CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 8 mai 2018 ( 1 )

Affaire C‑114/17 P

Royaume d’Espagne

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Aide au déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées de la Communauté autonome de Castille-La Manche – Subvention en faveur des opérateurs de plateformes de télévision numérique terrestre – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur – Adoption par la Commission d’une décision modificative – Nouveaux moyens – Adaptation des conclusions du recours – Droit de l’État membre concerné d’être entendu avant l’adoption de cette décision modificative »

1. 

Par le présent pourvoi, le Royaume d’Espagne demande à la Cour d’annuler dans sa totalité l’arrêt rendu par le Tribunal dans l’affaire Espagne/Commission ( 2 ), par lequel ce dernier a rejeté le recours en annulation formé par le Royaume d’Espagne contre la décision de la Commission C(2014) 6846 ( 3 ). Au soutien de son pourvoi, le Royaume d’Espagne fait valoir, en particulier, que la Commission aurait méconnu son droit d’être entendu lorsqu’elle a adopté la décision C(2015) 7193 ( 4 ) modifiant la décision C(2014) 6846.

2. 

La Cour a ici l’occasion de développer sa jurisprudence concernant l’étendue de l’obligation de la Commission européenne d’entendre l’État membre concerné par la procédure de contrôle des aides d’État avant d’adopter une décision modifiant sa décision antérieure concernant la même aide d’État. L’arrêt de la Cour en l’espèce pourrait bien fournir des orientations utiles pour l’affaire C‑56/18 P, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo/Commission ( 5 ), actuellement pendante devant la Cour.

3. 

Toutefois, à titre préliminaire, la Cour devra clarifier les conditions de recevabilité, dans un recours en annulation formé contre une décision de la Commission en matière d’aides d’État, des arguments dirigés contre un acte modifiant une telle décision. Pour ce faire, la Cour devra préciser le sens des articles 84 et 86 du règlement de procédure du Tribunal et la relation existant entre eux.

Le cadre juridique

Le règlement de procédure du Tribunal

4.

Selon l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. La partie concernée doit produire les moyens nouveaux dès qu’elle a connaissance de ces éléments.

5.

Aux termes de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, « [l]orsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, […] adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau ». L’article 86, paragraphe 2, dudit règlement prévoit que « [l]’adaptation de la requête doit être effectuée par acte séparé et dans le délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE dans lequel l’annulation de l’acte justifiant l’adaptation de la requête peut être demandée ». En vertu de l’article 86, paragraphe 4, de ce règlement le mémoire en adaptation contient les conclusions adaptées et, s’il y a lieu, les moyens et arguments adaptés.

Le règlement 2015/1589

6.

En vertu de l’article 15, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 ( 6 ), l’examen d’une éventuelle aide illégale peut déboucher sur l’adoption d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen. En cas d’ouverture de cette procédure, celle-ci est close par voie de décision au titre de l’article 9 dudit règlement. Conformément à l’article 9, paragraphe 8, de ce règlement, avant d’adopter une décision, la Commission doit donner à l’État membre concerné l’occasion de faire connaître ses observations sur les renseignements obtenus par la Commission dans le cadre de l’enquête.

7.

L’article 11 du règlement 2015/1589, applicable à cette procédure en vertu de l’article 15, paragraphe 3, dudit règlement permet à la Commission de révoquer une telle décision, dans le cas où des informations d’une importance déterminante pour la décision s’avèrent inexactes. L’article 11 de ce règlement impose à la Commission, avant de révoquer une telle décision et d’en prendre une nouvelle, d’ouvrir la procédure formelle d’examen et de donner à l’État membre concerné l’occasion de faire connaître ses observations.

Les faits et la procédure devant la juridiction de renvoi

8.

Entre 2005 et 2008, le Royaume d’Espagne a adopté une série de mesures visant à promouvoir le déploiement d’un système de télévision numérique terrestre dans les régions éloignées et moins urbanisées de son territoire, en particulier en Castille-La Manche.

9.

Suite à des plaintes de deux opérateurs de télévision, la Commission a, par lettre du 29 septembre 2010, informé le Royaume d’Espagne qu’elle avait décidé d’ouvrir une procédure formelle d’examen concernant ces mesures. Au cours de cette procédure, la Commission a reçu les observations des parties intéressées et les a transmises au Royaume d’Espagne afin que celui-ci lui fasse connaître son point de vue, ce qu’il a fait à plusieurs reprises.

10.

Le 1er octobre 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 6846 concernant l’aide accordée au territoire de Castille‑La Manche ( 7 ).

11.

L’article 1er, premier alinéa, de la décision C(2014) 6846 indiquait que l’aide accordée à deux opérateurs de télévision, Telecom CLM et Abertis, pour l’amélioration de leurs centres d’émission, la construction des nouveaux centres d’émission et la fourniture de services numériques et/ou d’exploitation et de maintenance dans la zone II de Castille-La Manche, avait été mise en œuvre illégalement par l’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et était incompatible avec le marché intérieur. Le deuxième alinéa du même article reprenait la même conclusion par rapport à Hispasat, un radiodiffuseur de signaux satellites, en ce qui concerne l’installation des récepteurs satellite aux fins de la transmission des signaux d’Hispasat [SA] dans la même zone. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette décision, la Commission ordonnait à l’Espagne de récupérer les aides ainsi définies auprès de ces trois opérateurs.

12.

Le 12 décembre 2014, le Royaume d’Espagne a introduit devant le Tribunal un recours tendant à l’annulation de la décision C(2014) 6846 ( 8 ).

13.

Le 23 janvier 2015, Hispasat a formé un recours en annulation de la décision C(2014) 6846 devant le Tribunal ( 9 ), faisant valoir dans sa requête n’avoir jamais reçu d’aides du Royaume d’Espagne ou de ses autorités locales.

14.

Entre-temps, dans le cadre de la mise en œuvre de la décision C(2014) 6846, le Royaume d’Espagne et la Commission se sont opposés sur la question de savoir si le coût des matériels numériques (acquis par les autorités locales de Castille-La Manche en vue de la diffusion du signal de télévision) entrait dans le champ d’application de cette décision et donc si le Royaume d’Espagne devait le récupérer auprès des opérateurs concernés.

15.

Le 20 octobre 2015, la Commission a adopté la décision C(2015) 7193, modifiant la décision C(2014) 6846. Dans la partie introductive de cette décision, elle a indiqué que cette modification visait à corriger des erreurs concernant Hispasat. La décision modificative a supprimé Hispasat des bénéficiaires de l’aide d’État ( 10 ). Elle a également remplacé les termes « prestation de services numériques » dans le premier alinéa de l’article 1er de la décision initiale par les termes « fourniture de matériels numériques» ( 11 ).

16.

Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2015, le Royaume d’Espagne a indiqué qu’il soulevait un moyen nouveau dans la procédure pendante dans l’affaire T‑808/14 (le « moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne »), faisant valoir que la décision modificative allait au-delà de l’objectif déclaré de retirer Hispasat du champ d’application de la décision initiale et étendait substantiellement la portée de l’aide à récupérer en y incluant l’aide accordée pour la fourniture de matériels (32,5 millions d’euros). Le Royaume d’Espagne soutenait qu’en agissant ainsi la Commission a violé le principe de sécurité juridique.

17.

La Commission a présenté ses observations le 28 janvier 2016. Elle a fait valoir que la décision modificative constituait un simple rectificatif de la décision initiale et n’imposait pas de nouvelles obligations au Royaume d’Espagne, ajoutant que le moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne était irrecevable car il n’apportait rien aux arguments précédemment invoqués par cet État membre à l’appui du moyen tiré de la prétendue violation de la sécurité juridique.

18.

Par ordonnance rendue dans l’affaire Hispasat/Commission ( 12 ), le Tribunal a considéré que, suite à l’adoption de la décision C(2014) 6846, le recours était devenu sans objet et qu’il n’y avait donc plus lieu de statuer sur le recours formé par Hispasat.

L’arrêt attaqué et le pourvoi

19.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que tous les moyens soulevés par le Royaume d’Espagne dans sa requête étaient infondés et a donc rejeté le recours dans son intégralité.

20.

En ce qui concerne le moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne, le Tribunal a considéré qu’il était en réalité dirigé contre la décision modificative, et donc recevable ( 13 ). Puis le Tribunal a, d’office, considéré que, faute d’avoir donné au Royaume d’Espagne la possibilité de présenter des observations avant l’adoption de cette décision, la Commission avait violé son droit d’être entendu ( 14 ). Le Tribunal a également jugé qu’étant donné que la décision initiale couvrait ab initio l’aide à la fourniture de matériels numériques la décision modificative n’imposait aucune nouvelle obligation au Royaume d’Espagne et, par conséquent, que cette violation n’était pas de nature à entraîner l’annulation de la décision modificative ( 15 ). Le Tribunal a donc rejeté le moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne comme étant non fondé.

21.

Par son pourvoi, le Royaume d’Espagne demande à la Cour de justice l’annulation de l’arrêt attaqué et celle de la décision C(2014) 6846, ainsi que la condamnation de la Commission aux dépens. Au soutien de son pourvoi, le Royaume d’Espagne invoque trois moyens de droit.

22.

Le Royaume d’Espagne soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 1er de la décision C(2014) 6846 dans sa version initiale, et a donc interprété de manière erronée la nature de la mesure d’aide d’État accordée par le Royaume d’Espagne, ainsi que la notion d’aide d’État au sens de l’article 107 TFUE. Il fait également valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant de considérer que le non‑respect du droit du Royaume d’Espagne d’être entendu constituait une violation des principes de bonne administration et de sécurité juridique. En second lieu, le Tribunal a, toujours selon le Royaume d’Espagne, commis une erreur de droit en jugeant que cet État membre n’avait pas respecté le premier et le quatrième critère définis dans l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg ( 16 ). En troisième lieu, le Tribunal aurait violé l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE dans la mesure où il a considéré que l’aide accordée par le Royaume d’Espagne était incompatible avec le marché intérieur en raison du fait que cet État membre aurait favorisé la technologie terrestre par rapport à la technologie satellitaire de télédiffusion.

23.

La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi. Elle fait valoir, en particulier, que même si la Cour devait faire droit au premier moyen du pourvoi cela aurait tout au plus pour effet d’aboutir à l’annulation de la décision modificative, alors que le pourvoi tend à l’annulation de la décision dans sa version initiale.

24.

Le Royaume d’Espagne et la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 7 mars 2018.

25.

Comme l’a demandé la Cour, je me limiterai, dans les présentes conclusions, à l’examen du premier moyen du pourvoi.

Appréciation

La recevabilité du premier moyen du pourvoi

26.

Une simple lecture du premier moyen du pourvoi laisse penser qu’il a pour objet la décision initiale. Il conteste en effet l’interprétation faite par le Tribunal de l’article 1er de cette décision dans sa version antérieure à l’adoption de la décision modificative. Les arguments avancés à l’appui de ce moyen contestent toutefois les conclusions du Tribunal concernant la validité de la procédure appliquée pour adopter la décision modificative.

27.

Le recours introduit par le Royaume d’Espagne devant le Tribunal étant antérieur à la décision modificative, il ne pouvait se référer qu’à la décision initiale. Les conclusions du pourvoi visent expressément l’annulation de l’arrêt attaqué et celle de la décision initiale, mais non celle de la décision modificative. Lors de l’audience, l’agent du Royaume d’Espagne a prétendu qu’en introduisant son moyen nouveau le Royaume d’Espagne avait cherché à étendre l’objet de la procédure dans le but de demander l’annulation de la « décision initiale telle que modifiée ».

28.

Cela étant, j’examinerai, à titre préliminaire, si la décision modificative entre dans le champ d’application de la présente procédure et, par conséquent, si la Cour est compétente pour examiner les arguments du Royaume d’Espagne relatifs à cette décision ( 17 ).

L’objet du litige couvre-t-il ipso facto la décision modificative à la date de son adoption ?

29.

Peut-on soutenir que l’objet du litige couvrait ipso facto la décision modificative à compter du jour de son adoption ?

30.

La Commission soutient que les effets de la décision modificative ne vont pas au-delà de la simple rectification d’erreurs matérielles et d’inexactitudes évidentes contenues dans la décision initiale.

31.

Si tel était bien le cas, la décision modificative serait dénuée de tout effet juridique autonome et ne serait pas « destinée à produire des effets juridiques à l’égard des tiers » au sens des dispositions de l’article 263 TFUE. Elle ne pouvait donc pas faire l’objet d’un recours en annulation distinct.

32.

J’estime que, si tel était le cas, la décision modificative pourrait être vue, aux fins d’un recours en annulation, comme « fusionnant » avec la décision initiale et constituant ainsi un tout indivisible avec cette dernière. Le recours ainsi que le pourvoi formés par le Royaume d’Espagne pourraient alors être considérés comme dirigés ipso facto contre la décision initiale « telle que rectifiée » sans qu’il soit nécessaire pour le Royaume d’Espagne d’adapter ses conclusions initiales.

33.

Si certaines modifications constituent effectivement de simples rectifications du texte de la décision initiale ( 18 ), d’autres, en revanche, semblent aller au-delà et affectent le fond de cette décision ( 19 ).

34.

C’est sans aucun doute le cas en ce qui concerne la suppression de toutes les références à Hispasat. Ces modifications ont eu pour effet d’exclure Hispasat de la catégorie des bénéficiaires de l’aide d’État en cause ( 20 ).

35.

À première vue, remplacer le terme « services » au premier alinéa de l’article 1er de la décision initiale par le terme « matériels » affecte également le fond de la décision initiale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux termes ne semblent pas être synonymes.

36.

La forme de la décision modificative confirme l’impression que, par son contenu, elle ne se borne pas à de simples rectifications. Lors de l’audience, l’agent de la Commission a expliqué que la décision modificative avait été adoptée par le collège des commissaires, et qu’il s’agit de la procédure suivie lorsque la Commission adopte des décisions de fond en matière d’aides d’État, les décisions purement rectificatives étant adoptées par le secrétaire général de la Commission. L’agent de la Commission a admis que le choix de cette procédure avait été motivé en l’espèce par le fait que la décision modificative limitait considérablement le champ d’application de la décision initiale.

37.

En définitive, la question de savoir si et dans quelle mesure le remplacement des « services » par des « matériels » constitue une modification substantielle de l’étendue de l’obligation imposée au Royaume d’Espagne de récupérer l’aide accordée ne pouvait être résolue qu’en comparant la version initiale et la version modifiée de l’article 1er, lues à la lumière de la motivation donnée par la Commission dans chacune des deux décisions. Or la décision modificative n’est nullement motivée, ce qui rend une telle analyse quasiment impossible (sauf en ce qui concerne Hispasat) ( 21 ).

38.

Tout bien considéré, il semble probable que la décision modificative a produit des effets juridiques autonomes affectant substantiellement la situation juridique du Royaume d’Espagne telle qu’elle se présentait au moment de la décision initiale. Si tel est bien le cas, la décision modificative constituerait un acte juridique pouvant faire l’objet d’un recours en annulation distinct. Si le Royaume d’Espagne souhaitait étendre l’objet de sa requête initiale pour y inclure la décision modificative, il lui fallait modifier formellement cette requête.

39.

Je vais à présent examiner le point de savoir si le Royaume d’Espagne est parvenu à cette fin en présentant son moyen nouveau devant le Tribunal.

Le Royaume d’Espagne a-t-il effectivement étendu l’objet de sa requête ?

40.

L’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal impose au requérant de préciser dans sa requête l’objet du litige. Par principe, une partie ne peut, en cours d’instance, modifier l’objet même du litige, et le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d’instance ( 22 ).

41.

Les articles 84 et 86 du règlement de procédure du Tribunal prévoient deux dérogations à cette règle. L’article 84 dudit règlement s’applique lorsque des éléments de droit et de fait nouveaux sont révélés pendant la procédure. L’article 86 de ce règlement a un champ d’application nettement plus restreint : il ne peut être invoqué que lorsque les « éléments nouveaux » consistent dans le remplacement ou la modification de l’acte, dont l’annulation est demandée, par un autre acte ayant le même objet.

42.

Alors que l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal ne permet au requérant que d’introduire de nouveaux moyens de droit (ainsi que les arguments et les preuves à l’appui), l’article 86 dudit règlement va plus loin : il permet en effet à cette partie de modifier également l’objet de sa requête, c’est-à-dire de reformuler ses conclusions de manière à contester le nouvel acte dans la procédure en cours ( 23 ).

43.

L’introduction de l’article 86 dans le règlement de procédure du Tribunal en 2015 a entraîné une élévation du niveau de formalisme requis ( 24 ). C’est ainsi que les paragraphes 2 et 4 de l’article 86 dudit règlement imposent expressément qu’une telle modification intervienne dans un mémoire en adaptation contenant les conclusions adaptées.

44.

Les exigences formelles énoncées à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal ne constituent bien sûr pas une fin en soi, elles sont au contraire destinées à garantir le caractère contradictoire de la procédure et la bonne administration de la justice ( 25 ).

45.

L’adaptation de la requête par acte déposé au greffe du Tribunal en cours d’instance est un acte de procédure qui équivaut à l’introduction d’un recours en annulation par voie de requête ( 26 ). La jurisprudence constante fixant les conditions de forme et de fond d’un tel recours s’applique donc par analogie.

46.

Il en résulte que le mémoire en adaptation doit, en particulier, indiquer de manière non équivoque et suffisamment claire et précise l’objet du litige, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours est fondé ainsi que les conclusions de ce dernier afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief ( 27 ).

47.

Inversement, un mémoire contenant de nouveaux moyens ou de nouveaux arguments, mais ne remplissant pas toutes les conditions énoncées à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal ou dans la jurisprudence citée précédemment n’est pas suffisant pour modifier valablement l’objet du litige. Il ne produit pas d’effets juridiques autres que ceux prévus à l’article 84 dudit règlement, à savoir la production de nouveaux moyens ou arguments ayant le même objet ( 28 ).

48.

En l’espèce, un peu plus d’un an après l’adoption de la décision initiale et alors que le recours en annulation dirigé contre cette décision était en cours, la Commission a adopté un acte modifiant cette décision [la décision C(2015) 7193]. Le Royaume d’Espagne a alors présenté son moyen nouveau devant le Tribunal.

49.

Il n’est pas contesté que l’objet de la décision modificative est le même que celui de la décision initiale (l’aide d’État SA.27408). Il en découle que l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal était applicable ( 29 ).

50.

Le Tribunal a considéré, sans autre explication à cet égard, que, puisque par le moyen nouveau, le Royaume d’Espagne attaquait la décision modificative elle‑même, le moyen nouveau était donc recevable ( 30 ).

51.

Je ne souscris pas au raisonnement appliqué par le Tribunal.

52.

Le libellé du moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne laisse entendre que cet État membre n’avait pas l’intention de contester la décision modificative, même si certains des arguments qui y sont invoqués s’y rapportaient. Dans le paragraphe final du moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne, celui-ci maintenait expressément ses conclusions initiales, à savoir, l’annulation de la décision initiale.

53.

Le pourvoi semble le confirmer. En effet : i) le premier moyen du pourvoi est tiré de l’interprétation de la décision initiale dans sa version antérieure à la modification, et ii) les conclusions du pourvoi visent expressément l’annulation de la décision initiale.

54.

Je ne pense donc pas que le Tribunal pouvait valablement interpréter et requalifier le moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne comme visant en réalité à l’annulation de la décision modificative ( 31 ).

55.

L’existence d’un recours en annulation et, également, d’un acte visant à en modifier l’objet ne peut jamais être présumée et seules les conclusions expressément formulées peuvent être prises en considération ( 32 ). Le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d’instance ou dans un mémoire visant à l’adapter ( 33 ). Un recours ne contenant aucun petitum est irrecevable ( 34 ). Je rejette donc la position défendue par l’agent du Royaume d’Espagne lors de l’audience selon laquelle une telle approche imposerait un formalisme excessif.

56.

Par ailleurs, je ne crois pas que le Tribunal était tenu de demander au Royaume d’Espagne de préciser si son intention était ou non de contester la décision modificative ( 35 ). À la lumière des faits de l’espèce, cela aurait équivalu à inviter le Royaume d’Espagne à compléter un élément essentiel de son recours en annulation, au mépris du délai prescrit à l’article 263 TFUE ( 36 ).

57.

La jurisprudence rappelée aux points 45, 46 et 55 des présentes conclusions ne donne aucune raison impérieuse justifiant d’abaisser le niveau d’exigence en matière de recevabilité. Lorsque, comme en l’espèce, une décision individuelle adressée à un État membre lui est signifiée, ce dernier doit supporter les conséquences qu’entraîne le défaut de formulation, dans le délai prescrit, de ses conclusions en tant que requérant concernant cette décision dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ( 37 ).

58.

Il s’ensuit que, malgré le fait que le Royaume d’Espagne a présenté un moyen nouveau, cela n’a pas eu pour effet d’étendre l’objet du litige.

Conclusion concernant la recevabilité du premier moyen

59.

Il résulte de ce qui précède que la décision modificative n’entre pas dans l’objet de la présente procédure. Le premier moyen, relatif à cette décision, cherche donc à étendre l’objet du litige. En application de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, il est irrecevable au stade du pourvoi ( 38 ).

60.

Dans ces circonstances, je propose à la Cour de rejeter le premier moyen. Je lui propose également de considérer qu’en étendant l’objet du litige dont il était saisi sur la base du moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne le Tribunal a faussement interprété les arguments avancés par le Royaume d’Espagne et, par conséquent, a commis une erreur de droit en statuant ultra petita ( 39 ). Le Tribunal ayant rejeté ces arguments sur le fond, cette erreur n’a pas eu d’incidence sur l’issue du litige dont il était saisi. Il n’y a donc pas lieu d’annuler l’arrêt attaqué sur cette base.

Le fond du premier moyen du pourvoi

La compétence de la Commission pour adopter la décision modificative et son obligation de motivation

61.

Dans l’hypothèse où la Cour n’approuverait pas l’analyse exposée précédemment, il lui faudra alors examiner la légalité de l’arrêt attaqué en ce qu’il concerne la décision modificative.

62.

À cet égard, je propose à la Cour de soulever d’office et d’examiner deux questions fondamentales : premièrement, la Commission était-elle compétente pour adopter la décision modificative ? Deuxièmement, la Commission a-t-elle respecté l’obligation qui lui incombait de motiver cette décision ( 40 ) ?

63.

Premièrement, le Tribunal a considéré que la Commission était compétente pour adopter la décision sur la base de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ( 41 ).

64.

Je partage également ce point de vue. En vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission n’a pas seulement le pouvoir de rectifier les décisions qu’elle a adoptées en vertu de l’article 9 du règlement 2015/1589, comme elle le fait fréquemment sans que ce principe soit contesté, ou de révoquer une telle décision en vertu de l’article 11 dudit règlement. Elle a également le pouvoir de modifier de manière substantielle de telles décisions, lorsque cela est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans les dispositions du traité susmentionnées.

65.

La Commission peut avoir un motif légitime de le faire, notamment afin de tenir compte de l’évolution de la jurisprudence des juridictions de l’UE ou de corriger ses propres erreurs ( 42 ), comme cela semble avoir été le cas en l’espèce. De ce point de vue, l’article 11 du règlement 2015/1589 n’est que l’expression spécifique des pouvoirs conférés à la Commission par le traité en vue d’assurer l’application correcte et effective ( 43 ) des règles relatives aux aides d’État et ne doit donc pas être interprété a contrario comme circonscrivant ces pouvoirs au seul cas expressément mentionné par ce texte (la révocation d’une décision).

66.

Rien dans le traité n’indique que la compétence de la Commission se limiterait aux décisions favorables aux États membres. Il importe donc peu que la décision modificative ait été favorable au Royaume d’Espagne, comme le soutient la Commission, ou qu’elle ait imposé de nouvelles obligations à cet État membre, comme ce dernier l’affirme.

67.

Deuxièmement, et bien que le Tribunal ne se soit pas prononcé à ce propos, je relève que la décision modificative ne contient aucune motivation justifiant son adoption. Cela a pour effet de rendre quasiment impossible l’examen par la Cour, en particulier, de sa nature ( 44 ) et de ses effets juridiques ( 45 ), de même que du point de savoir si le Royaume d’Espagne a eu la possibilité de faire connaître ses observations – préalablement à son adoption – sur toutes les informations pertinentes sur lesquelles cette décision était fondée ( 46 ).

68.

L’absence de motivation dans la décision modificative empêche par conséquent tout contrôle juridictionnel approprié de sa légalité et constitue donc une violation manifeste de l’article 296 TFUE.

69.

J’en conclus que la décision modificative est entachée d’une violation manifeste par la Commission de son obligation de motivation, c’est-à-dire d’une forme substantielle. Cette seule violation est de nature à entraîner son annulation ( 47 ). En ne concluant pas en ce sens, le Tribunal a commis une erreur de droit. Par voie de conséquence, son arrêt devrait être annulé en ce qui concerne la décision modificative.

70.

C’est uniquement si la Cour ne suit pas cette suggestion qu’elle devra examiner les arguments spécifiques formulés par le Royaume d’Espagne dans le premier moyen invoqué à l’appui de son pourvoi. Je passe à présent à leur analyse dans les développements qui suivent.

L’article 107 TFUE et le principe de sécurité juridique

71.

Selon ma compréhension des choses, le Royaume d’Espagne soutient que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation de l’article 1er de la décision initiale, et qu’il aurait en conséquence omis de considérer qu’en adoptant une décision imposant des obligations supplémentaires au Royaume d’Espagne la Commission a méconnu la substance même de la mesure d’aide d’État accordée par cet État membre, fait une application erronée de la notion d’« aide d’État » au sens de l’article 107 TFUE et violé le principe de sécurité juridique.

72.

La nature de l’illégalité alléguée n’est pas du tout claire à mes yeux. Le Royaume d’Espagne n’avance, en effet, aucun argument au soutien de cette affirmation. Il ne précise pas quel est l’élément de l’article 107 TFUE qui aurait été violé, et de quelle manière. Il en va de même de l’argument tiré de la prétendue violation du principe de sécurité juridique.

73.

Or il est de jurisprudence constante que de tels arguments sont irrecevables ( 48 ). Je propose donc à la Cour de les rejeter.

Le Royaume d’Espagne avait-il le droit d’être entendu avant l’adoption de la décision modificative ?

74.

Il ressort du dossier de la procédure devant la Cour que, un peu plus d’un an après la date de la décision initiale, la Commission a adopté la décision modificative. Aucune décision d’ouvrir ou de rouvrir la procédure formelle d’examen n’a apparemment précédé cette dernière décision.

75.

D’un côté, il n’est pas contesté que le Royaume d’Espagne a eu la possibilité de présenter des observations sur tous les éléments du dossier administratif de la Commission avant l’adoption de la décision initiale. De l’autre, il ressort du dossier que le Royaume d’Espagne n’a pas eu cette possibilité après l’adoption de la décision initiale, mais avant la notification de la décision modificative.

76.

Le Royaume d’Espagne fait valoir qu’en introduisant la notion de « fourniture de matériels numériques » à l’article 1er de la décision initiale la décision modificative a étendu le champ d’application de l’aide à récupérer, et lui a donc imposé de nouvelles obligations. Il estime donc que, la Commission ne lui ayant pas donné la possibilité d’exprimer son point de vue avant l’adoption de cette décision, les droits de la défense du Royaume d’Espagne ont été violés. La Commission fait valoir, pour sa part, que c’est à juste titre que le Tribunal a constaté, à la lumière des considérants 118 et 197 de la décision initiale, que l’aide accordée pour la fourniture de matériels numériques était déjà incluse dans son champ d’application et que la décision modificative n’imposait donc aucune nouvelle obligation. L’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 49 ) ne prévoyant un droit d’être entendu que lorsqu’un acte affecte défavorablement les droits d’une personne et la décision modificative étant favorable au Royaume d’Espagne, ce dernier ne disposait donc d’aucun droit d’être entendu.

77.

J’examinerai donc successivement i) si, dans ces circonstances, le Royaume d’Espagne avait le droit d’être entendu ; ii) dans l’affirmative, si la Commission a respecté ce droit ; et iii) les conséquences qui découlent d’une éventuelle violation de ce droit.

78.

Il est de jurisprudence constante que « le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit [de l’Union] et doit être assuré, même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause» ( 50 ).

79.

Lorsqu’il existe un doute plausible quant au fait qu’un acte soit susceptible de faire grief à l’État membre concerné par la procédure de contrôle des aides d’État, la Commission doit lui donner la possibilité d’être entendu, ne serait-ce que par mesure de précaution. La procédure de récupération des aides d’État illégales est fondée sur le principe de la collaboration sincère de l’État membre concerné avec la Commission ( 51 ). Lorsqu’une décision que la Commission a l’intention d’adopter est susceptible d’affecter la portée de l’obligation d’un État membre de récupérer l’aide d’État en cause, la Commission doit a fortiori donner à cet État membre la possibilité de présenter ses observations.

80.

La décision modificative n’étant pas motivée, il est difficile de déterminer si cette décision était favorable au Royaume d’Espagne ou si celle-ci lui imposait de nouvelles obligations. Si, comme le prétend la Commission, la modification de l’article 1er n’a pas affecté la portée de cette aide, il est légitime de se demander pour quelle raison la Commission s’est donc donné la peine de la modifier.

81.

En tout état de cause, j’ai déjà conclu qu’en définitive la décision modificative a probablement affecté la situation juridique du Royaume d’Espagne ( 52 ) et qu’elle constituait donc un acte susceptible d’être contesté en application de l’article 263 TFUE. Étant donné que, par cette décision, la Commission a maintenu la qualification d’aide d’État illégale des mesures d’aide accordées par le Royaume d’Espagne, il s’agit d’un acte qui fait grief au Royaume d’Espagne ( 53 ). J’ai également attiré l’attention sur le fait que la procédure employée en interne au sein de la Commission pour adopter la décision modificative était la procédure destinée à l’adoption des décisions de fond en matière d’aides d’État, et non la procédure administrative plus légère réservée à la correction de simples erreurs matérielles ( 54 ). Enfin, cette décision était déjà susceptible d’affecter la portée de l’obligation du Royaume d’Espagne de récupérer l’aide accordée en ce qui concerne Hispasat.

82.

Il s’ensuit, ainsi que le Tribunal l’a constaté, à juste titre, que le Royaume d’Espagne avait par principe le droit d’être entendu avant que la Commission n’adopte la décision modificative.

La Commission a-t-elle respecté le droit du Royaume d’Espagne d’être entendu ?

83.

L’adoption de la décision modificative ne saurait être considérée isolément. Elle marque, en effet, le point final de la procédure engagée par la lettre de la Commission ouvrant la procédure formelle d’examen, suivie (après cet examen) par l’adoption de la décision initiale.

84.

L’objectif de la procédure visant à assurer la pleine protection du droit d’être entendu est atteint si la partie concernée a pu prendre connaissance des éléments pertinents du dossier administratif à n’importe quel stade de la procédure précédant l’adoption de l’acte en cause ( 55 ). Une fois que cette possibilité lui a été accordée, son droit d’être entendue est, pour ainsi dire, épuisé.

85.

Dans le cadre des procédures de contrôle des aides d’État en particulier, une fois que la Commission a donné à l’État membre concerné la possibilité de faire connaître ses observations sur tous les éléments sur lesquels sa décision est fondée (ou doit être fondée) ( 56 ), elle n’est plus tenue, avant d’adopter une décision, d’informer cet État membre de l’appréciation juridique qu’elle a l’intention de faire ( 57 ), d’entendre son point de vue sur cette appréciation ( 58 ) ou de l’informer que cette décision est imminente ( 59 ). De même, avant l’adoption d’une décision remplaçant ou modifiant ladite décision, la Commission n’est pas tenue de reprendre toutes les étapes de la procédure prévue par le règlement 2015/1589 ( 60 ) et, dans ce contexte, de soumettre le dossier à l’État membre concerné pour observations ( 61 ).

86.

La procédure n’a, en l’espèce, pas permis de dissiper les doutes subsistant quant à la question de savoir si la Commission s’est fondée sur des éléments nouveaux ou additionnels lors de l’adoption de la décision modificative.

87.

Si la Commission a raison lorsqu’elle affirme que la décision modificative était fondée – outre les éléments contenus dans le dossier administratif au moment de l’adoption de la décision initiale – également sur les informations provenant du recours formé par Hispasat dans l’affaire T‑36/15, le Royaume d’Espagne n’était pas en mesure d’exprimer son point de vue à cet égard. N’étant pas intervenu dans l’affaire T‑36/15, les observations écrites échangées entre les parties dans cette affaire ne lui ont pas été signifiées.

88.

Si, au contraire, c’est le Royaume d’Espagne qui dit vrai lorsqu’il prétend que la décision modificative était fondée sur les informations provenant de la procédure de récupération des aides alors, en principe, on ne peut exclure que le Royaume d’Espagne connaissait déjà la teneur de ces informations et qu’il était en mesure de faire connaître son point de vue dans le cadre de cette procédure.

89.

Faute de motivation de la décision modificative, il est pratiquement impossible de déterminer laquelle de ces deux thèses est la vraie.

90.

Dans de telles circonstances, la charge de la preuve devrait incomber à la Commission. Or cette dernière n’a jamais prétendu que le Royaume d’Espagne était en mesure de formuler ses observations sur les informations ayant servi de base à la décision modificative dans le cadre de la procédure de récupération, et encore moins d’apporter des éléments de preuve à cet effet.

91.

Compte tenu de tout cela, j’en conclus que le Royaume d’Espagne n’a pas eu la possibilité de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et éléments allégués par la Commission pour étayer sa conclusion, en particulier à l’article 1er de la décision modificative, conclusion selon laquelle la violation du droit de l’Union relevée dans la décision modificative a bien eu lieu et que l’aide d’État qui y est visée doit être récupérée.

92.

Il s’ensuit que, dans la mesure où la Commission a fondé sa décision modificative sur des informations à l’égard desquelles le Royaume d’Espagne n’a pas été en mesure de formuler des observations, elle a agi en violation du droit de cet État membre d’être entendu et, partant, du principe de bonne administration.

Conséquences de la violation du droit du Royaume d’Espagne d’être entendu

93.

Au point 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’une irrégularité de procédure n’entraîne l’annulation d’un acte que s’il est établi que, en l’absence de celle-ci, cet acte aurait pu avoir un contenu différent ( 62 ). Or, dans les points suivants de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait application d’un critère différent, c’est-à-dire celui de savoir si la décision modificative a imposé de nouvelles obligations au Royaume d’Espagne. Sur cette base, le Tribunal a alors estimé que la violation du droit du Royaume d’Espagne d’être entendu n’entraînait pas l’annulation de la décision modificative. Le Royaume d’Espagne conteste ce raisonnement et, à l’audience, son représentant a fait valoir que la violation du droit d’être entendu devait toujours entraîner l’annulation de l’acte.

94.

Je ne peux pas suivre le raisonnement du Tribunal, et j’exposerai ma propre analyse en commençant par rappeler la jurisprudence pertinente.

95.

D’une part, la Cour a jugé que la violation d’une forme substantielle entraîne l’annulation de l’acte entaché par cette violation ( 63 ). Dans ce contexte, je rejoins l’avocat général Fennelly pour considérer que seules les conditions de procédure qui sont intrinsèquement liées à la formation et à l’expression de l’intention de l’autorité adoptant l’acte sont des formes substantielles, et que leur respect relève de l’intérêt général ( 64 ). Ces conditions sont si fondamentales que toute violation de celles-ci entraîne l’annulation de l’acte ultérieur, indépendamment du fait que l’issue de la procédure aurait pu être différente si elles avaient été respectées ( 65 ).

96.

D’autre part, la Cour a également considéré que la violation de toute autre forme (non substantielle) ne justifie l’annulation de l’acte attaqué que s’il peut être démontré qu’en l’absence de cette irrégularité la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent ( 66 ).

97.

Même si le raisonnement des juridictions de l’UE n’a pas toujours été sans équivoque à cet égard ( 67 ), il est clair pour moi que le droit d’un État membre d’être entendu dans la procédure en matière d’aides d’État relève de la première catégorie.

98.

Je me joins là aussi à l’avocat général Mengozzi pour affirmer que la consultation obligatoire de l’État membre concerné peut, en définitive, être considérée comme une expression particulière de la répartition des compétences entre les institutions et les États membres ou de l’équilibre institutionnel (« constitutionnel », je dirais) au sein de l’Union ( 68 ).

99.

Ainsi, dans le cadre de différents types de procédures, la Cour a jugé que le droit de l’État membre concerné d’être entendu est une formalité substantielle dont le non-respect entraîne ipso facto des conséquences aussi sérieuses que la nullité de la décision en cause ( 69 ) ou l’irrecevabilité du recours en manquement engagé à la suite d’une telle procédure ( 70 ).

100.

La situation d’un État membre concerné par une procédure de contrôle des aides d’État est comparable à celles mentionnées ci‑dessus ( 71 ). Cela milite donc en faveur de l’application d’une règle de procédure analogue dans le cas d’espèce, qui donne plus d’importance au droit d’être entendu, lequel est – après tout – un droit fondamental garanti par l’article 47 de la Charte.

101.

Il est de jurisprudence constante que, vu le rôle central que joue l’État membre concerné dans la procédure de contrôle des aides d’État ( 72 ), lorsque cet État membre n’a pas eu la possibilité de commenter les observations présentées par les tiers intéressés, la Commission ne peut pas les utiliser dans sa décision ultérieure ( 73 ).

102.

Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le Tribunal au point 47 de l’arrêt attaqué, il importe peu que l’État membre concerné réussisse à démontrer concrètement qu’en l’absence de violation de ce droit par la Commission, la décision de cette dernière concernant l’aide d’État aurait été différente ( 74 ).

103.

En effet, une telle condition est nécessairement spéculative et repose sur un certain nombre d’hypothèses. On voit mal quelle serait le niveau de preuve et le degré de précision exigés pour démontrer que la décision effectivement adoptée par la Commission et celle qu’elle aurait pu prendre en théorie auraient été différentes. Je suis persuadée qu’une telle condition ne peut raisonnablement servir de référence pour déterminer si le droit d’un État membre d’être entendu dans le cadre d’une procédure en matière d’aides d’État a été respecté.

104.

Une telle condition exigerait en fin de compte que l’État membre et la Cour se placent eux-mêmes dans la position de la Commission afin de tenter de prévoir si les observations que cet État membre aurait présentées, si la Commission lui en avait donné la possibilité, auraient modifié l’appréciation de l’affaire par cette dernière. J’imagine qu’il est probable que la Commission ferait valoir dans un tel cas que, de toute façon, les observations de l’État membre n’auraient pas modifié sa position, ce qui saperait encore davantage l’objectivité et donc la légitimité d’une telle condition ( 75 ).

105.

La Cour devrait plutôt rechercher, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises ( 76 ), si (et de manière objective), avant que la Commission n’adopte sa décision, l’État membre concerné a eu la possibilité effective de faire connaître son point de vue sur les documents obtenus par la Commission au soutien de son allégation de violation du droit de l’UE ainsi que sur les observations présentées par les tiers intéressés, et ayant servi de base à cette décision ( 77 ).

106.

J’en conclus que le non-respect par la Commission de cette obligation doit entraîner l’annulation de sa décision ordonnant la suppression ou la modification de l’aide en cause, dans la mesure où cette décision est fondée sur des éléments n’ayant pas été soumis pour observations à l’État membre concerné.

107.

À la lumière de ce qui précède et contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 48 et suivants de l’arrêt attaqué, la question de savoir si la décision modificative impose ou non de nouvelles obligations au Royaume d’Espagne est dénuée d’importance. L’argument du Royaume d’Espagne selon lequel le Tribunal a mal interprété l’article 1er de la décision initiale en le comparant avec l’article correspondant de la décision modificative est, par conséquent, tout aussi négligeable.

108.

J’ai indiqué précédemment qu’en adoptant la décision modificative la Commission a violé le droit du Royaume d’Espagne d’être entendu ( 78 ). À la lumière des considérations qui précèdent et à supposer que le moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne soit recevable, quod non, la nature de cette violation est telle qu’elle est susceptible d’entraîner l’annulation de cette décision.

109.

En omettant de statuer en ce sens, le Tribunal a commis une erreur de droit. Dans ces conditions, il y a donc lieu d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il concerne la décision modificative.

Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

110.

Je suis arrivée à la conclusion que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne considérant pas que la décision modificative est entachée de deux irrégularités (la violation, par la Commission, de l’obligation de motivation qui lui incombe ainsi que du droit du Royaume d’Espagne d’être entendu) et que, si le moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne est recevable, l’arrêt attaqué devrait être annulé pour ce motif.

111.

En vertu de l’article 61 du statut de la Cour de justice, lorsqu’elle annule la décision du Tribunal, la Cour de justice peut soit statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

112.

Étant donné que les irrégularités déjà évoquées entraînent en elles-mêmes l’annulation de la décision modificative, la Cour peut donc statuer définitivement sur le litige.

113.

Je propose donc à la Cour, si elle estime que le premier moyen du pourvoi est recevable, de faire droit à ce moyen, d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il concerne la décision modificative de la Commission et d’annuler également cette décision.

Sur les dépens

114.

La Cour m’ayant demandé de n’examiner que le seul premier moyen du pourvoi présenté par le Royaume d’Espagne, et étant donné que l’issue finale du pourvoi dépendra de la position qu’adoptera la Cour non seulement sur ce moyen, mais également sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi, je ne me prononcerai pas quant aux dépens dans cette affaire.

Conclusion

115.

Compte tenu de ce qui précède, et sans préjuger de l’appréciation que fera la Cour des deuxième et troisième moyens du pourvoi, je propose à la Cour de rejeter le premier moyen du pourvoi comme irrecevable.

116.

À titre subsidiaire, si la Cour devait estimer que ce moyen est recevable, il conviendrait alors que la Cour y fasse droit, annule l’arrêt attaqué en ce qu’il concerne la décision modificative et annule cette décision.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Arrêt du 15 décembre 2016, Espagne/Commission (T‑808/14, non publié, EU:T:2016:734) (ci‑après l’« arrêt attaqué »).

( 3 ) Décision C(2014) 6846 final de la Commission du 1er octobre 2014 relative à l’aide d’État SA.27408 [(C 24/10) (ex NN 37/10, ex CP 19/09)] accordée par les autorités de Castille-La Manche en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées [ci‑après la « décision C(2014) 6846 » ou la « décision initiale »].

( 4 ) Décision C(2015) 7193 final de la Commission, du 20 octobre 2015, corrigeant certaines erreurs contenues dans la décision C(2014) 6846 final [la « décision C(2015) 7193 » ou « la décision modificative »]. La version modifiée de la décision C(2014) 6846 a été publiée au JO 2016, L 222, p. 52, le 17 août 2016. La décision modificative C(2015) 7193 n’a pas fait l’objet d’une publication séparée.

( 5 ) Dans cette affaire, il apparaît que la Commission a omis d’entendre l’État membre concerné avant d’adopter une décision remplaçant sa décision antérieure en matière d’aides d’État.

( 6 ) Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9). Les considérants 17 et 18 de ce règlement insistent sur le droit des États membres concernés de participer à la procédure, et d’être entendus au cours de celle-ci.

( 7 ) Elle a également adopté une décision distincte pour le reste du territoire de l’Espagne : voir la décision de la Commission du 19 juin 2013 relative à l’aide d’État SA.28599 [C 23/10 (ex NN 36/10, ex CP 163/09)] accordée par le Royaume d’Espagne en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées (excepté en Castille-La Manche) (JO 2014, L 217, p. 52).

( 8 ) Enregistrée sous le numéro d’affaire T‑808/14.

( 9 ) Enregistrée sous le numéro d’affaire T‑36/15.

( 10 ) Afin d’atteindre ce résultat, la Commission a supprimé le second alinéa de l’article 1er de la décision initiale, éliminé la référence à Hispasat à l’article 3, paragraphe 1, et retiré toutes les mentions d’Hispasat dans le préambule de la décision (considérants 44, 45, 108, 113, 115, 118, 130, 170 et 198 à 200).

( 11 ) Souligné par mes soins.

( 12 ) Ordonnance du 14 janvier 2016, Hispasat/Commission (T‑36/15, non publiée, EU:T:2016:73).

( 13 ) Points 34 à 37.

( 14 ) Points 41 à 46.

( 15 ) Points 47 à 49.

( 16 ) Arrêt du 24 juillet 2003 (C‑280/00, EU:C:2003:415).

( 17 ) S’agissant d’une question d’ordre public, la Cour devrait l’examiner d’office même si aucune des parties ne l’a soulevée [voir, en ce sens, arrêts du 12 novembre 2015, Elitaliana/Eulex Kosovo (C‑439/13 P, EU:C:2015:753, points 37 et 38), et du 26 février 2015, Planet/Commission (C‑564/13 P, EU:C:2015:124, point 20)].

( 18 ) Les considérants 98, 131, 132, 146 et 165 rectifient les références croisées apparaissant dans le texte.

( 19 ) Les parties sont, sur ce point, fondamentalement en désaccord. L’interprétation correcte de la décision en cause est une question de droit. L’argument par lequel le Royaume d’Espagne conteste l’interprétation par le Tribunal de l’article 1er de la décision initiale est donc recevable dans le cadre du pourvoi [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Commission/Andersen (C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 74)].

( 20 ) Dans la décision initiale, au lieu de définir les bénéficiaires potentiels en termes généraux et abstraits, la Commission a opté pour l’identification de tous les bénéficiaires réels. La suppression d’Hispasat de cette catégorie a des implications évidentes non seulement pour la situation juridique du Royaume d’Espagne, puisqu’elle affecte la portée de son obligation de récupérer l’aide accordée, mais également pour celle de ce bénéficiaire, que la décision initiale concernait directement et individuellement, alors que ce n’est plus le cas dans la décision modificative.

( 21 ) Je reviendrai sur cette question aux points 67 à 69 des présentes conclusions.

( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2010, Commission/Portugal (C‑543/08, EU:C:2010:669, point 20 et jurisprudence citée).

( 23 ) La raison d’être de l’article 86 est double : premièrement, il serait contraire à une bonne administration de la justice et à l’exigence d’économie de la procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours devant la Cour et donc à engager une procédure séparée ; deuxièmement, il serait injuste que l’auteur de l’acte attaqué (en l’espèce, la Commission) puisse modifier l’acte attaqué devant la Cour ou le remplacer par un autre dans le but de faire échec à la procédure [voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76, point 8), et du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission (103/85, EU:C:1988:398, point 11)]. L’article 86 est la codification de la jurisprudence développée, récemment, dans le cadre des différends concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil et la Commission dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne. Voir, à titre d’exemple de cette jurisprudence, arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 26).

( 24 ) La jurisprudence antérieure à cette disposition, citée dans la note de bas de page précédente, n’exigeait pas un formalisme élevé. Le requérant était en particulier autorisé à modifier sa requête lors de l’audience. Voir, à titre d’exemple, arrêts du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401, point 35) ; du 12 mai 2015, Ternavsky/Conseil (T‑163/12, non publié, EU:T:2015:271, point 36), et du 5 octobre 2017, Ben Ali/Conseil (T‑149/15, non publié, EU:T:2017:693, point 57).

( 25 ) Arrêt du 9 novembre 2017, HX/Conseil (C‑423/16 P, EU:C:2017:848, point 23).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76, point 8). Voir également, pour un exemple dans lequel le Tribunal a fait application de cette jurisprudence : ordonnance du 18 juillet 2016, Arbuzov/Conseil (T‑195/16, non publiée, EU:T:2016:445, point 20 et jurisprudence citée).

( 27 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 juin 2010, Commission/Espagne (C‑211/08, EU:C:2010:340, point 32), et arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 66).

( 28 ) L’article 86 du règlement de procédure fonctionne à cet égard comme une lex specialis par rapport à l’article 84 : lorsqu’une partie cherche à aller plus loin et à modifier l’objet d’un litige au cours de la procédure, elle doit satisfaire aux conditions plus strictes énoncées à l’article 86.

( 29 ) L’article 86 du règlement de procédure est entré en vigueur le 24 avril 2015 et est donc applicable à l’examen des effets de la production du moyen nouveau présenté par le Royaume d’Espagne le 23 décembre 2015.

( 30 ) Points 36 in fine et 37 de l’arrêt attaqué.

( 31 ) Voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, EU:C:2005:761, point 45).

( 32 ) Voir, à cet égard, arrêt du 8 juillet 1965, Krawczynski/Commission (83/63, EU:C:1965:70, point 2).

( 33 ) Voir, par analogie, arrêt du 25 septembre 1979, Commission/France (232/78, EU:C:1979:215, point 3).

( 34 ) Ordonnance du 12 février 2015, Meister/Commission (C‑327/14 P, non publiée, EU:C:2015:99, points 14 à 16 et jurisprudence citée).

( 35 ) Contrairement à ce qui fut le cas dans l’affaire HX/Conseil (arrêt du 9 novembre 2017, C‑423/16 P, EU:C:2017:848, point 21). Il convient cependant de dire que les faits du litige étaient substantiellement différents. Ce n’est qu’à l’audience que le représentant de HX a appris l’existence de l’acte (d’application générale) modifiant l’acte attaqué dans la requête introductive d’instance. Il avait été amené à croire (par une version du règlement de procédure dans la langue de procédure dont la formulation était imprécise) qu’aucun document écrit n’était requis pour adapter ses conclusions, aussi avait-il donc omis de confirmer par écrit sa volonté de procéder à ladite adaptation, volonté qu’il avait formulée plus tôt lors de cette audience. La Cour a considéré qu’il incombait au Tribunal de signaler son erreur au requérant et de le mettre en mesure de la rectifier.

( 36 ) La décision attaquée a été adoptée le 20 octobre 2015. Le Royaume d’Espagne a présenté son moyen nouveau le 23 décembre 2015, c’est-à-dire, pendant les vacances judiciaires de Noël du Tribunal. Le délai avait donc expiré avant même que le Tribunal n’ait pu reprendre ses activités au début du mois de janvier 2016.

( 37 ) Dans les conclusions qu’elle a présentées dans l’affaire Spliethoff’s Bevrachtingskantoor/Commission (C‑635/16 P, EU:C:2018:28, point 67), l’avocat général Kokott a considéré que le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective peut être invoqué pour interpréter de manière extensive le champ d’application d’un recours en annulation. Les faits du présent litige sont différents et ce droit ne peut être invoqué en l’espèce afin d’atténuer les effets de l’article 86.

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 125 et 126).

( 39 ) Arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a. (C‑272/12 P, EU:C:2013:812, points 27 et 28).

( 40 ) Ces deux questions relèvent de l’ordre public. La Cour devrait les relever et, si nécessaire, les examiner d’office [voir, concernant la compétence de l’auteur de l’acte en cause, arrêt du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission (C‑210/98 P, EU:C:2000:397, point 56 et jurisprudence citée) ; et concernant l’obligation de motivation, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a. (C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 34 et jurisprudence citée)].

( 41 ) Voir point 40 de l’arrêt attaqué.

( 42 ) Voir, en ce sens, Heidenhain, M., European State Aid Law, Handbook, Munich : Beck/Oxford : Hart, 2010, chapitre 31, point 58.

( 43 ) Cet objectif est clairement énoncé au considérant 21 du règlement 2015/1589.

( 44 ) Voir point 37 des présentes conclusions.

( 45 ) Voir point 80 des présentes conclusions.

( 46 ) Voir points 86 à 89 des présentes conclusions.

( 47 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 1994, France/Commission (C‑41/93, EU:C:1994:196, point 37).

( 48 ) Voir point 46 des présentes conclusions et jurisprudence citée.

( 49 ) JO 2010, C 83, p. 389 (ci-après la « Charte »).

( 50 ) Arrêt du 29 juin 1994, Fiskano/Commission (C‑135/92, EU:C:1994:267, point 39 et jurisprudence citée) (souligné par mes soins).

( 51 ) Arrêt du 18 octobre 2007, Commission/France (C‑441/06, EU:C:2007:616, point 28).

( 52 ) Voir point 38 des présentes conclusions.

( 53 ) Si la Commission avait révoqué la décision initiale et l’avait remplacée par une nouvelle décision, cela serait apparu au premier coup d’œil. Le fait que la Commission a choisi une technique différente et a modifié la décision initiale pour parvenir au même résultat ne saurait affecter la qualification de la décision modificative d’acte faisant grief au Royaume d’Espagne.

( 54 ) Voir point 36 des présentes conclusions.

( 55 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cosmas dans l’affaire Allemagne/Commission (C‑288/96, EU:C:1999:239, point 62).

( 56 ) Voir arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 173 et 174) (ci‑après l’« arrêt Gibraltar »), et du 16 décembre 2010, Pays-Bas et NOS/Commission (T‑231/06 et T‑237/06, EU:T:2010:525, point 44). Voir également Hancher, L., Salerno, F. M., Schütte, M., « The Different Stages in the State Aid Procedure », State Aid Law of the European Union, Oxford University Press, 2016, p. 372.

( 57 ) Arrêt du 24 novembre 2011, Italie/Commission (C‑458/09 P, non publié, EU:C:2011:769, point 58), et arrêt Gibraltar, point 177.

( 58 ) Voir arrêt du 21 janvier 1999, Neue Maxhütte Stahlwerke et Lech-Stahlwerke/Commission (T‑129/95, T‑2/96 et T‑97/96, EU:T:1999:7, points 230 et 231).

( 59 ) Arrêt du 8 juillet 2004, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission (T‑198/01, EU:T:2004:222, point 156).

( 60 ) Voir, par analogie, arrêt du 12 novembre 1998, Espagne/Commission (C‑415/96, EU:C:1998:533, point 31). En fonction des effets juridiques des modifications apportées par la nouvelle décision, il peut être possible de se passer de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen. Voir, en ce sens, Heidenhain, M., European State Aid Law Handbook, Munich : Beck/Oxford : Hart, 2010, chapitre 31, point 58.

( 61 ) Une telle obligation existerait, en principe, si la décision initiale avait été fondée sur des informations inexactes (dans un tel cas, la Commission devrait d’abord compléter le dossier administratif en procédant à un examen supplémentaire conformément à l’article 11 du règlement 2015/1589) ou si le cadre juridique avait évolué depuis la présentation de ces observations [voir arrêt du 8 mai 2008, Ferriere Nord/Commission (C‑49/05 P, non publié, EU:C:2008:259, points 68 à 71)].

( 62 ) Je relève qu’un seul des arrêts cités par cette juridiction concernait le droit d’être entendu : les autres portaient sur des formalités procédurales distinctes (non substantielles).

( 63 ) Arrêt du 20 octobre 1987, Espagne/Commission (128/86, EU:C:1987:447, point 25).

( 64 ) Voir les conclusions de l’avocat général Fennelly dans les affaires Commission/ICI (C‑286/95 P et C‑287/95 P, EU:C:1999:578, points 22 à 26).

( 65 ) Voir, par exemple, arrêt du 6 avril 2000, Commission/ICI (C‑286/95 P, EU:C:2000:188, points 42 et 52).

( 66 ) Arrêts du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission (209/78 à 215/78 et 218/78, non publié, EU:C:1980:248, point 47) (divulgation prétendument fautive par la Commission de certains documents), et du 25 octobre 2005, Allemagne et Danemark/Commission (C‑465/02 et C‑466/02, EU:C:2005:636, points 36 et 37) (absence d’une version allemande de deux annexes au cours de la procédure). En ce qui concerne la différence entre ces deux catégories d’irrégularités de procédure, voir les conclusions de l’avocat général Fennelly dans les affaires Commission/ICI (C‑286/95 P et C‑287/95 P, EU:C:1999:578, points 27 à 29).

( 67 ) Je ne suis d’ailleurs pas la première à être confrontée à cette difficulté et à me prononcer en ce sens. Voir les conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Bensada Benallal, (C‑161/15, EU:C:2016:3, points 72 à 100, en particulier le point 92, et jurisprudence citée). Les juridictions de l’UE ont constamment qualifié le droit d’être entendu comme une formalité substantielle [voir, par exemple, arrêts du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission (T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57, point 141), et du 9 juillet 2003, Vlaams Fonds voor de Sociale Integratie van Personen met een Handicap/Commission (T‑102/00, EU:T:2003:192, points 84 à 86)]. À plusieurs autres occasions, la jurisprudence a néanmoins fait référence à la nécessité de démontrer si, en l’absence d’une telle infraction, le résultat aurait pu être différent [voir, par exemple, arrêt du 8 juillet 2004, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission (T‑198/01, EU:T:2004:222, point 203), confirmé par la Cour, sur pourvoi, par l’arrêt du 11 janvier 2007, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission (C‑404/04 P, non publié, EU:C:2007:6, point 131)].

( 68 ) Voir les conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:3, point 82).

( 69 ) Voir, dans le contexte d’une décision de réduction d’un concours financier accordé par le Fonds social européen, arrêts du 7 mai 1991, Interhotel/Commission (C‑291/89, EU:C:1991:189, point 17) ; du 4 juin 1992, Infortec/Commission (C‑157/90, EU:C:1992:243, point 20) ; et du 25 mai 1993, IRI/Commission (C‑334/91, EU:C:1993:211, point 25). Voir également, dans le cadre du contrôle, conformément à l’article 106, point 3, TFUE, des droits spéciaux accordés à des entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général, arrêt du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission (C‑48/90 et C‑66/90, EU:C:1992:63, points 46 à 49).

( 70 ) Voir arrêt du 14 avril 2011, Commission/Roumanie (C‑522/09, EU:C:2011:251, point 16 et jurisprudence citée).

( 71 ) Il est, en particulier, de jurisprudence constante que cette procédure n’est qu’une variante du recours en manquement, adaptée de manière spécifique aux problèmes particuliers que présentent les aides étatiques pour la concurrence dans le marché intérieur [voir, par exemple, arrêt du 3 juillet 2001, Commission/Belgique (C‑378/98, EU:C:2001:370, point 24 et jurisprudence citée)]. De même, la Cour a expressément confirmé l’analogie entre la situation juridique de l’État membre concerné dans une procédure d’infraction et celle de l’État membre concerné dans une procédure d’ajustement de l’aide financière [voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Commission/Allemagne (C‑160/08, EU:C:2010:230, points 41 et 42)].

( 72 ) Voir, par exemple, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau (C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 57). Le Tribunal a clairement expliqué la nature de ces procédures (bilatérales) et la situation de l’État membre concerné dans son arrêt du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission (T‑228/99 et T‑233/99, EU:T:2003:57, points 140 et 141). Il va sans dire que la situation d’un État membre est fondamentalement différente de celle de toute autre partie intéressée par une telle procédure.

( 73 ) Voir arrêts du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission (C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, point 81), et du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau (C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 57).

( 74 ) Selon moi, on ne peut exclure a priori que les arguments que le Royaume d’Espagne aurait pu faire valoir, si la possibilité lui en avait été donnée, auraient pu influencer le contenu de la décision modificative.

( 75 ) Admettre un tel argument conduirait à un autre dilemme : celui de savoir si une telle déclaration serait contraignante pour la Cour, ou si celle-ci devrait plutôt déterminer elle-même si la Commission aurait dû modifier sa position à la lumière des observations des États membres ? Dans l’affirmative, sur quels critères une telle appréciation devrait-elle être fondée ?

( 76 ) Dans le contexte des aides d’État, la Cour a effectivement appliqué une règle plus stricte (le non-respect du droit d’être entendu entraînant automatiquement l’annulation de l’acte) à de nombreuses reprises [voir, par exemple, arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission (234/84, EU:C:1986:302, point 30) ; du 8 mars 1988, Exécutif régional wallon et Glaverbel/Commission (62/87 et 72/87, EU:C:1988:132, points 37 et 38) ; du 10 mai 2005, Italie/Commission (C‑400/99, EU:C:2005:275, points 29 à 34) ; ainsi que l’arrêt Gibraltar, précité, point 179). À plusieurs autres occasions, bien qu’elle se soit référée à l’obligation supplémentaire de démontrer que la décision de la Commission aurait été différente si l’État membre avait eu la possibilité de présenter ses observations, la Cour semble néanmoins avoir appliqué cette règle plus stricte. En effet, dans ces affaires, le droit d’être entendu n’avait pas été violé en pratique (soit parce que les documents non soumis à l’État membre concerné pour observations ne contenaient pas d’éléments de fond, soit parce que la décision de la Commission n’était pas fondée sur les informations contenues dans ces documents). La Cour a ainsi aisément pu en conclure que les irrégularités procédurales dénoncées n’étaient pas susceptibles d’avoir eu une quelconque influence sur l’issue de la procédure administrative. Je crois comprendre que cette conclusion n’était qu’une simple conséquence du respect de la règle applicable plutôt qu’une condition autonome supplémentaire de la conformité à cette règle [voir arrêts du 11 novembre 1987, France/Commission (259/85, EU:C:1987:478, point 13) ; du 14 février 1990, France/Commission (C‑301/87, EU:C:1990:67, point 31) ; du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, EU:C:1990:125, point 48) ; et du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission (C‑288/96, EU:C:2000:537, points 99 à 106)].

( 77 ) Voir arrêt Gibraltar, précité, point 165 et jurisprudence citée. Voir également Dony, M., Contrôle des aides d’État, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2006, p. 357.

( 78 ) Voir point 92 des présentes conclusions.