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Document 62022CO0482

    Ordonnance de la Cour (sixième chambre) du 27 avril 2023.
    GO e.a. contre Regione Lazio.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di Stato.
    Renvoi préjudiciel – Articles 53 et 99 du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Portée de l’obligation de renvoi des juridictions nationales statuant en dernier ressort – Exceptions à cette obligation – Critères – Situations dans lesquelles l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable – Condition pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort d’être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des États membres et à la Cour.
    Affaire C-482/22.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:404

    ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

    27 avril 2023 (*)

    « Renvoi préjudiciel – Articles 53 et 99 du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Portée de l’obligation de renvoi des juridictions nationales statuant en dernier ressort – Exceptions à cette obligation – Critères – Situations dans lesquelles l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable – Condition pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort d’être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des États membres et à la Cour »

    Dans l’affaire C‑482/22,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 14 juillet 2022, parvenue à la Cour le 14 juillet 2022, dans la procédure

    GO,

    UL,

    KC,

    PE,

    HY,

    EM,

    Associazione Raggio Verde

    contre

    Regione Lazio,

    en présence de :

    NGR – New Green Roma Srl,

    Roma Capitale,

    Città Metropolitana di Roma Capitale,

    LA COUR (sixième chambre),

    composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, et M. A. Kumin, juge,

    avocat général : M. N. Emiliou,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

    rend la présente

    Ordonnance

    1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 267 TFUE et de l’annexe I de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets (JO 1999, L 182, p. 1).

    2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GO, UL, KC, PE, HY, EM et Associazione Raggio Verde à la Regione Lazio (Région du Latium, Italie) au sujet de la décision de la Direzione politiche ambientali (Direction des politiques de l’environnement) de cette Région relative à l’évaluation de la compatibilité avec l’environnement d’un projet de décharge pour déchets inertes à construire sur un terrain situé à Rome (Italie).

     Le cadre juridique

     Le droit de l’Union

    3        L’annexe I de la directive 1999/31, intitulée « Exigences générales pour toutes les catégories de décharges », prévoit :

    « 1.      Emplacement

    1.1.      La détermination du site d’une décharge doit tenir compte d’exigences concernant :

    a)      la distance entre les limites du site et les zones d’habitation ou de loisirs, les voies d’eau et plans d’eau ainsi que les sites agricoles ou urbains ;

    b)      l’existence d’eaux souterraines, d’eaux côtières ou de zones naturelles protégées dans la zone ;

    c)      la géologie et l’hydrogéologie de la zone ;

    [...].

    1.2.      La décharge ne peut être autorisée que si, vu les caractéristiques du site au regard des exigences mentionnées ci-dessus ou les mesures correctives envisagées, la décharge ne présente pas de risque grave pour l’environnement.

    [...]

    3.      Protection du sol et des eaux

    3.1.      Toute décharge doit être située et conçue de manière à remplir les conditions requises pour prévenir la pollution du sol, des eaux souterraines ou des eaux de surface, et pour assurer que les lixiviats sont recueillis de manière efficace, en temps opportun et dans les conditions requises, conformément au point 2. La protection du sol, des eaux souterraines et des eaux de surface doit être assurée, pendant la phase d’exploitation/activité, par une barrière géologique assortie d’un revêtement de base étanche et, pendant les phases d’inactivité ou après la désaffectation, par une barrière géologique assortie d’un revêtement de surface étanche.

    3.2.      Il y a une barrière géologique lorsque les conditions géologiques et hydrogéologiques en dessous et à proximité d’une décharge offrent une capacité d’atténuation suffisante pour éviter tout risque pour le sol et les eaux souterraines.

    La base et les côtés de la décharge doivent être constitués d’une couche minérale répondant à des exigences de perméabilité et d’épaisseur dont l’effet combiné, en termes de protection du sol, des eaux souterraines et des eaux de surface, est au moins équivalent à celui résultant des exigences suivantes :

    [...]

    Dans les cas où la barrière géologique ne répond pas naturellement aux conditions précitées, elle peut être complétée artificiellement et renforcée par d’autres moyens offrant une protection équivalente. Une barrière géologique artificielle ne doit pas avoir moins de 0,5 m d’épaisseur.

    3.3.      Outre la barrière géologique décrite ci-dessus, un système d’étanchéité et de récupération des lixiviats doit être ajouté conformément aux principes énoncés ci-après, de manière à assurer la plus faible accumulation possible de lixiviats à la base de la décharge.

    [...]

    Les États membres peuvent fixer des critères généraux ou spécifiques applicables aux décharges pour déchets inertes ainsi qu’aux caractéristiques des moyens techniques mentionnés ci-dessus.

    Si, après examen des risques pour l’environnement, l’autorité compétente estime qu’il est nécessaire de prévenir la formation de lixiviats, un système d’étanchéité de surface pourra être exigé. Les recommandations applicables à ce système sont les suivantes :

    [...] »

     Le droit italien

    4        L’annexe I du decreto legislativo n. 36/2003 – Attuazione della direttiva 1999/31/CE relativa alle discariche di rifiuti (décret législatif no 36/2003, portant application de la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets), du 13 janvier 2003, prévoit, à son point 1.2.2, intitulé « Barrière géologique » :

    « Il existe une barrière géologique lorsque les conditions géologiques et hydrogéologiques en dessous et à proximité d’une décharge pour déchets inertes offrent une capacité d’atténuation suffisante pour éviter tout risque pour le sol, les eaux de surface et les eaux souterraines.

    Le substrat de la base et des côtés de la décharge doivent consister en une formation géologique naturelle répondant à des exigences de perméabilité et d’épaisseur au moins équivalentes à l’effet des exigences suivantes :

    Conductibilité hydraulique k ≤ 1 × 10‑7 m/s ;

    Epaisseur ≥ 1 m.

    Les caractéristiques de perméabilité hydraulique de la barrière géologique naturelle doivent être constatées au moyen d’une investigation spécifique sur le site.

    La barrière géologique, si elle ne satisfait pas naturellement aux conditions ci‑dessus, peut être complétée artificiellement au moyen d’un système de barrière de confinement réalisé exprès, offrant une protection hydraulique équivalente en termes de vitesse d’infiltration […] ».

     Le litige au principal et les questions préjudicielles

    5        Le 27 février 2019, la Direction des politiques de l’environnement de la Région du Latium a adopté la décision no G02176, relative à l’évaluation de la compatibilité avec l’environnement d’un projet de décharge pour déchets inertes à construire par NGR – New Green Roma srl sur un terrain situé à Rome (ci-après la « décision no G02176 »).

    6        Les requérants au principal ont saisi le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) d’un recours dirigé contre cette décision.

    7        Par jugement du 16 février 2021, cette juridiction a déclaré le recours irrecevable.

    8        Les requérants au principal ont interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui est la juridiction de renvoi, en soutenant, notamment, que la décision no G02176 avait été adoptée en méconnaissance de l’exigence figurant à l’annexe I, points 3.1 et 3.3, de la directive 1999/31, dès lors que la barrière géologique dans la zone d’emplacement de la décharge serait devenue inexistante à la suite de l’activité minière d’extraction ayant eu lieu dans cette zone et de la remontée des eaux souterraines qui aurait résulté de cette activité. Selon ces requérants, la zone d’emplacement du projet de décharge poserait problème du point de vue hydrologique.

    9        Lesdits requérants ont demandé à la juridiction de renvoi de saisir la Cour, à titre préjudiciel, de questions relatives à l’interprétation de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1), et de l’annexe I de la directive 1999/31.

    10      La juridiction de renvoi fait observer que le projet autorisé par la décision no G02176 prévoit la mise en place sur le fond du bassin prévu comme emplacement de la décharge d’un système d’étanchéité et d’une couche d’argile compactée d’une épaisseur d’un mètre, dont les caractéristiques répondent à certaines exigences de perméabilité prévues pour les décharges de déchets non dangereux.

    11      À cet égard, la juridiction de renvoi estime que la réglementation de l’Union reconnaît une équivalence entre barrière géologique et barrière artificielle. Dès lors, il n’existerait pas de seuil minimal d’imperméabilité qui serait exclusivement relatif à la barrière géologique, en dessous duquel il y aurait, indépendamment de la possibilité concrète et vérifiée de réaliser une barrière de confinement artificielle, une interdiction absolue de réaliser une décharge de déchets inertes.

    12      La juridiction de renvoi estime, toutefois, devoir soumettre à la Cour une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’annexe I de la directive 1999/31 ainsi que des questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 267 TFUE.

    13      En effet, la juridiction de renvoi relève que, dans l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335), la Cour a précisé que, afin d’éviter que ne s’établisse une jurisprudence nationale contraire au droit de l’Union dans un État membre, lorsqu’aucun recours juridictionnel n’est prévu contre la décision d’une juridiction nationale, une telle juridiction est en principe tenue de s’adresser à la Cour, conformément à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une question d’interprétation du droit de l’Union.

    14      Conformément à cet arrêt, les juridictions nationales ne seraient, en revanche, pas tenues de procéder à un renvoi préjudiciel, notamment, lorsque l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

    15      Toutefois, les critères permettant de déterminer si une juridiction nationale se trouve dans une telle situation, énoncés dans ledit arrêt et la jurisprudence subséquente, seraient difficiles à apprécier.

    16      Or, la mise en œuvre incorrecte de ces critères serait susceptible de conduire à l’engagement de la responsabilité civile des juridictions suprêmes italiennes sur le fondement de l’article 2, paragraphe 3 bis, de la legge n. 117 – Risarcimento dei danni cagionati nell’esercizio delle funzioni giudiziarie e responsabilità civile dei magistrati (loi no 117 portant sur la réparation des dommages causés dans l’exercice des fonctions juridictionnelles et la responsabilité civile des magistrats), du 13 avril 1988 (GURI no 88, du 15 avril 1988, p. 3), disposition qui prévoirait que, en cas de violation manifeste du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte également du manquement à l’obligation de renvoi préjudiciel, ainsi que du fait que l’acte ou la mesure est contraire à l’interprétation donnée par la Cour. Ainsi, ces juridictions seraient contraintes, afin d’éviter l’introduction d’une action en dommages‑intérêts, de procéder systématiquement à un renvoi préjudiciel, allongeant ainsi la durée de la procédure en violation du principe de durée raisonnable de celle-ci, consacré par la Constitution italienne et par le droit de l’Union.

    17      S’agissant, en particulier, de l’exigence pour les juridictions nationales statuant en dernier ressort d’être convaincues que la même évidence s’imposerait également aux juridictions des autres États membres et à la Cour, qui résulterait de l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 16), la Cour aurait précisé, dans l’arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, points 51 et 52), que les juridictions nationales statuant en dernier ressort doivent saisir la Cour à titre préjudiciel lorsqu’elles ont le moindre doute en ce qui concerne l’interprétation ou l’application correcte du droit de l’Union et qu’elles doivent démontrer de manière circonstanciée l’absence d’un tel doute.

    18      La juridiction de renvoi se demande si le respect de cette exigence doit être établi de manière subjective ou bien s’il suffit que les juridictions statuant en dernier ressort exposent de manière objective les raisons pour lesquelles il n’existe pas de doutes raisonnables quant à l’interprétation et à l’application du droit de l’Union, ce sans examiner l’interprétation que pourraient donner les juridictions statuant en dernier ressort des autres États membres ou la Cour et en tenant compte du fait que ce droit utilise une terminologie qui lui est propre, du libellé de la disposition dudit droit en cause, du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit, des objectifs de protection qui la sous-tendent ainsi que de l’état de l’évolution du droit de l’Union à la date à laquelle ladite disposition doit être appliquée.

    19      La juridiction de renvoi estime qu’il convient de suivre la seconde de ces alternatives, dès lors que celle-ci permettrait d’éviter d’avoir à rapporter une probatio diabolica et assurerait la mise en œuvre concrète de la dérogation à l’obligation de renvoi, énoncée dans l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335).

    20      Cette juridiction se demande également si l’article 267 TFUE, lu à la lumière des principes d’indépendance des juges et de durée raisonnable de la procédure, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction suprême nationale qui a examiné et rejeté la demande de renvoi préjudiciel en interprétation du droit de l’Union puisse faire l’objet, de plein droit ou à la discrétion de l’auteur du recours, d’une action en responsabilité civile et disciplinaire.

    21      La réponse à l’ensemble de ces interrogations serait pertinente, dès lors que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) serait appelé à trancher, dans le litige au principal, des questions importantes portant sur l’interprétation et l’application du droit de l’Union dont la réponse ne ressortirait pas de la jurisprudence de la Cour, quand bien même ces questions ne se poseraient que de manière abstraite. En effet, bien que la juridiction de renvoi exclut l’existence de doutes raisonnables quant à l’interprétation des dispositions de l’annexe I de la directive 1999/31, elle se considère dans l’impossibilité de démontrer avec certitude que l’interprétation à donner de ces dispositions s’impose subjectivement, avec évidence, également aux juridictions nationales des autres États membres et à la Cour elle-même.

    22      La juridiction de renvoi précise donc qu’elle ne pose la question préjudicielle portant sur lesdites dispositions que pour le cas où la Cour estimerait qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne doit déférer à son obligation de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE, lorsqu’il n’est pas possible de démontrer de manière circonstanciée que les juridictions des autres États membres et la Cour donneraient la même réponse que celle envisagée par cette première juridiction à la question d’interprétation du droit de l’Union qui se pose devant elle.

    23      C’est dans ces conditions que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)      L’article 267 TFUE, interprété correctement, impose-t-il à la juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de procéder au renvoi préjudiciel d’une question en interprétation du droit de l’Union pertinente dans le cadre du litige au principal, même si tout doute d’interprétation peut être écarté quant à la signification de la disposition de droit de l’Union concernée – compte tenu de la terminologie et de la signification des termes de cette disposition propres au droit de l’Union, du contexte de droit de l’Union dans lequel elle s’inscrit et des objectifs de protection qui la sous‑tendent, eu égard à l’état d’évolution du droit de l’Union au moment où elle doit être appliquée dans le cadre de la procédure nationale –, mais qu’il n’est pas possible de prouver de manière circonstanciée, du point de vue subjectif quant à l’attitude d’autres juridictions, que l’interprétation fournie par la juridiction saisie soit la même que celle susceptible d’être donnée par les juridictions d’autres États membres et par la Cour si elles étaient saisies de la même question ?

    2)      Afin de sauvegarder les valeurs constitutionnelles et européennes [d’]indépendance de la justice et de [...] durée raisonnable des procédures, est-il possible d’interpréter l’article 267 TFUE en ce sens qu’il exclut que la juridiction suprême nationale, qui a examiné et rejeté la demande de renvoi préjudiciel en interprétation du droit de l’Union, puisse faire l’objet, de plein droit ou à la discrétion du demandeur seulement, d’une action en responsabilité civile et disciplinaire ?

    3)      Au cas où la Cour répondrait par la négative aux [deux premières questions] :

    Est-il conforme à l’annexe I de la directive 1999/31 de situer l’emplacement d’une décharge dans un trou d’excavation dépourvu de barrière géologique naturelle d’origine, ou en tout état de cause caractérisé par une barrière géologique de taille limitée, surtout s’il existe un doute quant à l’incidence qu’a eue l’activité d’excavation précédemment exercée sur la nappe phréatique profonde d’origine ? »

     Sur les questions préjudicielles

     Sur la première question

    24      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

    25      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire, s’agissant de la réponse à la première question.

    26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne qui, en tenant compte du fait que le droit de l’Union utilise une terminologie qui lui est propre ainsi que de la nécessité de replacer chaque disposition de ce droit dans son contexte et de l’interpréter à la lumière de l’ensemble des dispositions dudit droit, des finalités de celui-ci et de l’état de son évolution à la date à laquelle son application doit être faite, considère que l’interprétation correcte de la disposition du droit de l’Union applicable au litige dont elle est saisie s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable doit, afin de pouvoir s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation de cette disposition, prouver de manière circonstanciée que, d’un point de vue subjectif, les autres juridictions de dernier ressort des États membres et la Cour effectueraient la même interprétation de ladite disposition.

    27      À cet égard, il convient de rappeler que, dans la mesure où il n’existe aucun recours juridictionnel de droit interne contre la décision d’une juridiction nationale, cette dernière est, en principe, tenue de saisir la Cour au sens de l’article 267, troisième alinéa, TFUE dès lors qu’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union est soulevée devant elle (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

    28      Pour autant, selon une jurisprudence constante de la Cour, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne peut s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union et la résoudre sous sa propre responsabilité lorsque l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

    29      Avant de conclure à l’existence d’une telle situation, la juridiction nationale statuant en dernier ressort doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des États membres et à la Cour (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

    30      En outre, l’existence de l’éventualité visée au point 28 de la présente ordonnance doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union européenne (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

    31      II y a lieu d’abord de tenir compte du fait que les dispositions du droit de l’Union sont rédigées en plusieurs langues et que les diverses versions linguistiques font également foi (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

    32      En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques, dès lors que les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

    33      Si une juridiction nationale statuant en dernier ressort ne saurait certes être tenue de se livrer, à cet égard, à un examen de chacune des versions linguistiques de la disposition de l’Union en cause, il n’en reste pas moins qu’elle doit tenir compte des divergences entre les versions linguistiques de cette disposition dont elle a connaissance, notamment lorsque ces divergences sont exposées par les parties et sont avérées (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 44).

    34      Il importe de relever ensuite que le droit de l’Union utilise une terminologie qui lui est propre et des notions autonomes qui n’ont pas nécessairement le même contenu que les notions équivalentes qui peuvent exister dans les droits nationaux (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

    35      Enfin, chaque disposition du droit de l’Union doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

    36      Ainsi, ce n’est que si, à l’aide des critères interprétatifs mentionnés aux points 29 à 35 de la présente ordonnance, une juridiction nationale statuant en dernier ressort conclut à l’absence d’éléments susceptibles de faire naître un doute raisonnable quant à l’interprétation correcte du droit de l’Union que cette juridiction nationale pourra s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union et la résoudre sous sa propre responsabilité (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 47).

    37      Cela étant, la seule possibilité de se livrer à une ou plusieurs autres lectures d’une disposition du droit de l’Union, dans la mesure où aucune de ces autres lectures ne paraisse suffisamment plausible à la juridiction nationale concernée, notamment au regard du contexte et de la finalité de ladite disposition, ainsi que du système normatif dans lequel elle s’insère, ne saurait suffire pour considérer qu’il existe un doute raisonnable quant à l’interprétation correcte de cette disposition (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 48).

    38      Toutefois, lorsque l’existence de lignes de jurisprudence divergentes – au sein des juridictions d’un même État membre ou entre des juridictions d’États membres différents – relatives à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union applicable au litige au principal est portée à la connaissance de la juridiction nationale statuant en dernier ressort, celle-ci doit être particulièrement vigilante dans son appréciation relative à une éventuelle absence de doute raisonnable quant à l’interprétation correcte de la disposition du droit de l’Union en cause et tenir compte, notamment, de l’objectif poursuivi par la procédure préjudicielle qui est d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 49).

    39      Contrairement à ce que semble considérer la juridiction de renvoi, il ne résulte pas des considérations qui précèdent que, afin de pouvoir considérer que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable et s’abstenir, pour cette raison, de soumettre à la Cour une question d’interprétation de ce droit, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne doive « démontrer de manière circonstanciée » que la même évidence s’impose également aux juridictions des autres États membres et à la Cour (ordonnance du 15 décembre 2022, Società Eredi Raimondo Bufarini, C‑144/22, non publiée, EU:C:2022:1013, point 46).

    40      En effet, il résulte de ces considérations que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne doivent apprécier sous leur propre responsabilité, de manière indépendante et avec toute l’attention requise, si elles se trouvent dans l’hypothèse visée au point 28 de la présente ordonnance (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 50).

    41      À cet égard, lorsqu’une juridiction nationale statuant en dernier ressort considère se trouver dans cette hypothèse, les motifs de sa décision doivent faire apparaître que l’interprétation du droit de l’Union s’est imposée à cette juridiction avec une évidence ne laissant place à aucun doute raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 51).

    42      Si une juridiction nationale statuant en dernier ressort, qui considère se trouver dans ladite hypothèse, a acquis, aux termes d’une appréciation qui tient compte des critères interprétatifs mentionnés aux points 30 à 35 de la présente ordonnance ainsi que des considérations exposées aux points 36 à 38 de celle-ci, la conviction que les autres juridictions de dernier ressort des États membres et la Cour partageraient son analyse, cette juridiction nationale peut s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union et la résoudre sous sa propre responsabilité (ordonnance du 15 décembre 2022, Società Eredi Raimondo Bufarini, C‑144/22, non publiée, EU:C:2022:1013, point 49).

    43      Quant à l’arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603), auquel se réfère la juridiction de renvoi, il convient de relever que, si la Cour a jugé, au point 51 de cet arrêt, que la juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel doit saisir la Cour à titre préjudiciel lorsqu’elle possède le moindre doute en ce qui concerne l’interprétation ou l’application correcte du droit de l’Union, il ressort de ce point 51 que cette obligation ne s’impose que lorsqu’il est envisagé, dans un litige au principal, de mettre en œuvre la faculté exceptionnelle pour les juridictions nationales de décider de maintenir, dans les conditions qui ressortent de l’arrêt du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, EU:C:2012:103), certains effets d’un acte national incompatible avec le droit de l’Union (ordonnance du 15 décembre 2022, Società Eredi Raimondo Bufarini, C‑144/22, non publiée, EU:C:2022:1013, point 50).

    44      De même, ce n’est qu’au regard de cette faculté exceptionnelle que la Cour a jugé, au point 52 de l’arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603), que l’absence de doute raisonnable quant à l’exercice de celle-ci doit être démontrée de manière circonstanciée (ordonnance du 15 décembre 2022, Società Eredi Raimondo Bufarini, C‑144/22, non publiée, EU:C:2022:1013, point 51).

    45      Or, il ne ressort pas des éléments soumis à la Cour que l’exercice de ladite faculté exceptionnelle soit en cause dans l’affaire au principal.

    46      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne peut s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union et la résoudre sous sa propre responsabilité lorsque l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. L’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Cette juridiction nationale n’est pas tenue de prouver de manière circonstanciée que les autres juridictions de dernier ressort des États membres et la Cour effectueraient la même interprétation, mais doit avoir acquis, aux termes d’une appréciation qui tient compte de ces éléments, la conviction que la même évidence s’imposerait également à ces autres juridictions nationales et à la Cour.

     Sur la deuxième question

    47      Conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

    48      Il convient de faire application de ladite disposition dans la présente affaire, s’agissant de la deuxième question.

    49      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267 TFUE, lu à la lumière des principes d’indépendance des juges et de durée raisonnable de la procédure, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet d’engager la responsabilité civile et disciplinaire d’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne, lorsque cette juridiction a examiné et rejeté la demande, formulée par l’une des parties au litige devant elle, visant à ce que ladite juridiction saisisse la Cour à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union.

    50      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption de pertinence. Partant, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à ladite question (arrêt du 5 mai 2022, Zagrebačka banka, C‑567/20, EU:C:2022:352, point 43 et jurisprudence citée).

    51      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal a trait à l’annulation d’un acte administratif relatif à l’évaluation de la compatibilité avec l’environnement d’un projet de décharge pour déchets inertes à construire par un opérateur économique et non à l’engagement de la responsabilité civile et disciplinaire d’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne.

    52      Dès lors, il apparaît de manière manifeste que la deuxième question n’a aucun rapport avec l’objet du litige au principal.

    53      Il s’ensuit que la deuxième question est manifestement irrecevable.

     Sur la troisième question

    54      Il ressort de la décision de renvoi que la troisième question n’est posée, ainsi qu’il ressort du point 22 de la présente ordonnance, qu’en cas de réponse affirmative à la première question, telle que reformulée au point 26 de cette ordonnance. Au vu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

     Sur les dépens

    55      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

    Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

    L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne peut s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union et la résoudre sous sa propre responsabilité lorsque l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. L’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union européenne.

    Cette juridiction nationale n’est pas tenue de prouver de manière circonstanciée que les autres juridictions de dernier ressort des États membres et la Cour effectueraient la même interprétation, mais doit avoir acquis, aux termes d’une appréciation qui tient compte de ces éléments, la conviction que la même évidence s’imposerait également à ces autres juridictions nationales et à la Cour.

    Signatures


    *      Langue de procédure : l’italien.

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