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Document 62014CO0497

Order of the Court (Ninth Chamber) of 15 April 2015.
Criminal proceedings against Stefano Burzio.
Reference for a preliminary ruling: Tribunale ordinario di Torino - Italy.
Case C-497/14.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:251

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

15 avril 2015 (*)

«Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Législation nationale prévoyant une sanction administrative et une sanction pénale pour défaut de versement de retenues fiscales – Absence de mise en œuvre du droit de l’Union – Incompétence manifeste»

Dans l’affaire C‑497/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale ordinario di Torino (Italie), par décision du 27 octobre 2014, parvenue à la Cour le 7 novembre 2014, dans la procédure pénale contre

Stefano Burzio,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, président de chambre, MM. J. Malenovský et M. Safjan (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et de l’article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984 et ratifié par 25 États membres de l’Union européenne, annexé à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après le «protocole n° 7»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de M. Burzio pour défaut de versement, aux échéances mensuelles prévues, en sa qualité de tiers payeur, de retenues fiscales à la source au profit de l’Agenzia delle Entrate (administration fiscale) et pour lesquelles il était tenu de délivrer à l’assujetti un document certifiant le montant total des sommes versées et des retenues opérées (ci-après les «retenues certifiées»).

 Le cadre juridique

 Le protocole n° 7

3        L’article 4 du protocole n° 7, intitulé «Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois», dispose:

«1.      Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2.      Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3.      Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention.»

 Le droit de l’Union

4        L’article 50 de la Charte, intitulé «Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction», est rédigé comme suit:

«Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.»

 Le droit italien

5        Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997:

«Quiconque ne s’acquitte pas, en tout ou en partie, dans les délais prescrits, des acomptes, des versements périodiques, du versement de péréquation ou du solde de l’impôt résultant de la déclaration, déduction faite, dans ces cas, du montant des versements périodiques et des acomptes, même s’ils n’ont pas été acquittés, est passible d’une sanction administrative s’élevant à 30 % de chaque montant impayé, même lorsque, à la suite de la correction d’erreurs matérielles ou de calcul constatées lors du contrôle de la déclaration annuelle, il apparaît que le montant de l’impôt est plus important ou que l’excédent déductible est moindre. Pour les versements effectués avec un retard n’excédant pas quinze jours, la sanction visée à la première phrase, outre les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 472, du 18 décembre 1997, est encore réduite à un montant égal à un quinzième pour chaque jour de retard. La même sanction s’applique dans les cas de liquidation d’un montant d’impôt plus important au sens des articles 36-bis et 36-ter du décret n° 600 du président de la République, du 29 septembre 1973, et de l’article 54-bis du décret n° 633 du président de la République, du 26 octobre 1972.»

6        Selon la juridiction de renvoi, l’employeur est soumis, en tant que tiers payeur, à un certain nombre d’obligations, à savoir:

–        délivrer à l’assujetti auquel il se substitue un document certifiant le montant total des sommes versées et des retenues opérées afin que l’assujetti soit en mesure de conserver une preuve documentaire et de justifier du prélèvement, et

–        présenter annuellement une déclaration unique de tiers payeur faisant apparaître l’intégralité des montants versés et des retenues effectuées au cours de l’année précédente.

7        L’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, concernant le régime des infractions en matière d’impôts directs et de taxe sur la valeur ajoutée, introduit par l’article 1er, paragraphe 414, de la loi n° 311, du 30 décembre 2004 (loi de finances pour l’année 2005), dispose, sous l’intitulé «Défaut de versement de retenues certifiées»:

«Toute personne qui ne verse pas, dans le délai prévu pour la présentation de la déclaration annuelle de tiers payeur, des retenues qui résultent de la certification remise aux assujettis auxquels elle se substitue, pour un montant supérieur à 50 000 euros pour chaque période d’imposition, sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans.»

8        À l’origine, le défaut de versement, aux échéances mensuelles prévues, des retenues effectuées était sanctionné pénalement par l’article 2, paragraphe 2, du décret-loi n° 429, du 10 juillet 1982, converti par la suite en loi (loi n° 516, du 7 août 1982). Cette disposition a été intégralement remplacée par l’article 3 du décret-loi n° 83, du 16 mars 1991, également converti par la suite en loi (loi n° 154, du 15 mai 1991), qui a sanctionné pénalement le défaut de versement des retenues dans le délai prévu pour la présentation de la déclaration annuelle, le principe de la sanction et sa gradation étant fonction de certains seuils de défaut de paiement et de l’existence ou non de la certification des retenues en cause.

9        L’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997, a réintroduit la sanction administrative pour défaut de versement des sommes dues «aux échéances prescrites».

10      Avec l’entrée en vigueur du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, la sanction pénale du défaut de versement des retenues à la source a été supprimée, seule étant maintenue la sanction administrative prévue à l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997.

11      L’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, inséré par l’article 1er, paragraphe 414, de la loi n° 311, du 30 décembre 2004, a rétabli la sanction pénale en cas de défaut de versement des retenues dans le délai prévu pour la présentation de la déclaration annuelle, sous réserve que le montant non versé atteigne le seuil de 50 000 euros et qu’il s’agisse de retenues résultant de la certification remise aux assujettis.

12      Aux termes de l’article 9, premier alinéa, de la loi n° 689, du 24 novembre 1981:

«lorsqu’un même fait est puni par une disposition pénale et par une disposition prévoyant une sanction administrative ou bien par une pluralité de dispositions prévoyant des sanctions administratives, il y a lieu d’appliquer la disposition spéciale».

13      Selon l’article 19, paragraphe 1, du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000:

«lorsqu’un même fait est puni par l’une des dispositions du titre II et par une disposition prévoyant une sanction administrative, il y a lieu d’appliquer la disposition spéciale».

 Le litige au principal et la question préjudicielle 

14      Dans le cadre de la procédure pénale au principal, M. Burzio est poursuivi pour l’infraction visée à l’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, au motif que, en sa qualité de représentant légal de la société Scatolificio Burzio E C Srl, il n’a pas versé, dans le délai imparti pour la présentation de la déclaration annuelle de tiers payeur se substituant à l’assujetti, des retenues certifiées concernant l’année d’imposition 2008, à concurrence d’un montant de 120 394 euros.

15      Devant la juridiction de renvoi, l’Agenzia delle Entrate a fait état de ce que ces mêmes faits ont fait l’objet d’une procédure administrative au terme de laquelle la contestation de M. Burzio a été rejetée et sa dette d’impôt confirmée, même s’il a été autorisé à s’en acquitter de manière échelonnée. Devant cette même juridiction, M. Burzio a produit des documents attestant de la réalité de sa dette envers l’Agenzia delle Entrate à concurrence de 178 612,24 euros, correspondant à la dette d’impôt en capital, aux intérêts et pénalités ainsi qu’à l’échelonnement de celle-ci.

16      La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union de l’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000.

17      Elle relève que M. Burzio a déjà été «condamné», de façon définitive, par l’Agenzia delle Entrate pour ne pas avoir versé, dans le délai prévu pour la présentation annuelle de la déclaration de tiers payeur, les retenues certifiées relatives à l’année d’imposition 2008 à concurrence d’un montant de 120 394 euros.

18      Pour les mêmes faits, il aurait ensuite fait l’objet de poursuites au titre de l’infraction visée audit article.

19      La juridiction de renvoi considère qu’il existe des divergences d’interprétation entre, d’une part, la jurisprudence de la Cour (arrêt Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105) ainsi que celle de la Cour européenne des droits de l’homme (voir Cour EDH, arrêts Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A n° 22, § 82; Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, 4 mars 2014, et Nykänen c. Finlande, n° 11828/11, 20 mai 2014) et, d’autre part, la jurisprudence nationale. Ces divergences tiendraient non seulement à la nature pénale ou non d’une sanction administrative telle que la sanction visée à l’article 13 du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997, mais également, en cas de qualification de cette mesure en tant que sanction pénale, à l’existence ou non d’une violation du principe ne bis in idem lorsque l’intéressé a, «pour le même fait», fait l’objet de poursuites devant le juge pénal.

20      La Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) aurait décidé qu’une procédure administrative menée contre un contribuable au titre de l’infraction visée à l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997, ne fait pas obstacle à ce que des poursuites pénales soient engagées contre le même contribuable et pour une même période d’imposition au titre de l’infraction visée à l’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000. Cette conclusion ne serait contraire ni à l’article 4 du protocole n° 7 ni à l’article 50 de la Charte, consacrant le principe ne bis in idem en matière pénale. En effet, d’une part, les faits répréhensibles ne seraient pas les mêmes et, d’autre part, le principe ne bis in idem se référerait, en tout état de cause, uniquement aux procédures pénales, de sorte qu’il ne s’opposerait pas à l’application conjointe d’une sanction pénale et d’une sanction administrative fiscale.

21      La Corte suprema di cassazione aurait pris position sur ces divergences et aurait jugé que l’introduction de l’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, a ajouté à l’infraction administrative générale prévue à l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997, dont faisait partie le défaut de versement aux échéances mensuelles prévues des retenues à la source, une infraction pénale spéciale qui, tout en se rapportant au même fait répréhensible, est attaché, sur les plans factuel et temporel, à des conditions nouvelles et différentes. Partant, il n’y aurait pas de problème tenant au cumul de sanctions, la question étant plutôt celle d’un éventuel concours apparent de normes pénale et administrative. Ce concours serait soumis au principe de spécialité énoncé à l’article 9, premier alinéa, de la loi n° 689, du 24 novembre 1981. Pour déterminer s’il y a concours de normes apparent ou réel, il y aurait lieu de vérifier si les sanctions en question concernent ou non le «même fait», ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence.

22      La juridiction de renvoi émet des doutes à l’égard de ces considérations de la Corte suprema di cassazione. En application des critères dégagés par la jurisprudence tant de la Cour que de la Cour européenne des droits de l’homme, mentionnée au point 19 de la présente ordonnance, il faudrait conclure que la sanction prévue à l’article 13 du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, à savoir une «majoration» à hauteur de 30 % du montant dû, a également une nature pénale.

23      À l’égard du principe ne bis in idem, l’interprétation «matérialiste» du principe de spécialité retenue par la Cour et la Cour européenne des droits de l’homme amènerait à considérer, dans l’affaire au principal, que le fait dont la juridiction de renvoi est saisie en tant que juge pénal est identique à celui déjà visé par une sanction administrative.

24      Les considérations de la Corte suprema di cassazione quant à l’absence d’application du principe ne bis in idem partiraient d’une conception différente du principe de spécialité et excluraient la pertinence de ce principe en cas «d’application conjointe d’une sanction pénale et d’une sanction administrative fiscale», alors que la conclusion inverse semblerait s’imposer lorsqu’il y a lieu de conclure à la nature également «pénale» de la sanction administrative fiscale.

25      C’est dans ces conditions que le Tribunale ordinario di Torino (tribunal de Turin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Au sens de l’article 4 du protocole n° 7 [...] et de l’article 50 de la Charte, l’article 10 bis du décret législatif n° 74, du 10 mars 2000, en ce qu’il permet de procéder à l’examen de la responsabilité pénale d’une personne qui, pour le même fait (omission du versement des retenues), a déjà fait l’objet de la sanction administrative irrévocable prévue à l’article 13, paragraphe 1, du décret législatif n° 471, du 18 décembre 1997 (avec application d’une majoration), est‑il conforme au droit de l’Union?»

 Sur la compétence de la Cour

26      Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si une disposition de droit interne qui permet de poursuivre pénalement une personne qui, pour le même fait, a déjà fait l’objet d’une sanction administrative irrévocable est conforme à l’article 50 de la Charte et à l’article 4 du protocole n° 7.

27      S’agissant de la Charte, l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci prévoit que ses dispositions s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, TUE, à l’instar de l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, précise que les dispositions de cette dernière n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union, telles que définies dans les traités (voir ordonnance Balázs et Papp, C-45/14, EU:C:2014:2021, point 20).

28      Force est de constater que le litige au principal concerne l’application des dispositions de droit italien en cause au principal dans un contexte ne présentant aucun lien avec le droit de l’Union.

29      En effet, la décision de renvoi ne contient aucun élément permettant de considérer que le litige au principal concerne l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union autre que celles figurant dans la Charte. Cette décision n’établit par ailleurs nullement que la procédure au principal porte sur une réglementation nationale mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

30      Notamment, contrairement aux circonstances ayant donné lieu à l’arrêt Åkerberg Fransson (C-617/10, EU:C:2013:105), la réglementation nationale en cause au principal concerne l’absence de versement de retenues à la source relatives à l’impôt sur le revenu et non pas des manquements à des obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

31      Or, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (voir arrêt Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 22, ainsi que ordonnances Cholakova, C‑14/13, EU:C:2013:374, point 30; Nagy e.a., C‑488/12 à C‑491/12 et C‑526/12, EU:C:2013:703, point 17, et Balázs et Papp, C‑45/14, EU:C:2014:2021, point 23).

32      Dans ces conditions, la Cour n’est pas non plus compétente pour interpréter l’article 4 du protocole n° 7.

33      Par conséquent, il y a lieu de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, que cette dernière est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Tribunale ordinario di Torino.

 Sur les dépens

34      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Tribunale ordinario di Torino (Italie), par décision du 27 octobre 2014.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.

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