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Dokumentas 62021CO0460

Ordonnance de la Cour (huitième chambre) du 7 février 2022.
Vapo Atlantic SA contre Autoridade Tributária e Aduaneira.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD).
Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 1er, paragraphe 2 – Prélèvement, à des fins spécifiques, de taxes indirectes supplémentaires – “Fins spécifiques” – Notion – Financement d’une entreprise publique concessionnaire du réseau routier national – Objectifs de réduction de la sinistralité et de durabilité environnementale – Finalité purement budgétaire – Refus de restitution de la taxe fondé sur l’enrichissement sans cause – Conditions.
Affaire C-460/21.

Europos teismų praktikos identifikatorius (ECLI): ECLI:EU:C:2022:83

 ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

7 février 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 1er, paragraphe 2 – Prélèvement, à des fins spécifiques, de taxes indirectes supplémentaires – “Fins spécifiques” – Notion – Financement d’une entreprise publique concessionnaire du réseau routier national – Objectifs de réduction de la sinistralité et de durabilité environnementale – Finalité purement budgétaire – Refus de restitution de la taxe fondé sur l’enrichissement sans cause – Conditions »

Dans l’affaire C‑460/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal], par décision du 12 juillet 2021, parvenue à la Cour le 26 juillet 2021, dans la procédure

Vapo Atlantic SA

contre

Autoridade Tributária e Aduaneira,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. N. Piçarra et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12), ainsi que des principes généraux du droit de l’Union de légalité et de sécurité juridique.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vapo Atlantic SA à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (administration des contributions et des douanes, Portugal) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de la restitution de la contribution pour service routier (ci-après la « CSR ») que cette société a acquittée au titre de l’année 2016.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er de la directive 2008/118 dispose :

« 1.   La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés “produits soumis à accise” :

a)

les produits énergétiques et l’électricité relevant de la directive 2003/96/CE[, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, JO 2003, L 283, p. 51] ;

[...]

2.   Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations.

[...] »

Le droit portugais

La loi no 55/2007

4

La Lei no. 55/2007, que regula o financiamento da rede rodoviária nacional a cargo da EP – Estradas de Portugal, E.P.E. (loi no 55/2007, régissant le financement du réseau routier national à charge de EP – Estradas de Portugal, EPE), du 31 août 2007 (Diário da República no 168/2007, série I, du 31 août 2007), prévoit le régime juridique de la CSR.

5

L’article 3 de cette loi, intitulé « Contribution pour service routier », dispose, à son paragraphe 1, que la CSR constitue la contrepartie pour l’utilisation du réseau routier national, telle que constatée par la consommation de carburants. Son paragraphe 2 précise que la CSR constitue une source de financement du réseau routier national à charge d’EP – Estradas de Portugal, EPE (ci-après « EP »).

6

En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ladite loi, la CSR frappe l’essence et le diesel soumis à la taxe sur les produits pétroliers et énergétiques et ne bénéficiant pas d’une exonération de cette dernière.

7

L’article 6 de la même loi prévoit que la CSR constitue une recette propre d’EP.

Le décret-loi no 380/2007

8

Le régime juridique de la concession du réseau routier national à EP est régi par le Decreto-Lei no. 380/2007, que atribui à EP – Estradas de Portugal, SA, a concessão do financiamento, concepção, projecto, construção, conservação, exploração, requalificação e alargamento da rede rodoviária nacional e aprova as bases da concessão (décret-loi no 380/2007, attribuant à [EP], la concession du financement, de la conception, du projet, de la construction, de la conservation, de l’exploration, de la requalification et de l’élargissement du réseau routier national et approuvant les bases de la concession), du 13 novembre 2007 (Diário da República no 218/2007, série I, du 13 novembre 2007).

9

Les bases de cette concession, approuvées par ce décret-loi, prévoient, notamment, que la CSR constitue une recette propre d’EP et énoncent que le concessionnaire doit poursuivre, dans le cadre de son activité, des objectifs de réduction de la sinistralité, autrement dit du nombre de sinistres, et de durabilité environnementale.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10

Vapo Atlantic est une société dont l’objet social comprend, notamment, l’exploitation de stations-services et le commerce en gros de produits pétroliers. Sur la base des déclarations de mise à la consommation de cette société, l’administration fiscale a émis des actes de liquidation conjointe de la taxe sur les produits pétroliers et énergétiques, de la CSR et d’autres prélèvements fiscaux pour l’année 2016, pour un montant total de 21016425,44 euros, dont 4873427,68 euros au titre de la CSR.

11

Le 10 février 2020, Vapo Atlantic a introduit une demande de révision gracieuse de ces actes de liquidation, laquelle a été rejetée par une décision du directeur des douanes de Braga (Portugal) du 23 juillet 2020. Cette décision a considéré que la CSR est compatible avec la directive 2008/118 et que, compte tenu du fait que cette redevance est supportée par les contribuables lors de l’achat de carburant, Vapo Atlantic bénéficierait d’un enrichissement sans cause s’il était fait droit à sa demande de remboursement.

12

Vapo Atlantic a formé un recours contre cette décision de rejet devant la juridiction de renvoi, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif – CAAD), Portugal].

13

Au soutien de son recours, Vapo Atlantic argue que la CSR a été créée pour des raisons purement budgétaires, en vue de financer l’entreprise publique concessionnaire du réseau routier national, ce qui méconnaîtrait l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118.

14

L’administration fiscale réplique, premièrement, que le décret-loi no 380/2007, attribuant la concession du réseau routier national à EP, laquelle est devenue depuis lors Infraestruturas de Portugal SA (ci‑après « IP »), assigne à cette dernière un objectif consistant à réduire la sinistralité, ainsi qu’un objectif de durabilité environnementale, lesquels constitueraient la fin spécifique de la CSR, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118. En outre, la CSR serait une recette propre d’IP. Cette entreprise serait ainsi financée par les utilisateurs du réseau routier national et seulement à titre subsidiaire par l’État. Deuxièmement, bien qu’il n’existe pas de mécanisme formel de répercussion de la CSR, la structure fiscale spécifique de cette redevance démontre qu’elle est répercutée sur le prix de vente au public, de sorte que le remboursement des montants payés à ce titre par l’assujetti correspondrait à une situation d’enrichissement sans cause.

15

La juridiction de renvoi s’interroge quant au point de savoir si la CSR poursuit une fin spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 et relève que la Cour ne s’est pas expressément prononcée sur ce point. À cet égard, elle précise que, selon la loi no 55/2007, la CSR vise à assurer, via les utilisateurs du réseau routier national et, à titre subsidiaire, l’État portugais, le financement de l’activité de conception, de planification, de construction, d’entretien, d’exploitation, de modernisation et d’extension de ce réseau, activité qui a été concédée à IP. Cette redevance constituerait ainsi une recette propre du concessionnaire qui doit poursuivre des « objectifs de réduction de la sinistralité et de durabilité environnementale ».

16

C’est dans ce contexte que le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive [2008/118], plus spécifiquement l’exigence de “fins spécifiques”, doit-il être interprété en ce sens que la finalité d’une redevance est purement budgétaire lorsqu’elle est instaurée afin de financer une entreprise publique concessionnaire du réseau routier national à l’occasion du renouvellement de sa concession, que les recettes générées par la redevance lui sont affectées de manière générique et que sa structure n’indique aucune intention de décourager une quelconque consommation ?

2)

Le droit de l’Union et les principes de légalité et de sécurité juridique permettent-ils aux autorités nationales de refuser le remboursement des redevances indirectes contraires à la directive [2008/118], pour cause d’enrichissement sans cause de l’assujetti, lorsqu’aucune disposition légale spécifique de droit interne ne le prévoit ?

3)

Le droit de l’Union permet-il aux autorités nationales, lorsqu’elles motivent leur refus de remboursement de redevances indirectes contraires à la directive [2008/118], de présumer la répercussion de la redevance et l’enrichissement sans cause de l’assujetti, en obligeant ce dernier à démontrer leur inexistence ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

17

En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

18

Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

19

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens que poursuit des « fins spécifiques », au sens de cette disposition, une redevance dont les recettes sont affectées, de manière générique, à une entreprise publique concessionnaire du réseau routier national et dont la structure n’indique aucune intention de décourager la consommation des principaux carburants routiers.

20

Il convient de relever d’emblée que cette disposition, qui vise à tenir compte de la diversité des traditions fiscales des États membres en la matière et du recours fréquent aux impositions indirectes pour la mise en œuvre de politiques non budgétaires, permet aux États membres d’établir, en sus de l’accise minimale, d’autres impositions indirectes poursuivant une finalité spécifique (arrêts du 4 juin 2015, Kernkraftwerke Lippe-Ems, C‑5/14, EU:C:2015:354, point 58, et du 3 mars 2021, Promociones Oliva Park, C‑220/19, EU:C:2021:163, point 48).

21

Conformément à ladite disposition, les États membres peuvent prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise à deux conditions. D’une part, de telles taxes doivent être prélevées à des fins spécifiques et, d’autre part, ces impositions doivent respecter les règles de taxation de l’Union applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d’imposition, ainsi que pour le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations.

22

Ces deux conditions, qui visent à éviter les impositions indirectes supplémentaires entravant indûment les échanges, revêtent, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, un caractère cumulatif (voir arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, C‑553/13, EU:C:2015:149, point 36, ainsi que, par analogie, arrêt du 25 juillet 2018, Messer France, C‑103/17, EU:C:2018:587, point 36).

23

S’agissant de la première desdites conditions, seule visée par la première question préjudicielle, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une fin spécifique au sens de cette disposition est une finalité autre que purement budgétaire (arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, C‑553/13, EU:C:2015:149, point 37).

24

Cependant, dès lors que toute taxe poursuit nécessairement une finalité budgétaire, la seule circonstance qu’une taxe vise un objectif budgétaire ne saurait, en tant que telle, sauf à vider l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 de toute substance, suffire à exclure que cette taxe puisse être considérée comme ayant également une finalité spécifique au sens de cette disposition (arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, C‑553/13, EU:C:2015:149, point 38 et jurisprudence citée).

25

Ainsi, afin d’être considérée comme poursuivant une finalité spécifique, au sens de ladite disposition, une taxe doit viser, par elle-même, à assurer la finalité spécifique invoquée, de telle sorte qu’il existe un lien direct entre l’utilisation des recettes et la finalité de l’imposition en question (voir, en ce sens, arrêts 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, C‑553/13, EU:C:2015:149, point 41, ainsi que du 25 juillet 2018, Messer France, C‑103/17, EU:C:2018:587, point 38).

26

En outre, si l’affectation prédéterminée du produit d’une taxe au financement de l’exercice, par les autorités d’un État membre, de compétences qui leur sont dévolues peut constituer un élément à prendre en compte afin d’identifier l’existence d’une fin spécifique, une telle affectation, qui relève d’une simple modalité d’organisation interne du budget d’un État membre, ne saurait, en tant que telle, constituer une condition suffisante, tout État membre pouvant décider d’imposer, quelle que soit la finalité poursuivie, l’affectation du produit d’une taxe au financement de dépenses déterminées. S’il en était autrement, toute finalité pourrait être considérée comme spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, ce qui priverait l’accise harmonisée instituée par cette directive de tout effet utile et irait à l’encontre du principe selon lequel une disposition dérogatoire, telle que cet article 1er, paragraphe 2, doit faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, C‑553/13, EU:C:2015:149, point 39 et jurisprudence citée).

27

Enfin, en l’absence d’un tel mécanisme d’affectation prédéterminée des recettes, une redevance frappant des produits soumis à accise ne saurait être considérée comme poursuivant une fin spécifique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, que si cette redevance est conçue, en ce qui concerne sa structure, notamment la matière imposable ou le taux d’imposition, d’une manière telle qu’elle influence le comportement des contribuables dans un sens permettant la réalisation de la fin spécifique invoquée, par exemple en taxant fortement les produits considérés afin de décourager leur consommation (arrêt du 5 mars 2015, Statoil Fuel & Retail, C‑553/13, EU:C:2015:149, point 42 et jurisprudence citée).

28

Lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel visant à déterminer si une imposition instaurée par un État membre poursuit une fin spécifique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, sa fonction consiste davantage à éclairer la juridiction nationale sur les critères dont la mise en œuvre permettra à cette dernière de déterminer si cette imposition poursuit effectivement une telle finalité qu’à procéder elle-même à cette évaluation, et ce d’autant plus qu’elle ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard (voir, par analogie, arrêts du 7 novembre 2002, Lohmann et Medi Bayreuth, C‑260/00 à C‑263/00, EU:C:2002:637, point 26, ainsi que du 16 février 2006, Proxxon, C‑500/04, EU:C:2006:111, point 23).

29

En l’occurrence, il importe de relever, premièrement, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence mentionnée au point 26 de la présente ordonnance, que, si l’affectation prédéterminée du produit de la CSR au financement, par le concessionnaire du réseau routier national, des compétences générales qui lui sont dévolues peut constituer un élément à prendre en compte afin d’identifier l’existence d’une fin spécifique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, une telle affectation ne saurait, en tant que telle, constituer une condition suffisante.

30

Deuxièmement, afin d’être considérée comme poursuivant une fin spécifique, au sens de cette disposition, la CSR devrait viser, par elle-même, à assurer les objectifs de réduction de la sinistralité et de durabilité environnementale qui ont été assignés au concessionnaire du réseau routier national. Tel serait notamment le cas si le produit de cette redevance devait obligatoirement être utilisé afin de réduire les coûts sociaux et environnementaux liés de manière spécifique à l’utilisation de ce réseau qui est grevée par ladite redevance. Serait alors établi un lien direct entre l’utilisation des recettes et la finalité de l’imposition en question (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora, C‑82/12, EU:C:2014:108, point 30, et du 25 juillet 2018, Messer France, C‑103/17, EU:C:2018:587, point 38).

31

Troisièmement, certes, ainsi qu’il ressort du point 14 de la présente ordonnance, l’administration fiscale soutient qu’il existe un lien entre l’affectation des recettes générées par la CSR et la fin spécifique qui a conduit à l’instauration de cette redevance, dès lors que le décret-loi attribuant la concession du réseau routier national à IP impose à cette dernière d’œuvrer en faveur, d’une part, de la réduction de la sinistralité sur ce réseau et, d’autre part, de la durabilité environnementale.

32

Cependant, ainsi qu’il a été relevé au point 15 de la présente ordonnance, il ressort de la décision de renvoi que le produit de la redevance en cause au principal n’est pas exclusivement affecté au financement d’opérations censées concourir à la réalisation des deux objectifs mentionnés au point précédent de la même ordonnance. En effet, les recettes issues de la CSR visent, plus largement, à assurer le financement de l’activité de conception, de planification, de construction, d’entretien, d’exploitation, de modernisation et d’extension de ce réseau.

33

Quatrièmement, les deux objectifs assignés au concessionnaire du réseau routier national portugais sont énoncés en des termes très généraux et ne laissent pas transparaître, de prime abord, une réelle volonté de décourager l’utilisation soit de ce réseau, soit des principaux carburants routiers, tels que l’essence, le diesel ou le gaz pétrole liquéfié (GPL) automobile. À cet égard, il est significatif que la juridiction de renvoi mette en exergue, dans le libellé de sa première question préjudicielle, que les recettes générées par la redevance sont affectées de manière générique au concessionnaire du réseau routier national et que la structure de cette redevance n’indique aucune intention de décourager une quelconque consommation de ces carburants.

34

Cinquièmement, la demande de décision préjudicielle ne comporte pas d’élément permettant de considérer que la CSR, en tant qu’elle frappe les utilisateurs du réseau routier national, serait conçue, en ce qui concerne sa structure, d’une manière telle qu’elle dissuade les assujettis d’utiliser ce réseau ou qu’elle les encourage à adopter un comportement dont les effets seraient moins nocifs pour l’environnement et de nature à réduire les accidents.

35

Dès lors, et sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer compte tenu des indications figurant aux points 29 à 34 de la présente ordonnance, les deux finalités spécifiques invoquées par l’administration fiscale afin de démontrer que la CSR poursuit une fin spécifique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, ne sauraient être distinguées d’une finalité purement budgétaire (voir, par analogie, arrêt du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora, C‑82/12, EU:C:2014:108, points 31 à 35).

36

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens que ne poursuit pas des « fins spécifiques », au sens de cette disposition, une redevance dont les recettes sont affectées, de manière générique, à une entreprise publique concessionnaire du réseau routier national et dont la structure n’indique aucune intention de décourager la consommation des principaux carburants routiers.

Sur les deuxième et troisième questions

37

Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités nationales puissent motiver leur refus de rembourser une redevance indirecte contraire à la directive 2008/118 en présumant la répercussion de cette redevance sur des tiers et, par suite, l’enrichissement sans cause de l’assujetti.

38

Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, le droit d’obtenir le remboursement des taxes perçues dans un État membre en violation des dispositions de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux particuliers par ces dispositions telles qu’elles ont été interprétées par la Cour. Un État membre est ainsi tenu, en principe, de rembourser les impositions perçues en violation du droit de l’Union, selon les règles procédurales nationales applicables et dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir en ce sens, notamment, arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, EU:C:1983:318, point 12, ainsi que du 1er mars 2018, Petrotel-Lukoil et Georgescu, C‑76/17, EU:C:2018:139, point 32).

39

L’obligation de remboursement des taxes perçues dans un État membre en violation des dispositions de l’Union ne connaît qu’une seule exception. En effet, sous peine d’entraîner un enrichissement sans cause des ayants droit, la protection des droits garantis en la matière par l’ordre juridique de l’Union exclut, par principe, le remboursement des impôts, des droits et des taxes perçus en violation du droit de l’Union lorsqu’il est établi que la personne astreinte au paiement de ces droits les a effectivement répercutés sur d’autres sujets (voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C‑192/95 à C‑218/95, EU:C:1997:12, point 21, ainsi que du 1er mars 2018, Petrotel-Lukoil et Georgescu, C‑76/17, EU:C:2018:139, point 33).

40

Dès lors, il incombe aux autorités et aux juridictions nationales d’assurer le respect du principe d’interdiction de l’enrichissement sans cause, y compris dans le silence du droit national.

41

Dans des conditions telles que celles mentionnées au point 39 de la présente ordonnance, la charge de la taxe indûment perçue est supportée non pas par l’opérateur qui y est assujetti, mais par l’acheteur sur lequel elle a été répercutée. Dès lors, rembourser à l’opérateur le montant de la taxe qu’il a déjà perçu de l’acheteur équivaudrait pour lui à un double paiement susceptible d’être qualifié d’enrichissement sans cause, sans qu’il soit pour autant remédié aux conséquences de l’illégalité de la taxe pour l’acheteur (voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C‑192/95 à C‑218/95, EU:C:1997:12, point 22, ainsi que du 1er mars 2018, Petrotel-Lukoil et Georgescu, C‑76/17, EU:C:2018:139, point 34).

42

Un État membre ne peut, par conséquent, s’opposer au remboursement d’une taxe indûment perçue au regard du droit de l’Union que lorsqu’il est établi par les autorités nationales que la totalité de la charge de la taxe a été supportée par une personne autre que l’assujetti et que le remboursement de la taxe entraînerait, pour cet assujetti, un enrichissement sans cause. Il en résulte que, si seule une partie de la taxe a été répercutée, les autorités nationales sont uniquement tenues de rembourser le montant non répercuté (voir en ce sens, notamment, arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, EU:C:1983:318, point 13 ; du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C‑192/95 à C‑218/95, EU:C:1997:12, points 27 et 28, ainsi que du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a., C‑147/01, EU:C:2003:533, point 94).

43

Cette exception au principe du remboursement des taxes incompatibles avec le droit de l’Union étant une restriction apportée à un droit subjectif tiré de l’ordre juridique de l’Union, il convient de l’interpréter de manière restrictive, en tenant compte notamment du fait que la répercussion d’une taxe sur le consommateur ne neutralise pas nécessairement les effets économiques de l’imposition sur l’assujetti (voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a., C‑147/01, EU:C:2003:533, point 95, ainsi que du 1er mars 2018, Petrotel-Lukoil et Georgescu, C‑76/17, EU:C:2018:139, point 35).

44

En effet, même si, dans la législation nationale, les taxes indirectes sont conçues pour être répercutées sur le consommateur final et si, habituellement, dans le commerce, ces taxes indirectes sont partiellement ou totalement répercutées, il ne peut pas être affirmé d’une manière générale que, dans tous les cas, la taxe est effectivement répercutée. La répercussion effective, partielle ou totale, dépend de plusieurs facteurs qui entourent chaque transaction commerciale et la différencient d’autres cas situés dans d’autres contextes. En conséquence, la question de la répercussion ou de la non-répercussion dans chaque cas d’une taxe indirecte constitue une question de fait qui relève de la compétence du juge national, ce dernier appréciant librement les éléments de preuve qui lui sont soumis (voir, en ce sens, arrêts du 25 février 1988, Les Fils de Jules Bianco et Girard, 331/85, 376/85 et 378/85, EU:C:1988:97, point 17, ainsi que du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a., C‑147/01, EU:C:2003:533, point 96).

45

Il ne saurait toutefois être admis que, dans le cas de taxes indirectes, il existe une présomption selon laquelle la répercussion a eu lieu et qu’il incombe à l’assujetti de prouver négativement le contraire. Il en va ainsi même lorsque l’assujetti a été obligé, par la législation nationale applicable, d’incorporer la taxe dans le prix de revient du produit concerné. En effet, une telle obligation légale ne permet pas de présumer que la totalité de la charge de la taxe a été répercutée, même dans le cas où la violation d’une telle obligation entraînerait une sanction (arrêt du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C‑192/95 à C‑218/95, EU:C:1997:12, points 25 et 26).

46

Le droit de l’Union exclut ainsi l’application de toute présomption ou règle de preuve visant à faire peser sur l’opérateur concerné la charge d’établir que les taxes indûment payées n’ont pas été répercutées sur d’autres personnes et visant à l’empêcher de fournir des éléments de preuve pour contester une prétendue répercussion (arrêt du 21 septembre 2000, Michaïlidis, C‑441/98 et C‑442/98, EU:C:2000:479, point 42).

47

En outre, même dans l’hypothèse où il est établi que la charge de la taxe indue a été répercutée sur des tiers, le remboursement de celle-ci à l’opérateur n’entraîne pas nécessairement l’enrichissement sans cause de ce dernier, l’intégration du montant de ladite taxe dans les prix pratiqués pouvant lui occasionner un préjudice lié à la diminution du volume de ses ventes (voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 1997, Comateb e.a., C‑192/95 à C‑218/95, EU:C:1997:12, points 29 à 32, ainsi que du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a., C‑398/09, EU:C:2011:540, point 21).

48

Dans ces conditions, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités nationales puissent motiver leur refus de rembourser une redevance indirecte contraire à la directive 2008/118 en présumant la répercussion de cette redevance sur des tiers et, par suite, l’enrichissement sans cause de l’assujetti.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, doit être interprété en ce sens que ne poursuit pas des « fins spécifiques », au sens de cette disposition, une redevance dont les recettes sont affectées, de manière générique, à une entreprise publique concessionnaire du réseau routier national et dont la structure n’indique aucune intention de décourager la consommation des principaux carburants routiers.

 

2)

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités nationales puissent motiver leur refus de rembourser une redevance indirecte contraire à la directive 2008/118 en présumant la répercussion de cette redevance sur des tiers et, par suite, l’enrichissement sans cause de l’assujetti.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le portugais.

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