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Document 62020CJ0056

Arrêt de la Cour (première chambre) du 29 avril 2021.
AR contre Stadt Pforzheim.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg.
Renvoi préjudiciel – Transports – Permis de conduire – Reconnaissance mutuelle – Retrait du permis sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre de délivrance – Apposition d’une mention sur le permis de conduire indiquant son absence de validité sur le territoire de cet État membre.
Affaire C-56/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:333

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

29 avril 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transports – Permis de conduire – Reconnaissance mutuelle – Retrait du permis sur le territoire d’un État membre autre que l’État membre de délivrance – Apposition d’une mention sur le permis de conduire indiquant son absence de validité sur le territoire de cet État membre »

Dans l’affaire C‑56/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (tribunal administratif supérieur de Bade-Wurtemberg, Allemagne), par décision du 30 janvier 2020, parvenue à la Cour le 4 février 2020, dans la procédure

AR

contre

Stadt Pforzheim,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader, MM. M. Safjan et N. Jääskinen (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour AR, par Me B. Ehrle, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch ainsi que par Mmes J. Schmoll et M. Winkler-Unger, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. R. Pethke et Mme N. Yerrell, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire (JO 2006, L 403, p. 18), telle que modifiée par la directive 2011/94/UE de la Commission, du 28 novembre 2011 (JO 2011, L 314, p. 31) (ci-après la « directive 2006/126 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AR, ressortissant autrichien titulaire d’un permis de conduire délivré en Autriche, à la Stadt Pforzheim (ville de Pforzheim, Allemagne), au sujet de l’apposition par les autorités compétentes allemandes, sur son permis de conduire autrichien, d’une mention portant interdiction de conduire sur le territoire allemand.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 4 de la directive 2006/126 énonce :

« Afin d’éviter que le modèle unique de permis de conduire européen ne vienne s’ajouter aux 110 modèles déjà en circulation, les États membres devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour délivrer ce modèle unique à tous les détenteurs de permis. »

4

Le considérant 16 de cette directive est ainsi libellé :

« Le modèle de permis de conduire tel que défini par la directive 91/439/CEE [du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire (JO 1991, L 237, p. 1),] devrait être remplacé par un modèle unique ayant la forme d’une carte plastique. [...] »

5

L’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« Les États membres établissent le permis de conduire national d’après le modèle communautaire figurant à l’annexe I, conformément aux dispositions de la présente directive. Le signe distinctif de l’État membre délivrant le permis figure dans l’emblème dessiné à la page 1 du modèle communautaire de permis de conduire. »

6

Aux termes de l’article 2 de la directive 2006/126 :

« 1.   Les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus.

2.   Lorsque le titulaire d’un permis de conduire national valable mais dépourvu de la durée de validité administrative exposée à l’article 7, paragraphe 2, a transféré sa résidence normale dans un État membre autre que celui qui a délivré le permis, l’État membre d’accueil peut appliquer audit permis les durées de validité administrative figurant audit article en renouvelant le permis, après l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date à laquelle le titulaire a transféré sa résidence normale sur le territoire de cet État. »

7

L’article 7 de cette directive prévoit :

« 1.   Le permis de conduire est uniquement délivré aux demandeurs qui :

a)

ont réussi une épreuve de contrôle des aptitudes et des comportements et une épreuve de contrôle des connaissances et qui répondent à des normes médicales, conformément aux dispositions des annexes II et III ;

[...]

e)

ont leur résidence normale sur le territoire de l’État membre délivrant le permis de conduire ou peuvent prouver qu’ils y font des études depuis 6 mois au moins.

[...]

3.   Le renouvellement du permis de conduire au moment où sa validité administrative vient à échéance est subordonné aux conditions suivantes :

a)

la continuation du respect des normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite telles qu’exposées à l’annexe III pour les permis de conduire des catégories C, CE, C1, C1 E, D, DE, D 1 et D 1E ; et

b)

la résidence normale sur le territoire de l’État membre délivrant le permis de conduire ou l’administration de la preuve que le demandeur y fait des études depuis 6 mois au moins.

[...] »

8

L’article 11 de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.   Dans le cas où le titulaire d’un permis de conduire national valable délivré par un État membre a établi sa résidence normale dans un autre État membre, il peut demander l’échange de son permis de conduire contre un permis équivalent. Il appartient à l’État membre qui procède à l’échange de vérifier pour quelle catégorie le permis présenté est effectivement encore valable.

2.   Sous réserve du respect du principe de territorialité des lois pénales et de police, l’État membre où est située la résidence normale peut appliquer au titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre ses dispositions nationales concernant la restriction, la suspension, le retrait ou l’annulation du droit de conduire et, si nécessaire, procéder à ces fins à l’échange de ce permis.

[...]

4.   Un État membre refuse de délivrer un permis de conduire à un demandeur dont le permis de conduire fait l’objet d’une restriction, d’une suspension ou d’un retrait dans un autre État membre.

Un État membre refuse de reconnaître, à une personne dont le permis de conduire fait l’objet, sur son territoire, d’une restriction, d’une suspension ou d’un retrait, la validité de tout permis de conduire délivré par un autre État membre.

Un État membre peut également refuser de délivrer un permis de conduire à un demandeur dont le permis a fait l’objet d’une annulation dans un autre État membre.

5.   Le remplacement d’un permis de conduire faisant suite notamment à une perte ou à un vol peut seulement être obtenu auprès des autorités compétentes de l’État membre où le titulaire a sa résidence normale ; celles-ci procèdent au remplacement sur la base des renseignements qu’elles détiennent ou, s’il y a lieu, d’une attestation des autorités compétentes de l’État membre ayant délivré le permis initial.

[...] »

9

L’article 12, premier alinéa, de la directive 2006/126 prévoit :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par “résidence normale” le lieu où une personne demeure habituellement, c’est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d’attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d’une personne sans attaches professionnelles, en raison d’attaches personnelles révélant des liens étroits entre elle-même et l’endroit où elle demeure. »

10

L’article 15 de cette directive dispose :

« Les États membres s’assistent mutuellement dans la mise en œuvre de la présente directive et échangent des informations sur les permis qu’ils ont délivrés, échangés, remplacés, renouvelés ou retirés. Ils utilisent le réseau des permis de conduire de l’Union européenne établi à cet effet, lorsque ce réseau sera opérationnel. »

11

L’annexe I de ladite directive, intitulée « Dispositions relatives au modèle de permis de conduire de l’Union européenne », prévoit, à son point 3 :

« Le permis est composé de deux faces.

La page 1 contient :

a)

la mention “permis de conduire” imprimée en gros caractères dans la ou les langues de l’État membre délivrant le permis ;

b)

la mention du nom de l’État membre délivrant le permis, laquelle est facultative ;

c)

le signe distinctif de l’État membre délivrant le permis, imprimé en négatif dans un rectangle bleu et entouré de douze étoiles jaunes ; les signes distinctifs sont les suivants :

[...]

La page 2 contient :

a)

[...]

13.

un espace réservé pour l’inscription éventuelle par l’État membre d’accueil, dans le cadre de l’application du point 4 a) de la présente annexe, des mentions indispensables à la gestion du permis ;

14.

un espace réservé pour l’inscription éventuelle par l’État membre qui délivre le permis des mentions indispensables à sa gestion ou relatives à la sécurité routière (mention facultative). Au cas où la mention relèverait d’une rubrique définie dans la présente annexe, cette mention devra être précédée du numéro de la rubrique correspondante.

Avec l’accord écrit spécifique du titulaire, des mentions non liées à la gestion du permis de conduire ou à la sécurité routière peuvent également figurer dans cet espace ; l’ajout de telles mentions n’affecte en rien l’utilisation du modèle en tant que permis de conduire ;

[...] »

12

Le point 4, sous a), de ladite annexe dispose :

« Lorsque le titulaire d’un permis de conduire délivré par un État membre conformément à la présente annexe a pris sa résidence normale dans un autre État membre, ce dernier peut inscrire sur le permis les mentions indispensables à sa gestion, sous réserve qu’il inscrive ce type de mentions également sur les permis qu’il délivre et qu’il dispose, à cet effet, de l’emplacement nécessaire ».

Le droit allemand

13

L’article 3 du Straßenverkehrsgesetz (loi sur la circulation routière, ci‑après le « StVG ») dispose :

« (1)   Lorsqu’une personne s’avère ne pas avoir l’aptitude ou la capacité de conduire des véhicules à moteur, l’autorité chargée de délivrer les permis de conduire est tenue de lui retirer son permis de conduire. Dans le cas d’un permis de conduire étranger, le retrait – même lorsqu’il intervient en vertu d’autres dispositions – a l’effet d’un refus de reconnaissance du droit de faire usage de cette autorisation de conduire sur le territoire national. [...]

(2)   Le retrait met fin à l’autorisation de conduire. Dans le cas d’un permis de conduire étranger, il met fin au droit de conduire des véhicules à moteur sur le territoire national. Après le retrait, le permis de conduire doit être remis à l’autorité chargée de délivrer les permis de conduire ou lui être présenté pour inscription de la décision de retrait. [...] »

14

L’article 46 de la Verordnung über die Zulassung von Personen zum Straßenverkehr – Fahrerlaubnis-Verordnung (règlement relatif à l’accès des personnes à la circulation routière), du 13 décembre 2010 (BGBl. 2010 I, p. 1980), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « FeV »), prévoit :

« 1)   Si le titulaire d’un permis de conduire s’avère inapte à la conduite de véhicules à moteur, l’autorité chargée de délivrer les permis de conduire est tenue de lui retirer son permis. [...]

[…]

5)   En cas de permis de conduire étranger, le retrait a l’effet d’un refus de reconnaissance du droit de faire usage de cette autorisation de conduire sur le territoire national.

6)   Le retrait met fin à l’autorisation de conduire. En cas de permis de conduire étranger, il met fin au droit de conduire des véhicules à moteur sur le territoire national. »

15

L’article 47 de la FeV est libellé comme suit :

« (1)   Après le retrait, les permis de conduire nationaux et internationaux délivrés par une administration allemande doivent être remis sans délai à l’administration ayant adopté la décision ou, en cas de limitations ou de conditions, lui être présentés en vue de l’inscription de celles‑ci. [...]

(2)   Après le retrait ou la constatation du défaut de droit de conduire, ou en cas de limitations ou de conditions, les permis de conduire étrangers et internationaux délivrés à l’étranger doivent être présentés sans délai à l’administration ayant adopté la décision [...] Après le retrait ou la constatation du défaut de droit de conduire, il est indiqué sur le permis de conduire que l’intéressé n’est pas autorisé à faire usage de l’autorisation de conduire sur le territoire national. Cette indication consiste en règle générale à apposer un “D” rouge rayé d’un trait oblique dans un espace réservé du permis de conduire, à savoir, s’agissant d’une carte de permis de conduire de l’Union européenne, dans la rubrique 13, et, pour les permis de conduire internationaux, à remplir le formulaire prévu à cet effet. En cas de restrictions ou de conditions, celles‑ci sont inscrites sur le permis de conduire. L’autorité ayant adopté la décision informe l’autorité ayant délivré le permis de conduire, par l’intermédiaire du Kraftfahrt-Bundesamt (office fédéral pour la circulation des véhicules à moteur, Allemagne), du refus de reconnaissance du droit de conduire ou de la constatation du défaut de droit de conduire en Allemagne. [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

16

AR est un ressortissant autrichien dont la résidence normale, au sens de l’article 12, premier alinéa, de la directive 2006/126, est située en Autriche. Le 29 août 2008, il a obtenu en Autriche un permis de conduire des catégories A et B.

17

Par décision du 10 août 2015, l’autorité compétente en matière de permis de conduire de la ville de Pforzheim a retiré à AR l’autorisation de conduire sur le territoire allemand, au motif qu’il avait conduit, le 26 juin 2014, un véhicule en Allemagne sous l’influence de stupéfiants. Cette autorité lui a également enjoint de présenter sans délai son permis de conduire autrichien afin que l’invalidité de ce permis pour la République fédérale d’Allemagne soit indiquée sur ce document par l’apposition d’un « D » rouge rayé d’un trait oblique. Par la même décision, elle a ordonné l’exécution immédiate de ces mesures, sous peine, en cas de non-respect de l’obligation de présentation de son permis de conduire au plus tard le 28 août 2015, de rétention temporaire de ce dernier, précisant qu’il lui serait restitué après l’apposition de la mention invalidant celui-ci pour le territoire allemand.

18

AR a introduit une réclamation contre cette décision, puis un recours contentieux qui ont tous deux été rejetés. Il a ensuite interjeté appel du jugement de première instance devant le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (tribunal administratif supérieur de Bade-Wurtemberg, Allemagne), par lequel il conteste la décision du 10 août 2015 en tant, d’une part, qu’elle lui impose de présenter son permis de conduire afin qu’il y soit apposé une mention invalidant celui-ci pour le territoire allemand et, d’autre part, qu’elle sanctionne le non-respect de cette obligation de présentation par la rétention temporaire de ce permis. Ladite décision est donc devenue définitive en ce qu’elle porte sur le refus de reconnaissance, sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne, de la validité de l’autorisation de conduire fondée sur le permis de conduire autrichien.

19

À l’appui de son recours, AR fait valoir, en substance, que, conformément à la directive 2006/126, la délivrance et toute modification subséquente du permis de conduire relèvent de la compétence exclusive de l’État membre de résidence normale, au sens de l’article 12, premier alinéa, de cette directive, du titulaire de ce permis. Aucune compétence ne serait attribuée à ce titre à l’État membre de séjour temporaire du titulaire, cet État membre ne pouvant notamment pas apposer de mentions sur le permis de conduire, telles qu’une mention portant interdiction de conduire. AR estime en effet qu’une telle compétence serait contraire au principe de reconnaissance mutuelle des permis de conduire et à l’objectif de ladite directive, consistant à créer un modèle de permis de conduire unique dans l’Union européenne.

20

Il considère, en outre, qu’il ressort également du libellé et du contexte des dispositions de l’annexe I, points 3 et 4, sous a), de la directive 2006/126 que seul l’État membre de délivrance du permis de conduire peut inscrire des mentions sur le permis de conduire. De même, les dispositions détaillées relatives aux mesures de protection contre la falsification du permis de conduire ayant la forme d’une carte plastique, prévues notamment à l’article 3 et à l’annexe I, points 1 et 2, de cette directive, excluraient, compte tenu de leur sens et de leur finalité, que les données de la carte plastique protégée contre la falsification puissent être modifiées, par l’inscription d’autres données de façon durable ou sous forme d’autocollant (pouvant aisément être retiré), par l’État membre de séjour temporaire. Il conviendrait également de tenir compte du fait que, en vertu de ladite directive, la rubrique 13 du permis de conduire est réservée aux inscriptions effectuées par l’État membre de délivrance du permis et qu’une mention inscrite par cet État membre ne saurait être simplement « recouverte » par une autre.

21

AR soutient également que l’exécution de l’obligation de présenter son permis de conduire afin qu’il y soit apposé une mention invalidant celui-ci pour le territoire allemand porterait atteinte à sa liberté de circulation et pourrait ultérieurement poser en pratique d’importants problèmes de transparence, dans l’hypothèse, par exemple, où, lors d’un contrôle routier dans un autre État membre, les forces de l’ordre n’auraient pas connaissance de la nature d’une inscription figurant sur la carte de permis de conduire de l’Union, ce qui pourrait susciter des confusions. En raison de ces contraintes et de ces inconvénients, une règle expresse aurait été à cet égard nécessaire dans la directive 2006/126.

22

Selon AR, la directive 2006/126 prévoit que seuls l’État membre de délivrance compétent ou l’État membre d’accueil peuvent, au moyen de l’assistance mutuelle prévue à l’article 15 de celle-ci, procéder à une telle inscription sur le permis de conduire et délivrer un nouveau titre de permis de conduire.

23

Il serait par ailleurs aisé pour l’État membre de séjour temporaire de vérifier par voie électronique, en cas de contrôle routier sur son territoire, si l’intéressé est autorisé à conduire un véhicule à moteur sur ce territoire.

24

La ville de Pforzheim estime, quant à elle, en substance, que, en n’attribuant pas de compétence à l’État membre de séjour temporaire pour apposer des mentions sur un permis de conduire délivré par un autre État membre, postérieurement à une décision de refus de reconnaissance de la validité de ce permis sur le territoire du premier État membre, la directive 2006/126 présente une lacune réglementaire qui devrait être comblée en appliquant par analogie à l’État membre de séjour temporaire les dispositions de cette directive relatives à l’État membre de résidence normale.

25

Elle considère que l’interprétation de la Cour dégagée dans l’arrêt du 23 avril 2015, Aykul (C‑260/13, EU:C:2015:257), selon laquelle l’État membre de séjour temporaire du titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre dispose dans certaines circonstances du droit de refuser de reconnaître la validité de ce permis, est transposable à la situation en cause au principal. En application de cette jurisprudence, l’État membre de séjour temporaire devrait également disposer de la faculté de prendre des mesures relatives à la gestion du permis, telles que l’apposition de mentions sur ce dernier. Il s’agirait d’une mesure indispensable, qui revêtirait une importance majeure pour l’exécution effective d’une décision de refus de reconnaissance de la validité du permis de conduire étranger, au sens de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126. Les autorités de contrôle devraient être en mesure de vérifier de manière complète et immédiate, lors d’un contrôle, l’état de l’autorisation de conduire du titulaire du permis.

26

Ainsi, dès lors que la directive 2006/126 permet à l’État membre de résidence du titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre de faire figurer, en cas de décision de refus de reconnaissance de la validité de ce permis, la mention correspondante d’interdiction de conduire sur ledit permis, sous la forme, par exemple, d’un autocollant, cette mesure relative à la gestion des permis devrait également être admise lorsque le titulaire du permis de conduire visé par une telle décision de refus de reconnaissance n’a pas sa résidence dans un État membre dans lequel il a été contrôlé.

27

En outre, ladite directive prévoyant la possibilité pour l’État membre d’accueil, en vertu de l’annexe I, point 3, troisième phrase, sous a), rubrique 13, et point 4, sous a), de la directive 2006/126, de modifier le permis de conduire délivré par un autre État membre, une telle modification, notamment par l’apposition d’un autocollant, ne serait pas contraire aux dispositions relatives à la protection contre la falsification.

28

La ville de Pforzheim relève enfin que AR étant lui-même à l’origine, par son comportement, de l’inscription de la mention le privant du droit de conduire en Allemagne, il conviendrait de rejeter son allégation tirée d’un effet stigmatisant de cette mention au regard du but poursuivi par celle-ci consistant à préserver la sécurité routière.

29

La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la question de savoir si un État membre qui a adopté, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 avril 2015, Aykul (C‑260/13, EU:C:2015:257), une décision de refus de reconnaissance de la validité d’un permis de conduire délivré dans un autre État membre, en vertu de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126, en raison du comportement infractionnel du titulaire de ce permis, survenu sur son territoire postérieurement à la délivrance dudit permis, est également autorisé à faire figurer sur ce même permis une mention portant interdiction de conduire sur son territoire, lorsque ledit titulaire n’y a pas établi sa résidence normale, au sens de l’article 12 de cette directive.

30

Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (tribunal administratif supérieur de Bade-Wurtemberg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union, en particulier la directive [2006/126], s’oppose‑t‑il à des dispositions du droit national qui prévoient que, lorsqu’une décision de refus de reconnaissance, au sens de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126, a été adoptée, la carte de permis de conduire de l’Union délivrée à l’étranger à une personne qui n’a pas sa résidence normale sur le territoire national doit être présentée sans délai à l’autorité nationale ayant adopté ladite décision afin que celle‑ci mentionne sur le permis de l’intéressé qu’il n’est pas autorisé à conduire sur le territoire national, la mention (de l’interdiction de conduire) consistant en règle générale, pour une carte de permis de conduire de l’Union, en l’apposition d’un “D” rouge rayé d’un trait oblique dans la rubrique 13 (par exemple sous la forme d’un autocollant) ? »

Sur la question préjudicielle

31

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2006/126 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre ayant adopté, en vertu de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, une décision refusant de reconnaître la validité d’un permis de conduire délivré par un autre État membre en raison d’un comportement infractionnel de son titulaire, survenu lors d’un séjour temporaire sur le territoire du premier État membre postérieurement à la délivrance de ce permis, appose également sur ledit permis une mention portant interdiction, pour ce titulaire, de conduire sur ledit territoire, alors que ledit titulaire n’a pas établi sa résidence normale, au sens de l’article 12, premier alinéa, de ladite directive, sur le territoire de celui-ci.

32

À cet égard, il convient de rappeler que, au point 71 de l’arrêt du 23 avril 2015, Aykul (C‑260/13, EU:C:2015:257), la Cour a considéré que l’article 2, paragraphe 1, et l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126 devaient être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, sur le territoire duquel le titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre séjourne de manière temporaire, refuse de reconnaître la validité de ce permis de conduire en raison d’un comportement infractionnel de son titulaire survenu sur ce territoire postérieurement à la délivrance dudit permis de conduire et qui, conformément à la loi nationale du premier État membre, est de nature à entraîner l’inaptitude à la conduite de véhicules à moteur.

33

Il ressort en outre des points 59 et 60 de cet arrêt que l’État membre de résidence normale est habilité, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2006/126, lequel correspond à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/439, qui a été remplacée par la directive 2006/126, à prendre des mesures de restriction, de suspension, de retrait ou d’annulation d’un permis de conduire délivré par un autre État membre, lesquelles déploient leurs effets dans tous les États membres. En revanche, l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126 permet uniquement à l’État membre qui n’est pas l’État membre de résidence normale de prendre, en vertu de sa législation nationale et en raison du comportement infractionnel, sur son territoire, du titulaire d’un permis de conduire obtenu précédemment dans un autre État membre, des mesures dont la portée est restreinte à ce territoire et dont l’effet est limité au refus de reconnaître, sur celui-ci, la validité de ce permis.

34

Par conséquent, la directive 2006/126 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre de séjour temporaire, tel que la République fédérale d’Allemagne dans l’affaire au principal, refuse, sur le fondement d’une réglementation nationale telle que celle prévue à l’article 3, paragraphe 1, du StVG et à l’article 46, paragraphe 6, de la FeV, de reconnaître le droit de faire usage du permis de conduire délivré à une personne par un autre État membre en mettant fin au droit de cette personne de conduire des véhicules à moteur sur le territoire national. Toutefois, l’État membre de séjour temporaire ne saurait pour autant apposer sur un tel permis de conduire, dont le modèle, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2006/126, lu à la lumière du considérant 16 de celle-ci, est harmonisé, sous la forme d’une carte plastique, par ladite directive 2006/126, une mention, telle que celle visée à l’article 47, paragraphe 2, de la FeV, portant interdiction de conduire sur son territoire.

35

En effet, il y a lieu de constater que la directive 2006/126 contient des règles détaillées en ce qui concerne la compétence des États membres pour la délivrance d’un permis de conduire, pour les modifications affectant celui-ci et pour les inscriptions qui peuvent y être effectuées.

36

Or, il ressort de ces règles que tant la délivrance et les modifications subséquentes d’un permis de conduire que les inscriptions figurant sur celui-ci relèvent de la compétence exclusive de l’État membre de résidence normale du titulaire de ce permis.

37

Ainsi, l’article 2, paragraphe 2, l’article 7, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 3, sous b), l’article 11, paragraphes 1, 2 et 5, de la directive 2006/126 de même que l’annexe I de celle-ci, à son point 3, troisième phrase, sous a), rubriques 13 et 14, ainsi qu’à son point 4, sous a), réglementent de manière détaillée les situations dans lesquelles cet État membre est compétent pour délivrer, remplacer, renouveler ou échanger un permis de conduire ou pour effectuer des inscriptions sur celui-ci.

38

Si l’État membre de résidence normale est, en règle générale, celui dans lequel le permis de conduire a été délivré, l’État membre dans lequel le titulaire d’un permis de conduire a transféré sa résidence normale postérieurement à la délivrance de son permis dans un État membre peut également devenir, ainsi qu’il ressort notamment de l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2006/126, l’État membre de résidence normale, au sens de cette directive. L’annexe I, point 4, sous a), de cette directive permet ainsi au nouvel État membre de résidence normale d’inscrire sur le permis les mentions indispensables à sa gestion, sous réserve qu’il inscrive ce type de mentions également sur les permis qu’il délivre et qu’il dispose, à cet effet, de l’emplacement nécessaire.

39

En revanche, aucune disposition de la directive 2006/126 ne confère à l’État membre dans lequel le titulaire d’un permis de conduire séjourne de manière temporaire une quelconque compétence pour effectuer des inscriptions sur le permis de conduire, telles que celle visée, notamment, à l’article 47 de la FeV.

40

Or, ainsi que l’a souligné la Commission européenne dans ses observations écrites, aucun élément n’indique que l’absence de dispositions en ce sens dans la directive 2006/126 constitue une lacune normative non intentionnelle du législateur de l’Union qu’il conviendrait de combler en appliquant par analogie les dispositions de cette directive relatives aux compétences de l’État membre de résidence normale.

41

Au contraire, au regard des dispositions détaillées de la directive 2006/126, il apparaît que les modifications formelles du permis de conduire ne peuvent être effectuées que par l’État membre de résidence normale du titulaire de ce permis de manière à ce que soit assurée l’apparence uniforme de ce document garantie par la directive 2006/126, ainsi que cela ressort des considérants 4 et 16 de celle-ci.

42

Il convient également de rappeler, à cet égard, que la Cour a dit pour droit que, si la directive 2006/126 n’édicte qu’une harmonisation minimale des dispositions nationales relatives aux conditions auxquelles un permis de conduire peut être délivré, cette directive opère, en revanche, une harmonisation exhaustive des documents prouvant l’existence d’un droit de conduire qui doivent être reconnus par les États membres conformément à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci (arrêt du 26 octobre 2017, I, C‑195/16, EU:C:2017:815, point 57 et jurisprudence citée).

43

Il s’ensuit que ces documents ne peuvent être modifiés que conformément aux dispositions prévues à cette fin par la directive 2006/126.

44

Par ailleurs, il importe de constater que, en vertu de l’article 15 de la directive 2006/126, les États membres s’assistent mutuellement dans la mise en œuvre de cette directive et échangent des informations sur les permis qu’ils ont délivrés, échangés, remplacés, renouvelés ou retirés, en utilisant le réseau des permis de conduire de l’Union établi à cet effet, lorsque ce réseau sera opérationnel.

45

Or, l’assistance mutuelle prévue par cette disposition permet de garantir l’exécution effective d’une décision par laquelle l’État membre de séjour temporaire, en vertu de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la directive 2006/126, refuse au titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre le droit de conduire sur son territoire.

46

En effet, dans une telle hypothèse, l’État membre de résidence normale, peut, à la demande de l’État membre de séjour temporaire et en conformité avec l’annexe I, point 3, troisième phrase, sous a), rubriques 13 et 14, ainsi que point 4, sous a), de cette directive, consigner sur le permis de conduire d’éventuelles mentions d’interdiction de conduite sur le territoire de ce dernier État membre.

47

Il n’apparaît en outre pas exclu, pour l’État membre de séjour temporaire, de vérifier, notamment par voie électronique, en cas de contrôle routier sur son territoire, si l’intéressé a fait l’objet d’une mesure le privant de son droit de conduire sur ce territoire en vertu de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive.

48

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 2006/126 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre ayant adopté, en vertu de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, une décision refusant de reconnaître la validité d’un permis de conduire délivré par un autre État membre en raison d’un comportement infractionnel de son titulaire, survenu lors d’un séjour temporaire sur le territoire du premier État membre postérieurement à la délivrance de ce permis, appose également sur ledit permis une mention portant interdiction, pour ce titulaire, de conduire sur ledit territoire, alors que ledit titulaire n’a pas établi sa résidence normale, au sens de l’article 12, premier alinéa, de ladite directive, sur le territoire de celui-ci.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

La directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire, telle que modifiée par la directive 2011/94/UE de la Commission, du 28 novembre 2011, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre ayant adopté, en vertu de l’article 11, paragraphe 4, deuxième alinéa, de cette directive, telle que modifiée par la directive 2011/94, une décision refusant de reconnaître la validité d’un permis de conduire délivré par un autre État membre en raison d’un comportement infractionnel de son titulaire, survenu lors d’un séjour temporaire sur le territoire du premier État membre postérieurement à la délivrance de ce permis, appose également sur ledit permis une mention portant interdiction, pour ce titulaire, de conduire sur ledit territoire, alors que ledit titulaire n’a pas établi sa résidence normale, au sens de l’article 12, premier alinéa, de la directive 2006/126, telle que modifiée par la directive 2011/94, sur le territoire de celui-ci.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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