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Document 62022CJ0679

Arrêt de la Cour (neuvième chambre) du 29 février 2024.
Commission européenne contre Irlande.
Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2018/1808 – Fourniture de services de médias audiovisuels – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte.
Affaire C-679/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:178

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

29 février 2024 (*)

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2018/1808 – Fourniture de services de médias audiovisuels – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte »

Dans l’affaire C‑679/22,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 4 novembre 2022,

Commission européenne, représentée par Mmes L. Armati, U. Małecka, MM. L. Malferrari et E. Manhaeve, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, MM. A. Joyce et D. O’Reilly, en qualité d’agents, assistés de M. B. Doherty, BL,

partie défenderesse,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu‑Matei, présidente de chambre, M. J.‑C. Bonichot et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :

–        de constater que, en n’ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), compte tenu de l’évolution des réalités du marché (JO 2018, L 303, p. 69), ou, en tout état de cause, en ayant omis de communiquer ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 2 de cette directive ;

–        de condamner l’Irlande à payer une somme forfaitaire fondée sur un montant journalier de 5 544,90 euros par jour et s’élevant au minimum à 1 376 000 euros ;

–        si le manquement constaté au premier tiret s’est poursuivi jusqu’à la date de prononcé de l’arrêt, de condamner l’Irlande à payer une astreinte de 32 257,20 euros par jour, à compter de cette date jusqu’à la date d’exécution des obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2018/1808, et

–        de condamner l’Irlande aux dépens.

 Le cadre juridique

2        Les considérants 1, 4 et 16 de la directive 2018/1808 sont rédigés comme suit :

« (1)      La dernière modification de fond de la directive 89/552/CEE du Conseil[, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO 1989, L 298, p. 23)], ultérieurement codifiée par la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil[, du 10 mars 2010, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive “Services de médias audiovisuels”) (JO 2010, L 95, p. 1)], a été introduite en 2007 par l’adoption de la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 332, p. 27)]. Depuis lors, le marché des services de médias audiovisuels a évolué de manière rapide et conséquente en raison de la convergence qui s’établit entre la télévision et les services Internet. Les développements techniques permettent de nouveaux types de services et de nouvelles expériences d’utilisation. Les habitudes de visionnage, surtout celles des générations plus jeunes, ont changé de manière significative. Même si l’écran de télévision principal conserve une place importante pour partager les expériences audiovisuelles, bon nombre de spectateurs se sont tournés vers d’autres appareils, portables, pour visionner des contenus audiovisuels. Le temps passé devant des contenus télévisuels traditionnels représente encore une part importante de la durée quotidienne moyenne de visionnage.

Toutefois, de nouveaux types de contenus, tels que les clips vidéos ou les contenus créés par l’utilisateur, gagnent en importance tandis que de nouveaux acteurs du secteur, notamment les fournisseurs de services de vidéo à la demande et les plateformes de partage de vidéos, sont désormais bien établis. Cette convergence des médias nécessite un cadre juridique révisé afin de refléter les évolutions du marché et de parvenir à un équilibre entre l’accès aux services de contenu en ligne, la protection des consommateurs et la compétitivité.

[...]

(4)      Les services de plateformes de partage de vidéos fournissent un contenu audiovisuel qui est de plus en plus consulté par le grand public, en particulier les jeunes. Cela vaut également pour les services de médias sociaux, qui sont devenus un vecteur important de partage de l’information, de divertissement et d’éducation, notamment en fournissant un accès à des programmes et à des vidéos créées par l’utilisateur. Parce qu’ils se disputent les mêmes publics et les mêmes recettes que les services de médias audiovisuels, ces services de médias sociaux doivent être inclus dans le champ d’application de la directive [2010/13]. En outre, ils ont également un impact considérable en ce qu’ils permettent plus facilement aux utilisateurs de façonner et d’influencer l’opinion d’autres utilisateurs. Par conséquent, afin de protéger les mineurs des contenus préjudiciables et de mettre l’ensemble des citoyens à l’abri des contenus incitant à la haine, à la violence et au terrorisme, ces services devraient relever de la directive [2010/13] dans la mesure où ils répondent à la définition d’un service de plateformes de partage de vidéos.

[...]

(16)      Compte tenu de la nature spécifique des services de médias audiovisuels et, en particulier, de l’influence qu’ils exercent sur la manière dont le public se forme une opinion, les utilisateurs ont un intérêt légitime à savoir qui est responsable du contenu de ces services. Afin de renforcer la liberté d’expression et, par extension, de promouvoir le pluralisme des médias et d’éviter les conflits d’intérêts, il importe que les États membres veillent à ce que les utilisateurs disposent à tout moment d’un accès aisé et direct aux informations concernant les fournisseurs de services de médias. Il appartient à chaque État membre de prendre une décision en ce qui concerne en particulier les informations pouvant être communiquées sur la structure de propriété et les bénéficiaires effectifs. »

3        L’article 1er de la directive 2018/1808 modifie certaines des dispositions de la directive 2010/13 et insère dans celle-ci de nouvelles dispositions.

4        Ainsi, en vertu de l’article 1er, point 10, de la directive 2018/1808, est inséré dans la directive 2010/13 un article 6 bis, qui est rédigé comme suit :

« 1.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour garantir que les services de médias audiovisuels fournis par des fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence qui pourraient nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soient mis à disposition que dans des conditions telles que les mineurs ne puissent normalement pas les entendre ni les voir. Ces mesures peuvent comprendre le choix de l’heure de l’émission, l’utilisation d’outils permettant de vérifier l’âge ou d’autres mesures techniques. Elles sont proportionnées au préjudice que pourrait causer le programme.

Les contenus les plus préjudiciables, tels que la pornographie et la violence gratuite, font l’objet des mesures les plus strictes.

[...]

3.      Les États membres veillent à ce que les fournisseurs de services de médias fournissent aux spectateurs des informations suffisantes sur les contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs. À cet effet, les fournisseurs de services de médias utilisent un système décrivant la nature potentiellement préjudiciable du contenu d’un service de médias audiovisuels.

[...] »

5        De même, en vertu de l’article 1er, point 23, de la directive 2018/1808, est inséré dans la directive 2010/13 un chapitre IX bis, intitulé « Dispositions applicables aux services de plateformes de partage de vidéos », qui comprend, notamment, l’article 28 ter, dont le paragraphe 1 énonce :

« Sans préjudice des articles 12 à 15 de la directive 2000/31/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (JO 2000, L 178, p. 1)], les États membres veillent à ce que les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos relevant de leur compétence prennent les mesures appropriées pour protéger :

a)      les mineurs des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental et moral, conformément à l’article 6 bis, paragraphe 1 ;

b)      le grand public des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles comportant une incitation à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d’un groupe, fondée sur l’un des motifs visés à l’article 21 de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne] ;

c)      le grand public des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles comportant des contenus dont la diffusion constitue une infraction pénale au titre du droit de l’Union, à savoir la provocation publique à commettre une infraction terroriste, telle qu’énoncée à l’article 5 de la directive (UE) 2017/541 [du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2017, relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil (JO 2017, L 88, p. 6)], les infractions liées à la pédopornographie telles qu’énoncées à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil[, du 13 décembre 2011, relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (JO 2011, L 335, p. 1),] et les infractions relevant du racisme et de la xénophobie telles qu’énoncées à l’article 1er de la décision-cadre 2008/913/JAI [du Conseil, du 28 novembre 2008, sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal (JO 2008, L 328, p. 55)]. »

6        L’article 2 de la directive 2018/1808 prévoit :

« 1.      Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 19 septembre 2020. Ils communiquent immédiatement le texte de ces dispositions à la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2.      Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine couvert par la présente directive. »

 La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

7        N’ayant reçu de l’Irlande aucune communication des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2018/1808 dans le délai imparti à l’article 2 de celle-ci, la Commission a adressé à l’Irlande, le 20 novembre 2020, une lettre de mise en demeure et l’a invitée à présenter ses observations.

8        Le 18 janvier 2021, les autorités irlandaises ont répondu à cette lettre en expliquant que, afin de donner effet à la directive 2018/1808 en Irlande, il était nécessaire de réviser le cadre réglementaire en matière de radiodiffusion et de médias et d’y apporter des modifications substantielles. Ces autorités indiquaient avoir l’espoir que les mesures de transposition seraient adoptées au cours de l’année 2021, notamment après l’expiration, le 11 mars 2021, de la période de statu quo à la suite de la notification à la Commission, le 10 décembre 2020, du plan général du projet de loi de transposition de la directive 2018/1808, en application de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1).

9        En l’absence d’indications des autorités irlandaises sur un calendrier ou sur une date de transposition de la directive 2018/1808, la Commission a, le 23 septembre 2021, adressé un avis motivé à l’Irlande, en lui demandant de se conformer à ses obligations dans les deux mois à compter de la réception de cet avis motivé.

10      Par lettre du 23 novembre 2021, les autorités irlandaises ont répondu audit avis motivé en indiquant que des travaux intensifs étaient en cours pour garantir la mise en œuvre rapide des mesures nécessaires à la transposition de cette directive. Elles ont expliqué que le projet de loi avait été rédigé et qu’il était espéré que sa publication ait lieu avant la fin de l’année 2021 en vue de lancer le processus de son adoption par l’Oireachtas (Parlement irlandais).

11      Constatant que les mesures aux fins de la transposition complète de la directive 2018/1808 n’avaient toujours pas été adoptées par l’Irlande, la Commission a, le 19 mai 2022, décidé de saisir la Cour du présent recours.

12      Le 4 novembre 2022, la Commission a introduit le présent recours.

13      Dans sa duplique du 8 mai 2023, l’Irlande a indiqué avoir notifié à la Commission, le 2 mars 2023, le Online Safety and Media Regulation Act 2022 (loi sur la sécurité en ligne et la réglementation des médias 2022, ci-après la « loi sur la sécurité en ligne »), qui transpose l’essentiel des dispositions de la directive 2018/1808.

14      Le 8 mai 2023, la phase écrite de la procédure a été clôturée.

15      Par acte du 26 janvier 2024, la Commission a adapté ses conclusions en ce qui concerne la demande d’imposition de sanctions pécuniaires à l’Irlande (ci-après l’« acte du 26 janvier 2024 »), compte tenu des progrès accomplis par cet État membre dans la transposition de la directive 2018/1808 depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité en ligne en mars 2023.

16      En ce qui concerne la somme forfaitaire, la Commission propose désormais d’appliquer, d’une part, pour la période allant de la date suivant celle de l’expiration du délai de transposition de cette directive, à savoir le 20 septembre 2020, jusqu’au 14 mars 2023, une somme forfaitaire de 4 983 000 euros et, d’autre part, pour la période allant du 15 mars 2023 à la date de la fin de l’infraction ou, à défaut, à celle du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, une somme forfaitaire de 4 400 euros par jour.

17      S’agissant de l’astreinte, la Commission demande désormais à la Cour d’imposer une astreinte journalière de 26 400 euros jusqu’à la date à laquelle l’Irlande se conformera pleinement aux obligations prévues à l’article 2 de la directive 2018/1808.

18      Le 12 février 2024, l’Irlande a présenté ses observations sur l’adaptation des conclusions de la Commission.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

19      L’Irlande excipe de l’irrecevabilité du recours au motif que la Commission n’aurait pas respecté le principe de collégialité. À cet égard, l’Irlande soutient que, dans l’hypothèse où les membres du collège de cette institution se seraient contentés de prendre une décision de principe de saisir la Cour sans examiner la gravité de l’infraction, cette circonstance serait contraire au principe selon lequel la Commission, conformément à son règlement intérieur, agit de manière collégiale. Or, dans la mesure où il ressort de la requête que la Commission s’appuie à tort sur des suppositions relatives à la gravité de l’infraction pour déterminer les montants de la somme forfaitaire et de l’astreinte demandés, les membres du collège n’auraient pas été correctement informés des véritables faits.

20      La Commission conclut au rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’Irlande.

21      À cet égard, il suffit de relever que, en reprochant à la Commission de s’appuyer sur des suppositions en ce qui concerne notamment l’appréciation du facteur relatif à la gravité du manquement reproché, dont il faudrait déduire que cette institution n’a pas agi dans le respect du principe de collégialité, l’Irlande conteste, en réalité, non pas la recevabilité du recours en manquement introduit au titre de l’article 258 TFUE, mais le bien-fondé de la demande d’application des sanctions pécuniaires, en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

22      Dans ses conditions, l’exception d’irrecevabilité du recours doit être rejetée.

 Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE

 Argumentation des parties

23      La Commission rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable ainsi qu’avec la spécificité, la précision et la clarté requises pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique. De plus, l’article 2 de la directive 2018/1808 imposerait aux États membres d’adopter un acte positif de transposition.

24      En tout état de cause, les États membres seraient tenus de fournir à la Commission des informations précises pour lui permettre d’identifier sans ambiguïté quelles sont les mesures législatives, réglementaires et administratives au moyen desquelles ils considèrent avoir rempli les obligations imposées par une directive.

25      Or, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé et jusqu’à l’introduction du présent recours, l’Irlande n’aurait pas adopté les mesures nécessaires pour transposer la directive 2018/1808 dans son droit national et, en toute hypothèse, aurait omis de les communiquer à la Commission. La Commission rappelle, de surcroît, qu’un État membre ne saurait exciper de circonstances d’ordre interne ou de pratiques pour justifier une absence de transposition dans les délais prescrits.

26      L’Irlande ne conteste pas que, à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, elle n’avait pas adopté les mesures nécessaires à la transposition de la directive 2018/1808.

27      Certes, dans sa duplique, l’Irlande souligne qu’elle a notifié à la Commission, le 2 mars 2023, √la loi sur la sécurité en ligne qui transpose l’essentiel des dispositions de la directive 2018/1808. Toutefois, l’Irlande admet ne pas avoir transposé dans son intégralité cette directive ni notifié toutes les mesures de transposition pertinentes, mais affirme que la transposition dans le droit irlandais de ladite directive se trouve à un stade très avancé.

 Appréciation de la Cour

28      Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé de la Commission [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 30, ainsi que du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 15 et jurisprudence citée].

29      En l’espèce, la Commission ayant notifié l’avis motivé à l’Irlande le 23 septembre 2021, le délai de deux mois qui a été imparti à cet État membre pour se conformer à ses obligations a expiré le 23 novembre 2021.

30      Or, ainsi qu’il ressort, notamment, du mémoire en défense et de la duplique déposés par l’Irlande dans la présente procédure, il est constant que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 23 septembre 2021, l’Irlande n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2018/1808 et, partant, n’avait pas communiqué lesdites dispositions à la Commission.

31      L’existence, en droit irlandais, des réglementations dont l’Irlande estime qu’elles assureraient, au moins partiellement, le respect de mêmes valeurs que celles protégées par la directive 2018/1808 n’infirme pas cette conclusion eu égard à l’obligation des États membres d’adopter un acte positif de transposition d’une directive qui prévoit expressément que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle [voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 31 et jurisprudence citée], comme c’est le cas de l’article 2 de la directive 2018/1808. Ces réglementations ne sauraient, dès lors, être considérées comme constituant un acte positif de transposition de cette directive.

32      Il s’ensuit que l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 de cette directive.

 Sur les sanctions pécuniaires au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

 Argumentation des parties

33      Dans sa requête, la Commission rappelle, d’une part, que la directive 2018/1808 a été adoptée selon la procédure législative ordinaire et relève donc du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, et, d’autre part, que le manquement par l’Irlande à l’obligation prévue à l’article 2 de cette directive, en raison du fait qu’elle n’a pas communiqué à la Commission les dispositions nationales de transposition, constitue manifestement une absence de communication de l’intégralité des mesures de transposition de ladite directive, au sens de cet article 260, paragraphe 3.

34      En vertu de cette disposition, et conformément aux indications figurant dans sa communication 2017/C 18/02, intitulée « Le droit de l’UE : une meilleure application pour de meilleurs résultats » (JO 2017, C 18, p. 10), la Commission demande à la Cour d’imposer à l’Irlande le paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte.

35      La Commission rappelle également que, dans sa communication 2011/C 12/01, intitulée « Mise en œuvre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE » (JO 2011, C 12, p. 1, ci-après la « communication de 2011 »), elle a précisé que les astreintes qu’elle proposera en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, seront calculées selon la même méthode que celle utilisée pour les saisines de la Cour au titre du paragraphe 2 de cette disposition, telle qu’exposée aux points 14 à 18 de  la communication du 12 décembre 2005, intitulée « Mise en œuvre de l’article 228 du traité CE » [doc. SEC (2005) 1658, ci-après la « communication de 2005 »].

36      Par conséquent, la détermination de la sanction pécuniaire devrait se fonder sur les trois critères fondamentaux utilisés dans l’application de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, à savoir i) la gravité de l’infraction ; ii) la durée de celle-ci, et iii) la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction elle-même pour éviter les récidives.

37      S’agissant, premièrement, de la gravité de l’infraction, conformément à la communication de 2011, la Commission propose de fixer le coefficient de gravité en tenant compte de deux paramètres, à savoir l’importance des règles de l’Union faisant l’objet de l’infraction et leurs conséquences pour les intérêts généraux et individuels.

38      Dans ce contexte, en premier lieu, la Commission souligne que les règles prévues par la directive 2018/1808 visent à développer davantage le marché intérieur dans le secteur très dynamique que constitue le secteur des médias audiovisuels. Ces règles auraient pour objet de préciser les droits des prestataires de ces services, d’étendre le champ d’application de la directive 2010/13 aux plateformes de partage de vidéos, d’établir des critères supplémentaires pour déterminer la compétence des États membres et de mettre en place un mécanisme de collecte d’informations actualisées sur la compétence des États membres à l’égard des fournisseurs de services de médias. De plus, la directive 2018/1808 créerait un paysage audiovisuel plus sûr, plus équitable et plus diversifié, à la lumière des progrès technologiques. Ainsi, ses règles renforceraient la protection des téléspectateurs, notamment en ce qui concerne la sécurité des plus vulnérables d’entre eux, tels que les mineurs, en introduisant des règles visant à les protéger contre les contenus qui pourraient nuire à leur développement (y compris les communications commerciales audiovisuelles et les plateformes de partage de vidéos), et à interdire les contenus qui incitent à la violence ou à la haine. Cette directive viserait aussi à faciliter l’accessibilité pour les personnes handicapées et à autoriser des mesures nationales visant à rendre plus visibles les contenus d’intérêt général. Ladite directive favoriserait la diversité culturelle et encouragerait la production d’œuvres européennes par la vidéo à la demande. Elle comprendrait également des dispositions qui garantissent l’intégrité des signaux et réglementent les communications commerciales audiovisuelles. Enfin, la même directive renforcerait les dispositions de la directive 2010/13 visant à garantir l’indépendance des organismes de contrôle nationaux.

39      En second lieu, la Commission estime que l’absence de transposition de la directive 2018/1808 en Irlande est susceptible d’avoir une incidence négative sur la situation des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux.

40      S’agissant des premières, faute de transposition de cette directive, les services non linéaires, c’est-à-dire à la demande, ne seraient toujours pas soumis à des obligations analogues à celles des services linéaires. De même, outre le fait que les entreprises de médias ne pourraient pas profiter d’un cadre juridique modernisé, les prestataires ne bénéficieraient ni des nouvelles dispositions qui renforcent le principe de l’État membre d’origine ni non plus d’une plus grande flexibilité dans la publicité télévisée, alors qu’une telle flexibilité permet aux diffuseurs de choisir plus librement les moments de diffusion durant la journée.

41      Quant aux utilisateurs finaux, ceux-ci ne pourraient pas bénéficier des règles les protégeant contre les contenus incitant à la violence et à la haine, ni de celles garantissant l’accessibilité pour les personnes handicapées. Les mineurs ne jouiraient pas des mesures renforcées contre les communications commerciales audiovisuelles inappropriées et, faute de transposition du chapitre IX bis de la directive 2018/1808, le comportement responsable des fournisseurs de plateformes de partage de vidéos, dont les utilisateurs seraient principalement des mineurs, ne serait pas garanti en Irlande. Les utilisateurs finaux ne bénéficieraient pas non plus des nouvelles obligations visant à promouvoir la production et la distribution d’œuvres européennes.

42      Au vu de ces considérations et compte tenu du fait qu’aucune mesure de transposition n’a été communiquée à la Commission, ce qui doit être considéré comme étant d’une gravité certaine, cette institution propose un coefficient de gravité de 10 dans la présente affaire sur l’échelle de 1 à 20 prévue dans sa communication de 2005, à laquelle renvoie la communication de 2011. Dans son acte du 26 janvier 2024, la Commission réitère cette proposition en ce qui concerne la période courant jusqu’au 14 mars 2023. En revanche, compte tenu de l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité en ligne, elle propose, en application de sa communication du 4 janvier 2023, intitulée « Sanctions financières dans les procédures d’infraction » (JO 2023, C 2, p. 1, ci-après la « communication de 2023 »), de réduire le coefficient de gravité à 8 pour la période allant du 15 mars 2023 jusqu’à la date de la fin de l’infraction ou, à défaut, jusqu’au prononcé de l’arrêt dans la présente affaire.

43      Deuxièmement, en ce qui concerne la durée du manquement, la Commission soutient, dans sa requête, que, conformément à sa communication de 2011, celle-ci correspond à une période de 20 mois, qui a débuté le jour suivant l’expiration du délai de transposition, fixé dans la directive 2018/1808 au 19 septembre 2020, et s’est achevée à la date d’adoption de la décision de former un recours contre l’Irlande devant la Cour, soit le 19 mai 2022. L’application d’un taux de 0,10 par mois conduirait à un coefficient de durée de 2 sur l’échelle de 1 à 3 prévue dans cette communication, qui renvoie à la communication de 2005. Dans son acte du 26 janvier 2024, la Commission propose que la durée du manquement soit adaptée de telle sorte que soit prise en compte la circonstance que la transposition complète de cette directive par l’Irlande n’était toujours par intervenue à la date du 14 mars 2023, soit 906 jours après l’échéance fixée à l’article 2 de la directive 2018/1808, et se poursuit d’ailleurs encore après cette date.

44      Troisièmement, pour ce qui est de l’effet dissuasif de la sanction, la Commission propose, dans sa requête, d’avoir recours à la méthode de calcul prévue dans sa communication 2019/C 70/01, intitulée « Modification de la méthode de calcul des sommes forfaitaires et des astreintes journalières proposée par la Commission dans le cadre des procédures d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne » (JO 2019, C 70, p. 1, ci-après la « communication de 2019 »). Cette méthode, exprimée par le facteur « n », tiendrait compte de la capacité de paiement de l’État membre concerné et reposerait sur deux éléments, à savoir le produit intérieur brut (PIB) et le poids institutionnel de cet État membre, représenté par le nombre de sièges dont il dispose au sein du Parlement européen.

45      Même si la Cour, dans son arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel) (C‑51/20, EU:C:2022:36), a remis en question la pertinence tant de ce second élément que du coefficient d’ajustement de 4,5 prévus dans la communication de 2019, la Commission explique qu’elle a néanmoins décidé d’appliquer en l’occurrence les critères prévus dans cette communication, dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle communication qui tiendrait compte de la jurisprudence récente de la Cour.

46      Ainsi, conformément à la mise à jour de la communication de 2019, effectuée dans la communication 2022/C 74/02, intitulée « Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre des procédures d’infraction (JO 2022, C 74, p. 2, ci-après la « communication de 2022 »), le facteur « n » pour l’Irlande serait de 0,61. Dans l’acte du 26 janvier 2024, la Commission propose désormais de se fonder sur le facteur « n », tel qu’il résulte de la communication de 2023. Selon cette dernière communication, ce facteur serait de 0,55 pour l’Irlande.

47      En ce qui concerne le montant de l’astreinte journalière, celui-ci se calculerait en multipliant un forfait de base uniforme par le coefficient de gravité et le coefficient de durée, puis par le facteur « n » applicable à l’État membre concerné.

48      Si, dans sa requête, pour le calcul de l’astreinte journalière, la Commission s’est fondée sur les données figurant dans la communication de 2022, elle a pris appui, dans l’acte du 26 janvier 2024, sur celles établies dans la communication de 2023. Ainsi, conformément à cette dernière communication, le forfait de base serait de 3 000 euros par jour. Étant donné que le coefficient de gravité proposé est de 8, le coefficient de durée proposé de 2,0 et le facteur « n » proposé de 0,55, il en résulterait un montant journalier de 26 400 euros, à compter du jour où l’arrêt sera rendu et jusqu’à la date d’exécution des obligations qui incombent à l’Irlande.

49      S’agissant de la somme forfaitaire, la Commission estime que celle-ci devrait avoir un socle minimal fixé pour chaque État membre. Dans le cas d’espèce, conformément à la communication de 2023, cette somme forfaitaire minimale pour l’Irlande serait de 1 540 000 euros.

50      À la lumière du point 21 de la communication de 2005, si le calcul de la somme forfaitaire dépasse la somme forfaitaire minimale fixée pour chaque État membre, il appartiendrait à la Commission de proposer à la Cour de déterminer la somme forfaitaire en multipliant un montant journalier par le nombre de jours de persistance de l’infraction écoulés entre le jour qui suit l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive 2018/1808 et le jour où le manquement a pris fin ou, à défaut, le jour de prononcé de l’arrêt rendu en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

51      Ainsi, le montant journalier devrait être calculé en multipliant le forfait de base par le coefficient de gravité et par le facteur « n ».

52      Conformément à la communication de 2023, la Commission propose, dans l’acte du 26 janvier 2024, que le forfait de base pour l’Irlande soit de 1000 euros par jour. En l’espèce, le coefficient de gravité étant fixé, d’une part, à 10 pour la période allant de la date suivant celle de l’expiration du délai de transposition de cette directive, à savoir le 20 septembre 2020, jusqu’au 14 mars 2023 et, d’autre part, à 8 pour la période allant du 15 mars 2023 à la date de la fin de l’infraction ou, à défaut, à celle du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, et le facteur « n » à 0,55, le montant journalier de la somme forfaitaire serait de 5 500 euros pour la première période visée ci-dessus et de 4 400 pour la seconde période, étant encore précisé que la somme forfaitaire à laquelle l’Irlande devrait être condamnée à payer ne pourrait être inférieure à 1 540 000 euros.

53      L’Irlande conteste, premièrement, les appréciations de la Commission relatives à la gravité  du manquement. Elle soutient qu’il serait erroné de prétendre que le droit irlandais ne contient ni règle protégeant les utilisateurs contre des contenus incitant à la violence et à la haine ni disposition relative aux communications commerciales visant les mineurs, puisque la directive 2010/13, qui prévoit de telles règles et dispositions, aurait été transposée dans l’ordre juridique irlandais. Il en irait de même des autres affirmations de cette institution se rapportant aux prestataires de services audiovisuels. Ainsi, la Commission se serait formée une opinion sur la gravité du manquement sans avoir de réelle connaissance du contexte législatif national et sans avoir analysé le droit irlandais, en se fondant uniquement sur des suppositions au demeurant inexactes. La Commission n’aurait donc pas étayé son allégation quant à la gravité du manquement.

54      Deuxièmement, l’Irlande relève que la Commission admet elle-même que sa méthode de calcul de l’effet dissuasif de la sanction est incompatible avec l’arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel) (C‑51/20, EU:C:2022:36). Or, il serait inacceptable que la Commission demande à la Cour d’infliger des sanctions utilisant un coefficient d’ajustement de 4,5, tout en reconnaissant qu’elle ne peut objectivement justifier celui-ci.

55      Troisièmement, s’agissant de la durée de l’infraction, l’Irlande reconnaît que la transposition dans son ordre juridique de la directive 2018/1808 s’est heurtée à un certain nombre de difficultés et exigeait des changements législatifs complexes. Cet État membre demande aussi que la période de statu quo, découlant de l’obligation de notifier le plan général du projet de loi sur la sécurité en ligne, en application de la directive 2015/1535, soit prise en compte dans le cadre du calcul de la durée de l’infraction, qui repose nécessairement sur des périodes postérieures à la date limite de transposition. En effet, pendant cette période de statu quo, l’État membre serait juridiquement empêché d’édicter des règles nationales.

56      Enfin, quatrièmement, l’Irlande demande à la Cour, à titre principal, de n’imposer aucune sanction. Le paiement d’une somme forfaitaire serait disproportionné, étant donné que l’adoption de toutes les dispositions nationales nécessaires à la transposition de la directive 2018/1808 serait imminente et que l’Irlande a coopéré avec la Commission tout au long de la procédure précontentieuse et a tenu cette dernière informée de l’avancement du cadre réglementaire pertinent. En outre, la Commission proposerait de recourir à une méthodologie illégale et, de surcroît, se livrerait à une description totalement trompeuse de l’état du droit irlandais.

57      En ce qui concerne l’astreinte, l’Irlande allègue que l’imposition de celle-ci ne devrait pas être nécessaire, à supposer que toutes les dispositions internes aux fins de la transposition soient adoptées à la date du prononcé de l’arrêt à venir.

58      À titre subsidiaire, l’Irlande fait valoir que le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte devrait uniquement être imposé à titre symbolique, adapté aux circonstances et proportionnel à l’infraction.

59      Dans sa réplique, la Commission souligne, s’agissant de la prétendue absence de gravité de l’infraction, qu’elle applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de non-communication complète des mesures de transposition, toutes les directives devant être considérées, dans une Union fondée sur l’État de droit, d’égale importance.

60      En tout état de cause, la Commission réfute les allégations selon lesquelles elle se serait fondée sur des suppositions. Elle indique avoir mentionné les dispositions de la directive 2018/1808 concernant la protection contre les contenus incitant à la violence ou à la haine et les communications commerciales destinées aux mineurs comme étant des éléments essentiels de cette directive, qui renforcent les actes législatifs précédents, sans prétendre avoir analysé le droit irlandais, ce dont elle n’a d’ailleurs aucune obligation de faire. Cela ne contredirait pas sa constatation quant à l’absence de « renforcement » du droit irlandais en ce qui concerne ces éléments essentiels, qui se fonde précisément sur la non-transposition de ladite directive.

61      En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission observe que les différentes difficultés d’ordre interne évoquées par l’Irlande pour justifier le non-respect du délai de transposition de la directive 2018/1808 ne sauraient être accueillies. En outre, toute obligation de notifier les modifications proposées au titre de la directive 2015/1535 ou de tout autre acte de l’Union devrait être prise en compte par l’État membre pour assurer une transposition en temps utile d’une directive. En l’espèce, la notification du plan général du projet de loi visant à transposer partiellement la directive 2018/1808, en application de la directive 2015/1535, aurait été effectuée près de trois mois après l’expiration du délai de transposition fixé par la directive 2018/1808.

62      Enfin, la Commission ne perçoit pas, au vu des circonstances de l’espèce, en quoi sa demande de condamnation de l’Irlande au paiement d’une somme forfaitaire serait disproportionnée. Le fait que l’Irlande ait coopéré en informant la Commission sur l’état d’avancement ou l’absence de progrès n’empêche pas que des sanctions soient infligées. Quant à l’argument de l’Irlande fondé sur l’arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel) (C‑51/20, EU:C:2022:36), la Commission rappelle que, dans cette affaire, malgré les critiques faites à l’égard de la prise en compte du poids institutionnel de l’État membre concerné, la Cour a infligé à ce dernier une astreinte ainsi qu’une somme forfaitaire. Elle estime que la proposition figurant dans sa requête fournit une orientation utile à la Cour dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

63      Dans son mémoire en duplique, l’Irlande expose que la loi sur la sécurité en ligne, entrée en vigueur le 22 février 2023 et formellement notifiée à la Commission le 2 mars 2023, traite la plupart des éléments mis en évidence par cette dernière dans sa requête, laquelle soulignait l’importance de la directive 2018/1808 eu égard aux intérêts généraux et individuels. Cet aspect devrait donc être pris en compte lors de l’examen de la gravité de l’infraction.

64      S’agissant de la capacité de paiement de l’Irlande, celle-ci estime que, étant donné que la Commission admet que la Cour n’est pas liée par ses calculs, cette dernière ne devrait pas se fonder sur le coefficient d’ajustement de 4,5 ni même sur aucune donnée des calculs proposés par la Commission. Ainsi, la Cour ne devrait pas imposer de sanction ou, à tout le moins, ne devrait le faire qu’à titre symbolique.

65      Dans sa lettre du 12 février 2024, l’Irlande accueille favorablement l’adaptation des conclusions de la Commission pour autant qu’elle modifie certains aspects du calcul des sanctions que cette dernière a initialement proposées, tels que le facteur de gravité. Toutefois, l’Irlande réitère sa position selon laquelle la Cour ne devrait pas imposer de sanctions ou, tout au moins, ne devrait le faire qu’à titre symbolique. Cet État membre admet néanmoins que plusieurs dispositions de la directive 2018/1808 doivent encore faire l’objet de transposition en droit irlandais par des règles ou des codes devant être adoptés par la Coimisiún na Meán (Commission des médias), l’autorité de régulation qui a été mise en place à la suite de l’adoption de la loi sur la sécurité en ligne.

 Appréciation de la Cour

–       Sur l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE et l’imposition des sanctions pécuniaires

66      L’article 260, paragraphe 3, TFUE prévoit, à son premier alinéa, que, lorsque la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 258 TFUE, estimant que l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative, cette institution peut, lorsqu’elle le considère approprié, indiquer le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer par cet État membre, qu’elle estime adapté aux circonstances. Conformément au second alinéa de cet article 260, paragraphe 3, si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission, l’obligation de paiement prenant effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.

67      Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 30 du présent arrêt, il est établi que, à l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé du 23 septembre 2021, l’Irlande n’avait ni adopté ni, partant, communiqué à la Commission les mesures nécessaires visant à transposer dans son droit interne les dispositions de la directive 2018/1808, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

68      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’objectif poursuivi par l’introduction du mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle disposition, aurait tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure d’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication des mesures nationales de transposition d’une directive adoptée conformément à la procédure législative [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 52 et jurisprudence citée].

69      Afin d’atteindre cet objectif, l’article 260, paragraphe 3, TFUE prévoit l’imposition de deux types de sanctions pécuniaires, à savoir une somme forfaitaire et une astreinte.

70      Si l’application d’une astreinte semble particulièrement adaptée pour inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement, la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations pesant sur l’État membre concerné à l’égard des intérêts privés et publics en présence, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 54 et jurisprudence citée].

71      En l’espèce, la Commission a proposé que soit imposé à l’Irlande le paiement tant d’une somme forfaitaire que d’une astreinte.

–       Sur la demande visant à imposer une somme forfaitaire

72      S’agissant de l’opportunité d’imposer une somme forfaitaire en l’espèce, il convient de rappeler, en premier lieu, qu’il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 69 et jurisprudence citée].

73      Dans la présente affaire, il y a lieu de considérer que, nonobstant le fait que l’Irlande a coopéré avec les services de la Commission tout au long de la procédure précontentieuse et qu’elle a tenu ces derniers informés des raisons qui l’ont empêchée d’assurer la transposition dans le droit national de la directive 2018/1808, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté, à savoir l’absence totale de communication des mesures nécessaires à la transposition de cette directive à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé et même à la date d’introduction du présent recours, constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire [voir, par analogie, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 70 et jurisprudence citée].

74      En ce qui concerne, en second lieu, le calcul de la somme forfaitaire qu’il est approprié d’infliger en l’espèce, il importe de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné à l’infraction commise. Figurent, notamment, au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 73 et jurisprudence citée].

75      S’agissant, tout d’abord, de la gravité de l’infraction, il y a lieu de souligner que l’obligation d’adopter les mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de communiquer ces mesures à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 74 et jurisprudence citée].

76      S’ajoute à cela que, dans le cas d’espèce, la directive 2018/1808 est un instrument important visant à adapter et à réviser la réglementation de l’Union selon les évolutions rapides et conséquentes du marché des services des médias audiovisuels. En effet, en raison de la convergence entre la télévision et les services Internet et de l’émergence de nouveaux types de contenus, y inclus les services de partage de vidéos fournissant du contenu audiovisuel, il a été nécessaire, ainsi que le mettent en exergue les considérants 1 et 4 de cette directive, de réviser le cadre juridique existant dans le but de parvenir à un équilibre entre l’accès aux services de contenu en ligne, la protection des consommateurs, y compris les plus vulnérables d’entre eux, tels que les mineurs, ainsi que la compétitivité. Or, l’absence ou l’insuffisance de mesures de transposition appropriées des dispositions de ladite directive qui visent, en particulier, à protéger les mineurs de contenus préjudiciables et à mettre à l’abri les citoyens des contenus incitant à la haine, à la violence et au terrorisme, notamment sur les plateformes de partage de vidéos fournissant un contenu audiovisuel, y inclus les médias sociaux, doivent être considérées comme présentant une gravité certaine au vu des conséquences de cette absence ou de cette insuffisance pour les intérêts publics et privés au sein de l’Union européenne, compte tenu de l’influence que les services de médias audiovisuels exercent sur la manière dont le public se forme une opinion, ainsi que le rappelle le considérant 16 de cette même directive.

77      La gravité de ce manquement est, par ailleurs, renforcée par la circonstance que, malgré l’adoption, au cours de la procédure contentieuse, de la loi sur la sécurité en ligne, l’Irlande n’avait pas adopté l’ensemble des mesures de transposition de la directive 2018/1808, y compris des éléments essentiels de cette dernière.

78      C’est ainsi que l’Irlande a concédé, dans sa duplique, ne pas avoir encore transposé les dispositions, figurant à l’article 6 bis, paragraphes 1 et 3, de la directive 2010/13, tel qu’inséré dans celle-ci par la directive 2018/1808, qui visent à garantir que les services de médias audiovisuels ne mettent pas à la disposition des mineurs des contenus qui pourraient nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral, ainsi que celles, figurant à l’article 28 ter, paragraphe 1, de la directive 2010/13, tel qu’inséré dans celle-ci par la directive 2018/1808, relatives à la mise en place de mesures appropriées par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos, relevant de la compétence de chaque État membre, pour protéger le grand public de programmes, de vidéos ou de communications commerciales audiovisuelles comportant une incitation à la violence ou à la haine ou qui constituent une infraction pénale au titre du droit de l’Union. Par ailleurs, si l’Irlande allègue que la loi sur la sécurité en ligne comporte des dispositions permettant l’adoption de codes visant soit la protection des enfants soit les plateformes de partage de vidéos, elle admet que les règles requises à cette fin ne sont pas encore mises en œuvre dans leur intégralité. De même, dans la lettre du 12 février 2024, l’Irlande a admis que, malgré l’adoption de ladite loi, plusieurs dispositions de la directive 2018/1808 doivent encore faire l’objet d’une transposition en droit irlandais.

79      Concernant, ensuite, la durée de l’infraction, il importe de rappeler que celle-ci doit, en principe, être évaluée en tenant compte de la date à laquelle la Cour apprécie les faits et non pas de celle à laquelle cette dernière est saisie par la Commission. Cette appréciation des faits doit être considérée comme intervenant à la date de la clôture de la procédure [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 79 et jurisprudence citée].

80      En l’espèce, il est constant que le manquement en cause n’avait pas encore pris fin à la date de clôture de la procédure écrite, intervenue le 8 mai 2023.

81      S’agissant du début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire, la date à retenir en vue de l’évaluation de la durée du manquement en cause est non pas celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, mais la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 81 et jurisprudence citée].

82      En l’occurrence, il est constant que l’Irlande n’avait pas, à l’expiration du délai de transposition prévu à l’article 2 de la directive 2018/1808, à savoir le 19 septembre 2020, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition de cette directive et, partant, n’avait pas non plus communiqué les mesures de transposition de celle-ci à la Commission.

83      Il s’ensuit que le manquement en cause a duré plus de deux ans et sept mois.

84      Cette appréciation n’est pas infirmée par l’argument de l’Irlande tiré de l’obligation de respecter une période de statu quo de trois mois, à la suite de la notification à la Commission, au mois de décembre 2020, du cadre général du projet de loi de sécurité en ligne, en application de la directive 2015/1535, période qui devrait être soustraite, selon l’Irlande, de la durée totale du manquement. En effet, il est constant que le respect de cette période n’est aucunement à l’origine du retard pris par l’Irlande dans ladite transposition, la notification en vertu de la directive 2015/1535 ayant été effectuée après l’expiration du délai de transposition de la directive 2018/1808. À cet égard, il importe de rappeler que, si le délai pour la transposition d’une directive s’avère trop court, le cas échéant, en raison de la nécessité de garantir, avant l’expiration de ce délai, le respect de la période de statu quo prévue par la directive 2015/1535, la seule voie compatible avec le droit de l’Union consiste, pour l’État membre intéressé, à prendre des initiatives appropriées en vue d’obtenir que soit arrêtée, par l’institution compétente, la prorogation éventuelle dudit délai [voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 85].

85      Enfin, en ce qui concerne la capacité de paiement de l’État membre en cause, la Commission a proposé, dans sa requête, de prendre en compte, outre le PIB de cet État membre, le poids institutionnel de celui-ci dans l’Union, exprimé par le nombre de sièges dont il dispose au Parlement européen, conformément à la communication de 2019.

86      Toutefois, avant même l’introduction du présent recours, la Cour a jugé que la prise en compte du poids institutionnel de l’État membre concerné n’est pas indispensable pour garantir une dissuasion suffisante et amener cet État membre à modifier son comportement actuel ou futur dans le domaine concerné [arrêts du 20 janvier 2022, Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel), C‑51/20, EU:C:2022:36, point 115, ainsi que du 9 novembre 2023, Commission/Suède (Contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes), C‑353/22, EU:C:2023:851, point 75].

87      Si, dans l’acte du 26 janvier 2024, la Commission a proposé de se fonder sur la méthode qui résulte de la communication de 2023, en particulier s’agissant du calcul de la capacité de paiement de l’État membre concerné, il n’y a pas lieu de se prononcer sur cette nouvelle méthode, à ce stade de la procédure. Il importe d’ailleurs de relever que, conformément au point 7 de cette communication, les règles et les critères qui sont exposés dans celle-ci ne s’appliquent qu’aux décisions de saisir la Cour au titre de l’article 260 TFUE après la publication de ladite communication.

88      Eu égard à ce qui précède et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne la somme forfaitaire dont elle inflige le paiement, dépasser le montant indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues à celle résultant de la violation de l’article 2 de la directive 2018/1808 et affectant la pleine effectivité du droit de l’Union requiert l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à 2 500 000 d’euros.

–       Sur la demande visant à imposer une astreinte journalière

89      S’agissant de l’opportunité d’imposer une astreinte en l’espèce, il importe de rappeler que celle-ci ne se justifie en principe que pour autant que perdure le manquement que cette astreinte vise à sanctionner jusqu’à l’examen des faits par la Cour, lequel doit être considéré comme intervenant à la date de la clôture de la procédure [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, points 55 et 57 ainsi que jurisprudence citée].

90      Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 80 du présent arrêt, il n’est pas contesté en l’espèce que, à la date de la clôture de la procédure écrite, à savoir le 8 mai 2023, l’Irlande n’avait ni adopté ni, partant, communiqué l’ensemble des mesures nécessaires pour assurer la transposition des dispositions de la directive 2018/1808 dans le droit interne. Par conséquent, il doit être constaté que l’Irlande a persisté dans son manquement.

91      La Cour considère donc que la condamnation de l’Irlande au paiement d’une astreinte, sollicitée par la Commission, constitue un moyen financier approprié aux fins d’assurer que cet État membre mette fin, dans les plus brefs délais, au manquement constaté et respecte les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2018/1808. En revanche, dès lors qu’il ne saurait être exclu que, au jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, la transposition de cette directive soit totalement achevée, cette astreinte n’est infligée que dans la mesure où le manquement persisterait à la date du prononcé de cet arrêt (voir, par analogie, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 61].

92      Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière, il incombe à la Cour de fixer l’astreinte de telle sorte que celle-ci, d’une part, soit adaptée aux circonstances et proportionnée au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné et, d’autre part, ne dépasse pas, conformément à l’article 260, paragraphe 3, second alinéa, TFUE, le montant indiqué par la Commission [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 62].

93      Dans ce cadre, aux fins de la fixation du montant de l’astreinte, les critères devant être pris en considération sont, en principe, le degré de gravité de l’infraction, sa durée et la capacité de paiement de l’État membre en cause [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 63].

94      En ce qui concerne, tout d’abord, la gravité de l’infraction, ainsi qu’il a été dit au point 75 du présent arrêt, le manquement aux obligations d’adopter les mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive et de communiquer ces mesures à la Commission doit être considéré comme étant d’une gravité certaine.

95      En l’espèce, il est constant que, à l’échéance du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 23 novembre 2021, l’Irlande avait manqué aux obligations visées à l’article 2 de la directive 2018/1808, de telle sorte que, compte tenu également des considérations figurant aux points 76 et 77 du présent arrêt, l’effectivité du droit de l’Union n’a manifestement pas été assurée.

96      Pour autant, il importe de prendre en compte la circonstance que l’Irlande a notifié à la Commission, le 2 mars 2023, une législation transposant en partie la directive 2018/1808, qui a conduit la Commission à adapter ses conclusions.

97      S’agissant, ensuite, de la durée de l’infraction, dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de l’astreinte à infliger, il y a lieu de constater que le manquement a perduré après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 23 novembre 2021, et n’avait pas encore pris fin à la date de la clôture de la procédure devant la Cour.

98      Enfin, pour ce qui est de la capacité de paiement de l’État membre en cause, il n’y a pas lieu, ainsi qu’il a été précisé au point 86 du présent arrêt, de prendre en compte à cet égard le poids institutionnel de l’État membre concerné pour assurer une dissuasion suffisante et amener cet État membre à modifier son comportement actuel ou futur dans le domaine concerné. De même, s’agissant de la proposition de la Commission d’utiliser un coefficient d’ajustement de 4,5 afin de garantir le caractère proportionné et dissuasif de l’astreinte, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la Commission n’avait pas démontré les critères objectifs sur le fondement desquels cette dernière avait fixé la valeur de ce coefficient d’ajustement [arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel), C‑51/20, EU:C:2022:36, point 117]. En outre, ainsi qu’il a été indiqué au point 87 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la méthode retenue par la Commission dans la communication de 2023.

99      Au vu de ce qui précède et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne l’astreinte qu’elle inflige, dépasser le montant indiqué par la Commission, il convient, dans le cas où le manquement constaté au point 32 du présent arrêt persisterait à la date du prononcé du présent arrêt, de condamner l’Irlande à payer à la Commission, à compter de cette date et jusqu’à ce que cet État membre ait mis un terme à ce manquement, une astreinte journalière d’un montant de 10 000 euros.

 Sur les dépens

100    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :

1)      En n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), compte tenu de l’évolution des réalités du marché, et, partant, en n’ayant pas communiqué lesdites dispositions à la Commission européenne, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 de la directive 2018/1808.

2)      En n’ayant pas, au jour de l’examen des faits par la Cour, adopté les mesures nécessaires pour transposer dans son droit interne les dispositions de la directive 2018/1808 ni, partant, communiqué ces mesures à la Commission européenne, l’Irlande a persisté dans son manquement.

3)      L’Irlande est condamnée à payer à la Commission européenne :

–        une somme forfaitaire d’un montant de 2 500 000 euros ;

–        dans le cas où le manquement constaté au point 1 du dispositif persisterait à la date du prononcé du présent arrêt, à compter de cette date et jusqu’à ce que cet État membre ait mis un terme à ce manquement, une astreinte journalière d’un montant de 10 000 euros.

4)      L’Irlande est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.

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