sur la Cour suprême »), l’article 5, paragraphes 1a et 1b, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi relative à l’organisation des juridictions administratives), du 25 juillet 2002, telle que modifiée par la loi modificative (ci‑après la « loi modifiée relative aux juridictions administratives »), ainsi que l’article 8 de la loi modificative, interdisant à toute juridiction nationale de vérifier le respect des exigences de l’Union européenne relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ;

constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et l’article 72, paragraphe 1, points 1 à 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême, permettant de qualifier d’« infraction disciplinaire » l’examen du respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux ainsi qu’en vertu de l’article 267 TFUE ;

constater que, en habilitant l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, à statuer sur des affaires ayant une incidence directe sur le statut et l’exercice des fonctions de juge et de juge auxiliaire, telles que, d’une part, les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges et les juges auxiliaires ou de les arrêter, ainsi que, d’autre part, les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ainsi que les affaires relatives à la mise à la retraite de ces juges, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ;

constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives, la République de Pologne a enfreint le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel garantis par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, ainsi que par l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), l’article 6, paragraphe 3, et l’article 9, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ;

condamner la République de Pologne aux quatre cinquièmes des dépens, y compris les quatre cinquièmes des dépens afférents à la procédure de référé ;

condamner le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède à supporter leurs propres dépens.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Dz. U. de 2020, position 190, ci-après la « loi modificative ». Cette loi est entrée en vigueur le 14 février 2020.

( 3 ) JO 2016, L 119, p. 1, ci-après le « RGPD ».

( 4 ) Arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, ci-après l’ arrêt A. K. , EU:C:2019:982), et du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, ci-après l’ arrêt Simpson , EU:C:2020:232).

( 5 ) Dz. U. de 2018, position 5. Cette loi est entrée en vigueur le 3 avril 2018.

( 6 ) Dz. U. de 2001, no 98, position 1070.

( 7 ) L’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun s’applique aux juges de la Cour suprême en vertu de l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et aux juges des juridictions administratives et de la Cour suprême administrative en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi relative à l’organisation des juridictions administratives), du 25 juillet 2002 (Dz. U. de 2002, no 153, position 1269).

( 8 ) Voir note en bas de page 7 des présentes conclusions.

( 9 ) Commission/Pologne (C‑204/21 R, ci-après l’« ordonnance du 14 juillet 2021 », EU:C:2021:593).

( 10 ) Il a notamment été demandé à la République de Pologne de suspendre :

‐ l’application des dispositions en vertu desquelles la chambre disciplinaire est compétente pour statuer sur les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre des juges ou des juges auxiliaires ;

‐ les effets des décisions déjà adoptées par la chambre disciplinaire et autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre un juge ou son arrestation, et de s’abstenir de renvoyer les affaires visées audit article devant une juridiction qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance ;

‐ l’application des dispositions sur le fondement desquelles la chambre disciplinaire est compétente pour statuer sur les affaires relatives au statut et à l’exercice des fonctions de juge de la Cour suprême et de s’abstenir de renvoyer ces affaires devant une juridiction qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance ;

‐ l’application des dispositions permettant d’engager la responsabilité disciplinaire des juges pour avoir examiné le respect des exigences d’indépendance et d’impartialité d’un tribunal établi préalablement par la loi ;

‐ l’application de dispositions nationales dans la mesure où elles interdisent aux juridictions nationales de vérifier le respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi, et

‐ l’application de dispositions établissant la compétence exclusive de la chambre extraordinaire pour examiner les griefs tirés de l’absence d’indépendance d’un juge ou d’une juridiction.

( 11 ) Dans cet arrêt, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a notamment jugé que l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, TUE, lu en combinaison avec l’article 279 TFUE, est incompatible avec les articles 2 et 7, l’article 8, paragraphe 1, ainsi que l’article 90, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne, lus en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de cette dernière. Le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a considéré que la Cour avait outrepassé ses compétences – et avait donc statué ultra vires – en ordonnant à la République de Pologne des mesures provisoires relatives à l’organisation et à la compétence des juridictions polonaises, ainsi qu’à la procédure devant ces juridictions. Voir ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 6 octobre 2021, Pologne/Commission (C‑204/21 R-RAP, EU:C:2021:834, points 10 et 11).

( 12 ) Pologne/Commission (C‑204/21 R-RAP, EU:C:2021:834).

( 13 ) Ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 6 octobre 2021, Pologne/Commission (C‑204/21 R-RAP, EU:C:2021:834, points 18 à 24).

( 14 ) Commission/Pologne (C‑204/21 R, EU:C:2021:878).

( 15 ) Article 2 TUE.

( 16 ) L’article 49 TUE prévoit que tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 TUE et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, points 61 à 63).

( 17 ) Arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 122). Tandis que l’article 47 de la Charte contribue au respect du droit à une protection juridictionnelle effective de tout justiciable qui se prévaut, dans une espèce donnée, d’un droit qu’il tire du droit de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE vise, quant à lui, à assurer que le système de voies de recours de tout État membre garantisse la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, points 36, 45 et 52).

( 18 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 145 et 146).

( 19 ) Dans le mémoire en duplique, la République de Pologne soutient que, conformément à l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), affaire P 7/20, la Cour a statué ultra vires en adoptant des mesures provisoires dans l’ordonnance du 14 juillet 2021 étant donné que l’organisation de la justice dans les États membres relève de leur compétence exclusive. La République de Pologne considère, à la lumière de la jurisprudence constante du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ainsi que de la Cour constitutionnelle (Belgique), de l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque), de la Højesteret (Cour suprême, Danemark), du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne), du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne), du Conseil d’État (France), de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) et de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) relative au principe d’identité constitutionnelle, que « le dernier mot » s’agissant des compétences transférées en vertu des traités revient aux juridictions constitutionnelles des États membres. Les compétences de l’Union sont délimitées par le principe d’attribution, un principe du droit de l’Union qui englobe tant les principes constitutionnels des États membres que l’obligation de l’Union de respecter leur identité nationale respective.

( 20 ) La protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, à laquelle fait référence l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, est consacré aux articles 6 et 13 de la CEDH et est réaffirmé à l’article 47 de la Charte. Cette dernière disposition doit, dès lors, être dûment prise en considération aux fins de l’interprétation dudit article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 102 et jurisprudence citée).

( 21 ) En l’espèce, il est constant qu’en Pologne, la Cour suprême, les juridictions de droit commun et les juridictions administratives peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application et à l’interprétation du droit de l’Union dans les affaires qui leur sont soumises et donc dans des affaires relevant des domaines couverts par le droit de l’Union au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 111 à 114).

( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, point 34).

( 23 ) Voir, par analogie, arrêt A. K. (point 130).

( 24 ) Les États membres sont dès lors tenus d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, tel que garanti à l’article 47 de la Charte. Arrêt A. K. (point 115 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 22 octobre 1998, IN. CO. GE.’90 e.a. (C‑10/97 à C‑22/97, EU:C:1998:498, point 14). Le principe d’effectivité et le droit à la protection juridictionnelle effective visés à l’article 47 de la Charte se recoupent dans une certaine mesure. À cet égard, voir les conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire An tAire Talmhaíochta Bia agus Mara e.a. (C‑64/20, EU:C:2021:14, point 42). Voir également, par analogie, arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, points 46 à 48).

( 25 ) Voir, à cet égard, arrêt A. K. (point 115 et jurisprudence citée). Dans l’arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 36), la Cour indique qu’il peut en aller ainsi s’agissant de règles nationales en matière de nomination des juges et, le cas échéant, de règles afférentes au contrôle juridictionnel de telles procédures de nomination. Voir également arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 48).

( 26 ) Arrêt du 2 mars 2021, Prokuratuur (Conditions d’accès aux données relatives aux communications électroniques) (C‑746/18, EU:C:2021:152, point 42).

( 27 ) Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, points 63 à 65). Voir également avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 168).

( 28 ) Elle revêt une importance cardinale en tant que garante de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit. Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, points 48 à 51 et jurisprudence citée).

( 29 ) Arrêt A. K. (points 120 à 122).

( 30 ) Arrêt du 24 mars 2022, Wagenknecht/Commission (C‑130/21 P, EU:C:2022:226). La Cour a jugé que, aux termes de la jurisprudence de la Cour EDH, dans une démarche subjective, il y a lieu de tenir compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou de préjugé personnel dans le cas d’espèce. Dans une démarche objective, il y a lieu de déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. Il faut dès lors se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Arrêt A. K. (point 128 et jurisprudence de la Cour EDH citée).

( 31 ) Arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 205 et jurisprudence citée). Les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 117].

( 32 ) La Cour EDH a considéré, dans l’arrêt, grande chambre, du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 227 et 232), que le processus de nomination des juges constitue nécessairement un élément inhérent à la notion de « tribunal établi par la loi », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. L’indépendance d’un tribunal, au sens de cette disposition, se mesure, notamment, à la manière dont ses membres ont été nommés. Voir également arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 57 et jurisprudence citée).

( 33 ) Arrêt Simpson (point 75) et arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 130). Voir, par analogie, arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, points 71 à 73), sur la délégation de juges. Toute erreur affectant la procédure de nomination d’un juge n’est pas de nature à jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité de ce juge et, partant, sur la qualité de « tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi », au sens du droit de l’Union, d’une formation de jugement dans laquelle il siège (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 123). Voir également arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 71 à 74).

( 34 ) L’expression « établi par la loi » reflète, notamment, le principe de l’État de droit. Elle concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire ainsi que toute autre disposition du droit interne dont le non‑respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire, ce qui inclut, en particulier, des dispositions concernant l’indépendance et l’impartialité des membres de la juridiction visée (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, points 118, 119 et 121 ainsi que jurisprudence citée).

( 35 ) Voir, par exemple, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2022:235, points 117 à 122 et jurisprudence citée).

( 36 ) Arrêt Simpson (point 55).

( 37 ) Arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 46).

( 38 ) Cela inclut la Cour, le Tribunal ainsi que les cours et tribunaux des États membres. Voir arrêt Simpson (point 57). Voir, également, arrêts du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, points 126 à131), pour ce qui concerne les cours et tribunaux des États membres, et du 24 mars 2022, Wagenknecht/Commission (C‑130/21 P, EU:C:2022:226, point 15), pour ce qui concerne la Cour et le Tribunal.

( 39 ) Arrêt Simpson (points 55 et 57). Voir, également, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 46).

( 40 ) Voir, par analogie, arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 73). Voir, également, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100).

( 41 ) Arrêt A. K. (point 157).

( 42 ) Voir arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 22), et du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a. (C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 252 et jurisprudence citée).

( 43 ) Voir, à cet égard, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 166). Dans l’arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, point 61), la Cour indique qu’un juge national, saisi dans le cadre de sa compétence a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi.

( 44 ) Arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, point 33). Voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination) (C‑508/19, EU:C:2022:201, point 81), dans lequel la Cour a jugé qu’une demande de décision préjudicielle dans le cadre d’une procédure visant à faire constater qu’une personne n’a pas de relation de travail en qualité de juge et qu’elle n’a pu, par conséquent, légalement désigner la juridiction disciplinaire compétente pour connaître d’une procédure disciplinaire ouverte contre un autre juge est irrecevable en ce qu’elle vise, en substance, à obtenir l’invalidation erga omnes de la nomination du juge en cause, alors même que le droit national n’autorise pas et n’a jamais autorisé les justiciables à contester la nomination d’un juge au moyen d’une action directe en annulation ou en invalidation de cette nomination.

( 45 ) En réponse à une question pour réponse orale formulée par la Cour, la Commission a soutenu que les arguments soulevés dans le mémoire en duplique ont été entièrement réfutés par l’arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, notamment, points 19, 39, 40, 53 et 58). Les juridictions polonaises doivent donc laisser inappliquée la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) qui porte atteinte à la primauté du droit de l’Union. Le Royaume de Belgique considère que l’arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), affaire P 7/20, repose sur une prémisse inexacte. Lorsqu’ils exercent leur compétence en matière d’organisation de la justice, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, notamment l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. La Cour, et non les juridictions constitutionnelles nationales, détient une compétence exclusive pour interpréter le droit de l’Union, y compris le principe de primauté. L’article 4, paragraphe 2, TUE n’autorise pas les juridictions constitutionnelles nationales à contrôler si le droit de l’Union méconnaît l’identité nationale. En outre, une juridiction constitutionnelle nationale ne saurait juger que la Cour a rendu un arrêt dépassant sa sphère de compétence et refuser d’y donner suite. Toute déférence à l’égard des règles constitutionnelles nationales méconnaîtrait l’obligation faite à l’Union de respecter l’égalité entre les États membres ainsi que l’application uniforme et effective du droit de l’Union. Le Royaume du Danemark rejette l’analogie établie par la République de Pologne entre la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) et celle de la Højesteret (Cour suprême) ou des cours constitutionnelles d’autres États membres dans la mesure où la République de Pologne est seule à contester le principe même de l’État de droit. Le Royaume des Pays-Bas relève que, dans l’arrêt du 7 mai 2021, Xero Flor w Polsce sp. z o.o. c. Pologne (CE:ECHR:2021:0507JUD000490718), la Cour EDH a jugé que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) n’est pas un tribunal établi par la loi, mais un organe politique dont les arrêts ne sont pas contraignants. Voir, également, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 44). Conformément au principe de primauté, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ne saurait laisser inappliqués le droit de l’Union ou les arrêts de la Cour. De plus, un État membre ne saurait invoquer sa propre identité constitutionnelle lorsqu’elle est contraire aux valeurs fondamentales de l’Union énoncées à l’article 2 TUE (arrêt du 16 février 2022, Pologne/Parlement et Conseil, C‑157/21, EU:C:2022:98, points 264 à 266). Enfin, le non‑respect de l’indépendance des juges affecte fortement la coopération au sein de l’Union. Le Royaume de Suède considère que les États membres doivent assurer un plein effet au principe d’indépendance des juges en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE qui est clair, précis et inconditionnel. La mise en œuvre de ce principe n’est nullement liée à une question d’identité constitutionnelle nationale.

( 46 ) Arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, points 43 à 46, 51 et 52). Au point 55 de cet arrêt, la Cour souligne que le respect du principe de primauté est également nécessaire pour assurer le respect de l’égalité des États membres devant les traités, laquelle exclut la possibilité de faire prévaloir, contre l’ordre juridique de l’Union, une mesure unilatérale. C’est également une expression du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, lequel impose de laisser inappliquée toute disposition de la législation nationale éventuellement contraire au droit de l’Union, indépendamment de la date à laquelle elle a été adoptée.

( 47 ) Arrêt A. K. (point 166). Voir également arrêt Simpson (point 57).

( 48 ) Arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931).

( 49 ) Voir arrêt A. K. (point 122). Le Royaume de Danemark considère que, tout comme la chambre disciplinaire, la chambre extraordinaire n’est pas indépendante. Ces deux chambres ont été instituées par la même loi qui prévoit que leurs membres sont nommés au terme d’une procédure impliquant la KRS, qui n’est elle-même pas indépendante. Voir arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, points 150, 152 et 153). Voir également arrêt de la Cour EDH du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne (CE:ECHR:2021:1108JUD004986819, § 353 à 355), dans lequel la Cour EDH a conclu que la chambre extraordinaire n’est pas un tribunal établi par la loi au regard de l’article 6 de la CEDH.

( 50 ) Arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250, point 41).

( 51 ) À cet égard, la Commission semble se demander si le droit à une protection juridictionnelle effective tiré du droit de l’Union peut être assuré dans toutes les affaires attribuées à la chambre extraordinaire en vertu des dispositions nationales en cause. Voir, par analogie, arrêt A. K. (point 115 et jurisprudence citée).

( 52 ) Ces questions n’ont pas été abordées dans la requête ni lors de la phase précontentieuse.

( 53 ) À cet égard, voir arrêt A. K. et arrêts du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153) ; du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, ci-après l’ arrêt Régime disciplinaire des juges , EU:C:2021:596), et du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798). La Commission est également intervenue dans plusieurs affaires préjudicielles dans lesquelles ces questions et des questions similaires ont été soulevées.

( 54 ) Points 104 à 108.

( 55 ) Les doutes quant à l’indépendance de la KRS étaient fondés sur une série d’éléments, notamment sur le fait que 23 des 25 membres étaient nommés par les pouvoirs législatif ou exécutif ou faisaient partie de ces pouvoirs. La Cour a considéré que l’intervention d’un organe, tel qu’un conseil national de la magistrature dont la majorité des membres ont été désignés par le pouvoir législatif, dans la procédure de nomination des juges n’est pas, en elle-même, de nature à engendrer des doutes quant à l’indépendance et à l’impartialité des juges ainsi nommés. L’indépendance d’une juridiction nationale doit être appréciée au regard de l’ensemble des facteurs pertinents, y compris les conditions de la nomination de ses membres (arrêt du 9 juillet 2020, Land Hessen, C‑272/19, EU:C:2020:535, points 55 et 56).

( 56 ) Points 104 à 108.

( 57 ) Voir également arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 75).

( 58 ) CE:ECHR:2021:1108JUD004986819. Cet arrêt trouve son origine dans deux recours introduits respectivement le 12 septembre 2019 et le 22 octobre 2019 devant la Cour EDH, soit bien avant que le présent recours ne soit introduit. Cet arrêt est devenu définitif le 8 février 2022, conformément à l’article 44, paragraphe 2, CEDH.

( 59 ) La Cour EDH a suivi la démarche en trois étapes établie dans son arrêt, grande chambre, du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418).

( 60 ) Ci-après le « président de la République ».

( 61 ) Arrêt de la Cour EDH du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne (CE:ECHR:2021:1108JUD004986819, § 349). Voir également arrêt de la Cour EDH du 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne (CE:ECHR:2021:0722JUD004344719, § 276), dans lequel la Cour EDH a considéré que la procédure de nomination judiciaire à la chambre disciplinaire était intrinsèquement déficiente du fait de l’intervention de la KRS. Conformément à l’article 44, paragraphe 2, de la CEDH, cet arrêt est devenu définitif le 22 novembre 2021.

( 62 ) Voir arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 123 et jurisprudence citée).

( 63 ) Arrêt de la Cour EDH du 8 novembre 2021 (CE:ECHR:2021:1108JUD004986819).

( 64 ) Arrêt de la Cour EDH du 8 novembre 2021 (CE:ECHR:2021:1108JUD004986819).

( 65 ) Au paragraphe 368 de cet arrêt, la Cour EDH conclut de manière cohérente que la violation des droits des requérants trouve son origine dans les modifications de la législation polonaise qui ont privé le corps judiciaire du droit d’élire les membres juges de la KRS et ont permis aux pouvoirs exécutif et législatif de s’immiscer, directement ou indirectement, dans la procédure de nomination des juges, compromettant ainsi de manière systématique la légitimité des tribunaux constitués de juges ainsi nommés.

( 66 ) Les juges nationaux ont contesté leur mise à la retraite anticipée en conséquence de l’entrée en vigueur d’une législation nationale dont ils considéraient qu’elle enfreignait la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

( 67 ) Si la Cour devait considérer que la chambre extraordinaire n’est pas indépendante, il découlerait du point 165 de l’arrêt A. K. que, en adoptant et en maintenant en vigueur l’article 26, paragraphes 2 et 4 à 6, et l’article 82, paragraphes 2 à 5, de la loi modifiée sur la Cour suprême, ainsi que l’article 10 de la loi modificative, établissant la compétence exclusive de la chambre extraordinaire pour examiner les griefs et les questions de droit concernant, notamment, l’absence d’indépendance d’une juridiction ou d’un juge, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte.

( 68 ) Toutes les juridictions nationales qui statuent sur des questions relevant du droit de l’Union doivent satisfaire aux exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. À cet égard, voir arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, points 63 et 64).

( 69 ) Voir, par analogie, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 149).

( 70 ) Un argument que, dans la présente affaire, la Commission n’a pas invoqué à temps.

( 71 ) Arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, points 22 à 24 et jurisprudence citée). Lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, les États membres sont tenus d’assurer le respect du droit à un recours effectif consacré par l’article 47, premier alinéa, de la Charte, lequel réaffirme le principe de protection juridictionnelle effective (arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe, C‑752/18, EU:C:2019:1114, point 34).

( 72 ) Rien dans l’article 26, paragraphe 2, de la loi modifiée sur la Cour suprême ne suggère – et la Commission ne l’a pas invoqué – que la juridiction saisie d’une affaire ne peut pas soulever une question relative à l’absence d’indépendance qu’elle doit alors transférer au président de la chambre extraordinaire.

( 73 ) Alors que la demande doit être soumise immédiatement à la chambre extraordinaire, il n’est pas indiqué, dans le dossier dont dispose la Cour, si la loi prévoit un délai dans lequel la chambre extraordinaire est tenue de se prononcer. Alors que de telles questions doivent être résolues avec célérité, la Commission n’a pas évoqué cette question dans la requête.

( 74 ) Voir également, par analogie, les termes « [l]a juridiction saisie de l’affaire envoie immédiatement une demande au président de la [chambre extraordinaire] » utilisés dans cette disposition.

( 75 ) Et donc au droit à une protection juridictionnelle effective. Voir point 48 des présentes conclusions.

( 76 ) Dans un domaine relevant du droit de l’Union.

( 77 ) Voir, à cet égard, arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, points 48 à 50). Voir également arrêt A. K. (point 164) et arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 148 et 149).

( 78 ) Conformément à l’arrêt Simpson.

( 79 ) Lors de l’audience, la République de Pologne a confirmé, dans sa réponse à une question de la Cour, que la chambre extraordinaire a une compétence exclusive pour statuer sur les questions d’indépendance dans le cadre de ces procédures.

( 80 ) Dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges (points 222 à 234), la Cour a considéré que la République de Pologne a manqué à ses obligations au titre de l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE en permettant que le droit des juridictions de saisir la Cour de demandes de décision préjudicielle soit limité par la possibilité d’engager une procédure disciplinaire. Voir également arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 56 à 59).

( 81 ) Arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 42 et jurisprudence citée). Dans l’arrêt A. K. (points 110 à 113), la Cour a jugé recevable une demande de décision préjudicielle de l’Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych (chambre du travail et des assurances sociales) de la Cour suprême alors que la République de Pologne avait soutenu que cette chambre avait empiété sur la compétence exclusive de la chambre disciplinaire.

( 82 ) Arrêt du 27 février 2014, Pohotovosť (C‑470/12, EU:C:2014:101, point 28).

( 83 ) Par exemple, un recours en annulation d’un jugement définitif au titre de l’article 26, paragraphes 4 à 6, de la loi modifiée sur la Cour suprême fondée sur l’illégalité alléguée du statut d’un juge est un recours extraordinaire devant la chambre extraordinaire. Il suffit d’indiquer que, si une telle question était soulevée devant la juridiction ayant rendu le jugement définitif, cette dernière devrait, en cas de doute sur l’interprétation du droit de l’Union, saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE.

( 84 ) Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 56). L’article 267 TFUE s’oppose à toute réglementation ou pratique nationale de nature à empêcher les juridictions nationales, selon les cas, de faire usage de la faculté ou de se conformer à l’obligation, prévues à cet article 267, de s’adresser à titre préjudiciel à la Cour (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 260).

( 85 ) Arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 42).

( 86 ) Ainsi, un juge national qui a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE ne saurait être empêché de donner, immédiatement, au droit de l’Union une application conforme à la décision ou à la jurisprudence de la Cour, sous peine d’amoindrir l’effet utile de cette disposition (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 257). Le juge national doit donc, le cas échéant, écarter les appréciations d’une juridiction nationale supérieure s’il estime, eu égard à l’interprétation donnée par la Cour, que celles-ci ne sont pas conformes au droit de l’Union, le cas échéant en laissant inappliquée la règle nationale l’obligeant à se conformer aux décisions de cette juridiction supérieure [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 75].

( 87 ) Voir, par analogie, arrêt du 18 mai 2006, Commission/Espagne (C‑221/04, EU:C:2006:329, points 24 à 26).

( 88 ) Voir, par analogie, arrêt du 4 décembre 1986, Commission/France (220/83, EU:C:1986:461, points 30 et 31).

( 89 ) Arrêt de la Cour EDH, grande chambre, du 1er décembre 2020 (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418). Voir également arrêt Simpson (point 75).

( 90 ) Point 145. Voir également arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 128).

( 91 ) Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.

( 92 ) Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.

( 93 ) Dz. U. de 2019, position 2325, telle que modifiée.

( 94 ) Voir article 200, paragraphe 1, du code de procédure civile et article 35, paragraphe 1, du code de procédure pénale.

( 95 ) Arrêt Simpson. Voir également arrêt de la Cour EDH, grande chambre, du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418).

( 96 ) Arrêt du 28 janvier 2016, Commission/Portugal (C‑398/14, EU:C:2016:61, point 47).

( 97 ) Voir, à cet égard, arrêt du 11 novembre 2010, Commission/Portugal (C‑543/08, EU:C:2010:669, points 20 et 21 ainsi que jurisprudence citée).

( 98 ) Qui, à son tour, reprend le libellé de l’article 42 a, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun et de l’article 5, paragraphe 1b, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives.

( 99 ) Voir, notamment, article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême.

( 100 ) Voir article 179 de la Constitution de la République de Pologne en vertu duquel le président de la République nomme les juges, sur proposition de la KRS, pour une durée indéterminée. L’article 180 de la Constitution de la République de Pologne prévoit que les juges sont inamovibles. En vertu de l’article 186 de cette Constitution, la KRS est la gardienne de l’indépendance des tribunaux et des juges.

( 101 ) Arrêt du 2 mars 2021 (C‑824/18, EU:C:2021:153).

( 102 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 156).

( 103 ) Voir article 26, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême.

( 104 ) Voir point 62 de la requête.

( 105 ) Qui semble appliquer rétroactivement l’article 55, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun.

( 106 ) Point 55.

( 107 ) Arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) du 2 juin 2020 (affaire P 13/19) (Dz. U. de 2020, position 1017).

( 108 ) Arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) du 23 février 2022 (affaire P 10/19) (Dz. U. de 2022, position 480).

( 109 ) Notamment des juges sélectionnés sur le fondement de l’article 9 a de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 714), telle que modifiée, notamment, par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), et par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U. de 2018, position 1443) (ci-après la « loi sur la KRS »). Voir arrêt du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) du 4 mars 2020 (affaire P 22/19) (Dz. U. de 2020, position 413).

( 110 ) À savoir, dans le cas qui nous occupe, les dispositions nationales relatives à l’impartialité et à la récusation des juges.

( 111 ) Voir point 110 des présentes conclusions.

( 112 ) L’article 29, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives étend aux juridictions administratives l’application de l’article 107, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun.

( 113 ) L’article 49, paragraphe 1, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives étend aux juges de la Cour suprême administrative l’application de l’article 72, paragraphe 1, points 2 et 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême.

( 114 ) Voir article 109, paragraphe 1 a, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun.

( 115 ) Par exemple, des actes ou omissions de nature à empêcher ou à compromettre sérieusement le fonctionnement d’une autorité judiciaire ou des actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne. Ces juges peuvent être frappés d’une sanction financière ou démis de leurs fonctions s’il est considéré qu’ils ont commis des infractions mineures (article 75, paragraphe 1a, de la loi modifiée sur la Cour suprême).

( 116 ) Voir premier grief formulé par la Commission.

( 117 ) Voir deuxième grief formulé par la Commission.

( 118 ) Point 55. Voir premier grief formulé par la Commission.

( 119 ) Arrêt du 25 juillet 2018 (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 67).

( 120 ) Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 55 à 59).

( 121 ) Telle qu’elle est décrite dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Régime disciplinaire des juges.

( 122 ) Point 140.

( 123 ) Notamment sur l’article 10 de l’ordonnance no 58‑1270, du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature.

( 124 ) Qui concernent les « actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne ».

( 125 ) Arrêts de la Cour suprême du 8 mars 2012 (affaire SNO 4/12) et du 11 décembre 2014 (affaire SNO 61/14).

( 126 ) Arrêt de la Cour suprême du 22 juin 2015 (affaire SNO 36/15).

( 127 ) Voir, par exemple, arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a. (C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219).

( 128 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (points 61 et 134 ainsi que jurisprudence citée).

( 129 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 136).

( 130 ) Voir, par analogie, arrêt Régime disciplinaire des juges (point 137).

( 131 ) Voir, par analogie, arrêt Régime disciplinaire des juges (point 138).

( 132 ) Voir, par analogie, arrêt Régime disciplinaire des juges (point 139).

( 133 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 140).

( 134 ) Arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 85 et jurisprudence citée).

( 135 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 142 et jurisprudence citée).

( 136 ) Afin de réfuter certains arguments soulevés dans le mémoire en défense, dans le mémoire en réplique, la Commission fait brièvement référence, de manière générale, au régime disciplinaire en Pologne ainsi qu’au manque d’indépendance de la chambre disciplinaire. Il est confirmé, dans le mémoire en réplique, que la requête n’était pas fondée sur ces éléments.

( 137 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2004, Commission/Allemagne (C‑139/03, non publié, EU:C:2004:461).

( 138 ) Conformément à l’arrêt Simpson, un tel examen est requis.

( 139 ) De plus, la responsabilité disciplinaire d’un juge national ne saurait être engagée au motif qu’il aurait écarté l’application du droit national afin de mettre en œuvre une décision préjudicielle de la Cour. Voir, par analogie, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 88).

( 140 ) Voir arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 128 et suiv. ainsi que jurisprudence citée). Il pourrait, par exemple, être considéré que l’examen du rôle de la KRS dans la procédure de nomination d’un juge constitue une infraction disciplinaire.

( 141 ) Voir arrêts du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) du 4 mars 2020 (affaire P 22/19) (Dz. U. de 2020, position 413), du 2 juin 2020 (affaire P 13/19) (Dz. U. de 2020, position 1017) et du 23 février 2022 (affaire P 10/19) (Dz. U. de 2022, position 480), dont il est question au point 144 des présentes conclusions.

( 142 ) Arrêt de la Cour suprême du 22 juin 2015 (affaire SNO 36/15).

( 143 ) À cet égard, voir arrêt Régime disciplinaire des juges (point 145).

( 144 ) Points 126 et 127, ainsi que 149 et suiv.

( 145 ) Voir décision du 4 février 2020, II DO 1/20, dans laquelle la chambre disciplinaire a considéré qu’un juge peut, en principe, être accusé d’avoir commis une infraction disciplinaire sur le fondement de l’article 107, paragraphe 1, de la loi relative aux juridictions de droit commun pour avoir, prétendument en violation manifeste et flagrante des règles de droit, sommé la Diète de produire des documents concernant la procédure de nomination de membres de la KRS dans sa nouvelle composition [arrêt Régime disciplinaire des juges (points 150 et 151)].

( 146 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 152).

( 147 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 153 et jurisprudence citée).

( 148 ) Arrêt Régime disciplinaire des juges (points 113 et 147).

( 149 ) Qui définit les « infractions disciplinaires » en des termes qui ne satisfont pas à l’exigence de clarté et de précision énoncée au point 175 des présentes conclusions et ne garantissent pas que la responsabilité disciplinaire des juges du fait de leurs décisions soit limitée à des cas tout à fait exceptionnels, comme cela a été décrit au point 173 des présentes conclusions.

( 150 ) Voir, à cet égard, arrêt Régime disciplinaire des juges (point 148).

( 151 ) Au point 171 de l’arrêt A. K., la Cour indique que les exigences relatives à l’indépendance et à l’impartialité d’un tribunal ne sont pas satisfaites lorsque les circonstances objectives entourant la mise en place de cette juridiction, ses caractéristiques et le mode de nomination de ses membres sont susceptibles de faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs, ainsi que, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et quant à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent. Cela est susceptible de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ladite instance qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique.

( 152 ) La KRS est régie par la loi sur la KRS. Voir note en bas de page 109 des présentes conclusions.

( 153 ) Voir arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 160 à 164).

( 154 ) Ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277, point 34 et jurisprudence citée).

( 155 ) Arrêt de la Cour EDH du 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne (CE:ECHR:2021:0722JUD004344719).

( 156 ) Arrêt A. K. (point 133).

( 157 ) Les candidatures doivent satisfaire aux exigences de l’article 31, paragraphe 3, de la loi sur la Cour suprême.

( 158 ) Royaume de Belgique, République fédérale d’Allemagne, Irlande, République française, République de Chypre et République de Finlande.

( 159 ) Voir arrêts du 9 juillet 2020, Land Hessen (C‑272/19, EU:C:2020:535) ; du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens) (C‑658/18, EU:C:2020:572), et du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311). Voir également ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 10 septembre 2020, Conseil/Sharpston [C‑424/20 P(R), non publiée, EU:C:2020:705].

( 160 ) Arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 210 à 213).

( 161 ) Voir, à cet égard, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 112 et jurisprudence citée).

( 162 ) Voir également ordonnance du 14 juillet 2021 (point 81).

( 163 ) Voir, par analogie, arrêt Régime disciplinaire des juges (points 80 et 83).

( 164 ) Je partage l’avis exprimé par la République de Finlande lors de l’audience, selon lequel la République de Pologne ne peut invoquer certains aspects du régime disciplinaire des juges dans d’autres États membres. Outre le fait que ces régimes ne sont pas en cause dans la présente affaire, ils doivent être examinés dans leur globalité, en tenant compte notamment des caractéristiques de la juridiction ou des juridictions en question, du contexte dans lequel ils ont été institués et de la procédure de nomination de leurs membres.

( 165 ) Conformément à la jurisprudence établie, la question de savoir si un État membre a manqué à ses obligations est examinée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, soit, dans cette affaire, le 17 juillet 2019. Voir arrêt du 18 octobre 2018, Commission/Royaume‑Uni (C‑669/16, EU:C:2018:844, point 40 et jurisprudence citée). En l’espèce, les avis motivés sont clairement ultérieurs à cette date. Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges en ce qui concerne la chambre disciplinaire s’appliquent à la présente affaire. Il est donc curieux que la République de Pologne n’ait pas réfuté les arguments de la Commission fondés sur cet arrêt.

( 166 ) Dans son arrêt du 5 décembre 2019 et ses ordonnances du 15 janvier 2020, l’Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych (chambre du travail et des assurances sociales) de la Cour suprême, statuant sur les litiges à l’origine de l’arrêt A. K., a jugé, premièrement, que la KRS ne constitue pas, dans sa composition actuelle, une instance impartiale et indépendante des pouvoirs législatif et exécutif et, deuxièmement, que la chambre disciplinaire n’est pas un tribunal indépendant et impartial compte tenu des conditions de sa création, de l’étendue de ses pouvoirs, de sa composition ainsi que de l’implication de la KRS dans sa constitution.

( 167 ) Par une ordonnance du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277), la Cour a notamment ordonné à la République de Pologne, immédiatement et jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑791/19, de suspendre l’application des dispositions de la loi sur la Cour suprême qui constituent le fondement de la compétence de la chambre disciplinaire pour statuer dans les affaires disciplinaires relatives à des juges et de s’abstenir de transmettre les affaires à cette chambre. Voir également ordonnance du 14 juillet 2021 ; ordonnance du 6 octobre 2021, Pologne/Commission (C‑204/21 R-RAP, EU:C:2021:834), et ordonnance du vice‑président de la Cour du 27 octobre 2021, Commission/Pologne (C‑204/21 R, EU:C:2021:878).

( 168 ) Ce qui excluait toute possibilité de transférer à cette chambre des juges en fonction au sein de la Cour suprême même si de tels transferts étaient autorisés en théorie.

( 169 ) 23 des 25 membres de la KRS dans sa nouvelle composition ont été nommés par les pouvoirs exécutif ou législatif polonais ou en font partie. Auparavant, les juges choisissaient 15 membres de la KRS dans leurs propres rangs.

( 170 ) Loi sur la Cour suprême du 8 décembre 2017, dans sa version consolidée (Dz. U de 2019, position 825).

( 171 ) Qui comprenait, en particulier, la création au sein de cette juridiction de deux nouvelles chambres, l’une d’elles étant la chambre disciplinaire, ainsi que l’instauration d’un dispositif prévoyant l’abaissement de l’âge de la mise à la retraite des juges de la Cour suprême et l’appliquant aux juges en exercice dans cette juridiction. La résiliation anticipée du mandat de certains membres de la KRS et le remaniement de cet organe sont intervenus dans un contexte où il était attendu que de nombreux postes seraient bientôt à pourvoir au sein de la Cour suprême, et notamment de la chambre disciplinaire.

( 172 ) La Cour a également jugé qu’une telle évolution constituait une régression de la protection de la valeur de l’État de droit. Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 112).

( 173 ) Arrêt du 24 juin 2019 (C‑619/18, EU:C:2019:531).

( 174 ) Voir article 88 a, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun.

( 175 ) L’article 178, paragraphe 3, de la Constitution de la République de Pologne interdit aux juges toute appartenance à un parti politique.

( 176 ) Voir article 88 a, paragraphe 1, points 1 et 2, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun.

( 177 ) Ce considérant indique que, « [b]ien que le présent règlement s’applique, entre autres, aux activités des juridictions et autres autorités judiciaires, le droit de l’Union ou le droit des États membres pourrait préciser les opérations et procédures de traitement en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel par les juridictions et autres autorités judiciaires. La compétence des autorités de contrôle ne devrait pas s’étendre au traitement de données à caractère personnel effectué par les juridictions dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, afin de préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’accomplissement de ses missions judiciaires, y compris lorsqu’il prend des décisions. Il devrait être possible de confier le contrôle de ces opérations de traitement de données à des organes spécifiques au sein de l’appareil judiciaire de l’État membre, qui devraient notamment garantir le respect des règles du présent règlement, sensibiliser davantage les membres du pouvoir judiciaire aux obligations qui leur incombent en vertu du présent règlement et traiter les réclamations concernant ces opérations de traitement de données ».

( 178 ) Article 7 de la Charte.

( 179 ) Article 8 de la Charte.

( 180 ) Voir article 6, paragraphe 3, dernière phrase, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, sous c) et e), et l’article 6, paragraphe 3, première phrase, sous b), du RGPD.

( 181 ) Une telle exigence est prévue à l’article 178, paragraphe 3, de la Constitution de la République de Pologne.

( 182 ) Articles 53, 54, 57 et 58.

( 183 ) Dans l’arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432), la Cour a jugé que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 63 TFUE et de l’article 17 de la Charte. Au point 65 de cet arrêt, elle a indiqué que le recours, par un État membre, à des exceptions prévues par le droit de l’Union pour justifier une entrave à une liberté fondamentale garantie par le traité doit être considéré comme « mettant en œuvre le droit de l’Union », au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Voir également arrêts du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative) (C‑78/18, EU:C:2020:476, points 101 à 104), et du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur) (C‑66/18, EU:C:2020:792, points 212 à 216).

( 184 ) Voir, par analogie, arrêt du 10 juin 2021, Land Oberösterreich (Aide au logement) (C‑94/20, EU:C:2021:477, point 59 et jurisprudence citée).

( 185 ) Arrêt du 26 février 2013 (C‑617/10, EU:C:2013:105).

( 186 ) Voir, à cet égard, arrêt du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:753, points 78 et 79).

( 187 ) Il est de jurisprudence constante que la circonstance que ces informations s’inscrivent dans le contexte d’une activité professionnelle n’est pas de nature à leur ôter la qualification de « données à caractère personnel » (arrêt du 9 mars 2017, Manni, C‑398/15, EU:C:2017:197, point 34 et jurisprudence citée).

( 188 ) Voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2017, Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:725, points 33 et 34). Voir également arrêt du 24 février 2022, Valsts ieņēmumu dienests (Traitement des données personnelles à des fins fiscales) (C‑175/20, EU:C:2022:124, points 33 à 35). La portée de l’article 4, point 2, du RGPD, qui fait référence à « toute opération », est très large.

( 189 ) Arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2022:235, point 88 et jurisprudence citée).

( 190 ) Les exceptions prévues à l’article 2, paragraphe 2, du RGPD sont d’interprétation stricte [arrêt du 24 février 2022, Valsts ieņēmumu dienests (Traitement des données personnelles à des fins fiscales), C‑175/20, EU:C:2022:124, point 40 et jurisprudence citée].

( 191 ) Arrêt du 22 juin 2021 (C‑439/19, EU:C:2021:504, point 66 et jurisprudence citée).

( 192 ) En ce qui concerne l’article 2, paragraphe 2, sous a), du RGPD et l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, M. l’avocat général Szpunar a considéré que la logique qui sous-tend la Charte est différente de celle du RGPD. La Charte vise à discipliner l’exercice du pouvoir par les institutions de l’Union et les États membres lorsqu’ils opèrent dans le champ d’application du droit de l’Union et, à l’inverse, à offrir un bouclier permettant aux particuliers de faire valoir leurs droits respectifs. En revanche, la protection des données à caractère personnel est plus qu’un droit fondamental. Ainsi que le démontre l’article 16 TFUE, la protection des données constitue un domaine relevant de la politique de l’Union à part entière. L’objectif même du RGPD est qu’il doit s’appliquer à toute forme de traitement des données à caractère personnel, quel que soit le sujet en cause et quelles que soient les parties qui l’effectuent. Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) (C‑439/19, EU:C:2020:1054, points 50 à 52).

( 193 ) Qui fait référence aux activités relatives à la sécurité nationale ainsi qu’à la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union.

( 194 ) J’ajouterai, par souci d’exhaustivité, que l’article 2, paragraphe 2, sous b) et c), du RGPD n’exclut pas l’organisation de la justice ni l’administration de la justice du champ d’application de ce règlement. La République de Pologne n’invoque pas l’exclusion visée à l’article 2, paragraphe 2, sous d), du RGPD qui porte sur le traitement de données à caractère personnel effectué par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales. Rien dans le dossier n’indique que les dispositions nationales en cause poursuivent l’une de ces fins. La République de Pologne soutient que l’introduction de ces obligations vise à fournir des informations aux parties à la procédure et à leur permettre de présenter une demande motivée de récusation d’un juge.

( 195 ) Voir article 9, paragraphe 2, sous f), article 37, paragraphe 1, sous a), et article 55, paragraphe 3, du RGPD. Voir, également, dérogation visée à l’article 23, paragraphe 1, sous f), du RGPD en ce qui concerne la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires.

( 196 ) Ainsi que l’a relevé la République de Finlande lors de l’audience.

( 197 ) Voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2017, Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:725, point 102).

( 198 ) Arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a. (C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 208 et jurisprudence citée). Conformément à l’article 23 du RGPD, l’Union et les États membres peuvent adopter des « mesures législatives » qui limitent la portée des obligations et des droits prévus notamment à l’article 5 dans la mesure où elles correspondent aux droits et obligations prévus aux articles 12 à 22, lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique. L’article 23, paragraphe 1, sous f), du RGPD prévoit que des restrictions peuvent être adoptées pour garantir « la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires ». La République de Pologne n’invoque pas cette disposition et indique plus spécifiquement que les objectifs des dispositions légales en cause ne concernent pas l’indépendance de la justice.

( 199 ) Aucune distinction claire n’est établie entre les principes énoncés à l’article 5 du RGPD et la licéité du traitement visée à l’article 6 de ce règlement et ces deux dispositions se chevauchent dans une certaine mesure. La Commission n’a pas soutenu que les dispositions nationales en cause ne respectent pas l’article 5, paragraphe 1, sous c), du RGPD sur la minimisation des données dans la mesure où elle considère qu’il est totalement illégal de traiter les données à caractère personnel en cause de la manière décrite dans les dispositions nationales.

( 200 ) Arrêt du 22 juin 2021 (C‑439/19, EU:C:2021:504, point 99).

( 201 ) Les États membres ne sauraient ni ajouter de nouveaux principes relatifs à la légitimation des traitements de données à caractère personnel à l’article 6 du RGPD ni prévoir des exigences supplémentaires qui viendraient modifier la portée de l’un des six principes qui y sont énoncés. Pour qu’il puisse être considéré comme étant légitime, un traitement de données à caractère personnel doit relever de l’un des six cas prévus à l’article 6, paragraphe 1, du RGPD. Voir, par analogie, arrêt du 11 décembre 2019, Asociaţia de Proprietari bloc M5A-ScaraA (C‑708/18, EU:C:2019:1064, points 37 et 38).

( 202 ) La République de Pologne a confirmé lors de l’audience que les déclarations de tous les juges, à l’exception de celles des présidents des cours d’appel de droit commun, sont envoyées au président de la cour d’appel compétente et sont publiées sur le site Internet de ces cours. Conformément à ce que prévoit l’article 88 a, paragraphe 4, de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, les présidents des cours d’appel de droit commun soumettent leur déclaration au ministre de la Justice. L’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives prévoient notamment que les juges de la Cour suprême et de la Cour suprême administrative transmettent leur déclaration respectivement au premier président de la Cour suprême et au premier président de la Cour suprême administrative et que ces derniers transmettent leur déclaration à la KRS. Selon la République de Pologne, les données à caractère personnel des présidents des cours d’appel sont publiées par le ministre de la Justice qui agit donc en qualité de responsable du traitement au sens de l’article 4, point 7, du RGPD puisqu’il détermine les « moyens du traitement ». Les présidents des cours d’appel de droit commun agissent en tant que responsables du traitement à l’égard des données à caractère personnel des juges des juridictions de droit commun. Le premier président de la Cour suprême et le premier président de la Cour suprême administrative agissent en tant que responsables du traitement à l’égard des données à caractère personnel des juges de leur juridiction respective. La KRS agit en tant que responsable du traitement à l’égard des données à caractère personnel des premiers présidents de la Cour suprême et de la Cour suprême administrative. Le ministre de la Justice, les présidents des cours d’appel, les premiers présidents de la Cour suprême et de la Cour suprême administrative doivent effectuer ce traitement pour satisfaire à leurs obligations au titre de l’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun, de l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et de l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives. Voir article 6, paragraphe 1, sous c), du RGPD.

( 203 ) Je fais référence à ces dispositions dès lors que la Commission les a invoquées.

( 204 ) Voir également article 52, paragraphe 1, de la Charte.

( 205 ) Arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems (C‑311/18, EU:C:2020:559, point 172 et jurisprudence citée).

( 206 ) Arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) (C‑439/19, EU:C:2021:504, point 105).

( 207 ) L’objectif de renforcer l’impartialité et la neutralité politique des juges ainsi que la confiance dans leur impartialité est susceptible de s’inscrire dans l’objectif d’assurer l’accès à un tribunal impartial.

( 208 ) De plus, la Commission ne prétend pas que les dispositions nationales en cause ne sont pas suffisamment claires et précises ou qu’elles ne renvoient pas à l’objectif qu’elles poursuivent comme l’exige l’article 6, paragraphe 3, du RGPD. Dès lors, si l’objectif des dispositions nationales en cause ne ressort pas clairement de leur libellé, ce n’est pas sur cette base que se fonde la Commission pour soutenir que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 6, paragraphe 3, du RGPD.

( 209 ) Voir également article 45, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne.

( 210 ) Le considérant 51 du RGPD indique que les données à caractère personnel qui sont, par nature, particulièrement sensibles du point de vue des libertés et des droits fondamentaux méritent une protection spécifique, car le contexte dans lequel elles sont traitées pourrait engendrer des risques importants pour ces libertés et droits.

( 211 ) Qui, d’un point de vue pratique, est identique à l’article 45, paragraphe 3, de la loi modifiée sur la Cour suprême et à l’article 8, paragraphe 2, de la loi modifiée relative aux juridictions administratives.

( 212 ) L’article 88 a de la loi modifiée relative aux juridictions de droit commun utilise les termes « zrzeszenie » et « stowarzyszenie » qui peuvent tous deux être traduits en français par « association ». Si la loi polonaise du 7 avril 1989 sur les associations définit le terme « stowarzyszenie », il n’existe pas de définition du terme « zrzeszenie » qui recouvre une notion plus large et englobe la notion de « stowarzyszenie ». « Zrzeszenie » désigne tout groupement de personnes poursuivant un objectif commun.

( 213 ) L’interdiction prévue à l’article 9, paragraphe 1, du RGPD s’applique, sous réserve des exceptions prévues par ce règlement, à tout type de traitement des catégories particulières de données visées par lesdites dispositions et à l’ensemble des responsables effectuant de tels traitements [arrêt du 24 septembre 2019, GC e.a. (Déréférencement de données sensibles), C‑136/17, EU:C:2019:773, point 42]. En outre, la protection du droit fondamental à la vie privée, garanti par l’article 7 et l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, exige que les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire. Voir, par analogie, arrêts du 11 décembre 2014, Ryneš (C‑212/13, EU:C:2014:2428, point 28), et du 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Síochána e.a. (C‑140/20, EU:C:2022:258, point 52). Voir également arrêt du 3 octobre 2019, A e.a. (C‑70/18, EU:C:2019:823, point 29), sur l’article 8, paragraphe 1, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31), qui correspond à l’article 9, paragraphe 1, du RGPD.

( 214 ) Voir, à cet égard, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2022:235, point 95). Les exigences d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (point 119). Puisque l’accès à un tribunal impartial est fondamental pour l’État de droit, l’objectif en question n’est pas seulement d’intérêt général ou public, mais il correspond, selon moi, à la norme plus élevée du motif d’« intérêt public important » énoncée à l’article 9, paragraphe 2, sous g), du RGPD.

( 215 ) Arrêt du 29 mars 2022 (C‑132/20, EU:C:2022:235, point 107).

( 216 ) Ces personnes peuvent accéder à des données à caractère personnel sensibles pour des raisons étrangères à l’objectif d’intérêt général invoqué par la République de Pologne. Voir, à cet égard, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) (C‑439/19, EU:C:2021:504, point 118).