CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 27 avril 2017 ( 1 )

Affaire C‑184/16

Ovidiu-Mihaita Petrea

contre

Ypourgou Esoterikon kai Dioikitikis Anasygrotisis

[demande de décision préjudicielle formée par Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis (tribunal administratif de première instance de Thessalonique, Grèce)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Séjour d’un citoyen d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre malgré une décision antérieure d’éloignement du territoire – Légalité d’une décision de retrait de l’attestation d’enregistrement et d’une deuxième décision d’éloignement du territoire »

I. Introduction

1.

Un citoyen d’un État membre qui pénètre sur le territoire d’un autre État membre, où il obtient une attestation d’enregistrement en tant que citoyen de l’Union nonobstant le fait qu’il avait été visé par une interdiction du territoire par cet État membre d’accueil, peut-il être éloigné dudit territoire sans que sa situation soit réexaminée conformément aux dispositions de la directive 2004/38/CE ( 2 ) ?

2.

Par le présent renvoi préjudiciel, la Cour sera amenée à préciser la portée des garanties procédurales et des mesures protectrices prévues par la directive 2004/38 au stade d’une deuxième décision d’éloignement d’un citoyen de l’Union alors que ce dernier faisait déjà l’objet d’une décision définitive d’interdiction du territoire.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3.

La directive 2004/38 fixe, à ses articles 4, 5 et 6 à 13, les conditions d’exercice de certains droits qui découlent de la citoyenneté de l’Union, à savoir les droits de sortie, d’entrée et de séjour.

4.

Cette directive dispose à son article 8, intitulé « Formalités administratives à charge des citoyens de l’Union », paragraphe 1 :

« Sans préjudice de l’article 5, paragraphe 5, pour des séjours d’une durée supérieure à trois mois, l’État membre d’accueil peut imposer aux citoyens de l’Union de se faire enregistrer auprès des autorités compétentes ».

5.

En revanche, les articles 27, 28, et 30 à 32 de cette directive, qui figurent au chapitre VI, intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique », prévoient :

« Article 27

Principes généraux

1.   Sous réserve des dispositions du présent chapitre, les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.

2.   Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures.

Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues.

[…]

Article 28

Protection contre l’éloignement

1.   Avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, l’État membre d’accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

[…]

Article 30

Notification des décisions

1.   Toute décision prise en application de l’article 27, paragraphe 1, est notifiée par écrit à l’intéressé dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets.

[…]

Article 31

Garanties procédurales

1.   Les personnes concernées ont accès aux voies de recours juridictionnelles et, le cas échéant, administratives dans l’État membre d’accueil pour attaquer une décision prise à leur encontre pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

[…]

3.   Les procédures de recours permettent un examen de la légalité de la décision ainsi que des faits et circonstances justifiant la mesure envisagée. Elles font également en sorte que la décision ne soit pas disproportionnée, notamment par rapport aux exigences posées par l’article 28.

4.   Les États membres peuvent refuser la présence de l’intéressé sur leur territoire au cours de la procédure de recours, mais ils ne peuvent pas lui interdire de présenter ses moyens de défense en personne, sauf si sa comparution risque de provoquer des troubles graves à l’ordre et à la sécurité publics ou lorsque le recours porte sur un refus d’entrer sur le territoire.

Article 32

Effets dans le temps d’une interdiction du territoire

1.   Les personnes faisant l’objet d’une décision d’interdiction du territoire pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique peuvent introduire une demande de levée de l’interdiction d’accès au territoire après un délai raisonnable, en fonction des circonstances, et en tout cas après trois ans à compter de l’exécution de la décision définitive d’interdiction qui a été valablement prise au sens du droit communautaire, en invoquant des moyens tendant à établir un changement matériel des circonstances qui avaient justifié la décision d’interdiction du territoire à leur encontre.

L’État membre concerné se prononce sur cette demande dans un délai de six mois à compter de son introduction.

2.   Les personnes visées au paragraphe 1 n’ont aucun droit d’accès au territoire de l’État membre concerné pendant l’examen de leur demande ».

B. Le droit grec

6.

Le décret présidentiel 106/2007 sur la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille sur le territoire grec (FEK A’ 135/2007) a transposé en droit grec la directive 2004/38. L’article 8, paragraphe 1, de ce décret stipule :

« Les citoyens de l’Union devant séjourner en Grèce pour une durée excédant les trois mois à compter de leur date d’arrivée sont tenus, une fois écoulée la période de trois mois, de se présenter en personne auprès des autorités de police compétentes pour les étrangers, aux fins de leur enregistrement. Ces autorités procèdent à l’enregistrement et délivrent immédiatement une attestation d’enregistrement […]».

7.

Les articles 22, 23 et 24 du décret présidentiel 106/2007 transposent, respectivement, les articles 28, 33, 30 et 31 de la directive 2004/38, tandis que l’article 21, paragraphe 6, de ce décret transpose l’article 32, paragraphe 2, de cette directive.

8.

La loi 3907/2011 (FEK A’ 7/26.1.2011) transpose la directive 2008/115/CE ( 3 ), qui s’applique exclusivement aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. Néanmoins, cette loi prévoit, à son article 40, paragraphes 1 et 2 :

« 1.   En ce qui concerne l’éloignement des personnes qui jouissent du droit à la libre circulation conformément à l’article 2, paragraphe 5, du code des frontières Schengen et aux dispositions du décret présidentiel 106/2007, sont applicables les dispositions du chapitre I de la présente loi relatives aux organes, aux procédures et aux garanties procédurales, sous réserve que les articles 22 à 24 du décret présidentiel 106/2007 ne contiennent pas de dispositions plus favorables.

2.   Concernant les conditions et modalités pour ordonner une mesure d’éloignement du territoire à l’encontre des personnes visées au paragraphe 1, les articles 22 à 24 du décret présidentiel 106/2007 continuent à s’appliquer ».

III. Les faits au principal

9.

M. Ovidiu-Mihaita Petrea, un ressortissant roumain, a été condamné par le tribunal grec en octobre 2011 à une peine d’emprisonnement de huit mois assortie d’un sursis de trois ans pour le délit qu’il avait commis, à savoir un vol en réunion.

10.

Par la suite, en vertu d’une décision du 30 octobre 2011 (ci-après la « décision de 2011 »), il a été ordonné à M. Petrea de retourner dans son pays d’origine pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique. Par cette même décision, M. Petrea a été inscrit au registre national des étrangers indésirables et dans le système d’information Schengen jusqu’au 30 octobre 2018.

11.

M. Petrea a été informé par les autorités grecques de ses droits et des voies de recours disponibles ainsi que de la possibilité de demander la traduction des passages essentiels de la décision de 2011.

12.

M. Petrea a rédigé une déclaration par laquelle il se désistait de tout recours en confirmant qu’il souhaitait retourner dans son pays d’origine. Son éloignement s’est effectivement produit le 5 novembre 2011.

13.

Le 1er septembre 2013, M. Petrea est revenu en Grèce où, le 25 septembre 2013, il a introduit une demande d’attestation d’enregistrement en tant que citoyen de l’Union. Les autorités grecques ont accueilli cette demande et ont délivré l’attestation en question à M. Petrea le même jour.

14.

Cette attestation d’enregistrement – comme le gouvernement grec l’a admis pendant la procédure devant la Cour – a été délivrée par erreur.

15.

Par acte administratif du 14 octobre 2014 du commandant délégué du Tmima Allodapon Dytikis Thessalonikis (service de police des étrangers pour le secteur Ouest de Thessalonique), ladite attestation a été révoquée. En vertu du même acte, M. Petrea a été visé par une décision de retour. Cette décision a été prise au motif qu’il avait séjourné sur le territoire grec alors qu’il était encore inscrit au registre national des étrangers indésirables en vertu de la décision de 2011.

16.

Le requérant a introduit un recours contre l’acte administratif de 2014, en invoquant que la décision de 2011 concernant l’interdiction du territoire ne lui avait pas été notifiée dans une langue qu’il comprenait. M. Petrea a fait valoir que, n’ayant pas commis de délit après qu’il a été condamné en 2011, il ne représentait pas à ce stade un danger pour l’ordre public et la sécurité publique.

17.

Le recours introduit par M. Petrea a été rejeté par la décision du 10 novembre 2014 du directeur de la Diefthynsi Allodapon Thessalonikis (Direction des étrangers de Thessalonique). Cette décision a été motivée par le fait que le requérant représentait une menace pour l’ordre public et la sécurité publique pour avoir violé l’interdiction du territoire. En ce qui concerne l’argument tiré du défaut de notification de la décision de 2011, cette autorité grecque a indiqué que les omissions au stade de la notification de cette décision auraient pu hypothétiquement constituer un motif d’annulation si ladite décision avait été contestée. En revanche, elles ne sauraient être invoquées pour contester l’acte administratif de 2014.

18.

M. Petrea a introduit un recours en annulation de la décision de 2014 devant la juridiction de renvoi.

IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

19.

C’est dans ce contexte que le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis (tribunal administratif de première instance de Thessalonique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les articles 27 et 32 de la [directive 2004/38], interprétés à la lumière des articles 45 et 49 TFUE – compte tenu également de l’autonomie procédurale des États membres et des principes de la confiance légitime et de la bonne administration – doivent-ils être interprétés en ce sens que sont imposées ou autorisées la révocation de l’attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union qui avait précédemment été délivrée au ressortissant d’un autre État membre en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du décret présidentiel 106/2007, ainsi que l’adoption par l’État d’accueil d’une mesure de retour à l’encontre de cet individu, dans un cas de figure où, nonobstant le fait qu’il avait été inscrit au registre national des étrangers indésirables lorsqu’il avait fait l’objet d’une mesure d’interdiction du territoire pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique, l’individu est de nouveau entré sur le territoire de l’État membre concerné et a entamé une activité commerciale sans suivre la voie de recours – prévue par l’article 32 de la [directive 2004/38] – consistant à demander la levée de l’interdiction du territoire, cette interdiction du territoire étant érigée en un motif d’ordre public autonome qui justifie la révocation de l’attestation d’enregistrement d’un citoyen d’un État membre ?

2)

En cas de réponse affirmative à la question précédente : ce cas de figure est-il identique à un cas de séjour irrégulier du citoyen d’un État membre sur le territoire de l’État membre d’accueil, ce qui permettrait l’adoption – conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la [directive 2008/115] – d’une décision de retour par l’autorité compétente pour révoquer l’attestation d’enregistrement, nonobstant le fait que, d’une part, ainsi qu’il est communément admis, l’attestation d’enregistrement ne constitue pas un titre légal de séjour dans le pays et que, d’autre part, seuls les ressortissants de pays tiers entrent dans le champ d’application ratione personae de la [directive 2008/115] ?

3)

En cas de réponse négative à cette même question : lorsque les autorités nationales, agissant dans le cadre de l’autonomie procédurale de l’État membre d’accueil révoquent pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique l’attestation d’enregistrement d’un citoyen d’un autre État membre, laquelle ne constitue pas un titre légal de séjour dans le pays, imposent simultanément à cet individu une mesure de retour, y a-t-il lieu de considérer qu’il s’agit là, selon une qualification juridique correcte, d’un seul et unique acte administratif d’éloignement administratif au titre des articles 27 et 28 de la [directive 2004/38] qui est soumis à un contrôle juridictionnel selon les modalités fixées par ces dispositions, lesquelles instituent une procédure potentiellement exclusive d’éloignement administratif de citoyens de l’Union du territoire de l’État membre d’accueil ?

4)

En cas de réponse affirmative ou négative aux première et deuxième questions préjudicielles : le principe d’effectivité s’oppose-t-il à une pratique jurisprudentielle nationale qui interdit aux autorités administratives puis aux juridictions compétentes saisies du litige d’examiner – dans le cadre de la révocation d’une attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union ou dans le cadre de l’adoption par l’État membre d’accueil d’une mesure d’éloignement motivée par l’existence d’une interdiction de territoire à l’encontre du ressortissant de l’autre État membre – dans quelle mesure les garanties procédurales des articles 30 et 31 de la [directive 2004/38] ont été respectées lors de l’adoption de la décision d’interdiction du territoire ?

5)

En cas de réponse affirmative à la question précédente : l’article 32 de la [directive 2004/38] fait-il naître pour les autorités administratives compétentes de l’État membre une obligation de notifier au ressortissant concerné d’un autre État membre dans tous les cas, et indépendamment du fait que l’intéressé le demande ou non, la décision de son éloignement dans une langue qu’il comprend, afin qu’il puisse valablement exercer les droits procéduraux conférés par lesdites dispositions de cette directive ? »

20.

Des observations écrites ont été déposées par le requérant au principal, les gouvernements grec, belge et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ainsi que par la Commission. M. Petrea, les gouvernements grec, danois, du Royaume-Uni et la Commission ont comparu lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 2 février 2017.

V. Analyse

A. Sur la première question préjudicielle

21.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un citoyen de l’Union, qui est entré sur le territoire d’un autre État membre que celui dont il est ressortissant et où il a obtenu une attestation d’enregistrement nonobstant le fait qu’il avait été antérieurement visé par une décision d’interdiction du territoire de cet État membre – et sans avoir suivi la voie de recours prévue à l’article 32 de la directive 2004/38 – devait (ou pouvait) voir cette attestation d’enregistrement révoquée et être visé par une autre mesure de retour.

1.   La révocation de l’attestation d’enregistrement et l’adoption d’une mesure de retour sont-elles imposées par la directive 2004/38 ?

22.

En ce qui concerne la question de savoir si la directive 2004/38 impose à un État membre l’obligation de révoquer une attestation d’enregistrement et d’adopter une mesure de retour, je vais analyser les deux aspects de cette question séparément et commencer par l’analyse relative à l’adoption d’une mesure de retour. Par la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité de considérer la révocation d’une attestation d’enregistrement et l’adoption d’une mesure de retour comme un seul et unique acte administratif. Toutefois, étant donné que la directive 2004/38 ne reconnaît pas un acte unique portant, d’une part, sur la révocation d’une attestation et, d’autre part, sur l’adoption d’une mesure de retour, une telle analyse séparée me permettra d’identifier, dans le cadre de cette directive, une source potentielle d’une obligation de prendre ces deux types de mesures.

23.

Je note que seule la Commission a explicitement abordé ce problème dans ses observations écrites, en proposant d’apporter une réponse négative au motif que cette obligation ne ressort pas de la directive 2004/38.

24.

En ce qui concerne la question de savoir si, en vertu du droit de l’Union, un État membre est tenu d’adopter une mesure de retour dans les circonstances telles que celles de l’affaire au principal, je suis d’avis que la directive 2004/38 n’impose pas une telle obligation. Je note que le libellé de l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38 concerne uniquement la « possibilité » de restreindre la liberté de circulation et de séjour et, en tout état de cause, n’est pas formulé dans des termes qui pourraient indiquer l’existence d’une telle obligation.

25.

Si les États membres ne sont pas tenus d’éloigner un individu qui a violé une interdiction du territoire, en va-t-il de même pour ce qui est de révoquer une attestation d’enregistrement en tant que citoyen de l’Union ?

26.

J’observe que la directive 2004/38 ne contient pas de dispositions imposant l’obligation d’annuler une telle attestation. C’est donc à chaque État membre qu’il appartient d’adopter les règles relatives à l’obligation de révoquer une attestation délivrée par erreur.

27.

Au vu de ce qui précède, aucune obligation relative à la révocation d’une attestation d’enregistrement et à l’adoption d’une mesure de retour ne ressort de la directive 2004/38.

2.   La révocation de l’attestation d’enregistrement et l’adoption d’une mesure de retour sont-elles autorisées par la directive 2004/38 ?

28.

Il y a lieu d’examiner si, dans la situation où une personne a pénétré sur le territoire d’un État membre nonobstant le fait qu’elle avait été visée par une décision d’interdiction du territoire adoptée par les autorités de cet État membre, la révocation d’une attestation d’enregistrement et l’adoption d’une mesure de retour sont autorisées en vertu des articles 45 et 49 TFUE, des articles 27 et 32 de la directive 2004/38 ainsi que des principes de la confiance légitime et de la bonne administration.

29.

Il me semble que, par cette question, la juridiction de renvoi cherche à établir si une telle personne peut être visée par une mesure de retour sans un réexamen des conditions prévues aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38, quand bien même cette dernière disposition n’est pas mentionnée dans la première question préjudicielle ( 4 ).

30.

À cet égard, les gouvernements grec, belge et du Royaume-Uni ainsi que la Commission ont avancé que, dès lors qu’une décision d’interdiction du territoire a été adoptée conformément aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38, seule une demande de levée de l’interdiction, valablement introduite en application de l’article 32 de cette directive, entraîne l’obligation pour l’État membre d’accueil d’effectuer un nouvel examen au titre des articles 27 et 28 de ladite directive. M. Petrea conteste une telle interprétation du droit de l’Union.

a)   Les libertés conférées aux citoyens de l’Union en vertu des articles 45 et 49 TFUE

31.

À titre liminaire, je note que, en adoptant la directive 2004/38, le législateur de l’Union - en abandonnant une approche sectorielle ( 5 ) - a établi un cadre général en ce qui concerne l’exercice du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, conféré aux citoyens de l’Union par l’article 21, paragraphe 1, TFUE. Cette directive a été adoptée, notamment, sur le fondement des articles 40 et 44 du traité CE qui concernaient, respectivement, les mesures visant à réaliser la libre circulation des travailleurs (article 39 TCE et article 45 TFUE) et la liberté d'établissement (article 43 TCE et article 49 TFUE).

32.

La directive 2004/38 vise à faciliter l’exercice du droit de circulation et de séjour et à renforcer ce droit ( 6 ). Cependant, ce droit n’est pas inconditionnel et peut être assorti des limitations et des conditions prévues par le traité FUE ainsi que par les dispositions prises pour son application ( 7 ), notamment celles pour l’application des articles 45 et 49 TFEU ( 8 ), ainsi que de l’article 21 TFEU, à savoir la directive 2004/38 ( 9 ).

33.

Le droit de circulation et de séjour des citoyens de l’Union, qui bénéficient des libertés visées aux articles 45 et 49 TFUE, est ainsi susceptible d’être limité dans la mesure prévue par la directive 2004/38.

b)   L’appréciation des effets de l’interdiction du territoire dans le cadre de la directive 2004/38

34.

Tout d’abord, il convient de souligner que l’interdiction du territoire est une mesure restrictive reconnue par la directive 2004/38.

35.

Il ressort de l’article 27 de la directive 2004/38, lu à la lumière de l’article 32 de cette directive, que des mesures d’interdiction du territoire ne sont, en principe, pas contraires au droit de l’Union, à condition qu’elles soient adoptées uniquement pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, qu’elles n’aient pas un caractère illimité et qu’elles soient susceptibles d’être levées conformément à l’article 32 de la directive 2004/38.

36.

Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 31, paragraphe 4, de la directive 2004/38, les États membres peuvent refuser la présence de l’intéressé sur leur territoire au cours de la procédure de recours dirigée contre une mesure restreignant ses droits en vertu de cette directive. Cependant, une personne visée par une telle mesure peut demander à être entendue en personne par le juge compétent. On pourrait arguer que, pendant la procédure de recours, la présence de l’individu doit donc être tolérée afin de lui permettre de bénéficier d’un procès équitable et de faire valoir tous ses moyens de défense ( 10 ).

37.

En revanche, selon l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2004/38, les personnes visées par une interdiction du territoire n’ont aucun droit d’accès au territoire de l’État membre concerné pendant l’examen de leur demande de levée de cette interdiction.

38.

Il y a lieu d’observer que, dans l’espace Schengen – à défaut de contrôles systématiques à l’intérieur de l’Union – il est difficile de contrôler le respect des mesures d’interdiction du territoire par les citoyens de l’Union. Une personne visée par ce type de mesure peut donc essayer d’entrer sur le territoire de l’État membre concerné. Dans l’hypothèse où les autorités de cet État membre seraient tenues d’évaluer à nouveau si l’individu peut être éloigné pour des raisons d’ordre public, la situation d’une personne concernée par une interdiction du territoire serait la même que celle d’un citoyen de l’Union qui n’aurait pas été visé par ce type de mesure. Aux fins de fermer la voie à un tel « abus» ( 11 ) éventuel, dans le cadre de la directive 2004/38, une mesure d’interdiction du territoire vise à restreindre totalement le droit d’entrée ( 12 ) ainsi que le droit de séjour pour une période déterminée.

39.

Aux fins de supprimer les effets d’une telle interdiction, de rétablir ses droits d’entrée sur le territoire de l’État membre concerné, ainsi que de régulariser son séjour, l’intéressé doit introduire, conformément de l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2004/38, une demande de levée de l’interdiction.

c)   La portée de l’article 27 de la directive 2004/38

1) La révocation d’une attestation d’enregistrement

i) Les effets juridiques d’une attestation d’enregistrement

40.

Faut-il considérer que la délivrance de l’attestation d’enregistrement en 2013 a supprimé les effets juridiques de la décision d’interdiction du territoire adoptée en 2011 et, par suite, qu’il était nécessaire d’examiner si les conditions prévues à l’article 27, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/38 étaient réunies aux fins de limiter à nouveau les droits de M. Petrea ?

41.

Selon une jurisprudence constante découlant de l’arrêt Royer, les droits des ressortissants d’un État membre d’entrer sur le territoire d’un autre État membre et d’y séjourner découlent du droit primaire de l’Union et sont donc acquis indépendamment de toute formalité administrative ( 13 ). Cette approche a récemment été réaffirmée dans l’arrêt Dias ( 14 ).

42.

Certes, cette position a été prise en faisant référence à un cadre juridique antérieur dans lequel ces droits étaient octroyés uniquement aux ressortissants des États membres qui exerçaient une activité économique dans un contexte transfrontalier. Cependant, je considère que la même approche doit être suivie après l’entrée en vigueur traité de Maastricht, en vertu duquel le concept de citoyenneté européenne a été introduit au sein du traité CE.

43.

En adoptant la directive 2004/38, le législateur européen n’a pas entendu instaurer un nouveau système. Il visait au contraire à consolider et à codifier des principes existants qui découlent des textes et de la jurisprudence de la Cour ( 15 ).

44.

Le projet initial de la directive 2004/38 indiquait que le « droit de séjour est alors constaté par la délivrance immédiate d’une attestation d’enregistrement» ( 16 ). Néanmoins, il peut être déduit de l’exposé des motifs de la proposition de directive 2004/38 que l’attestation d’enregistrement visée à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive – tout comme la carte de séjour dans l’arrêt Royer – constitue uniquement un acte déclaratoire d’un droit préexistant. La volonté de suivre la jurisprudence de la Cour relative au caractère juridique de cette attestation a été réaffirmée au cours des travaux préparatoires relatifs à la directive 2004/38. Le libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la proposition de directive 2004/38, qui indiquait que l’attestation d’enregistrement revêtait d’un caractère constitutif, a été reformulé aux fins de préciser que cette attestation a uniquement un caractère déclaratif ( 17 ).

45.

Je conclus à ce stade que l’attestation d’enregistrement délivrée par les autorités grecques n’est qu’un acte déclaratif et n’a eu pour effet l’acquisition d’aucun des droits visés par la directive 2004/38. Il s’ensuit que l’interdiction du territoire produit ses effets nonobstant la délivrance de cette attestation à M. Petrea par les autorités grecques.

ii) La possibilité de révoquer une attestation d’enregistrement délivrée par erreur

46.

Est-il possible de révoquer l’attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union sans un examen préalable effectué conformément aux conditions prévues à l’article 27 de la directive 2004/38 ?

47.

La directive 2004/38 ne mentionne pas de mesure de révocation d’une telle attestation. Il ressort de mon analyse relative à son caractère déclaratif qu’une telle attestation délivrée par erreur ne supprime pas, en substance, les effets juridiques d’une interdiction du territoire. Par conséquent, si une décision d’interdiction du territoire adoptée pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, qui a été valablement prise au sens du droit de l’Union, continue à produire ses effets, l’État membre n’a pas l’obligation d’examiner l’actualité de l’une des raisons prévues à l’article 27 de la directive 2004/38 aux fins de révoquer une telle attestation. Cet examen peut être effectué uniquement dans le cadre d’une demande de levée d’interdiction prévue à l’article 32, paragraphe 1, de cette directive.

48.

Au vu de ce qui précède, je considère que la directive 2004/38 ne s’oppose pas à la révocation d’une attestation d’enregistrement délivrée par erreur à un citoyen de l’Union qui a pénétré sur le territoire de l’État membre d’accueil nonobstant le fait qu’il était visé par une interdiction du territoire.

2) L’adoption d’une mesure de retour

i) La mesure de retour prise au motif de la violation d’une interdiction du territoire dans le cadre de la directive 2004/38

49.

Une mesure de retour prise pour cause de violation d’une interdiction du territoire tombe-t-elle dans le champ d’application de l’article 27 de la directive 2004/38 ?

50.

D’une part, il convient de relever que la mesure en cause vise à éloigner l’individu du territoire de l’État membre d’accueil, ce qui tendrait à indiquer qu’une telle mesure tombe dans le champ d’application de l’article 27 de la directive 2004/38. On pourrait donc arguer que, avant d’adopter une décision de retour, l’État membre d’accueil doit tenir compte des circonstances prévues à l’article 27, paragraphes 1 et 2, de cette directive. En d’autres termes, selon cette hypothèse, les autorités nationales seraient, notamment, obligées d’apprécier l’actualité et la proportionnalité des raisons pour lesquelles l’individu doit être visé par une mesure de retour.

51.

D’autre part, dans le litige au principal, M. Petrea a été visé par une mesure d’interdiction du territoire en 2011. Par conséquent, après son éloignement effectif, ses droits d’entrée et de séjour étaient restreints pour le délai prévu par la mesure en cause. Ainsi, la décision de retour de 2014 n’a pas limité les droits de M. Petrea mais a permis d’assurer l’efficacité de l’interdiction du territoire de 2011. J’observe que l’article 27 de la directive 2004/38 figure au chapitre VI de cette directive, intitulé « Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ». On pourrait donc penser que cet article concerne uniquement les mesures restreignant les droits conférés aux citoyens de l’Union. Si l’on acceptait cette interprétation de la portée de l’article 27 de la directive 2004/38 – à l’instar du gouvernement du Royaume-Uni qui a indiqué, dans ses observations écrites, qu’une décision consécutive à une interdiction du territoire « ne constitue pas en elle-même une mesure aux fins de l’article 27, paragraphe 2, ou […] aux fins de l’article 28 [de la directive 2004/38] » – il s’ensuivrait que la décision de retour de 2014, malgré son caractère qui l’assimile à la décision de 2011, ne relèverait pas du champ d’application de l’article 27 de la directive 2004/38. Ce serait dès lors aux législateurs nationaux qu’il appartiendrait d’adapter l’ensemble des règles relatives aux mesures consécutives à une décision d’interdiction du territoire.

52.

Je ne suis pas convaincu par cette approche.

53.

Premièrement, une portée assez large a été donnée à l’article 27 de la directive 2004/38. La proposition initiale relative au libellé de l’article 27, paragraphe 1, de cette directive, lequel visait uniquement les « décisions de refus d’entrée ou d’éloignement» ( 18 ), a été modifiée pendant les travaux législatifs aux fins de couvrir « tout type de décision limitative de la libre circulation », à savoir « tout type de mesure, qu’il s’agisse d’un éloignement, d’un refus d’entrée ou d’un refus de sortie du territoire» ( 19 ).

54.

Deuxièmement, il convient de rappeler que le libellé de l’article 27 de la directive 2004/38 ne se borne pas à couvrir exclusivement les mesures limitant des « droits » concernés par cette directive, mais vise, de façon plus générale, toutes mesures restreignant « la liberté de circulation et de séjour ».

55.

Troisièmement, les dispositions du chapitre VI de la directive 2004/38 concernent également les personnes dont les droits d’entrée ou de séjour ont été antérieurement limités par une mesure valablement prise au sens du droit de l’Union ( 20 ).

56.

Au vu de ces développements, j’estime qu’une mesure de retour consécutive à une interdiction du territoire tombe dans le champ d’application de l’article 27 de la directive 2004/38. Nonobstant ce qui précède, je suis d’avis que l’adoption d’une telle mesure ne nécessite pas une analyse préalable de l’actualité des raisons ayant justifié l’adoption de cette décision d’interdiction.

ii) L’actualité des raisons justifiant l’adoption d’une mesure de retour

57.

La Cour a déjà affirmé – en faisant référence à la directive 64/221/CEE ( 21 ), qui précédait la directive 2004/38 – que le droit de l’Union « s’oppose à une pratique nationale selon laquelle les juridictions nationales ne sont pas censées prendre en considération, en vérifiant la légalité de l’expulsion ordonnée à l’encontre d’un ressortissant d’un autre État membre, des éléments de fait intervenus après la dernière décision des autorités compétentes pouvant impliquer la disparition ou la diminution non négligeable de la menace actuelle que constituerait, pour l’ordre public, le comportement de la personne concernée» ( 22 ).

58.

J’observe que cette approche trouve un écho dans plusieurs dispositions de la directive 2004/38. L’article 27, paragraphe 2, de cette directive exige que les « mesures d’ordre public ou de sécurité publique » soient fondées, notamment, sur les circonstances actuelles concernant l’individu visé par de telles mesures. Cette approche se reflète également dans le libellé de l’article 33, paragraphe 2, de cette directive qui prévoit, lorsqu’une décision d’éloignement est exécutée plus de deux ans après qu’elle a été prise, une nouvelle appréciation de la situation de l’intéressé au moment de l’exécution de ladite décision.

59.

Ces trois références à la jurisprudence et aux dispositions normatives ne concernent pas une interdiction du territoire. Je rappelle qu’une telle mesure produit par nature des effets juridiques durables. Ces effets seraient supprimés si, même à la suite de la violation d’une telle interdiction, les autorités étaient obligées de vérifier l’actualité des raisons pour lesquelles ladite interdiction a été imposée.

60.

Eu égard à tout ce qui précède, à ce stade, je constate qu’il ne ressort pas de la lecture combinée des dispositions de la directive 2004/38 que le droit de l’Union s’oppose à une mesure de retour adoptée sans contrôle préalable des conditions prévues aux articles 27 et 28 de cette directive à l’encontre une personne qui a violé une interdiction du territoire.

d)   Principe de confiance légitime

61.

Un individu peut-il se fonder sur le principe de confiance légitime pour voir supprimés les effets d’une interdiction du territoire de l’État membre d’accueil dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal ?

62.

Il y a lieu de rappeler que la faculté de se prévaloir de la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier auquel a été fourni des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables ( 23 ). Selon une jurisprudence constante, ce principe, dans son interprétation classique, impose certaines limitations au retrait rétroactif d’un acte administratif illégal. Toutefois, ces considérations concernent surtout les actes de caractère constitutif ayant créé des droits subjectifs ( 24 ).

63.

Comme je l’ai expliqué, l’attestation d’enregistrement n’octroie pas le droit de séjour au citoyen de l’Union. Si la délivrance d’une attestation ne crée pas de droit de séjour ni d’entrée, elle ne pourrait donc donner naissance à aucune attente, y compris légitime.

64.

Néanmoins, même en adoptant une interprétation différente selon laquelle les actes dépourvus de caractère constitutif seraient susceptibles de faire naître des attentes méritant la protection de la part du droit de l’Union ( 25 ), on pourrait conclure que les attentes de M. Petrea ne méritent pas une telle protection.

65.

En tout état de cause, le principe de protection de la confiance légitime se fonde sur l’équilibre entre l’intérêt particulier et l’intérêt général de l’ordre public ( 26 ). En l’espèce, la protection découlant de ce principe pourrait être octroyée à M. Petrea à la seule condition qu’une telle protection permette de mettre en balance ces deux intérêts.

66.

Or, le principe de la confiance légitime est souvent nuancé par l’affirmation selon laquelle un retrait d’acte administratif est admissible à condition qu’un délai raisonnable soit respecté par l’autorité émettrice de l’acte en cause. La longueur de ce délai pourrait être pertinente aux fins de l’appréciation d’une telle balance entre les intérêts en cause. En tout état de cause, le caractère raisonnable du délai de retrait doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque situation concernée. Pourtant, il me semble que, dans le cas où la décision en cause est dépourvue de caractère constitutif, le délai perçu comme « raisonnable » devrait être distinctement plus long que celui qui serait suffisant pour protéger les attentes nées d’un acte ayant créé des droits subjectifs ( 27 ).

67.

Par ailleurs, moins de treize mois se sont écoulés entre la délivrance de l’attestation d’enregistrement à M. Petrea et l’adoption d’une mesure de retour. Conformément à l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2004/38, lorsqu’une décision d’éloignement est exécutée plus de deux ans après qu’elle a été prise, l’État membre vérifie l’actualité et la réalité des raisons qui ont justifiés l’adoption de cette décision. Dans le cadre de la directive 2004/38, l’écoulement d’un délai de deux ans oblige les États membres à réexaminer l’actualité d’une mesure d’éloignement mais pas celle d’une mesure d’interdiction du territoire qui produit, par sa nature même, des effets juridiques durables. Ainsi, rien ne semble indiquer que, dans l’affaire au principal, la révocation de l’attestation d’enregistrement et l’adoption d’une mesure de retour pourraient heurter manifestement le principe de protection de la confiance légitime.

68.

En tout état de cause, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier si les attentes potentielles de M. Petrea peuvent être qualifiées de « légitimes » et si elles méritent une protection particulière en fonction des conditions en cause.

69.

Pour résumer, il me semble qu’en principe, la délivrance d’une attestation d’enregistrement n’est pas de nature à faire naître une attente légitime. Il appartient cependant au juge national d’apprécier si le principe de protection de la confiance légitime s’oppose à la révocation d’une telle attestation dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

e)   Principe de la bonne administration

70.

Dans sa demande de renvoi préjudiciel, le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis (tribunal administratif de première instance de Thessalonique) n’a pas précisé les raisons pour lesquelles le principe de la bonne administration pourrait être pertinent aux fins de répondre à sa première question.

71.

Force est de constater que cette question concerne la possibilité de révoquer une attestation d’enregistrement et d’adopter une mesure de retour sans un nouvel examen préalable des conditions prévues aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38.

72.

Il est donc plausible de supposer que, en mentionnant le principe de bonne administration, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur la pertinence du devoir de sollicitude dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal ( 28 ). Ce devoir impose une appréciation approfondie en tenant compte de la situation d’un intéressé à chaque fois qu’une décision est prise à son égard ( 29 ).

73.

Cependant, je ne suis pas convaincu que cette approche puisse être adoptée dans le cas de figure où une interdiction du territoire n’a pas cessé de produire ses effets. Une telle solution, comme je l’ai déjà fait valoir ( 30 ), viderait, en substance, l’interdiction du territoire de ses effets juridiques. Par conséquent, le principe de bonne administration ne saurait être utilisé aux fins de contourner les effets d’une interdiction du territoire valablement prise par les autorités nationales dans les circonstances de l’affaire au principal.

74.

Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la révocation d’une attestation d’enregistrement et l’adoption d’une mesure de retour ne sont pas contraires au droit de l’Union.

B. Sur la deuxième question préjudicielle

75.

Par la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’adoption de procédures communes pour, d’une part, les ressortissants de pays tiers visés par la directive 2008/115 et, d’autre part, pour les citoyens de l’Union concernés par la directive 2004/38, est conforme avec le droit de l’Union.

76.

Les gouvernements grec et belge ainsi que la Commission ont répondu par l’affirmative à cette question. Le gouvernement du Royaume-Uni s’est borné à constater que la directive 2008/115 s’applique uniquement aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre, et le gouvernement danois partage ce constat. M. Petrea ne s’est pas prononcé explicitement sur ce point.

1.   Remarques générales

77.

La directive 2004/38 prévoit un certain nombre de règles procédurales à respecter par les États membres en vue d’une éventuelle limitation du droit de séjour d’un citoyen de l’Union, à savoir notamment celles énoncées à ses articles 30 et 31. En revanche, elle ne comporte pas de dispositions concernant les modalités régissant les procédures administratives et juridictionnelles relatives à une décision qui met fin au droit d’un citoyen de l’Union de séjourner sur le territoire de l’État d’accueil. Selon une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre d’établir ces modalités, en veillant toutefois à ce qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et à ce qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) ( 31 ).

78.

À cet égard, je ne vois aucun obstacle à ce que l’État membre s’appuie sur les dispositions transposant la directive 2008/115 en droit national, à condition que la protection prévue par la directive 2004/38 et les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés, ce qu’il appartient au juge national d’évaluer.

79.

Il est vrai que les directives 2004/38 et 2008/115 ne partagent pas le même objet. Néanmoins, la position selon laquelle il ne serait pas possible d’utiliser mutatis mutandis les solutions de la directive 2008/115 aux fins d’établir les règles procédurales applicables pour les citoyens de l’Union ne me convainc pas.

80.

Cette position serait fondée sur l’idée selon laquelle les solutions procédurales qui concernent les ressortissants de pays tiers n’offrent pas un niveau de respect des droits suffisant aux fins d’assurer le niveau de protection adéquat des droits procéduraux d’un citoyen de l’Union. Dans ce contexte je me permets d’attirer l’attention sur le libellé de l’article 1er de la directive 2008/115, qui dispose que cette directive « fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres […] conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international» ( 32 ).

81.

Au vu de ce qui précède, je constate que le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à l’utilisation des règles concernant les ressortissants des États tiers aux fins de l’instauration du système applicable aux citoyens de l’Union.

82.

Cependant, nonobstant ces considérations générales, la deuxième question préjudicielle comporte deux interrogations concernant, d’une part, l’autorité compétente pour émettre une décision de retour à l’égard d’un citoyen de l’Union et, d’autre part, la possibilité d’adopter une telle décision comme une mesure consécutive à la violation d’une décision d’interdiction du territoire.

2.   L’autorité compétente

83.

Selon les informations figurant dans le renvoi préjudiciel, l’autorité émettrice de l’acte administratif de 2014 (le commandant délégué du service de police des étrangers) ne figure pas parmi les organes compétents aux fins d’adopter une décision de retour à l’encontre des ressortissants de pays tiers.

84.

Je relève que la directive 2004/38 ne comporte aucune précision sur la structure organisationnelle des autorités. À cet égard je partage la position de la Commission qui – en faisant référence à son contenu – a indiqué que la directive 2004/38 ne mentionne que les « autorités compétentes» ( 33 ). Ainsi je ne vois pas d’atteinte potentielle au droit de l’Union aussi longtemps que l’autorité concernée est dotée d’une compétence d’adopter les actes en question, en respectant en tout état de cause les droits et garanties procédurales imposées par la directive 2004/38.

3.   La mesure consécutive à la violation de l’interdiction du territoire

85.

La juridiction de renvoi a noté que la directive 2008/115 dispose, à son article 6, paragraphe 1, que les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers séjournant irrégulièrement sur leur territoire, ce qui implique qu’une décision de retour découle de la nature irrégulière du séjour et non pas de motifs d’ordre public ou de sécurité nationale.

86.

Cependant, comme je l’ai déjà indiqué dans mon analyse relative à la première question préjudicielle ( 34 ), une décision de retour – dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal – se limite à mettre en œuvre les effets d’une interdiction du territoire. Par rapport à cet objet, l’article 27 de la directive 2004/38, lu à la lumière de l’article 32 de cette directive, d’une part, et la règle découlant de l’article 6 de la directive 2008/115, d’autre part, procèdent d’une même règle. Par conséquent – et en limitant mes observations au cas de la violation de l’interdiction du territoire – j’estime que, à cet égard, le législateur national peut adapter les dispositions de la directive 2008/115 pour adopter des règles concernant les citoyens de l’Union.

87.

Ainsi, je propose de répondre à la deuxième question préjudicielle que la directive 2004/38 ne s’oppose pas à l’utilisation du contenu de la directive 2008/115 aux fins d’établir les modalités régissant les procédures relatives à une mesure de retour d’un citoyen de l’Union qui a pénétré sur le territoire de l’État membre concerné alors qu’une interdiction du territoire le concernant n’a pas encore cessé de produire ses effets, à condition que les mesures protectrices et les garanties procédurales prévues par la directive 2004/38, en particulier à son chapitre VI, ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés, ce qu’il appartient au juge national d’apprécier.

C. Sur la troisième question préjudicielle

88.

La troisième question préjudicielle n’est posée par la juridiction de renvoi que dans la mesure où la première question appellerait une réponse négative. Je vais toutefois poursuivre mon analyse dans le cas où la Cour ne partagerait pas ma position sur cette première question.

89.

Par la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, à supposer que les autorités nationales, agissant dans le cadre de l’autonomie procédurale, révoquent, pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique, l’attestation d’enregistrement d’un citoyen d’un autre État membre, ces autorités pourraient imposer simultanément à ce citoyen une mesure de retour sans contrôle juridictionnel selon les modalités fixées par les articles 27 et 28 de la directive 2004/38.

90.

Si la Cour – en répondant par la négative à la première question préjudicielle – décidait que, dans les circonstances telles que celles en cause au principal, l’adoption d’une mesure de retour n’est pas une conséquence de la violation d’une interdiction du territoire, alors cela signifierait que cette mesure de retour ne pourrait pas échapper au contrôle juridictionnel visé aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38.

91.

C’est au législateur national qu’il appartiendrait de décider si la révocation d’une telle attestation et l’adoption d’une décision de retour constituent un acte unique. La jonction de ces deux mesures, ne saurait toutefois compromettre le principe selon lequel l’adoption d’une mesure de retour doit être précédée d’un contrôle juridictionnel.

92.

Eu égard à ces considérations, en cas de réponse négative à la première question préjudicielle, je propose à la Cour de répondre à la troisième question que l’adoption d’une décision de retour à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a violé une interdiction du territoire doit être soumise au contrôle juridictionnel visé aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38.

D. Sur la cinquième question préjudicielle

93.

La dernière question préjudicielle est posée uniquement pour le cas où la Cour répondrait par l’affirmative à la quatrième question.

94.

La quatrième question préjudicielle vise à établir si un défaut au stade de la notification d’une décision – à savoir l’absence d’interprétation de son contenu dans une langue que l’intéressé comprend – pourrait être invoqué dans le cadre d’un recours dirigé contre une mesure consécutive à cette décision. La Cour ne devrait pas répondre à la quatrième question préjudicielle si elle répond à la cinquième question que la décision d’interdiction du territoire ne doit pas être notifiée dans une langue que l’intéressé comprend lorsque celui-ci n’en a pas formulé la demande. Je vais donc analyser cette cinquième et dernière question avant de répondre à la quatrième question préjudicielle.

95.

Par la cinquième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la directive 2004/38 impose aux autorités de l’État membre d’accueil une obligation de notifier au citoyen d’un autre État membre dans tous les cas, et indépendamment du fait que l’intéressé le demande ou non, la « décision de son éloignement » dans une langue qu’il comprend.

96.

Il ressort de la demande de renvoi préjudiciel que cette question a été posée en relation avec l’article 32 de la directive 2004/38. Cet article concerne uniquement les mesures d’interdiction prises pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ( 35 ). Il n’impose aucune exigence particulière quant à la notification des décisions d’interdiction. En revanche, l’article 30 de la directive 2004/38 vise à établir les règles relatives à la notification de toute mesure adoptée en vertu de l’article 27 de cette directive, notamment celle de l’interdiction du territoire visée à l’article 32 de cette directive. J’estime donc que les décisions d’interdiction du territoire tombent dans le champ d’application de l’article 30 de la directive 2004/38, qui précise, de manière générale, les modalités de notification de telles décisions.

97.

Selon les gouvernements grec, belge, danois et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission, l’article 30 de la directive 2004/38 impose non pas que la décision d’interdiction soit notifiée dans une langue que l’intéressé comprend, s’il n’a pas introduit une demande explicite à cet égard, mais qu’elle soit notifiée dans des conditions qui lui permettent d’en saisir le contenu et les effets. En revanche, M. Petrea affirme que les autorités sont obligées de notifier à l’intéressé « la décision de son éloignement dans une langue qu’il comprend », indépendamment du fait qu’il en ait formulé ou non la demande.

98.

L’article 30, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit que toute décision « est notifiée par écrit à l’intéressé dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets », tandis que, selon le paragraphe 2 de cet article, en principe, « les motifs précis et complets d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique qui sont à la base d’une décision le concernant sont portés à la connaissance de l’intéressé ».

99.

L’exposé des motifs de la proposition de directive 2004/38 est clair en ce qui concerne la source d’inspiration du législateur européen et cite à cet égard, d’une part, les dispositions de la directive 64/221 et, d’autre part, la jurisprudence de la Cour ( 36 ).

100.

Plus précisément, l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qui reprend partiellement les termes de l’article 7, premier alinéa, de la directive 64/221, s’inspire de l’arrêt Adoui et Cornuaille ( 37 ). Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’une décision ne doit pas obligatoirement être traduite dans la langue de l’intéressé, surtout lorsqu’il s’agit d’une langue moins connue, mais que l’État membre doit prendre toute mesure utile afin qu’il soit certain que l’intéressé comprenne le contenu et les effets de cette décision.

101.

Pendant les travaux préparatoires, cette approche a été remise en cause par le comité économique et social. Celui-ci a observé que l’exposé des motifs de la proposition de directive 2004/38 était en contradiction avec le texte initial de cette directive, à savoir avec l’article 28, paragraphe 2, de ce texte, selon lequel la décision doit être notifiée à l'intéressé dans des conditions lui permettant d'en saisir le contenu et les effets, parce que l’exposé indiquait qu’une décision ne devrait pas obligatoirement être traduite dans la langue de l’intéressé ( 38 ). Or, le libellé de cet article qui est finalement devenu l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2004/38 n’a pas été modifié à cet égard. Par conséquent, il me semble que le législateur n’a pas changé la position présentée dans l’exposé des motifs et il n’a pas considéré que la traduction de chaque décision était indispensable.

102.

L’on peut s’interroger sur la façon dont les autorités nationales pourraient, si l’intéressé ne présente pas une demande explicite à cet égard, établir quelle langue est compréhensible pour l’intéressé. Dans ce contexte, il importe de noter que l’article 30 de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 1, de cette directive, concerne non seulement les citoyens de l’Union mais également les membres de leur famille, quelle que soit leur nationalité.

103.

Je propose donc à la Cour de répondre à la cinquième question préjudicielle que l’article 30 de la directive 2004/38 n’impose pas aux autorités de l’État membre d’accueil l’obligation de notifier au citoyen d’un autre État membre une décision d’interdiction du territoire dans une langue qu’il comprend si ce citoyen n’en a pas formulé la demande, étant entendu qu’un État membre doit néanmoins prendre toute mesure utile afin qu’il soit certain que l’intéressé comprenne le contenu et les effets de cette décision.

E. Sur la quatrième question préjudicielle

104.

Pour le cas où la Cour ne partagerait pas mon analyse relative à la cinquième question préjudicielle et considérerait que le droit de l’Union impose aux autorités de l’État membre d’accueil l’obligation de notifier au citoyen d’un autre État membre la décision relative à son éloignement dans une langue qu’il comprend, je vais procéder à l’examen de la quatrième question préjudicielle.

105.

Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le principe d’effectivité s’oppose à une pratique jurisprudentielle nationale qui interdit aux autorités concernées d’évaluer, dans le cadre de la révocation d’une attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union ou de l’adoption par l’État membre d’accueil d’une mesure d’éloignement – justifiées par l’existence d’une interdiction du territoire à l’encontre du ressortissant d’un autre État membre – dans quelle mesure les garanties procédurales des articles 30 et 31 de la directive 2004/38 ont été respectées lors de l’adoption de la décision d’interdiction du territoire.

106.

Il me semble que, par cette question, la juridiction de renvoi vise à établir si le droit de l’Union impose aux États membres l’obligation de réexaminer la décision d’interdiction du territoire initiale à chaque fois qu’est prise une mesure consécutive à cette décision.

107.

J’observe que la juridiction de renvoi a fait référence à la « mesure d’éloignement » dans la quatrième question préjudicielle. Néanmoins, selon moi, elle visait, comme dans la première question préjudicielle, la « mesure de retour » consécutive à une interdiction du territoire.

108.

Les gouvernements grec et belge, en faisant une référence explicite à la sécurité juridique, ainsi que le gouvernement du Royaume‑Uni, sont d’avis qu’il convient d’apporter une réponse négative à cette question. En revanche, M. Petrea et la Commission contestent cette approche en invoquant le conflit potentiel entre cette solution et le principe d’effectivité.

109.

Selon l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2004/38, une personne visée par une décision d’interdiction du territoire prise à son encontre pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique doit avoir accès aux voies de recours juridictionnelles. Par conséquent, je considère que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, M. Petrea pouvait invoquer l’absence de traduction au stade de la notification de la décision de 2011 en se fondant sur l’article 31 de la directive 2004/38.

110.

Toutefois, la directive 2004/38 n’impose aux États membres l’obligation de respecter les garanties procédurales instaurées à son article 31 qu’« au moment de l’adoption » de décisions restrictives ( 39 ). Selon moi, cette obligation s’applique jusqu’au stade où une telle décision est devenue définitive. Cette position est conforme à la jurisprudence de la Cour, qui a déjà reconnu que le caractère définitif d’une décision administrative contribue à la sécurité juridique, avec la conséquence que le droit de l’Union n’exige pas qu’un organe administratif soit, en principe, obligé de revenir sur une décision administrative ayant acquis un tel caractère définitif ( 40 ).

111.

Dès lors que l’interdiction du territoire est devenue définitive, un citoyen de l’Union peut introduire une demande de levée, conformément à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2004/38 ( 41 ). Cette disposition vise à assurer que l’interdiction en cause puisse être levée après un délai raisonnable, mais uniquement, comme le prévoit la directive 2004/38, en fonction des circonstances postérieures à l’adoption d’une telle mesure ( 42 ).

112.

Ainsi, selon moi, la solution retenue par le droit national selon laquelle un acte devenu définitif n’est pas susceptible d’être contrôlé dans le cadre d’un recours visant un acte postérieur n’est pas contraire à la directive 2004/38.

113.

En tout état de cause, les règles concernant les voies de recours contre les mesures limitant la liberté de circulation et de séjour doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. Parmi les éléments exposés dans la décision de renvoi, aucun élément n’indique que ces principes n’auraient pas été respectés. À tout le moins, il appartient au juge national d’apprécier si les règles concernées ne heurtent ni le principe d’équivalence ni le principe d’effectivité. Par conséquent, je propose de répondre à la quatrième question préjudicielle que la directive 2004/38 ne s’oppose pas à des règles ou pratiques nationales qui – dans le cadre de la révocation d’une attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union ou de l’adoption par l’État membre d’accueil d’une mesure de retour consécutive à la violation d’une interdiction du territoire à l’encontre du ressortissant d’un autre État membre – ne permettent pas d’apprécier dans quelle mesure les garanties procédurales découlant des articles 30 et 31 de la directive 2004/38 ont été respectées lors de l’adoption de cette décision d’interdiction, à condition que ces règles ou ces pratiques nationales ne heurtent ni le principe d’équivalence ni le principe d’effectivité.

VI. Conclusions

114.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi :

« 1)

La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, telle que modifiée par le règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011 (rectificatif JO L 229, p. 35), et les principes de la confiance légitime et de la bonne administration ne s’opposent pas à la révocation de l’attestation d’enregistrement d’un citoyen d’un État membre délivrée par un autre État membre ni à l’adoption par ce dernier d’une mesure de retour à l’encontre de ce citoyen lorsque, nonobstant le fait qu’il avait été visé par une décision d’interdiction du territoire adoptée par l’État membre d’accueil pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique qui n’a pas cessé de produire ses effets, ledit citoyen entre de nouveau sur le territoire de l’État membre d’accueil.

2)

La directive 2004/38 ne s’oppose pas à l’utilisation du contenu de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier aux fins d’établir les modalités régissant les procédures relatives à une mesure de retour d’un citoyen d’un État membre qui a pénétré sur le territoire d’un autre État membre, nonobstant une décision d’interdiction du territoire adoptée par ce dernier, à condition que les mesures protectrices et les garanties procédurales prévues par la directive 2004/38, en particulier à son chapitre VI, ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés, ce qu’il appartient au juge national d’apprécier.

3)

L’article 30 de la directive 2004/38 n’impose pas aux autorités de l’État membre d’accueil l’obligation de notifier au citoyen d’un autre État membre, lorsqu’il n’en a pas formulé la demande, une décision d’interdiction du territoire dans une langue qu’il comprend, étant entendu qu’un État membre doit néanmoins prendre toute mesure utile afin qu’il soit certain que l’intéressé a compris le contenu et les effets de cette décision.

4)

La directive 2004/38 ne s’oppose pas à des règles ou pratiques nationales qui, dans le cadre de la révocation d’une attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union ou de l’adoption par l’État membre d’accueil d’une mesure de retour consécutive à la violation d’une interdiction du territoire à l’encontre du ressortissant d’un autre État membre, ne permettent pas d’apprécier dans quelle mesure les garanties procédurales découlant des articles 30 et 31 de la directive 2004/38 ont été respectées au moment où cette décision d’interdiction a été adoptée, à condition que ces règles ou ces pratiques nationales ne heurtent ni le principe d’équivalence ni le principe d’effectivité ».


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77), telle que modifiée par le règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011 (JO 2011, L 141, p. 1, et rectificatif JO L 229, p. 35, ci-après la « directive 2004/38 »).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).

( 4 ) L’article 28 de la directive 2004/38 est invoqué dans la troisième question préjudicielle, qui est posée en cas de réponse négative à la première question préjudicielle.

( 5 ) Je reviendrai ultérieurement sur ce point dans mon analyse relative au caractère juridique d’une attestation d’enregistrement du citoyen de l’Union. Voir points 41 à 44 des présentes conclusions.

( 6 ) Arrêts 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565, point 71 et jurisprudence citée), et du 18 décembre 2014, McCarthy e.a. (C‑202/13, EU:C:2014:2450, point 31 et jurisprudence citée). Voir également Candela Soriano, M., « Libre circulation et séjour dans l’U.E. : la directive 2004/38 au regard des droits de l’homme », Journal des tribunaux, Droit européen, no 121, 2005, p. 194.

( 7 ) Arrêt du 10 juillet 2008, Jipa (C‑33/07, EU:C:2008:396, point 21 et jurisprudence citée).

( 8 ) Arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, point 47)

( 9 ) Voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565, point 70).

( 10 ) Voir, en ce sens, proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2001) 257 final. Voir également – en tenant compte du fait que l’article 31, paragraphe 4, de la directive 2004/38 a codifié un principe élaboré par la Cour dans sa jurisprudence – arrêt du 5 mars 1980, Pecastaing (98/79, EU:C:1980:69, point 12). Dans ses conclusions dans l’affaire Pecastaing (98/79, non publiées, EU:C:1980:32, p. 725), l’avocat général Capotorti avait adopté une position plus stricte, à savoir que la présentation de moyens de défense de l’intéressé pouvait être effectuée par l’intermédiaire de son avocat.

( 11 ) Voir proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2001)257 final.

( 12 ) Dans l’arrêt du 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille (115/81 et 116/81, EU:C:1982:183, point 12), qui a inspiré le libellé de l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2004/38, la Cour a indiqué que, « lorsqu’il existe [...] une décision d’éloignement [...], qui continue à sortir des effets juridiques de manière à exclure l’intéressé du territoire de l’État concernée, le droit communautaire [de l’Union] ne prévoit en sa faveur aucun droit d’accès à ce territoire pendant l’examen de sa nouvelle demande ». Mise en italique par mes soins.

( 13 ) Arrêt du 8 avril 1976 (48/75, EU:C:1976:57, points 31 à 33).

( 14 ) Arrêt du 21 juillet 2011 (C‑325/09, EU:C:2011:498, point 48). Dans cet arrêt, la Cour a rejeté la possibilité de considérer, sur le seul fondement d’une carte de séjour délivrée en vertu de la directive 68/360/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l’intérieur de la Communauté (JO 1968, L 257, p. 13), les périodes de séjour effectuées dans un État membre d’accueil comme accomplies légalement aux fins de l’acquisition du droit de séjour dans le cadre de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38.

( 15 ) Hanf, D., « Le développement de la citoyenneté de l’Union européenne », La Libre Circulation Des Personnes: États Des Lieux Et Perspectives. Acte d’un colloque organise en 2003 à Liège, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang S.A. 2007, p. 20 et 21 ; Guild, E., Peers, S., Tomkin, J., The EU Citizenship Directive. A Commentary, Oxford, Oxford University Press 2014, p. 87 à 91 et p. 111 à 118.

( 16 ) Mise en italique par mes soins.

( 17 ) Voir amendement no 33 et considérations qui le sous-tendent dans la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2003)199 final, p. 6 et 22. Voir également considérant 11 de la directive 2004/38.

( 18 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2001) 257 final.

( 19 ) Voir amendement no 71 et considérations qui le sous-tendent dans la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2003) 199 final, p. 8, 329. Ainsi qu’il a été relevé dans la doctrine, les termes employés dans l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38 sont très neutres et peuvent être interprétés comme visant tous les types de restrictions – voir, dans le contexte de l'interdiction de sortie du territoire, Łazowski A., « “Darling you are not going anywhere”: the right to exit and restrictions in EU law », European Law Review 2015, vol. 40, no 6, p. 891.

( 20 ) Voir article 32, paragraphe 1, et article 33, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

( 21 ) Directive du Conseil du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850).

( 22 ) Arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, points 81 et 82).

( 23 ) Voir arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a. (C‑17/03, EU:C:2005:362S, points 73 et 74 et jurisprudence citée). Voir aussi, en ce sens, mes conclusions dans l’affaire Evonik Degussa/Commission (C‑162/15 P, EU:C:2016:587, points 183 et 184). Sur le développement de ce principe dans la jurisprudence de la Cour, voir Rideau, J., L’Union européenne et les droits de l’homme, Recueil des Cours de l’Académie de La Haye, vol. 265, 1997, p. 173 à 177, et Lemańska, J., Uzasadnione oczekiwania w perspektywie prawa krajowego i regulacji europejskich, Wolters Kluwer, Varsovie, 2016, p. 41 à 46.

( 24 ) Arrêt du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune (7/56 et 3/57 à 7/57, EU:C:1957:7, p. 116).

( 25 ) Voir arrêt du 12 juillet 1962, Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken/Haute Autorité (14/61, EU:C:1962:28, p. 520). Voir également Schønberg, S., Legitimate Expectations in Administrative Law, Oxford University Press, Oxford, 2000, p. 117 ; Ritleng, D., « Le retrait des actes administratifs contraires au droit communautaire », Bestand und Perspektiven des Europäischen Verwaltungsrechts, Nomos, Baden – Baden, 2008, p. 243.

( 26 ) Voir, dans ce sens, arrêt du 12 juillet 1962, Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken/Haute Autorité (14/61, EU:C:1962:28, p. 520).

( 27 ) Dans l’arrêt du 12 juillet 1962, Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken/Haute Autorité (14/61, EU:C:1962:28 p. 521), la Cour a indiqué que le critère du « délai raisonnable » peut être d’un intérêt considérable lorsqu’il s’agit de décisions constitutives de droits subjectifs, tandis qu’il perd en importance lorsqu’il s’agit de décisions déclaratives.

( 28 ) Des approches différentes concernant la relation entre le principe de bonne administration et le devoir de sollicitude sont retenues dans la jurisprudence et dans la doctrine. Le principe de bonne administration et le devoir de sollicitude sont tantôt perçus comme deux concepts distincts et tantôt assimilés. Malgré ces divergences, il me semble que, selon la position majoritaire, ils sont au moins associés.

( 29 ) Sur ce principe, voir arrêts de la Cour du 11 juillet 1974, Guillot/Commission (53/72, EU:C:1974:80, point 3), et du 28 mai 1980, Kuhner/Commission (33/79 et 75/79, EU:C:1980:139, point 23).

( 30 ) Voir point 38 des présentes conclusions.

( 31 ) Arrêt du 17 mars 2016, Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:175, points 23 et 24). Voir également conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ZZ (C‑300/11, ECLI:EU:C:2013:363, points 83 et 84).

( 32 ) Mise en italique par mes soins.

( 33 ) Voir article 8, paragraphe 1, et considérants 12 et 14 de la directive 2004/38.

( 34 ) Voir point 38 des présentes conclusions.

( 35 ) Je relève dans ce contexte que la notion de « santé publique » ne figure pas à l’article 32 de toutes les versions linguistiques de la directive 2004/38.

( 36 ) Proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, COM(2001) 257 final.

( 37 ) Arrêt du 18 mai 1982 (115/81 et 116/81, EU:C:1982:183, point 13).

( 38 ) Avis du Comité économique et social sur la « Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres », COM(2001) 257 final, point 4.8.2.

( 39 ) Arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C‑249/11, EU:C:2012:608, points 54 à 56).

( 40 ) Voir arrêt du 4 octobre 2012, Byankov (C‑249/11, EU:C:2012:608, point 76).

( 41 ) Voir arrêt du 17 juin 1997, Shingara et Radiom (C‑65/95 et C‑111/95, EU:C:1997:300, points 39 et 41), dans lequel la Cour, en faisant référence à l’arrêt du 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille (115/81 et 116/81, EU:C:1982:183) – qui, comme je l’ai indiqué à la note en bas de page 12, a inspiré l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2004/38 – a indiqué : « le fait que, dans le cadre d’une décision antérieure, un ressortissant communautaire ait omis d’introduire un recours ou que l’autorité compétente indépendante n’ait pas donné d’avis [...] ne saurait faire obstacle à l’examen de la nouvelle demande présentée par ce ressortissant. »

( 42 ) Pérez van Kappel, A., « La libre circulación de personas sin motivos económicos tras la adopción de la Directiva 2004/38/CE y a la luz de la jurisprudencia del Tribunal de Justicia », Estudios de Derecho Judicial, vol. 132, 2007, p. 139.