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Document 62021CJ0577

Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 15 décembre 2022.
LM et NO contre HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sofiyski gradski sad.
Renvoi préjudiciel – Assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs – Directive 2009/103/CE – Article 3, quatrième alinéa – Notion de “dommages corporels” – Couverture par l’assurance obligatoire – Accident de la circulation – Décès d’un passager – Droit à indemnisation des enfants mineurs – Préjudice immatériel – Souffrances d’un enfant résultant du décès de son parent à la suite de cet accident – Indemnisation uniquement en cas de dommage pathologique.
Affaire C-577/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:992

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

15 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs – Directive 2009/103/CE – Article 3, quatrième alinéa – Notion de “dommages corporels” – Couverture par l’assurance obligatoire – Accident de la circulation – Décès d’un passager – Droit à indemnisation des enfants mineurs – Préjudice immatériel – Souffrances d’un enfant résultant du décès de son parent à la suite de cet accident – Indemnisation uniquement en cas de dommage pathologique »

Dans l’affaire C‑577/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 11 août 2021, parvenue à la Cour le 20 septembre 2021, dans la procédure

LM,

NO

contre

HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, faisant fonction de président de chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur) et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG, par Me G. I. Ilieva, advokat,

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, U. Bartl, J. Heitz, M. Hellmann et U. Kühne, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme C. Georgieva, M. D. Triantafyllou et Mme H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17), telle que modifiée par la directive 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005 (JO 2005, L 149, p. 14) (ci-après la « deuxième directive »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LM et NO à HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG (ci-après « HUK-COBURG »), une entreprise d’assurances, au sujet de l’indemnisation par cette dernière, au titre de la responsabilité civile obligatoire résultant de la circulation des véhicules à moteurs, du préjudice immatériel subi par LM et NO du fait du décès de leur mère lors d’un accident de la circulation.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La deuxième directive

3

L’article 1er, paragraphe 1, de la deuxième directive prévoyait :

« L’assurance visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE [du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 1972, L 103, p. 1),] couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels. »

La directive 2009/103/CE

4

La directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 2009, L 263, p. 11), a codifié les directives préexistantes en matière d’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, y compris la deuxième directive, et a, par conséquent, abrogé celles-ci avec effet au 27 octobre 2009. Selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe II de la directive 2009/103, l’article 1er, paragraphe 1, de la deuxième directive correspond à l’article 3, quatrième alinéa, de la directive 2009/103.

5

L’article 1er de la directive 2009/103 contient la définition suivante :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

2)

“personne lésée” : toute personne ayant droit à la réparation du dommage causé par des véhicules ;

[...] »

6

L’article 3 de cette directive, intitulé « Obligation d’assurance des véhicules », dispose :

« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance.

Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa.

[...]

L’assurance visée au premier alinéa couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels. »

7

L’article 5 de ladite directive, intitulé « Dérogation à l’obligation d’assurance des véhicules », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Chaque État membre peut déroger aux dispositions de l’article 3 en ce qui concerne certaines personnes physiques ou morales, publiques ou privées, dont la liste est déterminée par cet État et notifiée aux autres États membres et à la Commission. »

Le règlement (CE) no 593/2008

8

L’article 7 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6), intitulé « Contrats d’assurance », prévoit, à son paragraphe 2, deuxième alinéa :

« À défaut de choix par les parties de la loi applicable, le contrat d’assurance est régi par la loi du pays où l’assureur a sa résidence habituelle. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays s’applique. »

Le règlement (CE) no 864/2007

9

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40) :

« Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

Le droit allemand

10

Sous le titre « Préjudice immatériel », l’article 253 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), dans sa version applicable au litige au principal (ci–après le « BGB »), est libellé comme suit :

« (1)

Il n’est possible d’exiger une réparation en argent d’un dommage non patrimonial que dans les cas précisés par la loi.

(2)

Lorsque des dommages-intérêts doivent être versés au titre d’une lésion corporelle, d’une atteinte à la santé, à la liberté ou à l’autodétermination sexuelle, une réparation équitable en argent du dommage non patrimonial peut également être exigée. »

11

L’article 823 du BGB, intitulé « Obligation de réparer le préjudice », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Quiconque, agissant intentionnellement ou par négligence, porte atteinte de manière illicite à la vie, au corps, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à tout autre droit d’autrui, est tenu à l’égard de celui-ci de réparer le préjudice qui en résulte. »

12

Intitulé « Droit d’action directe », l’article 115 du Gesetz über den Versicherungsvertrag (loi sur le contrat d’assurance), du 23 novembre 2007 (BGBl. 2007 I, p. 2631), dans sa version applicable au litige au principal, dispose, à son paragraphe 1 :

« Le tiers peut également faire valoir son droit à réparation contre l’assureur,

1.

s’il s’agit d’une assurance de la responsabilité civile ayant pour objet l’exécution d’une obligation d’assurance résultant de la loi sur l’assurance obligatoire [...]

[...]

Le droit découle des obligations de l’assureur résultant du rapport d’assurance et, à défaut d’obligation, de l’article 117, paragraphes 1 à 4. L’assureur doit verser la réparation en argent. L’assureur et le preneur d’assurance tenu à la réparation du dommage sont solidairement responsables. »

13

L’article 7 du Straßenverkehrsgesetz (loi sur la circulation routière), dans sa version applicable au litige au principal, intitulé « Responsabilité du détenteur, fraude », prévoit, à son paragraphe 1er :

« Si, lors de l’utilisation d’un véhicule automoteur, une personne est tuée, subit une lésion corporelle ou une atteinte à sa santé, ou si une chose est endommagée, le détenteur est tenu de réparer le dommage qui en résulte pour la partie lésée. »

14

Aux termes de l’article 11 de la loi sur la circulation routière, dans sa version applicable au litige au principal, intitulé « Étendue de l’obligation de réparation en cas de préjudice corporel » :

« En cas de lésion corporelle ou d’atteinte à la santé, l’indemnité devra couvrir les frais engagés par la victime pour recouvrer sa santé et le préjudice pécuniaire qu’elle a subi à la suite de ses blessures en raison de la perte ou de la réduction temporaire ou définitive de sa capacité de travail ou encore en raison de l’accroissement temporaire ou définitif de ses besoins. Une indemnisation équitable en argent du dommage non patrimonial peut également être réclamée. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15

NO, née en 2006, et LM, née en 2010, sont les filles de AB, leur mère, et de CD, leur père, tous étant de nationalité bulgare.

16

Au cours de l’année 2013, AB et CD se sont établis en Allemagne pour y travailler, tandis que NO et LM étaient restées en Bulgarie.

17

Le 27 juillet 2014, AB est décédée lors d’un accident de la circulation survenu à Emsdetten (Allemagne). CD, qui était assuré auprès de HUK-COBURG, une entreprise d’assurances établie en Allemagne, au titre de la responsabilité civile obligatoire, a causé cet accident. Il conduisait son véhicule en état d’ébriété, tandis que AB était installée sur la place avant droite, sans avoir attaché la ceinture de sécurité.

18

À la suite de l’accident, HUK-COBURG a versé à NO et à LM la somme de 5000 euros au titre de la réparation du préjudice lié au décès de leur mère. Jugeant cette somme insuffisante, NO et LM, représentées par CD, ont introduit une action contre HUK-COBURG devant le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), la juridiction de renvoi, tendant au versement d’une indemnité de 300000 leva bulgares (BGN) (environ 153000 euros) pour chacune d’entre elles au titre du préjudice immatériel résultant de ce décès. Ce préjudice découlerait d’une atteinte à leur santé psychique, NO et LM souffrant d’insomnies, de cauchemars, de changements d’humeur, d’irritabilité, d’anxiété, d’introversion et de crises d’angoisse.

19

Contestant le bien-fondé de cette demande, HUK-COBURG fait valoir devant la juridiction de renvoi, tout d’abord, que le droit applicable en l’occurrence est le droit allemand et que, dans sa version applicable à la date de l’accident, ce droit ne prévoyait pas la réparation du préjudice immatériel subi par des tiers, à moins que ce préjudice ne se manifeste par un trouble pathologique. Ce ne serait que depuis le 22 juillet 2017 que le droit allemand prévoirait la réparation du préjudice immatériel subi par des tiers si ces personnes avaient des liens particulièrement étroits avec la victime. Ensuite, la victime aurait contribué à son décès en voyageant dans une voiture conduite par une personne en état d’ébriété et en ne portant pas sa ceinture de sécurité. Enfin, le montant des réparations demandé par NO et LM serait excessif.

20

La juridiction de renvoi estime que, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 593/2008 et de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 864/2007, le droit allemand est applicable au litige dont elle est saisie.

21

Cette juridiction indique que selon une jurisprudence constante du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), des dommages et intérêts dus en réparation des douleurs et des souffrances résultant du décès d’un parent, en application du droit allemand, à savoir l’article 253, paragraphe 2, et l’article 823, paragraphe 1, du BGB, lus en combinaison avec l’article 115, paragraphe 1, premier alinéa, point 1, de la loi sur le contrat d’assurance, dans sa version applicable au litige au principal, ne sont exigibles que si elles ont entraîné un dommage pathologique.

22

Elle devrait donc, en application de cette interprétation, rejeter la demande de NO et de LM au motif que les douleurs et les souffrances causées par le décès de leur mère n’ont pas entraîné de pathologie.

23

Cependant, la juridiction de renvoi estime que la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) restreint la portée de la notion de « dommages corporels », au sens de la deuxième directive.

24

Dès lors, cette juridiction se demande si cette interprétation du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), qui aurait pour conséquence de restreindre, en pratique, le cercle des bénéficiaires d’une indemnisation du préjudice immatériel résultant du décès d’un proche à la suite d’un accident de la circulation, n’est pas incompatible avec le droit de l’Union dans la mesure où elle semble limiter l’effet utile de la deuxième directive.

25

Sachant que le juge national est tenu d’interpréter le droit national d’une manière conforme au droit de l’Union, cette juridiction se demande, en outre, si, dans le cadre de l’application éventuelle de ce principe au litige dont elle est saisie, elle peut, en sa qualité de juridiction bulgare, interpréter le droit d’un autre État membre, à savoir le droit allemand.

26

Dans ces conditions, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 1er, paragraphe 1, de la [deuxième directive] s’oppose-t-il à une interprétation de la notion de “dommages corporels” incluant des douleurs et des souffrances psychologiques d’un enfant résultant du décès de son parent à la suite d’un accident de la circulation uniquement si ces douleurs et souffrances ont entraîné un dommage pathologique pour l’enfant ?

2)

Le principe selon lequel le juge national est tenu d’interpréter le droit national d’une manière conforme au droit de l’Union s’applique-t-il lorsque la juridiction nationale applique non pas son droit national, mais le droit national d’un autre État membre de l’Union européenne ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

27

Il convient de relever, à titre liminaire, que, dans sa première question, la juridiction de renvoi se réfère à l’article 1er, paragraphe 1, de la deuxième directive.

28

À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. En outre, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 24].

29

En l’occurrence, la directive 2009/103 ayant codifié et abrogé, avec effet au 27 octobre 2009, les directives antérieures concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, dont la deuxième directive, et l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci correspondant, conformément au tableau figurant à l’annexe II de la directive 2009/103, à l’article 3, quatrième alinéa, de cette dernière directive, il convient de fournir à la juridiction de renvoi, eu égard à la date de l’accident à l’origine du litige au principal, une interprétation non pas de l’article 1er, paragraphe 1, de la deuxième directive, mais de l’article 3, quatrième alinéa, de la directive 2009/103. En outre, dès lors que la directive 2009/103 n’a pas apporté de modifications substantielles à ces directives antérieures, la jurisprudence relative à celles-ci est transposable à l’interprétation des dispositions équivalentes de la directive 2009/103 (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 23).

30

Par conséquent, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 3, quatrième alinéa, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’indemnisation, par l’assureur de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation à la condition que ce préjudice ait entraîné un dommage pathologique chez de tels membres de la famille proche.

31

Conformément à l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103, chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5 de cette directive, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. L’article 3, deuxième alinéa, de ladite directive dispose que les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa de cet article 3. L’article 3, dernier alinéa, de la même directive précise que l’assurance visée au premier alinéa de celui-ci couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels. Quant à l’article 5 de la directive 2009/103, il prévoit notamment, à son paragraphe 1, que, dans les conditions que cette disposition énonce, chaque État membre peut déroger aux dispositions dudit article 3 en ce qui concerne certaines personnes physiques ou morales.

32

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, l’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103, libellé en des termes très généraux, impose aux États membres de mettre en place, dans leur ordre juridique interne, une obligation générale d’assurance des véhicules (arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 25 et jurisprudence citée).

33

Il ressort des considérants de la directive 2009/103 que celle-ci, comme les directives relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs qui l’ont précédée, vise, d’une part, à assurer la libre circulation tant des véhicules automoteurs stationnant habituellement sur le territoire de l’Union que des personnes qui sont à leur bord et, d’autre part, à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules automoteurs bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit l’endroit sur le territoire de l’Union où l’accident s’est produit (arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 34 et jurisprudence citée).

34

La directive 2009/103 impose donc aux États membres de garantir que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs ayant leur stationnement habituel sur leur territoire soit couverte par une assurance et précise, notamment, les types de dommages et les tiers victimes que cette assurance doit couvrir (arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 35 et jurisprudence citée).

35

L’obligation de couverture par l’assurance de la responsabilité civile des dommages causés aux tiers du fait de véhicules automoteurs est toutefois distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces dommages au titre de la responsabilité civile de l’assuré. En effet, alors que la première est définie et garantie par la réglementation de l’Union, la seconde est régie, essentiellement, par le droit national (arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 36 et jurisprudence citée).

36

Il ressort en effet de l’objet de la directive 2009/103 et de son libellé que celle-ci, à l’instar des directives qu’elle codifie, ne vise pas à harmoniser les régimes de responsabilité civile des États membres et que, en l’état actuel du droit de l’Union, ces derniers restent libres de déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs (arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 37 et jurisprudence citée).

37

Par conséquent, et eu égard notamment à l’article 1er, point 2, de la directive 2009/103, en l’état actuel du droit de l’Union, les États membres restent, en principe, libres de déterminer, en particulier, quels sont les dommages causés par des véhicules automoteurs qui doivent obligatoirement faire l’objet d’une indemnisation, l’étendue du droit à indemnisation et les personnes qui doivent y avoir droit (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 38 et jurisprudence citée). Ainsi, cette directive ne s’oppose, en principe, pas à une réglementation nationale qui fixe des critères contraignants pour la détermination des préjudices immatériels susceptibles de faire l’objet d’une indemnisation (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2014, Petillo, C‑371/12, EU:C:2014:26, point 43).

38

Cette liberté est toutefois restreinte par ladite directive en ce que celle‑ci, premièrement, rend obligatoire la couverture de certains dommages à concurrence de montants minimaux déterminés par celle‑ci. Figurent notamment parmi ces dommages dont la couverture est obligatoire les « dommages corporels », ainsi que le précise l’article 3, dernier alinéa, de la directive 2009/103 (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2014, Petillo, C‑371/12, EU:C:2014:26, point 33 et jurisprudence citée).

39

Relève de la notion de « dommages corporels » tout préjudice, dans la mesure où son indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile de l’assuré par le droit national applicable au litige, résultant d’une atteinte à l’intégrité de la personne, ce qui comprend les souffrances tant physiques que psychologiques (arrêt du 23 janvier 2014, Petillo, C‑371/12, EU:C:2014:26, point 34 et jurisprudence citée).

40

Par conséquent, au nombre des dommages qui doivent être réparés conformément à la directive 2009/103 figurent les préjudices immatériels dont l’indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile de l’assuré par le droit national applicable au litige (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2014, Petillo, C‑371/12, EU:C:2014:26, point 35 et jurisprudence citée).

41

Deuxièmement, s’agissant des personnes qui peuvent prétendre à la réparation de ces préjudices immatériels en vertu de la directive 2009/103, il convient de relever qu’il résulte d’une lecture combinée de l’article 1er, point 2, et de l’article 3, premier alinéa, de cette directive que la protection qui doit être assurée en vertu de celle-ci s’étend à toute personne ayant droit, en vertu du droit national de la responsabilité civile, à la réparation du dommage causé par des véhicules automoteurs. Aucun élément de ladite directive ne permet de conclure que le législateur de l’Union aurait souhaité restreindre la protection assurée par celle-ci aux seules personnes directement impliquées dans un évènement dommageable (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2013, Drozdovs, C‑277/12, EU:C:2013:685, points 42 et 45).

42

Par conséquent, les États membres sont tenus de garantir que l’indemnisation due, selon leur droit de la responsabilité civile, à raison du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation soit couverte par l’assurance obligatoire à concurrence des montants minimaux déterminés par la directive 2009/103 (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2013, Drozdovs, C‑277/12, EU:C:2013:685, point 46).

43

Il résulte des motifs exposés aux points 39 à 43 du présent arrêt que les États membres doivent garantir, dans l’ordre juridique interne, que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs applicable selon leur droit national est couverte par une assurance conforme aux exigences des dispositions de la directive 2009/103 rappelées à ces points et doivent exercer leurs compétences dans ce domaine dans le respect du droit de l’Union. En outre, les dispositions nationales qui régissent l’indemnisation des sinistres résultant de la circulation des véhicules ne peuvent priver cette directive de son effet utile (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, points 39 et 40 ainsi que jurisprudence citée).

44

À cet égard, la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que les dispositions du droit de l’Union relatives à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs devaient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent aux réglementations nationales qui portent atteinte à l’effet utile de ces dispositions en excluant d’office ou en limitant de manière disproportionnée le droit de la victime d’obtenir une indemnisation au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, en ce qu’elles compromettaient ainsi la réalisation de l’objectif de protection des victimes d’accidents de la circulation, constamment poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, Van Ameyde España, C‑923/19, EU:C:2021:475, point 44 et jurisprudence citée).

45

En l’occurrence, il convient de constater, en premier lieu, que la réglementation allemande en cause au principal, telle qu’interprétée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), relève du droit national matériel de la responsabilité civile auquel renvoie la directive 2009/103. En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que cette réglementation, telle qu’ainsi interprétée, régit également la réparation du préjudice immatériel subi par des tiers, y compris des douleurs et des souffrances subies par un enfant résultant du décès d’un parent, à cause d’un accident de la circulation, et définit le dommage ouvrant droit à l’indemnisation d’un tel préjudice au titre de l’assurance de la responsabilité civile, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est survenu.

46

En second lieu, ainsi que le souligne le gouvernement allemand dans ses observations, en vertu du droit allemand, la réparation du préjudice immatériel subi par des victimes indirectes d’un accident de la circulation est essentiellement subordonnée à trois conditions, à savoir qu’une telle victime ait subi une atteinte à sa propre santé, qu’elle soit un membre de la famille proche de la victime directe et qu’il existe une relation causale entre la faute commise par le responsable de l’accident et cette atteinte. En outre, le gouvernement allemand met en exergue, en ce qui concerne la première de ces conditions, que, selon le droit allemand, tel qu’interprété par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), les atteintes de nature psychique peuvent uniquement être considérées comme des atteintes à la santé si elles relèvent d’une pathologie et vont au-delà des atteintes à la santé auxquelles les personnes concernées sont généralement exposées en cas de décès ou de blessure grave d’un membre de la famille proche.

47

Ainsi, la réglementation nationale en cause au principal prévoit, en particulier, un critère objectif permettant d’identifier, le cas échéant lors d’un contrôle effectué au cas par cas par une juridiction nationale saisie, le préjudice immatériel susceptible de faire l’objet d’une indemnisation d’un membre de la famille proche de la victime directe d’un accident de la circulation.

48

En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour, rappelée aux points 36 et 37 du présent arrêt, que la directive 2009/103 n’impose pas aux États membres le choix d’un régime de responsabilité civile en particulier pour déterminer l’étendue du droit de la victime à une indemnisation au titre de la responsabilité civile de l’assuré, de telle sorte que cette directive ne s’oppose, en principe, pas à une réglementation nationale qui fixe des critères contraignants pour la détermination des préjudices immatériels susceptibles d’être indemnisés.

49

Dans ces conditions, en l’occurrence, il n’apparaît pas que les conditions établies par le législateur allemand, telles qu’interprétées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), pour qu’un préjudice immatériel subi par des membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation ouvre un droit à indemnisation, soient de nature à compromettre la réalisation de l’objectif de protection des victimes d’accidents de la circulation visé par la directive 2009/103.

50

En effet, le dossier soumis à la Cour ne comporte aucun élément de nature de révéler qu’un régime de responsabilité civile tel que celui en cause au principal exclurait d’office ou limiterait de manière disproportionnée le droit d’un membre de la famille proche de la victime directe d’un accident de la circulation d’obtenir une indemnisation du préjudice immatériel au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs.

51

Il résulte de l’ensemble des motifs qui précèdent que l’article 3, quatrième alinéa, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne l’indemnisation, par l’assureur de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation à la condition que ce préjudice ait entraîné un dommage pathologique chez de tels membres de la famille proche.

Sur la seconde question

52

Eu égard à la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

53

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 3, quatrième alinéa, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne l’indemnisation, par l’assureur de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation à la condition que ce préjudice ait entraîné un dommage pathologique chez de tels membres de la famille proche.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.

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