CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 18 septembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑622/18

AR

contre

Cooper International Spirits LLC,

St Dalfour SAS,

Établissements Gabriel Boudier SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations des États membres sur les marques – Déchéance d’une marque pour absence d’usage sérieux – Droit pour le titulaire de la marque de s’opposer à l’usage par un tiers d’un signe identique ou similaire pour la période antérieure à la date d’effet de la déchéance »

1. 

Est-ce que le titulaire d’une marque, qui ne l’a jamais exploitée et a été déclaré déchu de ses droits sur celle-ci pour défaut d’usage sérieux à l’expiration du délai de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement, peut agir en contrefaçon et demander l’indemnisation du préjudice qu’il aurait subi en raison de l’utilisation par un tiers, antérieurement à la date de prise d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ?

2. 

Telle est, en substance, la question posée par la Cour de cassation (France) dans la demande de décision préjudicielle faisant l’objet des présentes conclusions, qui porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), et des articles 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques ( 2 ).

3. 

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AR aux sociétés Cooper International Spirits LLC (ci-après « Cooper International »), Établissements Gabriel Boudier SA (ci-après « Établissements Boudier ») et St Dalfour SAS (ci-après « Dalfour ») au sujet de prétendus actes de contrefaçon de la marque française enregistrée « SAINT GERMAIN », commis antérieurement à la déchéance de cette dernière.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

4.

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95 énonce :

« La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a)

d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)

d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque. »

5.

L’article 10 de la directive 2008/95, intitulé « Usage de la marque », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la procédure d’enregistrement est terminée, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise aux sanctions prévues dans la présente directive, sauf juste motif pour le non-usage. »

6.

Sous le titre « Motifs de déchéance », l’article 12 de la directive 2008/95 dispose, à son paragraphe 1 :

« Le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage. »

B.   Le droit français

7.

L’article R. 712-23 du code de la propriété intellectuelle précise que « [l]a date à laquelle une marque est réputée enregistrée, notamment pour l’application des articles L. 712-4 et L. 712-5, est : 1° [p]our les marques françaises, celle du Bulletin officiel de la propriété industrielle dans lequel l’enregistrement est publié ».

8.

Aux termes de l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, « [l]’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés ».

9.

L’article L. 713-2 de ce code, qui prohibe les actes désignés, en droit des marques français, comme actes de « contrefaçon par reproduction », dispose :

« Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a)

la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement [...] »

10.

L’article L. 713-3, sous b), du même code, qui vise en revanche les actes relevant de la catégorie de la « contrefaçon par imitation », dispose que « [s]ont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public [...], [l]’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».

11.

L’article L. 714-5, premier alinéa, du code de la propriété intellectuelle dispose :

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. »

12.

Le dernier alinéa de cet article prévoit que « [l]a déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu ».

II. Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

13.

AR, requérant au principal, était titulaire de la marque française semi-figurative « SAINT GERMAIN », déposée le 5 décembre 2005 et dont l’enregistrement a été publié le 12 mai 2006, pour désigner, notamment, les produits « boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs, vins et spiritueux, extraits ou essences alcooliques » (ci-après : « les produits en cause dans le litige au principal »).

14.

Ayant appris que Cooper International, établie aux États-Unis, distribuait une liqueur de sureau sous la dénomination « St‑Germain », fabriquée par Dalfour et un sous-traitant de cette dernière, Établissements Boudier, AR a, le 8 juin 2012, assigné ces trois sociétés (ci-après, ensemble, les « défenderesses au principal ») devant le tribunal de grande instance de Paris (France) en contrefaçon de marque par reproduction ou, subsidiairement, par imitation.

15.

Dans une instance parallèle, engagée par la société de droit américain Osez vous ? International Spirits LLC ( 3 ), le tribunal de grande instance de Nanterre (France), par un jugement du 28 février 2013, ayant retenu que AR n’avait pas fait la démonstration d’un usage sérieux de la marque française « SAINT GERMAIN » depuis son dépôt, a prononcé la déchéance de ses droits sur celle-ci pour les produits en cause dans le litige au principal à compter du 13 mai 2011, à savoir à l’expiration du délai de cinq ans ayant couru depuis la date de publication de l’enregistrement de la marque. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Versailles (France) du 11 février 2014, lequel, n’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi, est devenu irrévocable.

16.

Devant le tribunal de grande instance de Paris, AR a maintenu ses demandes en contrefaçon pour la période non couverte par la prescription et antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.

17.

Par jugement du 16 janvier 2015, ce tribunal, après avoir retenu qu’aucune exploitation de la marque en question n’était intervenue depuis son dépôt, a rejeté l’intégralité des demandes de AR (ci-après le « jugement du tribunal de grande instance de Paris »).

18.

La cour d’appel de Paris (France), par arrêt du 13 septembre 2016, a confirmé ce jugement (ci-après : l’« arrêt de la cour d’appel de Paris »). Après avoir considéré, au vu des dissemblances entre les signes en conflit, que la contrefaçon alléguée par AR ne pouvait être appréhendée qu’au regard de l’article L. 713‑3 du code de la propriété intellectuelle, à savoir en tant qu’acte de contrefaçon par imitation, la cour d’appel de Paris a considéré que l’appréciation du risque de confusion dans l’esprit du public suppose que la marque invoquée ait fait l’objet d’une exploitation la mettant au contact des consommateurs. À cet égard, elle a d’abord rappelé que le tribunal de grande instance de Nanterre, approuvé par la cour d’appel de Versailles, avait prononcé la déchéance partielle des droits de AR sur la marque en cause au principal pour défaut d’usage sérieux. Ensuite, après avoir examiné les documents versés aux débats par AR, elle a constaté que ce dernier avait échoué à démontrer que sa marque avait été réellement exploitée. Elle a, dès lors, conclu que AR ne pouvait arguer utilement ni d’une atteinte à la fonction de garantie d’origine de cette marque, qui n’avait pas été mise au contact du public ( 4 ), ni au monopole d’exploitation conféré par celle-ci ( 5 ).

19.

Le 21 décembre 2016, AR s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Au soutien de son pourvoi, il fait valoir une violation des articles L. 713‑3 et L. 714‑5 du code de la propriété intellectuelle. Il fait grief à la cour d’appel de Paris d’avoir rejeté ses actions en contrefaçon alors que, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de sa marque, il était en droit d’interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire et susceptible de porter atteinte aux fonctions de ladite marque, sans devoir démontrer un usage sérieux de celle-ci et, partant, sans démontrer qu’elle a été effectivement exploitée. AR fait valoir que, dans la mesure où c’est l’enregistrement qui détermine l’objet du droit exclusif sur la marque, le risque de confusion au sens de l’article L. 713‑3 du code de la propriété intellectuelle doit être apprécié de façon abstraite, en se référant à l’objet de l’enregistrement de la marque invoquée, le cas échéant non exploitée, et non par rapport à une situation concrète sur le marché et qu’ainsi, un risque de confusion peut exister, et, par conséquent, la contrefaçon être caractérisée, en présence d’une marque non exploitée et donc inconnue des consommateurs. Il fait valoir, en outre, qu’il n’est pas nécessaire que la marque protégée soit effectivement exploitée pour vérifier si elle exerce ses fonctions, qu’il suffit que le signe litigieux porte atteinte aux fonctions « potentielles » de la marque et que la contrefaçon a toujours été appréciée en référence à l’usage du signe contrefaisant et non à l’usage du signe enregistré.

20.

De leur côté, les défenderesses au principal soutiennent que l’usage d’un signe n’est susceptible de porter atteinte au droit exclusif du titulaire de la marque que s’il compromet l’une de ses fonctions, qu’une marque n’exerce sa fonction essentielle que si elle est effectivement exploitée par son titulaire pour indiquer l’origine commerciale des produits ou services désignés dans son enregistrement et que, faute d’exploiter sa marque conformément à sa fonction essentielle, le titulaire ne saurait se plaindre d’une quelconque atteinte ou d’un quelconque risque d’atteinte à cette fonction. Elles font valoir que, de fait, dès lors que le titulaire n’utilise pas sa marque pour distinguer ses produits, il n’y a aucun risque que le public soit conduit à établir le moindre lien entre lesdits produits et ceux d’un tiers qui ferait usage d’un signe similaire et qu’il puisse se méprendre sur l’origine des produits en cause. Selon ces sociétés, le droit des marques serait détourné de sa finalité et ne jouerait plus son rôle d’élément essentiel d’un système de concurrence non faussée, si l’on devait admettre que celui qui s’est contenté de déposer une marque, sans jamais l’exploiter, puisse se réserver la possibilité de réclamer des dommages-intérêts à des tiers qui exploiteraient des signes similaires. Cela reviendrait à reconnaître à ce titulaire un avantage concurrentiel totalement indu.

21.

La juridiction de renvoi déduit de ce que le moyen de cassation est tiré de la violation de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, que AR ne critique pas l’arrêt de la cour d’appel de Paris en ce qu’il n’a examiné la contrefaçon qu’au regard de cet article, qui requière, pour qu’il y ait contrefaçon, que soit établie l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public ( 6 ). Renvoyant à l’arrêt du 18 juin 2009, L'Oréal e.a. (C‑487/07, EU:C:2009:378, points 58 et 59), cette juridiction estime que, s’agissant d’apprécier la contrefaçon par imitation, seule est à rechercher l’atteinte qui aurait été portée à la fonction essentielle de la marque, en raison d’un tel risque de confusion.

22.

La juridiction de renvoi rappelle que, dans l’arrêt du 21 décembre 2016, Länsförsäkringar (C‑654/15, EU:C:2016:998, ci‑après : l’« arrêt Länsförsäkringar »), la Cour, se prononçant sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 ( 7 ), a dit pour droit que, au cours de la période de cinq ans qui suit l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, son titulaire peut, en cas de risque de confusion, interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à sa marque pour tous les produits et les services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée, sans devoir démontrer un usage sérieux de ladite marque pour ces produits ou ces services. Tout en soulignant que l’interprétation retenue dans cet arrêt est transposable à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, étant donné la similarité entre les textes des deux dispositions, cette juridiction souligne que la situation dont la Cour a eu à connaître dans ledit arrêt, dans laquelle la période de cinq ans n’était pas encore écoulée et dans laquelle aucune demande en déchéance pour défaut d’usage sérieux n’avait, par hypothèse, pu être formée, n’est pas la même que celle qui se présente dans le litige au principal. Celui-ci poserait la question de savoir si celui qui n’a jamais exploité sa marque et qui a été déchu de ses droits sur celle-ci à l’expiration du délai de cinq ans peut se plaindre d’avoir subi une atteinte à la fonction essentielle de sa marque et un préjudice, à raison de l’usage qui aurait été fait, par un tiers, d’un signe identique ou similaire au cours de la période de cinq ans ayant suivi l’enregistrement de la marque, et demander des dommages-intérêts.

23.

C’est dans ce contexte que, par décision du 26 septembre 2018, la Cour de cassation a prononcé le sursis à statuer dans la procédure pendante devant elle et a posé la question préjudicielle suivante :

« Les articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive [2008/95] doivent-ils être interprétés en ce sens que le titulaire, qui n’a jamais exploité sa marque et a été déchu de ses droits sur celle-ci à l’expiration de la période de cinq ans suivant la publication de son enregistrement, peut obtenir l’indemnisation d’un préjudice pour contrefaçon, en invoquant une atteinte portée à la fonction essentielle de sa marque, causée par l’usage par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire à ladite marque pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée ? »

24.

L’affaire faisant l’objet des présentes conclusions a bénéficié d’observations écrites déposées par AR, Cooper International (conjointement avec Dalfour), Établissements Boudier, le gouvernement français et la Commission européenne. Ces intéressés ont présenté leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 12 juin 2019.

III. Analyse

A.   Le régime de la déchéance et sa ratio

25.

Le droit des marques harmonisé des États membres, tout comme le système de la marque de l’Union européenne, est fondé sur la reconnaissance de droits privatifs aux seuls titulaires de signes distinctifs destinés à être utilisés dans le commerce et donc à être présents sur le marché.

26.

Ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816, point 32), il résulte, en effet, du considérant 9 de la directive 2008/95 ( 8 ), que le législateur de l’Union a entendu soumettre le maintien des droits liés à la marque nationale à la condition qu’elle soit effectivement utilisée.

27.

Cette condition d’usage, d’une part, vise à assurer que la marque enregistrée exerce sa fonction distinctive concrètement et non seulement potentiellement et, d’autre part, poursuit des objectifs pro‑concurrentiels.

28.

Une marque non utilisée est, en effet, susceptible de faire obstacle à la concurrence, « en limitant l’éventail des signes qui peuvent être enregistrés par d’autres en tant que marque et en privant les concurrents de la possibilité d’utiliser cette marque ou une marque similaire lors de la mise sur le marché intérieur de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qui sont protégés par la marque en cause » ( 9 ).

29.

Pour les mêmes raisons, le non-usage d’une marque (nationale ou de l’Union européenne) risque également de restreindre la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services ( 10 ). La condition d’usage de la marque sert donc également les objectifs de réalisation du marché intérieur.

30.

Tant les directives d’harmonisation des droits des marques des États membres que les règlements régissant la marque de l’Union européenne qui se sont succédé ont, dès lors, prévu que, si les droits sur la marque (nationale et de l’Union européenne) s’acquièrent avec la seule formalité de l’enregistrement ( 11 ), la conservation de ces droits n’est possible que si le signe fait l’objet d’un « usage sérieux » dans la vie des affaires ( 12 ).

31.

L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 ( 13 ), en prévoyant la perte des droits sur la marque à défaut d’usage sérieux de celle-ci pour les produits ou les services pour lesquels elle a été enregistrée, vise à s’assurer que le droit privatif lié à l’enregistrement ne puisse être exercé que sur des signes qui remplissent effectivement leur fonction distinctive, ainsi qu’à faire en sorte que seulement des marques effectivement exploitées soient maintenues dans les registres des marques nationaux.

32.

La déchéance prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 se produit en cas de non-usage quinquennal de la marque.

33.

L’article 10, paragraphe 1, de la directive 2008/95 distingue, à cet égard, le cas où la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant la période de cinq ans suivant son enregistrement de celui où un tel usage a été entamé, mais a été suspendu pour une période ininterrompue de cinq ans. L’affaire qui fait l’objet des présentes conclusions ne porte que sur le premier de ces cas de figure, raison pour laquelle, dans la suite de celles-ci, je ne me référerai qu’à cette cause de déchéance pour défaut d’usage.

B.   L’exercice du droit exclusif sur la marque dans le cadre de l’action en contrefaçon

34.

La protection de la marque enregistrée est assurée par la reconnaissance d’un droit exclusif à son titulaire, auquel correspond un devoir d’abstention de tout tiers (non autorisé). Ce ius excludendi n’est cependant pas absolu.

35.

D’une part, il vise l’activité du titulaire (ou des tiers autorisés par lui) dans la production et la distribution de biens ou services, et il porte, dès lors, sur l’utilisation de la marque et non pas sur la marque en tant que telle, ce qui empêche d’interpréter les droits conférés par ce titre de propriété intellectuelle comme des droits de propriété classiques ( 14 ).

36.

D’autre part, il ne peut être actionné que lorsque les éléments constitutifs de l’une des hypothèses énoncées à l’article 5 de la directive 2008/95 sont réunis ( 15 ), ce qui implique qu’un usage illicite d’un signe identique ou similaire à la marque enregistrée, ainsi que l’existence d’un préjudice (caractérisé) aux intérêts protégés du titulaire de celle-ci soient établis ( 16 ).

37.

Le droit des marques harmonisé au niveau de l’Union européenne a étendu l’objet de l’action en contrefaçon au-delà de son cas de figure typique, qui vise l’atteinte portée à la fonction distinctive de la marque ( 17 ), où la lésion des intérêts du titulaire de la marque s’accompagne d’un préjudice du public sous la forme d’un risque d’être induit en erreur lors de ses choix d’achat et de consommation ( 18 ).

38.

Le critère qui délimite le périmètre de la protection assurée par l’action en contrefaçon est identifié par la Cour par référence aux fonctions juridiquement reconnues et protégées de cette marque, à savoir, outre la fonction, essentielle, d’indication d’origine, celles de communication, d’investissement de publicité et de garantie de qualité ( 19 ).

1. La contrefaçon doit-elle être appréciée de manière abstraite ou concrète ?

39.

L’une des questions qui se posent lorsqu’on examine les caractéristiques de l’action en contrefaçon, et qui a été amplement débattue lors de la procédure tant orale qu’écrite devant la Cour, concerne le caractère abstrait ou concret des appréciations qui doivent être conduites afin d’établir l’existence d’une contrefaçon. Est-ce que ces appréciations tiennent compte des seuls éléments résultant de l’enregistrement de la marque, à savoir le signe tel que déposé ainsi que les produits et services désignés dans la demande d’enregistrement, ou bien d’autres circonstances, étrangères à celles inhérentes à l’enregistrement, entrent-elles en ligne de compte ?

40.

De manière cohérente avec le caractère non absolu du droit exclusif conféré par la marque, dans le sens précisé plus haut, la Cour a tendance, généralement, à privilégier une appréciation en concret des éléments constitutifs de la contrefaçon, qui tient compte, notamment, des modalités effectives d’utilisation du signe prétendument contrefaisant par le tiers non autorisé ( 20 ), ainsi que de l’ensemble des circonstances qui entourent cette utilisation ( 21 ). Une telle approche permet, d’une part, de préciser la ligne de démarcation entre usage licite et illicite de la marque d’autrui ( 22 ) et, d’autre part, d’apprécier le préjudice subi par le titulaire en relation à la fonction de la marque à laquelle il est porté atteinte ( 23 ).

41.

Lorsque, comme c’est le cas dans le litige au principal, l’action en contrefaçon vise le cas de figure prévu à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, qui présuppose que les agissements contestés portent atteinte à la fonction distinctive de la marque enregistrée en créant, dans l’esprit du public, un risque de confusion ( 24 ), l’appréciation des éléments constitutifs de la contrefaçon assume un caractère largement concret, étant donné le rôle central joué, dans cette appréciation, par la perception du public concerné.

42.

Ainsi, hormis les éléments résultant de l’enregistrement, entrent en ligne de compte, dans l’appréciation de la similitude des signes en conflit et des produits ou services qu’ils désignent, ainsi que dans l’appréciation globale du risque de confusion, des facteurs liés, notamment, à l’intensité d’exploitation commerciale de la marque antérieure enregistrée, ainsi qu’à ses modalités de commercialisation. Ces facteurs permettent notamment de pondérer les différents éléments de la comparaison entre signes et entre produits ou services et de moduler le degré de protection qui doit être accordé à ladite marque en fonction de la connaissance qu’en a le public sur le marché ( 25 ).

43.

Cependant, si des facteurs liés à l’exploitation sur le marché de la marque enregistrée peuvent influer sur l’appréciation du risque de confusion au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, en élargissant le périmètre de protection de cette marque par rapport à ce qui découlerait d’une appréciation abstraite conduite uniquement sur la base des éléments résultant de l’enregistrement ( 26 ), l’opération inverse n’est, à mon sens, pas autorisée.

44.

Ainsi, exception faite pour les conséquences de la déchéance, les modalités d’exploitation commerciale de la marque enregistrée ne sauraient être invoquées afin de restreindre la sphère de protection de celle-ci telle qu’elle ressort de l’enregistrement et encore moins de supprimer une telle protection.

45.

C’est, en effet, l’enregistrement de la marque qui fait naître le droit exclusif visé à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95. L’exploitation commerciale du signe objet de cet enregistrement n’est pas un élément constitutif ou de perfectionnement de l’acquisition dudit droit. Ainsi que je l’ai déjà mentionné plus haut, cette exploitation ne sert qu’à maintenir les droits du titulaire sur la marque enregistrée, en lui évitant d’encourir la déchéance ( 27 ).

46.

Cela étant, il convient de souligner que, si l’usage de la marque n’est pas une condition de l’acquisition du droit exclusif reconnu à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95, il est, en revanche, requis pour que la marque exerce la fonction essentielle pour laquelle ce droit est conféré à son titulaire et qui consiste à « garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit [ou du service désigné par la marque], en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance » ( 28 ). Or, par définition, cette fonction ne peut s’exercer qu’en utilisant la marque sur le marché.

47.

Je ne partage, dès lors, pas l’affirmation de la Commission selon laquelle c’est par l’enregistrement que la marque commence à exercer sa fonction d’indication d’origine.

48.

Certes, avec l’enregistrement, l’ordre juridique reconnaît au signe demandé la « capacité » de désigner, dans le commerce, l’origine commerciale des produits ou des services pour lesquels il a été enregistré et de les distinguer de ceux qui ont une provenance différente. Cependant, il ne s’agit que d’un jugement d’aptitude du signe à remplir la fonction essentielle de la marque. Pour qu’une telle fonction soit effectivement exercée, le signe doit être utilisé sur le marché et entrer en contact avec le public ( 29 ).

49.

Les considérations qui précèdent m’amènent à conclure que l’analyse du risque de confusion, qui doit être conduite dans le cadre de l’application de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, comporte la prise en compte, s’agissant de la marque antérieure, d’éléments tant abstraits, résultant de l’enregistrement de cette marque, que concrets, relatifs à l’usage qui a été fait de celle-ci, les premiers servant à identifier la protection minimale qui doit être reconnue à ladite marque, les seconds pouvant mener à élargir cette protection.

2. Redéfinition des termes de la question préjudicielle

50.

Ce qui précède étant dit, la discussion concernant le caractère abstrait ou concret de l’analyse du risque de confusion ne revêt, à mon sens, qu’une importance limitée s’agissant de la réponse qu’il convient de donner à la question posée par la Cour de cassation.

51.

En effet, les agissements prétendument constitutifs d’actes de contrefaçon qui sont en cause dans le litige au principal ont été commis à une période où le délai de cinq ans à partir de la publication de l’enregistrement de la marque de AR n’était pas expiré et la déchéance ne s’était, dès lors, pas encore produite.

52.

Or, ainsi que le rappelle la juridiction de renvoi, dans l’arrêt Länsförsäkringar, la Cour, se prononçant sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, dont le contenu est substantiellement identique à celui des articles 10 et 12 de la directive 2008/95, a dit pour droit que, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque de l’Union européenne, son titulaire peut se prévaloir du droit exclusif conféré par cette marque, au titre de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement ( 30 ) pour l’ensemble des produits et services pour lesquels elle est enregistrée, sans devoir démontrer un usage sérieux de celle-ci.

53.

La Cour a ainsi clairement établi le principe, transposable dans le cadre du droit harmonisé des marques, selon lequel, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, et à défaut d’usage sérieux de celle-ci par son titulaire, les conditions de l’existence d’un risque de confusion dans le cadre d’une action en contrefaçon, et notamment d’une action en contrefaçon par imitation, doivent être appréciées de manière abstraite, à savoir par référence aux seuls éléments résultant de l’enregistrement de la marque ( 31 ).

54.

L’arrêt Länsförsäkringar invalide, donc, la prémisse de laquelle sont partis tant le jugement du tribunal de grande instance de Paris que l’arrêt de la cour d’appel de Paris, contre lequel AR a présenté le recours en cassation qui fait l’objet de la procédure au principal, selon laquelle l’examen du risque de confusion dans le cadre de l’action en contrefaçon pour imitation, en ce qui suppose une atteinte à la fonction essentielle de la marque, doit toujours être mené de manière concrète ( 32 ).

55.

Il s’ensuit, comme d’ailleurs le relève la Cour de cassation elle‑même, que la question à laquelle cette juridiction est confrontée, n’est pas celle de savoir si, dans les circonstances de l’affaire au principal, le risque de confusion qui constitue la condition de l’action en contrefaçon menée par AR à l’égard des défenderesses au principal doit être apprécié de manière abstraite ou concrète, mais celle, qui se situe en amont, de savoir si AR reste légitime, même après avoir été déclaré déchu de ses droits sur sa marque, à agir en contrefaçon à l’encontre des défenderesses au principal pour des agissements que celles-ci auraient commis au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque.

56.

Si la réponse à cette question devait être affirmative, le risque de confusion qui constitue la condition pour que de tels agissements, antérieurs à la déchéance, soient qualifiés de contrefaisants devrait, suivant l’arrêt Länsförsäkringar et en l’absence de tout acte d’exploitation commerciale de la marque antérieure, être apprécié de manière abstraite, à savoir sur la base du seul enregistrement de cette marque.

C.   Déchéance et qualité pour agir en contrefaçon

57.

Avant de procéder à l’analyse de la question posée par la Cour de cassation, telle que précisée au point 55 des présentes conclusions, il convient de noter que cette réponse ne dépend ni de l’existence d’une atteinte réelle et actuelle à la fonction essentielle de la marque antérieure ni de l’établissement d’un dommage causé au titulaire de cette marque.

58.

En effet, d’une part, si, comme le rappelle la juridiction de renvoi, dans l’arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e. a. (C‑487/07, EU:C:2009:378, point 59), la Cour a précisé que la protection conférée à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 exige « la possibilité d’une atteinte à la fonction essentielle de la marque » ( 33 ), il ressort de l’arrêt Länsförsäkringar que, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, cette atteinte doit être entendue comme portée au « potentiel distinctif » de la marque antérieure, non utilisé, et fait donc abstraction de la circonstance que cette marque n’a pas encore été portée à la connaissance du public.

59.

D’autre part, comme correctement souligné par la Commission dans ses observations écrites, la question de la qualité du titulaire d’une marque pour agir en contrefaçon afin d’obtenir la réparation du préjudice prétendument subi du fait de l’utilisation d’un signe prêtant à confusion avec sa marque est indépendante de celle de savoir si cette utilisation a pu concrètement causer les dommages qui sont invoqués. En d’autres termes, l’existence d’un préjudice ne conditionne pas la qualité pour agir en contrefaçon, mais constitue une condition au fond de la demande en réparation avancée dans le cadre d’une telle action.

60.

Afin de répondre à la question posée par la Cour de cassation, l’attention doit, dès lors, être déplacée des atteintes que les agissements prétendument contrefaisants des défenderesses au principal ont pu causer aux fonctions de la marque antérieure et aux intérêts de son titulaire, à la situation de celui-ci au moment où il a introduit l’action en contrefaçon.

61.

Or, il ressort de la décision de renvoi que, à la date d’introduction de cette demande, AR était déchu de ses droits sur sa marque ( 34 ).

62.

Il résulte, en effet, des pièces du dossier au principal, que AR a assigné les défenderesses au principal par actes des 8 et 11 juin 2012. Le délai de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque SAINT GERMAIN, prévu à l’article 10 de la directive 2008/95, s’est échu, quant à lui, le 13 mai 2011.

63.

S’il est vrai que la déchéance n’a été prononcée par le tribunal de grande instance de Nanterre que le 28 février 2013, par arrêt devenu définitif le 22 février 2014, date à laquelle il a été confirmé par la cour d’appel de Versailles, les effets de cette déchéance ont commencé à courir à compter du jour où ledit délai a pris fin.

64.

Lorsque le titulaire d’une marque exerce une action en contrefaçon, que ce soit « par reproduction » ou « par imitation », il exerce le droit exclusif conféré par la marque enregistrée de s’opposer à l’utilisation dans le commerce d’un signe identique ou similaire à sa marque pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée. Il en va ainsi même dans le cas où l’action ne vise qu’à obtenir réparation du préjudice subi du fait d’une telle utilisation, par exemple dans le cas où les agissements contestés ont entre-temps cessé.

65.

La déchéance a pour effet de priver le titulaire de la marque enregistrée du droit exclusif conféré par celle-ci au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95. À partir de la date à laquelle la déchéance prend effet, l’exercice de ce droit n’est donc a priori plus permis. En d’autres termes, la déchéance éteint le droit à agir en contrefaçon fondé sur ladite disposition ( 35 ).

66.

Est-ce que cela vaut également pour les actions, telle celle introduite par le requérant au principal, visant à obtenir réparation pour le préjudice causé au titulaire de la marque enregistrée par un tel usage à un moment où ses droits sur celle-ci n’étaient pas encore déchus ?

D.   Droit du titulaire déchu à obtenir réparation pour les actes en contrefaçon commis antérieurement à la déchéance

67.

Si, après la déchéance, le titulaire d’une marque enregistrée ne peut, en principe, plus exercer le droit privatif conféré par celle-ci, il convient cependant de souligner que les actes en contrefaçon d’une telle marque, commis au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de celle‑ci, ne perdent pas leur caractère illicite du fait de la déchéance.

68.

Il s’ensuit que, si le droit national ne fait pas rétroagir les effets de la déchéance à compter de la date du dépôt de la demande de marque ou de la date de l’enregistrement de celle-ci, de sorte que la marque est réputée n’avoir produit aucun effet juridique, les actes commis pendant ladite période de cinq ans, qui sont intervenus avant la date de prise d’effets de la déchéance, peuvent continuer à être poursuivis par une action en contrefaçon.

69.

Nier un tel droit d’action au titulaire d’une marque enregistrée déchu de ses droits reviendrait à « régulariser ex post » des actes de contrefaçon commis à un moment où la marque à laquelle il a été porté atteinte – dans le sens exposé au point 58 des présentes conclusions – était encore protégée.

70.

Or, une telle régularisation ne saurait, à mon sens, découler, ainsi que le préconisent en substance les défenderesses au principal, de la seule constatation que la marque en cause n’a jamais fait l’objet d’une exploitation commerciale.

71.

Certes, les droits conférés par la directive 2008/95 au titulaire d’une marque enregistrée visent à permettre à celle-ci d’exercer sa fonction essentielle d’indication d’origine et de remplir le rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussée que le droit de l’Union entend établir et maintenir ( 36 ). Dans cette même logique, ces droits, ainsi que je l’ai exposé plus haut, ne peuvent être maintenus que si la fonction pour laquelle ils ont été attribués est effectivement exercée sur le marché.

72.

Il pourrait, dès lors, sembler injustifié, sinon abusif, que celui qui n’a jamais exploité sa marque tout en bénéficiant du droit exclusif conféré par celle-ci et qui, au demeurant, n’a pas exercé en temps utile ce droit afin de s’opposer à la violation de sa marque ( 37 ), puisse, après être déchu, agir à l’égard des auteurs d’actes contrefaisants afin d’obtenir réparation du préjudice prétendument subi.

73.

Cependant, ainsi que je l’ai déjà rappelé, la Cour a affirmé, dans l’arrêt Länsförsäkringar, que les dispositions sur la déchéance confèrent au titulaire un « délai de grâce » pour entamer un usage sérieux de sa marque, au cours duquel, même en l’absence de toute exploitation commerciale de celle-ci, il peut s’opposer aux atteintes portées par des tiers à son monopole d’usage de cette marque et obtenir réparation pour les dommages qu’une telle atteinte lui aurait causés. Le fait que, à l’expiration de ce délai, le titulaire n’a toujours pas exploité cette marque n’a, en principe, pas d’incidence sur le caractère illicite des actes de contrefaçon commis lorsque ledit délai était encore pendant ( 38 ).

74.

Dès lors, à moins que, en vertu du droit national de l’État membre concerné, les effets de la déchéance ne rétroagissent à la date du dépôt de la demande de marque ou de l’enregistrement de celle-ci, ce qui éteindrait tout droit du titulaire déchu de demander des dommages et intérêts pour des actes commis au cours dudit délai de grâce, rien ne s’oppose à mon sens à ce que ledit titulaire introduise une action en contrefaçon afin d’être dédommagé du préjudice qu’il aurait subi du fait d’actes qui, au moment où ils ont été commis, portaient atteinte à son droit exclusif sur la marque.

75.

Je souligne, par ailleurs, que, comme l’a relevé la Commission lors de l’audience, il n’est pas exclu que, dans certains cas, les actes contrefaisants commis au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque aient contribué à dissuader son titulaire de l’exploiter ou en aient entravé un usage sérieux, sans cependant arriver à constituer un motif légitime de non-usage empêchant, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, la déchéance ( 39 ).

76.

La solution que je propose à la Cour de suivre n’est pas infirmée par l’obiter dictum contenu au point 28 de l’arrêt Länsförsäkringar, dans lequel la Cour a affirmé que, « à partir du moment de l’expiration du délai de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque de l’Union européenne l’étendue [du droit exclusif conféré à l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009] peut être affectée par le constat, opéré à la suite d’une demande reconventionnelle ou d’une défense au fond introduites par le tiers dans le cadre d’une action en contrefaçon, que le titulaire n’a pas encore entamé à ce moment un usage sérieux de sa marque pour une partie ou l’ensemble des produits et des services pour lesquels celle-ci a été enregistrée ».

77.

Or, si, dans ce point, la Cour a clairement entendu préciser que l’exercice dudit droit est limité ou empêché par la déchéance, compte tenu de la teneur de l’ensemble des motifs dudit arrêt, cette affirmation doit, à mon sens, être entendue comme référée aux actions en contrefaçon visant à interdire des actes commis après l’expiration de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque ( 40 ). Je ne pense pas, en revanche, que l’on puisse en tirer un argument en faveur de la thèse selon laquelle le titulaire déchu de ses droits sur la marque pour défaut d’usage ne puisse pas obtenir, y inclus par une action en contrefaçon, réparation pour le préjudice subi en raison d’actes intervenus antérieurement à la date de prise d’effet de la déchéance.

78.

De même, je suis d’avis que l’article 17 de la directive 2015/2436 ( 41 ), qui a remplacé la directive 2008/95, aux termes duquel « [l]e titulaire d’une marque ne peut interdire l’usage d’un signe que dans la mesure où il n’est pas susceptible d’être déchu de ses droits conformément à l’article 19 au moment où l’action en contrefaçon est intentée », ne vise pas la possibilité de demander, y compris après la déchéance, par une action en contrefaçon, l’indemnisation du préjudice subi pour des actes commis alors que la marque déployait encore ses effets juridiques.

79.

Enfin, la solution que je préconise de suivre respecte la marge discrétionnaire laissée aux États membres par la directive 2008/95 dans la définition des effets de la déchéance et, notamment, dans la fixation du moment à partir duquel les effets de celle-ci commencent à courir ( 42 ). S’agissant du droit français, ainsi que je l’ai déjà souligné, ces effets ne courent qu’à compter de la date d’expiration du délai de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement de la marque.

80.

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suis d’avis que le titulaire d’une marque enregistrée, qui ne l’a jamais utilisée et a été déclaré déchu de ses droits sur celle-ci à l’expiration du délai de cinq ans prévu à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, peut introduire une action en contrefaçon sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de cette directive afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il aurait subi en raison de l’usage, par un tiers, au cours dudit délai de cinq ans et antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque.

81.

Si la Cour devait décider de ne pas suivre cette proposition et devait arriver à la conclusion que le titulaire déchu de ses droits sur la marque pour défaut d’usage sérieux de celle-ci n’est plus habilité à introduire une action en contrefaçon, même lorsqu’une telle action vise à obtenir une indemnisation pour le préjudice subi du fait d’actes de contrefaçon commis au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, je lui propose, à titre subsidiaire, de reconnaître, sur la base des considérations exposées aux points 66 à 69 des présentes conclusions, qu’une telle indemnisation peut être obtenue par des actions ayant un fondement juridique différent de celui qui sous‑tend l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95, comme une action en concurrence déloyale ou une action en responsabilité extracontractuelle ( 43 ), lorsque les conditions prescrites par le droit national pour l’exercice de tels remèdes sont réunies

82.

De telles actions, qui sont ouvertes à celui qui ne peut pas se prévaloir de droits privatifs, seraient fondées sur les mêmes faits matériels que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon de marque, s’il en résulte une faute ( 44 ).

83.

Pour les raisons exposées aux points 39 à 49 des présentes conclusions, même dans une telle configuration, le risque de confusion entre les signes en conflit, nécessaire afin de pouvoir constater l’existence d’une contrefaçon, et donc d’un comportement fautif, devrait être apprécié par référence aux seuls éléments qui résultent de l’enregistrement de la marque ( 45 ).

IV. Conclusion

84.

Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation (France) :

L’article 5, paragraphe 1, sous b), l’article 10 et l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque enregistrée qui ne l’a jamais utilisée et a été déclaré déchu de ses droits sur celle-ci à l’expiration du délai de cinq ans prévu à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive, peut introduire une action en contrefaçon sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de ladite directive afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il aurait subi en raison de l’usage, par un tiers, au cours dudit délai de cinq ans et antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque. Dans le cadre d’une telle action, le risque de confusion entre les signes en conflit, nécessaire afin de pouvoir constater l’existence d’une contrefaçon, doit être apprécié par référence aux seuls éléments qui résultent de l’enregistrement de la marque.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2008, L 299, p. 25. La directive 2008/95 a été remplacée, à compter du 15 janvier 2019, par la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1), qui a procédé à sa refonte.

( 3 ) Il ressort des actes relatifs à cette instance que la société Osez vous ? International Spirits, LLC est titulaire de la marque de l’Union européenne « SAINT GERMAIN », déposée le 17 avril 2007 pour désigner les vins et autres boissons alcooliques, à l’exception des bières.

( 4 ) Selon les appréciations de la cour d’appel de Paris, les documents produits par AR se bornaient à établir la réalité de préparatifs en vue du lancement d’une crème de cognac revêtue de la marque en cause au principal ainsi que la participation de la société dont AR est titulaire à des salons professionnels durant l’année 2007.

( 5 ) La cour d’appel de Paris a également exclu une atteinte à la fonction d’investissement de la marque, invoquée par AR en se référant à l’arrêt du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit (C‑323/09, EU:C:2011:604).

( 6 ) Ainsi que je l’ai indiqué au point 14 des présentes conclusions, devant le tribunal de grande instance de Paris, AR avait invoqué également une violation de l’article L. 713-2, qui interdit la « contrefaçon par reproduction » de la marque.

( 7 ) Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1). Ce règlement a été remplacé, à compter du 1er octobre 2017 par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

( 8 ) Voir, dans le même sens, considérant 10 du règlement no 207/2009 et, s’agissant des textes actuellement en vigueur, considérant 31 de la directive 2015/2436 et considérant 24 du règlement 2017/1001.

( 9 ) Arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816, point 32), (relativement à la marque de l’Union européenne) ; dans le même sens, voir conclusions de l’avocat général Sharpston dans cette affaire (EU:C:2012:422, points 30 et 32). Voir également arrêt Länsförsäkringar (point 25). Les mêmes considérations s’appliquent à la marque nationale.

( 10 ) Voir arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816, point 32), toujours s’agissant de la marque de l’Union européenne.

( 11 ) Voir article 5 de la directive 2008/95 et article 9 du règlement 2017/1001.

( 12 ) Voir, en ce qui concerne les actes actuellement en vigueur, article 19, paragraphe 1, de la directive 2015/2436 et article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001.

( 13 ) Le paragraphe 2, de l’article 12, de la directive 2008/95 prévoit d’autres causes de déchéance des droits sur la marque qui ne sont pas pertinents dans l’affaire qui fait l’objet des présentes conclusions.

( 14 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans les affaires jointes Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2009:569, point 103). La marque peut bien évidemment être envisagée également en tant que bien en soi, susceptible de faire l’objet de cession ou de licence, cependant, pour les besoins des présentes conclusions, cet aspect du droit sur la marque n’est pas pris en considération.

( 15 ) En ce sens, voir arrêt du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club (C‑206/01, EU:C:2002:651), où après avoir affirmé, en renvoyant au dixième considérant de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), qui a précédé la directive 2008/95, le caractère absolu de la protection de la marque en cas de double identité de signes et de produits et services (point 50), la Cour a précisé, aux points 51 et 52, que l’exercice du droit exclusif prévu à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 [identique à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95] doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et, notamment, à sa fonction essentielle de garantie d’origine et que la nature exclusive de ce droit ne peut être justifiée que dans les limites du champ d’application de ladite disposition. Plus en général, ainsi que souligné par l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions dans les affaires jointes Google France et Google (C‑236/08 à C‑238/08, EU:C:2009:569, points 101 à 112), la protection de la marque est soumise à certaines restrictions et limitations qui sont nécessaires notamment pour maintenir la liberté du commerce et la libre concurrence, ainsi que la liberté d’expression. C’est pourquoi le titulaire de la marque ne pourra pas s’opposer à un usage commercial et non commercial jugé comme légitime du signe protégé.

( 16 ) Voir arrêts du 14 mai 2002, Hölterhoff (C‑2/00, EU:C:2002:287, point 16), et du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club (C‑206/01, EU:C:2002:651, point 54).

( 17 ) Il s’agit du cas de figure repris à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, à savoir l’utilisation par un tiers non autorisé d’un signe identique ou similaire à la marque enregistrée pour des biens ou des services similaires, auquel se sont ajoutés les hypothèses visées respectivement à l’article 5, paragraphe 1, sous a) de cette directive (double identité de signes et de biens ou services), et à l’article 5, paragraphe 2, de la même directive (protection des marques renommées).

( 18 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Leidseplein Beheer et de Vries (C‑65/12, EU:C:2013:196, point 28).

( 19 ) Voir arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a. (C‑487/07, EU:C:2009:378, point 58).

( 20 ) Dans la mesure où ceci permet de vérifier si un tel usage est susceptible d’être interdit par le titulaire de la marque enregistrée, voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club (C‑206/01, EU:C:2002:651, notamment points 51 à 54).

( 21 ) Voir, par exemple, arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel (C‑48/05, EU:C:2007:55, points 23 et 24).

( 22 ) Voir, notamment, arrêt du 12 juin 2008, O2 Holdings et O2 (UK) (C‑533/06, EU:C:2008:339, point 67).

( 23 ) Voir arrêts du 14 mai 2002, Hölterhoff (C‑2/00, EU:C:2002:287, point 16), et du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club (C‑206/01, EU:C:2002:651, point 54).

( 24 ) Je rappelle que le risque de confusion est défini par la Cour comme « le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement » ; voir arrêt du 29 septembre 1998, Canon (C‑39/97, EU:C:1998:442, point 29). Selon une jurisprudence constante, le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés (voir, notamment, arrêts du 11 novembre 1997, SABEL (C‑251/95, EU:C:1997:528, points 22 à 24), et du 29 septembre 1998, Canon (C‑39/97, EU:C:1998:442, points 16 à 18).

( 25 ) Selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal depuis l’arrêt « phare » en matière de risque de confusion (arrêt du 29 septembre 1998, Canon (C‑39/97, EU:C:1998:442, notamment, point 18, sur la protection étendue des marques dotées d’un caractère distinctif élevé acquis par l’usage, et point 24, sur l’importance du caractère distinctif de la marque antérieure, y inclus celui acquis par l’usage, dans la pondération des éléments qui entrent en ligne de compte dans l’appréciation globale du risque de confusion).

( 26 ) Un exemple particulièrement frappant des possibilités d’expansion de la protection de la marque conférée par l’enregistrement est constitué par le cas de figure des marques en série, dont la protection n’est reconnue que lorsque les marques appartenant à la série sont présentes sur le marché [voir arrêt du 23 février 2006, Il Ponte Finanziaria/OHMI – Marine Enterprise Projects (BAINBRIDGE) (T‑194/03, EU:T:2006:65, point 126)].

( 27 ) En ce sens, concernant l’article 15, paragraphe 1, et l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, voir arrêt Länsförsäkringar (point 25).

( 28 ) Selon la définition donnée par la Cour à partir de l’arrêt du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102/77, EU:C:1978:108, point 7) ; en dernier lieu, voir arrêt du 12 juin 2019, Hansson (C‑705/17, EU:C:2019:481, point 31).

( 29 ) C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la directive 2008/95 prévoit la sanction de la déchéance des droits sur la marque en cas de non-usage de celle-ci par son titulaire. Je souligne par ailleurs que le droit des marques de l’Union européenne ne reconnaît pas la catégorie des « marques défensives », reconnue dans l’ordre juridique de certains États membres, telle la République italienne, qui vise des signes destinés à ne pas être utilisés dans le commerce en raison de leur fonction purement défensive d’un autre signe faisant l’objet d’une exploitation commerciale : dans le sens de l’incompatibilité des marques défensives avec le système de la marque de l’Union européenne, voir arrêt du 23 février 2006, Il Ponte Finanziaria/OHMI – Marine Enterprise Projects (BAINBRIDGE) (T‑194/03, EU:T:2006:65, points 42 à 46). L’enregistrement de marques avec l’intention de ne pas en faire un usage effectif dans la vie des affaires pourrait, à la rigueur, constituer même une hypothèse d’enregistrement de mauvaise foi au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la directive 2008/95.

( 30 ) Le libellé de cet article est pratiquement identique à celui de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

( 31 ) Cela n’implique bien évidemment pas que, lorsqu’une utilisation de la marque a été faite, celle-ci soit prise en considération dans le cadre de cette appréciation.

( 32 ) Je rappelle que, tant le jugement du tribunal de grande instance de Paris que l’arrêt de la cour d’appel de Paris sont antérieurs à l’arrêt Länsförsäkringar.

( 33 ) Voir en ce sens également, arrêts du 9 janvier 2003, Davidoff (C‑292/00, EU:C:2003:9, point 28), et du 12 juin 2008, O2 Holdings et O2 (UK) (C‑533/06, EU:C:2008:339, point 57).

( 34 ) À cet égard, je relève qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure au principal que, devant le tribunal de grande instance de Paris, AR a fait valoir le contraire. Sa thèse a cependant, à juste titre, été rejetée par ce tribunal.

( 35 ) Il importe de relever que la déchéance n’éteint pas tous les droits sur le signe qui fait l’objet de l’enregistrement, mais seulement ceux qui sont conférés par l’enregistrement. Ainsi, l’hypothèse où la déchéance se produit sans que la marque ait été utilisée doit être distinguée de celle où la marque a fait l’objet d’une exploitation commerciale, qui a, par la suite, été interrompue pour une période consécutive de cinq ans. Dans cette seconde hypothèse, il n’est pas exclu que les consommateurs gardent à l’esprit le souvenir de la marque, même après l’expiration de ladite période, notamment lorsque la marque a fait l’objet d’une exploitation intensive. Dans de telles circonstances, son titulaire pourrait agir en contrefaçon, même après la déchéance, en exerçant non pas les droits résultant de son enregistrement, désormais éteints, mais ceux qui lui sont reconnus, le cas échéant, en conséquence de l’utilisation qu’il a faite du signe objet de l’enregistrement.

( 36 ) Voir, sur la fonction de la marque dans un tel système, arrêt du 25 juillet 2018, Mitsubishi Shoji Kaisha et Mitsubishi Caterpillar Forklift Europe (C‑129/17, EU:C:2018:594, point 30).

( 37 ) Je rappelle que les actes de contrefaçon en cause dans le litige au principal ont été commis entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011 et que trois ans se sont écoulés entre le commencement de la contrefaçon et le dépôt des actes introductifs d’instance par AR (les 8 et 11 juin 2012).

( 38 ) Il pourrait en aller autrement s’il était établi que le titulaire a procédé à l’enregistrement sans avoir l’intention d’utiliser le signe pour les fins pour lesquelles le droit exclusif lui a été reconnu, de sorte que l’on puisse considérer que l’enregistrement a été fait de mauvaise foi au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la directive 2008/95, et que la marque puisse être, pour ce motif, annulée.

( 39 ) À cet égard, je relève que, parmi les chefs de dommage invoqués, à titre subsidiaire, par AR devant le tribunal de grande instance de Paris, figurent « les conséquences économiques négatives » des actes de contrefaçon contestés aux défenderesses aux principal, sous l’angle notamment de la « perte de chance d’intégrer le marché » et de l’« impossibilité d’exploiter la marque SAINT GERMAIN ».

( 40 ) Les effets de la déchéance sont décrits comme suit à l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 : « La marque de l’Union européenne est réputée n’avoir pas eu, à compter de la date de la demande en déchéance ou de la demande reconventionnelle, les effets prévus au présent règlement, selon que le titulaire est déclaré déchu de ses droits en tout ou en partie. Une date antérieure, à laquelle est survenue l’une des causes de la déchéance, peut être fixée dans la décision, sur demande d’une partie. »

( 41 ) Cette directive n’est pas applicable ratione temporis aux faits du litige au principal, mais elle a néanmoins été mentionnée dans les observations écrites devant la Cour et lors des débats au cours de l’audience, notamment par les défenderesses au principal.

( 42 ) Voir, notamment, considérant 6 de la directive 2008/95, aux termes duquel « [l]es États membres devraient garder [...] toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant [...] la déchéance [...] des marques acquises par l’enregistrement. [...] Les États membres devraient conserver la faculté de déterminer les effets de la déchéance [...] des marques ». Je rappelle que cette marge de manœuvre laissée aux États membres n’existe plus dans la directive 2015/2436, dont l’article 47, paragraphe 1, prévoit que « [u]ne marque enregistrée est réputée n’avoir pas eu, à compter de la date de la demande en déchéance, les effets prévus dans la présente directive, dans la mesure où le titulaire est déclaré déchu de ses droits. Une date antérieure, à laquelle est survenu un motif de déchéance, peut être fixée dans la décision sur la demande en déchéance, sur requête d’une partie ».

( 43 ) De telles actions seraient fondées sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon de marque.

( 44 ) Je relève que la réparation des dommages invoqués par AR à titre subsidiaire, mentionnés à la note 39 des présentes conclusions, ainsi que celui, également invoqué à titre subsidiaire, constitué par la « perte des investissements consentis [...] pour le lancement de [l]a marque », peut être demandée dans le cadre d’une action en concurrence déloyale ou d’une action en responsabilité extracontractuelle.

( 45 ) J’observe que même cette solution préserverait la marge de manœuvre laissée aux États membres par la directive 2008/95. En effet, ce n’est que dans la mesure où le droit national ne fait pas rétroagir les effets de la déchéance à la date du dépôt de la demande de marque ou de son enregistrement, qu’il reste loisible, au titulaire de la marque déchue, d’introduire une action, sur des fondements autres que son droit exclusif sur la marque, afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi par des actes commis à un moment où son droit exclusif sur la marque était encore valide.