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Document 62022CJ0053

Arrêt de la Cour (dixième chambre) du 9 février 2023.
VZ contre CA.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale Amministrativo Regionale per la Lombardia.
Renvoi préjudiciel – Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphe 3 – Intérêt à agir – Accès aux procédures de recours – Faute professionnelle grave en raison d’un accord anticoncurrentiel – Autre opérateur définitivement exclu de la participation à la procédure de passation de marché concernée en l’absence de satisfaction des exigences minimales requises.
Affaire C-53/22.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:88

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

9 février 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphe 3 – Intérêt à agir – Accès aux procédures de recours – Faute professionnelle grave en raison d’un accord anticoncurrentiel – Autre opérateur définitivement exclu de la participation à la procédure de passation de marché concernée en l’absence de satisfaction des exigences minimales requises »

Dans l’affaire C‑53/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie), par décision du 7 janvier 2022, parvenue à la Cour le 25 janvier 2022, dans la procédure

VZ

contre

CA,

en présence de :

RT,

BO,

Regione Lombardia,

Regione Liguria,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour VZ, par Mes J. F. G. Brigandì et C. Mendolia, avvocati,

pour CA, par Me M. L. Tamborino, avvocata,

pour RT, par Mes A. Clarizia, L. Pierallini, L. Sperati et P. Ziotti, avvocati,

pour BO, par Mes A. Borsero, V. Cannizzaro, C. Merani et S. Ventura, avvocati,

pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme A.‑L. Desjonquères, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara, P. Ondrůšek et G. Wils, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014 (JO 2014, L 94, p. 1) (ci-après la « directive 89/665 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant une société, VZ, à un pouvoir adjudicateur, CA, au sujet du refus de ce dernier d’annuler la décision d’attribution à RT et à BO d’un marché public portant sur le service de secours par hélicoptère à effectuer en Lombardie (Italie) et en Ligurie (Italie).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 89/665

3

L’article 1er de la directive 89/665, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », dispose :

« 1.   La présente directive s’applique aux marchés visés par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil [, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65)] [...]

[...]

Les contrats au sens de la présente directive incluent les contrats publics, les accords-cadres, les concessions de travaux et de services et les systèmes d’acquisition dynamiques.

Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés relevant du champ d’application de la directive 2014/24/UE [...], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, [...] au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.   Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

[...] »

4

L’article 2 bis de cette directive, intitulé « Délai de suspension », prévoit, à son paragraphe 2, premier et deuxième alinéas :

« La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un contrat relevant du champ d’application de la directive 2014/24/UE [...] ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du contrat a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours calendaires à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du contrat est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés, ou d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour de réception de la décision d’attribution du contrat.

Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. »

La directive 2014/24

5

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, points 2 et 3, de la directive 2014/24, telle que modifiée par le règlement délégué (UE) 2017/2365 de la Commission, du 18 décembre 2017 (JO 2017, L 337, p. 19) (ci-après la « directive 2014/24 »), aux fins de la directive 2014/24, on entend par « autorités publiques centrales », les pouvoirs adjudicateurs figurant à l’annexe I de cette dernière ainsi que, dans la mesure où des rectificatifs ou des modifications auraient été apportés au niveau national, les entités qui leur auraient succédé et, par « pouvoirs adjudicateurs sous-centraux », tous les pouvoirs adjudicateurs qui ne sont pas des autorités publiques centrales.

6

L’article 4 de la directive 2014/24, intitulé « Montants des seuils », dispose :

« La présente directive s’applique aux marchés dont la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est égale ou supérieure aux seuils suivants :

[...]

c)

221000 [euros] pour les marchés publics de fournitures et de services passés par des pouvoirs adjudicateurs sous-centraux et pour les concours organisés par ceux-ci ; [...]

d)

750000 [euros] pour les marchés publics de services portant sur des services sociaux et d’autres services spécifiques énumérés à l’annexe XIV. »

7

L’article 57 de cette directive, intitulé « Motifs d’exclusion », dispose, à son paragraphe 4 :

« Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l’un des cas suivants :

[...]

c)

le pouvoir adjudicateur peut démontrer par tout moyen approprié que l’opérateur économique a commis une faute professionnelle grave qui remet en cause son intégrité ;

d)

le pouvoir adjudicateur dispose d’éléments suffisamment plausibles pour conclure que l’opérateur économique a conclu des accords avec d’autres opérateurs économiques en vue de fausser la concurrence ;

[...] »

8

Ni la Regione Lombardia (Région de Lombardie, Italie) ni la Regione Liguria (Région de Ligurie, Italie) ne figurent parmi les autorités mentionnées à l’annexe I de ladite directive.

Le droit italien

9

L’article 80, paragraphe 5, sous c), du decreto legislativo n. 50 – Codice dei contratti pubblici (décret législatif no 50, portant code des marchés publics), du 18 avril 2016 (GURI no 91, du 19 avril 2016, supplément ordinaire no 10 à la GURI), tel que modifié par le decreto-legge n. 135 – Disposizioni urgenti in materia di sostegno e semplificazione per le imprese e per la pubblica amministrazione (décret-loi no 135, portant dispositions urgentes de soutien et de simplification pour les entreprises et l’administration publique), du 14 décembre 2018 (GURI no 290, du 14 décembre 2018, p. 1), dispose :

« Les pouvoirs adjudicateurs excluent de la participation à la procédure d’appel d’offres un opérateur économique dans l’une des situations suivantes [...] lorsque :

[...]

c)

les pouvoirs adjudicateurs démontrent, par des moyens appropriés, que l’opérateur économique s’est rendu coupable de fautes professionnelles graves, de nature à mettre en doute son intégrité ou sa fiabilité ;

[...] »

10

Aux termes de l’article 35, paragraphe 1, sous b), du codice del processo amministrativo (code de procédure administrative) (GURI no 156, du 7 juillet 2010, supplément ordinaire à la GURI no 148), « [l]e juge déclare, même d’office, que le recours est irrecevable en raison du défaut d’intérêt à agir du requérant ou en présence de tout autre motif s’opposant à une décision au fond ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Par une décision du 18 décembre 2018, CA a organisé une procédure de passation d’un marché public pour la fourniture d’un service de sauvetage par hélicoptère aux entités du service sanitaire régional de la Région de Lombardie et de la Région de Ligurie (ci-après la « procédure litigieuse »), pour une valeur de base du marché d’un montant de 205581900 euros hors TVA. L’avis d’appel d’offres publié par CA exigeait des soumissionnaires, à titre de preuve de leur capacité technique et professionnelle, la possession d’une certification particulière.

12

VZ, qui ne possédait pas cette certification et qui, de ce fait, ne satisfaisait pas aux conditions pour participer à la procédure litigieuse, a, par un recours déposé le 16 janvier 2019 devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie), la juridiction de renvoi, contesté cet avis d’appel d’offres, en tant que ce dernier exigeait la possession de ladite certification. Par un jugement du 6 mai 2019, cette juridiction a rejeté ce recours. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), du 26 février 2020, et est ainsi devenu définitif.

13

Par une décision du 13 février 2019, l’Autorità garante della concorrenza e del mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, AGCM, Italie) a constaté que certaines entreprises, dont BO, JF et RT, seuls soumissionnaires dans le cadre de la procédure litigieuse, avaient commis, entre l’année 2001 et le mois d’août 2017, une infraction grave à l’article 101 TFUE, sous la forme, notamment, d’un accord horizontal contraire aux règles de concurrence ayant pour objet de fixer les prix des services d’hélicoptères et destiné à influer sur les pouvoirs adjudicateurs quant à la fixation des prix des services de travail et de transport aériens de passagers dans leur ensemble, y compris la détermination de la valeur de base du marché des services avec des valeurs surestimées. L’AGCM a infligé des sanctions à BO, à JF et à RT. Elle a considéré, toutefois, que les éléments recueillis dans le cadre de l’instruction ne suffisaient pas à établir l’existence d’une entente restrictive de la concurrence dans le cadre de la participation aux procédures de passation de marché de services.

14

CA a considéré que cette décision de l’AGCM n’était pas pertinente aux fins de son appréciation. Par une décision du 2 mars 2020, CA a attribué deux lots du marché visé par la procédure litigieuse à RT et un lot de ce marché à BO.

15

Par des recours introduits devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), BO, RT et JF ont contesté les sanctions que leur avait infligées l’AGCM. Ces recours ont tous été rejetés comme étant non fondés. BO, RT et JF ont interjeté appel des jugements de ce tribunal devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État). Cette dernière juridiction a confirmé le jugement dudit tribunal ayant rejeté le recours de JF, tout comme celui ayant rejeté le recours de RT, sauf en ce qui concerne le montant de la sanction. L’affaire relative à l’examen de l’appel interjeté devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État) par BO est encore pendante.

16

Le 1er juin 2020, VZ a signalé à CA le prononcé du jugement du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium) ayant rejeté le recours de RT formé contre la décision de l’AGCM. VZ a fait valoir que ce jugement était susceptible d’affecter l’évaluation de l’intégrité de RT et de sa fiabilité dans le cadre de l’exécution du service de sauvetage par hélicoptère et d’établir l’existence d’une faute professionnelle grave, au sens de l’article 80, paragraphe 5, du code des marchés publics, justifiant l’exclusion de la participation de RT à la procédure litigieuse. Elle a ainsi, en substance, demandé l’annulation de la décision d’attribution du marché concerné. Par une décision du 3 juillet 2020, CA a considéré que le jugement notifié par VZ n’ajoutait aucun élément supplémentaire par rapport à ceux figurant dans la décision de l’AGCM, déjà connue et analysée par CA. VZ a formé un recours devant la juridiction de renvoi contre la décision de CA.

17

La juridiction de renvoi relève que, dans la mesure où VZ a été définitivement exclue de la participation à la procédure litigieuse à la suite du rejet définitif de son recours contre l’avis d’appel d’offres concerné, celle-ci doit, en principe, conformément à la jurisprudence des juridictions italiennes, être considérée comme ne disposant pas d’un intérêt pour contester l’attribution du marché concerné.

18

Toutefois, à la suite du prononcé des arrêts du 4 juillet 2013, Fastweb (C‑100/12, EU:C:2013:448), du 5 avril 2016, PFE (C‑689/13, EU:C:2016:199), ainsi que du 11 mai 2017, Archus et Gama (C‑131/16, EU:C:2017:358), cette jurisprudence des juridictions italiennes aurait évolué, en ce sens que, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché à laquelle n’ont participé que deux soumissionnaires, l’examen d’un recours visant à obtenir l’ouverture d’une nouvelle procédure, introduit par le soumissionnaire évincé pour défaut de conformité à des exigences minimales prévues dans l’appel d’offres concerné, est recevable. Néanmoins, eu égard à l’arrêt du 21 décembre 2016, Bietergemeinschaft Technische Gebäudebetreuung und Caverion Österreich (C‑355/15, EU:C:2016:988), les juridictions italiennes n’appliqueraient cette « jurisprudence novatrice » que dans le cas de figure de « recours croisés », examinés dans le cadre d’une seule et même procédure de recours relative à la décision d’attribution du marché concerné. Or, en l’occurrence, l’exclusion de VZ de la participation à la procédure litigieuse aurait été confirmée par une décision juridictionnelle, revêtue de l’autorité de la chose jugée avant que VZ ne forme un recours contre l’attribution de ce marché.

19

Néanmoins, la juridiction de renvoi fait également observer que, en l’occurrence, VZ conteste le refus de CA d’annuler la décision d’attribution du marché concerné pour une faute professionnelle grave commise par tous les soumissionnaires, lesquels, ainsi que le jugement mentionné au point 16 du présent arrêt l’aurait confirmé, auraient participé à une entente contraire aux règles de concurrence, ce qui constitue une faute grave commise par un opérateur économique en matière professionnelle.

20

Enfin, la juridiction de renvoi rappelle que, dans l’arrêt du 5 septembre 2019, Lombardi (C‑333/18, EU:C:2019:675, points 27 et 28), la Cour a relevé qu’un soumissionnaire classé en troisième position, qui a introduit un recours contre l’attribution du marché concerné, doit se voir reconnaître un intérêt légitime pour demander l’exclusion de l’offre de l’adjudicataire et du soumissionnaire placé en deuxième position quand bien même sa propre offre serait susceptible d’être aussi jugée irrégulière, dès lors qu’il ne saurait être exclu que le pouvoir adjudicateur concerné soit, dans une telle hypothèse, amené à constater l’impossibilité de sélectionner une autre offre régulière et procède, par la suite, à l’organisation d’une nouvelle procédure. La juridiction de renvoi estime que la situation de VZ semble, aux fins de l’appréciation de son intérêt à agir, comparable à celle du requérant en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 septembre 2019, Lombardi (C‑333/18, EU:C:2019:675). Elle relève, à cet égard, que VZ soutient, preuves à l’appui, que, dès le mois d’octobre 2019, elle a été en possession de la certification particulière exigée par l’appel d’offres relatif à la procédure litigieuse.

21

Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 s’oppose-t-il à ce qu’un soumissionnaire définitivement exclu d’une procédure de sélection du contractant se voie privé de la possibilité d’introduire un recours contre le refus d’annulation de l’attribution lorsqu’il entend démontrer que l’adjudicataire, ainsi que tous les autres soumissionnaires retenus, ont commis une faute professionnelle grave en concluant des accords constitutifs d’une infraction aux règles de concurrence, qui n’a été constatée par une juridiction qu’après l’exclusion du soumissionnaire, et ce afin d’obtenir la possibilité de participer à la procédure réitérée ?

2)

L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 et les principes du droit de l’Union européenne relatifs à la protection de la concurrence s’opposent-ils à ce que le juge administratif soit empêché d’examiner le recours introduit par un soumissionnaire définitivement exclu d’une procédure de sélection du contractant, contre le refus du pouvoir adjudicateur de procéder à l’annulation des actes d’admission et d’attribution en faveur de soumissionnaires ayant conclu des accords contraires aux règles de concurrence, constatés par une juridiction, dans le même secteur que celui faisant l’objet de la procédure ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

22

Dans ses observations déposées devant la Cour, CA fait valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, au motif que les questions posées sont générales et hypothétiques et que, en tout état de cause, la réponse à y apporter ressort clairement de la jurisprudence.

23

À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que l’interprétation sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à ces questions [arrêt du 20 octobre 2022, Centre public d’action sociale de Liège (Retrait ou suspension d’une décision de retour), C‑825/21, EU:C:2022:810, point 34 et jurisprudence citée].

24

Or, la juridiction de renvoi a clairement indiqué que, conformément aux dispositions procédurales du droit italien, telles qu’elles ont été interprétées par la jurisprudence des juridictions italiennes, elle pourrait être amenée à rejeter le recours de VZ pour défaut d’intérêt à agir, à moins que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 doive, à la lumière, le cas échéant, des règles de concurrence du droit de l’Union, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un tel rejet. Il s’ensuit que les questions posées présentent un lien direct avec l’objet du litige au principal et ne sauraient être considérées comme étant purement hypothétiques.

25

En outre, une demande de décision préjudicielle ne saurait être écartée comme étant irrecevable, au seul motif que la réponse aux questions posées ressort déjà, selon l’opinion de l’une des parties au principal, de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, point 42 et jurisprudence citée).

26

Le gouvernement français soutient, pour sa part, dans ses observations déposées devant la Cour, que la seconde question doit être considérée comme étant partiellement irrecevable, en ce que la juridiction de renvoi a omis de préciser les « principes du droit de l’Union [...] relatifs à la protection de la concurrence » qui sont visés par cette question. Or, il est évident que les principes visés sont ceux susceptibles d’être déduits des règles du droit de l’Union en matière de concurrence, dont notamment l’article 101 TFUE, ce qui ressort d’ailleurs aussi clairement des motifs de la décision de renvoi.

27

Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

28

Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 doit, à la lumière des règles de concurrence du droit de l’Union, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui ne permet pas à un opérateur, empêché de participer à une procédure de passation d’un marché public au motif qu’il ne satisfaisait pas à l’une des conditions de participation prévues par l’appel d’offres concerné et dont le recours contre l’inclusion de cette condition, dans cet appel d’offres, a été rejeté par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, de contester le refus du pouvoir adjudicateur concerné d’annuler la décision d’attribution de ce marché public à la suite de la confirmation, par une décision juridictionnelle, de la participation tant de l’adjudicataire que de tous les autres soumissionnaires à un accord constitutif d’une infraction aux règles de concurrence dans le même secteur que celui concerné par la procédure de passation dudit marché public.

29

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités qu’ils peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit (arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

30

Les États membres ne sont donc pas tenus de rendre ces procédures de recours accessibles à toute personne souhaitant obtenir l’adjudication d’un marché public, mais il leur est loisible d’exiger que la personne concernée ait été lésée ou risque d’être lésée par la violation qu’elle allègue (arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

31

Selon la jurisprudence de la Cour, la participation à une procédure de passation d’un marché peut, en principe, valablement constituer, au regard de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d’un intérêt à obtenir le marché concerné ou risque de subir un préjudice en raison du caractère prétendument illégal de la décision d’attribution de ce marché. À défaut d’avoir présenté une offre, une telle personne peut difficilement démontrer qu’elle dispose d’un intérêt à s’opposer à cette décision ou qu’elle est lésée ou risque de l’être en raison de cette attribution (arrêts du 12 février 2004, Grossmann Air Service, C‑230/02, EU:C:2004:93, point 27, ainsi que du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 46).

32

Toutefois, il ressort aussi de la jurisprudence de la Cour que, dans l’hypothèse où un opérateur n’a pas présenté une offre dans une procédure de passation d’un marché qu’il n’aurait aucune chance d’obtenir, en raison de la présence, dans les documents relatifs à l’appel d’offres ou dans le cahier des charges concernés, de certaines spécifications qu’il ne pouvait respecter, il serait excessif d’exiger de lui que, avant de pouvoir engager les procédures de recours prévues par la directive 89/665 pour contester ces spécifications, il présente une offre dans le cadre de la procédure de passation du marché concerné (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

33

Or, les questions préjudicielles posées visent l’hypothèse d’un opérateur qui n’a pas présenté une offre dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché au motif qu’il ne satisfaisait pas à une condition de participation prévue par l’appel d’offres concerné et qui a pu contester l’inclusion de cette condition, dans cet appel d’offres, par l’introduction d’un recours contre ledit appel d’offres, lequel a été rejeté par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée avant l’adoption de la décision d’attribution du marché concerné.

34

Eu égard à la jurisprudence citée aux points 30 et 31 du présent arrêt, il ne saurait être considéré qu’un tel opérateur relève de la notion de « personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée », au sens de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665.

35

Est sans pertinence, à cet égard, le fait que, entre-temps, cet opérateur a pris les mesures nécessaires pour satisfaire à la condition exigée par l’appel d’offres concerné, si bien que, en cas d’annulation de la procédure de passation de marché à laquelle il n’a pas pu participer et d’organisation d’une nouvelle procédure sur la base des mêmes exigences, il pourrait soumettre une offre et obtenir le marché concerné.

36

Certes, appelée à interpréter l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, la Cour a jugé que, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, les soumissionnaires ont un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre des autres aux fins de l’obtention du marché concerné (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2013, Fastweb, C‑100/12, EU:C:2013:448, point 33, et du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, point 27), quel que soit le nombre de participants à la procédure et le nombre de participants ayant introduit des recours (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2013, Fastweb, C‑100/12, EU:C:2013:448, point 33, ainsi que du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, points 28 et 29).

37

Toutefois, ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt du 21 décembre 2016, Bietergemeinschaft Technische Gebäudebetreuung und Caverion Österreich (C‑355/15, EU:C:2016:988, points 30 à 32), les situations en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 4 juillet 2013, Fastweb (C‑100/12, EU:C:2013:448), et du 5 avril 2016, PFE (C‑689/13, EU:C:2016:199) se caractérisaient par le fait que, d’une part, les offres des soumissionnaires concernés n’avaient pas fait l’objet d’une décision d’exclusion de la part du pouvoir adjudicateur concerné et, d’autre part, c’est dans le cadre d’une seule et même procédure de recours relative à la décision d’attribution du marché concerné que chacun des soumissionnaires contestait la régularité de l’offre de l’autre, chacun ayant un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre de l’autre, ces contestations pouvant aboutir au constat de l’impossibilité, pour ce pouvoir adjudicateur, de procéder à la sélection d’une offre régulière.

38

En revanche, lorsque, antérieurement à l’adoption de la décision d’attribution d’un marché public, un soumissionnaire a été définitivement exclu de la participation à la procédure d’attribution du marché concerné par une décision du pouvoir adjudicateur confirmée par une décision juridictionnelle ayant acquis l’autorité de la chose jugée, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 ne s’oppose pas à ce que ce soumissionnaire se voie refuser l’accès à un recours contre la décision d’attribution du marché public concerné et la conclusion du contrat correspondant (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2016, Bietergemeinschaft Technische Gebäudebetreuung und Caverion Österreich, C‑355/15, EU:C:2016:988, points 35 et 36 ; du 11 mai 2017, Archus et Gama, C‑131/16, EU:C:2017:358, points 57 à 59, ainsi que du 24 mars 2021, NAMA e.a., C‑771/19, EU:C:2021:232, point 42).

39

En effet ainsi que la Cour l’a jugé, c’est le caractère non encore définitif de la décision d’exclusion qui détermine la qualité pour agir d’un soumissionnaire contre une décision d’adjudication (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, points 73 et 74, ainsi que ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée, EU:C:2022:414, point 25). Or, aux termes de l’article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 89/665, l’exclusion de la participation à une procédure de passation de marché d’un soumissionnaire est définitive si elle a été notifiée à ce dernier et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours.

40

Les considérations énoncées au point 38 du présent arrêt sont, par ailleurs, également applicables à un opérateur qui n’a pas présenté d’offre dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché public, au motif qu’il ne satisfaisait pas l’une des conditions exigées par l’appel d’offres concerné et ne pouvait se voir attribuer ce marché public, et dont le recours contre cet appel d’offres, mettant en cause la licéité de l’inclusion de cette condition, a été rejeté par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée avant l’adoption de la décision d’attribution dudit marché public. En effet, la situation d’un tel opérateur ne se distingue pas dans sa substance, en ce qui concerne son exclusion définitive d’une telle procédure d’attribution, de celle d’un soumissionnaire tel que visé à ce point 38.

41

L’arrêt du 5 septembre 2019, Lombardi (C‑333/18, EU:C:2019:675), mentionné par la juridiction de renvoi, ne saurait conduire à une conclusion différente.

42

Ainsi qu’il ressort des points 8 à 10 de cet arrêt, celui-ci concerne non pas le cas de figure d’un soumissionnaire dont l’exclusion de la participation à la procédure de passation d’un marché a été jugée licite par une décision juridictionnelle revêtue de l’autorité de la chose jugée, mais le même cas de figure que celui visé dans la jurisprudence citée au point 36 du présent arrêt, à savoir celui d’un soumissionnaire qui conteste la licéité de l’admission de l’offre d’un ou de plusieurs autres soumissionnaires et qui est lui-même confronté à une contestation de l’admissibilité de son offre, laquelle n’a pas été définitivement tranchée.

43

C’est dans ces circonstances que s’insèrent les considérations énoncées au point 28 dudit arrêt, selon lesquelles, si le recours du soumissionnaire évincé était jugé fondé, le pouvoir adjudicateur pourrait prendre la décision d’annuler la procédure de passation concernée et d’ouvrir une nouvelle procédure, au motif que les offres régulières restantes ne correspondent pas suffisamment aux attentes de ce pouvoir adjudicateur. Or, lesdites circonstances, qui ont conduit la Cour à juger, au point 29 du même arrêt, que, dans de telles conditions, la recevabilité du recours au principal ne saurait, sous peine de porter atteinte à l’effet utile de la directive 89/665, être subordonnée à la constatation préalable que l’ensemble des offres moins bien classées que celle du soumissionnaire ayant introduit ce recours sont également irrégulières, n’existent pas dans l’affaire au principal.

44

Enfin, la circonstance qu’un opérateur définitivement exclu de la participation à une procédure de passation de marché invoque, à l’appui de son recours contre la décision d’attribution du marché concerné ou contre le refus du pouvoir adjudicateur de revenir sur cette décision, la participation de tous les soumissionnaires à ce marché à un accord constitutif d’une infraction aux règles de concurrence ne saurait justifier une interprétation différente de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665.

45

En effet, un opérateur se trouvant dans une telle situation ne se distingue pas, en définitive, de tout autre opérateur qui aurait potentiellement pu présenter une offre. Or, il ressort de la jurisprudence citée au point 31 du présent arrêt que cette dernière circonstance ne suffit pas à justifier qu’un tel opérateur relève de la notion de « personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée », au sens de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665.

46

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui ne permet pas à un opérateur, empêché de participer à une procédure de passation d’un marché public au motif qu’il ne satisfait pas à l’une de conditions de participation prévues par l’appel d’offres concerné et dont le recours contre l’inclusion de cette condition, dans cet appel d’offres, a été rejeté par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, de contester le refus du pouvoir adjudicateur concerné d’annuler la décision d’attribution de ce marché public à la suite de la confirmation, par une décision juridictionnelle, de la participation tant de l’adjudicataire que de tous les autres soumissionnaires à un accord constitutif d’une infraction aux règles de concurrence dans le même secteur que celui concerné par la procédure de passation dudit marché public.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre qui ne permet pas à un opérateur, empêché de participer à une procédure de passation d’un marché public au motif qu’il ne satisfait pas à l’une des conditions de participation prévues par l’appel d’offres concerné et dont le recours contre l’inclusion de cette condition, dans cet appel d’offres, a été rejeté par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, de contester le refus du pouvoir adjudicateur concerné d’annuler la décision d’attribution de ce marché public à la suite de la confirmation, par une décision juridictionnelle, de la participation tant de l’adjudicataire que de tous les autres soumissionnaires à un accord constitutif d’une infraction aux règles de concurrence dans le même secteur que celui concerné par la procédure de passation dudit marché public.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.

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