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Document 62005CJ0385

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 18 janvier 2007.
Confédération générale du travail (CGT) et autres contre Premier ministre et Ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement.
Demande de décision préjudicielle: Conseil d'État - France.
Politique sociale - Directives 98/59/CE et 2002/14/CE - Licenciements collectifs - Information et consultation des travailleurs - Calcul des seuils de travailleurs employés - Pouvoir des États membres - Exclusion des travailleurs appartenant à une certaine catégorie d'âge.
Affaire C-385/05.

Recueil de jurisprudence 2007 I-00611

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:37

Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Parties

Dans l’affaire C-385/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 19 octobre 2005, parvenue à la Cour le 24 octobre 2005, dans la procédure

Confédération générale du travail (CGT),

Confédération française démocratique du travail (CFDT),

Confédération française de l’encadrement (CFE-CGC),

Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC),

Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO)

contre

Premier ministre,

Ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. R. Schintgen (rapporteur), M me R. Silva de Lapuerta, MM. J. Makarczyk et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M me L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 juin 2006,

considérant les observations présentées:

– pour la Confédération générale du travail (CGT), par M e A. Lyon-Caen, avocat,

– pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT), par M e H. Masse-Dessen, avocat,

– pour la Confédération française de l’encadrement (CFE-CGC), par M e H. Masse-Dessen, avocat,

– pour la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), par M e H. Masse-Dessen, avocat,

– pour la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT‑FO), par M e T. Haas, avocat,

– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et M me C. Bergeot-Nunes, en qualité d’agents,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. Enegren et G. Rozet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 septembre 2006,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des directives 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 225, p. 16), et 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (JO L 80, p. 29).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre de plusieurs recours introduits devant le Conseil d’État par la Confédération générale du travail (CGT), la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération française de l’encadrement (CFE-CGC), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ainsi que la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) et tendant à l’annulation de l’ordonnance n° 2005‑892, du 2 août 2005, relative à l’aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises (JORF du 3 août 2005, p. 12687, ci-après l’«ordonnance n° 2005‑892»).

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3. L’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 98/59 prévoit:

«Aux fins de l’application de la présente directive:

a) on entend par ‘licenciements collectifs’: les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres:

i) soit, pour une période de trente jours:

– au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

– au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

– au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;

ii) soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés;

b) on entend par ‘représentants des travailleurs’: les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres.

Pour le calcul du nombre de licenciements prévus au premier alinéa, point a), sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq.»

4. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 98/59:

«Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.»

5. L’article 3 de la directive 98/59 dispose:

«1. L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

[…]

2. L’employeur est tenu de transmettre aux représentants des travailleurs copie de la notification prévue au paragraphe 1.

Les représentants des travailleurs peuvent adresser leurs observations éventuelles à l’autorité publique compétente.»

6. Aux termes de l’article 5 de la directive 98/59:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs.»

7. Les septième et huitième considérants de la directive 2002/14 se lisent comme suit:

«(7) Il importe de renforcer le dialogue social et les relations de confiance au sein de l’entreprise afin de favoriser l’anticipation des risques, de rendre l’organisation du travail plus flexible et de faciliter l’accès des travailleurs à la formation au sein de l’entreprise tout en préservant la sécurité, de sensibiliser les travailleurs aux besoins d’adaptation, d’accroître la disponibilité des travailleurs pour qu’ils s’engagent dans des mesures et des actions visant à renforcer leur capacité d’insertion professionnelle, de promouvoir l’association des travailleurs à la marche et à l’avenir de l’entreprise et de renforcer la compétitivité de celle-ci.

(8) Il importe notamment de promouvoir et de renforcer l’information et la consultation sur la situation et l’évolution probable de l’emploi au sein de l’entreprise, et, lorsqu’il ressort de l’évaluation faite par l’employeur que l’emploi au sein de l’entreprise risque d’être menacé, les éventuelles mesures d’anticipation envisagées, notamment en termes de formation et de développement des compétences des travailleurs, en vue de contrebalancer l’évolution négative ou ses conséquences, et de renforcer la capacité d’insertion professionnelle et l’adaptabilité des travailleurs susceptibles d’être affectés.»

8. Il ressort en outre du dix-huitième considérant de la directive 2002/14 que celle-ci vise à mettre en place un cadre général ayant pour objectif d’établir des exigences minimales applicables dans l’ensemble de la Communauté tout en n’empêchant pas les États membres de prévoir des dispositions plus favorables aux travailleurs.

9. Ce cadre a également pour but, ainsi qu’il ressort du dix-neuvième considérant de ladite directive, d’éviter toutes contraintes administratives, financières et juridiques qui feraient obstacle à la création et au développement de petites et moyennes entreprises. C’est pourquoi il a semblé adéquat, aux termes du même considérant, de limiter le champ d’application de ladite directive, selon le choix fait par les États membres, aux entreprises employant au moins 50 travailleurs ou aux établissements employant au moins 20 travailleurs.

10. L’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 2002/14 prévoit:

«La présente directive a pour objectif d’établir un cadre général fixant des exigences minimales pour le droit à l’information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises ou les établissements situés dans la Communauté.»

11. L’article 2 de ladite directive est libellé comme suit:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

[...]

d) ‘travailleur’, toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi et conformément aux pratiques nationales;

[...]»

12. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 dispose:

«La présente directive s’applique, selon le choix fait par les États membres:

a) aux entreprises employant dans un État membre au moins 50 travailleurs, ou

b) aux établissements employant dans un État membre au moins 20 travailleurs.

Les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés.»

13. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/14:

«Dans le respect des principes énoncés à l’article 1 er et sans préjudice des dispositions et/ou pratiques en vigueur plus favorables aux travailleurs, les États membres déterminent les modalités d’exercice du droit à l’information et à la consultation au niveau approprié, conformément au présent article.»

14. L’article 11 de la directive 2002/14 prévoit que les États membres ont l’obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires pour leur permettre d’être toujours en mesure de garantir les résultats imposés par ladite directive.

La réglementation nationale

15. Conformément à l’article L. 421-1 du code du travail français, la mise en place de délégués du personnel est obligatoire pour tous les établissements occupant au moins onze travailleurs.

16. Il résulte des articles L. 321-2 et L. 321-3 de ce code que les employeurs qui envisagent de procéder à un licenciement pour motif économique sont tenus de réunir et de consulter le comité d’entreprise ou les délégués du personnel lorsque le nombre de licenciements envisagés est au moins égal à dix dans une même période de trente jours.

17. Avant l’adoption de l’ordonnance nº 2005-892, l’article L. 620‑10 du code du travail était libellé comme suit:

«Pour la mise en œuvre des dispositions du présent code, les effectifs de l’entreprise sont calculés conformément aux dispositions suivantes.

Les salariés titulaires d’un contrat à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l’effectif de l’entreprise.

Les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée, les salariés titulaires d’un contrat de travail intermittent, les travailleurs mis à la disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure, y compris les travailleurs temporaires, sont pris en compte dans l’effectif de l’entreprise au prorata de leur temps de présence au cours des douze mois précédents. Toutefois, les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée, d’un contrat de travail temporaire ou mis à disposition par une entreprise extérieure sont exclus du décompte des effectifs lorsqu’ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu.

Les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail.»

18. L’article 1 er de l’ordonnance nº 2005‑892 a complété ledit article L. 620‑10 par l’alinéa suivant:

«Le salarié embauché à compter du 22 juin 2005 et âgé de moins de vingt-six ans n’est pas pris en compte, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt-six ans, dans le calcul de l’effectif du personnel de l’entreprise dont il relève, quelle que soit la nature du contrat qui le lie à l’entreprise. Cette disposition ne peut avoir pour effet la suppression d’une institution représentative du personnel ou d’un mandat d’un représentant du personnel. Les dispositions du présent alinéa sont applicables jusqu’au 31 décembre 2007.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19. Il ressort du dossier déposé devant la Cour que, aux fins de remédier à la situation préoccupante de l’emploi en France, le Premier ministre a présenté au Parlement, dans sa déclaration de politique générale du 8 juin 2005, un plan d’urgence pour l’emploi. Afin que les mesures inscrites dans ce plan puissent entrer en vigueur dès le 1 er septembre 2005, le gouvernement a demandé à être habilité à légiférer par voie d’ordonnance.

20. Ainsi, l’article 1 er de la loi nº 2005‑846, du 26 juillet 2005 (JORF du 27 juillet 2005, p. 12223), a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure visant, notamment, à aménager les règles de décompte des effectifs utilisées pour la mise en œuvre de dispositions relatives au droit du travail ou d’obligations financières imposées par d’autres législations pour favoriser, à compter du 22 juin 2005, l’embauche par les entreprises de salariés âgés de moins de 26 ans.

21. Le 2 août 2005, le gouvernement a arrêté, par l’ordonnance nº 2005‑892, des mesures relatives à l’aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises, tout en prévoyant que les dispositions de cette ordonnance cesseront de produire effet au 31 décembre 2007.

22. Des recours contre l’ordonnance nº 2005-892 ont été déposés devant le Conseil d’État par la CGT, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et la CGT‑FO.

23. À l’appui de leurs recours, les parties requérantes au principal ont notamment soulevé un moyen tiré de ce que l’aménagement des règles de décompte des effectifs prévu par ladite ordonnance méconnaîtrait les objectifs des directives 98/59 et 2002/14.

24. La juridiction de renvoi relève que, si la disposition attaquée de l’ordonnance nº 2005‑892 n’a pas directement pour effet d’exclure l’application des dispositions nationales assurant la transposition des directives 98/58 et 2002/14, il n’en reste pas moins que, en ce qui concerne les établissements dont l’effectif compte plus de 20 travailleurs, mais parmi lesquels moins de 11 sont âgés de 26 ans ou plus, l’application de la disposition en cause au principal peut avoir pour conséquence de dispenser l’employeur de certaines obligations résultant de ces deux directives.

25. Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Compte tenu de l’objet de la directive [2002/14], qui est, aux termes du [paragraphe] 1 de son article 1 er , d’établir un cadre général fixant des exigences minimales pour le droit à l’information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises ou les établissements situés dans la Communauté, le renvoi aux États membres du soin de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés que cette directive énonce doit-il être regardé comme permettant à ces États de procéder à la prise en compte différée de certaines catégories de travailleurs pour l’application de ces seuils?

2) Dans quelle mesure la directive [98/59] peut-elle être interprétée comme autorisant un dispositif ayant pour effet que certains établissements occupant habituellement plus de vingt travailleurs se trouvent dispensés, fût-ce temporairement, de l’obligation de créer une structure de représentation des travailleurs en raison de règles de décompte des effectifs excluant la prise en compte de certaines catégories de salariés pour l’application des dispositions organisant cette représentation?»

26. Dans sa décision de renvoi, le Conseil d’État a demandé à la Cour de soumettre le renvoi préjudiciel à une procédure accélérée, en application de l’article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure.

27. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 21 novembre 2005.

Sur les questions préjudicielles

28. À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la promotion de l’emploi constitue un objectif légitime de politique sociale et que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lors du choix des mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale (voir, notamment, arrêts du 9 février 1999, Seymour-Smith et Perez, C-167/97, Rec. p. I-623, points 71 et 74, ainsi que du 20 mars 2003, Kutz-Bauer, C-187/00, Rec. p. I-2741, points 55 et 56).

29. Toutefois, la marge d’appréciation dont les États membres disposent en matière de politique sociale ne saurait avoir pour effet de vider de sa substance la mise en œuvre d’un principe fondamental du droit communautaire ou d’une disposition de ce même droit (voir, en ce sens, arrêts précités Seymour-Smith et Perez, point 75, et Kutz-Bauer, point 57).

Sur la première question

30. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés au sens de cette disposition.

31. À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 2, sous d), de la directive 2002/14, constitue un travailleur au sens de cette directive toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi et conformément aux pratiques nationales.

32. Il s’ensuit que, dès lors qu’il n’est pas contesté que les travailleurs âgés de moins de 26 ans visés à la disposition nationale en cause au principal sont protégés par la réglementation nationale en matière d’emploi, ceux-ci constituent des travailleurs au sens de la directive 2002/14.

33. Certes, l’article 3, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive prévoit qu’il appartient aux États membres de déterminer le mode de calcul des seuils de travailleurs employés. Toutefois, cette disposition concerne la détermination du mode de calcul des seuils des travailleurs et non la définition même de la notion de travailleur.

34. Or, la directive 2002/14 ayant défini le cadre des personnes à prendre en considération lors de ce calcul, les États membres ne sauraient exclure dudit calcul une catégorie déterminée de personnes rentrant initialement dans ce cadre. Ainsi, si ladite directive ne prescrit pas aux États membres la manière dont ceux-ci doivent tenir compte des travailleurs relevant de son champ d’application lors du calcul des seuils de travailleurs employés, elle prescrit néanmoins qu’ils doivent en tenir compte.

35. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une disposition communautaire renvoie aux législations et pratiques nationales, les États membres ne sauraient adopter des mesures susceptibles de compromettre l’effet utile de la réglementation communautaire dans laquelle cette disposition s’intègre (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger, C‑151/02, Rec. p. I‑8389, point 59).

36. S’agissant plus particulièrement de la directive 2002/14, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il ressort tant de l’article 137 CE, qui en constitue la base juridique, que du dix-huitième considérant ainsi que de l’article 1 er , paragraphe 1, de cette directive qu’elle a pour objet de fixer des exigences minimales pour le droit à l’information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises et établissements situés dans la Communauté.

37. Force est de constater, d’autre part, que le système mis en place par la directive 2002/14 a, en dehors de certaines exceptions prévues à l’article 3, paragraphes 2 et 3, de celle-ci, vocation à s’appliquer à tous les travailleurs visés à l’article 2, sous d), de cette directive.

38. Or, une réglementation telle que celle en cause au principal, qui, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 28 de ses conclusions, a pour conséquence de soustraire certains employeurs aux obligations prévues à la directive 2002/14 et de priver leurs travailleurs des droits reconnus par ladite directive, est de nature à vider lesdits droits de leur substance et ôte ainsi à ladite directive son effet utile.

39. Il résulte d’ailleurs des observations présentées par le gouvernement français que la disposition nationale en cause au principal vise à alléger les contraintes découlant, pour les employeurs, du fait que l’embauche de travailleurs supplémentaires peut leur faire franchir les seuils prévus, notamment, pour l’application des obligations découlant de la directive 2002/14.

40. S’agissant de l’interprétation de la directive 2002/14 préconisée par ce même gouvernement, selon lequel l’article 3, paragraphe 1, de cette directive n’interdit pas aux États membres d’instaurer, comme le fait la disposition en cause au principal, des modalités de calcul des seuils de travailleurs employés pouvant aller jusqu’à l’exclusion temporaire de certaines catégories de travailleurs dès lors que cette exclusion est justifiée par un objectif d’intérêt général constitué par la promotion de l’emploi des jeunes et est conforme au principe de proportionnalité, il suffit de constater qu’une telle interprétation est incompatible avec l’article 11, paragraphe 1, de ladite directive, qui prévoit que les États membres doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour être toujours en mesure de garantir les résultats imposés par la directive 2002/14, en ce qu’elle implique qu’il serait permis auxdits États de se soustraire, fût-ce temporairement, à cette obligation de résultat claire et précise imposée par le droit communautaire (voir, par analogie, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler, C‑212/04, non encore publié au Recueil, point 68).

41. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés au sens de cette disposition.

Sur la seconde question

42. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés prévu à ladite disposition.

43. En vue de répondre à la question ainsi reformulée, il convient, en premier lieu, de constater que la directive 98/59 a entendu assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents États membres en cas de licenciements collectifs et rapprocher les charges qu’entraînent les règles organisant cette protection pour les entreprises de la Communauté (voir, par analogie, arrêt du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni, C‑383/92, Rec. p. I‑2479, point 16).

44. Il importe, en second lieu, de relever qu’il ressort des articles 1 er , paragraphe 1, et 5 de la directive 98/59 que celle-ci vise à instaurer une protection minimale relative à l’information et à la consultation des travailleurs en cas de licenciements collectifs, les États membres restant libres d’adopter des mesures nationales plus favorables auxdits travailleurs.

45. Or, force est de constater que les seuils fixés à l’article 1 er , paragraphe 1, de la directive 98/59 constituent précisément de telles prescriptions minimales auxquelles les États membres ne sauraient déroger que par des dispositions plus favorables aux travailleurs.

46. En effet, d’une part, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’une législation nationale qui permet de faire obstacle à la protection garantie, de manière inconditionnelle, aux travailleurs par une directive est contraire au droit communautaire (arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, point 21).

47. D’autre part, et contrairement à ce que soutient le gouvernement français, la directive 98/59 ne saurait être interprétée en ce sens que les modalités de calcul de ces seuils, et partant lesdits seuils eux-mêmes, sont à la disposition des États membres, dès lors qu’une telle interprétation permettrait à ces derniers d’altérer le champ d’application de ladite directive et de priver ainsi celle-ci de son plein effet.

48. Or, comme il ressort de la décision de renvoi ainsi que des points 73 et 74 des conclusions de M. l’avocat général, une disposition nationale telle que celle en cause au principal est de nature à priver, fût-ce temporairement, l’ensemble des travailleurs employés par certaines entreprises occupant habituellement plus de 20 travailleurs des droits qu’ils tirent de la directive 98/59 et porte, de ce fait, atteinte à l’effet utile de cette dernière.

49. Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la seconde question que l’article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés prévu à cette disposition.

Sur les dépens

50. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Dispositif

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés au sens de cette disposition.

2) L’article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut, fût-ce temporairement, une catégorie déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés prévu à cette disposition.

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