ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

29 juillet 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Procédures de recours – Directive 89/665/CEE – Directive 92/13/CEE – Droit à une protection juridictionnelle effective – Principes d’effectivité et d’équivalence – Recours en révision des décisions juridictionnelles méconnaissant le droit de l’Union – Responsabilité des États membres en cas de violation du droit de l’Union par les juridictions nationales – Évaluation du dommage indemnisable »

Dans l’affaire C‑620/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie), par décision du 24 octobre 2017, parvenue à la Cour le 2 novembre 2017, dans la procédure

Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe

contre

Fővárosi Törvényszék,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras (rapporteur), président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. D. Šváby, S. Rodin et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 novembre 2018,

considérant les observations présentées :

pour Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe, par MM. G. M. Tóth et I. Varga, ügyvédek,

pour la Fővárosi Törvényszék, par Mmes H. Beerné Vörös et K. Bőke, en qualité d’agents, ainsi que par M. G. Barabás, bíró,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Tassopoulou, D. Tsagkaraki et G. Papadaki, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. A. Tokár, H. Krämer et P. Ondrůšek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 avril 2019,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 49 TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 335, p. 31) (ci-après la « directive 89/665 »), de la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1992, L 76, p. 14), telle que modifiée par la directive 2007/66 (ci-après la « directive 92/13 »), de la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54), ainsi que des principes de primauté, d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe (ci-après « Hochtief Solutions ») à la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) au sujet d’un dommage prétendument causé par cette dernière juridiction, dans l’exercice de ses compétences juridictionnelles, à Hochtief Solutions.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et paragraphe 3, de la directive 89/665, rédigé en des termes quasiment identiques à ceux de l’article 1er, paragraphe 1, troisième alinéa, et paragraphe 3, de la directive 92/13 prévoit :

« 1.   [...]

Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application de la directive 2004/18/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114)], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit [de l’Union] en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.   Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

4

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/665 dispose :

« Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

a)

de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher qu’il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par le pouvoir adjudicateur ;

b)

d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause ;

c)

d’accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation.

[...] »

5

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 92/13 prévoyait :

« Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

soit

a)

de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher que d’autres préjudices soient causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché en cause ou l’exécution de toute décision prise par l’entité adjudicatrice

et

b)

d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans l’avis de marché, l’avis périodique indicatif, l’avis sur l’existence d’un système de qualification, l’invitation à soumissionner, les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation de marché en cause ;

soit

c)

de prendre, dans les délais les plus brefs, si possible par voie de référé et, si nécessaire, par une procédure définitive quant au fond, d’autres mesures que celles prévues aux points a) et b), ayant pour but de corriger la violation constatée et d’empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts concernés ; notamment d’émettre un ordre de paiement d’une somme déterminée dans le cas où l’infraction n’est pas corrigée ou évitée.

Les États membres peuvent effectuer ce choix soit pour l’ensemble des entités adjudicatrices, soit pour des catégories d’entités définies sur la base de critères objectifs, en sauvegardant en tout cas l’efficacité des mesures établies afin d’empêcher qu’un préjudice soit causé aux intérêts concernés ;

d)

et, dans les deux cas susmentionnés, d’accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par la violation.

Lorsque des dommages-intérêts sont réclamés au motif qu’une décision a été prise illégalement, les États membres peuvent prévoir, si leur système de droit interne le requiert et s’il dispose d’instances ayant la compétence nécessaire à cet effet, que la décision contestée doit d’abord être annulée ou déclarée illégale. »

Le droit hongrois

6

L’article 260 du polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi no III de 1952, instituant le code de procédure civile, ci-après le « code de procédure civile ») prévoit :

« 1.   La révision est ouverte contre un jugement définitif lorsque

a)

une partie se prévaut d’un fait ou de preuves, ou d’une décision définitive d’une juridiction ou autre autorité que la juridiction n’a pas appréciés au cours de la procédure, à condition que ces éléments – s’ils avaient été appréciés – aient été de nature à conduire à une décision plus favorable à cette partie ;

[...]

2.   En application du paragraphe 1, sous a), une partie ne peut exercer un recours en révision que lorsque, sans faute de sa part, elle n’a pas pu faire valoir au cours de la procédure antérieure le fait, les preuves ou la décision qu’elle invoque dans ce recours. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7

Le 25 juillet 2006, l’Észak-Dunántúli Környezetvédelmi és Vízügyi Igazgatóság (direction de la protection de l’environnement et des questions hydrauliques de Transdanubie septentrionale, Hongrie) (ci-après le « pouvoir adjudicateur ») a publié au Journal officiel de l’Union européenne, série S, sous le numéro 139-149235, un appel d’offres pour un marché public de travaux concernant le développement des infrastructures de transport du centre intermodal du port de commerce national de Győr-Gönyű (Hongrie), suivant la procédure accélérée prévue au chapitre IV de la közbeszerzésekről szóló 2003. évi CXXIX. törvény (loi no CXXIX de 2003, sur les marchés publics).

8

Le point III.2.2 de l’appel d’offres, relatif à la capacité économique et financière, indiquait « qu’un candidat, ou un sous-traitant [...] qui a enregistré plus d’un résultat négatif selon bilan pendant les trois derniers exercices ne remplit pas les conditions de capacité ».

9

Il ressort de la décision de renvoi que, Hochtief Solutions ne remplissant pas ce critère, elle en a contesté la légalité devant la Közbeszerzési Döntőbizottság (commission arbitrale des marchés publics, Hongrie) (ci-après la « commission arbitrale »), en faisant valoir, d’une part, que ce critère était discriminatoire et, d’autre part, qu’il n’était pas par lui-même de nature à renseigner sur la capacité financière d’un soumissionnaire.

10

La commission arbitrale a partiellement fait droit au recours de Hochtief Solutions, en condamnant le pouvoir adjudicateur à une amende de 8000000 forints hongrois (HUF) (environ 24500 euros), sans toutefois constater que ledit critère était illégal.

11

Le 2 octobre 2006, Hochtief Solutions a introduit un recours contre la décision de la commission arbitrale devant le Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest, Hongrie), lequel a considéré que le résultat selon bilan était propre à renseigner sur la capacité économique et financière et a, partant, rejeté le recours.

12

Le 4 juin 2010, Hochtief Solutions a fait appel du jugement de première instance devant la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie), laquelle a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

13

Par arrêt du 18 octobre 2012, Édukövízig et Hochtief Construction (C‑218/11, EU:C:2012:643), la Cour a, notamment, jugé que l’article 44, paragraphe 2, et l’article 47, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur est autorisé à exiger un niveau minimal de capacité économique et financière par référence à un ou à plusieurs éléments particuliers du bilan, à la condition que ceux-ci soient objectivement propres à renseigner sur cette capacité dans le chef d’un opérateur économique et que ce niveau soit adapté à l’importance du marché concerné, en ce sens qu’il constitue objectivement un indice positif de l’existence d’une assise économique et financière suffisante pour mener à bien l’exécution de ce marché, sans toutefois aller au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire à cette fin, étant précisé que l’exigence d’un niveau minimal de capacité économique et financière ne saurait, en principe, être écartée pour la seule raison que ce niveau porte sur un élément du bilan à propos duquel des divergences peuvent exister entre les législations des différents États membres.

14

La Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-capitale), qui avait entre-temps succédé à la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale), a, en considération de cet arrêt de la Cour, confirmé le jugement de première instance, en jugeant que le critère utilisé par le pouvoir adjudicateur pour apprécier la capacité économique et financière n’était pas discriminatoire.

15

Le 13 septembre 2013, Hochtief Solutions a formé un pourvoi en cassation devant la Kúria (Cour suprême, Hongrie) contre l’arrêt de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-capitale), dans lequel elle faisait valoir que le résultat selon bilan n’était pas propre à donner au pouvoir adjudicateur une image réelle et objective de la situation économique et financière d’un soumissionnaire. Elle a, par ailleurs, demandé à la Kúria (Cour suprême) de saisir à nouveau la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

16

Par arrêt du 19 mars 2014, la Kúria (Cour suprême) a, toutefois, rejeté le pourvoi, au motif qu’un tel grief n’avait pas été soulevé dans les délais, dans la mesure où Hochtief Solutions avait soulevé cette question non pas dans son recours administratif initial devant la commission arbitrale, mais uniquement dans ses observations subséquentes.

17

Le 25 juillet 2014, Hochtief Solutions a formé un recours constitutionnel contre l’arrêt de la Kúria (Cour suprême) devant l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle, Hongrie), par lequel elle demandait la constatation de l’inconstitutionnalité de cet arrêt et son annulation. Ce recours a été rejeté comme irrecevable, par ordonnance du 9 février 2015.

18

Entre-temps, le 26 novembre 2014, Hochtief Solutions a introduit auprès du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie) un recours en révision contre le jugement de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-capitale), visé au point 14 du présent arrêt.

19

Selon les indications de la juridiction de renvoi, à l’appui de son recours en révision, Hochtief Solutions a fait valoir que la question de savoir si le résultat selon bilan était un indicateur propre à renseigner sur la capacité économique et financière d’un soumissionnaire, tout comme l’arrêt du 18 octobre 2012, Édukövízig et Hochtief Construction (C‑218/11, EU:C:2012:643), n’avaient, en définitive, fait l’objet d’aucun examen. Selon Hochtief Solutions, cette omission serait constitutive d’un « fait », au sens de l’article 260, paragraphe 1, sous a), du code de procédure civile, susceptible de justifier l’ouverture de la révision de ce jugement de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale). Se fondant, notamment, sur l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17, points 26 et 27), Hochtief Solutions a, en effet, soutenu que, lorsqu’un arrêt de la Cour n’a pas pu être pris en compte lors de la procédure principale en raison de son caractère tardif, celui-ci peut et doit être examiné dans le cadre d’une révision.

20

Bien que Hochtief Solutions ait demandé au Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) qu’il saisisse la Cour d’une demande de décision préjudicielle relative aux questions soulevées dans le cadre de la procédure de révision, cette juridiction n’a pas fait droit à cette demande et a rejeté le recours en révision, en estimant que les faits et les éléments de preuve invoqués par Hochtief Solutions n’étaient pas nouveaux.

21

Hochtief Solutions a alors fait appel de l’ordonnance de rejet de son recours en révision devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), en invitant cette dernière, d’une part, à déclarer la révision ouverte et à ordonner l’examen de celle-ci au fond et, d’autre part, à saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

22

Le 18 novembre 2015, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest–Capitale) a rendu une ordonnance confirmant l’ordonnance de première instance du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale).

23

Hochtief Solutions a alors saisi la juridiction de renvoi, la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie), d’une action en réparation du préjudice que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) lui aurait causé dans l’exercice de sa compétence juridictionnelle. Elle fait valoir, à cet égard, qu’elle n’a pas eu la possibilité d’obtenir que les faits et les circonstances qu’elle a invoqués devant la commission arbitrale et dans le cadre de la procédure principale, mais qui n’ont été appréciés ni par cette commission ni par les juridictions saisies, puissent être pris en considération, conformément au droit de l’Union. Ce faisant, les organes hongrois chargés de l’application du droit auraient vidé de leur substance les droits garantis par les règles pertinentes du droit de l’Union.

24

C’est dans ces circonstances que la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter les principes fondamentaux et les règles du droit de l’Union (notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’exigence d’une interprétation uniforme du droit), tels que la Cour les a interprétés notamment dans l’arrêt [du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513)], en ce sens que la responsabilité de l’État en raison d’une décision contraire au droit de l’Union d’une juridiction statuant en dernier ressort peut être établie en se fondant uniquement sur le droit national ou sur des critères développés par le droit national ? Dans la négative, faut-il interpréter les principes fondamentaux et les règles du droit de l’Union, notamment les trois critères dégagés par la Cour dans [l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513),] à propos de la responsabilité de l’“État”, en ce sens que la réalisation des conditions de la responsabilité de l’État membre en raison d’une violation du droit de l’Union par les juridictions dudit État membre doit être appréciée sur la base du droit national ?

2)

Faut-il interpréter les règles et les principes fondamentaux du droit de l’Union (notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE, et l’exigence d’un recours effectif), en particulier les arrêts de la Cour relatifs à la responsabilité des États membres [du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428), du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79), et du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513)], en ce sens que l’autorité de la chose définitivement jugée de décisions contraires au droit de l’Union rendues par des juridictions statuant en dernier ressort exclut que la responsabilité de l’État membre puisse être établie ?

3)

La procédure de recours en matière de marchés publics, applicable aux marchés publics dont la valeur atteint les seuils [fixés par le droit de l’Union], et le contrôle juridictionnel de la décision administrative rendue au cours de cette procédure sont-ils pertinents du point de vue du droit de l’Union, à la lumière de la directive [89/665] ou encore de la directive [92/13] ? Dans l’affirmative, le droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour [notamment les arrêts du 13 janvier 2004, (C‑453/00, EU:C:2004:17), et du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178), et en particulier l’arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067),] sont-ils pertinents au regard de la nécessité d’autoriser la révision, en tant que voie de recours extraordinaire susceptible d’être utilisée, en vertu du droit national, dans le cadre du contrôle juridictionnel de la décision administrative rendue au cours d’une telle procédure de recours en matière de marchés publics ?

4)

Faut-il interpréter les directives “recours” en matière de marchés publics (c’est-à-dire la directive [89/665] ou encore la directive [92/13]) en ce sens que celles-ci ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui permet aux juridictions nationales saisies dans la procédure principale, et même aux juridictions nationales saisies dans le cadre d’une procédure engagée à la suite d’une demande de révision présentée contre la décision rendue dans la procédure principale, de ne pas tenir compte d’un fait qu’il convient d’examiner en vertu d’un arrêt de la Cour rendu à l’issue d’une procédure préjudicielle introduite dans le cadre d’une procédure de recours en matière de marchés publics ?

5)

Faut-il, notamment à la lumière [des arrêts du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178), du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78), du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350), et du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067)], interpréter la directive [89/665], en particulier l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de ladite directive, ainsi que la directive [92/13], en particulier les articles 1er et 2 de ladite directive, en ce sens qu’une réglementation nationale qui, en soi ou par l’application qui en est faite, permet d’arriver à une situation où l’on dispose d’une interprétation des règles pertinentes du droit de l’Union donnée par un arrêt de la Cour rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle introduite avant que la juridiction saisie en seconde instance rende son jugement, mais où cette interprétation est écartée par la juridiction saisie au fond, en raison de son caractère tardif, et où, ensuite, la juridiction saisie en révision estime que ladite révision n’est pas susceptible d’être autorisée, est compatible avec les directives susmentionnées, ainsi qu’avec l’exigence d’une protection juridictionnelle effective et les principes d’équivalence et d’effectivité ?

6)

Dès lors que le droit national commande d’autoriser la révision lorsque celle-ci est nécessaire pour rétablir la constitutionnalité en raison d’une nouvelle décision de la juridiction constitutionnelle, ne devrait-il pas alors, en vertu de [l’arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39),] autoriser la révision dans le cas où un arrêt de la Cour n’a pas pu être pris en compte dans la procédure principale en raison des dispositions du droit national relatives aux délais de procédure ?

7)

Faut-il, à la lumière de [l’arrêt du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78)], en vertu duquel une partie n’a pas l’obligation d’invoquer explicitement les arrêts de la Cour, interpréter la directive [89/665], en particulier l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de ladite directive, ainsi que la directive [92/13], en particulier les articles 1er et 2 de ladite directive, en ce sens que les procédures de recours en matière de marchés publics régies par les directives susmentionnées ne peuvent être introduites que par une requête qui contient une description explicite de l’infraction invoquée à la réglementation sur les marchés publics et, en outre, désigne chaque disposition violée de la réglementation sur les marchés publics, en précisant le numéro d’article et de paragraphe, et que, dans le cadre d’un recours en matière de marchés publics, seules sont susceptibles d’être examinées les infractions à la réglementation sur les marchés publics pour lesquelles le demandeur a précisé la disposition méconnue du droit des marchés publics, en indiquant le numéro d’article et de paragraphe, cette requête étant ensuite appréciée par l’administration ou la juridiction saisie au vu de ce qu’elle contient, tandis que, dans toutes les autres procédures administratives et civiles, il suffit que la partie indique les faits et les preuves qui les étayent ?

8)

Faut-il interpréter la condition d’une “violation suffisamment caractérisée”, dégagée dans les arrêts [du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), et du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391)], comme n’étant pas remplie lorsque la juridiction statuant en dernier ressort, en contradiction manifeste avec la jurisprudence bien établie et très précisément décrite de la Cour – qui a en plus été approuvée par différents avis juridiques – rejette la demande de décision préjudicielle d’une partie relative à la nécessité d’autoriser la révision au motif absurde que le droit de l’Union – en particulier la directive [89/665] et la directive [92/13] – ne contient pas de règles concernant la révision, alors même que cette nécessité a elle aussi été démontrée dans le moindre détail dans la jurisprudence pertinente de la Cour, y compris dans [l’arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067)], qui énonce justement la nécessité d’une révision liée à la procédure de marché public ? Quel est le degré de précision, compte tenu de [l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335)], que doit revêtir la motivation de la juridiction nationale lorsqu’elle n’autorise pas la révision, en s’écartant d’une interprétation de la Cour dotée d’un caractère contraignant ?

9)

Faut-il interpréter les principes de recours effectif et d’équivalence, au sens de l’article 19 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, ainsi que la liberté d’établissement et de prestation de services consacrée à l’article 49 TFUE, ou encore la directive [93/37], ainsi que les directives [89/665], [92/13] et [2007/66], en ce sens que ceux-ci permettent que les autorités et les juridictions saisies rejettent systématiquement, en ignorant manifestement le droit de l’Union applicable, les recours exercés par le requérant pour avoir été empêché de participer à la procédure de marché public, étant précisé que ces recours exigent le cas échéant de rédiger de nombreux mémoires au prix d’un investissement important de temps et d’argent, sans oublier la participation à des audiences, et que, même s’il existe en théorie la possibilité d’établir la responsabilité en raison d’un dommage causé dans l’exercice d’une compétence juridictionnelle, la réglementation en cause empêche le requérant de pouvoir exiger de la juridiction réparation du préjudice qu’il a subi en raison des mesures illégales ?

10)

Faut-il interpréter les principes qui ont été dégagés dans les arrêts [du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, EU:C:1983:318), du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), et du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391),] en ce sens que le dommage causé par le fait que la juridiction statuant en dernier ressort, en contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour, n’a pas autorisé la révision demandée en temps utile par une partie et dans le cadre de laquelle ladite partie aurait pu exiger le remboursement des frais qui lui ont été occasionnés n’est pas un dommage susceptible d’être indemnisé ? »

Sur les questions préjudicielles

Considérations liminaires

25

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’affaire au principal porte sur la réparation du préjudice prétendument subi par Hochtief Solutions du fait de l’ordonnance, mentionnée au point 22 du présent arrêt, par lequel la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), statuant en dernier ressort, a confirmé l’ordonnance du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale), mentionné au point 20 du présent arrêt, qui, d’une part, a refusé de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle et, d’autre part, a rejeté le recours en révision introduit par Hochtief Solutions contre le jugement de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), mentionné au point 14 du présent arrêt.

26

Il s’ensuit que l’affaire au principal porte sur la question de savoir si, en procédant ainsi, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a commis une violation du droit de l’Union susceptible de fonder une obligation de réparer le préjudice que Hochtief Solutions allègue avoir subi du fait de cette violation.

27

Dans ce contexte, il s’agit, en particulier, pour la juridiction de renvoi de savoir si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, une juridiction nationale saisie d’un recours en révision d’un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée postérieur à un arrêt rendu par la Cour sur le fondement de l’article 267 TFUE dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à ce jugement est tenue de faire droit à ce recours.

28

C’est en tenant compte du contexte ainsi circonscrit du litige au principal qu’il y a lieu d’examiner les questions préjudicielles.

Sur la recevabilité des septième et neuvième questions

29

Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, de se prononcer sur la conformité avec le droit de l’Union de dispositions procédurales nationales, afférentes au contenu obligatoire d’un recours en matière de marchés publics, tandis que, par sa neuvième question, elle demande, en substance, si le rejet systématique, en méconnaissance du droit de l’Union, de recours introduits par un soumissionnaire évincé d’une procédure de marché public, tel que Hochtief Solutions, est compatible avec le droit de l’Union.

30

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure prévue à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre celle-ci et les juridictions nationales. Il en découle qu’il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 28 mars 2019, Verlezza e.a., C‑487/17 à C‑489/17, EU:C:2019:270, points 27 et 28 ainsi que jurisprudence citée).

31

Toutefois, le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale est possible, notamment, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt du 28 mars 2019, Verlezza e.a., C‑487/17 à C‑489/17, EU:C:2019:270, point 29 et jurisprudence citée).

32

Or, les septième et neuvième questions relèvent, précisément, de ce dernier cas de figure. En effet, il apparaît de manière manifeste que ces questions n’ont aucun rapport avec l’objet de l’affaire au principal, tel qu’il a été résumé au point 26 du présent arrêt et présentent, dès lors, un caractère hypothétique.

33

Il s’ensuit que les septième et neuvième questions sont irrecevables.

Sur les première, deuxième, huitième et dixième questions

34

Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à obtenir des indications concernant, en particulier, les principes énoncés par la Cour en matière de responsabilité d’un État membre pour les dommages causés aux particuliers en raison d’une violation du droit de l’Union par une juridiction nationale statuant en dernier ressort. La juridiction de renvoi demande, en substance, si lesdits principes doivent être interprétés en ce sens, premièrement, que la responsabilité de l’État membre concerné doit être appréciée sur la base du droit national, deuxièmement, que le principe de l’autorité de la chose jugée exclut que la responsabilité de cet État membre puisse être établie, troisièmement, qu’il y a une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union lorsque la juridiction statuant en dernier ressort refuse de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elle, et, quatrièmement, qu’ils s’opposent à une règle de droit national qui exclut des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation les frais occasionnés à une partie par la décision juridictionnelle en cause.

35

En premier lieu, il convient de rappeler que, s’agissant des conditions d’engagement de la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables, la Cour a itérativement jugé que les particuliers lésés ont un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit de l’Union violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation de cette règle est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le dommage subi par ces particuliers (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 51 ; du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 51, ainsi que du 28 juillet 2016, Tomášová, C‑168/15, EU:C:2016:602, point 22).

36

Il convient également de rappeler que la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union est régie par les mêmes conditions (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 52, et du 28 juillet 2016, Tomášová, C‑168/15, EU:C:2016:602, point 23).

37

Par ailleurs, les trois conditions rappelées au point 35 du présent arrêt sont nécessaires et suffisantes pour engendrer au profit des particuliers un droit à obtenir réparation, sans pour autant exclure que la responsabilité d’un État membre puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 66, ainsi que du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 57).

38

Il en résulte que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle de droit national qui prévoit, pour l’engagement de la responsabilité d’un État membre au titre des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables, des conditions moins restrictives que celles établies par la jurisprudence de la Cour rappelée au point 35 du présent arrêt.

39

En deuxième lieu, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’oppose pas à la reconnaissance du principe de la responsabilité d’un État membre du fait de la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union. En effet, en raison, notamment, de la circonstance qu’une violation des droits tirés du droit de l’Union par une telle décision ne peut normalement plus faire l’objet d’un redressement, les particuliers ne sauraient être privés de la possibilité d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir par ce moyen une protection juridique de leurs droits (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 34, et du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

40

En troisième lieu, il découle d’une jurisprudence constante de la Cour que la mise en œuvre des conditions rappelées au point 35 du présent arrêt permettant d’établir la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables doit, en principe, être opérée par les juridictions nationales conformément aux orientations fournies par la Cour pour procéder à cette mise en œuvre (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 100, et du 4 octobre 2018, Kantarev, C‑571/16, EU:C:2018:807, point 95).

41

À cet égard, s’agissant, en particulier, de la deuxième de ces conditions, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union ne saurait être engagée que dans le cas exceptionnel où la juridiction nationale statuant en dernier ressort a méconnu de manière manifeste le droit applicable (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 53, ainsi que du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo, C‑173/03, EU:C:2006:391, points 32 et 42).

42

Afin de déterminer s’il existe une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, la juridiction nationale saisie d’une demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise. Parmi les éléments pouvant être pris en considération à cet égard figurent, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle violée, l’étendue de la marge d’appréciation que la règle violée laisse aux autorités nationales, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit, la circonstance que, le cas échéant, les attitudes prises par une institution de l’Union européenne ont pu contribuer à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l’Union, ainsi que l’inexécution, par la juridiction nationale en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 56 ; du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, points 54 et 55, ainsi que du 28 juillet 2016, Tomášová, C‑168/15, EU:C:2016:602, point 25).

43

En tout état de cause, une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée lorsqu’elle est intervenue en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière (arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 56 ; du 25 novembre 2010, Fuß, C‑429/09, EU:C:2010:717, point 52, et du 28 juillet 2016, Tomášová, C‑168/15, EU:C:2016:602, point 26).

44

S’agissant du litige au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause au principal, si la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), par l’ordonnance mentionnée au point 22 du présent arrêt, a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union en méconnaissant de manière manifeste le droit de l’Union applicable, y compris la jurisprudence de la Cour pertinente, notamment l’arrêt du 18 octobre 2012, Édukövízig et Hochtief Construction (C‑218/11, EU:C:2012:643).

45

En quatrième lieu, dès lors que les conditions rappelées au point 35 du présent arrêt sont réunies, c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État membre de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 67 ; du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 58, ainsi que du 28 juillet 2016, Tomášová, C‑168/15, EU:C:2016:602, point 38).

46

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la réparation des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union doit être adéquate à la réparation du préjudice subi, de nature à assurer une protection effective de leurs droits (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 82, ainsi que du 25 novembre 2010, Fuß, C‑429/09, EU:C:2010:717, point 92).

47

Or, une règle de droit national en vertu de laquelle, dans un cas où la responsabilité d’un État membre est engagée pour des dommages causés du fait d’une violation d’une règle de droit de l’Union par une décision d’une juridiction de cet État statuant en dernier ressort, les frais occasionnés à une partie par cette décision est de manière générale exclu des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation peut rendre, en pratique, excessivement difficile ou même impossible d’obtenir une réparation adéquate du préjudice subi par cette partie.

48

Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première, deuxième, huitième et dixième questions que la responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union est régie par les conditions énoncées par la Cour, notamment, au point 51 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), sans pour autant exclure que la responsabilité de cet État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national. Cette responsabilité n’est pas exclue du fait que cette décision a acquis l’autorité de la chose jugée. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette responsabilité, il appartient à la juridiction nationale saisie de la demande en réparation d’apprécier, en tenant compte de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause, si la juridiction nationale statuant en dernier ressort a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union en méconnaissant de manière manifeste le droit de l’Union applicable, y compris la jurisprudence de la Cour pertinente. En revanche, le droit de l’Union s’oppose à une règle de droit national qui, dans un tel cas, exclut de manière générale des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation les frais occasionnés à une partie par la décision préjudiciable de la juridiction nationale.

Sur les troisième, quatrième, cinquième et sixième questions

49

Compte tenu du contexte de l’affaire au principal, tel que rappelé aux points 26 et 27 du présent arrêt, il convient de comprendre que, par ses troisième, quatrième, cinquième et sixième questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, si le droit de l’Union, notamment la directive 89/665 et la directive 92/13 ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui n’autorise pas la révision d’un jugement, revêtu de l’autorité de la chose jugée, d’une juridiction dudit État membre, ayant statué sur un recours en annulation contre un acte d’un pouvoir adjudicateur sans aborder une question dont l’examen était envisagé dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre de la procédure relative à ce recours en annulation.

50

À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 et l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 92/13 imposent aux États membres l’obligation d’adopter les mesures nécessaires pour s’assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des procédures de passation des marchés concernés par ces directives peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, au motif qu’elles ont violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit (arrêt du 15 septembre 2016, Star Storage e.a., C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688, point 39).

51

Ces dispositions, qui sont destinées à protéger les opérateurs économiques contre l’arbitraire du pouvoir adjudicateur, visent ainsi à s’assurer de l’existence, dans tous les États membres, de moyens de recours efficaces, afin de garantir l’application effective des règles de l’Union en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées (arrêt du 15 septembre 2016, Star Storage e.a., C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688, point 41 et jurisprudence citée).

52

Ni la directive 89/665 ni la directive 92/13 ne contiennent de dispositions régissant spécifiquement les conditions dans lesquelles ces voies de recours peuvent être exercées. Ces directives ne prévoient que des dispositions établissant les conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures de recours instaurées dans les ordres juridiques nationaux, afin de garantir le respect des prescriptions du droit de l’Union en matière de marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Star Storage e.a., C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688, point 42).

53

En l’occurrence, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que, en droit procédural hongrois, la révision, au sens de l’article 260 du code de procédure civile, est une voie de recours extraordinaire, permettant, lorsque les conditions posées par cette disposition sont remplies, de remettre en cause l’autorité de la chose jugée attachée à un jugement définitif.

54

Or, il convient de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 58, et du 6 octobre 2015, Târşia, C‑69/14, EU:C:2015:662, point 28).

55

Partant, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettrait de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit (arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 59, et du 6 octobre 2015, Târşia, C‑69/14, EU:C:2015:662, point 29).

56

En effet, il a été jugé que le droit de l’Union n’exige pas que, pour tenir compte de l’interprétation d’une disposition pertinente de ce droit adoptée par la Cour, un organe juridictionnel national doive, par principe, revenir sur sa décision revêtue de l’autorité de la chose jugée (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 60, et du 6 octobre 2015, Târşia, C‑69/14, EU:C:2015:662, point 38).

57

L’arrêt du 13 janvier 2004, (C‑453/00, EU:C:2004:17), évoqué par la juridiction de renvoi, ne saurait remettre en cause cette considération.

58

Il ressort en effet de cet arrêt que le principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, impose à un organe administratif, saisi d’une demande en ce sens, de réexaminer une décision administrative définitive afin de tenir compte de l’interprétation de la disposition pertinente retenue entre-temps par la Cour lorsque, notamment, cet organe dispose, selon le droit national, du pouvoir de revenir sur cette décision (arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz, C‑453/00, EU:C:2004:17, point 28).

59

Il est constant toutefois que cette considération ne concerne qu’un éventuel réexamen d’une décision définitive d’un organe administratif et non pas, comme en l’occurrence, d’une juridiction.

60

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, sous certaines conditions, pour le juge national, de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée en vue de rendre la situation issue de cette décision compatible avec le droit national, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, prévaloir, si ces conditions sont réunies, afin que soit restaurée la conformité de cette situation avec la réglementation de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti, C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 62).

61

En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que, aux termes de l’article 260 du code de procédure civile, la révision d’un jugement définitif est ouverte lorsqu’une partie peut se prévaloir, notamment, d’une décision juridictionnelle définitive dont il n’a pas été tenu compte au cours de la procédure ayant abouti au jugement dont la révision est sollicitée et uniquement si cette partie n’a pas été en mesure, sans que cela résulte d’une faute de sa part, de faire valoir l’existence de cette décision au cours de ladite procédure.

62

Par ailleurs, il ressort du libellé de la sixième question que le droit hongrois autorise la révision d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée pour rétablir la constitutionnalité d’une situation en raison d’une nouvelle décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle).

63

Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier si les règles procédurales hongroises comportent la possibilité de revenir sur un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée, en vue de rendre la situation issue de ce jugement compatible avec une décision juridictionnelle définitive antérieure, dont la juridiction qui a rendu ce jugement ainsi que les parties à l’affaire ayant donné lieu à celui-ci avaient déjà connaissance. Si tel était le cas, conformément à la jurisprudence de la Cour citée au point 60 du présent arrêt, cette possibilité devrait, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, dans les mêmes conditions, prévaloir, pour rendre la situation compatible avec un arrêt antérieur de la Cour.

64

Cela étant, il convient, en tout état de cause, de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, en raison, notamment, de la circonstance qu’une violation des droits tirés du droit de l’Union par une décision juridictionnelle définitive ne peut normalement plus faire l’objet d’un redressement, les particuliers ne sauraient être privés de la possibilité d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir par ce moyen une protection juridique de leurs droits (arrêts du 6 octobre 2015, Târşia, C‑69/14, EU:C:2015:662, point 40, ainsi que du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 58).

65

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième, quatrième, cinquième et sixième questions que le droit de l’Union, notamment la directive 89/665 et la directive 92/13 ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui n’autorise pas la révision d’un jugement, revêtu de l’autorité de la chose jugée, d’une juridiction dudit État membre, ayant statué sur un recours en annulation contre un acte d’un pouvoir adjudicateur sans aborder une question dont l’examen était envisagé dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre de la procédure relative à ce recours en annulation. Toutefois, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, pour le juge national, de revenir sur un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée en vue de rendre la situation issue de ce jugement compatible avec une décision juridictionnelle définitive nationale antérieure, dont la juridiction qui a rendu ledit jugement ainsi que les parties à l’affaire ayant donné lieu à celui-ci avaient déjà connaissance, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, dans les mêmes conditions, prévaloir, pour rendre la situation compatible avec le droit de l’Union, tel qu’interprété par un arrêt antérieur de la Cour.

Sur les dépens

66

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

1)

La responsabilité d’un État membre pour des dommages causés par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort qui viole une règle de droit de l’Union est régie par les conditions énoncées par la Cour, notamment, au point 51 de l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), sans pour autant exclure que la responsabilité de cet État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national. Cette responsabilité n’est pas exclue du fait que cette décision a acquis l’autorité de la chose jugée. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette responsabilité, il appartient à la juridiction nationale saisie de la demande en réparation d’apprécier, en tenant compte de tous les éléments qui caractérisent la situation en cause, si la juridiction nationale statuant en dernier ressort a commis une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union en méconnaissant de manière manifeste le droit de l’Union applicable, y compris la jurisprudence de la Cour pertinente. En revanche, le droit de l’Union s’oppose à une règle de droit national qui, dans un tel cas, exclut de manière générale des dommages susceptibles de faire l’objet d’une réparation les frais occasionnés à une partie par la décision préjudiciable de la juridiction nationale.

 

2)

Le droit de l’Union, notamment la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, et la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, telle que modifiée par la directive 2007/66, ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui n’autorise pas la révision d’un jugement, revêtu de l’autorité de la chose jugée, d’une juridiction dudit État membre, ayant statué sur un recours en annulation contre un acte d’un pouvoir adjudicateur sans aborder une question dont l’examen était envisagé dans un arrêt antérieur de la Cour prononcé en réponse à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre de la procédure relative à ce recours en annulation. Toutefois, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, pour le juge national, de revenir sur un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée en vue de rendre la situation issue de ce jugement compatible avec une décision juridictionnelle définitive nationale antérieure, dont la juridiction qui a rendu ledit jugement ainsi que les parties à l’affaire ayant donné lieu à celui-ci avaient déjà connaissance, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, dans les mêmes conditions, prévaloir, pour rendre la situation compatible avec le droit de l’Union, tel qu’interprété par un arrêt antérieur de la Cour.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.