CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 21 janvier 2021 ( 1 )

Affaires jointes C‑51/19 P et C‑64/19 P

World Duty Free Group, SA, anciennement Autogrill España, SA contre

Commission européenne (C‑51/19 P)

et

Royaume d’Espagne

contre

World Duty Free Group, SA, anciennement Autogrill España, SA,

Commission européenne (C‑64/19 P)

« Pourvoi – Dispositions concernant l’impôt sur les sociétés permettant aux entreprises fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des entreprises fiscalement domiciliées à l’étranger – Notion d’“aide d’État” – Sélectivité »

1.

Les présentes affaires jointes ont pour objet les pourvois formés respectivement par World Duty Free Group SA, anciennement Autogrill España SA (ci-après « WDFG ») (affaire C‑51/19 P), et par le Royaume d’Espagne (affaire C‑64/19 P) contre l’arrêt du 15 novembre 2018, World Duty Free Group/Commission ( 2 ) (ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel le Tribunal a rejeté le recours introduit par WDFG au titre de l’article 263 TFUE tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères appliqué par l’Espagne (ci‑après la « décision contestée ») ( 3 ), et, à titre subsidiaire, de l’article 4 de cette décision.

2.

Les présents pourvois font partie d’une série de huit affaires parallèles ayant pour objet l’annulation des arrêts par lesquels le Tribunal a rejeté les recours formés par des sociétés espagnoles contre la décision contestée ou contre la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères appliqué par l’Espagne (ci-après la « décision du 12 janvier 2011 ») ( 4 ).

I. Les faits, la mesure litigieuse et la décision contestée

3.

Le 10 octobre 2007, à la suite de plusieurs questions écrites qui lui avaient été posées au cours des années 2005 et 2006 par des membres du Parlement européen, ainsi que d’une plainte d’un opérateur privé dont elle avait été le destinataire au cours de l’année 2007, la Commission européenne a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ( 5 ) (ci-après la « décision d’ouverture »), à l’égard du dispositif prévu à l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés) par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 ( 6 ), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, ci-après le « TRLIS »), du 5 mars 2004 (ci-après la « mesure litigieuse »). La mesure litigieuse prévoit que lorsqu’une prise de participations dans une « société étrangère » par une entreprise imposable en Espagne est d’au moins 5 %, et que la participation en cause est détenue de manière ininterrompue pendant au moins un an, la survaleur ( 7 ) financière ( 8 ) en résultant peut être déduite, sous forme d’amortissement, de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés dont l’entreprise est redevable. La mesure litigieuse précise que, pour être qualifiée de « société étrangère », une société doit être assujettie à un impôt similaire à l’impôt applicable en Espagne et ses revenus doivent provenir essentiellement de la réalisation d’activités à l’étranger.

4.

Le 28 octobre 2009, la Commission a adopté la décision contestée, par laquelle elle a clôturé la procédure formelle d’examen en ce qui concerne les prises de participations dans l’Union européenne. Après avoir indiqué, au considérant 19 de cette décision, que, « [c]onformément aux principes fiscaux espagnols, à l’exception de la mesure litigieuse, la survaleur ne peut être amortie qu’en cas de regroupement d’entreprises, c’est-à-dire à la suite d’une acquisition ou contribution des actifs appartenant à des entreprises indépendantes ou après une fusion ou une opération de scission », puis précisé, au considérant 20, que « [l]e concept de survaleur financière visé [dans la mesure litigieuse] introduit [...] dans le domaine des prises de participations une notion généralement utilisée dans la transmission d’actifs ou dans des transactions de regroupement d’entreprises », la Commission a considéré que cette mesure était sélective car elle favorisait exclusivement certains groupes d’entreprises qui réalisent certains investissements à l’étranger, et que « ce caractère spécifique du régime ne se justifi[ait] pas par la nature de celui-ci ». Selon la Commission, cette conclusion devait être considérée comme valable, indépendamment du fait que le système de référence soit défini comme « une législation sur le traitement fiscal de la survaleur financière en vertu du système fiscal espagnol » (voir considérants 89 et 92 à 114) ou comme « le traitement fiscal de la survaleur qui découle d’un intérêt économique acquis dans une entreprise résidant dans un pays autre que l’Espagne » (voir considérants 89 et 115 à 119). À l’article 1er, paragraphe 1, de la décision contestée, la Commission a déclaré « le régime d’aides exécuté par l’Espagne conformément à [la mesure litigieuse] [...] incompatible avec le marché commun pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de la prise de participations intracommunautaires » et, à l’article 4, elle a ordonné la récupération des aides correspondant aux réductions fiscales octroyées sur la base de ce régime ( 9 ).

5.

La Commission a maintenu ouverte la procédure formelle d’examen en ce qui concerne les prises de participations réalisées en dehors de l’Union, dans l’attente d’éléments supplémentaires que les autorités espagnoles s’étaient engagées à lui fournir. Cette partie de la procédure s’est close par l’adoption de la décision du 12 janvier 2011, par laquelle la Commission a déclaré incompatible avec le marché intérieur le régime d’aides mis à exécution par l’Espagne en vertu de la mesure litigieuse, y compris en ce qu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union.

II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

6.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2010, WDFG a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision contestée. Par arrêt du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission ( 10 ), le Tribunal a fait droit au recours au motif que la Commission avait fait une application erronée de la condition de sélectivité prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (ci-après l’« arrêt Autogrill España/Commission »). Le Tribunal a également annulé la décision du 12 janvier 2011 par arrêt du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission ( 11 ) (ci-après l’« arrêt Banco Santander et Santusa/Commission »).

7.

Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 janvier 2015, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt Autogrill España/Commission. Ce pourvoi, qui a été enregistré sous le numéro C‑20/15 P, a été joint au pourvoi, enregistré sous le numéro C‑21/15 P, que la Commission avait formé contre l’arrêt Banco Santander et Santusa/Commission. Par décisions du président de la Cour du 19 mai 2015, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne ont été admis à intervenir dans les affaires jointes au soutien des conclusions de WDFG ainsi que de Banco Santander et Santusa. Par arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. ( 12 ) (ci-après l’« arrêt WDFG »), la Cour a annulé l’arrêt Autogrill España/Commission, renvoyé l’affaire devant le Tribunal et réservé pour partie les dépens. La Cour a également annulé l’arrêt Banco Santander et Santusa/Commission.

8.

Le 15 novembre 2018, le Tribunal a rendu l’arrêt attaqué, par lequel il a rejeté le recours de WDFG, condamné cette dernière à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, et déclaré que la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne supporteraient chacun leurs propres dépens ( 13 ).

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

9.

Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 25 et 29 janvier 2019, WDFG et le Royaume d’Espagne ont introduit les présents pourvois.

10.

Dans l’affaire C‑51/19 P, WDFG demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, d’annuler la décision contestée après avoir fait droit à son recours en annulation et de condamner la Commission aux dépens. Le Royaume d’Espagne demande à la Cour d’accueillir le pourvoi de WDFG, d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner la Commission aux dépens. Dans l’affaire C‑64/19 P, le Royaume d’Espagne demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, d’annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision contestée dans la mesure où il déclare que la mesure litigieuse constitue une aide d’État et de condamner la Commission aux dépens. La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour d’accueillir les pourvois dans les deux affaires. La Commission demande à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner les requérants aux dépens dans les deux affaires.

IV. Analyse

A. Observations liminaires

1.   Sur l’analyse de la sélectivité des mesures fiscales

11.

Pour qu’une mesure nationale puisse être qualifiée d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle doit être de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions », c’est-à-dire qu’elle doit conférer un avantage sélectif à son bénéficiaire. La sélectivité de l’avantage est donc un élément constitutif de la notion d’« aide d’État » ( 14 ), dont l’appréciation impose, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en question est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par ce régime ( 15 ).

12.

Même les mesures nationales qui confèrent un avantage fiscal ( 16 ), bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, sont susceptibles de remplir la condition de sélectivité et, partant, de relever de l’interdiction des aides visées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE lorsqu’elles placent les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables ( 17 ). La caractéristique de ces mesures, qui contribue à rendre plus complexe l’examen, entre autres, de leur sélectivité, réside dans le fait que, contrairement aux mesures de subvention au sens strict, elles confèrent des avantages de nature négative, c’est-à-dire revêtant la forme d’un allègement de la charge fiscale que les bénéficiaires devraient autrement supporter en vertu du régime fiscal qui leur serait normalement applicable.

13.

Afin d’évaluer la sélectivité notamment des mesures fiscales nationales, la Cour a développé une méthode d’analyse divisée en trois étapes distinctes ( 18 ). Élaborée et perfectionnée au fil des ans, cette méthode d’analyse a été systématisée récemment dans l’arrêt WDFG et confirmée dernièrement dans les arrêts du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission ( 19 ) (ci‑après l’« arrêt Andres »), et du 19 décembre 2018, A-Brauerei ( 20 ) (ci-après l’« arrêt A-Brauerei »).

14.

Celle-ci requiert, dans un premier temps, d’identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, qui constitue le « cadre » ou « système de référence » ( 21 ) (première étape) et, dans un deuxième temps, de démontrer que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable ( 22 ) (deuxième étape). Au cours des deux premières étapes, l’analyse vise donc essentiellement, d’une part, à déterminer un paramètre de comparaison et, d’autre part, à délimiter la catégorie d’entreprises qui, au regard de celui-ci, se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des bénéficiaires de l’avantage conféré par la mesure nationale en cause. Si cette analyse fait ressortir une différence de traitement entre ces entreprises, la mesure doit être considérée comme étant « a priori sélectiv[e] » ( 23 ). En revanche, les avantages fiscaux résultant d’une mesure générale, applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ( 24 ), ne constituent pas des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le critère de sélectivité faisant défaut. La preuve de l’existence d’une inégalité de traitement, et donc de la sélectivité a priori de la mesure nationale, incombe à la Commission.

15.

Lors de la troisième étape, l’État membre concerné a la possibilité de démontrer que l’inégalité de traitement qui ressort des deux premières étapes « résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel la mesure en cause s’inscrit » et qu’elle est donc justifiée ( 25 ). Cette étape est caractérisée par un renversement de la charge de la preuve, comme c’est le cas chaque fois que l’existence d’une discrimination doit être évaluée : il appartient à la personne à laquelle l’inégalité de traitement est imputée, en l’occurrence l’État membre concerné, de prouver que celle-ci a une justification légitime et que la mesure qui l’introduit est proportionnée.

16.

Bien que, dans sa schématisation et sa présentation, la méthode d’analyse décrite ci-dessus soit linéaire, son application concrète n’est pas toujours aisée et peut conduire à des solutions divergentes quant à la sélectivité de la mesure examinée ( 26 ). À plusieurs reprises, la Cour a également procédé à des « ajustements » ou à des « clarifications » qui ont permis de tenir compte des caractéristiques des régimes fiscaux examinés, en privilégiant une approche perçue comme casuistique et caractérisée par une prévisibilité limitée. Cela dit, au-delà des applications pratiques de cette méthode et des distinctions opérées par la jurisprudence, il me semble qu’un certain nombre de critères se dégagent de cette dernière, qui guident la Cour dans son raisonnement et influencent les solutions adoptées au cas par cas.

17.

Premièrement, depuis l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni ( 27 ) (ci-après l’« arrêt Gibraltar »), le lien étroit entre la notion de « sélectivité » et celle de « discrimination » se dessine de plus en plus clairement dans la jurisprudence de la Cour ( 28 ). Une mesure nationale est considérée comme étant sélective lorsque l’avantage qu’elle prévoit est appliqué de manière discriminatoire ( 29 ). Comme la Cour l’a elle-même déclaré au point 71 de l’arrêt WDFG, la méthode d’analyse applicable à la sélectivité en matière fiscale consiste essentiellement à rechercher « si l’exclusion de certains opérateurs du bénéfice d’un avantage fiscal découlant d’une mesure dérogeant à un régime commun fiscal constitue un traitement discriminatoire à leur égard » ( 30 ).

18.

Deuxièmement, l’examen de la sélectivité des mesures fiscales doit tenir compte de leurs effets ( 31 ). Cela signifie, d’une part, que les objectifs poursuivis par le législateur fiscal national, qui sont extérieurs au système fiscal en question, ne sont pertinents que pour identifier la catégorie de personnes au sein de laquelle l’existence d’une inégalité de traitement sera déterminée, mais pas pour justifier une telle différenciation. D’autre part, l’examen de la sélectivité d’une mesure fiscale est indépendant de la forme que revêtent les mesures concernées, afin d’éviter que des « règles fiscales nationales échappent d’emblée au contrôle en matière d’aides d’État en raison du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire bien qu’elles produisent [...], par l’ajustement et la combinaison de diverses règles fiscales, les mêmes effets » ( 32 ). L’analyse fondée sur les effets de la mesure peut amener la Cour à reconnaître la sélectivité de fait d’une règle fiscale qui, bien que formellement applicable sans distinction à tous les opérateurs concernés, sur le fondement de critères généraux et objectifs, introduit en pratique des différenciations injustifiées ( 33 ). La sélectivité de ces mesures, non dérogatoires à un régime normal et donc, nonsélectives de jure ( 34 ), ne peut pas être détectée par l’application de la méthode d’analyse en trois étapes, comme le démontre l’arrêt Gibraltar, mais requiert de vérifier concrètement si une charge fiscale différenciée résulte de leur application en faveur des entreprises bénéficiaires, identifiées « en vertu des propriétés qui leur sont spécifiques en tant que catégorie privilégiée » ( 35 ).

19.

Troisièmement, compte tenu de la complexité naturelle des législations fiscales nationales, qui sont élaborées au moyen d’une pluralité de systèmes, de règles et d’exceptions, et dont les objectifs fiscaux, économiques et sociaux poursuivis par le législateur sont mis en œuvre par l’introduction de différenciations entre catégories de contribuables, la Cour procède, en substance, à un « contrôle de cohérence » ( 36 ), en interprétant l’incohérence comme une indication de la sélectivité de la mesure considérée. L’examen de la cohérence s’effectue aussi bien dans le cadre de la deuxième étape de la méthode d’analyse, où la définition des catégories de bénéficiaires et de personnes exclues de l’avantage est appréciée par rapport à l’objectif du régime fiscal en question, que, lorsque la mesure est considérée comme étant a priori sélective, dans le cadre de la troisième étape, lors de l’appréciation de la justification avancée par l’État membre concerné au regard de la nature ou de l’économie du système fiscal en question. Un critère de cohérence doit en outre être appliqué, comme nous le verrons en détail par la suite, également dans la détermination du système de référence, et donc dans le cadre de la première étape.

20.

L’analyse de la sélectivité telle qu’elle ressort de la jurisprudence de la Cour consiste donc en une appréciation du caractère discriminatoire de la mesure en cause, à la lumière tant de ses effets que de sa cohérence avec le système dans lequel elle s’inscrit, indépendamment des objectifs poursuivis par le législateur fiscal qui sont extérieurs à ce système ainsi que de la technique réglementaire utilisée.

21.

Méthodologie mise à part, il ressort de la jurisprudence, notamment lorsqu’elle est examinée à la lumière des contradictions dialectiques qui ont opposé la Cour et le Tribunal à plusieurs reprises ( 37 ), qu’il existe une tendance de la part de la première à retenir une interprétation extensive de la condition de sélectivité en matière fiscale, du moins dans la définition des contours et de la portée de la notion de « mesure générale » de nature à exclure le caractère sélectif du régime fiscal en cause ( 38 ). Cette approche, qui s’explique probablement par la nécessité d’empêcher que l’adoption de dispositifs fiscaux sophistiqués permette aux États membres de contourner les règles applicables en matière d’aides, n’a pas manqué de susciter la critique, puisqu’elle restreint indirectement la liberté des États membres dans la définition des choix de politique fiscale et économique nationale ( 39 ), en chargeant, en substance, la Commission, lorsqu’elle évalue la compatibilité de l’aide au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’examiner la légalité, du point de vue du droit de l’Union, des objectifs que les États membres poursuivent par l’adoption de mesures de fiscalité directe. S’il ne fait aucun doute que, dans l’exercice de leurs compétences, les États membres sont tenus de respecter le droit de l’Union, y compris les dispositions relatives aux aides d’État, la Cour a toutefois déclaré de manière itérative que, « en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relèvent de la compétence fiscale des États membres ou des entités infraétatiques disposant d’une autonomie fiscale la désignation des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques » ( 40 ). C’est notamment dans le cadre de cet équilibre fragile des compétences qu’intervient l’examen complexe de la sélectivité des aides fiscales.

22.

Les griefs soulevés par WDFG et par le Royaume d’Espagne seront examinés ci-dessous à la lumière des critères précédemment rappelés et des considérations qui viennent d’être formulées. Toutefois, avant de procéder à cet examen, il convient encore de clarifier la portée de l’arrêt WDFG et sa pertinence aux fins de l’analyse des présents pourvois.

2.   Sur les implications de l’arrêt WDFG aux fins de l’examen des présents pourvois

23.

Dans l’arrêt Autogrill España/Commission, par lequel il a annulé la décision contestée, le Tribunal a considéré, en premier lieu, que, pour satisfaire à la condition de sélectivité, il était nécessaire d’identifier dans tous les cas une catégorie d’entreprises bénéficiant de manière exclusive de la mesure en cause et que, lorsque la mesure en cause était potentiellement accessible à toutes les entreprises, comme dans le cas de la mesure litigieuse, la sélectivité ne pouvait pas résulter du simple constat d’une dérogation à un régime fiscal commun ou « normal » ( 41 ). En second lieu, le Tribunal a considéré qu’une différenciation fiscale ne permettait pas, en soi, de conclure à l’existence d’une aide, mais qu’il convenait aussi, à cette fin, d’identifier une catégorie particulière d’entreprises pouvant être distinguées du fait de propriétés spécifiques ( 42 ). Enfin, le Tribunal a rejeté les arguments de la Commission fondés sur la jurisprudence relative aux aides d’État à l’exportation, en indiquant que, dans les précédents cités par la Commission ( 43 ), la Cour avait en tout état de cause identifié une catégorie d’entreprises bénéficiaires qui pouvaient être distinguées du fait de propriétés communes ( 44 ).

24.

Dans l’arrêt WDFG, la Cour a fait droit aux deux griefs soulevés par la Commission visant, le premier, à contester l’obligation, que le Tribunal lui avait imposée, d’identifier un groupe d’entreprises présentant des caractéristiques spécifiques afin de démontrer le caractère sélectif d’une mesure nationale, et le second, à contester l’interprétation faite par le Tribunal de la jurisprudence en matière d’aides à l’exportation. Concernant le premier grief, après avoir rappelé la méthode d’analyse de la sélectivité en trois étapes exposée ci-dessus, la Cour a jugé que la mesure litigieuse, dès lors qu’elle était susceptible de bénéficier à l’ensemble des entreprises fiscalement domiciliées en Espagne qui réalisent des prises de participations d’au moins 5 % dans des entreprises fiscalement domiciliées en dehors de cet État membre, pouvait être considérée comme constituant une aide d’État, et qu’il appartenait à la Commission d’établir que cette mesure, bien que conférant un avantage de portée générale, en conférait le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité ( 45 ). La Cour a ensuite constaté que le raisonnement du Tribunal reposait sur une application erronée de la condition de sélectivité et que, s’agissant d’une mesure nationale conférant un avantage fiscal de portée générale, cette condition était remplie lorsque la Commission parvenait à démontrer que cette mesure déroge au régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, introduisant, par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs, alors que les opérateurs qui bénéficient de l’avantage fiscal et ceux qui en sont exclus se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime fiscal de cet État membre, dans une situation factuelle et juridique comparable ( 46 ). Selon la Cour, le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que la mesure litigieuse devait être regardée non pas comme une mesure sélective, mais comme une mesure générale au motif qu’elle ne visait aucune catégorie particulière d’entreprises ou de productions, que son application était indépendante de la nature de l’activité des entreprises ou qu’elle était accessible, a priori ou potentiellement, à toutes les entreprises désireuses de prendre des participations d’au moins 5 % dans des sociétés étrangères et détenant ces participations de manière ininterrompue pendant au moins un an ( 47 ). La Cour a également précisé que, contrairement à ce qu’avait jugé le Tribunal, l’éventuel caractère sélectif de la mesure litigieuse n’était pas remis en cause par le fait que la condition essentielle pour l’obtention de l’avantage fiscal conféré par cette mesure visait une opération économique, plus particulièrement une « opération purement financière », qui n’était pas assortie d’un montant minimal d’investissement et qui était indépendante de la nature de l’activité des entreprises bénéficiaires ( 48 ). Elle a donc conclu que le Tribunal avait contesté à tort les constatations de la Commission quant à la sélectivité de la mesure litigieuse, sans vérifier si cette dernière avait effectivement analysé et établi le caractère discriminatoire de cette mesure ( 49 ). Quant au second grief soulevé par la Commission, pour ce qui importe aux fins des présentes affaires, la Cour a considéré que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que la jurisprudence relative aux aides à l’exportation, sur laquelle s’était fondée la Commission, n’était pas applicable en l’espèce. Au point 119 de l’arrêt WDFG, la Cour a déclaré que la méthode d’analyse de la sélectivité en trois étapes exposée ci-dessus « s’applique pleinement aux aides fiscales à l’exportation », en précisant qu’une mesure telle que la mesure litigieuse peut être considérée comme étant sélective si elle bénéficie aux entreprises réalisant des opérations transfrontalières, en particulier des opérations d’investissement, au détriment d’autres entreprises qui, se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal concerné, effectuent des opérations de même nature sur le territoire national.

25.

L’arrêt WDFG ajoute incontestablement un élément important à la définition de la notion de « sélectivité » des aides fiscales. Selon cet arrêt, une mesure nationale peut être sélective même lorsqu’elle n’identifie pas ex ante une catégorie particulière de bénéficiaires et que toutes les entreprises établies sur le territoire de l’État membre concerné, quels que soient leur taille, leur forme juridique, leur secteur d’activité ou d’autres caractéristiques qui leur sont propres, ont potentiellement accès à l’avantage prévu par cette mesure à condition de réaliser un type d’investissement déterminé ( 50 ). L’approche retenue par la Cour, qui conduit à rechercher une éventuelle discrimination, y compris dans des mesures qui se présentent comme indistinctement applicables et qui prévoient un avantage accessible en droit et en fait à toutes les entreprises, n’est pas partagée par ceux qui voient dans une application rigide de la méthode d’analyse en trois étapes, non nuancée par l’application simultanée d’un critère fondé sur la disponibilité générale de l’avantage fiscal, un élargissement excessif de la notion d’« aide » et une érosion de la compétence des États membres en matière de fiscalité directe ( 51 ). C’est dans cette ligne de pensée que s’inscrivent les observations du gouvernement allemand, qui sont favorables à la limitation de la portée de l’arrêt WDFG et à sa contextualisation.

26.

Je me contenterai ici de relever que, s’il est vrai que dans l’arrêt WDFG, la Cour a pris position dans un contexte spécifique – caractérisé par une mesure assimilable par certains aspects aux mesures de soutien à l’exportation, à l’égard desquelles elle est traditionnellement plus stricte en ce qui concerne leur qualification en tant qu’« aides » –, je ne pense cependant pas que l’on puisse relativiser à l’excès sa portée. En effet, tant par la technique rédactionnelle utilisée que par les confirmations dont il a fait l’objet dans les arrêts ultérieurs de la Cour, y compris en grande chambre ( 52 ), il se présente comme un arrêt de principe qui, en réaffirmant la méthode d’analyse de la sélectivité en trois étapes, précise que tout régime fixant les conditions d’obtention d’un avantage fiscal, même si celui-ci est potentiellement accessible à toutes les entreprises, peut être sélectif lorsqu’il conduit à un traitement différencié d’entreprises se trouvant dans une situation juridique et factuelle comparable.

27.

Cela étant, j’observe que, dans le cadre de l’examen des présents pourvois, l’importance de l’arrêt WDFG est plutôt limitée. En effet, d’une part, aucun des griefs formulés par les requérants ne vise à remettre en cause les motifs par lesquels le Tribunal, en rejetant les arguments de WDFG alléguant le caractère général de la mesure litigieuse, a appliqué les principes établis par la Cour dans ledit arrêt ( 53 ). D’autre part, dans celui-ci, la Cour, tout en fondant son raisonnement sur la prémisse que la Commission avait constaté la sélectivité de la mesure litigieuse sur la base du caractère dérogatoire de cette mesure et de l’inégalité de traitement entre les entreprises résidentes qu’elle introduisait, n’a toutefois pris position sur aucun de ces deux aspects, qui sont, en revanche, au cœur des présents pourvois ( 54 ). En d’autres termes, la Cour s’est contentée d’approuver la méthode d’analyse appliquée par la Commission pour démontrer le caractère sélectif de la mesure litigieuse, et non le résultat de cette application, qui est, en revanche, en cause dans les présentes affaires jointes. Il s’ensuit que les arguments développés par le gouvernement allemand dans son mémoire en réponse, dans la mesure où ils tendent à critiquer le choix, en l’espèce, de la méthode d’analyse de la sélectivité en trois étapes fondée sur la discrimination au détriment de celle fondée sur la « disponibilité générale » de l’avantage fiscal, ne sont pas pertinents aux fins de l’examen des présents pourvois.

B. Sur les pourvois

28.

WDFG et le Royaume d’Espagne soulèvent chacun un moyen unique à l’appui de leur pourvoi respectif, tiré d’une erreur dans l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE concernant le critère de sélectivité. Chacun de ces moyens se décompose en plusieurs branches : quatre branches à titre principal et deux à titre subsidiaire en ce qui concerne le moyen unique soulevé par WDFG, et quatre branches en ce qui concerne le moyen unique soulevé par le Royaume d’Espagne.

29.

Les griefs formulés dans le cadre des quatre branches soulevées à titre principal par WDFG et des quatre branches constituant le moyen unique du Royaume d’Espagne coïncident ou se recoupent largement ( 55 ). Ces griefs peuvent donc être regroupés et examinés ensemble. J’examinerai ensuite les branches du moyen unique du pourvoi de WDFG qui sont soulevées à titre subsidiaire.

1.   Sur la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et sur la première et la deuxième branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne : erreur dans la détermination du système de référence

a)   Sur la recevabilité

30.

Les griefs formulés dans le cadre de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et de la première et la deuxième branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne portent sur la première étape de l’analyse de la sélectivité qui, comme cela a été exposé précédemment, vise à déterminer le système de référence. La Commission considère que ces griefs sont globalement irrecevables, puisque le recours de WDFG devant le Tribunal ne comportait aucun grief tiré d’erreurs présumées dans la détermination du système de référence. Permettre aux requérants de soulever de nouveaux griefs dans le cadre du pourvoi reviendrait à leur permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal.

31.

L’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission doit, à mon avis, être rejetée.

32.

Certes, il découle d’une jurisprudence constante, rappelée par la Commission, que, dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant le Tribunal, et qu’une partie ne saurait donc, en principe, soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal ( 56 ).

33.

Toutefois, la Cour a précisé qu’un requérant pouvait, dans son pourvoi, faire valoir des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé ( 57 ).

34.

Par conséquent, en l’espèce, à supposer même, comme le soutient la Commission, que les griefs opposés par WDFG et le Royaume d’Espagne dans leur pourvoi respectif constituent des « moyens nouveaux » par rapport à ceux invoqués à l’appui du recours formé par WDFG devant le Tribunal ( 58 ), cela ne suffirait pas en soi pour les déclarer irrecevables. En effet, étant donné que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si la Commission avait correctement identifié le régime fiscal de référence dans le cadre de la première étape de la méthode d’analyse de la sélectivité ( 59 ), WDFG et le Royaume d’Espagne sont fondés à critiquer, en droit, les constatations faites à cet égard par le Tribunal, indépendamment du fait que ceux-ci n’aient pas développé en première instance une argumentation visant spécifiquement à contester la décision de la Commission sur ce point.

35.

Je constate par ailleurs que les arguments avancés par WDFG et le Royaume d’Espagne dans le cadre des branches examinées des moyens uniques respectifs des pourvois contiennent une critique précise et circonstanciée des motifs de l’arrêt attaqué et visent, dans une large mesure, à contester le respect des limites et les modalités de l’exercice du contrôle juridictionnel par le Tribunal. Par conséquent, ceux-ci ne pouvaient pas être soulevés devant ce dernier ( 60 ).

36.

Compte tenu de ce qui précède, je considère donc que la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et les première et deuxième branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent être déclarées recevables.

b)   Sur le fond

1) Observations liminaires

37.

Dans la communication sur la notion d’« aide d’État », la Commission définit le système de référence comme « un ensemble cohérent de règles qui s’appliquent de manière générale – sur la base de critères objectifs – à toutes les entreprises relevant de son champ d’application tel que défini par son objectif » ( 61 ). Toutefois, il convient de souligner que cette définition n’a pas encore été reprise par la Cour, qui continue à définir le système de référence comme « le régime fiscal commun ou “normal” applicable dans l’État membre concerné » ( 62 ).

38.

Compte tenu de la complexité des régimes fiscaux nationaux et de la multiplicité des variables qui influent sur la détermination de la charge fiscale des entreprises, de nombreuses voix ont évoqué la difficulté d’identifier un tel « régime commun » dans la pratique ainsi que le caractère aléatoire du résultat d’une telle opération ( 63 ). Ces difficultés, et le constat qu’il serait impossible de déterminer un système de référence unique, ont conduit à nier le caractère décisif d’une telle opération et à concentrer plutôt l’attention sur l’inégalité de traitement introduite par la mesure en question ( 64 ) ou à suggérer le retour à un système fondé sur la notion de « mesure générale » ( 65 ).

39.

Si la détermination du système de référence reste sans doute l’une des opérations les plus complexes lors de l’examen du critère de sélectivité – compte tenu notamment de la réticence de la Cour à élaborer des critères précis permettant de guider la Commission et les autorités des États membres dans cette tâche ( 66 ) –, la tendance désormais établie dans la jurisprudence de la Cour à assimiler la notion de « sélectivité » à celle de « discrimination » ne permet pas de faire abstraction de cette opération ni d’en nier l’importance. En effet, toute recherche de l’existence d’une discrimination doit être effectuée à la lumière d’un tertium comparationis, c’est-à-dire d’un paramètre de référence permettant d’établir l’existence d’une inégalité de traitement injustifiée. Le système fiscal de référence, examiné au regard de son objectif, constitue un tel paramètre pour évaluer la sélectivité ( 67 ), raison pour laquelle il me semble que son caractère essentiel – que la Cour elle-même a rappelé à plusieurs reprises en faisant référence en particulier à l’examen des mesures fiscales ( 68 ) – ne saurait être remis en cause ( 69 ).

40.

Mais sur la base de quels critères ce système doit-il être déterminé ?

41.

Tout d’abord, il est, à mon avis, essentiel que l’opération d’identification des règles qui le composent se fasse selon des critères objectifs, notamment pour permettre un contrôle juridictionnel des appréciations sur lesquelles celle-ci est fondée.

42.

En outre, bien que la reconstitution objective des charges fiscales des entreprises qui sont pertinentes aux fins de la détermination du système de référence puisse parfois nécessiter la prise en compte de dispositions ne faisant pas partie du régime fiscal spécifique dans lequel s’inscrit la mesure incriminée ( 70 ), il est important que le résultat de cette opération n’aboutisse pas à une construction abstraite ( 71 ). À cet égard, il convient, à mon avis, de partir du principe que c’est l’État membre concerné qui définit, par l’exercice de ses compétences exclusives en matière de fiscalité directe, le système de référence. Cela ne veut pas dire, comme on le verra plus clairement ci-après, que, dans le cadre de la procédure d’examen de la sélectivité d’une mesure nationale, la Commission est en tout état de cause tenue de fonder son analyse sur le système de référence indiqué par l’État membre concerné, sans pouvoir le contester, mais seulement que ce système est constitué d’un ensemble de règles et de principes tirés du régime fiscal d’un État membre et que c’est sur la base de ce régime qu’il doit être déterminé.

43.

Enfin, conformément à la définition retenue dans la communication de la Commission sur la notion d’« aide d’État », les règles identifiées comme faisant partie du système de référence doivent former un ensemble cohérent. À cet égard, il convient de souligner que le besoin de cohérence constitue à la fois une limite pour la Commission et un élément sur lequel cette dernière peut s’appuyer pour contester le système de référence proposé par l’État membre concerné.

44.

L’objectivité, le caractère concret et la cohérence sont donc les critères que la détermination du système de référence doit respecter dans le cadre de la première étape de l’analyse de la sélectivité d’une mesure fiscale nationale. Il faut encore essayer de définir une méthode qui permette de rendre cette détermination moins aléatoire ( 72 ).

45.

De ce point de vue, la voie à suivre ne me semble pas nécessairement celle d’une simplification excessive. En effet, il ne fait aucun doute qu’en ce qui concerne les mesures faisant partie du régime général d’impôt sur les sociétés des États membres, la Cour a adopté une approche large ( 73 ). Toutefois, cette constatation ne doit pas, à mon avis, conduire mécaniquement à identifier, dans ce régime, le système de référence aux fins de l’évaluation de ces mesures, ainsi que cela semble ressortir des observations écrites de la Commission et comme cela a également été suggéré par la doctrine ( 74 ). Si tel sera le résultat dans une grande partie des cas, je ne pense pas qu’il soit méthodologiquement correct de procéder par automatismes, avec pour conséquence de priver la première et la deuxième étapes de l’examen de la sélectivité de toute pertinence pratique pour une catégorie entière de mesures fiscales. Cela ne signifie pas pour autant que, selon le type de mesure dont il s’agit et de régime fiscal dans lequel elle s’inscrit, la détermination du système de référence ne puisse pas suivre, comme on le verra plus clairement ci-dessous, des critères pour partie différents.

46.

Compte tenu de ce qui précède, la détermination du système de référence doit, à mon avis, nécessairement partir de l’analyse de la mesure litigieuse et, plus particulièrement, des différenciations entre entreprises que cette mesure introduit en application des critères qu’elle définit.

47.

La détermination des critères au regard desquels la situation d’une entreprise se distingue de celle d’une autre, et est donc soumise à des règles fiscales différentes, relève du pouvoir discrétionnaire du législateur national. Les règles en matière d’aides servent de limite à ce pouvoir discrétionnaire, en intervenant lorsque des situations présentant des caractéristiques d’homogénéité sont soumises à des réglementations dont l’application entraîne une discrimination dans la jouissance d’un avantage fiscal. Dans ce contexte, le fait de prendre comme point de départ de l’analyse de la sélectivité les différenciations entre entreprises qui résultent de l’application de la mesure examinée permet de donner une teneur concrète à l’opération de détermination du système de référence.

48.

En effet, c’est à partir de l’examen de cette mesure et des effets de son application qu’il est possible d’identifier tant les groupes d’entreprises entre lesquelles s’établit une différenciation que le facteur par rapport auquel cette différenciation est effectuée. Cet examen permet, en d’autres termes, d’établir « entre qui » et « par rapport à quoi » une différence de traitement est introduite. Celle-ci peut notamment porter sur des aspects de la règlementation d’un dispositif juridique ou d’un régime fiscal donné ou encore s’insérer dans le système fiscal général de l’État membre.

49.

Dans ce contexte, l’opération d’identification du système de référence est généralement plus facile lorsque la différenciation entre les entreprises est effectuée dans le cadre d’un régime d’imposition ad hoc – par exemple une écotaxe nouvellement établie – comme dans les affaires qui ont donné lieu aux arrêts du 26 avril 2018, ANGED ( 75 ), et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission ( 76 ). En effet, dans ces cas, cette différenciation, qu’elle soit inhérente aux conditions d’assujettissement à l’impôt ou qu’elle concerne ses modalités d’application, se fait par rapport à un ensemble de règles spécifiques et distinctes constitué par le régime d’imposition en question. Cet ensemble normatif est le système de référence pour évaluer la sélectivité de la mesure. En revanche, la situation est plus complexe lorsque la mesure examinée fait partie d’un ou plusieurs sous-systèmes au sein d’un régime d’imposition général préexistant, comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Andres et A-Brauerei. Il convient dans ce cas, en partant de la mesure en cause, de revenir à l’ensemble normatif régissant la situation considérée, en veillant à ce que cet ensemble soit à la fois cohérent et complet. Celui-ci pourra correspondre au régime d’imposition considéré dans sa globalité ou à l’un de ses sous-systèmes, ou encore s’identifier avec la mesure elle-même, lorsque celle-ci se présente comme une règle dotée d’une logique juridique autonome et qu’il est impossible d’identifier un ensemble normatif cohérent en dehors de cette mesure. Lorsque la mesure en question est inséparable du système fiscal général de l’État membre intéressé, c’est à ce système qu’il convient de faire référence.

50.

Enfin, je considère que la détermination du système de référence doit être effectuée, dans le cadre d’un débat contradictoire avec l’État membre concerné, à la lumière du contenu, de la structure, de l’articulation systématique et des corrélations entre les normes en cause, et non, au contraire, des objectifs poursuivis par le législateur national. Il en est ainsi parce que, méthodologiquement, l’identification de ces objectifs se déroule lors d’une étape distincte, qui est postérieure à celle de la détermination du système de référence, et qu’il convient, comme cela a été précisé ci-dessus, de rendre cette détermination aussi objective que possible ( 77 ).

51.

À la lumière des considérations qui précèdent, je vais à présent examiner les griefs formulés par les requérants dans le cadre des branches examinées des moyens uniques respectifs des pourvois.

2) Sur le premier grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et sur la première branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne

52.

WDFG, par le premier grief de la première branche de son moyen unique de pourvoi, et le Royaume d’Espagne, par la première branche de son moyen unique de pourvoi, soutiennent que le Tribunal a procédé à une substitution des motifs de la décision contestée en utilisant un système de référence distinct de celui adopté par la Commission. Alors que cette dernière aurait désigné les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière comme système de référence, le Tribunal, sur la base d’une analyse matériellement différente de celle effectuée par la Commission, aurait également inclus dans ce système le traitement fiscal de la survaleur non financière ( 78 ).

53.

À cet égard, je rappelle que, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, la Cour et le Tribunal sont compétents pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir. L’article 264 TFUE prévoit que, si le recours est fondé, l’acte contesté est déclaré nul et non avenu. La Cour et le Tribunal ne peuvent donc, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué ( 79 ). Dans l’arrêt du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission ( 80 ), la Cour a toutefois précisé que « dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal peut être amené à interpréter la motivation de l’acte attaqué d’une manière différente de son auteur, voire, dans certaines circonstances, à rejeter la motivation formelle retenue par celui-ci », bien que cela soit exclu « lorsqu’aucun élément matériel ne le justifie » ( 81 ).

54.

Le grief des requérants, selon lequel le Tribunal aurait fondé son analyse sur un système de référence différent de celui adopté par la Commission dans la décision contestée, ne semble pas, à première vue, dénué de tout fondement. En effet, comme WDFG et le Royaume d’Espagne le font observer à juste titre, dans le considérant 96 de la décision contestée, la Commission indique que « le cadre approprié pour l’évaluation de la mesure litigieuse » est constitué par « les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière » ( 82 ) prévues par le régime général espagnol d’imposition des sociétés. En revanche, aux points 70, 92 et 140 de l’arrêt attaqué, le Tribunal relève que la Commission a retenu comme cadre de référence pour son analyse de la sélectivité le traitement fiscal de la survaleur, en précisant, au point 92, qu’elle « n’a pas circonscrit ce cadre au traitement fiscal de la seule survaleur financière ».

55.

Toutefois, je considère, à la lumière d’une analyse plus approfondie, que le Tribunal n’a pas dénaturé la décision contestée ni opéré de substitution des motifs de cette décision. Le grief en cause porte essentiellement sur une différence de terminologie entre la décision contestée et l’arrêt attaqué qui, contrairement à ce que les requérants font valoir, et comme la Commission le souligne à juste titre, ne correspond pas à l’identification de deux systèmes de référence matériellement différents.

56.

Pour apprécier la convergence substantielle des résultats entre l’analyse de la Commission et l’interprétation qu’en fait le Tribunal, il convient de se référer au considérant 89 de la décision contestée, reproduit par le Tribunal au point 70 de l’arrêt attaqué. Dans ce passage, la Commission, anticipant la conclusion à laquelle elle parvient au terme de son analyse de la sélectivité, répond aux arguments du gouvernement espagnol selon lesquels le système de référence devait être limité au traitement fiscal de la survaleur résultant de l’acquisition d’une participation dans une société établie dans un pays autre que l’Espagne. Elle indique clairement que, selon elle, la mesure litigieuse « doit être évaluée en tenant compte des dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés applicables aux situations dans lesquelles l’apparition de la survaleur conduit à un avantage fiscal », et précise que sa position s’explique par la constatation que « les situations dans lesquelles la survaleur financière peut être amortie ne couvrent pas toute la catégorie des contribuables se trouvant dans une situation similaire en fait ou en droit ».

57.

Le raisonnement développé par la Commission est, à mon avis, logique. Le point de départ est la constatation que la norme litigieuse ne prévoit l’amortissement de la survaleur résultant de la prise de participation que lorsqu’il s’agit de participations dans une société ne résidant pas en Espagne. Cette constatation a conduit la Commission à s’interroger sur la possibilité que la mesure litigieuse soit sélective en ce qu’elle introduit une discrimination à l’égard des entreprises qui réalisent des opérations d’acquisition comparables, mais dans des sociétés établies en Espagne. Le système de référence aux fins de l’évaluation de la sélectivité doit donc inclure les règles régissant le traitement fiscal de la survaleur résultant de ces prises de participations. Or, comme cela découle du considérant 89 susvisé, la Commission part de la prémisse que, en vertu des principes du système comptable et fiscal espagnol, sont appliquées à la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des entreprises résidant en Espagne des règles similaires à celles qui régissent la survaleur en général ( 83 ), selon lesquelles cette dernière doit être enregistrée dans la comptabilité comme actif incorporel distinct lorsque l’entreprise acquiert la prise de participations dans l’entreprise acquise ( 84 ) et ne peut être amortie qu’en cas de regroupement d’entreprises ( 85 ). C’est ce qui ressort expressément du considérant 99 de la décision contestée, dans lequel la Commission affirme que, à des fins de fiscalité, la survaleur, entendue en général et donc pas seulement en tant que survaleur financière, ne peut, en Espagne, « être comptabilisée que séparément à la suite d’un regroupement d’entreprises », en précisant immédiatement après que, « lorsque l’acquisition d’une entreprise se fait au moyen de l’acquisition de ses actions [...] la survaleur ne peut apparaître que si l’entreprise acquérante est ensuite regroupée à l’entreprise acquise, dont elle obtient ainsi le contrôle ». Plus explicitement encore, au considérant 100 de la décision contestée, la Commission affirme que, « en permettant que la survaleur financière, qui est la survaleur qui aurait été comptabilisée si les entreprises s’étaient regroupées, apparaisse même sans regroupement des entreprises, la mesure litigieuse constitue une exception au système de référence », en précisant immédiatement après que « l’exception ne découle pas de la durée de la période durant laquelle la survaleur financière est amortie en comparaison avec la période qui s’applique à l’amortissement de la survaleur traditionnelle, mais bien de la différence de traitement entre les opérations nationales et transfrontalières ».

58.

Par conséquent, dans la logique de la décision contestée, lorsque, aux considérants 92 à 96 de cette décision, la Commission désigne comme système de référence les « règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière », celle-ci renvoie non seulement aux règles spécifiquement applicables à l’amortissement de la survaleur en cas de prise de participations, mais aussi aux « règles du régime général espagnol de l’impôt sur les sociétés » régissant l’amortissement de la survaleur en général, car elles fournissent un cadre d’évaluation pertinent de ces règles.

59.

Au-delà de la différence de terminologie utilisée dans la décision contestée et dans l’arrêt attaqué, et bien que la motivation de ce dernier sur ce point aurait pu être plus explicite, il résulte de ce qui précède que le système de référence retenu par le Tribunal ne diffère pas de celui indiqué par la Commission. Le Tribunal n’a donc pas substitué ses motifs à ceux de la décision contestée, et il n’en a pas non plus dénaturé le contenu ni ne l’a interprété de manière erronée. L’interprétation retenue aux points 70, 92 et 140 de l’arrêt attaqué se justifie par des éléments essentiels de la décision contestée.

60.

Pour les raisons exposées ci-dessus, je considère donc que le premier grief tiré de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et la première branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent être rejetés comme non fondés.

3) Sur le deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et sur la deuxième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne

61.

WDFG, par le deuxième grief de la première branche de son moyen unique de pourvoi, et le Royaume d’Espagne, par la deuxième branche de son moyen unique de pourvoi, soulèvent deux objections distinctes.

62.

Par la première objection, que WDFG soulève à titre principal, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir substitué sa propre motivation à celle de la décision contestée en excluant que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence à part entière. Ils font valoir, en substance, que la Commission a rejeté l’hypothèse d’un système de référence autonome constitué par la mesure litigieuse en se fondant uniquement sur la prétendue absence d’obstacles juridiques aux fusions transfrontalières, alors que le Tribunal se serait fondé, aux points 127 à 140 de l’arrêt attaqué, sur une argumentation complètement différente.

63.

À cet égard, je relève, comme l’a fait le Tribunal au point 70 de l’arrêt attaqué, que, au considérant 89 de la décision contestée, la Commission a estimé que le système de référence ne pouvait se limiter au traitement fiscal de la survaleur financière instauré par la mesure litigieuse, puisque cette mesure ne bénéficiait qu’aux entreprises acquérant des participations dans des sociétés non résidentes et que, pour apprécier l’existence d’une discrimination à l’égard des entreprises effectuant le même type d’acquisitions, mais dans des sociétés résidentes, il était nécessaire de tenir compte « des dispositions générales du régime de l’impôt sur les sociétés applicables aux situations dans lesquelles l’apparition de la survaleur [conduisait] à un avantage fiscal [...] ». Dans les considérants 92 à 96 de la décision contestée, sur lesquels est fondé le grief des requérants tiré d’une prétendue substitution des motifs, la Commission s’est bornée à répondre aux observations présentées par les autorités espagnoles, qui avaient remis en cause le système de référence provisoirement identifié dans la décision d’ouverture, en faisant notamment valoir que, puisque les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés étrangères se trouvent dans une situation de droit et de fait différente de celles qui prennent des participations dans des entreprises résidentes, la mesure litigieuse devait être considérée comme un système de référence autonome. Après avoir constaté que la base factuelle sur laquelle reposait cette argumentation n’était pas suffisamment étayée, la Commission a confirmé le système de référence tel que déterminé dans la décision d’ouverture.

64.

Quant au considérant 117 de la décision contestée, également rappelé par WDFG, je note que celui-ci figure dans une partie de l’analyse de la sélectivité que la Commission développe « à titre complémentaire » par rapport à l’analyse figurant aux considérants 92 à 114, et qu’elle place sous la rubrique « [a]nalyse de la mesure litigieuse à la lumière du système de référence consistant en le traitement de la survaleur dans des opérations avec des pays tiers » ( 86 ). Or, nonobstant ce positionnement systématique, il ressort de la lecture du considérant 117 susvisé que les constatations qu’il contient s’inscrivent plutôt dans une perspective d’appréciation de la comparabilité des situations des entreprises bénéficiant de l’avantage prévu par la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues, inhérente, comme nous l’avons vu, à la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité, ou encore dans une perspective d’évaluation de l’existence d’une justification au « traitement fiscal différent entre les opérations de participations espagnoles [...] [et] [les] opérations concernant des pays tiers », inhérente à la troisième étape. Il en va de même, à mon avis, pour les considérants 114 et 115 de la décision du 12 janvier 2011, auxquels le Royaume d’Espagne fait référence, comme cela résulte par ailleurs clairement du considérant 113 de cette décision, dans lequel la Commission affirme qu’elle « a examiné, en se fondant notamment sur les éléments figurant dans les rapports, la législation de divers pays tiers dans le seul but de vérifier les allégations des autorités espagnoles au sujet de l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières » et précise que, « [p]our autant, cet examen ne constitue en aucune manière une reconnaissance que ces obstacles peuvent justifier un système de référence différent en l’espèce » ( 87 ). Contrairement à ce qu’affirme le Royaume d’Espagne, l’approche procédurale suivie par la Commission, qui consiste à examiner, dans une décision distincte, la situation des entreprises qui investissent dans des sociétés établies en dehors de l’Union, est pleinement justifiée aux fins de l’appréciation de la comparabilité entre ces entreprises et celles qui investissent dans des sociétés résidentes en Espagne, ou de l’évaluation de l’existence d’une justification de la différence de traitement entre ces deux catégories d’entreprises, et est tout à fait compatible avec le maintien d’un cadre de référence plus large que celui constitué par la mesure litigieuse.

65.

Par conséquent, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ce n’est pas en raison de la non-reconnaissance d’obstacles aux regroupements transfrontaliers que la Commission a exclu que la mesure litigieuse puisse constituer le système de référence pertinent à prendre en compte aux fins de l’analyse de la sélectivité, mais parce qu’elle a estimé que cette mesure devait être appréciée à la lumière d’un ensemble de règles plus large comprenant à la fois les règles applicables à l’amortissement de la survaleur financière en cas de prises de participations dans des sociétés résidentes, et les principes applicables à l’amortissement de la survaleur en général, sur lesquels, selon la Commission, ces règles se sont alignées en prévoyant la déductibilité de la survaleur uniquement lorsque la prise de participations était suivie d’un regroupement d’entreprises. Cette conclusion est, à mon avis, confirmée par les considérants 17 à 22 de la décision d’ouverture, auxquels la Commission renvoie à plusieurs reprises en rejetant les arguments du Royaume d’Espagne aux considérants 92 à 96 de la décision contestée.

66.

Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime donc que la première objection, fondée sur une prétendue substitution des motifs que le Tribunal aurait opérée aux points 127 à 140 de l’arrêt attaqué, doit être rejetée comme non fondée.

67.

Par la seconde objection, que WDFG soulève à titre subsidiaire, les requérants font valoir que le raisonnement « de substitution » développé par le Tribunal pour exclure que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence autonome est entaché d’une erreur de droit. D’une part, ils font observer que l’objectif de la mesure litigieuse est d’assurer la neutralité fiscale en ce qui concerne les prises de participations en Espagne et à l’étranger, et que l’on ne peut dès lors pas réduire son objet à la résolution d’un problème particulier, contrairement à ce qu’aurait affirmé le Tribunal au point 139 de l’arrêt attaqué. D’autre part, ils font valoir que le raisonnement du Tribunal conduit à apprécier la sélectivité d’une mesure différemment selon que le législateur national a décidé de créer un impôt distinct ou de modifier un impôt général, et donc selon la technique législative utilisée.

68.

Il résulte du point 94 de l’arrêt attaqué que le raisonnement exposé par le Tribunal aux points 95 à 141 de cet arrêt vise à répondre à l’argument de WDFG selon lequel, en raison des obstacles aux regroupements transfrontaliers, la Commission aurait dû désigner la mesure litigieuse comme système de référence.

69.

Ce raisonnement peut se subdiviser en trois parties.

70.

La première partie, qui inclut les points 95 à 108, aborde, de manière générale, la question de la méthodologie applicable à la détermination du système de référence dans le cadre de la première étape de l’examen de la sélectivité. Au point 98, le Tribunal affirme que la délimitation matérielle de ce système est opérée, en principe, en lien avec la mesure analysée, et, au point 102, lequel est précédé d’une analyse des arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. ( 88 ), et du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas ( 89 ), il constate que « outre l’existence d’un lien entre l’objet de la mesure en cause et celui du régime normal, l’examen du caractère comparable des situations relevant de cette mesure et des situations relevant de ce régime permet également de délimiter matériellement la portée dudit régime ». Le Tribunal précise ensuite, aux points 103 et 104, que, dès lors que c’est le caractère comparable de ces situations qui permet aussi de conclure à l’existence d’une dérogation, lorsque les situations relevant de la mesure litigieuse sont traitées différemment de celles relevant du régime normal, « un raisonnement d’ensemble portant sur les deux premières étapes de la méthode [d’analyse de la sélectivité] peut, dans certains cas, conduire à déterminer à la fois le régime normal et l’existence d’une dérogation ».

71.

Dans la deuxième partie de son raisonnement, qui inclut les points 109 à 125 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, en application de la méthodologie exposée aux points 95 à 108 de cet arrêt, si, au regard de l’objectif du régime normal identifié par la Commission, les entreprises prenant des participations dans des sociétés résidentes et celles prenant des participations dans des sociétés non résidentes se trouvaient dans une situation juridique et factuelle comparable. Cet examen de comparabilité, qui est normalement effectué dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité, est donc avancé à la première étape, et le Tribunal fait dépendre la délimitation correcte du système de référence de son résultat (point 109 de l’arrêt attaqué). Au terme de cet examen, le Tribunal parvient à la conclusion que « les entreprises qui prennent des participations dans des sociétés non résidentes se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le traitement fiscal de la survaleur, dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des entreprises qui prennent des participations dans des sociétés résidentes » (point 122 de l’arrêt attaqué), et que c’est à bon droit que la Commission a retenu « au titre du régime normal, le traitement fiscal de la survaleur et non le traitement fiscal de la survaleur financière instauré par la mesure litigieuse » (point 123 de l’arrêt attaqué). Après avoir relevé que cette mesure, « en permettant l’amortissement de la survaleur pour des prises de participations dans des sociétés non résidentes sans qu’il y ait de regroupement d’entreprises, applique à ces opérations un traitement différent de celui qui s’applique aux prises de participations dans des sociétés résidentes, alors que ces deux types d’opérations se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime normal, dans des situations juridiques et factuelles comparables » (point 124 de l’arrêt attaqué), le Tribunal clôt cette partie de son raisonnement en rejetant les arguments de WDFG non seulement en ce qu’ils visent à contester la délimitation du système de référence dans le cadre de la première étape de l’analyse de la sélectivité, mais également en ce qu’ils portent sur la constatation du caractère dérogatoire de la mesure litigieuse à effectuer dans le cadre de la deuxième étape, confirmant « l’existence de liens entre ces deux étapes, voire, parfois, comme en l’espèce, d’un raisonnement commun » (point 125 de l’arrêt attaqué).

72.

Enfin, dans la troisième partie de son raisonnement, qui comprend les points 126 à 141, le Tribunal analyse si « malgré l’existence d’un régime fiscal, en lien avec la mesure litigieuse et au regard de l’objectif duquel des opérations, qui ne bénéficient pas de cette mesure, se trouvent dans une situation comparable aux opérations qui en bénéficient, [...] [ladite mesure] pourrait, eu égard à ses caractéristiques propres et donc indépendamment de toute analyse comparative, constituer, à elle seule, un cadre de référence autonome ».

73.

Les requérants n’émettent aucune critique visant à contester la méthodologie exposée par le Tribunal aux points 95 à 108 de l’arrêt attaqué. À cet égard, je me bornerai donc à constater que l’amalgame entre la première et la deuxième étapes qui se dégage de ces points ne me paraît conforme ni aux arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550) ( 90 ), et du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551) ( 91 ), sur lesquels le Tribunal s’est fondé, ni à la jurisprudence la plus récente de la Cour, qui distingue clairement ces étapes et procède à la délimitation du système de référence avant d’identifier l’objectif de ce système, et à cette identification avant de déterminer les entreprises qui se trouvent dans une situation comparable à celle des entreprises bénéficiaires de la mesure incriminée. Un tel amalgame, probablement induit par la structure de la décision contestée et des arguments de WDFG, complique encore, à mon avis, le tableau déjà complexe qui se dégage de la jurisprudence relative à l’analyse de la sélectivité des mesures fiscales. Comme cela a été exposé précédemment ( 92 ), s’il importe que la détermination du système de référence se fasse en lien avec la mesure en cause et les différenciations qu’elle introduit, cette détermination doit être effectuée de la manière la plus objective possible, c’est-à-dire sans tenir compte, déjà à ce stade, de l’objectif allégué de ce système ni de la comparabilité réelle entre la situation des entreprises bénéficiaires de la mesure en cause et celle des entreprises qui en sont exclues.

74.

Les arguments invoqués par les requérants dans le cadre des griefs en cause et visant à contester la deuxième partie du raisonnement du Tribunal, c’est-à-dire les points 109 à 125 de l’arrêt attaqué, seront traités dans le cadre des branches des moyens uniques respectifs de pourvoi qui sont spécifiquement consacrées à la contestation de la définition de l’objectif du système de référence.

75.

En ce qui concerne les arguments relatifs à la troisième partie de ce raisonnement, c’est-à-dire les points 126 à 141 de l’arrêt attaqué, j’estime qu’ils doivent être rejetés.

76.

Premièrement, contrairement aux requérants, je considère que l’analyse qui a conduit le Tribunal à conclure que la mesure litigieuse ne pouvait pas constituer un cadre de référence autonome « eu égard à ses caractéristiques propres » ( 93 ) ne repose pas sur la technique juridique choisie par le législateur espagnol, qui, pour introduire le régime litigieux, n’a pas adopté une loi fiscale spéciale, mais s’est contenté de réformer la loi régissant l’impôt sur les sociétés.

77.

C’est, en effet, en se fondant sur l’objet et les effets de la mesure litigieuse et non sur de simples considérations d’ordre formel que le Tribunal, d’une part, a considéré que cette mesure n’était qu’une « modalité particulière d’application d’un impôt plus large » ( 94 ) et n’introduisait pas « un régime fiscal clairement délimité, poursuivant des objectifs spécifiques et se distinguant [...] de tout autre régime fiscal » ( 95 ), et, d’autre part, a relevé que cette mesure constituait « une exception à la règle générale selon laquelle seuls les regroupements d’entreprises peuvent conduire à l’amortissement de la survaleur ».

78.

À cet égard, je rappelle que s’il est vrai, comme le soulignent les requérants, que la Cour a affirmé que le recours à la technique réglementaire utilisée ne saurait « suffire à définir le cadre de référence pertinent aux fins de l’analyse de la condition relative à la sélectivité, sauf à faire prévaloir de manière décisive la forme des interventions étatiques sur leurs effets » ( 96 ), celle-ci a également précisé, au point 77 de l’arrêt WDFG, que la circonstance qu’une mesure fiscale présente un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun est tout à fait pertinente aux fins de l’analyse de sa sélectivité lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime ( 97 ). On ne saurait donc reprocher au Tribunal de s’être fondé sur des considérations relevant de la seule technique juridique lorsqu’il a reconnu l’importance du caractère, selon lui, dérogatoire de la mesure litigieuse. Je note d’ailleurs que, dans l’arrêt Andres, c’est précisément parce que le Tribunal n’avait pas reconnu que le système de référence défini par la Commission constituait une exception à une règle d’application générale que la Cour a annulé l’arrêt attaqué dans l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt.

79.

La dernière phrase du point 137 de l’arrêt attaqué, par laquelle le Tribunal affirme que la mesure litigieuse « ne constitue [...] pas une réforme de l’impôt sur les sociétés autonome par rapport à ce régime », confirme une fois encore le caractère non purement formaliste de l’approche retenue par Tribunal, lequel admet implicitement que, malgré la technique juridique employée par le législateur espagnol, cette mesure aurait pu constituer un régime à part entière si elle avait rempli les conditions de fond nécessaires pour cela. Contrairement à ce que soutient WDFG, rien ne permet de penser que la logique suivie par le Tribunal l’aurait conduit à une analyse différente de la sélectivité si le législateur espagnol avait adopté des impôts distincts et indépendants pour les prises de participations nationales et étrangères au lieu de réformer l’impôt sur les sociétés. Le Tribunal semble au contraire considérer, conformément à ce que j’ai soutenu ci-dessus, que l’identification du système de référence impose de reconstituer les charges fiscales qui pèsent sur les entreprises bénéficiaires de la mesure en cause et sur celles qui sont supposées faire l’objet d’un traitement discriminatoire en application de ladite mesure, que celles-ci relèvent du même régime général ou qu’elles soient incluses dans des lois fiscales spéciales.

80.

Deuxièmement, s’agissant de l’objection que les requérants opposent à la référence aux conclusions de l’avocat général Warner dans l’affaire Italie/Commission ( 98 ) (ci-après les « conclusions de l’avocat général Warner »), figurant aux points 129 et 130 de l’arrêt attaqué, je note tout d’abord que leurs arguments n’ont pas pour objet de critiquer, en tant que telle, l’affirmation, que le Tribunal extrapole à partir de ces conclusions, selon laquelle une mesure fiscale ne peut pas constituer un système de référence autonome « si elle a pour objet de résoudre un problème particulier » ( 99 ), mais la conclusion – à laquelle le Tribunal est parvenu au point 138 de l’arrêt attaqué – selon laquelle l’élimination des effets des obstacles aux regroupements transfrontaliers sur le traitement fiscal de la survaleur constitue un « problème particulier », ainsi que l’assimilation de la présente affaire à celle faisant l’objet des conclusions précitées.

81.

J’observe ensuite que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ce n’est pas en raison du caractère « particulier » de l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse que le Tribunal a exclu que cette mesure puisse constituer un système de référence à part entière. En effet, il ressort clairement des points 135 et 136 de l’arrêt attaqué que le Tribunal parvient à cette conclusion en tenant compte du fait que ladite mesure constituait « une exception à la règle générale selon laquelle seuls les regroupements d’entreprises peuvent conduire à l’amortissement de la survaleur », visant à remédier aux effets défavorables induits par l’application de cette règle, ainsi que de la constatation que cette mesure ne faisait pas de l’opération de prise de participations un nouveau critère général qui organiserait le traitement fiscal de la survaleur, mais « réserv[ait] le bénéfice de l’amortissement de la survaleur aux seules prises de participations dans des sociétés non résidentes » (point 136 de l’arrêt attaqué). Ce n’est donc pas le caractère « limité » de l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse que le Tribunal a, en définitive, jugé déterminant, et cela malgré la déclaration formulée au terme de son analyse, au point 139 de l’arrêt attaqué, sur laquelle les requérants portent toute leur attention.

82.

Dans ces conditions, les arguments avancés par les requérants visant, d’une part, à contester l’assimilation de la présente espèce à celle ayant fait l’objet des conclusions de l’avocat général Warner et, d’autre part, à démontrer que l’objectif de la mesure litigieuse est la préservation du principe de neutralité fiscale et non la résolution d’un « problème particulier », sont, à mon avis, insuffisants pour infirmer le raisonnement développé par le Tribunal aux points 126 à 141 de l’arrêt attaqué.

83.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je considère que le deuxième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et la seconde branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent être rejetés comme non fondés.

4) Sur le troisième grief de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG

84.

Dans le cadre du troisième grief de la première branche de son moyen unique de pourvoi, WDFG fait valoir, en premier lieu, que le système de référence utilisé par le Tribunal est défini arbitrairement, car on ne sait pas très bien quel critère a été utilisé pour identifier le cadre cohérent dans lequel s’insérerait la mesure litigieuse.

85.

À l’instar de la Commission, je considère que cette objection doit être rejetée et que le Tribunal a suffisamment motivé le raisonnement qui l’a conduit en l’espèce à retenir, au titre du système de référence, les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur aux fins de la détermination de l’impôt sur les sociétés, et à confirmer, sur ce point, l’analyse au fond contenue dans la décision contestée. À cet égard, je me contenterai de renvoyer aux points 56 à 58 des présentes conclusions.

86.

En second lieu, WDFG soutient que le Tribunal a identifié de manière erronée et injustifiée, dans le système de référence qu’il a défini, ce qui constitue la règle et ce qui constitue l’exception. Selon ce requérant, c’est à tort que le Tribunal a considéré, au point 135 de l’arrêt attaqué, que la règle était l’impossibilité d’amortir la survaleur – bien que tant l’article 12, paragraphe 6, du TRLIS que l’article 89, paragraphe 5, de cette loi autorisent un tel amortissement – et que la mesure litigieuse introduisait une exception à cette règle. Comme dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Andres, le Tribunal aurait confondu la règle avec l’exception.

87.

À mon avis, cette objection doit, elle aussi, être rejetée. En effet, comme cela a déjà été indiqué, au point 135 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé l’analyse contenue dans la décision contestée, selon laquelle, en vertu de la législation fiscale espagnole, seul un regroupement d’entreprises permet normalement de procéder à l’amortissement de la survaleur, y compris en cas de survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes, conformément à l’article 89, paragraphe 3, du TRLIS. Contrairement à ce que WDFG semble affirmer, pour le Tribunal, ce n’est donc pas le non-amortissement de la survaleur financière qui constitue la règle générale à laquelle la mesure litigieuse déroge, mais le principe selon lequel l’amortissement n’est normalement possible que dans le cas d’un regroupement d’entreprises, principe que le Tribunal déduit des dispositions relatives au traitement fiscal de la survaleur aux fins de l’impôt sur les sociétés, qu’il s’agisse des dispositions concernant l’amortissement de la survaleur en cas d’acquisition d’entreprise ou de celles relatives à l’amortissement de la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes avec fusion subséquente. Dans ce contexte, l’argument avancé par le gouvernement espagnol au cours de la procédure formelle d’examen, auquel WDFG renvoie dans ses observations écrites, selon lequel, en droit espagnol, la règle est l’amortissement de la survaleur, et le non-amortissement de la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes sans fusion subséquente serait plutôt l’exception, est dénué de pertinence, puisqu’il ne permet pas d’infirmer la prémisse sur laquelle se fonde le Tribunal, à savoir qu’en droit espagnol, l’amortissement de la survaleur est normalement subordonné à l’existence d’un regroupement d’entreprises.

88.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je considère que le troisième grief de la première branche du moyen unique de WDFG et, par conséquent, la première branche de ce moyen dans son intégralité doivent être rejetés comme non fondés.

2.   Sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne : erreur dans la détermination de l’objectif au regard duquel est effectué l’examen de comparabilité

89.

Les griefs formulés par WDFG et le Royaume d’Espagne dans le cadre de la seconde branche et de la troisième branche de leur moyen unique respectif de pourvoi se rapportent aux points 143 à 164 de l’arrêt attaqué et visent à contester les motifs de cet arrêt par lesquels le Tribunal a identifié l’objectif du système de référence et comparé, à la lumière de cet objectif, la situation des entreprises bénéficiaires de l’avantage institué par la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues.

a)   Sur la recevabilité

90.

La Commission soulève l’irrecevabilité de la seconde branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et de la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne dans leur ensemble. Celle-ci invoque deux moyens au soutien de son exception. Le premier moyen est identique à celui soulevé à l’égard de la première branche du moyen unique du pourvoi de WDFG ainsi qu’à l’égard de la première et de la deuxième branches du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne, déjà examiné aux points 31 à 34 des présentes conclusions. Sur la base des considérations exposées dans ce point, auxquelles je renvoie, je considère que ce moyen doit être rejeté en ce qui concerne l’ensemble des griefs soulevés par WDFG et le Royaume d’Espagne dans le cadre des branches sous examen de leurs moyens uniques respectifs de pourvoi.

91.

Par le second moyen, la Commission conteste en revanche la recevabilité de ces griefs au motif qu’ils porteraient sur des questions de fait, parmi lesquelles figurerait la détermination du contenu et de la portée du droit national.

92.

À cet égard, je rappelle qu’en vertu d’une jurisprudence constante, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments de preuve, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Toutefois, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées ( 100 ). Ainsi, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit ( 101 ). En revanche, l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, de la qualification juridique au regard d’une disposition du droit de l’Union qui a été donnée à ce droit national par le Tribunal constituant une question de droit, il relève de la compétence de la Cour ( 102 ).

93.

Il s’ensuit que les arguments avancés par WDFG et le Royaume d’Espagne concernant le contenu ou la portée des règles de droit espagnol sur lesquelles le Tribunal s’est fondé pour identifier le « parallélisme entre résultat fiscal et comptable » en tant qu’objectif du système de référence doivent, en l’absence d’allégation de dénaturation précise et fondée ( 103 ), être déclarés irrecevables. En revanche, les arguments tendant à remettre en cause le choix de l’objectif au regard duquel est évaluée la situation des entreprises bénéficiant de l’avantage résultant de l’application de la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues doivent être déclarés recevables. En effet, au même titre que la définition du « système de référence » dans le cadre de la première étape de l’analyse de la condition relative à la sélectivité, la détermination de l’« objectif » au regard duquel l’examen de la comparabilité est effectué dans le cadre de la deuxième étape de cette analyse procède elle aussi d’une qualification juridique du droit national sur la base d’une disposition du droit de l’Union ( 104 ).

b)   Sur le fond

94.

Par la deuxième branche de son unique moyen de pourvoi, WDFG conteste, en premier lieu, l’affirmation figurant aux points 143, 150, 155 et 156 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il existerait une incohérence dans la jurisprudence de la Cour sur la question de savoir si la situation des entreprises bénéficiaires et celle des entreprises qui sont exclues du bénéfice de la mesure en cause doivent être comparées au regard de l’objectif de cette mesure ou de celui du système dans lequel celle-ci s’inscrit. Selon WDFG, ces objectifs doivent coïncider, et si tel n’est pas le cas, c’est parce que le législateur national a introduit, dans le système de l’impôt, une mesure qui ne correspond pas à la logique de celui-ci.

95.

À cet égard, je me contenterai de faire observer que ce grief n’a aucune incidence sur la légalité de l’arrêt attaqué. En effet, WDFG ne conteste pas la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu au point 156 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, en vertu de la jurisprudence la plus récente, c’est au regard de l’objectif du système de référence dans lequel s’insère la mesure examinée et non de l’objectif de cette mesure que l’examen de comparabilité doit être effectué dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité, mais se borne à affirmer que le choix entre l’un ou l’autre objectif est indifférent puisque ceux-ci doivent, en principe, coïncider.

96.

En deuxième lieu, WDFG soutient que le Tribunal a considéré à tort, au point 121 de l’arrêt attaqué, que l’objectif de l’impôt sur les sociétés était d’assurer un « parallélisme entre résultat fiscal et comptable ». Non seulement cette affirmation serait arbitraire, mais elle serait totalement infondée, puisque tous les impôts sur les sociétés s’écartent par définition du résultat comptable. En ce qui concerne plus particulièrement les dispositions relatives à l’amortissement de la survaleur, les différentes hypothèses prévues par le TRLIS n’auraient pas en commun l’objectif visant à assurer la cohérence entre le traitement fiscal et comptable de la survaleur, mais celui d’éviter la double imposition et de garantir la neutralité fiscale. En l’espèce, donc, l’objectif du système de référence défini par le Tribunal et celui de la mesure litigieuse coïncideraient. WDFG souligne également qu’il existe plusieurs hypothèses dans lesquelles il n’y a pas de parallélisme entre amortissement fiscal et comptable de la survaleur. Dans le cadre de la troisième branche de son moyen unique de pourvoi, le Royaume d’Espagne formule des griefs similaires et fait valoir, à l’appui de ces griefs, des arguments qui coïncident largement avec ceux soulevés par WDFG.

97.

Les griefs susmentionnés sont, à mon avis, irrecevables, en ce qu’ils visent à remettre en cause le contenu et la portée du droit espagnol tels qu’ils ont été constatés par le Tribunal. L’ensemble des arguments avancés pour les étayer visent en effet à contester les constatations figurant aux points 116 à 120 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles « c’est en lien avec une logique comptable que le traitement fiscal de la survaleur s’organise sur la base du critère tiré de l’existence ou non d’un regroupement d’entreprises ». C’est sur le fondement de ces constatations que le Tribunal a conclu, au point 121 de cet arrêt, que l’objectif du traitement fiscal de la survaleur est « d’assurer une certaine cohérence » entre ce traitement et son traitement comptable et que, par conséquent, le traitement fiscal de la survaleur ne « vise [...] pas à compenser l’existence d’obstacles au regroupement transfrontalier ou à assurer un traitement égalitaire des différents types de prises de participations ». Or, ces constatations, qui découlent de l’interprétation par le Tribunal des principes fiscaux et comptables du droit espagnol en matière de survaleur, échappent au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi, sauf si une dénaturation de ces principes est alléguée et démontrée.

98.

En troisième lieu, WDFG et le Royaume d’Espagne soulèvent, outre les griefs qui précèdent, un grief fondé sur la substitution des motifs de la décision contestée en ce qui concerne l’identification de l’objectif du système de référence. L’objectif consistant à « assurer une certaine cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable », visé au point 121 de l’arrêt attaqué, ne trouverait aucun écho dans la décision contestée ni dans les observations que le Royaume d’Espagne a présentées au cours de la procédure administrative.

99.

Ce grief doit, à mon avis, être accueilli. En effet, force est de constater que, nulle part dans la décision contestée, la Commission ne mentionne le maintien d’une certaine cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur en tant qu’objectif du système de référence qu’elle a identifié. Certes, le Tribunal confirme les constatations figurant dans cette décision lorsqu’il indique que le traitement fiscal de la survaleur s’organise autour du critère tiré de l’existence ou non d’un regroupement d’entreprises (points 116 et 118), et lorsqu’il explique, en rappelant les considérants 19 et 99 de cette décision, que cela est dû au fait que, à la suite d’une acquisition ou d’une contribution d’actifs composant des entreprises indépendantes ou encore d’une fusion ou d’une scission, « une survaleur [...] apparaît, comme actif incorporel distinct, dans la comptabilité de l’entreprise issue du regroupement » (point 117 de l’arrêt attaqué). De même, l’affirmation énoncée au point 116 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le traitement fiscal de la survaleur est en lien avec une logique comptable, est également conforme aux conclusions de la Commission dans la décision contestée (voir, en particulier, les considérants 97 à 100). Toutefois, c’est de manière totalement autonome par rapport à cette décision, et sur la base de sa propre interprétation des règles fiscales et comptables espagnoles, que le Tribunal conclut que l’objectif des règles concernant l’amortissement de la survaleur fiscale contenues dans la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés est la cohérence entre le traitement fiscal et comptable de la survaleur et que, au regard de cet objectif, la situation des entreprises qui investissent dans des sociétés espagnoles est comparable à celle des entreprises qui investissent dans des sociétés non résidentes.

1) Sur les conséquences du bien-fondé du grief tiré d’une substitution de motifs

100.

En vertu d’une jurisprudence constante, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs ( 105 ). Il y a donc lieu d’examiner si, malgré l’erreur commise par le Tribunal, le deuxième grief du premier moyen du pourvoi de WDFG devant le Tribunal, en ce qu’il reproche à la Commission de ne pas avoir démontré que les prises de participations dans des sociétés résidentes et celles dans des sociétés non résidentes étaient comparables au regard de l’objectif de neutralité fiscale poursuivi par la mesure litigieuse, doit en tout état de cause être rejeté.

101.

À cet égard, je rappelle tout d’abord que, selon la jurisprudence invoquée aux points 13 à 15 des présentes conclusions, l’examen de comparabilité à effectuer dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité doit être réalisé au regard de l’objectif du système de référence et non de celui de la mesure litigieuse. Dans la procédure de renvoi devant le Tribunal, WDFG a fait valoir que, dans la présente espèce, ces objectifs coïncidaient et résidaient tous deux dans la neutralité fiscale.

102.

Dans la décision contestée, tout en indiquant que la mesure litigieuse poursuivait également un objectif d’accroissement de la compétitivité internationale des entreprises espagnoles (considérant 112), la Commission a néanmoins examiné si elle pouvait être justifiée au regard du principe de neutralité fiscale. Comme WDFG l’a elle-même déclaré dans son recours devant le Tribunal, la Commission a écarté cette justification en invoquant une double motivation. D’une part, elle a rejeté l’argument avancé par le Royaume d’Espagne selon lequel un traitement différent des investissements étrangers était nécessaire en raison des obstacles aux fusions transfrontalières. Cette motivation figure aux considérants 92 à 95 de la décision contestée, dans la partie consacrée à la définition du « système de référence ». D’autre part, elle a considéré qu’en tout état de cause, la mesure litigieuse n’était pas proportionnée (considérants 107 à 114 et 118 de la décision contestée).

103.

En revanche, il ne semble pas, à la lecture de la décision contestée, que la Commission ait attribué l’objectif de neutralité fiscale invoqué par WDFG au système de référence qu’elle a identifié. Elle a considéré, en substance, sans indiquer explicitement l’objectif de ce système, que les entreprises investissant dans des sociétés nationales et celles investissant dans des sociétés étrangères se trouvaient dans une situation comparable au regard du régime instauré par la mesure litigieuse, qui prévoyait, par dérogation au système de référence, l’amortissement de la survaleur financière même dans le cas où la prise de participations n’était pas suivie d’une fusion ( 106 ). En d’autres termes, la Commission a considéré que pouvait constituer une discrimination, en l’absence de justification par le Royaume d’Espagne, la différenciation introduite par la mesure litigieuse entre les entreprises acquérant des participations dans des sociétés résidentes, qui doivent nécessairement procéder à une fusion pour amortir la survaleur, et celles qui acquièrent des participations dans des sociétés étrangères, qui bénéficient automatiquement de la possibilité d’opérer un tel amortissement, indépendamment du fait que l’opération vise à réaliser une fusion et indépendamment de la preuve de l’existence d’obstacles effectifs à la réalisation d’une telle fusion.

104.

Si cette façon de procéder peut ne pas sembler totalement conforme à l’analyse en trois étapes de la sélectivité telle que précisée par la jurisprudence la plus récente à partir de l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550), postérieur à la décision contestée, je ne pense pas que cette décision doive être annulée pour cette seule raison.

105.

Comme le Royaume d’Espagne l’affirme d’ailleurs clairement, la mesure litigieuse est une mesure corrective qui sert à remédier aux effets défavorables du traitement fiscal de la survaleur en général, en vertu duquel l’amortissement n’est autorisé qu’en cas de regroupements d’entreprises (ou en cas de contrôle et de présentation de comptes consolidés). Elle tend donc, de par sa nature même, à réserver un traitement favorable à une certaine catégorie d’entreprises, en l’occurrence à celles qui réalisent un certain type d’investissements, comme la Cour elle-même l’a d’ailleurs relevé aux points 62 et 119 de l’arrêt WDFG, au motif que, dans le cas contraire, ces entreprises seraient pénalisées par l’application du régime normal. Or, indépendamment des encadrements systématiques imposés par la jurisprudence, je considère que les différenciations introduites par des mesures de ce type doivent, en principe, s’apprécier non seulement au regard de la véracité des éléments de fait sur lesquels elles reposent, mais aussi au regard de leur proportionnalité ainsi que de leur capacité à atteindre l’objectif poursuivi, et donc dans le cadre de la troisième étape de l’analyse de la sélectivité, qui vise à vérifier si la différence de traitement introduite par une mesure dérogatoire a priori sélective est justifiée par la nature ou la structure du système fiscal dans lequel elle s’insère. Un tel contrôle serait, au contraire, systématiquement exclu s’il suffisait, dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité, d’invoquer, en tant qu’objectif du système de référence au regard duquel est à effectuer l’examen de comparabilité des situations faisant l’objet de différenciations, l’objectif général de neutralité fiscale dans lequel s’inscrit l’objectif spécifique de l’intervention corrective mise en œuvre par la mesure en cause.

106.

La neutralité fiscale est l’un des objectifs de tout régime fiscal et il ne fait aucun doute que le régime fiscal de la survaleur dans le cadre de l’impôt espagnol sur les sociétés s’inspire également de ce principe. Toutefois, comme le Tribunal l’affirme à juste titre aux points 146 et 147 de l’arrêt attaqué, l’objectif poursuivi par ce régime « n’est pas de permettre aux entreprises de bénéficier de l’avantage fiscal que constitue l’amortissement de la survaleur lorsqu’elles rencontrent des difficultés les empêchant de procéder à un regroupement d’entreprises ». C’est plutôt la mesure litigieuse qui vise à le faire. Accueillir le grief de WDFG reviendrait donc à admettre, en contradiction avec la jurisprudence la plus récente en matière de sélectivité, que l’examen de comparabilité dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité doit être effectué au regard de l’objectif de la mesure litigieuse et non de celui du système de référence, et cela indépendamment du fait que cet objectif n’ait pas été explicitement identifié dans la décision contestée et même si l’on doit considérer, comme l’affirme WDFG, que celui-ci réside dans la neutralité fiscale.

2) Conclusions sur la deuxième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne

107.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de déclarer que le Tribunal a interprété la décision contestée de manière erronée en substituant sa propre motivation à celle de cette décision, mais que cette erreur ne saurait entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué, puisque le grief de WDFG en lien avec lequel cette erreur a été commise doit, en tout état de cause, être rejeté.

108.

La deuxième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et la troisième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent donc, à mon avis, être rejetées dans leur ensemble.

3.   Sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et sur la quatrième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne : erreur de droit dans la répartition de la charge de la preuve

109.

Les requérants font valoir que, le Tribunal n’ayant pas examiné, lors des deux premières étapes de l’analyse de la sélectivité, quelles entreprises se trouvaient dans une situation comparable au regard de l’objectif du système de référence constitué par la neutralité fiscale, en reportant cet examen à la troisième étape, il a procédé à un renversement de la charge de la preuve, puisque ce n’est que dans le cadre de ces étapes que cette charge incombe à la Commission.

110.

Ce grief doit, à mon avis, être rejeté dans la mesure où il suppose que les requérants aient démontré que le Tribunal a commis une erreur dans la détermination de l’objectif du système de référence en considérant que ce dernier résidait dans la cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur et non dans la neutralité fiscale. Or, aux points 92 et 93 des présentes conclusions, je suis parvenu à la conclusion que les griefs visant à reprocher une telle erreur au Tribunal doivent être déclarés irrecevables, car ils tendent à remettre en cause l’interprétation du droit espagnol faite par le Tribunal, qui peut être assimilée, selon une jurisprudence constante, à une appréciation des faits ( 107 ).

111.

La troisième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG et la quatrième branche du moyen unique du pourvoi du Royaume d’Espagne doivent donc être considérées comme non fondées en fait.

4.   Sur la quatrième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG : proportionnalité

112.

Par la quatrième branche de son moyen unique de pourvoi, WDFG reproche au Tribunal d’avoir procédé à l’examen de la proportionnalité de la mesure litigieuse sans avoir préalablement apprécié la sélectivité prima facie de cette mesure au regard de l’objectif correct du système de référence.

113.

Le présent grief est fondé, comme le précédent, sur la prémisse qu’une erreur du Tribunal a été constatée dans l’examen de la comparabilité entre les entreprises auxquelles s’applique la mesure litigieuse et celles qui en sont exclues au regard de l’objectif correct du système de référence. Il doit donc, à mon avis, être rejeté pour les mêmes raisons que celles qui sont exposées aux points 110 et 111 des présentes conclusions.

5.   Sur la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG : lien de causalité

114.

À titre subsidiaire, WDFG soutient que les motifs de l’arrêt attaqué relatifs à la troisième étape de l’analyse de la sélectivité sont entachés d’une erreur de droit dans la mesure où le Tribunal aurait exigé du Royaume d’Espagne qu’elle prouve l’existence d’« un lien de causalité entre l’impossibilité de fusionner à l’étranger et la prise de participation à l’étranger ». WDFG fait valoir, d’une part, que ces motifs introduisent un élément d’analyse qui ne figure pas dans la décision contestée et qui est même contraire à sa ratio decidendi et, d’autre part, que la preuve exigée par le Tribunal est impossible à fournir.

115.

Le grief en cause est dirigé contre les points 180 à 189 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal, partant de la constatation que la mesure litigieuse « se fonde [...] nécessairement sur la prémisse selon laquelle les entreprises qui souhaitent procéder à des fusions transfrontalières et qui ne peuvent le faire en raison d’obstacles, notamment juridiques, au regroupement prennent par défaut des participations dans des sociétés non résidentes ou, pour le moins, conservent les participations dont elles disposent déjà » (point 180 de l’arrêt attaqué), a conclu que le Royaume d’Espagne, auquel il incombait de justifier la dérogation apportée au système de référence par la mesure litigieuse, n’avait pas établi une telle prémisse. Le Tribunal a constaté, en substance, que, la prise de participations étant une opération distincte de la fusion et ne constituant pas une alternative à cette dernière, la mesure litigieuse avait effectivement conféré un avantage aux sociétés souhaitant investir dans des sociétés étrangères, mais qui n’avaient pas forcément pour but de procéder à une fusion, c’est-à-dire à des sociétés différentes de celles qui auraient subi, selon le Royaume d’Espagne, les conséquences défavorables des règles générales sur l’amortissement de la survaleur.

116.

À cet égard, je relève tout d’abord que si, aux points contestés par le grief en cause, le Tribunal a conclu que le Royaume d’Espagne n’avait pas démontré que la mesure litigieuse neutralisait les effets supposément pénalisants du régime normal, celui-ci a toutefois poursuivi son analyse sur la base de l’hypothèse que cette démonstration avait été fournie (voir points 190 et 198 de l’arrêt attaqué). Les motifs contre lesquels ce grief est dirigé, comme cela est d’ailleurs expressément indiqué au point 199 de l’arrêt attaqué, ne sont donc pas les seuls sur lesquels est fondée la conclusion du Tribunal, selon laquelle la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que le Royaume d’Espagne n’avait pas justifié la différenciation introduite par la mesure litigieuse. Il s’ensuit que même si le grief en cause était accueilli, cette conclusion serait toujours étayée par d’autres motifs (exposés aux points 190 à 199 de l’arrêt attaqué). Or, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’un pourvoi, un moyen dirigé contre un motif surabondant de l’arrêt attaqué dont le dispositif est fondé à suffisance de droit sur d’autres motifs est inopérant et doit, dès lors, être rejeté ( 108 ).

117.

Je relève par ailleurs que si le raisonnement exposé aux points 180 à 189 de l’arrêt attaqué n’est pas formulé dans les mêmes termes dans la décision contestée, il ne contredit cependant pas la ratio decidendi de cette décision, contrairement à ce qu’affirme WDFG. Au contraire, il s’inscrit parfaitement dans la logique suivant laquelle la Commission a constaté le manque de cohérence et de proportionnalité de la mesure litigieuse par rapport à l’objectif allégué de neutralisation des effets défavorables du régime normal d’amortissement de la survaleur pour les entreprises prenant des participations dans des sociétés étrangères et qui sont dans l’impossibilité de réaliser des fusions transfrontalières ( 109 ). Quant à la prétendue impossibilité d’apporter la preuve requise par le Tribunal, je me contenterai de faire observer que celui-ci a considéré, en substance, comme cela ressort des points 188 et 189 de l’arrêt attaqué, que les effets neutralisants de la mesure litigieuse n’étaient pas établis en raison du caractère imprécis et vague de ladite mesure, qui ne permettaient pas de démontrer que son application bénéficiait à la catégorie d’entreprises désavantagées par le régime général. Or, lorsque l’État membre concerné invoque la nature corrective d’une mesure a priori sélective, il est logiquement tenu de fournir les éléments permettant de procéder à cette vérification, sans lesquels la mesure ne peut être considérée comme justifiée.

118.

Pour les raisons qui précèdent, la cinquième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG est, à mon avis, inopérante et, à titre subsidiaire, non fondée.

6.   Sur la sixième branche du moyen unique du pourvoi de WDFG : divisibilité de la mesure

119.

Par la sixième branche de son moyen unique, invoquée à titre subsidiaire, WDFG reproche au Tribunal d’avoir rejeté le moyen qu’elle avait soulevé à l’appui de l’annulation de la décision contestée, fondé sur l’absence de distinction, dans l’analyse de la Commission, entre les prises de participations minoritaires et les prises de participations majoritaires. WDFG souligne, d’une part, que toutes les opérations qu’elle a réalisées dans le cadre de la mesure litigieuse ont conduit à la prise de contrôle de la société acquise et, d’autre part, que le Royaume d’Espagne avait demandé à la Commission de procéder à une analyse distincte des deux situations. Selon WDFG, il découle de la jurisprudence que, si l’État membre concerné le demande, la Commission est tenue de procéder à une analyse distincte de la mesure examinée. Quant au caractère divisible de la mesure litigieuse, celui-ci résulterait du traitement procédural que la Commission a réservé à l’analyse de la mesure litigieuse, qui aurait donné lieu à trois décisions différentes ( 110 ).

120.

À cet égard, je relève tout d’abord que le grief en cause est dirigé contre les motifs surabondants de l’arrêt attaqué. En effet, l’argument de WDFG, selon lequel la Commission était tenue d’opérer une distinction entre les prises de participations dans des sociétés non résidentes impliquant une prise de contrôle et les autres prises de participations, a été rejeté à titre principal au point 205 de cet arrêt, dans lequel le Tribunal affirme que « l’incohérence qu’introduit la mesure litigieuse dans le traitement fiscal de la survaleur [serait introduite] y compris si [cette mesure] ne bénéficiait qu’aux prises de participations majoritaires dans des sociétés non résidentes ». C’est uniquement à titre surabondant que le Tribunal examine, aux points 206 à 215 de l’arrêt attaqué, si la Commission était tenue d’établir une distinction entre les différentes opérations qui bénéficiaient de l’application de la mesure litigieuse.

121.

En tout état de cause, les arguments avancés par WDFG pour contester la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu à l’issue de cet examen doivent, à mon avis, également être rejetés sur le fond.

122.

Premièrement, le Tribunal a distingué à juste titre, aux points 208 à 211 de l’arrêt attaqué, la présente affaire de celles qui ont donné lieu aux arrêts du 22 novembre 2001, Mitteldeutsche Erdöl-Raffinerie/Commission ( 111 ), et du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission ( 112 ). L’arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291), également invoqué par WDFG dans son pourvoi, est aussi dénué de pertinence. En effet, le régime en cause dans le litige au principal ayant donné lieu à cet arrêt introduisait plusieurs critères de différenciation, dont chacun a été examiné par la Cour afin d’apprécier s’il donnait lieu à une discrimination entre différentes catégories de contribuables. Deuxièmement, c’est, à mon avis, sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a constaté, au point 211 de l’arrêt attaqué, l’absence d’obligation pour la Commission de procéder à une analyse distincte des effets de la mesure litigieuse qui l’auraient conduite à modifier le contenu ou les conditions d’application de celle-ci. Enfin, le point 221 de l’arrêt attaqué, qui, selon WDFG, nierait la divisibilité de la mesure litigieuse, renvoie en fait aux conditions requises pour qu’une demande d’annulation partielle puisse être accueillie et exclut que ces conditions soient remplies en l’espèce, puisque « l’annulation de la décision contestée, en tant qu’elle constate l’existence d’une aide d’État y compris s’agissant de prises de participations majoritaires, aurait pour effet de modifier la substance de ladite décision. »

123.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la sixième branche du moyen unique de WDFG est, à mon avis, inopérante et, à titre subsidiaire, non fondée.

7.   Conclusions sur les pourvois de WDFG et du Royaume d’Espagne

124.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter les pourvois formés par WDFG et le Royaume d’Espagne dans leur ensemble.

C. Sur la demande de substitution de motifs de la Commission

125.

Dans l’hypothèse où le moyen unique du pourvoi de WDFG serait considéré comme fondé, la Commission demande à la Cour de procéder à une substitution de motifs et de déclarer le recours devant le Tribunal irrecevable. À cet égard, je rappelle qu’à la suite de l’arrêt WDFG, la Commission avait soulevé, dans le cadre de la procédure de renvoi devant le Tribunal, une exception d’irrecevabilité en invoquant, à titre principal, le défaut de qualité à agir de WDFG et, à titre subsidiaire, le défaut d’intérêt à agir. En se fondant sur l’arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer ( 113 ) (ci-après l’« arrêt Boehringer »), le Tribunal a néanmoins considéré, au point 30 de l’arrêt attaqué, qu’il était justifié d’examiner au fond le recours sans statuer préalablement sur cette exception ( 114 ).

126.

Contrairement à ce que soutient WDFG dans son mémoire en réplique, la demande de la Commission n’est pas irrégulière au motif qu’elle n’est pas présentée dans les formes prescrites par l’article 176, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour pour les pourvois incidents. En effet, conformément à l’article 178, paragraphe 1, de ce règlement, le pourvoi incident doit tendre à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal. En l’espèce, étant donné que ce dernier a statué sur le fond du recours de WDFG sans se prononcer sur sa recevabilité, la Commission n’aurait pas pu, dans le cadre d’un éventuel pourvoi incident, formuler des conclusions tendant à l’annulation de l’arrêt attaqué fondées sur l’irrecevabilité du recours en première instance ( 115 ). La demande de la Commission a donc été, à mon avis, correctement formulée en tant que demande de substitution de motifs et doit être tranchée sur le fond. Je note par ailleurs que même si la Cour jugeait cette demande irrégulière, elle devrait néanmoins se prononcer sur l’exception d’irrecevabilité du recours soulevée en première instance par la Commission, tout au moins dans l’hypothèse où, après avoir accueilli le pourvoi et annulé l’arrêt attaqué, elle déciderait d’évoquer l’affaire devant le Tribunal et de statuer sur le fond du recours en accueillant celui-ci. En revanche, si, dans les mêmes circonstances, la Cour décide de rejeter le recours, l’option retenue par le Tribunal, fondée sur l’arrêt Boehringer, resterait également ouverte. Enfin, je rappelle qu’en vertu d’une jurisprudence constante, la Cour, saisie d’un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, est tenue de se prononcer, au besoin d’office, sur la recevabilité d’un recours en annulation et, partant, sur le moyen d’ordre public tiré de la méconnaissance de la condition, posée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, selon laquelle un requérant ne peut demander l’annulation d’une décision dont il n’est pas le destinataire que s’il est directement et individuellement concerné par celle-ci ( 116 ).

127.

Dans la mesure où je propose à la Cour de rejeter les pourvois, je me limiterai ci-dessous à quelques brèves considérations sur le fond de la demande de la Commission.

128.

Par le premier moyen d’irrecevabilité, soulevé à titre principal, la Commission fait valoir que WDFG n’a pas démontré que l’amortissement de la survaleur financière auquel elle avait procédé en application de la mesure litigieuse portait sur une opération d’acquisition « directe », seule catégorie de prises de participations couverte par la décision contestée, comme en atteste la décision de la Commission du 15 octobre 2014 ( 117 ). Ce moyen doit, à mon avis, être rejeté. En effet, il ressort du recours devant le Tribunal, introduit le 14 mai 2010, d’une part, que c’est en application de la mesure litigieuse qu’Autogrill España (devenue WDFG) a procédé à l’amortissement de la survaleur financière résultant de l’opération en cause – consistant dans l’acquisition de la totalité des participations de la société britannique World Duty Free Europe en mai 2008 – et, d’autre part, que c’est sur la base de la décision contestée qu’Autogrill España a fait l’objet d’un ordre de récupération des sommes ainsi déduites. Dans ces circonstances, qui ne sont pas contestées par la Commission, il apparaît qu’Autogrill España a été considérée par les autorités espagnoles comme le bénéficiaire effectif du régime d’aides déclaré illégal, en dépit du fait que, à l’époque, les autorités administratives et judiciaires espagnoles interprétaient encore cette disposition comme ne s’appliquant qu’aux prises de participations directes ( 118 ), et que, au moment de l’introduction du recours, elle disposait de la qualité à agir contre cette décision, en exécution de laquelle un ordre de récupération avait été émis à son encontre. En ce qui concerne le second moyen d’irrecevabilité, soulevé à titre subsidiaire par la Commission et tiré de la perte de l’intérêt à agir de WDFG à la suite de l’adoption de la décision du 15 octobre 2014, je considère qu’il doit également être rejeté. En effet, en admettant que l’opération réalisée par Autogrill España soit couverte, en tant que prise de participations indirecte, par la décision de 2014, WDFG conserve un intérêt à agir contre la décision contestée, à tout le moins tant que l’ordre de récupération émis en exécution de cette décision n’est pas annulé.

V. Sur les dépens

129.

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable, mutatis mutandis, en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, à la procédure devant la Cour ayant pour objet un pourvoi contre une décision du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Dans la mesure où je propose à la Cour de rejeter les pourvois de WDFG et du Royaume d’Espagne, ces derniers doivent, à mon avis, être condamnés aux dépens, conformément aux conclusions formulées en ce sens par la Commission. En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour, « [l]orsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens ». Je propose donc à la Cour de déclarer que la République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.

VI. Conclusion

130.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter les pourvois, de condamner WDFG et le Royaume d’Espagne aux dépens et de déclarer que la République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.


( 1 ) Langue originale : l’italien.

( 2 ) T‑219/10 RENV, EU:T:2018:784.

( 3 ) C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) (JO 2011, L 7, p. 48).

( 4 ) C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1). Les autres affaires, dans lesquelles je présente mes conclusions ce jour, sont les affaires jointes C‑53/19 P, Banco Santander et Santusa/Commission, et C‑65/19 P, Espagne/Commission, et les affaires C‑50/19 P, Sigma Alimentos Exterior/Commission, C‑52/19 P, Banco Santander/Commission, C‑54/19 P, Axa Mediterranean/Commission, et C‑55/19 P, Prosegur Compañía de Seguridad/Commission.

( 5 ) JO 2007, C 311, p. 21.

( 6 ) BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951.

( 7 ) La survaleur est définie, au considérant 18 de la décision contestée, comme « la valeur de la bonne réputation du nom commercial, les bonnes relations avec les clients, la qualification des travailleurs et d’autres facteurs similaires qui permettent d’espérer qu’ils produiront à l’avenir des gains supérieurs aux gains apparents », et correspond « à l’écart entre le prix payé pour la prise de participation dans une entreprise et la valeur de marché des actifs qui font partie de l’entreprise », qui doit, en vertu des principes comptables espagnols, être enregistré dans la comptabilité comme actif corporel distinct lorsque l’entreprise acquiert la prise de participation dans l’entreprise acquise.

( 8 ) Selon le considérant 20 de la décision contestée, au sens du système fiscal espagnol, la « survaleur financière » équivaut à la survaleur qui aurait été enregistrée dans la comptabilité en cas de regroupement de l’entreprise acquérante et de l’entreprise acquise.

( 9 ) L’article 1er, paragraphe 2, de la décision contestée excluait de la déclaration d’incompatibilité et de l’ordre de récupération les déductions fiscales dont les bénéficiaires avaient profité lors de prises de participations intracommunautaires et octroyées conformément à la mesure litigieuse « en ce qui concerne des droits possédés directement ou indirectement dans des entreprises étrangères qui remplissent les conditions pertinentes du régime d’aides avant le 21 décembre 2007, à l’exception de la condition de posséder ces participations durant une période ininterrompue d’au moins un an ». En effet, la Commission a considéré que, jusqu’à cette date (correspondant à la publication au Journal officiel de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen), il existait, dans le chef des bénéficiaires de la mesure litigieuse, une confiance légitime quant à la légalité de cette mesure (voir considérants 165 à 168 de la décision contestée).

( 10 ) T‑219/10, EU:T:2014:939.

( 11 ) T‑399/11, EU:T:2014:938.

( 12 ) C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981.

( 13 ) Ayant été autorisés à intervenir dans la procédure de pourvoi devant la Cour, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne, bien qu’ils ne soient pas intervenus initialement devant le Tribunal, sont parties intervenantes dans la procédure reprise par ce dernier à la suite de l’annulation et du renvoi opéré par la Cour.

( 14 ) Les présents pourvois soulèvent des questions qui concernent la seule sélectivité matérielle, et non la sélectivité géographique, qui implique de déterminer si le régime juridique en cause a été arrêté au niveau national ou au niveau de l’autorité infraétatique intéressée ; voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, points 56 et 57).

( 15 ) Voir, entre autres, arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598, point 41), et du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 54), ainsi que arrêt WDFG, point 54.

( 16 ) La Cour a déjà précisé, dans l’arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 28, que le caractère fiscal de la mesure considérée ne suffisait pas à la mettre à l’abri de l’application des règles en matière d’aides d’État.

( 17 ) Voir arrêt WDFG, point 56 et jurisprudence citée.

( 18 ) Comme la Cour l’a précisé, il s’agit d’une méthode dont l’application ne se limite pas au seul examen des mesures fiscales, voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 55).

( 19 ) C‑203/16 P, EU:C:2018:505.

( 20 ) C‑374/17, EU:C:2018:1024.

( 21 ) Voir, entre autres, arrêt Andres, points 80 et 88.

( 22 ) Voir arrêt WDFG, point 57 et jurisprudence citée (arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

( 23 ) Voir l’arrêt WDFG, point 58.

( 24 ) Voir, entre autres, arrêts du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano (C‑148/04, EU:C:2005:774, point 49), et du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, EU:C:2000:467, point 22).

( 25 ) Voir, entre autres, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71, point 33) ; du 29 avril 2004, Pays-Bas/Commission (C‑159/01, EU:C:2004:246, points 42 et 43) ; du 29 mars 2012, 3M Italia (C‑417/10, EU:C:2012:184, point 40), et arrêt WDFG, point 58.

( 26 ) On songera, pour prendre un cas paradigmatique, à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Andres.

( 27 ) C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732.

( 28 ) Voir le point 101 de l’arrêt Gibraltar, dans lequel la Cour mentionne pour la première fois la notion de « discrimination » dans le cadre de l’examen de la sélectivité des aides. Le parallèle entre les deux notions est toutefois ancré dans des décisions plus anciennes, telles que, notamment, l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598, point 41), dans lequel est née l’idée que la sélectivité devait être constatée en appréciant l’existence d’une inégalité de traitement entre des groupes d’entreprises se trouvant dans une situation comparable. Pour une affirmation expresse du lien entre la sélectivité et la discrimination, voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 53).

( 29 ) Voir, en ce sens, entre autres, arrêts du 28 juillet 2011, Mediaset/Commission (C‑403/10 P, non publié, EU:C:2011:533, point 36) ; du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9, points 53 à 55) ; du 4 juin 2015, Commission/MOL (C‑15/14 P, EU:C:2015:362, point 59), ainsi que arrêts Gibraltar, points 75 et 101 ; Andres, point 83, et WDFG, points 54, 86 et 93, et, de manière explicite, également en dehors du droit fiscal, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 53 et 55).

( 30 ) Voir aussi arrêts du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 53), rendu le même jour que l’arrêt WDFG, et du 14 janvier 2015, Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9, point 53). La même position est exprimée dans plusieurs conclusions récentes d’avocats généraux ; voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires Eventech (C‑518/13, EU:C:2014:2239, point 35) et Commission/MOL (C‑15/14 P, EU:C:2015:32, point 54) ; de l’avocat général Kokott dans l’affaire Finanzamt Linz (C‑66/14, EU:C:2015:242, point 82) ; de l’avocat général Bobek dans l’affaire Belgique/Commission (C‑270/15 P, EU:C:2016:289, point 29), et de l’avocat général Wathelet dans les affaires jointes Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:624, point 80).

( 31 ) Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas les interventions étatiques selon les causes ou les objectifs, mais les définit en fonction de leurs effets ; voir, entre autres, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71, point 27), et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 85 et 89), ainsi que Gibraltar, point 87.

( 32 ) Voir arrêt Andres, point 91.

( 33 ) Voir, entre autres, arrêts Gibraltar, point 101, et WDFG, point 67. Pour une définition de la « sélectivité de fait », voir le point 121 de la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, [TFUE], C/2016/2946 (JO 2016, C 262, p. 1, ci-après « la communication sur la notion d’“aide d’État” »).

( 34 ) Selon la communication sur la notion d’« aide d’État », la sélectivité de jure « résulte directement des critères juridiques appliqués à l’octroi d’une aide qui est formellement réservée à certaines entreprises » (voir point 121).

( 35 ) Arrêt Gibraltar, points 91 et 93 et 103 à 107.

( 36 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2017:854, point 82).

( 37 ) Voir, par exemple, les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757) ; du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551), ainsi que celles ayant donné lieu aux arrêts Andres et WDFG.

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêts Gibraltar et WDFG. L’identification concrète du caractère discriminatoire du régime en cause, compte tenu notamment de la difficulté de l’examen, laisse cependant la place à des solutions plus restrictives ; voir, par exemple, mais pas dans le domaine fiscal, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971).

( 39 ) Voir, par exemple, conclusions des avocats généraux Kokott dans l’affaire Finanzamt Linz (C‑66/14, EU:C:2015:242, points 113 à 115), et Saugmandsgaard Øe dans l’affaire A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:741, points 74 à 81). Voir encore les positions de l’Irlande, de l’Espagne et de l’Allemagne dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt WDFG, telles que reproduites au point 52 de cet arrêt, et, comme nous le verrons en détail par la suite, la réticence à accepter la solution retenue par la Cour dans cet arrêt, que le gouvernement allemand a manifestée dans ses observations dans les présentes affaires.

( 40 ) Voir arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 38 et jurisprudence citée).

( 41 ) Voir notamment points 44 et 45, 53 et 62 de l’arrêt Autogrill España/Commission.

( 42 ) Voir points 67 et 68 de l’arrêt Autogrill España/Commission.

( 43 ) Il s’agit des arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, non publié, EU:C:1969:68) ; du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, EU:C:1988:284), et du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C‑501/00, EU:C:2004:438).

( 44 ) Voir points 79 à 81 de l’arrêt Autogrill España/Commission.

( 45 ) Voir point 62 de l’arrêt WDFG.

( 46 ) Voir point 67 de l’arrêt WDFG.

( 47 ) Voir point 69 de l’arrêt WDFG.

( 48 ) Voir point 81 de l’arrêt WDFG.

( 49 ) Voir point 93 de l’arrêt WDFG.

( 50 ) Jusqu’à l’arrêt WDFG, la possibilité de considérer comme sélectif un avantage accessible à toutes les entreprises sans distinction, bien que subordonné à la réalisation d’une opération donnée, semblait se heurter à la limite tirée de la non-sélectivité de principe des mesures générales. Dans cet arrêt, la Cour a, en revanche, précisé que, aux fins de l’appréciation du caractère sélectif d’une mesure, on devait également tenir compte de l’existence d’une inégalité de traitement rattachable au comportement des entreprises. Il s’agit, à mon avis, de l’aspect le plus sensible de l’arrêt WDFG, que le Tribunal a voulu souligner, non sans un accent légèrement critique, aux points 82 et 83 de l’arrêt attaqué.

( 51 ) Voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:741, points 74 à 81). Voir également conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2017:854, point 85), qui tendent à relativiser la portée de l’arrêt en soulignant le caractère d’incitation à l’exportation de la mesure litigieuse.

( 52 ) Voir en particulier arrêt A-Brauerei, dans lequel la Cour, bien qu’elle ait été mise en garde par l’avocat général Saugmandsgaard Øe (C‑374/17, EU:C:2018:741, point 115) sur les conséquences d’une lecture restrictive de l’arrêt WDFG, a confirmé l’approche retenue dans ce dernier même en dehors du contexte spécifique dans lequel il avait été rendu.

( 53 ) Voir points 77 à 89 de l’arrêt attaqué.

( 54 ) Toutefois, je note qu’il y a eu des lectures différentes de l’arrêt WDFG [voir conclusions des avocats généraux Wahl dans l’affaire Andres/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2017:1017, point 107), et Kokott dans les affaires jointes ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2017:854, point 85)], d’après lesquelles la Cour aurait pris position sur le système de référence ou sur la sélectivité de la mesure litigieuse.

( 55 ) Dans son mémoire en réponse présenté dans l’affaire C‑51/19, le Royaume d’Espagne souligne que le pourvoi de WDFG correspond, en substance, à son moyen unique de pourvoi et au raisonnement qu’il y développe.

( 56 ) Voir, entre autres, arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil (C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 95), et du 28 février 2019, Alfamicro/Commission (C‑14/18 P, EU:C:2019:159, point 38).

( 57 ) Voir arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission (C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 17) ; du 10 avril 2014, Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission (C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 102) ; du 20 décembre 2017, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a. (C‑677/15 P, EU:C:2017:998, point 28) ; du 6 septembre 2018, République tchèque/Commission (C‑4/17 P, EU:C:2018:678, point 24), et, enfin, du 26 février 2020, SEAE/Alba Aguilera e.a. (C‑427/18 P, EU:C:2020:109, point 54).

( 58 ) À cet égard, je relève que, aux points 32 et 33 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que le deuxième grief du premier moyen de pourvoi de WDFG était tiré d’une « erreur dans l’identification du système de référence », et que ce grief était étayé par une argumentation globale, susceptible de s’appliquer au troisième moyen, tiré du caractère justifié de la mesure litigieuse au regard de la nature et de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit. Au point 94 de l’arrêt attaqué, le Tribunal indique que les arguments de WDFG le conduisent « à s’interroger sur la pertinence du cadre de référence choisi par la Commission en l’espèce ».

( 59 ) Voir points 92 à 141 de l’arrêt attaqué.

( 60 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission (C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 60).

( 61 ) Point 133.

( 62 ) Voir arrêt WDFG, point 57. Mise en italique par mes soins.

( 63 ) L’avocat général Saugmandsgaard Øe, dans ses conclusions dans l’affaire A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:741, points 121 à 140), a illustré ces difficultés de manière particulièrement efficace. Voir également conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Andres/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2017:1017, points 101 à 105).

( 64 ) Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2017:854, point 88).

( 65 ) Voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:741).

( 66 ) Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Andres/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2017:1017, point 101).

( 67 ) Voir, en ce sens, arrêt Andres, point 89.

( 68 ) À cet égard, la Cour a souligné que « l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite “normale” » ; voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56) ; du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 55), ainsi qu’arrêt Andres, points 88 et 89.

( 69 ) Toutefois, il a déjà été précisé ci-dessus que cela s’applique aux mesures sélectives de jure, puisque la méthode d’analyse en trois étapes n’est pas applicable dans le cas des mesures sélectives de facto.

( 70 ) Comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551).

( 71 ) La Cour a déjà eu l’occasion de préciser, dans l’arrêt Andres (point 103), que la sélectivité d’une mesure fiscale ne saurait être justement appréciée à l’aune d’un cadre de référence constitué de quelques dispositions qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large.

( 72 ) Je suis bien conscient de la difficulté de cette tâche et de la solidité des arguments de ceux qui pensent que le système de référence n’est (et ne peut être) rien d’autre que le résultat d’un choix subjectif. Cependant, étant donné le caractère essentiel que cette notion a acquis dans l’analyse de la sélectivité des mesures fiscales, je pense qu’il est plus utile d’essayer de trouver une façon de « vivre avec » cette notion plutôt que de continuer à mettre en évidence les difficultés objectives d’application pratique qu’elle génère.

( 73 ) Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Andres/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2017:1017, point 106).

( 74 ) En ce sens, voir Ismer, R. et Piotrowski, S., Selectivity in Corporate Tax Matters After World Duty Free: A Tale of Two Consistencies Revisited, Intertax, 2018, p. 156 à 158.

( 75 ) C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291.

( 76 ) C‑487/06 P, EU:C:2008:757.

( 77 ) Comme le montrent les conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire A‑Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:741, points 149 à 159), la prise en compte des objectifs du législateur introduit un (autre) élément de subjectivité dans la détermination du système de référence et rend l’opération beaucoup plus complexe. Je constate également que, dans la partie des motifs de l’arrêt de la Cour relatifs à la détermination du système de référence, il n’y a aucune trace de l’intense débat portant sur les objectifs de la réglementation pertinente dont l’avocat général Saugmandsgaard Øe fait état dans ses conclusions.

( 78 ) WDFG renvoie en particulier aux points 92 à 140 de l’arrêt attaqué.

( 79 ) Voir arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (C‑164/98 P, EU:C:2000:48, point 38) ; du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 141), et du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission (C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 89).

( 80 ) C‑164/98 P, EU:C:2000:48.

( 81 ) Point 42.

( 82 ) Mise en italique par mes soins.

( 83 ) À cet égard, je constate que, au considérant 22 de la décision contestée, la Commission considère l’article 89, paragraphe 3, du TRLIS, qui régit l’amortissement de la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés établies en Espagne en cas de regroupement d’entreprises, comme une application de l’article 11, paragraphe 4, du TRLIS, qui fixe les conditions d’amortissement de la survaleur résultant d’une prise de participations aux fins de la détermination de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés.

( 84 ) Voir considérant 18 de la décision contestée.

( 85 ) Voir considérant 19 de la décision contestée.

( 86 ) Voir considérant 89 et sous A.2 de la décision contestée.

( 87 ) Mise en italique par mes soins.

( 88 ) C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550.

( 89 ) C‑279/08 P, EU:C:2011:551.

( 90 ) Au point 49 de cet arrêt, qui constitue une première formulation de la méthode d’analyse en trois étapes, la Cour expose ce qui sera ensuite repris de manière constante dans la jurisprudence ultérieure, à savoir qu’il convient, dans un premier temps, d’identifier le régime fiscal commun ou « normal » et, dans un second temps, d’établir le caractère éventuellement dérogatoire de la mesure en cause par rapport à ce régime, en vérifiant si cette mesure introduit des différenciations entre entreprises se trouvant, au regard de l’objectif assigné à ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable. Aux points 50 à 62 dudit arrêt, la Cour s’en est tenue strictement à cette méthode, en identifiant, dans un premier temps, le régime juridique de référence dans l’impôt sur les sociétés (point 50) et en vérifiant, dans un second temps, le caractère dérogatoire de l’exonération de cet impôt prévue en faveur des coopératives (points 51 et 52), et en appréciant si la situation de ces sociétés pouvait être considérée comme comparable à celle des sociétés commerciales (points 54 à 62). Enfin, la Cour a également évoqué, au point 64, l’objet de la troisième étape de l’examen de la sélectivité.

( 91 ) Dans l’arrêt du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2011:551), la Cour applique, bien qu’avec moins de rigueur schématique, une méthode d’analyse similaire à celle de l’arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550), en identifiant, dans un premier temps, le système de référence dans la législation nationale qui impose aux entreprises dont les opérations provoquent des émissions de NOx des obligations en matière de limitation ou de réduction de ces émissions (point 64), et en constatant, dans un second temps, qu’en ce qui concerne l’objectif environnemental et de gestion de la pollution atmosphérique de cette législation, les entreprises bénéficiaires de la mesure en question et celles qui en sont exclues, mais qui sont soumises aux mêmes obligations de réduction des émissions de NOx, se trouvaient dans une situation comparable. Voir également les conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Commission/Pays-Bas (C‑279/08 P, EU:C:2010:799, points 43 et 44).

( 92 ) Voir point 50 des présentes conclusions.

( 93 ) Voir point 126.

( 94 ) Voir point 134 de l’arrêt attaqué.

( 95 ) Voir point 127 de l’arrêt attaqué.

( 96 ) Voir arrêt Andres, point 92.

( 97 ) Voir également point 93 de l’arrêt Andres.

( 98 ) 173/73, non publiées, EU:C:1974:52, p. 728.

( 99 ) Je note par ailleurs que les conclusions susvisées de l’avocat général Warner contiennent une évaluation plus détaillée de la mesure en cause dans l’affaire 173/73, consistant dans le dégrèvement temporaire de certaines charges sociales en faveur du secteur textile et visant à rééquilibrer le désavantage que le système précédent entraînait pour les secteurs ayant une proportion élevée de travailleurs de sexe féminin. L’avocat général Warner a exclu que cette mesure puisse instituer un régime fiscal autonome non seulement parce qu’elle avait pour objet de résoudre un problème particulier à un secteur industriel déterminé, mais aussi en raison de son caractère limité dans le temps, puisqu’elle avait été prévue dans le cadre d’une loi visant « la restructuration, la réorganisation et la conversion » de ce secteur industriel, ainsi que de l’observation qu’elle n’était pas fondée sur un critère général lié à la proportion de travailleurs de sexe féminin dans diverses industries.

( 100 ) Voir arrêt Andres, point 77 et jurisprudence citée.

( 101 ) Voir arrêt Andres, point 78, ainsi que, dans un sens analogue, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 79 et jurisprudence citée) ; du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission (C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 98), et du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 75).

( 102 ) Voir arrêt Andres, point 78, ainsi que, dans un sens analogue, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 83), et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 61 à 63).

( 103 ) En l’espèce, une telle allégation n’a pas été formulée expressément et, en tout état de cause, malgré les arguments avancés notamment par l’Espagne, je ne considère pas qu’une dénaturation des dispositions du droit national ressorte clairement du dossier, contrairement à ce que requiert la jurisprudence, arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 75).

( 104 ) Voir, par analogie, arrêt Andres, point 80.

( 105 ) Arrêt du 9 juin 2011, Comitato  Venezia vuole vivere  e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 118 et jurisprudence citée).

( 106 ) Plusieurs passages de la décision contestée vont dans ce sens ; voir, en particulier, les considérants 89 à 91.

( 107 ) Voir points 92 et 93 des présentes conclusions.

( 108 ) Voir, par exemple, arrêt du 21 décembre 2011, ACEA/Commission (C‑319/09 P, non publié, EU:C:2011:857, point 120 et jurisprudence citée).

( 109 ) Voir, en particulier, considérant 91 de la décision contestée, cité au point 189 de l’arrêt attaqué. Voir également considérant 113 de cette décision.

( 110 ) La troisième décision est la décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38) (ci-après la « décision du 15 octobre 2014 »).

( 111 ) T‑9/98, EU:T:2001:271.

( 112 ) C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368.

( 113 ) C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52.

( 114 ) L’inversion de l’ordre logique ou naturel de l’examen des voies de recours qu’implique l’application de la jurisprudence dite « Boehringer » dans le cas où le juge de l’Union rejette le recours sur le fond même si une exception d’irrecevabilité a été soulevée – en particulier si elle est d’ordre public et qu’elle est soulevée par un acte séparé demandant au juge de statuer sans engager le débat au fond – a fait l’objet de critiques ; voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Suisse/Commission (C‑547/10 P, EU:C:2012:565, points 46 à 54) ; de l’avocat général Bot dans l’affaire Philips Lighting Poland et Philips Lighting/Conseil (C‑511/13 P, EU:C:2015:206, points 50 à 67) ; de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire SNCF Mobilités/Commission (C‑127/16 P, EU:C:2017:577, point 163), et de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, EU:C:2001:511, points 30 à 36). Nonobstant ces critiques, la jurisprudence Boehringer continue à être appliquée, que ce soit par le Tribunal (voir, en dernier lieu, arrêt du 11 novembre 2020, AV et AW/Parlement, T‑173/19, non publié, EU:T:2020:535, point 42), ou par la Cour (pour une application récente dans le cadre d’un pourvoi, voir arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 68).

( 115 ) Je note par ailleurs que nous ne sommes pas, en l’espèce, dans l’un des cas visés par l’article 178, paragraphe 2, du règlement de procédure, selon lequel les conclusions du pourvoi incident « peuvent également tendre à l’annulation d’une décision, explicite ou implicite, relative à la recevabilité du recours devant le Tribunal ».

( 116 ) Voir arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission (C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 18) ; du 20 septembre 2018, Espagne/Commission (C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 48), et du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission (C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 44). L’existence d’une obligation de vérifier, au besoin d’office, les conditions de recevabilité du recours devant le Tribunal ne semble cependant pas priver la Cour de la possibilité d’appliquer la jurisprudence Boehringer (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 68).

( 117 ) Par cette décision, la Commission s’est prononcée sur l’interprétation administrative contraignante (avis contraignant) de la mesure litigieuse, adoptée par les autorités espagnoles le 21 mars 2012 et applicable rétroactivement. À la suite de l’adoption de la décision contestée et de la décision du 14 janvier 2011, l’Espagne a inséré un nouvel alinéa à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. Bien que l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ait été déclaré comme constituant une aide illégale et incompatible, il n’a pas été formellement abrogé, puisqu’il pouvait toujours être appliqué par les bénéficiaires qui pouvaient avoir une confiance légitime dans le fait de penser que l’aide octroyée ne serait pas récupérée et pour lesquels il a été reconnu que la période de transition établie dans les décisions précitées était applicable (voir note 9 des présentes conclusions et considérant 30 de la décision du 15 octobre 2014). Concernant le concept des prises de participations directes et indirectes, je renvoie aux considérants 25 et 26 de cette décision.

( 118 ) Voir considérants 33 à 36 de la décision du 15 octobre 2014.