ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
2 juillet 2025 ( *1 )
« Concurrence – Concentrations – Marché de la distribution en gros de boissons – Article 22 du règlement (CE) no 139/2004 – Demande de renvoi à la Commission émanant d’une autorité de la concurrence d’un État membre non compétente selon la législation nationale pour examiner l’opération de concentration – Décision de la Commission d’examiner l’opération de concentration – Délai de présentation de la demande de renvoi – Notion de “communication” – Information des entreprises concernées sur la demande de renvoi – Régime linguistique – Délai de notification de la décision de la Commission d’examiner l’opération de concentration – Affectation du commerce entre États membres – Menace d’affectation significative de la concurrence – Caractère approprié du renvoi »
Dans l’affaire T‑289/24,
Brasserie Nationale (anc. Brasseries Funck-Bricher et Bofferding), établie à Bascharage (Luxembourg),
Munhowen SA, établie à Ehlerange (Luxembourg),
représentées par Me G. Parleani, avocat,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par MM. P. Berghe et N. Cambien, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Autorité de concurrence du Grand-Duché de Luxembourg, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes P. Kinsch et V. Richard, avocats,
et par
Anheuser-Busch InBev, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes K. Veranneman et J.-P. Roemen, avocats,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),
composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva, MM. U. Öberg, P. Zilgalvis et Mme E. Tichy‑Fisslberger (rapporteure), juges,
greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
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la décision du Tribunal du 24 juin 2024 de faire droit à la demande de procédure accélérée présentée par les requérantes, |
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la question écrite du Tribunal aux parties et leurs réponses à cette question déposées au greffe du Tribunal les 25 et 27 septembre 2024, |
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les demandes de traitement confidentiel des requérantes et de la Commission déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 25 octobre et le 4 novembre 2024, |
à la suite de l’audience du 6 mars 2025,
rend le présent
Arrêt
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1 |
Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Brasserie Nationale (anc. Brasseries Funck-Bricher et Bofferding) et Munhowen SA, demandent l’annulation de la décision C(2024)°1788 final de la Commission européenne, du 14 mars 2024, adoptée en vertu de l’article 22, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) et de l’article 57 de l’accord EEE (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle celle-ci a accueilli la demande de l’Autorité de concurrence du Grand-Duché de Luxembourg (ci-après l’« ACL ») d’examiner l’acquisition, par Brasserie Nationale, du contrôle exclusif de Boissons Heintz Sàrl (affaire M.11485 – Brasserie Nationale/Boissons Heintz). |
Antécédents du litige
Sur les entités en cause
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2 |
Brasserie Nationale est une société luxembourgeoise qui est active dans la production de bière et d’eau minérale. |
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3 |
Munhowen, filiale à 100 % de Brasserie Nationale, est une entreprise luxembourgeoise active dans la distribution en gros de boissons au Luxembourg et dans les régions voisines de France et de Belgique. |
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4 |
Boissons Heintz, dont le siège social est situé au Luxembourg, est active dans la distribution en gros de boissons au Luxembourg. |
Sur la concentration en cause
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5 |
Par un communiqué de presse du 31 janvier 2024, Brasserie Nationale a annoncé la clôture de l’opération de concentration consistant en sa prise de contrôle exclusif de Boissons Heintz, par le biais de l’acquisition de l’intégralité des parts sociales de cette dernière par Munhowen (ci-après la « concentration en cause »). |
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6 |
La concentration en cause, en l’absence des chiffres d’affaires pertinents, ne présentait pas de dimension européenne au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004 et ne devait donc pas être notifiée à la Commission conformément à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement. |
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7 |
En l’absence d’un régime de contrôle des concentrations au Luxembourg, il n’existait aucune obligation de notification à ce titre dans cet État membre. La concentration en cause ne requerrait pas davantage de notification dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans l’un des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE). |
Sur la demande de renvoi à la Commission
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Le 22 décembre 2023, Brasserie Nationale a contacté l’ACL pour l’informer que sa filiale Munhowen entendait acquérir Boissons Heintz. |
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Le 10 janvier 2024, une entrevue a eu lieu entre les requérantes et l’ACL. |
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10 |
À partir du 17 janvier 2024, des tiers ont fourni des informations sur la concentration en cause à l’ACL. |
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Le 25 janvier 2024, l’un de ces tiers a formellement demandé à l’ACL de soumettre une demande de renvoi de ladite concentration à la Commission au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, tout en lui fournissant des informations supplémentaires sur cette concentration. |
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12 |
Le 7 février 2024, l’ACL a demandé à la Commission, au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, d’examiner la concentration en cause (ci-après la « demande de renvoi »). La Commission a reçu cette demande le même jour. |
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13 |
Le 8 février 2024, la Commission a, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 et à l’article 6, paragraphe 3, du protocole no 24 de l’accord EEE, informé les autorités de concurrence des autres États membres ainsi que l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) de la demande de renvoi. Par lettre du même jour, la Commission a informé Brasserie Nationale de la demande de renvoi et l’a invitée à présenter ses observations (ci-après la « lettre d’information »). Le 9 février 2024, la Commission a, après avoir obtenu leurs coordonnées, transmis ladite lettre aux représentants légaux des requérantes par courrier électronique. |
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14 |
Le 12 février 2024, une visioconférence a été organisée entre la Commission et les requérantes. |
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15 |
Le 14 février 2024, la Commission a envoyé aux requérantes une traduction en langue française de la lettre d’information. |
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16 |
Le 22 février 2024, Brasserie Nationale a présenté ses observations. |
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17 |
Lors d’une conférence téléphonique avec la Commission du 26 février 2024, Brasserie Nationale a demandé l’accès à la demande de renvoi. Le même jour, la Commission lui a envoyé la version non confidentielle de cette demande et de ses annexes. À la suite d’une invitation de la Commission, Brasserie Nationale a présenté des observations supplémentaires le 29 février 2024. |
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18 |
À l’expiration du délai le 29 février 2024, aucun État membre ou État partie à l’accord EEE n’avait demandé à se joindre à la demande de renvoi. |
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Le 14 mars 2024, la Commission a, par la décision attaquée, accueilli la demande de renvoi. Le même jour, elle en a informé Brasserie Nationale. |
Sur la décision attaquée
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En premier lieu, la Commission a considéré que la demande de renvoi du 7 février 2024 a été présentée dans le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. À cet égard, la Commission a relevé que la concentration en cause a été communiquée à l’ACL au plus tôt le 17 janvier 2024, à savoir à la date à laquelle l’ACL a reçu pour la première fois des informations pertinentes sur cette concentration et ses effets lui permettant d’évaluer, de manière préliminaire, si les conditions pour une demande de renvoi, au titre de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement étaient réunies (points 20 et 28 à 30 de la décision attaquée). |
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21 |
En deuxième lieu, s’agissant de la définition des marchés pertinents, la Commission a, conformément à sa pratique décisionnelle antérieure, identifié, d’une part, le marché de la production et de la fourniture de bière au canal de vente pour la consommation directe (ci-après le « canal CHR/on-trade ») au Luxembourg et, d’autre part, le marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg. En outre, la Commission a relevé qu’il ne pouvait pas être exclu que la distribution en gros de bière au Luxembourg par le canal CHR/on-trade constituait un marché distinct (points 43, 52 et 56 de la décision attaquée). |
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En troisième lieu, la Commission a estimé que la concentration en cause était susceptible d’affecter le commerce entre États membres, dès lors qu’elle priverait les producteurs de bière et de boissons établis dans les autres États membres et ne disposant pas d’un réseau de distribution par le canal CHR/on-trade au Luxembourg d’accès au marché luxembourgeois (points 63 et 69 de la décision attaquée). |
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23 |
En quatrième lieu, s’agissant de la menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du Luxembourg, la Commission a considéré que la concentration en cause menaçait de soulever des effets non coordonnés résultant de chevauchements horizontaux sur les marchés luxembourgeois, d’une part, de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade (point 73 de la décision attaquée) et, d’autre part, de la distribution en gros de bières par ce même canal (point 80 de la décision attaquée). |
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24 |
En outre, la Commission a estimé que la concentration en cause menaçait de présenter un risque de verrouillage de la clientèle résultant de chevauchements non horizontaux entre, d’une part, le marché luxembourgeois de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade et, d’autre part, les marchés luxembourgeois de la distribution en gros de boissons (y compris la bière) par ce canal ainsi que le marché plus restreint et limité à la distribution en gros de bière au Luxembourg par ledit canal (point 84 de la décision attaquée). |
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25 |
La Commission en a conclu que la concentration en cause menaçait d’affecter de manière significative la concurrence sur le marché en amont de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade au Luxembourg ainsi que sur les marchés en aval de la distribution en gros de toutes les boissons par ce même canal au Luxembourg (points 88 et 89 de la décision attaquée). |
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26 |
En cinquième lieu, la Commission a estimé, en soulignant son pouvoir d’appréciation quant à l’acceptation d’une demande de renvoi, que la concentration en cause était appropriée pour un renvoi. En effet, premièrement, ladite concentration risquerait d’affecter le commerce entre États membres et menacerait d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire luxembourgeois (point 91 de la décision attaquée), deuxièmement, le Luxembourg ne disposerait pas d’un régime de contrôle des concentrations et cette concentration et ses effets ne seraient appréhendés par aucun autre régime de contrôle des concentrations (point 92 de la décision attaquée), troisièmement, la Commission serait bien placée pour évaluer les marchés en cause compte tenu des outils et de l’expérience dont elle disposerait dans les secteurs de la production et de la fourniture des boissons (point 93 de la décision attaquée), et, quatrièmement, la demande de renvoi daterait seulement de quelques jours après la mise en œuvre de cette même concentration (point 94 de la décision attaquée). |
Conclusions des parties
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Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée. |
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La Commission, soutenue par Anheuser-Busch InBev (ci-après « AB InBev ») et l’ACL, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
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En droit
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À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent huit moyens, tirés, le premier, de la violation du régime linguistique applicable en vertu du règlement no 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté Économique Européenne (JO 1958, 17, p. 385), le deuxième, du non-respect du délai de quinze jours ouvrables prévu par l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, le troisième, de la violation du délai prévu à l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, dudit règlement, le quatrième, de la communication tardive de la décision attaquée, le cinquième, de la violation des droits de la défense ainsi que des principes de l’égalité des armes, de la loyauté de la procédure et de la confiance légitime, le sixième, de l’absence d’affectation du commerce entre les États membres, le septième, de l’absence de menace d’affectation significative de la concurrence sur le territoire du Luxembourg et, le huitième, de l’absence de pertinence des considérations relatives au caractère approprié du renvoi. |
Sur la représentation des requérantes par un avocat indépendant
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30 |
Il importe de rappeler que la question de la représentation des requérantes est d’ordre public et peut, à ce titre, être examinée d’office par le Tribunal à tout moment [voir, en ce sens, ordonnances du 5 septembre 2013, ClientEarth/Conseil, C‑573/11 P, non publiée, EU:C:2013:564, point 20, et du 30 mai 2018, PJ/EUIPO – Erdmann & Rossi (Erdmann & Rossi), T‑664/16, EU:T:2018:517, point 47]. |
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31 |
L’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53 de ce statut, prévoit que les parties non visées par les deux premiers alinéas dudit article doivent être représentées par un avocat. |
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32 |
L’objectif de la représentation, par un avocat, des parties non visées aux deux premiers alinéas de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est, d’une part, d’empêcher que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire et, d’autre part, de garantir que les personnes morales soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente (arrêts du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 61 ; du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 63, et du 14 juillet 2022, Universität Bremen/REA, C‑110/21 P, EU:C:2022:555 point 46). |
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33 |
La conception du rôle de l’avocat dans l’ordre juridique de l’Union, qui émane des traditions juridiques communes aux États membres et sur laquelle l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne se fonde, est celle d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin (voir ordonnance du 3 juin 2024, Trasta Komercbanka/BCE, C‑103/23 P, non publiée, EU:C:2024:483, point 31 et jurisprudence citée). |
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34 |
En l’espèce, Me Jean-Louis Schiltz, qui a signé la requête, a confirmé à l’audience, en réponse à une question orale posée par le Tribunal, qu’il préside le conseil d’administration de Brasserie Nationale, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience. Or, une telle position n’est pas compatible avec la représentation de cette société devant les juridictions de l’Union (ordonnance du 4 décembre 2014, ADR Center/Commission, C‑259/14 P, non publiée, EU:C:2014:2417, point 27 ; voir également, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 65). Il en va de même pour la représentation de Munhowen, qui est une filiale à 100 % de Brasserie Nationale (voir point 3 ci-dessus), et dont les intérêts se chevauchent donc largement avec ceux de cette dernière. En effet, il existe un risque que l’opinion professionnelle de cet avocat soit, à tout le moins en partie, influencée par sa fonction de président du conseil d’administration de Brasserie Nationale (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 6 septembre 2012, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, C‑422/11 P et C‑423/11 P, EU:C:2012:553, point 25). |
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35 |
Dès lors, Me Schiltz, en ne répondant pas aux conditions prévues par l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, tel qu’interprété par la jurisprudence, ne pouvait pas représenter les requérantes devant le Tribunal. Cette circonstance n’a toutefois pas d’influence sur le présent litige, dès lors que les requérantes ont été également représentées, tout au long de la procédure, par un autre avocat répondant auxdites conditions. |
Sur le premier moyen, tiré de la violation du régime linguistique applicable en vertu du règlement no 1
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36 |
Les requérantes critiquent que la lettre d’information relative à la demande de renvoi a été rédigée en langue anglaise, ce qui serait contraire au règlement no 1 et vicierait la procédure ab initio. Les requérantes estiment que le fait que la Commission a accepté, à partir d’un certain moment, que la procédure se déroule en français et qu’elle a fourni une traduction de courtoisie de ladite lettre d’information, ne peut pas remédier à cette irrégularité, mais, au contraire, la renforce. Cela serait d’autant plus vrai que la Commission aurait de nouveau utilisé la langue anglaise le 14 mai 2024 pour accuser réception d’une procuration modifiée d’un avocat. En outre, la Cour aurait souligné l’importance de la question de la langue à employer dans l’arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission (C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, point 209). |
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37 |
La Commission rétorque que, dans la mesure où l’ACL avait accepté l’anglais comme langue de procédure, les premiers contacts avec les requérantes ont eu lieu dans cette langue. À partir de la visioconférence du 12 février 2024, dans le cadre de laquelle les requérantes l’ont informé de leur souhait que les échanges interviennent en français, la procédure de renvoi se serait déroulée entièrement en français. Ainsi, le 14 février 2024, la Commission aurait envoyé aux requérantes une traduction en langue française de la lettre d’information. La Commission souligne que la décision attaquée est rédigée en français. Elle considère que, même si une violation de l’article 3 du règlement no 1 pouvait être établie, celle-ci n’aurait pas pour conséquence de vicier la procédure. |
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38 |
Il convient de rappeler que l’article 3 du règlement no 1 prévoit que « [l]es textes adressés par les institutions à un État membre ou à une personne relevant de la juridiction d’un État membre sont rédigés dans la langue de cet État. » |
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39 |
En vertu de l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004, la Commission est tenue d’informer les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande de renvoi reçue conformément au paragraphe 1 de cet article. |
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40 |
Une telle information, sous forme écrite, constitue un « texte » au sens de l’article 3 du règlement no 1. Elle doit, par conséquent, être adressée aux entreprises concernées dans la langue de l’État membre de la juridiction dont elles relèvent, et ce même si l’autorité de la concurrence de cet État membre a renoncé à son droit de recevoir les documents de la procédure dans ladite langue. |
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41 |
Or, en l’espèce, la lettre d’information, par laquelle la Commission a informé Brasserie Nationale de la demande de renvoi (voir point 13 ci-dessus), était rédigée en anglais, qui n’est pas une langue officielle du Grand-Duché du Luxembourg, où cette entreprise a son siège social. |
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42 |
Dès lors, la Commission a violé l’article 3 du règlement no 1 en envoyant à Brasserie Nationale la lettre d’information en anglais. |
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43 |
Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’utilisation de la langue prévue à l’article 3 du règlement no 1 ne constitue pas une forme substantielle, au sens de l’article 263 TFUE, dont la violation affecte nécessairement la régularité de tout document adressé à une personne dans une autre langue. Selon cette jurisprudence, si une institution adresse à une personne relevant de la juridiction d’un État membre un texte qui n’est pas rédigé dans la langue de cet État, un tel procédé ne vicie la procédure que si des conséquences préjudiciables en résultent pour cette personne dans le cadre de la procédure administrative (arrêt du 9 juin 2016, CEPSA/Commission, C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 36). |
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44 |
Par conséquent, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ce n’est que si l’utilisation de l’anglais, dans la lettre d’information, a eu des conséquences préjudiciables pour celles-ci, que la régularité de l’envoi de cette lettre et, partant, celle de la procédure administrative, peut être remise en cause (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2016, CEPSA/Commission, C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 37). |
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45 |
S’agissant de ces conséquences préjudiciables, les requérantes se sont bornées à soutenir, lors de l’audience, que leur préjudice résidait dans le fait d’avoir été confrontées, en tant que petites et moyennes entreprises (PME) ne travaillant pas en anglais, à une procédure qui se déroulait dans cette langue, ce qui aurait pour conséquence le non-respect des délais prévus à l’article 22 du règlement no 139/2004. |
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46 |
Toutefois, à partir du moment où les requérantes ont informé la Commission de leur souhait que les échanges interviennent en français, ce souhait a été respecté pendant quasiment l’intégralité de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée. En particulier, la visioconférence du 12 février 2024, dont l’objet était d’informer les requérantes de la demande de renvoi, s’est déroulée en français. La Commission a, le 14 février 2024, soit moins d’une semaine après l’envoi de la lettre d’information et quinze jours avant l’expiration du délai prévu par l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 139/2004, envoyé aux requérantes une traduction de cette lettre en langue française (voir point 15 ci-dessus). En outre, les 22 et 29 février 2024, Brasserie Nationale a présenté ses observations en français, ce qui lui a permis de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de ladite procédure administrative. Constitue la seule exception à cet égard l’accusé de réception du 14 mai 2024, qui a été rédigé en anglais, mais il ne contient, par sa nature, aucune information substantielle. |
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47 |
Dans ces circonstances, les requérantes n’ont pas établi que, en l’espèce, l’utilisation par la Commission au cours de la procédure administrative d’une langue autre que celles de l’État membre de la juridiction dont elles relèvent leur aurait causé un préjudice au sens de la jurisprudence citée aux points 43 et 44 ci-dessus. |
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48 |
Partant, le fait que la lettre d’information et l’accusé de réception du 14 mai 2024 aient été rédigés en anglais ne justifie pas l’annulation de la décision attaquée. |
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49 |
Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté. |
Sur le deuxième moyen, tiré du non-respect du délai de quinze jours ouvrables prévu par l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004
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50 |
Les requérantes font valoir que la demande de renvoi n’a pas été présentée dans le délai de quinze jours ouvrables à compter de la communication de la concentration en cause en méconnaissance de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. En substance, elles soutiennent que, premièrement, la notion de « communication » est interprétée de manière trop large par la Commission et l’ACL, deuxièmement, cette dernière autorité a été suffisamment informée de la concentration en cause avant la date retenue dans la décision attaquée, troisièmement, la Commission n’a pas vérifié, avec une diligence raisonnable, le respect de ce délai par ladite autorité, et, quatrièmement, l’acceptation de la demande de renvoi porte atteinte aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique et est contraire à la volonté du législateur de l’Union. |
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51 |
La Commission, AB InBev et l’ACL réfutent ces arguments. |
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52 |
Selon l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, « [u]ne [demande de renvoi] doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé ». |
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53 |
Ainsi, l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 fixe comme point de départ du délai de quinze jours ouvrables la date de notification de la concentration faisant l’objet de la demande de renvoi ou, lorsqu’une une telle notification n’est pas requise, la date de la « communication » de cette concentration à l’État membre intéressé. |
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54 |
Il convient de relever que, en l’absence d’un régime de contrôle des concentrations au Luxembourg, une notification de la concentration en cause n’était pas requise dans cet État membre. Dès lors, le point de départ du délai de quinze jours ouvrables est, en l’espèce, la date de communication de la concentration en cause à l’État membre intéressé. |
Sur l’interprétation de la notion de « communication »
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55 |
Les requérantes avancent que le texte de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 n’exige, dans le cas où aucune notification n’est requise, qu’une « communication » de la concentration et non une « notification », ni la fourniture d’informations supplémentaires ou complémentaires. L’interprétation large, faite par la Commission et par l’ACL, de la notion de « communication » reviendrait, au fond, à un droit à la passivité de l’autorité de la concurrence nationale. |
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56 |
En particulier, les requérantes contestent l’interprétation selon laquelle la « communication » d’une concentration au sens de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 suppose une transmission active d’informations pertinentes afin de permettre à l’autorité de concurrence nationale d’évaluer de manière préliminaire si les conditions pour une demande de renvoi sont réunies. Elles estiment que cette interprétation signifie que, même si aucune notification n’est requise dans l’État membre en question, les entreprises concernées doivent, par prudence, toujours effectuer une démarche active pour permettre à l’autorité nationale de procéder à cette analyse préliminaire. Les requérantes considèrent qu’il s’agit de l’équivalent d’une obligation de notification qui va au-delà des exigences de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. Il incomberait à ladite autorité de procéder à l’évaluation préliminaire. Cette dernière, informée d’une concentration, ne pourrait rester inactive et attendre que les parties lui adressent tous les éléments nécessaires et utiles. |
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57 |
La Commission, AB InBev et l’ACL contestent cette argumentation. |
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58 |
Pour l’interprétation de la notion de « communication » au sens de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, il y a lieu de procéder, conformément à une jurisprudence constante, à une interprétation littérale, contextuelle, téléologique et historique de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 [voir arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C‑24/19, EU:C:2020:503, point 37 et jurisprudence citée]. Dans ce contexte, il convient de tenir compte du fait que les textes de droit de l’Union sont rédigés en plusieurs langues et que toutes les versions linguistiques font foi, ce qui peut nécessiter une comparaison de ces versions (voir, en ce sens, arrêts du 26 janvier 2021, Hessischer Rundfunk, C‑422/19 et C‑423/19, EU:C:2021:63, point 65, et du 14 juillet 2016, Lettonie/Commission, T‑661/14, EU:T:2016:412, point 39 et jurisprudence citée). |
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59 |
En premier lieu, s’agissant de l’interprétation littérale, les différentes versions linguistiques de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 ne coïncident pas. En effet, alors qu’il ressort notamment des termes utilisés dans les versions allemande, anglaise, croate, espagnole, française, hongroise, italienne, néerlandaise et portugaise de cette disposition que la « communication » doit consister en une « action », notamment en une « transmission », la version bulgare de cette disposition laisse à penser qu’une quelconque connaissance de la concentration concernée est suffisante. Cette divergence entre les différentes versions linguistiques implique que l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 doit être interprété en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont il constitue un élément (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 2016, Borealis Polyolefine e.a., C‑191/14, C‑192/14, C‑295/14, C‑389/14 et C‑391/14 à C‑393/14, EU:C:2016:311, point 90, et du 26 janvier 2021, Hessischer Rundfunk, C‑422/19 et C‑423/19, EU:C:2021:63, point 65 et jurisprudence citée). |
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60 |
En deuxième lieu, s’agissant de l’interprétation historique, il importe de rappeler que l’emploi du terme « communication » dans l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 était nécessaire afin de permettre aux États membres ne disposant pas d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations de demander à la Commission de contrôler les concentrations susceptibles d’avoir des effets négatifs sur leur territoire, lorsque ces concentrations affectent également le commerce entre États membres (arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission, C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, point 164). |
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61 |
Outre cette mise en perspective historique, ladite interprétation ne permet pas non plus d’éclaircir le libellé de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. En effet, d’une part, l’expression « communiquée à l’État membre », telle qu’utilisée dans l’article 22, paragraphe 4, de la version initiale du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), correspond au substantif « communication » qui figure à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. D’autre part, l’expression « portée à la connaissance d’un État membre », telle qu’introduite par le par le règlement (CE) no 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997, modifiant le règlement no 4064/89 (JO 1997, L 180, p. 1) dans l’article 22, paragraphe 4, du règlement no 4064/89, était aussi imprécise et ambiguë que l’expression « communication à l’État membre intéressé » employée à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. Par ailleurs, la communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations (JO 2005, C 56, p. 2 ; ci-après la « communication sur le renvoi »), dont la note en bas de page no 43 contient une interprétation de la notion de « communication » qui est contestée par les requérantes, n’est pas pertinente aux fins d’une interprétation historique dès lors que cette communication a été adoptée après l’adoption du règlement no 139/2004 et ne pouvait donc pas être prise en compte par le législateur de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission, C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, point 144). |
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62 |
En troisième lieu, s’agissant de l’interprétation contextuelle, il convient de relever que l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 contient, dans son premier membre de phrase, une référence à la « demande [de renvoi] ». Cette disposition doit donc être lue à la lumière de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, qui énonce les conditions dans lesquelles une telle demande peut être formulée. Cela implique que la « communication » d’une concentration doit permettre à l’État membre intéressé d’effectuer une évaluation préliminaire desdites conditions et d’apprécier l’opportunité de présenter une demande de renvoi. Le fait que la notification et la « communication » de la concentration constituent des alternatives entraînant, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, les mêmes conséquences juridiques, à savoir le déclenchement du délai de quinze jours ouvrables (voir point 53 ci-dessus), confirme cette interprétation. Il en va de même pour les autres mécanismes de renvoi figurant à l’article 4, paragraphes 4 et 5, ainsi qu’à l’article 9 du règlement no 139/2004, qui prévoient, pour le déclenchement de leurs délais respectifs, la transmission soit d’une copie de la notification, soit d’un mémoire motivé, et, ainsi, une transmission active d’informations permettant l’évaluation de leurs conditions d’application. Ladite interprétation est également confirmée par le fait que, d’une part, le point de départ du délai de quinze jours ouvrables pour la présentation d’une demande de jonction dépend, lui aussi, de la transmission active d’informations aux autorités compétentes des États membres, conformément à l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, et, d’autre part, le régime de contrôle des concentrations de l’Union est généralement fondé sur le principe de transmission active d’informations pertinentes, comme il ressort notamment de l’article 4, paragraphes 1 et 2, et de l’article 10, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. |
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63 |
Compte tenu de ces éléments, une « communication » au sens de de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 doit consister en une transmission active d’informations à l’autorité compétente de l’État membre intéressé lui permettant d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions prévues au premier alinéa de ce paragraphe. |
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64 |
En quatrième lieu, cette appréciation est également confirmée par une interprétation téléologique de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. |
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65 |
En effet, il ressort des considérants 11 et 14 de ce règlement que le renvoi des concentrations doit être effectué avec efficacité, ce qui exclut une interprétation de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, dudit règlement en ce sens que les autorités compétentes des États membres sont obligées de rechercher activement des informations portant sur des concentrations susceptibles d’être examinées en vertu de ce régime. Il serait également porté atteinte à cet objectif d’efficacité si lesdites autorités étaient contraintes, afin de respecter le délai de quinze jours ouvrables, de procéder à une demande de renvoi par précaution, quand bien même il n’était pas certain que les conditions de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce même règlement fussent remplies. Ainsi, l’interprétation retenue au point 63 ci-dessus tient compte du fait que le législateur de l’Union souhaitait assurer un contrôle des opérations de concentration dans des délais compatibles à la fois avec les exigences d’une bonne administration et celles de la vie des affaires (voir arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission, C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, point 204 et jurisprudence citée). |
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66 |
En cinquième lieu, l’interprétation retenue au point 63 ci-dessus s’impose également à la lumière du principe de sécurité juridique, tel qu’invoqué par les requérantes, qui exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ceux-ci puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft, C‑573/12, EU:C:2014:2037, points 127 et 128 et jurisprudence citée). |
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67 |
En effet, cette interprétation assure que le point de départ du délai prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 soit clairement défini. En transmettant aux autorités compétentes des informations leur permettant une évaluation préliminaire des conditions prévues au premier alinéa dudit paragraphe, les parties à une concentration peuvent être sûres que ce délai a été déclenché et que le dépôt d’une demande de renvoi n’est plus possible après son expiration. Ainsi, il est garanti que ledit délai ne dépend pas de circonstances imprévisibles et incertaines, telles que des informations publiques disponibles sur une concentration donnée. |
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68 |
Contrairement à ce qu’estiment les requérantes, les autorités nationales, qui ne sont pas les auteurs mais les destinataires de la communication prévue à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, n’ont pas la maîtrise du délai prévu par cette disposition. En revanche, les parties à la concentration peuvent, par le biais d’une communication satisfaisant aux exigences exposées au point 63 ci-dessus, déclencher ce délai. En cas de non-respect dudit délai par ces autorités, lesdites parties peuvent invoquer cette circonstance dans le cadre de leurs observations sur la demande de renvoi devant la Commission et, si cette dernière accepte ladite demande, devant le juge de l’Union dans le cadre d’un recours en annulation contre la décision acceptant cette demande. Dès lors, lesdites autorités ne peuvent pas déterminer le début du délai de manière discrétionnaire, mais sont soumises à des critères objectifs qui font l’objet d’un contrôle juridictionnel. |
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69 |
Il s’ensuit, conformément à l’interprétation retenue au point 63 ci-dessus, qu’une « communication » au sens de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 doit, en ce qui concerne sa forme, consister en une transmission active d’informations pertinentes à l’autorité compétente de l’État membre intéressé et, quant à son contenu, contenir les informations suffisantes pour permettre à cette autorité d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions prévues au premier alinéa de ce paragraphe. |
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70 |
Par conséquent, ainsi que le soutient la Commission à bon droit, le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 commence à courir à compter du moment où l’ensemble de ces informations ont été transmises. Dans ce contexte, il est sans pertinence que lesdites informations aient été transmises par les entreprises concernées ou par des tiers ou par toute autre source. |
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71 |
Ainsi, contrairement à ce que font valoir les requérantes, des informations portant sur la seule existence de la concentration ne sauraient déclencher ledit délai dès lors que la simple connaissance d’une concentration ne permet pas à l’autorité compétente d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. |
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72 |
En outre, en ce que les requérantes exigent, en critiquant un prétendu droit à la passivité, des démarches positives de la part des autorités compétentes concernées à partir du moment où ces dernières ont été informées de l’existence de la concentration, elles se réfèrent, comme il ressort du point 62 ci-dessus, à un élément étranger au régime de contrôle des concentrations de l’Union en général et à ses mécanismes de renvoi en particulier, dans lesquels ni la Commission ni les autorités nationales ne sont amenées à rechercher activement des informations portant sur des concentrations susceptibles d’être examinées en vertu de ce régime. Une telle interprétation serait, par sa charge administrative considérable, également contraire à l’objectif d’efficacité mentionné au point 65 ci-dessus et priverait le mécanisme de renvoi visé à l’article 22 du règlement no 139/2004 de son effet utile. |
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73 |
Enfin, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, telle que retenue au point 63 ci-dessus, équivaut à une obligation de notification. |
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74 |
En effet, contrairement à ce qui est prévu à l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004 pour une omission de notification, l’absence de communication n’est pas sanctionnée. En outre, comme le fait observer la Commission, il n’existe aucune exigence quant à la forme que doit prendre une telle communication. Celle-ci peut, par exemple, consister en une simple note et se limiter à indiquer brièvement les éléments permettant l’analyse de conditions prévues à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, tels que la concentration concernée, les parties à cette concentration, les marchés affectés, l’impact sur le commerce entre États membres et l’impact concurrentiel sur le territoire de l’État membre concerné. |
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75 |
Dès lors, une communication n’équivaut ni par sa forme, ni par son contenu, ni par son objet à une notification obligatoire, qui requiert, conformément à l’article 4 du règlement d’exécution (UE) 2023/914 de la Commission, du 20 avril 2023, concernant la mise en œuvre du règlement no 139/2004 et abrogeant le règlement (CE) no 802/2004 de la Commission (JO 2023, L 119, p. 22), la fourniture des informations complètes, telles que prévues par les formulaires CO et CO simplifié figurant aux annexes I et II dudit règlement, pour permettre à la Commission d’effectuer une appréciation définitive de la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur. |
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76 |
Par ailleurs, la notion de « communication » prévue à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 vise principalement des concentrations susceptibles d’avoir des effets négatifs sur le territoire d’un État membre ne disposant pas d’une réglementation nationale en matière de contrôle de concentrations (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission, C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, point 164), ce qui, actuellement, est uniquement le cas du Grand-Duché du Luxembourg. Partant, il convient de constater que le champ d’application de cette notion demeure limité. |
Sur le point de départ du délai de quinze jours ouvrables en l’espèce
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77 |
Les requérantes estiment que l’ACL a été suffisamment informée de la concentration en cause avant le 17 janvier 2024, date retenue dans la décision attaquée. Elles soutiennent que, en réalité, l’ACL était, dès le 10 janvier 2024, informée de ladite concentration et en mesure de procéder à une appréciation préliminaire. |
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78 |
En effet, premièrement, cette concentration serait d’une grande simplicité. Deuxièmement, l’ACL aurait, d’une part, enquêté sur le secteur de la grande distribution au Luxembourg depuis 2015, sur le secteur des brasseries et des débits de boissons depuis 2017 ainsi que, depuis 2019, sur les relations entre les brasseries et les professionnels du secteur d’activités de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés (ci-après les « Horeca ») visant spécifiquement les requérantes et une filiale d’AB InBev et, d’autre part, reçu de nombreuses informations utiles de la part des requérantes et d’autres acteurs dans le cadre des enquêtes menées depuis 2015. Ces informations auraient permis à cette autorité de porter une appréciation préliminaire sur la concentration en cause au début de l’année 2024. Troisièmement, l’ACL reconnaîtrait avoir été informée de ladite concentration dès le 22 décembre 2023. Quatrièmement, des articles de presse auraient été publiés dès le 9 janvier 2024. Cinquièmement, Brasserie Nationale aurait, lors d’une entrevue organisée avec l’ACL le 10 janvier 2024, informé cette dernière que sa filiale Munhowen était sur le point d’acquérir Boissons Heintz. |
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79 |
Les requérantes précisent que, lors de cette réunion, l’ACL a été informée que la concentration en cause allait être clôturée à la fin du mois de janvier 2024. Elles critiquent le fait que cette autorité n’a guère posé de questions sur ladite concentration et n’a annoncé aucun suivi concret, mais s’est limitée à répondre qu’elle allait « rester en contact » avec les avocats de Munhowen. En l’absence de réaction de ladite autorité, les parties à la concentration en cause auraient, trois semaines plus tard, à savoir le 31 janvier 2024, procédé à la réalisation de cette concentration avec cession des parts et paiement du prix. Selon les requérantes, il aurait été simple, judicieux et conforme aux principes de sécurité juridique et d’efficacité pour l’ACL de contacter les avocats de Munhowen entre le 10 et 30 janvier 2024 afin de continuer les échanges ou expliquer qu’il y avait une difficulté. |
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80 |
L’ACL serait restée passive et n’aurait accompli aucune démarche positive, ni formulé aucune demande visant à obtenir des informations complémentaires par rapport à celles qu’elle détenait déjà, mais aurait attendu que des tiers se manifestent. Selon les requérantes, il ressort des indications de l’ACL que l’initiative d’une entreprise concurrente de Brasserie Nationale a été déterminante pour la demande de renvoi. L’ACL aurait donc laissé passer le délai de quinze jours ouvrables prévu par l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 sans réagir. |
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81 |
La Commission, AB InBev et l’ACL contestent cette argumentation. |
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82 |
En premier lieu, il ressort du point 22 de la décision attaquée et du point 16 de la demande de renvoi que Brasserie Nationale a informé l’ACL le 22 décembre 2023 puis le 10 janvier 2024 que sa filiale Munhowen entendait acquérir Boissons Heintz. Toutefois, les requérantes ne démontrent pas que, à ces dates, les informations communiquées par Brasserie Nationale à l’ACL sur l’existence de la concentration en cause contenaient, conformément à l’interprétation retenue au point 69 ci-dessus, les éléments suffisants permettant d’évaluer, de manière préliminaire, si les conditions pour formuler une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 étaient réunies. Au contraire, il ressort du compte rendu de la réunion du 10 janvier 2024, produit dans l’annexe B.8 du mémoire en défense de la Commission, que le représentant des requérantes n’a fourni aucun détail sur la concentration en cause et que l’ACL lui a indiqué ne pas disposer des éléments suffisants pour se prononcer sur une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, ni sur l’application de l’article 102 TFUE. |
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83 |
En second lieu, les requérantes ne démontrent pas davantage que l’ACL a obtenu, avant le 17 janvier 2024, par des tiers ou par toute autre source, des informations permettant une évaluation préliminaire des conditions à satisfaire pour formuler une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. L’argumentation des requérantes repose plutôt sur la prémisse erronée qu’il incombait à l’ACL de faire des recherches afin de disposer des informations nécessaires pour une telle évaluation préliminaire. Or, comme indiqué aux points 71 et 72 ci-dessus, cela n’était pas le cas. |
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84 |
L’ACL ayant été uniquement informée de l’existence de la concentration, et n’ayant pas été tenue de rechercher activement des informations sur la concentration en cause et sur les entreprises concernées, les requérantes ne sauraient reprocher à cette autorité l’absence de « démarche positive ». Dans ces conditions, les articles de presse invoqués par les requérantes et la prétendue simplicité de ladite concentration sont dénués de pertinence. |
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85 |
Par ailleurs, si les rapports des enquêtes sectorielles de l’ACL dans le secteur de la grande distribution et dans les secteurs des brasseries et des débits de boisson pouvaient, certes, être utiles pour l’appréciation de certains effets potentiels de la concentration en cause sur la concurrence au Luxembourg, il convient d’observer que ces rapports, d’une part, dataient de l’année 2019 et présentaient donc une actualité limitée et, d’autre part, ne couvraient pas tous les marchés pertinents tels que cela est exposé au point 21 ci-dessus, dont notamment le marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg. Or, ce dernier marché était particulièrement pertinent pour une analyse préliminaire de ladite concentration étant donné que Munhowen et Boissons Heintz sont toutes deux actives dans la distribution en gros de boissons au Luxembourg (voir points 3 et 4 ci-dessus). De même, les informations obtenues par l’ACL dans le cadre d’autres investigations menées depuis 2015, telles que celles concernant les relations entre les brasseries et les établissements Horeca au Luxembourg, n’étaient pas entièrement à jour et ne concernaient que de manière limitée ce marché. En tout état de cause, dans la mesure où lesdites enquêtes sectorielles et investigations ne portaient pas sur cette concentration, elles n’auraient, sans recherche d’informations supplémentaires, pas été suffisantes pour une analyse préliminaire des conditions à satisfaire pour formuler une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. |
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86 |
Dès lors, en l’absence de preuve de la transmission active à l’ACL, avant le 17 janvier 2024, de toutes les informations pertinentes pour une évaluation préliminaire des conditions de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir retenu, au point 28 de la décision attaquée, cette date comme étant le point de départ du délai de quinze jours ouvrables, tel que prévu au second alinéa dudit paragraphe. |
Sur la vérification par la Commission du respect du délai de quinze jours ouvrables
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87 |
Les requérantes soutiennent que la Commission a accepté la demande de renvoi sans avoir vérifié, avec une diligence raisonnable, le respect du délai de quinze jours ouvrables, tel que prévu par l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, par l’ACL. |
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88 |
La Commission conteste cette argumentation. |
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89 |
Il convient de relever que la Commission a examiné, aux points 20 à 30 de la décision attaquée, la question de savoir si la demande de renvoi a été présentée dans le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. |
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90 |
Plus précisément, la Commission a tenu compte des observations de Brasserie Nationale (point 23 de la décision attaquée) et a examiné si des preuves attestaient que cette dernière avait transmis à l’ACL, le 10 janvier 2024, des informations pertinentes et suffisantes lui permettant une appréciation préliminaire des conditions à satisfaire pour formuler une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 (point 24 de la décision attaquée). La Commission a également échangé avec cette autorité au sujet des informations communiquées par les parties à la concentration en cause. Elle a constaté que les requérantes n’avaient pas fourni d’informations concrètes permettant d’apprécier la concentration en cause et ses effets sur le territoire du Luxembourg (point 25 et note en bas de page no 23 de la décision attaquée). La Commission a relevé que de telles informations ont été fournies, les 17 et 25 janvier 2024, par des tiers (point 27 de la décision attaquée). Elle en a conclu que cette concentration avait été communiquée à l’ACL au plus tôt le 17 janvier 2024 (point 28 de la décision attaquée) de telle sorte que la demande de renvoi du 7 février 2024 avait été présentée dans le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 (point 29 de la décision attaquée). |
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91 |
Dès lors, et en tout état de cause, contrairement aux affirmations des requérantes, la Commission a bien vérifié si l’ACL avait présenté la demande de renvoi dans le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004, sans qu’il soit nécessaire de déterminer la date exacte à laquelle le délai a commencé à courir. |
Sur la prétendue violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique
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92 |
Selon les requérantes, l’acceptation de la demande de renvoi porte atteinte aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique et est contraire à la volonté de célérité du législateur de l’Union qui a prévu un délai bref pour formuler une demande de renvoi. Le renvoi remettrait en question a posteriori la validité de la concentration en cause. Conformément à l’arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission (C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, points 206 et 207), toute interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 devrait être conforme aux principes d’efficacité, de prévisibilité et de sécurité juridique et le non-respect du délai prévu par cette disposition violerait les principes d’efficacité et de sécurité juridique. |
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93 |
La Commission conteste cette argumentation. |
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94 |
À titre liminaire, il convient d’observer que l’article 22 du règlement no 139/2004 permet, comme il découle de son paragraphe 4, premier alinéa, le renvoi d’une opération de concentration à la Commission après sa réalisation. Ainsi, en l’absence d’une exception d’illégalité dirigée contre ladite disposition, les requérantes ne sauraient faire grief à la Commission de son application à la concentration en cause au motif que cette dernière a déjà été réalisée et ne peut plus être remise en cause en vertu du droit national. |
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95 |
En ce que les requérantes invoquent le principe de sécurité juridique et la volonté du législateur de l’Union, il ressort des points 65 à 68 et 72 ci-dessus que l’interprétation retenue dans la décision attaquée ainsi qu’au point 69 ci-dessus s’impose, d’une part, à la lumière dudit principe, ainsi que de l’objectif d’efficacité et de l’effet utile de l’article 22 du règlement no 139/2004, et assure, d’autre part, le contrôle des opérations de concentration dans des délais compatibles à la fois avec les exigences d’une bonne administration et celles de la vie des affaires. |
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96 |
S’agissant de la protection de la confiance légitime, il suffit de rappeler que, pour que la violation de ce principe soit constatée, il faut qu’une institution de l’Union, en fournissant à un administré des assurances précises, ait fait naître chez lui des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (voir arrêt du 16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission, C‑850/19 P, non publié, EU:C:2021:740, point 34 et jurisprudence citée). Or, les requérantes n’ont pas établi l’existence d’une quelconque assurance qui leur aurait été donnée par la Commission. L’acceptation de la demande de renvoi par cette dernière, par la décision attaquée, ne saurait donc violer ledit principe. |
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97 |
Dès lors, il y a lieu de rejeter les arguments tirés de la prétendue violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique ainsi que de la volonté du législateur de l’Union et du contrôle a posteriori de la validité de la concentration en cause. |
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98 |
Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble. |
Sur le troisième moyen, tiré de la violation du délai prévu à l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004
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99 |
Les requérantes considèrent que le fait que les entreprises concernées n’ont été informées, en français, sur la demande de renvoi, que le 14 février 2024 et que cette demande ne leur a été communiquée que le 26 février 2024, constitue une violation de l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. Elles estiment que l’information sur ladite demande aurait dû intervenir dès le 7 février 2024 ou le lendemain. Seule l’information en français de la demande de renvoi serait une communication utile et valable. |
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100 |
La Commission conteste cette argumentation. |
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101 |
Il convient de relever que, selon l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004, « la Commission informe sans délai les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande [de renvoi] reçue conformément au paragraphe 1 [dudit article] ». |
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102 |
Pour comprendre la portée exacte de cette obligation, il y a lieu de s’interroger sur le contenu et la forme de l’information que la Commission doit adresser aux autorités compétentes des États membres et aux entreprises concernées ainsi que sur l’exigence que cette information doit intervenir « sans délai ». |
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103 |
Premièrement, s’agissant du contenu de l’information, il convient de tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit ladite obligation en analysant le lien entre les premier et deuxième alinéas de l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004. Ce deuxième alinéa prévoit que « [t]out autre État membre a le droit de se joindre à la demande initiale dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle la Commission l’a informé de la demande initiale ». L’information prévue au premier alinéa dudit paragraphe vise donc à permettre aux autorités compétentes des autres États membres de présenter une demande de jonction. Pour une telle demande, ces autorités doivent, tout comme celles de l’État membre demandeur par le biais d’une communication au titre de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, de ce règlement (voir point 69 ci-dessus), être en mesure d’effectuer une évaluation préliminaire des conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement, pour laquelle elles disposent, comme les autorités de l’État membre demandeur, d’un délai de quinze jours ouvrables. Il en découle que l’information mentionnée à l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du même règlement doit contenir tous les éléments essentiels de la demande de renvoi afin de permettre aux autorités compétentes des autres États membres d’apprécier l’opportunité de présenter une demande de jonction. |
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104 |
Dans la mesure où l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 place les « entreprises concernées » sur le même plan que les « autorités compétentes des [autres] États membres », la Commission doit communiquer les mêmes informations à ces entreprises afin de leur permettre de soumettre leurs observations. |
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105 |
Deuxièmement, s’agissant de la forme de l’information sur une demande de renvoi, il convient d’observer que l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 ne prévoit aucune exigence de forme particulière pour une telle information. Ainsi, comme le fait valoir la Commission, cette disposition n’exige pas que la Commission transmette une copie de la demande de renvoi aux autorités nationales ou aux entreprises concernées, même si une telle transmission peut lui permettre de satisfaire à son obligation d’information au titre de ladite disposition. |
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106 |
Troisièmement, en ce qui concerne l’exigence temporelle prévue par l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004, l’expression « sans délai » signifie « immédiatement », « rapidement » et « sans déport » (arrêt du 28 septembre 2022, Grieger/Commission, T‑517/21, non publié, EU:T:2022:588, point 39). |
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107 |
En l’espèce, la Commission a envoyé la lettre d’information à Brasserie Nationale le 8 février 2024, soit le lendemain de la réception de la demande de renvoi en date du 7 février 2024 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Cette lettre, produite en tant qu’annexe A.6 à la requête, contient un résumé des raisons pour lesquelles l’ACL a considéré que la concentration en cause affectait le commerce entre États membres et menaçait d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire luxembourgeois, et, par conséquent, remplissait les conditions d’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. |
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108 |
Il s’agit d’une information envoyée sans délai sur la demande de renvoi qui remplit, tant par sa forme que par son contenu, les exigences de l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004, telles qu’exposées aux points 103 à 106 ci-dessus. |
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109 |
Ainsi, comme l’affirme la Commission, il est sans pertinence que la demande de renvoi, dont la transmission n’est pas nécessaire pour remplir ces exigences (voir point 105 ci-dessus), n’a été envoyée à Brasserie Nationale que le 26 février 2024. Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner si la visioconférence du 12 février 2024 (voir point 14 ci-dessus), en conjonction avec les prises de contact des 8 et 9 février 2024 (voir point 13 ci-dessus), permet de satisfaire lesdites exigences. |
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110 |
Certes, la lettre d’information a été rédigée en anglais, ce qui constitue une violation de l’article 3 du règlement no 1 (voir points 39 à 42 ci-dessus). Toutefois, selon la jurisprudence citée aux points 43 et 44 ci-dessus, ce n’est que si l’utilisation de l’anglais dans la lettre d’information a eu des conséquences préjudiciables pour les requérantes que la régularité de l’envoi de cette lettre et, partant, celle de la procédure administrative peut être remise en cause. Or, comme il découle des points 45 à 47 ci-dessus, les requérantes n’ont pas démontré que cette utilisation de l’anglais leur a porté préjudice dans le cadre de la procédure administrative. |
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111 |
Partant, le troisième moyen doit être rejeté. |
Sur le quatrième moyen, tiré de la communication tardive de la décision attaquée
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112 |
Les requérantes soutiennent que la communication le 12 avril 2024 de la décision attaquée à Brasserie Nationale était tardive. |
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113 |
D’une part, cela ne satisferait pas la volonté de célérité résultant de l’article 22 du règlement no 139/2004 selon lequel une communication devrait être utile afin de permettre aux entreprises concernées de se positionner et d’agir. D’autre part, cette communication, près d’un mois après la dernière date possible pour adopter la décision attaquée, méconnaîtrait cette disposition, notamment son paragraphe 3, qui prévoirait des délais de respectivement quinze et dix jours ouvrables. Selon les requérantes, la Commission ne saurait, par la communication tardive de la décision attaquée, prolonger ces délais de vingt jours ouvrables additionnels. |
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114 |
La Commission réfute cette argumentation. |
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115 |
En premier lieu, il convient de relever que l’article 22, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 prévoit que « [l]a Commission informe tous les États membres et les entreprises concernées de sa décision [sur la demande de renvoi] ». Selon ladite disposition, « [e]lle peut demander qu’une notification lui soit faite conformément à l’article 4 [dudit règlement] ». |
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116 |
Eu égard à cette disposition, la Commission était, comme elle le soutient à bon droit, uniquement tenue d’informer les parties à la concentration en cause de l’adoption de la décision attaquée. Selon le point 79 de la communication sur le renvoi, par laquelle la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation (voir arrêt du 16 février 2017, H&R ChemPharm/Commission, C‑95/15 P, non publié, EU:C:2017:125, point 57), cette information « se fait par l’envoi d’une lettre aux entreprises en cause ». |
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117 |
En l’espèce, la Commission a informé les requérantes de la décision attaquée par lettre du 14 mars 2024, soit le jour même de son adoption (voir aussi point 19 ci-dessus). Compte tenu de cette information immédiate, la Commission a respecté l’obligation qui lui incombait en vertu de l’article 22, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004. |
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118 |
En second lieu, il convient de noter que la décision attaquée est adressée à l’ACL et que les requérantes ne sont pas les destinataires de cette décision. |
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119 |
Cela s’explique par le fait que la procédure de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 est une procédure entre les États membres et la Commission. En effet, contrairement aux mécanismes de renvoi prévus à l’article 4, paragraphes 4 et 5, dudit règlement, ce sont les États membres et non les entreprises concernées qui déclenchent, par l’envoi d’une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement, ladite procédure qui se termine, si cette demande est acceptée, par une décision en vertu du paragraphe 3 dudit article, entraînant le transfert de la compétence pour l’examen de la concentration faisant l’objet de ladite demande à la Commission. |
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120 |
À cet égard, il y a lieu de préciser que la notion de demande d’un « État membre » au sens de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne se limite pas aux demandes émanant d’un gouvernement ou d’un ministère, mais qu’elle englobe également celles provenant d’une autorité nationale de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, point 86). |
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121 |
Conformément à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, les décisions qui désignent un destinataire sont notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification. |
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122 |
Dès lors, eu égard au fait que la décision attaquée s’adressait exclusivement à l’ACL et non aux parties à la concentration en cause, la Commission n’était pas obligée de notifier la décision attaquée à ces dernières. |
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123 |
Partant, les requérantes ayant été informées immédiatement de l’adoption de la décision attaquée et n’étant pas les destinataires de cette décision, elles ne sauraient prétendre que la Commission était tenue de leur communiquer ladite décision avant le 12 avril 2024. |
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124 |
Partant, il convient de rejeter le quatrième moyen. |
Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des droits de la défense ainsi que des principes de l’égalité des armes, de la loyauté de la procédure et de la confiance légitime
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125 |
Les requérantes estiment que les éléments invoqués dans le cadre du premier au quatrième moyens caractérisent également une violation des droits de la défense ainsi que des principes de l’égalité des armes, de la loyauté de la procédure et de la confiance légitime. En particulier, elles soutiennent, en faisant référence aux conclusions de l’avocat général Emiliou dans les affaires jointes Illumina et Grail/Commission (C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:264, point 210), que l’ACL aurait, depuis le 10 janvier 2024, pu et dû les entendre une nouvelle fois, notamment après avoir déclaré, lors de l’entrevue de ce jour, sa disponibilité en vue de futurs échanges. En outre, l’ACL aurait pu, entre les 10 et 31 janvier 2024, empêcher la réalisation de la concentration en cause ou mettre en garde Brasserie Nationale. |
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126 |
La Commission conteste cette argumentation. |
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127 |
À titre liminaire, il convient de noter que les griefs, par lesquels les requérantes reprochent à l’ACL de ne pas les avoir contactées et entendues une nouvelle fois et de ne pas avoir empêché la réalisation de la concentration en cause avant l’introduction de la demande de renvoi, sont dirigés contre le comportement de l’ACL dans le cadre de l’adoption de cette demande et non contre celui de la Commission. |
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128 |
Or, conformément à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union n’est pas compétent pour statuer sur la légalité d’un acte adopté par une autorité nationale (arrêts du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C‑97/91, EU:C:1992:491, point 9, et du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, point 83). |
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129 |
Il importe également de rappeler que, lorsque la Commission est saisie d’une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il lui incombe seulement de vérifier si cette demande est, à première vue, une demande de renvoi au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, point 84). La Commission doit donc s’en tenir à la demande de renvoi émanant d’un État membre et il ne lui appartient pas de vérifier si cette demande a été faite conformément aux droits procéduraux applicables, dont la violation doit être contestée devant les juridictions nationales. |
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130 |
Dans ces circonstances, d’éventuelles illégalités commises par l’ACL dans la procédure conduisant à l’adoption de la demande de renvoi ne sauraient affecter la légalité de la décision attaquée. Par conséquent, l’argumentation des requérantes est inopérante en ce qu’elle concerne de telles illégalités. |
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131 |
En outre, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que l’article 22 du règlement no 139/2004 n’obligeait l’ACL ni à entendre ni à informer les requérantes avant l’introduction de la demande de renvoi et qu’une telle obligation ne ressort pas non plus des conclusions de l’avocat général Emiliou dans les affaires jointes Illumina et Grail/Commission (C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:264, point 210), telles qu’invoquées par les requérantes. |
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132 |
En revanche, les entreprises concernées devant être informées, conformément à l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004, d’une demande de renvoi au titre du paragraphe 1 de cet article, elles disposent du droit d’être entendues au cours de la procédure administrative conduisant à l’adoption d’une décision statuant sur ladite demande en vertu de l’article 22, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement. |
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133 |
En l’espèce, il est constant que Brasserie Nationale a été informée de la demande de renvoi le 8 février 2024 (voir point 13 ci-dessus) et qu’elle a présenté ses observations les 22 et 29 février 2024 (voir points 16 et 17 ci-dessus). Brasserie Nationale était donc informée avant l’adoption de la décision attaquée, qui est intervenue le 14 mars 2024, et a eu plusieurs occasions de faire connaître son point de vue au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de ladite décision. |
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134 |
En ce qui concerne le grief selon lequel l’ACL aurait pu empêcher la réalisation de la concentration en cause, il y a lieu de rappeler que ce grief est inopérant (voir points 127 à 129 ci-dessus). S’il devait, toutefois, être compris en ce sens que, par celui-ci, les requérantes font valoir que l’ACL aurait dû présenter la demande de renvoi plus tôt pour déclencher, conformément à l’article 22, paragraphe 4, du règlement no 139/2004, l’obligation de suspension prévue à l’article 7 dudit règlement, il suffit de relever que le délai de quinze jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 n’a commencé à courir, au plus tôt, qu’à partir du 17 janvier 2024 et que l’ACL était donc en droit d’introduire cette demande le 7 février 2024 (voir point 86 ci-dessus). |
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135 |
Quant au principe de la confiance légitime, il ressort du point 96 ci-dessus que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission leur a fourni des assurances précises faisant naître chez elles des espérances fondées. En ce qui concerne les déclarations de l’ACL, celles-ci ne sauraient, en tout état de cause, affecter la légalité de la décision attaquée (voir point 129 ci-dessus). |
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136 |
S’agissant des autres griefs, les requérantes n’expliquent pas en quoi les arguments invoqués dans le cadre des premier au quatrième moyens sont pertinents pour le cinquième moyen. Compte tenu de ces affirmations vagues et non étayées, ces griefs doivent donc être rejetés. |
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137 |
Partant, les requérantes n’ont pas établi une violation des droits de la défense ni des principes de l’égalité des armes, de la loyauté de la procédure ou de la confiance légitime. |
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138 |
Par conséquent, le cinquième moyen doit être écarté. |
Sur le sixième moyen, tiré de l’absence d’affectation du commerce entre les États membres
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139 |
Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir omis d’examiner si l’affectation du commerce entre États membres est susceptible de résulter de la concentration en cause. La Commission se serait uniquement basée sur la situation de concurrence « ex ante » et non sur les effets potentiellement néfastes de cette concentration. Selon la jurisprudence, l’analyse de ces effets devrait être plausible et basée sur l’évolution économique attribuable à la concentration dont la probabilité est la plus forte. Une analyse de cette causalité aurait aussi été exigée par les orientations de la Commission concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement [no 139/2004] à certaines catégories d’affaires (JO 2021, C 113, p. 1, ci-après les « orientations concernant l’article 22 »). |
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140 |
En particulier, les requérantes critiquent, s’agissant notamment des points 58 à 61 de la décision attaquée, qu’il ne saurait être exigé qu’une concentration conduise à une amélioration d’une situation de concurrence insatisfaisante. Le point 60 de la décision attaquée ne serait pertinent dès lors qu’il ne ferait que relater une statistique actuelle sans qu’une conséquence en soit tirée. En ce qui concerne le point 62 de la décision attaquée, les requérantes estiment que, d’une part, la part des importations signifie uniquement que le marché géographique à considérer est la « Grande Région » et, d’autre part, la Commission n’a pas motivé son affirmation relative à la part de marché trop élevée de la nouvelle entité issue de la concentration en cause. Elles reprochent à la Commission de ne pas avoir distingué, dans la décision attaquée, le passé de l’avenir. Aux points 64 à 66 de la décision attaquée, la part élevée des importations serait répétée, sans en tirer de conséquence. L’affirmation contenue au point 67 de la décision attaquée, selon laquelle les producteurs internationaux dépendent fortement du réseau et des actifs locaux des distributeurs en gros pour atteindre chaque point de vente du canal CHR/in-trade au Luxembourg, ne serait pas exacte et aurait été contredite. La Commission n’aurait pas répondu à l’argument de Brasserie Nationale selon lequel il n’y avait aucune entrave à l’entrée des producteurs internationaux sur le marché local des Horeca au Luxembourg. Selon les requérantes, cela est confirmé par le fait que, depuis la réalisation de ladite concentration, AB InBev a pu résilier les conventions commerciales qui la liaient à Boissons Heintz, pour trouver sans difficulté des accès effectifs à ce marché. La Commission, qui s’occuperait depuis longtemps de la distribution de boissons et de bières, aurait l’obligation de répondre aux arguments invoqués par les entreprises concernées. Enfin, les requérantes avancent que les points 68 et 69 de la décision attaquée se réfèrent uniquement à la situation concurrentielle existante. |
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141 |
En réponse à la question du Tribunal du 6 septembre 2024, les requérantes soutiennent que l’arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission (C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677), met en évidence que, pour tomber sous le champ d’application de l’article 22 du règlement no 139/2004, une concentration doit avoir une dimension européenne. |
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142 |
La Commission et AB InBev contestent les arguments des requérantes. |
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143 |
À titre liminaire, il convient de relever que, pour qu’un ou plusieurs États membres puissent renvoyer une concentration à la Commission et que cette dernière puisse accepter de l’examiner, deux conditions matérielles doivent être remplies. En effet, conformément à l’article 22, paragraphes 1 et 3, du règlement no 139/2004, la concentration concernée doit, d’une part, « affecte[r] le commerce entre États membres » et, d’autre part, « menace[r] d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent [la] demande [de renvoi] ». |
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144 |
En revanche, contrairement à ce qu’estiment les requérantes, pour tomber dans le champ d’application de cette disposition, une concentration ne doit pas avoir de dimension européenne. En effet, conformément à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, peut faire l’objet d’une demande de renvoi « toute concentration, telle que définie à l’article 3 [de ce règlement], qui n’est pas de dimension [européenne] au sens de l’article 1er [dudit règlement] ». |
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145 |
En ce qui concerne la première condition matérielle mentionnée au point 143 ci-dessus, dont l’application par la Commission dans la décision attaquée fait l’objet du présent moyen, il y a lieu de donner de cette condition une interprétation cohérente avec celle qui lui est donnée dans le cadre des articles 101 et 102 TFUE (arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, point 106). |
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146 |
Ainsi, comme l’indique le point 43 de la communication sur le renvoi et comme l’a également indiqué le point 14 des orientations concernant l’article 22, retirées par la communication de la Commission du 2 décembre 2024 (JO C, C/2024/7190, p. 1) à la suite de l’arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission (C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677), une concentration remplit la condition relative à l’affectation du commerce entre États membres lorsqu’elle est susceptible d’avoir une influence perceptible sur les courants d’échanges entre États membres. |
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147 |
Selon la jurisprudence, compte tenu de la nature du contrôle des concentrations instauré par le règlement no 139/2004, la Commission est tenue de faire une analyse prospective des effets de la concentration concernée et donc, dans le cadre de l’article 22 dudit règlement, des effets futurs sur le commerce entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, point 107). |
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148 |
Plus précisément, pour être susceptible d’affecter le commerce entre États membres, une concentration doit permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, qu’elle puisse exercer une influence directe ou indirecte, réelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre États (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, point 103 et jurisprudence citée). |
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149 |
Selon la jurisprudence, une concentration affecte notamment le commerce entre États membres lorsqu’elle rend plus difficile l’action ou la pénétration, sur le marché national, de producteurs ou de vendeurs d’autres États membres ou qu’elle empêche des concurrents venant d’autres États membres de s’implanter sur le marché en cause. En effet, lorsque le détenteur d’une position dominante barre l’accès au marché à des concurrents, il est indifférent que ce comportement n’ait lieu que sur le territoire d’un seul État membre, dès lors qu’il est susceptible d’avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, points 104 et 105 et jurisprudence citée). |
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150 |
Dans le cadre de l’exercice de ce contrôle ex ante des concentrations, la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique aux fins de l’application des règles de fond du règlement no 139/2004, dès lors qu’elle se livre à des analyses économiques prospectives visant à déterminer la probabilité de certaines évolutions du marché pertinent dans un laps de temps prévisible (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments, C‑376/20 P, EU:C:2023:561, point 82 et jurisprudence citée). |
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151 |
Cette analyse prospective nécessaire en matière de contrôle des concentrations relève de la marge d’appréciation en matière économique dont dispose la Commission aux fins de l’application des règles de fond du règlement no 139/2004, justifiant que ce contrôle se limite à la vérification de l’exactitude matérielle des faits et à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments, C‑376/20 P, EU:C:2023:561, point 84 et jurisprudence citée). En particulier, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (voir arrêt du 23 mai 2019, KPN/Commission, T‑370/17, EU:T:2019:354, point 107 et jurisprudence citée). |
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152 |
S’agissant de l’analyse des conditions matérielles prévues par l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, il y a lieu de relever que l’expression « si elle estime », contenue dans cette disposition, qui ne figurait pas encore dans l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89, indique également que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans le cadre de ladite l’analyse, qu’elle doit effectuer dans un délai limité de dix jours ouvrables sur la base des informations disponibles. En effet, d’une part, l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 prévoit que, en l’absence de prise de position dans ce délai, la Commission est réputée avoir adopté une décision acceptant le renvoi. D’autre part, n’étant pas obligée de rechercher activement des informations portant sur la concentration concernée (voir point 72 ci-dessus), la Commission doit principalement fonder son analyse sur les éléments disponibles, à savoir sur les informations transmises dans la demande de renvoi basée, quant à elle, sur une évaluation préliminaire effectuée par l’État membre demandeur (voir point 69 ci-dessus) et, le cas échant, dans les demandes de jonction d’autres États membres au titre de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 ainsi que dans les éventuelles observations présentées par les entreprises concernées. |
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153 |
C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments soulevés par les requérantes et de vérifier s’ils démontrent une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission dans le cadre de l’analyse de la condition relative à l’affectation du commerce entre États membres, telle que prévue à l’article 22, paragraphes 1 et 3, du règlement no 139/2004. |
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154 |
En premier lieu, s’agissant des arguments tirés de la prétendue absence d’une analyse prospective des effets futurs de la concentration en cause sur le commerce entre États membres, il convient de relever que la Commission a, après avoir exposé, aux points 57 à 62 de la décision attaquée, les constats de l’ACL et des observations de Brasserie Nationale concernant la condition relative à l’affectation du commerce entre États membres, telle que prévue à l’article 22, paragraphes 1 et 3, du règlement no 139/2004, procédé, aux points 63 à 69 de la décision attaquée, à son propre examen de cette condition. |
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155 |
Tout d’abord, la Commission a examiné la structure et les caractéristiques des marchés pertinents. D’une part, elle a considéré, au point 64 de la décision attaquée, prenant en compte les informations transmises par l’ACL, que les importations en provenance d’autres États membres représentaient une part significative de la distribution en gros de boissons vendues au Luxembourg, notamment par le canal CHR/on-trade et pour les bières. D’autre part, elle a estimé, aux points 65 et 66 de la décision attaquée, que l’importance des importations par ce canal, à tout le moins pour la bière, ressortait également du fait que les parties à la concentration en cause distribuaient des marques internationales et européennes de bière au Luxembourg. Ensuite, la Commission a analysé le pouvoir de marché desdites parties. Elle a noté, au point 67 de la décision attaquée, que la part de marché cumulée de ces parties, sur le marché de la distribution en gros de boissons par ledit canal s’élevait à environ 80 % et, concernant spécifiquement la distribution en gros de bière par ce même canal, dépassait 70 %. Elle a ajouté, également au même point 67 de la décision attaquée, que Brasserie Nationale était intégrée verticalement en amont dans la production et la fourniture de bière au point de détenir une part de marché d’environ 40 à 50 %. La Commission en a déduit, toujours audit point 67 de la décision attaquée, que le pouvoir de marché qui en résultait sur le marché lié verticalement pourrait susciter des problèmes de verrouillage, notamment en ce qui concerne l’accès des producteurs de boissons établis en dehors du Luxembourg et sans capacité de distribution dans cet État membre, qui dépendaient du réseau et des actifs locaux des distributeurs en gros. Enfin, la Commission a conclu, aux points 63 et 69 de la décision attaquée, que la concentration en cause était susceptible d’affecter le commerce entre États membres dès lors qu’elle priverait d’accès au marché luxembourgeois les producteurs de boissons, notamment de bière, établis dans les autres États membres et ne disposant pas d’un réseau de distribution par le canal CHR/on-trade au Luxembourg. |
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156 |
Il s’ensuit que la Commission a réalisé une analyse prospective des effets potentiels futurs de la concentration en cause sur le commerce entre États membres, conformément à la jurisprudence citée aux points 147 et 148 ci-dessus. Ces effets sont soulignés par l’expression « pourrait susciter » et le terme « susceptible », tels qu’employés aux points 67 et 69 de la décision attaquée. Ils concernent, comme il est exposé auxdits points, des problèmes de verrouillage, notamment quant à l’accès au marché luxembourgeois, caractérisé par l’importance des importations, par des producteurs de boissons d’autres États membres sans capacité de distribution par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, et résultent du pouvoir de marché cumulé important des parties à la concentration en cause sur le marché de la distribution en gros de boissons par ce canal ainsi que de leur intégration verticale dans la production et la fourniture de bière. |
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157 |
En second lieu, il convient d’examiner les arguments par lesquels les requérantes tentent de remettre en cause le bien-fondé de l’analyse réalisée par la Commission relative à l’affectation du commerce entre États membres, telle qu’exposée au point 155 ci-dessus. |
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158 |
Premièrement, il convient de noter que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas exigé, aux points 58 à 61 de la décision attaquée, que la concentration en cause améliore la situation de concurrence « ex ante », mais s’est limitée à exposer les constats de l’ACL quant à la structure et aux caractéristiques des marchés pertinents. |
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159 |
Deuxièmement, si les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tiré de conséquence de la part élevée des importations, mentionnée aux points 64 à 66 de la décision attaquée, il y a lieu de relever que cette circonstance, qui concerne la structure et les caractéristiques du marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, a été prise en compte implicitement, mais nécessairement, ainsi que le pouvoir de marché cumulé des parties à la concentration en cause sur ce marché et leur intégration verticale, lors de la constatation, au point 67 de la décision attaquée, des problèmes de verrouillage de l’accès audit marché pour les producteurs de boissons d’autres États membres ne disposant pas de capacité de distribution par ce canal. De même, ladite circonstance a été prise en compte dans le cadre de l’appréciation globale de la Commission, au point 69 de la décision attaquée, ce qui est confirmé par le premier membre de phrase de ce dernier point, qui est libellé « Compte tenu de ce qui précède ». |
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160 |
Troisièmement, contrairement à ce qu’estiment les requérantes, la Commission a bien distingué la situation de concurrence « ex ante » de l’avenir dans la mesure où l’expression « pourrait susciter » et le terme « susceptible », tels qu’employés aux points 67 et 69 de la décision attaquée, décrivent les effets futurs potentiels qui résultent, selon la Commission, de la concentration en cause (voir aussi point 156 ci-dessus). |
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161 |
Quatrièmement, si les requérantes affirment que le constat, figurant au point 67 de la décision attaquée, selon lequel les producteurs internationaux dépendent fortement du réseau et des actifs locaux des distributeurs en gros pour atteindre chaque point de vente du canal CHR/in-trade au Luxembourg, est faux et a été contredit, il s’agit d’une simple affirmation non étayée. Quant à la lettre du 22 février 2024, adressée par Brasserie Nationale à la Commission, à laquelle les requérantes font référence, cette lettre se borne à contester, à son point III.1, « toute potentialité, aussi indirecte soit-elle, de verrouiller le marché [pour] Munhowen ou [le groupe Brasserie Nationale] », sans toutefois préciser les raisons concrètes pour lesquelles Brasserie Nationale estime que le risque de verrouillage du marché n’existerait pas. Les requérantes ne sauraient donc reprocher à la Commission de ne pas avoir répondu à tous les arguments de Brasserie Nationale. En tout état de cause, la Commission n’était pas tenue de répondre à chaque argument soulevé par cette dernière dans ladite lettre dès lors qu’une réponse globale peut suffire afin de se conformer à son obligation de motivation en vertu de l’article 296 TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2022, Feralpi/Commission, T‑657/19, EU:T:2022:691, point 533 (non publié) et jurisprudence citée]. |
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162 |
Cinquièmement, l’argument selon lequel AB InBev a pu remplacer ses relations commerciales avec Boissons Heintz après la réalisation de la concentration en cause ne dit rien sur les difficultés que ladite concentration est susceptible de causer à d’autres producteurs souhaitant accéder au marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, notamment pour la bière. |
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163 |
Sixièmement, dans la mesure où la Commission a indiqué, au point 67 de la décision attaquée, que la part de marché combinée des parties à la concentration en cause au Luxembourg s’élevait à environ 80 % sur le marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade et dépassait 70 % dans la distribution en gros de bière par ce même canal, les requérantes ne sauraient lui reprocher de ne pas avoir motivé ses conclusions quant au pouvoir de marché de l’entité issue de cette concentration. Par ailleurs, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cette dernière n’a pas affirmé que ladite entité disposerait de parts de marché « trop élevées ». |
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164 |
Septièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel la part élevée des importations signale que le marché géographique à considérer est la « Grande Région », à savoir le Luxembourg et les régions allemandes, belges et françaises limitrophes, il est indiqué au point 42 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit de la concurrence de l’Union du 22 février 2024 (JO C, C/2024/1645, p. 1), telle qu’invoquée par la Commission, que « la simple existence d’importations ou la possibilité de se tourner vers elles sur un territoire donné ne conduit pas nécessairement à élargir le marché géographique pour inclure le territoire depuis lequel les biens étaient ou pouvaient être exportés. Les clients situés sur le territoire depuis lequel les biens étaient ou pouvaient être exportés peuvent faire face à des conditions de concurrence différentes de celles auxquelles sont confrontés les clients situés sur le territoire où les importations sont livrées. Dans ces circonstances, si les marchés géographiques étaient définis de manière large pour englober les territoires d’exportation et de livraison des produits importés, cela pourrait contribuer à inclure à tort dans le marché en cause des territoires dans lesquels les clients sont susceptibles d’être affectés différemment par le comportement ou la concentration ». |
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165 |
La Commission a établi l’existence de conditions de concurrence différentes en ce qu’elle a constaté, au point 68 de la décision attaquée, que la structure de l’offre au Luxembourg était différente des pays limitrophes et que la demande présentait des caractéristiques différentes au Luxembourg par rapport aux pays voisins. Les requérantes ne sauraient remettre en cause ce constat en se bornant à affirmer, de manière non étayée, que celui-ci ne correspond pas à la réalité. |
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166 |
Dans la mesure où l’argumentation des requérantes devrait être comprise en ce qu’elle viserait à contester une affectation possible du commerce entre États membres dans l’hypothèse où le marché géographique pertinent était de dimension nationale, comme cela a été constaté en l’espèce, il suffit de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 149 ci-dessus, une concentration peut même affecter le commerce entre États membres lorsqu’elle rend plus difficile l’action ou la pénétration, sur un tel marché national, de producteurs ou de vendeurs d’autres États membres ou lorsqu’elle empêche des concurrents venant d’autres États membres de s’implanter sur un tel marché. |
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167 |
Par ailleurs, Brasserie Nationale admet elle-même, au point III.2. de sa lettre adressée à la Commission du 22 février 2024, que « le commerce entre États membres peut être affecté [par la concentration en cause] » du fait que le marché géographique pertinent est celui de la Grande Région. Comme il ressort du point III.1 de cette lettre, Brasserie Nationale considère donc uniquement que l’affectation du commerce entre États membres repose sur d’autres motifs que ceux retenus par l’ACL dans sa demande de renvoi. |
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168 |
Il s’ensuit que les arguments invoqués par les requérantes ne sont pas de nature à démontrer une erreur manifeste d’appréciation dans l’analyse de la Commission relative à l’affectation du commerce entre États membres, telle qu’exposée au point 155 ci-dessus. |
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169 |
En particulier, les requérantes ne sont pas parvenues à remettre en cause les constats selon lesquels, d’une part, les importations représentaient une part significative de la distribution en gros de boissons vendues au Luxembourg, notamment par le canal CHR/on-trade et plus spécifiquement en ce qui concerne la bière (points 64 à 66 de la décision attaquée), et, d’autre part, la part de marché cumulée au Luxembourg des parties à la concentration en cause, sur le marché de la distribution en gros de boissons par ce canal, s’élevait à environ 80 % et, en ce qui concerne spécifiquement la distribution en gros de bière par ledit canal, dépassait 70 %. En outre, les requérantes ne contestent pas que Brasserie Nationale était intégrée verticalement en amont dans la production et la fourniture de bière, où elle détenait une part de marché d’environ 40 à 50 % (point 67 de la décision attaquée). |
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170 |
Compte tenu de ces circonstances, notamment du pouvoir de marché cumulé important des parties à la concentration en cause ainsi que de leur intégration verticale dans la production et la fourniture de bière, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant, au point 67 de la décision attaquée, que la concentration en cause pourrait rendre plus difficile l’accès au marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, notamment pour la bière, pour les producteurs d’autres États membres ne disposant pas d’un réseau de distribution par ce canal au Luxembourg. Par conséquent, eu égard à la jurisprudence mentionnée au point 149 ci-dessus, c’était également sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a conclu, au point 69 de la décision attaquée, que ladite concentration était susceptible d’affecter le commerce entre États membres. |
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171 |
Partant, il convient de rejeter le sixième moyen. |
Sur le septième moyen, tiré de l’absence de menace d’affectation significative de la concurrence sur le territoire du Luxembourg
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172 |
Les requérantes font valoir que l’analyse de la Commission relative à la menace d’affectation significative de la concurrence sur le territoire du Luxembourg n’est pas plausible. |
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173 |
Premièrement, s’agissant des effets horizontaux concernant le marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, les requérantes, reconnaissant la part apparente de marché importante de la nouvelle entité issue de la concentration en cause, soutiennent que la question pertinente est celle de savoir si cette part de marché est susceptible d’entraîner des effets non coordonnés. Les distributeurs internationaux en gros n’ayant pas été actifs au Luxembourg, la concentration en cause ne changerait pas cette situation dès lors qu’elle ne créerait aucune nouvelle barrière à l’entrée sur le marché. S’il existe certes des exclusivités qui lient les Horeca aux brasseurs pour la bière, selon les requérantes, AB InBev a, depuis la réalisation de ladite concentration, pu contourner sans difficulté cette nouvelle entité. Le chevauchement du portefeuille de marques des parties à la concentration en cause serait sans pertinence dès lors que, pour exister sur le marché, tout autre distributeur doit être en mesure de distribuer ces mêmes marques. Quant à l’absence de puissance d’achat compensatrice des Horeca, les requérantes estiment que la concentration en cause n’aggrave pas la situation existante. Elles soutiennent que la Commission n’a pas établi que le coût de 500000 dollars des États-Unis (USD) (environ 435248 euros) pour un dépôt constitue une barrière à l’entrée pour un distributeur en gros de boissons. Elle n’aurait ni effectué une analyse de rentabilité ni tenu compte de la possibilité de livraison à partir de dépôts situés en Belgique ou en France. |
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174 |
Deuxièmement, s’agissant des effets horizontaux concernant le marché de la distribution de la bière par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, Brasserie Nationale conteste la délimitation dudit marché, tout en considérant que la Commission est a priori en droit de retenir cette délimitation dans le cadre de son analyse préliminaire. Dans le prolongement de leurs critiques précédentes, les requérantes avancent que, dans le cadre du contrôle des concentrations, la question pertinente n’est pas celle de savoir si la situation concurrentielle pourrait être améliorée, mais celle de savoir si la concentration en cause affecte défavorablement la concurrence au Luxembourg. Ledit contrôle ne saurait donc remédier à la situation concurrentielle qui prévalait sur le marché avant cette concentration. |
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175 |
Troisièmement, s’agissant des effets non horizontaux, les requérantes contestent le constat de la Commission selon lequel la concentration en cause risque de fermer un débouché important pour les producteurs et fournisseurs. La Commission n’aurait pas tenu compte des alternatives existantes, de la possibilité pour un nouveau distributeur de s’établir au Luxembourg et de la capacité des distributeurs de la Grande Région de livrer directement au Luxembourg depuis des dépôts proches de la frontière. Cela serait confirmé par le fait qu’AB InBev a pu trouver un circuit de remplacement après la résiliation de ses conventions commerciales avec Boissons Heintz. Les requérantes avancent que c’est AB InBev qui détient le pouvoir de marché et dont le comportement peut influer de manière significative sur la concurrence et non l’augmentation hypothétique de la production par Brasserie Nationale, qui est une PME. Selon elles, il n’est pas plausible que cette dernière puisse augmenter ses prix sans égard aux concurrents situés en amont sur le marché de la fourniture de bière, à savoir des groupes internationaux tels qu’AB InBev, Heineken et Carlsberg Group. En outre, les requérantes font valoir qu’AB InBev ne saurait se plaindre de difficultés d’accès aux distributeurs dès lors qu’elle aurait, grâce à son droit de préemption, pu reprendre 100 % des parts de Boissons Heintz dont elle détenait 10 % du capital jusqu’au 7 février 2024. |
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176 |
La Commission et AB InBev contestent les arguments des requérantes. |
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177 |
Le présent moyen concerne la seconde condition matérielle prévue par l’article 22, paragraphes 1 et 3, du règlement no 139/2004, selon laquelle la concentration doit « menace[r] d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent [la] demande [de renvoi] » (voir point 143 ci-dessus). |
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178 |
À cet égard, il convient d’observer que cette condition matérielle se distingue, par son libellé, du critère pertinent pour déclarer l’incompatibilité d’une concentration avec le marché intérieur, tel que prévu à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004. Plus précisément, contrairement à cette dernière disposition, ladite condition matérielle ne repose pas sur une entrave significative à une concurrence effective, mais seulement sur une « menace » d’affectation significative de la concurrence. |
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179 |
Cette différence s’explique par le fait qu’une décision au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 a uniquement pour objet de statuer, sur le fondement des informations disponibles et dans un délai limité de dix jours ouvrables, sur le renvoi d’une concentration à la Commission (voir également point 152 ci-dessus). Elle n’est donc pas comparable à une décision statuant, en application de l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement no 139/2004, sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur, ni ne préjuge une telle décision. |
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180 |
Ainsi, comme il ressort du point 44 de la communication sur le renvoi, une concentration remplit la seconde condition matérielle de l’article 22, paragraphes 1 et 3, du règlement no 139/2004, lorsqu’une analyse préliminaire indique le risque réel que cette concentration ait des effets néfastes significatifs sur la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent la demande de renvoi, et donc qu’elle mérite un examen approfondi. Comme il est également mentionné audit point 44, ces indications préliminaires peuvent consister en de premiers éléments de preuve de tels effets, mais ne préjugent pas l’issue d’un examen approfondi. |
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181 |
Conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 150 et 151 ci-dessus, la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique aux fins de l’application des règles de fond du règlement no 139/2004, dès lors qu’elle se livre à des analyses économiques prospectives visant à déterminer la probabilité de certaines évolutions du marché pertinent dans un laps de temps prévisible. Le contrôle par le juge de l’Union se limite donc à la vérification de l’exactitude matérielle des faits et à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de la Commission. |
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182 |
Comme il est indiqué au point 152 ci-dessus, la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans le cadre de l’analyse des conditions matérielles prévues par l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, dès lors qu’elle doit effectuer cette analyse dans un délai limité de dix jours ouvrables sur la base des informations disponibles. |
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183 |
C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments par lesquels les requérantes tentent de remettre en cause l’analyse de la Commission concernant la condition relative à la menace de l’affectation significative de la concurrence et de vérifier s’ils démontrent l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. |
Sur l’analyse des effets horizontaux
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184 |
À titre liminaire, il ressort du point 12 des lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5, ci-après les « lignes directrices sur les concentrations horizontales »), par lesquelles la Commission est liée dans la mesure où elles ne s’écartent pas des normes du traité et du règlement no 139/2004 (voir arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T‑405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 58 et jurisprudence citée), que pour évaluer l’impact prévisible d’une concentration sur les marchés en cause, la Commission analyse ses effets anticoncurrentiels potentiels, tels que les effets coordonnés et non coordonnés, et les facteurs de nature à contrer de tels effets, tels que la puissance d’achat, l’importance des barrières à l’entrée et les gains d’efficacité potentiels invoqués par les parties. |
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185 |
En premier lieu, s’agissant du marché de la distribution en gros de boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg, la Commission a conclu, au point 73 de la décision attaquée, que la concentration en cause menaçait de provoquer des effets non coordonnés résultant de chevauchements horizontaux sur ce marché. |
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186 |
Premièrement, la Commission a relevé, au point 74 de la décision attaquée, que la concentration en cause semblait donner lieu à une part de marché combinée élevée des parties à cette concentration qui serait comprise entre 70 et 80 %. Si les requérantes concèdent que l’entité issue de ladite concentration détient une part apparente de marché importante, elles estiment qu’il y a lieu de s’interroger sur la question de savoir si cette part de marché est susceptible d’entraîner des effets non coordonnés. Or, ainsi qu’il ressort des points 26 et 27 des lignes directrices sur les concentrations horizontales, les parts de marché cumulées constituent un facteur important pour établir la probabilité qu’une concentration entraîne de tels effets. En outre, il ressort du point 17 de ces lignes directrices qu’une part de marché de 50 % et plus peut, en elle-même, constituer la preuve de l’existence d’une position dominante sur le marché. |
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187 |
Deuxièmement, les requérantes ne contestent pas le constat, contenu au point 75 de la décision attaquée, selon lequel leurs concurrents, qui détenaient des parts de marché limitées, inférieures à 5 % chacune, ne semblaient pas être en mesure d’exercer une pression concurrentielle sur l’entité issue de la concentration en cause et quitteraient probablement le marché de manière successive. Les requérantes ne contestent pas non plus que, comme la Commission l’a relevé audit point, les acteurs internationaux n’étaient pas actifs au Luxembourg. Ces constats indiquent que ladite entité dispose d’une part de marché sensiblement plus grande que celle de son concurrent immédiat et qu’il existe un risque d’élimination des forces concurrentielles. Conformément au point 25 des lignes directrices sur les concentrations horizontales, il s’agit des facteurs à prendre en compte, qui ne sauraient être remis en cause par l’affirmation selon laquelle l’absence d’activité des acteurs internationaux au Luxembourg constitue une situation qui reste inchangée après la réalisation de cette concentration. |
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188 |
Troisièmement, en ce que la Commission a constaté, aux points 76 et 77 de la décision attaquée, que les parties à la concentration en cause étaient des concurrents proches qui détenaient un pouvoir de marché important et dont les portefeuilles de marques se chevauchent considérablement, il convient de relever qu’il s’agit d’un élément à prendre en compte, conformément au point 28 des lignes directrices sur les concentrations horizontales. Certes, ainsi qu’il ressort également dudit point 28, il y a moins de risques qu’une opération de concentration entrave de manière significative la concurrence effective s’il existe un degré élevé de substituabilité entre les produits des parties à la concentration et ceux de producteurs rivaux. Toutefois, l’affirmation vague et non étayée des requérantes selon laquelle tous les distributeurs sont en mesure de distribuer les grandes marques internationales de boisson ne suffit pas pour démontrer un tel degré élevé de substituabilité, ni pour remettre en cause le chevauchement entre les portefeuilles de Boissons Heintz et Munhowen, tel qu’exposé au point 76 de la décision attaquée, qui concerne 31 marques, notamment les marques luxembourgeoises de bière et d’eau minérale. |
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189 |
Quatrièmement, la Commission a noté, au point 78 de la décision attaquée, que les clients composés d’environ 2700 bars, hôtels et restaurants ne semblaient pas disposer d’une puissance d’achat compensatrice suffisante pour contrer le pouvoir de marché de l’entité issue de la concentration en cause. Les requérantes ne sauraient remettre en cause ce constat en soutenant que cette situation n’est pas nouvelle et ne sera pas aggravée par ladite concentration. En effet, la Commission était tenue d’examiner, en vertu du point 65 des lignes directrices sur les concentrations horizontales, dans quelle mesure les clients de cette entité peuvent contrer l’accroissement du pouvoir de marché que cette concentration risque d’entraîner, accroissement qui n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes (voir point 186 ci-dessus). Selon ce point 65, il y a plus de probabilités de trouver une telle puissance d’achat compensatrice chez de gros clients avertis que chez de petites entreprises présentes dans un secteur d’activité cloisonné. Le point 67 de ces lignes directrices précise qu’une concentration entre deux fournisseurs peut affaiblir la puissance d’achat lorsqu’elle élimine une alternative crédible. Tel pourrait être le cas en l’espèce dès lors qu’il ressort de la décision attaquée que cette même concentration combine les parts de marché des deux distributeurs les plus importants sur le marché en cause (points 73 et 74 de la décision attaquée) qui étaient auparavant des concurrents proches avec des portefeuilles de marques se chevauchant (points 76 et 77 de la décision attaquée). |
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190 |
Cinquièmement, la Commission a considéré, au point 79 de la décision attaquée, que les nouveaux entrants potentiels semblaient être confrontés à d’importantes barrières à l’entrée sur le marché de la distribution en gros au Luxembourg en raison de la nécessité d’investissements importants, notamment en ce qui concerne, d’une part, les espaces de stockage en entrepôt qui étaient très limités au Luxembourg et dont la construction pouvait coûter jusqu’à 500000 USD (environ 435248 euros) par an pour une capacité d’environ 17000 hectolitres et, d’autre part, la flotte de camions nécessaire. |
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191 |
À cet égard, le Tribunal note que les requérantes concèdent que le coût de 500000 USD (environ 435248 euros) pour les espaces de stockage en entrepôt est concevable. En ce qu’elles considèrent que la Commission aurait dû examiner si ce montant constituait en lui-même une barrière, il suffit de relever qu’elles ne contestent pas la nécessité d’autres investissements, dont une flotte de camions. En raison de ces coûts nécessaires, les distributeurs en place au Luxembourg semblent disposer d’avantages par rapport à leurs concurrents potentiels, qui peuvent, conformément au point 70 des lignes directrices sur les concentrations horizontales, constituer des barrières à l’entrée. |
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192 |
Certes, ainsi que l’invoquent les requérantes, les dépôts situés dans la Grande Région peuvent potentiellement être utilisés pour une entrée sur le marché. Toutefois, ainsi que la Commission l’a constaté au point 79 de la décision attaquée, aucun nouveau concurrent n’est récemment entré sur le marché, ce qui est, selon ledit point 70 de ces lignes directrices, également susceptible de démontrer l’existence de barrières à l’entrée. |
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193 |
En tout état de cause, il importe de rappeler que, en vertu du point 68 desdites lignes directrices, pour que l’entrée de nouveaux concurrents puisse être considérée comme une contrainte concurrentielle suffisante sur les parties à la concentration, il faut démontrer que cette entrée est probable, qu’elle interviendra en temps utile et qu’elle sera suffisante pour prévenir ou contrecarrer les effets anticoncurrentiels potentiels de la concentration. Or, les requérantes n’ont pas fourni de tels éléments. Au contraire, elles admettent même qu’il existe des exclusivités qui lient les Horeca aux brasseurs pour la bière, ce qui est susceptible de rendre l’entrée d’un nouveau concurrent plus difficile, ainsi qu’il ressort du point 69 de ces mêmes lignes directrices. Cela n’est pas remis en cause par le fait qu’AB InBev a pu remplacer ses relations commerciales dès lors que ce fait ne démontre ni l’entrée de nouveaux concurrents, ni l’existence d’une contrainte concurrentielle suffisante pour les parties à la concentration en cause. |
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194 |
En second lieu, s’agissant du marché de la distribution en gros de bière via le canal CHR/on-trade au Luxembourg, la Commission a conclu, au point 80 de la décision attaquée, que la concentration en cause menaçait de soulever des effets non coordonnés résultant de chevauchements horizontaux sur ce marché. |
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195 |
Plus précisément, elle a considéré que la concentration en cause pourrait conduire à des parts de marché combinées élevées (point 81 de la décision attaquée) et que les considérations relatives à la distribution en gros de toutes les boissons par le canal CHR/on-trade au Luxembourg s’appliquaient mutatis mutandis au marché en question, notamment celles relatives au nombre limité de concurrents qui ne disposaient que de parts de marché marginales, au fait que les parties à cette concentration soient des concurrents proches, à l’absence de puissance d’achat compensatrice de la clientèle et à l’existence de barrières élevées à l’entrée (point 83 de la décision attaquée). |
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196 |
D’une part, les requérantes critiquent la délimitation du marché de la distribution de bières au canal CHR/on-trade. À cet égard, la Commission a indiqué, au point 52 de la décision attaquée, qu’elle ne pouvait exclure, au stade préliminaire de la procédure, que ce marché constituait un marché distinct, tout en observant que son analyse était sans préjudice du résultat de l’enquête approfondie sur la compatibilité de la concentration en cause avec le marché intérieur qu’elle mènerait après l’acceptation de la demande de renvoi. Dans la mesure où les requérantes admettent elles-mêmes que la Commission est a priori en droit de retenir cette définition du marché pertinent dans une analyse préliminaire et compte tenu du fait qu’elles n’invoquent pas d’éléments en faveur d’une délimitation alternative dudit marché, leur critique ne saurait prospérer. |
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197 |
D’autre part, les requérantes considèrent que la décision attaquée décrit uniquement la situation qui existait avant la concentration en cause et qu’elle n’analyse pas si cette dernière affecte défavorablement la concurrence au Luxembourg. Certes, si l’une des parties à cette concentration se trouvait en situation de position dominante sur un marché en cause déjà antérieurement à ladite concentration, cette situation peut échapper à l’analyse des effets concurrentiels de la concentration. Toutefois, il n’en va pas de même lorsque la situation de position dominante sur un marché en cause découle de la concentration ou est renforcée par celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, KPN/Commission, T‑370/17, EU:T:2019:354, point 113 et jurisprudence citée). C’est notamment ce dernier cas de figure que la Commission a envisagé en l’espèce. Les effets futurs et potentiels de ladite concurrence sont soulignés par l’expression « semble donner lieu à des parts de marchés combinées élevées des [p]arties », telle qu’elle est employée au point 81 de la décision attaquée. En outre, ainsi qu’il est exposé au point 186 ci-dessus, les parts de marché cumulées constituent un facteur important pour la probabilité qu’une concentration soit susceptible d’entraîner des effets non coordonnés. |
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198 |
Il s’ensuit que les arguments invoqués par les requérantes ne sont pas de nature à démontrer l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission dans l’analyse des effets horizontaux de la concentration en cause. |
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199 |
En particulier, il n’est pas contesté que, d’une part, la concentration en cause donne lieu à une part de marché combinée élevée des parties à cette concentration sur les marchés luxembourgeois de la distribution en gros de boissons et de bière par le canal CHR/on-trade (voir points 186 et 195 ci-dessus) et, d’autre part, les concurrents de ces parties détiennent des parts de marché très limitées (voir points 187 et 195 ci-dessus). Or, l’existence de parts de marché d’une grande ampleur est hautement significative et le rapport entre les parts de marché détenues par les parties à la concentration et par leurs concurrents, en particulier ceux qui les suivent immédiatement, constitue un indice valable de l’existence d’une position dominante ou d’une entrave significative à une concurrence effective (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2023, Naturstrom/Commission, T‑60/21, non publié, EU:T:2023:839, point 342). |
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200 |
Au surplus, les parties à la concentration en cause sont des concurrents proches dont les portefeuilles de marques se chevauchent considérablement (voir points 188 et 195 ci-dessus) et que leurs clients ne disposent pas d’une puissance d’achat compensatrice suffisante (voir points 189 et 195 ci-dessus). En outre, il n’a pas été démontré que l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché est probable (points 190 à 193 et 195 ci-dessus). |
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201 |
Compte tenu de ces circonstances, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant, aux points 73 et 80 de la décision attaquée, que la concentration en cause menaçait de soulever des effets non coordonnés résultant de chevauchements horizontaux sur les marchés luxembourgeois de la distribution en gros de boissons et de bière par le canal CHR/on-trade. |
Sur l’analyse des effets non horizontaux
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202 |
La Commission a conclu, au point 84 de la décision attaquée, que la concentration en cause menaçait de soulever un risque de verrouillage de la clientèle résultant de chevauchements non horizontaux entre, d’une part, le marché de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade et, d’autre part, les marchés luxembourgeois de la distribution en gros de boissons (y compris de la bière) et celui plus restreint et limité uniquement à la distribution en gros de bière par ce même canal. |
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203 |
Conformément au point 59 des lignes directrices sur l’appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2008, C 265, p. 6, ci-après les « lignes directrices sur les concentrations non horizontales »), par lesquelles la Commission est liée en vertu de la jurisprudence citée au point 184 ci-dessus, lors de l’évaluation de la probabilité d’un scénario de verrouillage de la clientèle anticoncurrentiel, la Commission examine, premièrement, si l’entité issue de la concentration aurait la capacité de verrouiller l’accès aux marchés situés en aval, deuxièmement, si elle aurait intérêt à le faire et, troisièmement, si une stratégie de verrouillage du marché aurait une incidence négative significative sur les consommateurs sur le marché situé en aval. |
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204 |
Il résulte des points 85 à 87 de la décision attaquée que la Commission a examiné ces trois conditions cumulatives en l’espèce, sans que cette approche soit critiquée par les requérantes. |
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205 |
Premièrement, la Commission a considéré, au point 85 de la décision attaquée, que l’entité issue de la concentration en cause pourrait avoir la capacité de verrouiller l’accès de ses concurrents sur le marché en amont de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade à une clientèle suffisante au Luxembourg. À cet égard, les requérantes ne contestent pas le fait que la part de marché cumulée des parties à cette concentration se situe entre 70 et 80 % en ce qui concerne les marchés en aval, à savoir les marchés luxembourgeois de la distribution en gros de toutes les boissons et de la distribution en gros de la bière par ce canal. Elles ne remettent pas non plus en cause que les producteurs et les fournisseurs de bière basés au Luxembourg et dans d’autres États membres s’appuient sur ces parties en tant que canal de distribution. Ces facteurs sont une indication que ladite entité dispose d’un pouvoir substantiel sur les marchés en aval, tel que décrit au point 61 des lignes directrices sur les concentrations non horizontales, et constitue, comme la Commission l’a relevé au point 85 de la décision attaquée, un débouché important pour lesdits producteurs et fournisseurs. |
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206 |
En ce que les requérantes affirment que la Commission a omis de tenir compte des alternatives existantes au Luxembourg, il ressort également du point 85 de la décision attaquée, sans que cela ait été remis en cause pas les requérantes, qu’aucun des distributeurs et grossistes concurrents ne dispose d’une part de marché supérieure à 5 % et que ceux-ci ne représentent donc pas une alternative crédible en raison de leur taille relativement limitée. Pour les raisons indiquées aux points 192 et 193 ci-dessus, les distributeurs de la Grande Région ne peuvent, contrairement à ce qu’estiment les requérantes, être considérés comme une contrainte concurrentielle suffisante. Dès lors, le fait qu’AB InBev a pu remplacer ses relations commerciales est dépourvu de pertinence. Il est également sans pertinence qu’AB InBev n’ait pas acquis elle-même Boissons Heintz en exerçant son droit de préemption, étant donné qu’il s’agit d’une décision économique autonome de cette entreprise. En effet, un opérateur économique du marché en amont ne saurait être obligé d’entrer lui-même sur le marché en aval pour améliorer les conditions d’accès à ce dernier. |
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207 |
Deuxièmement, la Commission a estimé, au point 86 de la décision attaquée, que l’entité issue de la concentration en cause pourrait avoir une incitation à verrouiller l’accès de ses concurrents sur le marché en amont de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade à une clientèle suffisante au Luxembourg. Elle a relevé audit point que Brasserie Nationale détenait une part de marché se situant entre 40 et 50 % et qu’elle disposait d’une capacité de production annuelle de 240000 hectolitres alors que sa production de bière en 2022 n’était que de 155000 hectolitres. Les requérantes contestent ce constat en soutenant que l’augmentation de leur production de 100 % face aux grands groupes internationaux serait irréaliste et qu’une augmentation de la production de Brasserie Nationale ne serait pas défavorable à la concurrence. Elles ajoutent que Brasserie Nationale n’est qu’une PME et qu’AB InBev détient tout le pouvoir du marché. |
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208 |
À cet égard, il convient de relever que la Commission n’a pas considéré que Brasserie Nationale pourrait doubler sa production, en ce qu’elle a comparé, au point 86 de la décision attaquée, la production de cette entreprise en 2022, s’élevant à 155000 hectolitres, avec sa capacité de production annuelle potentielle de 240000 hectolitres. Ces chiffres n’ayant pas été contestés par les requérantes, il en résulte que Brasserie Nationale disposait d’une capacité de production supplémentaire non utilisée de 85000 hectolitres qui lui permettait d’augmenter sa production à hauteur de cette quantité. |
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209 |
En outre, il y a lieu de rappeler, comme il est indiqué au point 68 des lignes directrices sur les concentrations non horizontales, que l’incitation à verrouiller le marché dépend du niveau de rentabilité qui en résulte dès lors que l’entité issue de la concentration opère un arbitrage entre le coût éventuel lié au fait de fermer l’accès sur le marché en aval à ses concurrents situés en amont, d’une part, et les bénéfices qui peuvent en résulter, d’autre part. Or, les autres arguments par lesquels les requérantes contestent les conclusions de la Commission, au point 86 de la décision attaquée, relatives à l’incitation à verrouiller l’accès aux marchés situés en aval, ne concernent pas la rentabilité d’une telle stratégie de verrouillage, mais uniquement ses effets sur la concurrence. Ils seront donc examinés dans le cadre de l’analyse d’impact d’une stratégie de verrouillage sur la concurrence aux points 211 et 212 ci-après. |
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210 |
Dans ces conditions, compte tenu de la capacité de production supplémentaire mentionnée au point 208 ci-dessus et de la part de marché de Brasserie Nationale mentionnée au point 207, qui n’est pas contestée par les requérantes, ces dernières ne sauraient reprocher à la Commission d’avoir estimé, au point 86 de la décision attaquée, qu’il ne pouvait être exclu que l’entité issue de la concentration en cause aurait une incitation à favoriser la distribution de sa propre production de bière et augmenter les bénéfices tirés de l’augmentation de sa part de marché en aval aux dépens des concurrents évincés. |
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211 |
Troisièmement, la Commission a considéré, au point 87 de la décision attaquée, que toute stratégie de verrouillage de la clientèle risquait d’avoir un impact significatif sur le marché en amont de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade et sur le secteur de la bière en général. En particulier, elle a estimé que, eu égard à sa position importante sur ce marché, il ne pouvait pas être exclu que Brasserie Nationale puisse capturer des volumes additionnels résultant de l’éviction des concurrents situés en amont et que toute stratégie de verrouillage de clientèle pourrait se traduire par des prix plus élevés ou par un choix plus limité pour la clientèle finale, notamment en raison de l’absence d’accès des concurrents en amont au marché en aval ou une augmentation des coûts pour les concurrents en aval. Les requérantes contestent ce raisonnement en avançant que, dans la mesure où les concurrents sur le marché en amont sont de grands groupes internationaux, tels qu’AB InBev, Carlsberg Group ou Heineken, il n’est pas plausible que Brasserie Nationale puisse augmenter ses prix sans que ses clients se tournent vers des concurrents. |
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212 |
Or, il n’est pas contesté que, d’une part, Brasserie Nationale détient, comme la Commission l’a relevé au point 87 de la décision attaquée, une part de marché estimée entre 40 et 50 % sur le marché en amont de la production et de la fourniture de bière par le canal CHR/on-trade au Luxembourg et, d’autre part, la part de marché cumulée des parties à la concentration en cause se situe environ entre 70 et 80 % sur les marchés luxembourgeois de la distribution en gros de toutes les boissons et de la distribution en gros de la bière par ce canal, ainsi qu’il ressort du point 85 de la décision attaquée. Eu égard à la position importante de l’entité issue de cette concentration sur lesdits marchés, il n’est pas possible de constater, sans éléments de preuve supplémentaires, que la concurrence exercée par les groupes internationaux peut constituer une contrainte suffisante pour cette entité. Ainsi que le fait valoir la Commission, même s’il pouvait être exclu qu’une augmentation de la production de la part de Brasserie Nationale ait des conséquences négatives sur ces acteurs internationaux, cela ne serait pas le cas pour d’autres concurrents de moindre envergure sur le marché en amont. |
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213 |
Il s’ensuit que les arguments invoqués par les requérantes ne sont pas de nature à démontrer l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’analyse des effets non horizontaux de la concentration en cause. |
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214 |
En particulier, compte tenu du pouvoir substantiel et du rôle important, en tant que canal de distribution, des parties à la concentration en cause sur les marchés en aval, d’une part (voir points 205 et 206 ci-dessus), et de la part de marché élevée de Brasserie Nationale sur le marché en amont, d’autre part (voir points 207 et 208 ci-dessus), c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a considéré, aux points 85 et 86 de la décision attaquée, que l’entité issue de la concentration en cause aurait tant la capacité de verrouiller l’accès de ses concurrents sur le marché en amont à une clientèle suffisante au Luxembourg que l’intérêt à le faire. C’était également sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a estimé, au point 87 de la décision attaquée, qu’une telle stratégie de verrouillage de la clientèle risquerait d’affecter de manière significative la concurrence effective sur le marché en amont et sur le marché de bière en général, notamment en raison des conséquences négatives résultant de l’absence d’accès des concurrents en amont au marché en aval (voir point 211 ci-dessus). |
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215 |
À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les requérantes ne sont pas parvenues à remettre en cause les analyses préliminaires relatives aux effets horizontaux et non horizontaux de la concentration en cause et que la Commission pouvait estimer, au point 88 de la décision attaquée, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que cette concentration menaçait d’« affecter de manière significative la concurrence sur le marché en amont de la production et de la fourniture de bière via le canal CHR/on-trade au Luxembourg ainsi que sur les marchés en aval de la distribution en gros de toutes les boissons via ce canal au Luxembourg et de la distribution en gros de la bière via ledit canal au Luxembourg ». |
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216 |
Partant, le septième moyen doit être rejeté. |
Sur le huitième moyen, tiré de l’absence de pertinence des considérations relatives au caractère approprié du renvoi
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217 |
Les requérantes contestent la considération de la Commission selon laquelle, en l’absence d’un régime national de contrôle des concentrations au Luxembourg, l’acceptation de la demande de renvoi est appropriée et conforme à son pouvoir d’appréciation. Elles soulignent que l’article 22 du règlement no 139/2004 constitue un régime légal dont les conditions d’application sont prévues au paragraphe 3 de cet article. Des considérations d’opportunité n’auraient pas de place dans un tel régime, de sorte que la question du caractère approprié de ladite acceptation ne se poserait pas. Cela serait d’autant plus vrai dans la mesure où ce régime serait un régime d’exception. |
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218 |
Les requérantes estiment que, si ledit article a historiquement pu pallier l’absence de contrôle des concentrations dans certains États membres comme le Luxembourg, cela ne saurait plus être juridiquement admis 20 ans après l’adoption du règlement no 139/2004. Selon elles, si le Conseil de l’Union européenne, la Commission et le Parlement européen avaient voulu rendre le contrôle des concentrations obligatoire dans chaque État membre, ils disposaient de 20 ans pour le faire. En réponse à une question orale posée par le Tribunal lors de l’audience, les requérantes ont précisé que, par leur argumentation, elles ne visaient pas à remettre en cause la possibilité générale du Grand-Duché du Luxembourg d’introduire une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, dudit règlement en tant que telle. |
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219 |
La Commission et AB InBev réfutent les arguments des requérantes. |
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220 |
À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 22 du règlement no 139/2004 permet aux États membres ne disposant pas d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations de demander à la Commission de contrôler les concentrations susceptibles d’avoir des effets négatifs sur leur territoire, lorsque ces concentrations affectent également le commerce entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2024, Illumina et Grail/Commission, C‑611/22 P et C‑625/22 P, EU:C:2024:677, points 147, 164 et 199). |
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221 |
Ainsi, l’article 22 du règlement no 139/2004 permet au Grand-Duché de Luxembourg de renvoyer l’examen d’une concentration à la Commission, et ce malgré le fait que cet État membre ne dispose pas d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations. |
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222 |
Conformément à l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, la Commission « peut » décider d’examiner une concentration faisant l’objet d’une telle demande de renvoi si les conditions formelles et matérielles prévues dans cette disposition sont remplies. |
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223 |
S’il s’ensuit que ces conditions doivent être remplies pour l’acceptation d’une demande de renvoi, le terme « peut » indique que la Commission n’est pas obligée de l’accepter, mais dispose d’une marge d’appréciation à cet égard. Ainsi, comme il est exposé au point 7 de la communication sur le renvoi, la Commission conserve une marge d’appréciation considérable pour décider d’accepter d’examiner, au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004, les opérations de concentration qui ne relèvent pas de sa compétence initiale en vertu dudit règlement. |
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224 |
La Commission était donc en droit d’apprécier le caractère approprié du renvoi de la concentration en cause en prenant en compte les éléments caractérisant la situation en l’espèce. Plus précisément, les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission d’avoir tenu compte, au point 92 de la décision attaquée, du fait que le Grand-Duché de Luxembourg ne disposait pas d’un régime de contrôle des concentrations et que, en l’absence d’acceptation de la demande de renvoi, la concentration en cause et ses effets ne seraient appréhendés par aucun autre régime de contrôle des concentrations. |
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225 |
Partant, il convient de rejeter le huitième moyen. |
Sur les dépens
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226 |
Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière. |
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227 |
En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, AB InBev et l’ACL supporteront leurs propres dépens. |
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Par ces motifs, LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie) déclare et arrête : |
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Costeira Kancheva Öberg Zilgalvis Tichy-Fisslberger Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 juillet 2025. Le greffier V. Di Bucci Le président M. van der Woude |
Table des matières
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Antécédents du litige |
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Sur les entités en cause |
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Sur la concentration en cause |
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Sur la demande de renvoi à la Commission |
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Sur la décision attaquée |
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Conclusions des parties |
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En droit |
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Sur la représentation des requérantes par un avocat indépendant |
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Sur le premier moyen, tiré de la violation du régime linguistique applicable en vertu du règlement no 1 |
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Sur le deuxième moyen, tiré du non-respect du délai de quinze jours ouvrables prévu par l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 |
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Sur l’interprétation de la notion de « communication » |
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Sur le point de départ du délai de quinze jours ouvrables en l’espèce |
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Sur la vérification par la Commission du respect du délai de quinze jours ouvrables |
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Sur la prétendue violation des principes de confiance légitime et de sécurité juridique |
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Sur le troisième moyen, tiré de la violation du délai prévu à l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 |
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Sur le quatrième moyen, tiré de la communication tardive de la décision attaquée |
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Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des droits de la défense ainsi que des principes de l’égalité des armes, de la loyauté de la procédure et de la confiance légitime |
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Sur le sixième moyen, tiré de l’absence d’affectation du commerce entre les États membres |
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Sur le septième moyen, tiré de l’absence de menace d’affectation significative de la concurrence sur le territoire du Luxembourg |
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Sur l’analyse des effets horizontaux |
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Sur l’analyse des effets non horizontaux |
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Sur le huitième moyen, tiré de l’absence de pertinence des considérations relatives au caractère approprié du renvoi |
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Sur les dépens |
( *1 ) Langue de procédure : le français.