CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 27 octobre 2022 ( 1 )

Affaires jointes C‑514/21 et C‑515/21

LU (C‑514/21),

PH (C‑515/21)

contre

Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande)

[demandes de décision préjudicielle formées par la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen et procédures de remise entre États membres – Mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté – Motifs de non-exécution facultative – Article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 – “Procès qui a mené à la décision” – Révocation du sursis avec mise à l’épreuve – Droits de la défense – Article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 – Articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »

I. Introduction

1.

Une personne a commis une infraction et a été reconnue coupable à la suite d’un procès équitable. Cette reconnaissance de culpabilité a entraîné sa condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis. Par la suite, cette même personne a été accusée d’une seconde infraction commise pendant la période de mise à l’épreuve relative à la première infraction. Le second procès s’est déroulé par défaut et a abouti à une reconnaissance de culpabilité et à la condamnation à une peine d’emprisonnement. En conséquence, le sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement relative à la première infraction a été révoqué. L’intéressé se trouvant à l’étranger, un mandat d’arrêt européen (ci-après un « MAE ») a été émis aux fins de l’exécution de la peine d’emprisonnement relative à la première infraction.

2.

L’autorité d’exécution peut-elle refuser la remise demandée au titre d’un MAE aux fins de l’exécution de la peine relative à la première infraction au motif que le second procès a eu lieu par défaut ? Pour répondre à cette question, il faut interpréter l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI ( 2 ). Plus précisément, il convient de répondre au point de savoir si ce second procès relève également de la notion de « procès qui a mené à la décision » employée dans cette disposition.

3.

Outre l’interprétation de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, les présents renvois préjudiciels remettent plus fondamentalement en cause le mécanisme du mandat d’arrêt européen. Ils posent la question de savoir si, en dehors des situations visées par la décision-cadre relative au MAE, l’autorité d’exécution devrait avoir le droit (voire l’obligation) de refuser la remise lorsqu’elle constate que l’État d’émission méconnaîtra un droit fondamental de la personne dont la remise est demandée (ou du moins le contenu essentiel de ce droit).

4.

La décision-cadre relative au MAE énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles l’autorité d’exécution a le droit ou l’obligation de refuser d’exécuter un MAE ( 3 ). En dehors de ces situations, la Cour a dégagé, par voie d’interprétation de la décision-cadre relative au MAE, une autre possibilité. En application de cette jurisprudence, l’autorité d’exécution peut également refuser la remise s’il y a, dans l’État d’émission, des défaillances systémiques ou généralisées touchant certains groupes de personnes ou certains centres de détention ( 4 ), ou si l’État de droit fait l’objet de défaillances systémiques ou généralisées ( 5 ). Lorsque de tels problèmes systémiques existent, l’autorité d’exécution doit en outre, avant de décider de ne pas remettre la personne faisant l’objet de la demande de remise, établir si celle-ci court, ou non, un risque réel que l’État d’émission méconnaisse ses droits fondamentaux ( 6 ).

5.

En l’espèce, toutefois, et il en est de même dans un certain nombre d’autres affaires pendantes devant la Cour au moment de la présentation des présentes conclusions ( 7 ), les défaillances systémiques de l’État d’émission ne sont pas avancées. Cela soulève une nouvelle question : une seule méconnaissance éventuelle des droits fondamentaux de la personne faisant l’objet de la demande de remise suffit-elle à habiliter l’autorité d’exécution à refuser la remise ? Se (re)pose ainsi également la question de savoir si l’autorité d’exécution est même simplement habilitée à vérifier si les droits fondamentaux de la personne faisant l’objet de la demande de remise seraient respectés par l’État d’émission. Toutes ces affaires, y compris celles à l’origine des renvois préjudiciels qui nous occupent, sont révélatrices des difficultés que rencontrent les autorités judiciaires d’exécution en acceptant la reconnaissance mutuelle de plein droit, c’est-à-dire le principe même sur lequel repose le mécanisme du MAE ( 8 ).

6.

On peut apporter une réponse utile pour la juridiction de renvoi aux questions posées sans se prononcer de manière générale sur les possibilités supplémentaires de refus d’exécution d’un MAE. La raison en est que, comme je le démontrerai, les questions préjudicielles s’inscrivent dans des circonstances où l’éventuelle méconnaissance d’un droit fondamental trouve son origine dans le déroulement par défaut d’un procès. Dans un tel cas, le législateur de l’Union a harmonisé les cas de figure dans lesquels il incombe à tout juge national de reconnaître les décisions judiciaires rendues par défaut ( 9 ). Cela étant, je proposerai quelques arguments indiquant pour quelle raison il convient de réduire au minimum les motifs supplémentaires de refus d’une remise ( 10 ).

II. Le cadre juridique

A.   La décision-cadre relative au MAE

7.

L’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre relative au MAE énonce :

« La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

8.

L’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE prévoit des motifs de non-exécution facultative du MAE, subordonnés aux conditions suivantes :

« 1.   L’autorité judiciaire d’exécution peut également refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, si l’intéressé n’a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sauf si le mandat d’arrêt européen indique que l’intéressé, conformément aux autres exigences procédurales définies dans la législation nationale de l’État membre d’émission :

a)

en temps utile,

i)

soit a été cité à personne et a ainsi été informé de la date et du lieu fixés pour le procès qui a mené à la décision, soit a été informé officiellement et effectivement par d’autres moyens de la date et du lieu fixés pour ce procès, de telle sorte qu’il a été établi de manière non équivoque qu’il a eu connaissance du procès prévu ;

et

ii)

a été informé qu’une décision pouvait être rendue en cas de non‑comparution ;

ou

b)

ayant eu connaissance du procès prévu, a donné mandat à un conseil juridique, qui a été désigné soit par l’intéressé soit par l’État, pour le défendre au procès, et a été effectivement défendu par ce conseil pendant le procès ;

ou

c)

après s’être vu signifier la décision et avoir été expressément informé de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale :

i)

a indiqué expressément qu’il ne contestait pas la décision ;

ou

ii)

n’a pas demandé une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel dans le délai imparti ;

ou

d)

n’a pas reçu personnellement la signification de la décision, mais :

i)

la recevra personnellement sans délai après la remise et sera expressément informé de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle l’intéressé a le droit de participer et qui permet de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, et peut aboutir à une infirmation de la décision initiale ;

et

ii)

sera informé du délai dans lequel il doit demander une nouvelle procédure de jugement ou une procédure d’appel, comme le mentionne le mandat d’arrêt européen concerné.

[...] »

B.   La décision-cadre 2009/299

9.

C’est la décision-cadre 2009/299 qui a inséré l’article 4 bis dans la décision-cadre relative au MAE en tant que motif supplémentaire de non‑exécution facultative d’un MAE. Les considérants suivants de cette décision‑cadre sont pertinents à cet égard :

« (1)

Le droit de l’accusé de comparaître en personne au procès est inclus dans le droit à un procès équitable, prévu à l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »)], tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a également déclaré que le droit de l’accusé de comparaître en personne au procès n’était pas absolu et que, dans certaines conditions, l’accusé peut y renoncer, de son plein gré, de manière expresse ou tacite, mais non équivoque.

[...]

(6)

Les dispositions de la présente décision-cadre portant modification d’autres décisions-cadres fixent les conditions dans lesquelles la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue à l’issue d’un procès auquel la personne concernée n’a pas comparu en personne ne devraient pas être refusées. Il s’agit de conditions optionnelles ; lorsqu’une des conditions est remplie, l’autorité d’émission, en complétant la partie correspondante du mandat d’arrêt européen ou du certificat pertinent inclus dans les autres décisions‑cadres, garantit que les exigences sont remplies ou le seront, ce qui devrait suffire aux fins de l’exécution de la décision sur la base du principe de reconnaissance mutuelle. »

III. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

10.

Les faits en substance identiques des deux affaires jointes ont été résumés dans les premiers points des présentes conclusions. Je commencerai par présenter plus en détail les faits des deux affaires jointes.

A.   L’affaire LU (C‑514/21)

11.

Une autorité judiciaire hongroise demande la remise de LU, partie appelante au principal, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté et a émis un MAE à cette fin. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, à savoir la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande), est l’autorité judiciaire d’exécution ( 11 ).

12.

Dans le cadre de l’instruction du dossier, la High Court (Haute Cour), statuant en première instance sur l’exécution du MAE, a adressé à l’autorité judiciaire d’émission sept demandes d’informations complémentaires au total, au titre de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre relative au MAE.

13.

LU a commis plusieurs infractions pénales au cours du mois d’août 2005, à savoir des actes de violence domestique à l’encontre de son ex-épouse, de leur enfant et de sa belle-mère, y compris l’agression de son ex-épouse et la séquestration fictive de celle-ci et de leur enfant. J’appellerai ci-après ces infractions les « premières infractions ».

14.

LU a été condamné pour les premières infractions en octobre 2006 et cette condamnation a été confirmée en appel en avril 2007. Selon la juridiction de renvoi, l’autorité judiciaire d’émission a confirmé que LU a comparu ou était représenté par l’avocat de son choix lors de ces deux procès. LU a ainsi été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement pour les premières infractions, peine assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve de deux ans ( 12 ).

15.

En décembre 2010, LU a été condamné en première instance pour une infraction relative au non-paiement de la pension alimentaire due à son enfant, que j’appellerai ci-après l’« infraction critique ». Il a comparu à deux audiences, mais pas lors du prononcé de la décision. En fin de compte, le juge en première instance lui a infligé une amende, mais ne s’est pas prononcé sur la peine avec sursis relative aux premières infractions ( 13 ).

16.

Cette condamnation a fait l’objet d’un appel, étant entendu qu’aucun élément versé au dossier ne donne la moindre indication quant à l’identité de la personne ayant interjeté cet appel ( 14 ). LU a été cité à comparaître, mais la citation n’a pas été retirée, ce qui a été considéré comme une signification régulière en vertu du droit hongrois. LU n’ayant pas comparu à l’audience, le juge d’appel lui a désigné un avocat en vue de sa défense, lequel l’a représenté lors du procès.

17.

En juin 2012, le juge d’appel a réformé la peine initiale (l’amende) et a condamné LU à cinq mois d’emprisonnement et à une interdiction d’exercer des activités publiques pendant un an. Simultanément, ce juge a ordonné l’exécution de la peine à laquelle LU avait été condamné pour les premières infractions, révoquant le sursis ( 15 ).

18.

À ce stade, l’autorité judiciaire hongroise a émis, en septembre 2012, un MAE aux fins de l’exécution des peines prononcées tant pour les premières infractions que pour l’infraction critique. LU s’est opposé à sa remise devant la High Court (Haute Cour), laquelle a refusé d’ordonner sa remise.

19.

Enfin, LU a engagé une nouvelle procédure de jugement concernant les premières infractions, qui a été rejetée en première instance en octobre 2016, rejet confirmé en appel en mars 2017. LU n’a pas comparu en personne dans le cadre de ces deux procédures, mais il était représenté par l’avocat qu’il avait désigné. À la suite de ce rejet définitif de la demande de nouvelle procédure de jugement, la peine d’emprisonnement prononcée du fait des premières infractions était à nouveau exécutoire en droit hongrois. Une autorité judiciaire hongroise a ainsi émis un second MAE en juillet 2017 portant uniquement sur la condamnation du fait des premières infractions ( 16 ). C’est de ce second MAE qu’est actuellement saisie la juridiction de renvoi en sa qualité d’autorité judiciaire d’exécution.

20.

La juridiction de renvoi considère a priori que le procès relatif à l’infraction critique n’était pas conforme à l’article 6 de la CEDH. Partant, si ce procès devait être considéré comme étant le « procès qui a mené à la décision », elle pourrait refuser l’exécution du MAE au titre de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre relative au MAE.

21.

LU a fait valoir que la peine d’emprisonnement prononcée du fait des premières infractions n’est exécutoire qu’en raison du procès relatif à l’infraction critique. Il s’ensuit que le procès relatif à l’infraction critique doit être considéré comme étant le « procès qui a mené à la décision ». Ce procès s’étant déroulé par défaut, il ne répond à aucune des conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE qui permettraient de procéder à la remise. LU a également avancé qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une nouvelle procédure de jugement portant sur l’infraction critique et que sa remise constituerait dès lors une « violation manifeste » des droits qu’il tire de l’article 6 de la CEDH ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

22.

En revanche, le Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande), partie intimée au principal, a fait valoir que le procès relatif à l’infraction critique constitue une simple « mesure relative aux modalités d’exécution de la peine » et ne relève donc pas, en vertu de la jurisprudence actuelle de la Cour, du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Partant, selon le Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité), il convient d’exécuter le MAE et c’est aux juridictions de l’État membre d’émission qu’il appartient de se prononcer sur l’existence éventuelle des violations alléguées de l’article 6 de la CEDH.

23.

La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la jurisprudence de la Cour peut être transposée directement au cas d’espèce.

24.

Dans ces conditions, la Court of Appeal (Cour d’appel) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

a)

Lorsque la remise de la personne recherchée est demandée aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté qui a été assortie d’un sursis ab initio, mais dont l’exécution a été ordonnée ultérieurement en raison de la condamnation de la personne recherchée pour une nouvelle infraction pénale, et que cette ordonnance d’exécution a été rendue par la juridiction qui a condamné la personne recherchée et lui a infligé une peine pour cette nouvelle infraction pénale, la procédure ayant abouti à ces condamnation et ordonnance d’exécution ultérieures fait-elle partie du “procès qui a mené à la décision” au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre [relative au MAE] ?

b)

Pour répondre à la première question, sous a), ci-dessus, importe-t-il de savoir si la juridiction qui a rendu l’ordonnance d’exécution était légalement tenue de rendre cette ordonnance ou si elle disposait d’une marge d’appréciation pour le faire ?

2)

Dans les circonstances exposées dans la première question ci-dessus, l’autorité judiciaire d’exécution est-elle en droit d’examiner si la procédure ayant abouti à la condamnation et à l’ordonnance d’exécution ultérieures, qui s’est déroulée en l’absence de la personne recherchée, a été menée conformément à l’article 6 de la [CEDH] et, en particulier, d’examiner si l’absence, à cette procédure, de la personne recherchée a constitué une violation des droits de la défense et/ou du droit de celle-ci à un procès équitable ?

3)

a)

Dans les circonstances exposées dans la première question ci-dessus, si l’autorité judiciaire d’exécution parvient à la conclusion que la procédure ayant abouti à la condamnation et à l’ordonnance d’exécution ultérieures n’a pas été menée conformément à l’article 6 de la [CEDH] et, en particulier, que l’absence de la personne recherchée a constitué une violation des droits de la défense et/ou du droit de celle-ci à un procès équitable, l’autorité judiciaire d’exécution a-t-elle le droit et/ou l’obligation a) de refuser la remise de la personne recherchée au motif que cette remise serait contraire à l’article 6 de la [CEDH] et/ou à l’article 47 ainsi qu’à l’article 48, paragraphe 2, de la [Charte] et/ou b) d’exiger de l’autorité judiciaire d’émission, comme condition de la remise, qu’elle garantisse que la personne recherchée aura droit, après sa remise, à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle elle aura le droit de participer et qui permettra de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, ce qui pourrait aboutir à une infirmation de la décision initiale, en ce qui concerne la condamnation ayant abouti à l’ordonnance d’exécution ?

b)

Aux fins de la troisième question, sous a), ci-dessus, le critère à appliquer est-il celui de savoir si la remise de la personne recherchée porterait atteinte au contenu essentiel des droits fondamentaux que lui confèrent l’article 6 de la [CEDH] et/ou l’article 47 ainsi que l’article 48, paragraphe 2, de la [Charte] et, dans l’affirmative, le fait que la procédure ayant abouti à la condamnation et à l’ordonnance d’exécution ultérieures s’est déroulée par défaut et que, en cas de remise, la personne recherchée n’aura pas droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel est-il suffisant pour permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de conclure que la remise porterait atteinte au contenu essentiel de ces droits ? »

B.   L’affaire PH (C‑515/21)

25.

Une autorité judiciaire polonaise demande la remise de PH, partie appelante au principal, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté et a émis un MAE à cette fin. Dans ce contexte, la Court of Appeal (Cour d’appel), statuant en appel d’un arrêt de la High Court (Haute Cour), est l’autorité judiciaire d’exécution.

26.

PH a été condamné en mai 2015 pour une infraction, commise en janvier de la même année, consistant en une attaque par déni de service ( 17 ) visant une entreprise commerciale, accompagnée de menaces de poursuivre l’attaque tant qu’une somme d’argent ne lui aurait pas été versée. J’appellerai ci-après cette infraction la « première infraction ».

27.

PH a été dûment informé de cette procédure et a comparu lors du procès. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an, assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve pour une période de cinq ans. Il n’a pas interjeté appel de sa condamnation ni de sa peine.

28.

C’est en février 2017 qu’est intervenue la condamnation relative à ce que j’appellerai à nouveau ci-après l’« infraction critique ». Plus précisément, PH a été reconnu coupable d’une infraction consistant à avoir pénétré par effraction dans une caravane et à y avoir volé des objets, et a été condamné à une peine d’emprisonnement de quatorze mois. Il n’a pas eu connaissance de l’audience et n’y a, dès lors, comparu ni en personne, ni par l’intermédiaire d’un avocat.

29.

En mai 2017, prenant en compte la circonstance que l’infraction critique avait été commise pendant la période de mise à l’épreuve relative à la première infraction, le juge qui a prononcé la condamnation du fait de cette première infraction a rendu une ordonnance d’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée du fait de celle-ci ( 18 ). PH n’a pas eu connaissance de l’existence de cette procédure et n’a, dès lors, comparu ni en personne ni par l’intermédiaire d’un avocat à l’audience à l’issue de laquelle a été rendue l’ordonnance d’exécution de la peine prononcée du fait de la première infraction.

30.

En février 2019, un MAE a été émis aux fins de la remise de PH uniquement en ce qui concerne la peine d’emprisonnement prononcée du fait de la première infraction. Aucun MAE n’a été émis s’agissant de la peine d’emprisonnement prononcée du fait de la condamnation pour l’infraction critique.

31.

En outre, à la demande de la High Court (Haute Cour), à savoir l’autorité judiciaire d’exécution en première instance, l’autorité judiciaire polonaise a indiqué que le délai pour interjeter appel de la condamnation prononcée du fait de l’infraction critique avait expiré. Cette même autorité d’émission a précisé que, en droit polonais, toute partie dispose d’une « voie de recours extraordinaire (annulation, demande de réouverture de la procédure) ». Elle n’a toutefois pas communiqué davantage d’informations sur cette procédure.

32.

PH s’est opposé en vain à sa remise devant la High Court (Haute Cour). La juridiction de renvoi statue en degré d’appel, formé contre l’arrêt rendu par la High Court (Haute Cour) en faveur de l’exécution du MAE.

33.

Dans le cadre de cette procédure, la Court of Appeal (Cour d’appel) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Lorsque la remise de la personne recherchée est demandée aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté qui a été assortie d’un sursis ab initio, mais dont l’exécution a été ordonnée ultérieurement en raison de la condamnation ultérieure de la personne recherchée pour une nouvelle infraction pénale, dans des circonstances où l’ordonnance d’exécution était obligatoire en raison de cette condamnation, la procédure ayant abouti à cette condamnation ultérieure et/ou celle ayant abouti à l’adoption de l’ordonnance d’exécution font-elles partie du “procès qui a mené à la décision” au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre [relative au MAE] ?

2)

Dans les circonstances exposées dans la première question ci-dessus, l’autorité judiciaire d’exécution a-t-elle le droit et/ou l’obligation d’examiner si la procédure ayant abouti à la condamnation ultérieure et/ou celle ayant abouti à l’ordonnance d’exécution, toutes deux s’étant déroulées en l’absence de la personne recherchée, ont été menées conformément à l’article 6 de la [CEDH] et, en particulier, d’examiner si l’absence, à ces procédures, de la personne recherchée a constitué une violation des droits de la défense et/ou du droit de celle-ci à un procès équitable ?

3)

a)

Dans les circonstances exposées dans la première question ci-dessus, si l’autorité judiciaire d’exécution parvient à la conclusion que la procédure ayant abouti à la condamnation et à l’ordonnance d’exécution ultérieures n’a pas été menée conformément à l’article 6 de la [CEDH] et, en particulier, que l’absence de la personne recherchée a constitué une violation des droits de la défense et/ou du droit de celle-ci à un procès équitable, l’autorité judiciaire d’exécution a-t-elle le droit et/ou l’obligation a) de refuser la remise de la personne recherchée au motif que cette remise serait contraire à l’article 6 de la [CEDH] et/ou à l’article 47 ainsi qu’à l’article 48, paragraphe 2, de la [Charte] et/ou b) d’exiger de l’autorité judiciaire d’émission, comme condition de la remise, qu’elle garantisse que la personne recherchée aura droit, après sa remise, à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel, à laquelle elle aura le droit de participer et qui permettra de réexaminer l’affaire sur le fond, en tenant compte des nouveaux éléments de preuve, ce qui pourrait aboutir à une infirmation de la décision initiale, en ce qui concerne la condamnation ayant abouti à l’ordonnance d’exécution ?

b)

Aux fins de la troisième question, sous a), ci-dessus, le critère à appliquer est-il celui de savoir si la remise de la personne recherchée porterait atteinte au contenu essentiel des droits fondamentaux que lui confèrent l’article 6 de la [CEDH] et/ou l’article 47 ainsi que l’article 48, paragraphe 2, de la [Charte] et, dans l’affirmative, le fait que la procédure ayant abouti à la condamnation et à l’ordonnance d’exécution ultérieures s’est déroulée par défaut et que, en cas de remise, la personne recherchée n’aura pas droit à une nouvelle procédure de jugement ou à une procédure d’appel est-il suffisant pour permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de conclure que la remise porterait atteinte au contenu essentiel de ces droits ? »

IV. La procédure devant la Cour

34.

Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal dans les deux affaires, par les gouvernements irlandais et polonais, ainsi que par la Commission européenne. Une audience s’est tenue le 13 juillet 2022 lors de laquelle LU, PH, le gouvernement irlandais et la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries.

V. Analyse

35.

Les affaires jointes qui nous occupent portent sur une série de procédures susceptibles d’être qualifiées de « procès qui [ont] mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Les premières procédures ont abouti aux peines d’emprisonnement avec sursis prononcées du fait de la première ou des premières infraction(s) ; les personnes dont la remise est demandée ont comparu lors de ces procédures. Les deuxièmes procédures ont abouti aux condamnations du fait de l’infraction critique ; les personnes dont la remise est demandée n’ont pas comparu lors de ces procédures. Enfin, la troisième catégorie de procédures concerne celles à l’issue desquelles a été décidée la révocation du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée du fait de la première ou des premières infraction(s). Dans l’affaire C‑514/21, la levée du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement a été prononcée par le même juge et à l’issue du même procès que celui qui a abouti à la reconnaissance de culpabilité et à la détermination de la peine prononcée du fait de l’infraction critique. En revanche, dans l’affaire C‑515/21, la levée du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement a été prononcée par un juge différent, à l’issue d’une procédure distincte du procès relatif à l’infraction critique.

36.

La juridiction de renvoi considère qu’il est évident que l’absence, lors du procès relatif à l’infraction critique concernant chacune d’elles, des personnes dont la remise est demandée a donné lieu à une méconnaissance de leur droit à un procès équitable. Elle demande dès lors, en substance, si elle peut refuser d’exécuter les MAE en cause, soit directement sur le fondement de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE (première question préjudicielle), soit sur le fondement de l’article 6 de la CEDH et des articles 47 et 48 de la Charte (deuxième et troisième questions préjudicielles).

37.

Je procéderai comme suit pour aider la Cour à répondre aux questions posées. Dans la partie A, j’expliquerai pourquoi il convient d’interpréter l’expression « procès qui a mené à la décision » employée à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE en ce sens qu’elle vise les procès en cause portant sur les infractions critiques dans les deux affaires qui nous occupent. Il s’ensuit que l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE s’applique aux deux cas d’espèce et que, pour peu qu’aucune des conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de cette décision‑cadre ne soit remplie, la juridiction de renvoi peut ne pas procéder à la remise des appelants au principal à la Pologne pour l’un et à la Hongrie pour l’autre. Étant donné qu’une grande partie des échanges dans les observations écrites, ainsi que lors de l’audience, portait sur les trois arrêts rendus antérieurement en la matière, à savoir les arrêts Tupikas ( 19 ), Zdziaszek ( 20 ) et Ardic ( 21 ), je présenterai mon point de vue sur leur pertinence en l’espèce.

38.

Dans la partie B, j’examinerai conjointement les deuxièmes et troisièmes questions posées dans les deux affaires qui nous occupent, qui soulèvent, à mon sens, des questions importantes pour l’ensemble du mécanisme du MAE tel qu’il a été conçu par le législateur de l’Union et interprété par la Cour. La juridiction de renvoi a formulé ces questions de manière à ne pas les subordonner à une réponse affirmative ou négative à la première question préjudicielle. Compte tenu de cet élément, je présenterai mes propositions de réponse aux deuxièmes et troisièmes questions préjudicielles dans les deux cas de figure : dans l’hypothèse où la Cour jugerait que l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE s’applique, comme je le propose, aux affaires jointes, et dans l’hypothèse où elle jugerait que celles-ci ne relèvent pas de cette disposition.

A.   Sur la première question préjudicielle

39.

La décision-cadre relative au MAE énonce de manière exhaustive les motifs de non-exécution obligatoire (article 3) et facultative (articles 4 et 4 bis) d’un MAE. L’article 4 bis de la décision-cadre relative au MAE, dont l’interprétation est sollicitée, n’est applicable que si la personne dont la remise est demandée faisait défaut lors du « procès qui a mené à la décision » aux fins de l’exécution de laquelle la remise est demandée.

40.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande que soit interprétée la notion de « procès qui a mené à la décision » au sens de la phrase introductive de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Plus précisément, la juridiction de renvoi demande de clarifier la portée de cette notion, et de savoir si les procès relatifs aux infractions critiques relèvent de celle‑ci. Il y a également lieu d’établir si la procédure distincte relative à la levée du sursis et à l’exécution des peines d’emprisonnement prononcées du fait des premières infractions relève de la notion de « procès qui a mené à la décision ».

41.

En cas de réponse affirmative à ces questions, les deux cas d’espèce relèveraient du champ d’application matériel de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. En fonction de la réponse de la Cour, il sera loisible, ou non, à l’autorité judiciaire d’exécution de ne pas exécuter les MAE en cause si elle constate qu’aucune des conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de la décision-cadre relative au MAE n’est remplie.

42.

Je procéderai comme suit pour répondre à cette question. Je commencerai par passer en revue les arrêts antérieurs dans lesquels la Cour a interprété l’expression « procès qui a mené à la décision ». Je proposerai ensuite une interprétation d’application générale de cette expression, conforme à l’objectif poursuivi par le droit d’assister à son procès. Ainsi que je le démontrerai, cette interprétation est conforme à la jurisprudence antérieure. Afin de répondre à la première question, sous b), posée dans le cadre de l’affaire C‑514/21, j’examinerai l’incidence de la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités dans l’État d’émission lorsqu’elles se prononcent sur l’exécution de la peine. Enfin, je m’attarderai sur certains des points soulevés au cours de la procédure, comme l’effectivité du mécanisme du MAE et le risque d’impunité.

1. Sur la jurisprudence existante relative à l’interprétation de l’expression « procès qui a mené à la décision » et sur son caractère transposable aux cas d’espèce

43.

La Cour, qui considère qu’il s’agit d’une notion autonome de droit de l’Union, a déjà eu plusieurs fois l’occasion, notamment dans ses arrêts Tupikas ( 22 ), Zdziaszek ( 23 ) et Ardic ( 24 ), d’interpréter la notion de « procès qui a mené à la décision » figurant à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. La juridiction de renvoi pose la question de l’incidence qu’ont ces arrêts sur les cas d’espèce et à propos de laquelle les parties ont également échangé au cours des procédures qui nous occupent.

44.

La Cour a constaté que tant les procédures en degré d’appel (dans l’arrêt du 10 août 2017, Tupikas, C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628) que les procédures visant à statuer sur la combinaison de peines privatives de liberté distinctes (dans l’arrêt du 10 août 2017, Zdziaszek, C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629) relèvent de la notion de « procès qui a mené à la décision ». En revanche, la Cour a jugé qu’il convenait d’interpréter cette notion en ce sens que ne relèvent pas de celle-ci les procédures de révocation d’une décision de mise en liberté anticipée provisoire (dans l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic, C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026).

45.

Les circonstances dans lesquelles s’inscrivent les cas d’espèce qui nous occupent sont semblables à celles des trois arrêts évoqués au point précédent des présentes conclusions en ce sens que la peine d’emprisonnement initiale a d’abord été prononcée à l’issue du procès relatif à la reconnaissance de culpabilité et a ensuite été modifiée à l’issue d’une procédure ultérieure, lors de laquelle ce n’est pas la reconnaissance de culpabilité qui a été réexaminée, mais uniquement la durée de la privation de liberté. À l’instar des cas d’espèce, c’est donc à l’issue d’une série de procédures que la peine a été définitivement établie.

46.

En dépit de ces similitudes, les affaires ayant donné lieu à ces trois arrêts se distinguent également des circonstances qui sont à l’origine des questions préjudicielles posées en l’espèce. Il convient surtout de relever que, dans aucune des affaires à l’origine des trois arrêts, la modification de la peine d’emprisonnement prononcée initialement n’était tributaire de la reconnaissance de culpabilité ou de la peine prononcée du fait d’une autre infraction. De plus, dans ces trois arrêts, la Cour s’est prononcée uniquement au regard des circonstances propres à ces affaires, sans proposer de critères généraux, précis ou détaillés quant à la définition d’un « procès qui a mené à la décision » au sens de la décision-cadre relative au MAE ( 25 ). C’est la raison pour laquelle les constats opérés dans ces arrêts ne sauraient être automatiquement transposés aux cas d’espèce.

47.

Dans les développements qui suivent, je proposerai une interprétation d’application générale de l’expression « procès qui a mené à la décision », et je poursuivrai en démontrant que, si elle ne découle certes pas directement de la jurisprudence antérieure, cette interprétation ne la contredit en rien.

2. Sur l’interprétation proposée de la notion de « procès qui a mené à la décision »

48.

Afin d’interpréter la notion de « procès qui a mené à la décision » telle qu’elle figure à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, il me semble important de s’intéresser aux raisons pour lesquelles l’ordre juridique de l’Union considère que le droit d’une personne à assister à son procès est un droit fondamental et le protège en tant que tel.

49.

Dans l’arrêt Tupikas, la Cour a indiqué que « la personne concernée doit pouvoir exercer pleinement ses droits de la défense aux fins de faire valoir, de manière effective, son point de vue et d’exercer ainsi une influence sur la décision finale qui est susceptible d’entraîner la privation de sa liberté individuelle » ( 26 ). Dans l’arrêt Zdziaszek, la Cour a ajouté que la personne concernée doit pouvoir exercer effectivement ses droits de la défense lorsque les décisions ont une incidence sur le quantum de la peine, en raison des conséquences importantes que ceux-ci peuvent avoir pour cette personne ( 27 ).

50.

Selon moi, et la jurisprudence citée va dans ce sens, la faculté qu’a une personne d’influencer un juge compétent pour se prononcer sur sa culpabilité et la condamner à une peine est l’élément capital de son droit à assister à son procès. Partant, l’intéressé doit avoir l’occasion d’influencer en personne la décision définitive, surtout lorsque cette décision a pour objet la privation de sa liberté. Si c’est à l’issue d’une série de procédures qu’est rendue la décision définitive, la personne concernée doit pouvoir participer à chacune d’entre elles.

51.

L’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE a pour objet de garantir à une personne le droit d’assister à son procès dans le cadre d’une procédure de remise aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté. Partant, il convient d’interpréter la notion de « procès qui a mené à la décision » en ce sens qu’elle vise chaque étape de la procédure qui a participé à la décision définitive relative à la privation de liberté dans l’État d’émission.

52.

La décision de révocation du sursis qui assortissait initialement l’exécution d’une peine d’emprisonnement est celle qui prive la personne concernée de sa liberté. Je considère qu’il est capital que la personne concernée comparaisse à chaque étape qui est déterminante pour parvenir à cette décision.

53.

Eu égard aux éléments qui précèdent, je propose d’interpréter la notion de « procès qui a mené à la décision », figurant à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, comme visant chacune des étapes de la procédure qui est déterminante pour parvenir à la décision définitive relative à la privation de liberté d’une personne.

54.

Il s’ensuit que, comme l’a proposé la Commission, toutes les procédures qui ont eu lieu dans le cadre des cas d’espèce, c’est-à-dire les procès à l’issue desquels la peine initiale d’emprisonnement avec sursis a été prononcée, les procès à l’issue desquels les mêmes personnes ont été condamnées du fait des infractions critiques et les procédures (au cas où elles sont distinctes des précédentes) à l’issue desquelles la peine initiale d’emprisonnement avec sursis a été modifiée, sont des « procès qui [ont] mené à la décision ». Elles sont toutes déterminantes s’agissant de la privation de liberté aux fins de laquelle la remise des personnes concernées est demandée.

55.

La jurisprudence de la Cour relative à la notion de « procès qui a mené à la décision » autorise, voire étaye, l’interprétation proposée ci-dessus.

3. Sur la jurisprudence existante étayant l’interprétation proposée

a) La notion de « procès qui a mené à la décision » peut-elle viser une série de procédures ?

56.

Dans l’arrêt Tupikas, la Cour a constaté ce qui suit : « dans l’hypothèse où la procédure a comporté plusieurs instances ayant donné lieu à des décisions successives, dont l’une au moins a été rendue par défaut, il y a lieu d’entendre par “procès qui a mené à la décision”, au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre [relative au MAE], l’instance qui a conduit à la dernière de ces décisions [...] » ( 28 ).

57.

Cette phrase pourrait indiquer que seule importe la dernière procédure afin d’établir si l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE s’applique.

58.

Toutefois, dans l’arrêt Zdziaszek, rendu le même jour que l’arrêt du 10 août 2017, Tupikas (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628), la Cour a déclaré ce qui suit : « il y a lieu de considérer que, dans une hypothèse, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, où, à la suite d’une instance d’appel au cours de laquelle l’affaire a fait l’objet d’un nouvel examen quant au fond, une décision a définitivement statué sur la culpabilité de la personne concernée et lui a également infligé de ce fait une peine privative de liberté, dont le niveau a toutefois été modifié par une décision subséquente prise par l’autorité compétente après que celle-ci a exercé son pouvoir d’appréciation en la matière et qui fixe définitivement la peine, ces deux décisions doivent, l’une et l’autre, être prises en compte pour les besoins de l’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre [relative au MAE] » ( 29 ).

59.

La Cour semble ainsi indiquer qu’elle considère que les différentes étapes d’une procédure permettent toutes d’entraîner l’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, à condition qu’elles soient déterminantes s’agissant de la peine privative de liberté de la personne concernée. Partant, il y a lieu d’interpréter le point cité de l’arrêt du 10 août 2017, Tupikas (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628), en fonction des circonstances propres à cette affaire : la Cour a répondu à la question posée par la juridiction de renvoi de savoir si une procédure en degré d’appel est un « procès qui a mené à la décision » lorsque la personne concernée a comparu en première instance, mais non en degré d’appel. Le constat de la Cour ne fait pas obstacle à l’interprétation proposée, selon laquelle toutes les procédures qui participent à la décision de privation de liberté ( 30 ) relèvent de l’expression « procès qui a mené à la décision ».

60.

Les cas d’espèce se distinguent des affaires antérieures dès lors que les procès relatifs aux infractions critiques, qui ont eu lieu par défaut, ne portaient pas sur la peine d’emprisonnement avec sursis faisant l’objet du MAE émis. L’effet de ces procès sur la décision définitive de prononcé des peines du fait de la première ou des premières infraction(s) n’était qu’incident. Dans le même temps, il a également été déterminant.

61.

Si elle ne tranche certes pas directement la question de savoir si un procès de ce type a « mené à la décision », la jurisprudence antérieure ne fait pas obstacle à l’interprétation selon laquelle un tel procès, s’il est déterminant s’agissant de la décision définitive relative à la peine, relève de cette notion.

62.

Les décisions de levée du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée du fait de la première ou des premières infraction(s) étaient tributaires du constat de culpabilité du fait des infractions critiques prononcé à l’issue du second procès ainsi que de la nature et de la durée de la peine prononcée du fait de ces infractions. Dès lors qu’ils ont participé de manière déterminante aux décisions de levée du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée du fait de la première ou des premières infraction(s), les procès relatifs aux infractions critiques relèvent de la notion de « procès qui a mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.

b) Les décisions de révocation du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement ne sont-elles que des modalités d’exécution de la peine et, partant, sont-elles exclues de la notion de « procès qui a mené à la décision » ?

63.

Dans son arrêt Zdziaszek ( 31 ), la Cour a établi, en renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») ( 32 ), une distinction entre, d’une part, la décision définitive fixant la nature et le niveau de la peine prononcée et, d’autre part, les modalités d’exécution de la peine privative de liberté prononcée. Elle a considéré, au terme de son raisonnement, que relève du « procès qui a mené à la décision » la première catégorie de procédures, mais non la seconde ( 33 ).

64.

Ce constat a été déterminant dans le cadre de l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026). La juridiction de renvoi, à l’instar de tous les participants à la procédure devant la Cour, a principalement examiné les conséquences de cet arrêt pour l’issue des deux affaires jointes qui nous occupent.

65.

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), portait sur la révocation de la mise en liberté provisoire avant la fin de la peine d’emprisonnement. M. Ardic, un ressortissant allemand, a été condamné en Allemagne à une peine d’emprisonnement, prononcée dans deux jugements. Après avoir purgé une partie de cette peine, il s’est vu accorder un sursis à l’exécution du restant de celle-ci. Plus précisément, en droit allemand, lorsqu’une certaine partie de la peine privative de liberté a été purgée et que d’autres conditions sont réunies, le restant de cette peine peut faire l’objet d’un sursis sous condition et une mise en liberté provisoire peut être prononcée ( 34 ).

66.

Or, M. Ardic n’a pas respecté les conditions dont était assortie la mise en liberté provisoire. Par conséquent, un juge allemand a révoqué la mise en liberté provisoire à l’issue d’une procédure lors de laquelle M. Ardic n’a pas comparu. La question adressée à la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), qui s’est posée devant le Rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) saisi de l’exécution du MAE, était de savoir si la procédure de révocation de la mise en liberté provisoire constituait un « procès qui a mené à la décision », permettant d’appliquer l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.

67.

Dans l’arrêt Ardic, la Cour a effectivement répété que, selon la jurisprudence de la Cour EDH, les modalités d’exécution ou d’application des peines privatives de liberté ne relèvent pas de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et qu’elles ne relèvent donc pas non plus de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE ( 35 ). Faisant application de ce raisonnement à la situation de M. Ardic, la Cour a constaté que la décision en cause dans cette affaire ne relevait pas de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.

68.

L’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), est critiquable à certains égards. Ainsi, les raisons pour lesquelles la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’interprétation de l’expression « accusation en matière pénale » (intéressant l’application de l’article 6 de la CEDH) serait automatiquement transposable à l’interprétation de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE sont loin d’être évidentes ( 36 ). Il semble également difficilement défendable que la Cour se fonde de manière presque exclusive sur l’arrêt Boulois c. Luxembourg ( 37 ), qui portait sur le rejet d’une demande de congé pénal d’un jour ( 38 ), afin de justifier son constat selon lequel une décision de révocation d’une mise en liberté provisoire est une modalité d’exécution de la peine. Ce ne serait toutefois pas rendre justice au raisonnement tenu par la Cour dans l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), que de se contenter d’en faire une lecture formaliste selon laquelle il faudrait toujours classer les décisions soit dans la catégorie des « modalités d’exécution de la peine », soit dans celle des « décisions relatives à la nature et au quantum de la peine ».

69.

Selon moi, le constat le plus important opéré par la Cour dans l’arrêt Ardic est le suivant : « À la lumière des éléments qui précèdent, il y a donc lieu de considérer que, pour les besoins de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre [relative au MAE], la notion de “décision” qui y est énoncée ne couvre pas une décision relative à l’exécution ou à l’application d’une peine privative de liberté antérieurement prononcée, sauf lorsque cette décision a pour objet ou pour effet de modifier soit la nature soit le quantum de ladite peine et que l’autorité l’ayant rendue a bénéficié à cet égard d’une marge d’appréciation » ( 39 ).

70.

La distinction formelle opérée entre, d’une part, les décisions relatives aux modalités d’exécution des peines et, d’autre part, celles relatives à la nature et au quantum d’une peine n’a pas semblé déterminante pour établir si la décision concernée était une « décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Le point important était qu’une décision ait soit pour objet soit pour effet de modifier la peine prononcée antérieurement. Il importait également que la modification de la peine, loin d’être automatique, soit fonction de la marge d’appréciation dont bénéficie l’autorité chargée de statuer, un élément sur lequel je reviendrai dans la sous-partie qui suit.

71.

Indépendamment du fait que l’on souscrive ou non à l’application de cette interprétation aux circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ardic, il semble que, dans cette affaire, la Cour a été influencée par le fait que M. Ardic a quitté l’Allemagne, au mépris manifeste, dès lors, des conditions de sa mise en liberté provisoire ( 40 ). Ce n’est donc pas une décision d’un juge qui a entraîné la révocation du sursis et de la mise en liberté provisoire, mais le fait que M. Ardic a manifestement méconnu les conditions de sa mise en liberté provisoire.

72.

Ce constat, opéré dans le cadre des circonstances propres à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), n’a pas pour conséquence que les procédures qui ont eu lieu dans les cas d’espèce, à savoir tant celles relatives aux infractions critiques que celles relatives à la révocation du sursis à l’exécution des peines d’emprisonnement consécutives aux condamnations prononcées du fait de ces infractions, ne relèvent pas du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.

73.

Les procès relatifs aux infractions critiques ont eu pour effet de rendre inévitable, ou du moins possible, la modification des peines prononcées à l’issue des premiers procès. Partant, les personnes concernées auraient dû avoir l’occasion de se défendre elles-mêmes lors du procès relatif aux infractions critiques ( 41 ). Leur présence lors de ces procès était, bien entendu, importante sur le plan de leurs droits de la défense dans le cadre des infractions critiques elles‑mêmes ; cet élément n’est toutefois pas important dans le cadre de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Ce qui importe, c’est que leur défense lors des procès relatifs aux infractions critiques aurait pu avoir une incidence sur la modification des peines prononcées du fait de la première ou des premières infraction(s), aux fins de l’exécution de laquelle ou desquelles les MAE ont été émis ( 42 ).

74.

S’agissant de la procédure relative à la révocation du sursis, s’il en existe une distincte du procès relatif aux infractions critiques, elle a précisément pour objet une éventuelle modification de la décision antérieure relative à la peine. Partant, si l’autorité chargée de statuer bénéficie d’une marge d’appréciation pour prononcer la levée du sursis, le constat formulé par la Cour dans l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), reproduit au point 69 des présentes conclusions, vise également cette procédure.

75.

En conclusion, loin de lui faire obstacle, la jurisprudence antérieure étaye même la conclusion selon laquelle un « procès qui a mené à la décision » vise toute procédure qui a une influence déterminante (par ses effets ou son objet) sur la condamnation définitive à une peine d’emprisonnement aux fins de l’exécution de laquelle un MAE est émis.

76.

Partant, les arguments par lesquels le Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité) et le gouvernement irlandais se fondent sur l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), pour soutenir que les affaires jointes qui nous occupent ne concernent que des modalités d’exécution et qu’ils ne relèvent pas, dès lors, du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, ne sauraient prospérer.

77.

Si aucune des conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de la décision-cadre relative au MAE n’est remplie, le juge peut, dès lors, refuser d’exécuter le MAE au motif que LU et PH n’ont pas pu présenter leurs moyens de défense lors des procès relatifs aux infractions critiques.

4. Sur la marge d’appréciation dont bénéficie l’autorité statuant sur la modification de la peine

78.

Par sa première question, sous b), dans l’affaire C‑514/21, la juridiction de renvoi se demande s’il importe que le juge dans l’État d’émission bénéficie éventuellement d’une marge d’appréciation lorsqu’il statue sur la révocation du sursis.

79.

Ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus s’agissant des conséquences qu’a l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), sur les cas d’espèce, la marge d’appréciation de l’autorité chargée de statuer importe pour établir qu’une décision relève du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Toutefois, ce n’est pas parce que l’autorité statuant sur la révocation du sursis bénéficie d’une marge d’appréciation, comme cela semble être le cas dans l’affaire C‑514/21, que le procès relatif aux infractions critiques ne relève pas du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.

80.

Permettez-moi de préciser ma pensée.

81.

L’autorité chargée de statuer n’aurait pas pu adopter une décision de levée de sursis, que celle-ci soit automatique (comme dans l’affaire C‑515/21) ou qu’elle soit fonction de la marge d’appréciation dont bénéficie cette autorité (comme dans l’affaire C‑514/21), si cette dernière n’avait pas établi la culpabilité et prononcé des peines d’emprisonnement du fait des infractions critiques. Si les intéressés dont la remise est demandée avaient comparu lors des procès relatifs aux infractions critiques, ils auraient pu réfuter leur culpabilité ou influencer la peine. La raison en est que le juge qui a statué sur les infractions critiques bénéficiait d’une certaine marge d’appréciation quant à la nature et au niveau de la peine ( 43 ).

82.

S’il n’y avait pas eu de reconnaissance de culpabilité pour les infractions critiques, ou si la peine était restée de nature patrimoniale, la procédure de révocation du sursis n’aurait même pas eu lieu. Les procès relatifs aux infractions critiques sont ceux qui sont à l’origine (d’où leur appellation) de la modification des peines prononcées du fait de la première ou des premières infraction(s).

83.

C’est à l’évidence le cas dans une situation où la révocation du sursis est automatique. Tel est cependant également le cas dans une situation où l’autorité chargée de statuer bénéficie d’une marge d’appréciation quant à la levée du sursis. Il n’aurait pas été question de cette marge d’appréciation en l’absence de la peine prononcée du fait des infractions critiques. C’est la raison pour laquelle, afin de garantir comme il se doit leurs droits de la défense, il fallait que les personnes concernées puissent comparaître aussi bien au procès relatif aux infractions critiques que lors des procédures distinctes à l’issue desquelles la première peine d’emprisonnement a été modifiée, si les autorités bénéficiaient d’une marge d’appréciation dans le cadre de ces dernières procédures.

84.

Le fait que l’autorité statuant sur la révocation du sursis bénéficie d’une marge d’appréciation n’a donc pas d’incidence sur le constat selon lequel les procès relatifs aux infractions critiques relèvent du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Cet élément importe toutefois lorsqu’il s’agit de déterminer si ces procédures, au cas où elles sont distinctes, ce qui semble être le cas dans l’affaire C‑515/21, relèvent également de l’expression « procès qui a mené à la décision » ( 44 ).

85.

La personne qui risque de perdre sa liberté devrait pouvoir comparaître en personne lors de ces procédures si l’autorité chargée de statuer bénéficie d’une marge d’appréciation pour décider de ne pas révoquer ou de ne révoquer qu’en partie le sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement après que cette personne a été reconnue coupable d’avoir commis l’infraction critique. Partant, ces procédures sont également des « procès qui [ont] mené à la décision », à l’instar des procès relatifs à l’infraction critique, et la personne dont la remise est demandée doit avoir l’occasion d’assister à ces deux procès.

86.

En revanche, si la décision de révocation du sursis à l’exécution d’une peine d’emprisonnement est de nature purement déclaratoire et découle automatiquement de la reconnaissance de culpabilité et de la détermination de la peine relative aux infractions critiques, seul le procès relatif à ces infractions (et non la procédure de révocation, si elle est distincte) constitue le « procès qui a mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Tel semble être le cas dans l’affaire C‑515/21.

5. Sur l’effectivité du mécanisme du MAE

87.

Dans l’arrêt Ardic, la Cour a dénoncé le risque d’atteinte à l’efficacité du mécanisme du MAE en cas d’interprétation trop large de la notion de « procès qui a mené à la décision » ( 45 ).

88.

Je souscris à l’idée qu’il ne faut pas interpréter de manière large le champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, dès lors que cette disposition constitue l’exception au principe selon lequel il incombe à l’autorité d’exécution de faire confiance à l’autorité d’émission et d’exécuter automatiquement le MAE ( 46 ). Toutefois, l’article 4 bis a été inséré dans la décision-cadre relative au MAE dans le but non seulement de rendre le mécanisme du MAE plus efficace, mais également de renforcer le niveau de protection du droit d’assister à son procès ( 47 ).

89.

Il importe de relever à cet égard que l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE ne figurait pas dans la version initiale de celle-ci et a été inséré par la décision-cadre modificative 2009/299. L’objectif de cette modification de 2009 était de « prévoir des motifs de non-reconnaissance, précis et communs, des décisions rendues à l’issue d’un procès auquel la personne concernée n’a pas comparu en personne » ( 48 ), applicables dans le cadre de différents actes législatifs de l’Union relatifs à la coopération judiciaire en matière pénale ( 49 ).

90.

L’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, qui est le fruit des modifications évoquées ci-dessus, harmonise les conditions dans lesquelles l’autorité chargée d’exécuter un MAE, dans tout État membre, est habilitée à ne pas reconnaître une décision rendue par un juge de l’État d’émission à l’issue d’un procès par défaut. La modification tient compte du fait que le droit d’assister à son procès relève de l’article 6 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH, mais aussi que ce droit n’est pas absolu ( 50 ).

91.

Plus précisément, l’accusé peut renoncer à son droit d’assister à son procès, de son plein gré, de manière expresse ou tacite, mais sans équivoque ( 51 ).

92.

Pour établir que tel est le cas, l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre relative au MAE énonce des cas de figure dans lesquels l’autorité d’exécution doit constater que la personne dont la remise est demandée au titre d’un MAE a renoncé à son droit de comparaître en personne au procès (ou lors d’une nouvelle procédure de jugement) dans l’État d’émission [article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à c), de la décision-cadre relative au MAE]. Si l’une de ces conditions est remplie, ou si une nouvelle procédure de jugement est possible dans l’État d’émission après la remise [article 4 bis, paragraphe 1, sous d), de la décision-cadre relative au MAE], l’autorité d’exécution doit remettre la personne visée par un MAE ( 52 ). La raison en est que si l’une de ces conditions est remplie, la personne a eu (ou aura) l’occasion de comparaître au procès et d’influencer la décision définitive. En revanche, ce n’est que si, et uniquement si, aucune des conditions n’est remplie que la décision-cadre relative au MAE habilite l’autorité d’exécution à refuser la remise.

93.

L’introduction de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE permet donc d’harmoniser et de faciliter les remises, tout en respectant, dans le même temps, le niveau élevé de protection accordé aux personnes accusées d’avoir commis des infractions, lesquelles ont l’occasion de se défendre elles-mêmes lors de leur procès.

94.

Par conséquent, l’efficacité du mécanisme du MAE ne saurait être acquise au détriment des droits fondamentaux dont bénéficient les particuliers en vertu de l’ordre constitutionnel de l’Union.

95.

L’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de la décision-cadre relative au MAE est clairement l’expression des limites au droit d’assister à son procès que l’Union juge acceptables. Le niveau de protection fixé eu égard à ces limites est plus élevé que celui prévu à l’article 6 de la CEDH ( 53 ). Le législateur de l’Union a confirmé ce choix dans la directive 2016/343 ( 54 ).

96.

Une personne qui risque d’être privée de liberté doit avoir réellement l’occasion d’influencer la décision à cet égard. À cette fin, ainsi que je l’ai indiqué, il est nécessaire que cette personne ait l’occasion de comparaître lors de chaque étape de la procédure qui a une incidence déterminante sur la décision relative à la privation de liberté.

97.

Ainsi, quand bien même on pourrait soutenir que le mécanisme du MAE serait plus efficace si les procès relatifs aux infractions critiques ne relevaient pas de la notion de « procès qui a mené à la décision », une telle interprétation porterait atteinte au niveau de protection du droit d’assister à son procès tel qu’il est harmonisé dans le droit de l’Union.

98.

Le niveau de protection fixé par le législateur de l’Union et applicable dans tous les États membres ne saurait être réduit en raison de préoccupations tenant au fonctionnement efficace du mécanisme du MAE.

99.

Partant, on ne saurait accueillir l’argument selon lequel il serait porté atteinte au mécanisme du MAE si l’on retenait une interprétation voulant que chaque étape de la procédure susceptible d’influencer la décision de privation de liberté d’une personne doit être qualifiée de « procès qui a mené à la décision ».

6. Sur le risque d’impunité

100.

Qu’en est-il de l’impunité ? LU et PH pourraient-ils échapper à la peine d’emprisonnement qu’ils étaient censés purger dans leur État membre d’émission respectif si l’on considère que les procès relatifs aux infractions critiques relèvent de la notion de « procès qui a mené à la décision » ? Je ne le pense pas.

101.

La peine prononcée à leur encontre à l’issue des procès relatifs à la première ou aux premières infraction(s) n’a pas entraîné de privation de liberté. Si c’est à l’issue d’une procédure ultérieure entachée d’irrégularités que la privation de liberté devient effective, celle-ci serait également irrégulière en tant que telle. En ce sens, c’est à juste titre que la Commission relève que l’émission d’un MAE dans les deux cas d’espèce n’aurait pu avoir lieu sans les procès relatifs à l’infraction critique. Si l’on exclut les procès ultérieurs du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, il pourrait en découler une privation de liberté irrégulière.

7. Conclusion intermédiaire

102.

Je considère, dès lors, que l’expression « procès qui a mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE doit être interprétée en ce sens qu’elle vise toute étape de la procédure qui a une incidence déterminante sur la décision de privation de liberté d’une personne. La raison en est que la personne concernée doit avoir l’occasion d’influencer la décision définitive relative à sa liberté.

103.

Par conséquent, je considère que les deux procès [celui relatif à la première ou aux premières infraction(s) et celui relatif aux infractions critiques] relèvent du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE.

B.   Sur les deuxièmes et troisièmes questions préjudicielles

104.

Par les deuxièmes et troisièmes questions qu’elle pose dans les deux cas d’espèce et que j’examinerai conjointement, la juridiction de renvoi demande ce qui suit : a-t-elle le droit (voire l’obligation) de vérifier si, lors de la procédure relative aux infractions critiques et dans le cadre des ordonnances d’exécution adoptées à l’issue de celle-ci dans l’État d’émission, le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la CEDH a été méconnu ? Si l’on suppose qu’elle constate une méconnaissance de cet article, l’autorité d’exécution a-t-elle le droit, voire l’obligation, de refuser l’exécution du MAE ou de subordonner la remise à l’État d’émission au respect de conditions ? Cette vérification requiert-elle d’apprécier la méconnaissance du contenu essentiel du droit fondamental garanti par l’article 6 de la CEDH et quel est le contenu essentiel de ce droit lorsque la procédure s’est déroulée par défaut ?

105.

Ces questions appellent une analyse différente selon la réponse donnée à la première question. En d’autres termes, les réponses dépendent du point de savoir si les procès relatifs aux infractions critiques et les ordonnances d’exécution qui en découlent relèvent ou non du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Afin d’assister pleinement la Cour, je présenterai mes conclusions dans chacun des deux cas de figure susceptibles d’être retenus, en définitive, par la Cour.

106.

Il importe de relever d’emblée que ces questions résultent de la tension existant entre, d’une part, l’obligation incombant aux juges nationaux de contrôler et de garantir le respect de l’article 6 de la CEDH et, d’autre part, l’idée de confiance réciproque sur laquelle repose le mécanisme du MAE, en application de laquelle l’autorité d’exécution doit, en principe, exécuter automatiquement un MAE sans s’interroger sur les procédures qui ont eu lieu dans l’État d’émission.

1. Premier cas de figure : les procès relatifs aux infractions critiques relèvent du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre relative au MAE

107.

Au cas où la Cour constaterait, comme je l’ai proposé, que les procès relatifs aux infractions critiques sont, dans les deux cas d’espèce, des « procès qui [ont] mené à la décision », il s’ensuivrait que l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE s’appliquerait. Dans ce cas, l’obligation de remise ou la faculté de refuser la remise sont pleinement tributaires des conditions énoncées par cette disposition.

108.

Si elle constate que l’une de ces conditions est remplie, par exemple qu’il peut y avoir une nouvelle procédure de jugement dans l’État d’émission après la remise, hypothèse visée par l’article 4 bis, paragraphe 1, sous d), de la décision‑cadre relative au MAE, l’autorité d’exécution doit exécuter le MAE ( 55 ). Si l’une des conditions visées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de cette décision-cadre est remplie, il n’y a pas méconnaissance de l’article 6 de la CEDH. Partant, il n’est pas nécessaire de procéder à la moindre vérification supplémentaire quant à d’éventuelles méconnaissances de cette disposition.

109.

Cette conclusion découle de l’objectif poursuivi par l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Ainsi que je l’ai indiqué au point 89 des présentes conclusions, cette disposition a été introduite afin d’harmoniser les conditions dans lesquelles le droit d’assister à son procès peut être limité. Ces conditions respectent pleinement les exigences de l’article 6 de la CEDH et son interprétation ( 56 ), voire assurent un niveau de protection de ce droit fondamental supérieur à celui assuré par la CEDH ( 57 ).

110.

Par conséquent, lorsqu’elle se conforme à l’obligation de remise prévue à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, l’autorité d’exécution respecte aussi nécessairement les obligations qui lui incombent au titre de l’article 6 de la CEDH.

111.

En revanche, si aucune des conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a) à d), de la décision-cadre relative au MAE n’est remplie, il est alors loisible à l’autorité d’exécution de décider de ne pas exécuter un MAE. Il s’ensuit que l’autorité d’exécution peut décider d’exécuter ou non le MAE.

112.

Une question supplémentaire porte donc sur le mode d’exercice de ce pouvoir d’appréciation par l’autorité d’exécution. Le droit de l’Union, y compris la décision-cadre relative au MAE, régit-il lui-même l’exercice de ce pouvoir d’appréciation ?

113.

Selon moi, s’agissant de la faculté de ne pas procéder à la remise, le droit de l’Union ne requiert rien d’autre que de constater qu’aucune des conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE n’est remplie.

114.

Toutefois, le niveau de protection assuré par l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE peut, dans certaines circonstances, être supérieur à celui prévu par l’article 6 de la CEDH ( 58 ). Par conséquent, il se peut qu’il n’y ait pas eu méconnaissance de l’article 6 de la CEDH, mais que le droit d’assister à son procès, tel qu’il est conçu en droit de l’Union, n’ait éventuellement pas été respecté.L’autorité d’exécution doit-elle, dans un tel cas, établir que l’article 6 de la CEDH n’a pas été méconnu avant de se prononcer en faveur de la remise ? Selon moi, la réponse à cette question ne relève pas du droit de l’Union.

115.

Avant de procéder à la remise de l’intéressé, l’autorité d’exécution a la possibilité, mais pas l’obligation, même après avoir constaté que les conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE ne sont pas réunies, de tenir compte d’autres circonstances qui lui permettent de s’assurer que la remise de ce dernier n’emporte pas une méconnaissance des droits de la défense qu’il tire de l’article 6 de la CEDH ( 59 ).

116.

La question suivante est plus délicate : l’autorité d’exécution peut-elle décider de procéder à la remise d’une personne même lorsque les conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE ne sont pas réunies et que la remise est susceptible, dans le même temps, de donner lieu à une méconnaissance éventuelle de l’article 6 de la CEDH ?

117.

À mon sens, dans un tel cas, la décision-cadre relative au MAE laisse malgré tout le choix à l’autorité d’exécution et ne l’empêche pas de se prononcer en faveur de la remise. On objectera évidemment à cette conclusion qu’elle rend possible une méconnaissance du droit fondamental à un procès équitable de la personne concernée. Une méconnaissance de cet ordre est-elle admissible, compte tenu de la Charte, voire de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre relative au MAE ? De toute évidence, elle ne l’est pas. C’est toutefois à l’État d’émission qu’il incombe d’assurer la protection des droits fondamentaux dans une telle situation (ainsi que je l’exposerai plus en détail lorsque j’analyserai le cas de figure dans lequel l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE ne s’applique pas aux cas d’espèce).

118.

Il s’ensuit que ce n’est plus de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre relative au MAE que l’autorité d’exécution peut tirer la faculté de décider de ne pas procéder à la remise.

119.

Enfin, lorsqu’elle choisit d’exécuter un MAE en application du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait, à mon sens, imposer des conditions à l’autorité judiciaire d’émission. Le fonctionnement rapide du mécanisme du MAE s’en trouverait compromis et la confiance réciproque existant entre les deux autorités judiciaires serait effectivement mise à l’épreuve. La faculté prévue à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE permet à l’autorité judiciaire d’exécution de choisir entre une exécution et une non-exécution, mais elle ne l’habilite pas à dévoyer le mode d’exécution ( 60 ).

2. Conclusion intermédiaire

120.

Lorsqu’une situation relève de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre relative au MAE, l’autorité d’exécution doit uniquement examiner si les conditions énoncées dans cette disposition sont réunies. Ce faisant, elle respecte aussi nécessairement les obligations qui lui incombent au titre de l’article 6 de la CEDH.

3. Second cas de figure : les procès relatifs aux infractions critiques ne relèvent pas du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE

121.

Les deuxièmes et troisièmes questions posées dans les deux cas d’espèce présentent davantage de pertinence au cas où la Cour constate que les procès relatifs aux infractions critiques (ou la procédure d’exécution) ne relèvent pas de la notion de « procès qui a mené à la décision ». Dans cette hypothèse, l’autorité d’exécution ne tire de la décision-cadre relative au MAE aucune faculté de refuser d’exécuter un MAE.

122.

Eu égard à l’interprétation actuelle de la décision-cadre relative au MAE, la réponse à la question de savoir si l’autorité d’exécution peut vérifier l’existence d’éventuelles méconnaissances de l’article 6 de la CEDH et, au cas où elle en constate, décider de ne pas exécuter le MAE, semble simple : non, elle ne le peut pas. La décision-cadre relative au MAE énumère de manière exhaustive les motifs de non-exécution d’un MAE et les États membres ne peuvent pas ajouter de motifs qui ne sont pas énumérés dans celle-ci ( 61 ).

123.

Il semble toutefois que cette situation pose des difficultés à un nombre croissant de juges nationaux saisis aux fins de l’exécution de MAE qui, dans le même temps, se trouvent dans l’obligation de respecter l’article 6 de la CEDH ( 62 ). La juridiction de renvoi semble considérer qu’une remise dans les deux cas d’espèce donnerait lieu à un « déni de justice flagrant » ( 63 ), ce qui la conduirait à violer ses propres obligations au titre de la CEDH. Il convient de ne pas faire abstraction de ces préoccupations exprimées par les autorités nationales d’exécution.

124.

Partant, la question que soulèvent implicitement les cas d’espèce est celle de savoir si l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre relative au MAE permet de fonder des motifs supplémentaires de refuser la remise, notamment au cas où la remise donnerait lieu à un « déni de justice flagrant », ou, selon l’expression retenue par la juridiction de renvoi dans ses questions, à une méconnaissance du contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable.

125.

L’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre relative au MAE énonce clairement que l’application de cette décision-cadre ne saurait donner lieu à une méconnaissance des droits et des principes fondamentaux consacrés par l’ordre juridique de l’Union. Partant, la question de la juridiction de renvoi peut se comprendre en ce sens qu’elle demande si elle est habilitée, même lorsqu’aucune des conditions énumérées dans la décision-cadre relative au MAE n’est remplie, à refuser la remise alors qu’elle a constaté que le droit fondamental à un procès équitable est susceptible d’être méconnu à la suite de la remise dans l’État d’émission.

126.

À ce jour, la Cour a reconnu qu’une telle possibilité, fondée sur l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre relative au MAE, existe dans deux situations. Tout d’abord, dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru ( 64 ), la Cour a constaté que le risque de traitement inhumain ou dégradant, condamné au titre d’un droit fondamental absolu ( 65 ), justifie de refuser la remise. Ensuite, dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) ( 66 ), la Cour a constaté que le risque de méconnaissance du droit à un procès équitable pouvait également justifier de refuser la remise ( 67 ).

127.

Toutefois, dans ces deux cas, les interrogations quant à l’éventuel non‑respect d’un droit fondamental de la personne dont la remise est demandée découlaient du constat initial opéré par l’autorité d’exécution selon lequel la protection des droits fondamentaux est entachée d’un problème généralisé ou systémique dans l’État d’émission. Dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru ( 68 ), pour pouvoir apprécier si la personne dont la remise est demandée pouvait être victime d’un traitement inhumain ou dégradant, l’autorité d’exécution devait d’abord constater la réalité de défaillances systémiques ou généralisées, touchant certains groupes de personnes ou certains centres de détention. Dans l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) ( 69 ) et dans des arrêts ultérieurs ( 70 ), avant de constater que le droit à un procès équitable de la personne dont la remise est demandée est menacé, il incombait à l’autorité d’exécution de vérifier d’abord la réalité du défaut, systémique ou généralisé, d’indépendance des juridictions de l’État membre d’émission.

128.

L’élément qui justifie l’enseignement de la Cour se dégageant de la série d’arrêts évoqués ci-dessus est que la confiance réciproque, qui fonde la reconnaissance mutuelle, fait défaut en raison de défaillances systémiques. Par conséquent, si elle sait que des défaillances de cet ordre existent, l’autorité d’exécution peut nourrir des doutes sur les procédures qui ont eu lieu dans l’État d’émission et vérifier si les droits de la personne dont la remise est demandée risquent d’être méconnus.

129.

En revanche, s’il n’existe pas de défaillances systémiques ou généralisées, je considère que rien ne justifie que l’autorité d’exécution vérifie si les droits de la personne dont la remise est demandée seront méconnus par l’État d’émission, en dehors des situations visées par la décision-cadre relative au MAE.

130.

Au contraire, en autorisant de telles vérifications, on irait à l’encontre de l’idée de confiance réciproque qui fonde le mécanisme du MAE. Ce mécanisme repose sur l’idée que chaque État membre respecte des valeurs fondamentales communes et s’efforce d’en assurer la protection ( 71 ).

131.

Le mécanisme du MAE a été introduit afin de permettre une remise rapide, fondée sur la confiance dans les institutions des autres États. Si le respect des droits fondamentaux pouvait être vérifié dans chaque cas individuel, le mécanisme du MAE se rapprocherait davantage, de ce fait, des procédures d’extradition qui existaient auparavant.

132.

Si cela s’avérait nécessaire, je considère que ce n’est pas à la Cour, mais au législateur de l’Union d’apporter cette modification au mécanisme du MAE tel qu’il est instauré par la décision-cadre relative au MAE.

133.

Je ne saurais exclure que des situations puissent se présenter dans lesquelles il s’avérera nécessaire que l’on puisse vérifier l’existence d’éventuelles méconnaissances de nature individuelle des droits fondamentaux de la personne dont la remise est demandée, même si l’État d’émission ne connaît pas de défaillances systémiques. Toutefois, dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union, comme c’est le cas des limitations jugées acceptables au droit d’assister à son procès ( 72 ), rien, selon moi, ne justifie l’ajout d’exceptions au mécanisme du MAE tel qu’il est conçu par la décision-cadre relative au MAE.

134.

La Cour a déjà jugé que la personne dont la remise est demandée ne saurait se fonder, afin de s’opposer à la remise par l’État d’exécution, sur le défaut de transposition, par l’État d’émission, de la directive 2016/343, laquelle harmonise, notamment, certains aspects du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales. La Cour a également indiqué que l’obligation de l’État membre d’émission de respecter, au sein de son ordre juridique, l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, y compris la directive 2016/343, demeure inchangée ( 73 ). C’est à l’État d’émission qu’il incombe de prévoir une voie de droit, à faire valoir devant ses juridictions, visant au respect de cette directive.

135.

Partant, l’obligation faite à l’autorité d’exécution de procéder à la remise d’une personne en dehors des cas de figure visés dans la décision-cadre relative au MAE n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 TUE ( 74 ). Ainsi que l’a relevé le gouvernement irlandais, il appartient toujours, après la remise, à l’État membre d’émission de garantir les droits fondamentaux ( 75 ).

136.

Dès lors, au cas où la Cour constaterait que les procès relatifs aux infractions critiques ne relèvent pas du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, je considère que l’autorité d’exécution est tenue d’exécuter le MAE. En l’absence de problèmes tenant à des défaillances systémiques dans l’État membre d’émission, loin d’être habilitée à vérifier le respect de l’article 6 de la CEDH dans cet État en ce qui concerne la personne dont la remise est demandée, l’autorité d’exécution devrait être tenue d’exécuter le MAE.

137.

Enfin, par les troisièmes questions, sous b), qu’elle pose dans les deux cas d’espèce, la juridiction de renvoi demande si l’examen par l’autorité d’exécution de l’existence d’éventuelles méconnaissances, qui lui permettraient de refuser la remise, devrait être limité à celles portant sur le contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable.

138.

Selon moi, en dehors des cas de figure visés par la décision-cadre relative au MAE, et lorsque le système judiciaire de l’État membre d’émission ne connaît pas de défaillances systémiques, le mécanisme du MAE ne permet pas à l’autorité d’exécution de vérifier si le contenu essentiel du droit fondamental des personnes recherchées à un procès équitable est, ou serait, méconnu.

4. Conclusion intermédiaire

139.

Lorsqu’une situation ne relève pas de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE, et que le système judiciaire de l’État membre d’émission ne connaît pas de défaillances systémiques, l’autorité d’exécution ne peut pas vérifier si le droit fondamental des personnes recherchées à un procès équitable est, ou serait, méconnu, et elle est tenue d’exécuter le MAE.

140.

Après l’exécution du MAE, l’État d’émission reste tenu de veiller au respect des droits fondamentaux de la personne remise.

VI. Conclusion

141.

Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande) comme suit :

1)

L’expression « procès qui a mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres doit être interprétée en ce sens qu’elle vise toute étape de la procédure qui a une incidence déterminante sur la décision de privation de liberté d’une personne. La raison en est que la personne concernée doit avoir l’occasion d’influencer la décision définitive relative à sa liberté.

a)

Lorsque la remise est demandée aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté qui a été assortie d’un sursis ab initio, mais dont l’exécution a été ordonnée ultérieurement en raison de la condamnation pour une nouvelle infraction pénale, et que cette ordonnance d’exécution a été rendue par la juridiction qui a condamné la personne recherchée et lui a infligé une peine pour cette nouvelle infraction pénale, la procédure ayant abouti à ces condamnation et ordonnance d’exécution ultérieures fait partie du « procès qui a mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584.

b)

Pour qualifier la procédure ayant abouti à la condamnation ultérieure de « procès qui a mené à la décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, il n’importe pas de savoir si la juridiction qui a rendu l’ordonnance d’exécution était légalement tenue de rendre cette ordonnance ou si elle disposait d’une marge d’appréciation pour le faire. Il importe, toutefois, que cette procédure ait une incidence déterminante sur la modification de la décision relative à la peine à l’origine de l’ordonnance d’exécution.

2)

Lorsqu’une situation relève de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, l’autorité d’exécution doit uniquement examiner si les conditions énoncées dans cette disposition sont réunies. Ce faisant, elle respecte aussi nécessairement les obligations qui lui incombent au titre de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

Lorsqu’une situation ne relève pas de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 et que le système judiciaire de l’État membre d’émission ne connaît pas de défaillances systémiques, l’autorité d’exécution ne peut pas vérifier si le droit fondamental des personnes recherchées à un procès équitable est, ou serait, méconnu, et elle est tenue d’exécuter le MAE. Après l’exécution du MAE, l’État d’émission reste tenu de veiller au respect des droits fondamentaux de la personne remise.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, portant modification des décisions‑cadres 2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre relative au MAE »).

( 3 ) Celles-ci sont énoncées aux articles 3, 4 et 4 bis de la décision-cadre relative au MAE.

( 4 ) Arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 89).

( 5 ) Arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 61).

( 6 ) Voir arrêts cités aux notes en bas de page 4 et 5 des présentes conclusions, ainsi qu’arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, points 51 et 52) ; voir également arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 50, 52, 67 et 68).

( 7 ) Affaires Puig Gordi e.a. (C‑158/21), E. D. L. (Motif de refus fondé sur la maladie) (C‑699/21), et GN (C‑261/22).

( 8 ) Arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, points 37 et 63), ainsi qu’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 191).

( 9 ) Voir, à cet égard, décision-cadre 2009/299. Voir également directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), et arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, points 62 et 63).

( 10 ) Voir également, à cet égard, conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Puig Gordi e.a. (C‑158/21, EU:C:2022:573, point 60). Au moment de la présentation des présentes conclusions, cette affaire est toujours pendante devant la Cour.

( 11 ) Il convient de relever que la juridiction de renvoi statue sur un recours en appel formé contre un arrêt rendu par la High Court (Haute Cour, Irlande), qui s’est prononcée en première instance sur le MAE concerné et qui a jugé qu’il devait être exécuté.

( 12 ) Ayant passé un mois en détention au cours du procès en première instance, l’appelant au principal ne doit plus purger que onze mois au maximum.

( 13 ) Selon les informations disponibles, l’infraction critique a été commise en 2008, c’est-à-dire pendant la période de mise à l’épreuve relative aux premières infractions.

( 14 ) À l’audience devant la Cour, les parties n’ont pas pu confirmer l’identité de l’auteur de cette procédure en appel.

( 15 ) Les éléments versés au dossier ne permettent pas de déterminer si le juge disposait d’une marge d’appréciation afin de révoquer ce sursis. Partant, la juridiction de renvoi s’interroge également dans cette affaire, à la différence de l’affaire C‑515/21, sur le caractère pertinent de l’existence éventuelle d’une marge d’appréciation dans le cadre de la révocation du sursis à l’exécution de la peine relative aux premières infractions.

( 16 ) La juridiction de renvoi a indiqué que, du fait de la prescription, la peine relative à l’infraction critique avait été purgée ; c’est ce qui a été confirmé également lors de l’audience devant la Cour.

( 17 ) Une attaque par déni de service est une cyberattaque lors de laquelle son auteur tente de saturer un serveur ou un réseau au détriment de ses usagers naturels, en paralysant, de manière temporaire ou indéfinie, les services proposés par un serveur connecté à un réseau. Cela consiste généralement à inonder le serveur ou la ressource ciblé de demandes parasites dans le but de surcharger les systèmes et d’empêcher qu’il soit répondu à certaines demandes légitimes, voire à l’ensemble de celles-ci.

( 18 ) Selon les informations disponibles à cet égard, l’autorité judiciaire d’émission a qualifié l’ordonnance d’exécution d’« obligatoire ».

( 19 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628).

( 20 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629).

( 21 ) Arrêt du 22 décembre 2017 (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026).

( 22 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628).

( 23 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629).

( 24 ) Arrêt du 22 décembre 2017 (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026).

( 25 ) Mitsilegas, V., « Autonomous concepts, diversity management and mutual trust in Europe’s area of criminal justice » (Notions autonomes, gestion de la diversité et confiance réciproque dans le domaine de la justice pénale en droit de l’Union), Common Market Law Review, vol. 57, no 1, 2020, p. 45 à 78, à la p. 62.

( 26 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, point 84). Mise en italique par mes soins.

( 27 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629, points 87 et 91).

( 28 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, point 81).

( 29 ) Arrêt du 10 août 2017, Zdziaszek (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629, point 93).

( 30 ) Il ressort également à l’évidence de la jurisprudence antérieure qu’une « décision » au sens de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE peut porter soit sur l’établissement définitif de la culpabilité, soit sur la condamnation définitive à une peine, soit sur les deux. Voir arrêts du 10 août 2017, Tupikas (C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, points 78 et 83), ainsi que du 10 août 2017, Zdziaszek (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629, point 94). Dans les cas d’espèce, les questions posées ont trait à des décisions relatives aux peines d’emprisonnement prononcées du fait de la première ou des premières infraction(s), et non à des décisions relatives à l’établissement de la culpabilité quant à cette ou ces infraction(s).

( 31 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629, points 85 et 87).

( 32 ) La Cour a renvoyé aux arrêts suivants de la Cour EDH : Cour EDH, 21 septembre 1993, Kremzow c. Autriche (CE:ECHR:1993:0921JUD001235086, § 67), relatif à la non‑comparution à une audience en appel portant sur le remplacement d’une peine d’emprisonnement de longue durée par un emprisonnement à perpétuité, ainsi que sur le point de savoir si cette peine devrait être purgée dans une prison normale ou dans un hôpital psychiatrique, la Cour EDH constatant que cette non-comparution constituait une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH ; Cour EDH, 3 avril 2012, Boulois c. Luxembourg (CE:ECHR:2012:0403JUD003757504, § 87), relatif au rejet d’une demande de congé pénal d’un jour, la Cour EDH constatant qu’elle ne relevait pas du volet pénal de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, et Cour EDH, 28 novembre 2013, Dementyev c. Russie (CE:ECHR:2013:1128JUD004309505, § 23), relatif à la non‑comparution à l’audience à l’issue de laquelle une peine globale a été déterminée, ce que la Cour EDH a considéré comme relevant du volet pénal de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

( 33 ) Arrêt du 10 août 2017 (C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629, point 85).

( 34 ) S’agissant de la présentation du cadre juridique applicable dans le cas de M. Ardic, voir arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026, points 19 à 30), et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1013, points 29 à 33).

( 35 ) Arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026, point 75).

( 36 ) À cet égard, je renvoie le lecteur aux conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1013, point 46).

( 37 ) Cour EDH, 3 avril 2012, Boulois c. Luxembourg (CE:ECHR:2012:0403JUD003757504, § 87). Il convient de relever que la jurisprudence de la Cour EDH ne permet pas de tirer de conclusions définitives pour déterminer de manière catégorique ce qui correspond à une décision relative à la nature ou au quantum d’une peine par opposition à celle relative aux modalités d’exécution d’une peine.

( 38 ) Ce qui n’est guère comparable au sursis à l’exécution du restant d’une peine d’emprisonnement, ainsi que LU le relève à juste titre dans ses observations écrites.

( 39 ) Arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026, point 77). Mise en italique par mes soins.

( 40 ) Voir, à cet égard, arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026, point 80). Lors de l’audience devant la Cour, toutes les parties sont convenues que l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt peut être distinguée des deux cas d’espèce, quant aux faits. En effet, dans l’affaire Ardic, la révocation de la mise en liberté provisoire n’était pas fondée sur une reconnaissance de culpabilité, mais trouvait au contraire son origine dans le constat selon lequel M. Ardic avait quitté l’Allemagne au mépris des conditions dont était assortie sa mise en liberté provisoire. Dans les deux cas d’espèce, la révocation trouve son origine dans une procédure pénale à l’issue de laquelle les deux appelants, qui n’ont pas comparu à l’audience y relative, ont été reconnus coupables.

( 41 ) Le fait que les personnes faisant l’objet de la demande de remise savaient qu’une condamnation du fait d’une nouvelle infraction entraînerait, ou était susceptible d’entraîner, la révocation du sursis à l’exécution de la première peine d’emprisonnement n’altère pas cette conclusion. Au contraire, au point 83 de l’arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026), la Cour a considéré que, dès lors que M. Ardic savait qu’il ne pouvait pas quitter le pays, il était justifié d’exclure la décision de révocation de la mise en liberté du champ d’application de l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE. Cela peut s’expliquer par le constat, opéré par la Cour, selon lequel une telle méconnaissance des conditions dont était assortie la mise en liberté entraînait la révocation automatique de la mise en liberté conditionnelle. Toutefois, dans les cas d’espèce, la révocation du sursis dépendait de la reconnaissance, par une juridiction, que l’intéressé était coupable d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement. M. Ardic ne pouvait pas changer le fait qu’il avait quitté le pays, alors que les appelants dans les cas d’espèce auraient pu, en comparaissant lors des procès relatifs aux infractions critiques, influencer la reconnaissance de culpabilité et la peine.

( 42 ) Les deux appelants au principal ont fait valoir que l’application de la peine d’emprisonnement prononcée du fait de la première ou des premières infraction(s) est la conséquence directe de la seconde condamnation et que les deux sont si étroitement liées qu’il incombe au juge de tenir compte de la seconde condamnation lorsqu’il statue sur l’exécution des MAE. De même, la juridiction de renvoi considère qu’il existe un lien étroit entre les deux procès, susceptible de justifier que le second procès soit qualifié de « procès qui a mené à la décision ». J’adhère à ces arguments.

( 43 ) C’est ce qu’illustrent clairement les circonstances de l’affaire C‑514/21, dans laquelle le juge saisi en première instance, après avoir constaté la culpabilité pour les infractions critiques, n’a prononcé qu’une amende comme peine, alors que le juge en appel a modifié cette peine en une peine d’emprisonnement.

( 44 ) Selon les informations communiquées, la procédure de révocation du sursis dans l’affaire C‑515/21 était distincte, mais le juge chargé de statuer ne bénéficiait d’aucune marge d’appréciation dans le cadre de celle-ci.

( 45 ) Arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026, point 87). Voir également conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Puig Gordi e.a. (C‑158/21, EU:C:2022:573, point 12).

( 46 ) Article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre relative au MAE.

( 47 ) Voir, à cet égard, considérant 4 de la décision-cadre 2009/299, qui énonce notamment que « [l]a présente décision-cadre vise à préciser la définition de ces motifs communs permettant à l’autorité d’exécution d’exécuter la décision en dépit de l’absence de la personne au procès, tout en respectant pleinement son droit de la défense. [...] ».

( 48 ) Considérant 4 de la décision-cadre 2009/299.

( 49 ) Voir considérants 3 et 5 de la décision-cadre 2009/299.

( 50 ) Voir considérant 1 de la décision-cadre 2009/299.

( 51 ) Arrêt du 24 mai 2016, Dworzecki (C‑108/16 PPU, EU:C:2016:346, point 42).

( 52 ) Les mêmes conditions semblent être reprises dans la directive 2016/343. Voir, en particulier, article 8, paragraphe 2, et article 9 de cette directive.

( 53 ) S’agissant notamment de la condition, énoncée à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a), de la décision-cadre relative au MAE, selon laquelle l’intéressé doit avoir effectivement et officiellement obtenu des informations sur le procès prévu (voir note en bas de page 58 des présentes conclusions). Voir également Brodersen, K. H., Glerum, V., et Klip, A., « The European arrest warrant and in absentia judgments : The cause of much trouble » (Le mandat d’arrêt européen et les jugements par défaut : à l’origine de bien des difficultés), New Journal of European Criminal Law, vol. 13, no 1, p. 7 à 27, aux p. 12 et 21 ; Klip, A., Brodersen, K. H., et Glerum, V., The European Arrest Warrant and In Absentia Judgments (Le mandat d’arrêt européen et les jugements par défaut), Maastricht Law Series, no 12, Eleven International Publishing, La Haye, 2020, p. 110.

( 54 ) Voir arrêts du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Hamburg (C‑416/20 PPU, EU:C:2020:1042, points 43 et 44), ainsi que du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401, points 34, 35 et 37).

( 55 ) À cet égard, les cas d’espèce soulèvent incidemment une autre question : à quel moment l’autorité d’exécution doit-elle constater que l’une des conditions visées à l’article 4 bis, paragraphe 1, de la décision-cadre relative au MAE est remplie ? Les autorités d’exécution et d’émission communiquent entre elles sur la base du formulaire annexé à la décision-cadre relative au MAE, lequel, comportant des cases à cocher prédéfinies, ne semble pas tout à fait convenir en vue d’une communication utile. Dans les cas d’espèce, de nombreux échanges d’informations ont eu lieu entre les autorités d’exécution et d’émission au titre de l’article 15 de la décision‑cadre relative au MAE. Pourtant, ces échanges n’ont pas semblé permettre à la juridiction de renvoi d’établir avec certitude s’il y a eu méconnaissance du droit d’assister à son procès. Ainsi, dans l’affaire C‑515/21, l’autorité d’émission a indiqué qu’il existe une possibilité de recours extraordinaire visant à rouvrir les procès relatifs aux infractions critiques. Cette possibilité n’a toutefois pas semblé convaincre l’autorité d’exécution que les conditions visées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous d), de la décision-cadre relative au MAE étaient remplies.

( 56 ) Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Melloni (C‑399/11, EU:C:2012:600, points 80 à 82).

( 57 ) Voir note en bas de page 53 des présentes conclusions.

( 58 ) On peut trouver un exemple d’une telle situation dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 24 mai 2016, Dworzecki (C‑108/16 PPU, EU:C:2016:346). La Pologne a émis un MAE visant la remise de M. Dworzecki ; si le procès a certes eu lieu par défaut, l’autorité d’émission polonaise a indiqué que M. Dworzecki avait officiellement obtenu des informations sur le procès prévu, dès lors que ces informations ont été réceptionnées, à l’adresse que ce dernier avait indiquée, par une personne majeure membre de son ménage. Même si cette signification était considérée comme régulière en droit polonais, elle ne répondait pas aux conditions énoncées à l’article 4 bis, paragraphe 1, sous a), de la décision-cadre relative au MAE, lequel requiert que la signification de la citation se fasse « à personne ». La Cour a constaté que, dans les circonstances de cette affaire, l’autorité judiciaire d’exécution peut, néanmoins, procéder à la remise en tenant compte d’autres circonstances qui lui permettent de s’assurer que les droits de la défense de M. Dworzecki ne seront pas méconnus (voir points 47 à 52 de cet arrêt). La Cour EDH a considéré que la volonté d’échapper à son procès est une raison justifiée de ne pas accorder une nouvelle procédure de jugement dans le cas d’une décision rendue par défaut. Voir, notamment, Cour EDH, 14 juin 2001, Medenica c. Suisse (CE:ECHR:2001:0614JUD002049192, § 55 et 56).

( 59 ) Voir, à cet égard, arrêts du 24 mai 2016, Dworzecki (C‑108/16 PPU, EU:C:2016:346, point 50), et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Hamburg (C‑416/20 PPU, EU:C:2020:1042, point 51).

( 60 ) Sauf dans les cas visés à l’article 5 de la décision-cadre relative au MAE, dont aucun ne s’applique toutefois aux deux cas d’espèce : le premier concerne une infraction punie par une peine ou une mesure de sûreté privatives de liberté à caractère perpétuel, et le second une situation dans laquelle le MAE est émis à des fins de poursuite.

( 61 ) Arrêt du 22 décembre 2017, Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1026, point 70).

( 62 ) Voir note en bas de page 7 des présentes conclusions.

( 63 ) Il s’agit d’une expression de la Cour EDH. Voir, notamment, Cour EDH, 9 juillet 2019, Kislov c. Russie (CE:ECHR:2019:0709JUD000359810, § 107 et 115).

( 64 ) Arrêt du 5 avril 2016 (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 88).

( 65 ) Ce droit fait l’objet d’une protection absolue au titre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

( 66 ) Arrêt du 25 juillet 2018 (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 61, 68, 76 et 78).

( 67 ) Arrêts du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 52), et du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 52).

( 68 ) Arrêt du 5 avril 2016 (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 89).

( 69 ) Arrêt du 25 juillet 2018 (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 61 et 68).

( 70 ) La Cour l’a également confirmé dans les arrêts du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 54 et 66), ainsi que du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 50 et 52).

( 71 ) Voir note en bas de page 8 des présentes conclusions.

( 72 ) Voir, à cet égard, décision-cadre 2009/299 et directive 2016/343.

( 73 ) Voir, à cet égard, arrêt du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Hamburg (C‑416/20 PPU, EU:C:2020:1042, point 55). Pour un point de vue différent, voir Böse, M., « European Arrest Warrants and Minimum Standards for Trials in absentia – Blind Trust vs. Transnational Direct Effect ? » (Les mandats d’arrêt européens et les normes minimales applicables lors de procès par défaut – confiance aveugle ou effet direct transnational ?), European Criminal Law Review, vol. 11, no 3, 2021, p. 275 à 287, aux p. 285 et 286. M. Böse propose que le refus soit également admis « en cas de défaut manifeste de protection juridictionnelle dans l’État membre d’émission, qui prive la partie défenderesse de son droit à un recours effectif » et considère que la personne visée par le MAE devrait pouvoir se fonder sur la directive 2016/343 également dans le cadre d’une procédure de remise.

( 74 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Ardic (C‑571/17 PPU, EU:C:2017:1013, point 78), dans lesquelles il indique que la décision-cadre relative au MAE reconnaît le rôle de protagoniste de l’État membre d’émission s’agissant du respect des droits des accusés.

( 75 ) Voir également conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Puig Gordi e.a. (C‑158/21, EU:C:2022:573, points 85, 87 et 116).