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Document 62016CJ0124

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 22 mars 2017.
Procédures pénales contre Ianos Tranca e.a.
Demandes de décision préjudicielle, introduites par l'Amtsgericht München et par le Landgericht München I.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2012/13/UE – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Signification d’une ordonnance pénale – Modalités – Désignation obligatoire d’un mandataire – Personne mise en cause non résidente et sans domicile fixe – Délai d’opposition courant à partir de la signification au mandataire.
Affaires jointes C-124/16, C-188/16 et C-213/16.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:228

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

22 mars 2017 ( 1 )

«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière pénale — Directive 2012/13/UE — Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales — Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi — Signification d’une ordonnance pénale — Modalités — Désignation obligatoire d’un mandataire — Personne mise en cause non résidente et sans domicile fixe — Délai d’opposition courant à partir de la signification au mandataire»

Dans les affaires jointes C‑124/16, C‑188/16 et C‑213/16,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich, Allemagne), par décisions du 19 février 2016 (C‑124/16) et du 12 avril 2016 (C‑213/16), parvenues à la Cour, respectivement, le 29 février et le 18 avril 2016, et par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), par décision du 23 mars 2016 (C‑188/16), parvenue à la Cour le 4 avril 2016, dans les procédures pénales contre

Ianos Tranca (C‑124/16),

Tanja Reiter (C‑213/16)

et

Ionel Opria (C‑188/16),

en présence de :

Staatsanwaltschaft München I,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano (rapporteur), vice‑président de la Cour, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le Staatsanwaltschaft München I, par M. H. Kornprobst, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et M. Hellmann, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1).

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales engagées contre MM. Ianos Tranca et Ionel Opria, pour vol, ainsi que contre Mme Tanja Reiter, pour coups et blessures et résistance aux forces de l’ordre.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 délimite le champ d’application de cette dernière dans les termes suivants :

« La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

4

L’article 3, paragraphe 1, de cette directive définit le droit d’être informé de ses droits comme suit :

« Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent ci-après, tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits :

[...]

c)

le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, conformément à l’article 6 ;

[...] »

5

L’article 6 de ladite directive, intitulé « Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

[...]

3.   Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation. »

Le droit allemand

6

L’article 44 de la Strafprozessordnung (code de procédure pénale, ci-après la « StPO ») prévoit :

« Si une personne est empêchée de respecter un délai sans que cela résulte d’une faute de sa part, il y a lieu, sur sa demande, de la relever de forclusion. N’est pas fautive de l’inobservation d’un délai de recours la personne qui n’a pas été informée conformément à l’article 35a, première et deuxième phrases [...] »

7

L’article 116 de la StPO dispose :

« 1)   Le juge suspend l’exécution d’un mandat d’arrêt motivé par le seul risque de fuite lorsqu’il est possible de considérer avec une certitude suffisante que des mesures moins contraignantes permettront aussi d’atteindre le but poursuivi par la détention provisoire. Entrent notamment en considération [...]

[...]

4.

la constitution, par la personne poursuivie ou par une autre, d’une garantie appropriée. »

8

L’article 116a, paragraphe 3, de la StPO est rédigé comme suit :

« La personne poursuivie qui demande la suspension de l’exécution du mandat d’arrêt en contrepartie de la constitution d’une garantie et qui ne réside pas dans le champ d’application territorial de la présente loi est tenue de donner mandat à une personne résidant dans le ressort du tribunal compétent aux fins de recevoir les significations. »

9

L’article 127a de la StPO prévoit :

« 1)   Lorsque la personne poursuivie n’a pas de domicile ou de résidence fixe dans le champ d’application territorial de la présente loi et que les conditions de délivrance d’un mandat d’arrêt ne sont réunies qu’en raison du risque de fuite, il peut être renoncé à ordonner ou à maintenir son arrestation

1.

s’il n’y a pas lieu de s’attendre à ce que l’infraction commise soit sanctionnée d’une peine privative de liberté ou d’une mesure d’amendement et de prévention privative de liberté, et

2.

si la personne poursuivie fournit une garantie appropriée couvrant l’amende attendue et les frais de justice.

2)   L’article 116a, paragraphes 1 et 3, s’applique mutatis mutandis. »

10

L’article 132, paragraphe 1, de la StPO dispose :

« Si la personne mise en cause sur qui pèse une forte suspicion d’avoir commis un acte punissable ne dispose pas d’un domicile fixe ou d’une résidence dans le ressort de la présente loi, mais que les conditions pour qu’un mandat d’arrêt soit délivré ne sont pas remplies, il est possible d’ordonner, aux fins de garantir le déroulement de la procédure pénale, que la personne mise en cause

1.

fournisse une garantie appropriée couvrant l’amende attendue et les frais de justice, et

2.

donne mandat à une personne résidant dans le ressort du tribunal compétent pour recevoir les significations. »

11

L’article 410 de la StPO est rédigé comme suit :

« 1)   La personne mise en cause peut contester l’ordonnance pénale en formant, dans un délai de deux semaines à partir de sa signification, une opposition auprès du tribunal qui a émis l’ordonnance, par écrit, ou sur procès-verbal auprès du greffe. [...]

2)   L’opposition peut être limitée à certains points.

3)   Si une ordonnance pénale n’a pas été contestée dans le délai prescrit, elle acquiert le caractère d’un jugement passé en force de chose jugée. »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Les affaires C‑124/16 et C‑213/16

12

Dans l’affaire C‑124/16, M. Tranca, accusé de vol, est passible d’une amende de 20 à 30 jours-amende. Dans l’affaire C‑213/16, Mme Reiter, accusée de coups et blessures et de résistance aux forces de l’ordre, est passible d’une amende de 50 à 70 jours-amende. Il ressort des décisions de renvoi que tant M. Tranca que Mme Reiter n’ont de domicile ou de résidence fixes ni en Allemagne ni dans leur pays d’origine.

13

Le parquet de Munich a demandé au juge d’instruction compétent de l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich, Allemagne) de délivrer des mandats d’arrêt contre eux, afin de les maintenir en détention provisoire en raison du risque de fuite de ceux-ci.

14

La juridiction de renvoi expose, à cet égard, que, lors de l’examen de cette demande, le juge d’instruction doit, selon le droit allemand, apprécier notamment le caractère proportionnel de la détention et, à ces fins, vérifier si des mesures moins contraignantes que la détention peuvent être envisagées.

15

En effet, dans des cas tels que ceux au principal, les articles 116, 116a et 127a de la StPO prévoient notamment que le juge suspend l’exécution d’un mandat d’arrêt motivé par le seul risque de fuite lorsque la personne poursuivie peut constituer une garantie appropriée couvrant le montant prévisible de l’amende qui pourra lui être infligée.

16

Il ressort également de ces articles qu’une personne poursuivie ne résidant pas sur le territoire allemand, contre laquelle a été émis un tel mandat d’arrêt, est tenue de désigner un mandataire aux fins de recevoir les significations des mesures ou des actes la concernant.

17

Toutefois, dans le cadre de l’examen qui précède l’émission ou l’exécution d’un mandat d’arrêt, le juge d’instruction doit également vérifier si de telles mesures alternatives permettent d’assurer une clôture rapide de la procédure pénale dans les mêmes conditions que si la personne poursuivie avait été placée en détention provisoire.

18

Or, il n’en irait ainsi que s’il était possible de notifier à un prévenu une ordonnance pénale de façon à permettre que celle-ci devienne définitive. En particulier, lorsque le domicile du prévenu est inconnu, cela supposerait que cette ordonnance pénale puisse être signifiée au mandataire de celui-ci et que cette signification fasse courir le délai d’opposition, à l’issue duquel ladite ordonnance pénale acquiert force de chose jugée et devient exécutoire.

19

La juridiction de renvoi doute toutefois que la procédure de l’ordonnance pénale prévue par le droit allemand soit conforme à la directive 2012/13, telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt du 15 octobre 2015, Covaci (C‑216/14, EU:C:2015:686).

20

Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit que l’article 2, l’article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre qui, dans le cadre d’une procédure pénale, impose à la personne poursuivie ne résidant pas dans cet État membre de désigner un mandataire aux fins de recevoir la signification d’une ordonnance pénale la concernant, à condition que cette personne bénéficie effectivement de l’intégralité du délai imparti pour former opposition contre cette ordonnance, à savoir que ce délai ne peut être réduit du temps nécessaire au mandataire pour faire parvenir ladite ordonnance à son destinataire.

21

Or, selon la juridiction de renvoi, cette solution, appliquée aux procédures pendantes devant elle, dans lesquelles le domicile des personnes poursuivies n’est pas connu, aurait comme conséquence d’empêcher que l’ordonnance pénale ne devienne définitive. En effet, celle-ci ne pouvant pas être remise personnellement à son destinataire, le délai d’opposition ne pourrait pas commencer à courir.

22

Ainsi, la question qui se pose, selon cette juridiction, est celle de savoir si le droit allemand est conforme au droit de l’Union tel qu’interpreté par la Cour, dans la mesure où ce droit national est interprété en ce sens que la signification d’une ordonnance pénale au mandataire d’une personne poursuivie qui ne dispose pas d’un domicile connu fait courir le délai d’opposition contre cette ordonnance, mais que, dans l’hypothèse où celle-ci se retrouve alors forclose, elle conserve néanmoins la faculté de demander un relevé de forclusion pour former opposition contre ladite ordonnance.

23

La juridiction de renvoi expose que l’alternative à cette faculté de recourir à un mandataire dans les circonstances où la personne poursuivie ne dispose pas d’un domicile connu, qui consisterait alors à exécuter le mandat d’arrêt émis à l’encontre de celle-ci et à la mettre en détention, afin qu’il soit possible de lui signifier l’ordonnance pénale, semblerait plus contraignante que l’interprétation du droit national proposée. Elle est également d’avis que cette interprétation respecte le principe d’équité de la procédure, dans la mesure où la personne poursuivie connaît le nom et l’adresse du mandataire, qu’elle a été informée du rôle de celui-ci et demeure libre de s’enquérir auprès de ce dernier de l’émission d’une ordonnance pénale prise contre elle.

24

Dans ce contexte, l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich) a décidé de suspendre ses décisions quant à la délivrance des mandats d’arrêt en cause et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, formulées en des termes identiques dans les affaires C‑124/16 et C‑213/16 :

« 1)

L’article 2 ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 s’opposent-ils à une disposition législative d’un État membre :

qui oblige une personne poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale à désigner un mandataire aux fins de la signification d’une ordonnance pénale dont elle est le destinataire, lorsqu’elle n’a pas de domicile dans cet État membre,

même si, à cause de cela, la personne poursuivie ne bénéficie pas de l’intégralité du délai imparti pour former une opposition contre ladite ordonnance,

mais qu’elle n’a pas non plus d’adresse à laquelle ladite ordonnance peut lui être communiquée avec preuve de sa remise, et que la désignation nominale du mandataire avec une adresse lui donne la possibilité de tenir ledit mandataire informé de l’endroit où une ordonnance pénale peut lui être envoyée avec preuve de sa communication ?

2)

L’article 2, paragraphe 1, ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 s’opposent-ils à une disposition législative d’un État membre :

qui oblige une personne poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale à désigner un mandataire aux fins de la signification d’une ordonnance pénale la concernant, lorsqu’elle n’a pas de domicile dans cet État membre,

et qui prévoit que la signification à un mandataire suffit à elle seule pour faire courir le délai d’opposition,

lorsque la personne mise en cause qui se retrouve de ce fait forclose peut demander un relevé de forclusion avec pour seul motif le fait que l’ordonnance pénale lui a été retransmise et qu’elle a formé opposition dans le délai imparti dès la retransmission de ladite ordonnance, en d’autres termes lorsqu’elle peut bénéficier ultérieurement de l’intégralité du délai par une remise en l’état antérieur à son profit,

même si la loi prévoit pour règle l’exécution de l’ordonnance [pénale] en cas de forclusion ? »

L’affaire C‑188/16

25

M. Opria, un ressortissant roumain, est accusé de vol en Allemagne. Il ressort de la décision de renvoi que cette personne ne dispose de domicile ou de résidence fixes ni sur le territoire allemand ni dans son pays d’origine.

26

M. Opria a désigné un mandataire aux fins de recevoir la signification de toute mesure pénale le concernant. Sur demande du ministère public, l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich) a, le 13 octobre 2015, prononcé une ordonnance pénale contre lui et lui a infligé une amende de 300 euros. Cette ordonnance pénale a été signifiée au mandataire désigné, lequel a accusé réception de ces documents le 27 octobre 2015.

27

Aucune déclaration de la personne poursuivie n’étant parvenue à ce tribunal dans le délai d’opposition prévu, le secrétaire-greffier près ledit tribunal a, le 11 novembre 2015, apposé sur ladite ordonnance la mention selon laquelle celle-ci avait acquis force de chose jugée.

28

Se référant à l’arrêt du 15 octobre 2015, Covaci (C‑216/14, EU:C:2015:686), le ministère public, en tant qu’autorité compétente pour l’exécution de la peine, après avoir été débouté de plusieurs autres recours visant à établir la licéité de l’exécution de la peine, a demandé audit secrétaire-greffier de supprimer ladite mention. Cette demande a été rejetée par décision du 2 février 2016. Le ministère public a ensuite formé un recours en ce sens devant l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich) qui, par une ordonnance du 17 février 2016, l’a rejeté comme étant irrecevable. Il a alors, le 22 février 2016, saisi en dernier ressort le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I) d’un « recours immédiat » (sofortige Beschwerde) contre cette ordonnance.

29

La juridiction de renvoi estime que la solution du litige pendant devant elle, relatif à la légalité de l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance pénale en cause, dépend de la question de savoir si le délai d’opposition a commencé à courir à compter de la signification de cette ordonnance pénale au mandataire.

30

Après avoir constaté que, conformément à l’arrêt du 15 octobre 2015, Covaci (C‑216/14, EU:C:2015:686), l’obligation, dans certaines circonstances, pour une personne poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale de désigner un mandataire aux fins de recevoir la signification de l’ordonnance pénale la concernant est admise à la condition que cette personne bénéficie effectivement de l’intégralité du délai imparti pour former opposition contre l’ordonnance pénale, la juridiction de renvoi examine différentes interprétations du droit allemand en cause qui permettraient de satisfaire à cette condition.

31

Selon elle, une première interprétation consisterait à ne faire courir le délai d’opposition qu’à compter du moment où la personne poursuivie a eu effectivement connaissance de l’ordonnance pénale la concernant. Toutefois, cette interprétation serait, en substance, contra legem, le droit allemand applicable disposant clairement que ce délai court à partir de la signification de cette ordonnance au mandataire.

32

Une deuxième interprétation consisterait à considérer d’office comme étant irrecevable toute signification des ordonnances pénales à des mandataires, ce qui entraînerait des atteintes substantielles à l’ordre juridique allemand.

33

En application de la troisième interprétation possible de ce droit, les dispositions nationales relatives au relevé de forclusion pourraient être lues à la lumière de l’article 6 de la directive 2012/13. Ainsi, l’opposition contre l’ordonnance pénale devrait être considérée d’office comme ayant été formée dans les délais lorsqu’elle a été effectuée, par écrit, dans les deux semaines à compter du moment où la personne concernée a effectivement eu connaissance de cette ordonnance.

34

Le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I), doutant toutefois que cette dernière interprétation soit conforme à la directive 2012/13, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, l’article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions législatives d’un État membre en vertu desquelles, dans le cadre d’une procédure pénale contre une personne poursuivie qui n’a pas de domicile ou de résidence fixe dans cet État membre, une ordonnance pénale prise contre elle peut être signifiée à un mandataire désigné par la personne poursuivie aux fins de recevoir la signification des mesures la concernant, ce qui emporte la conséquence que, à l’expiration du délai d’opposition (de deux semaines) qui commence à courir à compter de la signification au mandataire, l’ordonnance pénale acquiert force de chose jugée, y compris lorsque, en vertu des dispositions législatives [dudit] État membre, celles de ces personnes poursuivies, qui, dans les deux semaines à compter de la date à laquelle elles ont effectivement pris connaissance de l’existence de l’ordonnance pénale, font, par écrit, devant la juridiction compétente, opposition contre cette ordonnance pénale, doivent d’office être relevées de forclusion, ce qui emporte la conséquence que, à compter de l’adoption de la décision prononçant ce relevé de forclusion, il convient de continuer la procédure comme si l’opposition avait été formée dans les délais ? »

Sur les questions préjudicielles

35

Par leurs questions, auxquelles il convient de répondre conjointement, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 2, l’article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cadre d’une procédure pénale, prévoit que la personne poursuivie qui ne réside pas dans cet État membre ni ne dispose d’un domicile fixe dans ce dernier ou dans son État membre d’origine est tenue de désigner un mandataire aux fins de recevoir la signification d’une ordonnance pénale la concernant et que le délai pour former opposition contre cette ordonnance, avant que celle-ci ne devienne exécutoire, court à compter de la signification de ladite ordonnance à ce mandataire, la personne concernée pouvant cependant demander le relevé de forclusion si elle n’a pas eu connaissance effective de l’ordonnance pénale en question.

36

Afin de répondre à ces questions, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que, eu égard notamment aux articles 2, 3 et 6 de la directive 2012/13, la signification d’une ordonnance pénale, telle que celle prévue par le droit allemand en cause au principal, doit être considérée comme une forme de communication de l’accusation portée contre la personne concernée, de telle sorte qu’elle doit respecter les exigences posées à cet article 6 (arrêt du 15 octobre 2015, Covaci,C‑216/14, EU:C:2015:686, point 61).

37

Certes, la directive 2012/13 ne règle pas les modalités selon lesquelles l’information sur l’accusation, prévue à son article 6, doit être communiquée à cette personne (arrêt du 15 octobre 2015, CovaciC‑216/14, EU:C:2015:686, point 62).

38

Toutefois, ces modalités ne sauraient porter atteinte à l’objectif visé notamment à cette disposition, consistant, ainsi qu’il ressort également du considérant 27 de cette directive, à permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies pour une infraction pénale de préparer leur défense et à garantir le caractère équitable de la procédure (arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 63).

39

En l’occurrence, il résulte des décisions de renvoi que la législation nationale en cause au principal prévoit que l’ordonnance pénale est signifiée au mandataire de la personne poursuivie et que cette dernière dispose d’un délai de deux semaines pour former opposition contre cette ordonnance, ce délai courant à compter de la signification de celle‑ci à ce mandataire. À l’expiration de ce délai, l’ordonnance acquiert force de chose jugée.

40

À cet égard, la Cour a déjà relevé que tant l’objectif consistant à permettre à la personne poursuivie de préparer sa défense que la nécessité d’éviter toute discrimination entre, d’une part, les personnes poursuivies qui disposent d’une résidence relevant du champ d’application de la loi nationale concernée et, d’autre part, celles dont la résidence ne relève pas de celui‑ci, qui seules sont tenues de désigner un mandataire aux fins de la signification des décisions juridictionnelles, exigent que la personne poursuivie dispose de l’intégralité d’un tel délai d’opposition (arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 65).

41

Dans ce cadre, il est certes vrai que, si le délai de deux semaines en cause au principal commençait à courir à compter du moment où la personne poursuivie a eu effectivement connaissance de l’ordonnance pénale, il serait assuré que cette personne dispose de l’intégralité de ce délai (arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 66).

42

Cependant, l’article 6 de la directive 2012/13 n’impose pas que ledit délai commence à courir à compter du moment où la personne poursuivie a eu effectivement connaissance de l’ordonnance pénale la concernant. Il importe en revanche que la procédure ait un caractère équitable et que l’exercice effectif des droits de la défense soit garanti.

43

Or, la Cour a déjà admis que tel est le cas lorsque, dans l’hypothèse où une réglementation nationale prévoit que le délai d’opposition commence à courir dès la signification de l’ordonnance pénale au mandataire de cette personne, la durée de ce délai n’est pas diminuée du temps qui a été nécessaire au mandataire pour faire parvenir l’ordonnance pénale à son destinataire, de telle sorte que celui-ci bénéficie de l’intégralité dudit délai (voir arrêt du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686, point 67).

44

Il appartient ainsi à l’ordre juridique interne de chaque État membre de déterminer les conséquences juridiques de l’écoulement d’un tel délai, dont, notamment, les conditions dans lesquelles une décision en matière pénale devient définitive et acquiert un caractère exécutoire.

45

Cela étant, il serait manifestement porté atteinte à l’objectif de l’article 6 de la directive 2012/13, rappelé au point 38 du présent arrêt, si le destinataire d’une ordonnance pénale telle que celles en cause au principal, devenue définitive et exécutoire, ne pouvait plus former opposition à celle-ci, alors même qu’il n’avait pas eu connaissance de l’existence et du contenu de cette ordonnance à un moment où il aurait pu exercer ses droits de la défense, dans la mesure où, faute de domicile connu, celle-ci ne lui a pas été personnellement signifiée.

46

En effet, dans une pareille situation, le destinataire d’une telle ordonnance, loin de bénéficier de l’intégralité du délai d’opposition contre celle-ci, en serait totalement privé.

47

Ainsi, les États membres doivent s’assurer que les personnes poursuivies ou les suspects dans le cadre d’une procédure pénale, qui, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, ne reçoivent la communication de l’accusation portée contre eux qu’au moment de la phase de l’exécution de la décision définitive de condamnation, conservent néanmoins la faculté d’exercer pleinement leurs droits de la défense. À ces fins, dès qu’une personne poursuivie a eu effectivement connaissance d’une décision pénale la concernant, elle doit être placée dans la même situation que si ladite décision lui avait été signifiée personnellement et doit, notamment, pouvoir disposer de l’intégralité du délai d’opposition.

48

Or, ainsi que le précisent les juridictions de renvoi, si le droit national prévoit qu’une ordonnance pénale devient définitive à l’expiration du délai d’opposition, qui court à compter de la signification de l’ordonnance au mandataire de la personne mise en cause, il permet également à cette personne de demander un relevé de forclusion et de bénéficier ainsi, de fait, d’un délai de même durée pour former opposition à cette ordonnance, à compter du moment où la personne concernée en a pris connaissance.

49

Il incombe ainsi aux juridictions de renvoi d’interpréter le droit national, et notamment la procédure du relevé de forclusion et les conditions auxquelles est subordonné l’exercice de cette procédure, de manière conforme aux exigences posées à l’article 6 de la directive 2012/13.

50

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions préjudicielles que l’article 2, l’article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cadre d’une procédure pénale, prévoit que la personne poursuivie qui ne réside pas dans cet État membre ni ne dispose d’un domicile fixe dans ce dernier ou dans son État membre d’origine est tenue de désigner un mandataire aux fins de recevoir la signification d’une ordonnance pénale la concernant et que le délai pour former opposition contre cette ordonnance, avant que celle-ci n’acquière un caractère exécutoire, court à compter de la signification de ladite ordonnance à ce mandataire.

51

L’article 6 de la directive 2012/13 exige toutefois que, lors de l’exécution de l’ordonnance pénale, dès que la personne concernée a eu effectivement connaissance de cette ordonnance, elle soit placée dans la même situation que si ladite ordonnance lui avait été signifiée personnellement et, notamment, qu’elle dispose de l’intégralité du délai d’opposition, le cas échéant, en bénéficiant d’un relevé de forclusion.

52

Il incombe à la juridiction de renvoi de veiller à ce que la procédure nationale de relevé de forclusion ainsi que les conditions auxquelles est subordonné l’exercice de cette procédure soient appliquées d’une manière conforme à ces exigences et que cette procédure permette ainsi l’exercice effectif des droits que ledit article 6 prévoit.

Sur les dépens

53

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 2, l’article 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cadre d’une procédure pénale, prévoit que la personne poursuivie qui ne réside pas dans cet État membre ni ne dispose d’un domicile fixe dans ce dernier ou dans son État membre d’origine est tenue de désigner un mandataire aux fins de recevoir la signification d’une ordonnance pénale la concernant et que le délai pour former opposition contre cette ordonnance, avant que celle-ci n’acquière un caractère exécutoire, court à compter de la signification de ladite ordonnance à ce mandataire.

 

L’article 6 de la directive 2012/13 exige toutefois que, lors de l’exécution de l’ordonnance pénale, dès que la personne concernée a eu effectivement connaissance de cette ordonnance, elle soit placée dans la même situation que si ladite ordonnance lui avait été signifiée personnellement et, notamment, qu’elle dispose de l’intégralité du délai d’opposition, le cas échéant, en bénéficiant d’un relevé de forclusion.

 

Il incombe à la juridiction de renvoi de veiller à ce que la procédure nationale de relevé de forclusion ainsi que les conditions auxquelles est subordonné l’exercice de cette procédure soient appliquées d’une manière conforme à ces exigences et que cette procédure permette ainsi l’exercice effectif des droits que ledit article 6 prévoit.

 

Signatures


( 1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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