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Document 62021CO0379

Ordonnance de la Cour (neuvième chambre) du 17 janvier 2023.
Procédure engagée par TBI Bank EAD.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sofiyski rayonen sad.
Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Crédit à la consommation – Directive 93/13/CEE – Article 6, paragraphe 1 – Clauses abusives – Refus de délivrance d’une injonction de payer immédiate en cas de prétention fondée sur une clause abusive – Conséquences relatives au caractère abusif d’une clause contractuelle – Instructions d’une juridiction supérieure ne respectant pas lesdites conséquences.
Affaire C-379/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:29

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

17 janvier 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Crédit à la consommation – Directive 93/13/CEE – Article 6, paragraphe 1 – Clauses abusives – Refus de délivrance d’une injonction de payer immédiate en cas de prétention fondée sur une clause abusive – Conséquences relatives au caractère abusif d’une clause contractuelle – Instructions d’une juridiction supérieure ne respectant pas lesdites conséquences »

Dans l’affaire C‑379/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décision du 17 juin 2021, parvenue à la Cour le 17 juin 2021, dans la procédure engagée par

TBI Bank EAD

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, M. J.‑C. Bonichot et Mme O. Spineanu–Matei (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure unilatérale engagée par un établissement bancaire, TBI Bank EAD, et ayant pour objet une demande de délivrance d’une injonction d’exécution immédiate d’une obligation pécuniaire issue d’un contrat de crédit à la consommation conclu entre cet établissement et un consommateur.

 Le cadre juridique

 La directive 93/13

3        L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4        L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 Le droit bulgare

 Le GPK

5        L’article 278, paragraphe 3, du Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile) (DV no 59, du 20 juillet 2007, ci-après le « GPK ») dispose :

« L’ordonnance prononcée dans le cadre du recours individuel [contre une ordonnance] est contraignante pour la juridiction inférieure. »

6        L’article 414, paragraphe 1, du GPK est libellé comme suit :

« Le débiteur peut former opposition par écrit contre l’injonction d’exécution ou contre une partie de celle–ci. [...]

[...] »

7        Aux termes de l’article 415 du GPK :

« (1)      Le tribunal informe le requérant qu’il peut introduire une action pour faire valoir sa créance, dans les cas suivants :

1.      lorsque l’opposition a été formée dans les délais ;

[...]

3.      lorsque le tribunal a refusé [de délivrer] une injonction d’exécution.

[...]

(3)      Le recours au titre du paragraphe 1, points 1 et 2, est un recours en constatation, et celui au titre du point 3 tend à une condamnation.

[...] »

8        L’article 417 du GPK prévoit :

« Le demandeur peut également solliciter la délivrance d’une injonction d’exécution, lorsque la créance, quel que soit son montant, est fondée sur :

[...]

2.      [...] un document ou un extrait de livres de comptes, qui établissent des créances des établissements de l’État, des communes ou un extrait de livres de comptes d’une banque, auquel est joint le document dont résulte la créance de la banque, accompagnée de toutes ses annexes, y compris des conditions générales applicables ;

[...] »

9        Aux termes de l’article 418 du GPK :

« (1)      Lorsque la demande est accompagnée d’un document visé à l’article 417 sur lequel se fonde la créance, le créancier peut demander au tribunal d’ordonner l’exécution immédiate et de délivrer un titre exécutoire.

(2)      Le titre exécutoire est délivré après que le tribunal a vérifié si le document présente une régularité formelle et atteste d’une créance exécutoire envers le débiteur. Pour délivrer le titre exécutoire, le tribunal appose une note à cet effet sur le document présenté et sur l’injonction d’exécution.

[...]

(4)      [...] L’ordonnance rejetant en tout ou en partie la demande de délivrance d’un titre exécutoire est susceptible de faire l’objet d’un recours individuel par le demandeur [...]

[...] »

10      L’article 422 du GPK prévoit :

« (1)      [...] Le recours en constatation de la créance est réputé introduit à compter du dépôt de la demande de délivrance d’une injonction d’exécution, dès lors que le délai visé à l’article 415, paragraphe 4, du présent code a été respecté.

(2)      Sauf dans les cas de figure visés à l’article 420 du présent code, l’introduction du recours visé au paragraphe 1 ne suspend pas une exécution immédiate qui a été autorisée.

(3)      Lorsque ce recours a été rejeté par un jugement qui est revêtu de la force de chose jugée, il est mis fin à l’exécution [...]

(4)      [...] Aucun titre exécutoire contraire n’est émis, lorsque ledit recours est rejeté au motif que la créance n’était pas due. »

 La loi relative aux contrats de crédit à la consommation

11      L’article 19 du zakon za potrebitelskiya kredit (loi relative aux contrats de crédit à la consommation), du 18 février 2010 (DV no 18, du 5 mars 2010, p. 2), dans sa version applicable au litige au principal, dispose, à son paragraphe 6 :

« Lorsque des paiements ont été effectués en vertu de contrats contenant des clauses qui ont été déclarées nulles au titre du paragraphe 5, le surplus facturé au-delà du seuil visé au paragraphe 4 est déduit des paiements suivants effectués au titre du crédit. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      Le 18 décembre 2020, TBI Bank a demandé, dans le cadre d’une procédure unilatérale, au Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie) de délivrer une injonction d’exécution immédiate d’une obligation pécuniaire. Cette demande était fondée sur un des documents visés à l’article 417, paragraphe 2, du GPK, à savoir un extrait de livres de comptes qui reflétait l’état, à la date du 3 décembre 2020, du compte relatif à un contrat de crédit à la consommation conclu le 29 mai 2019 par TBI Bank avec un consommateur. Le contrat de crédit, d’un montant total de 2 867,92 leva bulgares (BGN) (environ 1 465 euros), a été joint à ladite demande.

13      Par ordonnance du 6 janvier 2021, ce tribunal a considéré, d’une part, que les documents versés au dossier permettaient de conclure au caractère vraisemblablement abusif de la clause 7.1 de ce contrat, qui prévoyait le paiement d’un montant de 307,28 BGN (environ 157 euros), à titre de frais uniques d’évaluation du risque (ci-après les « frais litigieux »).

14      D’autre part, ledit tribunal a constaté que ces frais litigieux avaient été intégrés au montant en principal de la créance aux fins du calcul des mensualités dues à titre de remboursement du crédit, sans que soient spécifiées les composantes des tranches de remboursement, et que lesdits frais avaient également produit des intérêts. Il en a déduit que les informations relatives aux paiements effectués par le consommateur ne lui permettaient pas de déterminer quelle partie de la créance demandée restait due. Partant, il a décidé de rejeter la demande dans son intégralité.

15      Par ordonnance du 7 juin 2021, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a fait droit au recours que TBI Bank avait introduit contre l’ordonnance du Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia), du 6 janvier 2021. En conséquence, il a ordonné l’annulation de celle-ci et a renvoyé l’affaire devant cette dernière juridiction, qui est la juridiction de renvoi, afin qu’elle délivre une injonction d’exécution immédiate au titre de l’article 417 du GPK ainsi qu’un titre exécutoire pour le montant total réclamé.

16      À cet égard, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a relevé que, certes, le juge avait l’obligation de vérifier d’office l’existence de clauses abusives. Toutefois, il a considéré que l’extrait de livres de comptes produit en l’occurrence était un document formellement régulier sur la base duquel il était possible de délivrer une injonction de paiement immédiat et que, dans le cadre de la procédure fondée sur l’article 418, paragraphe 2, du GPK, ce juge ne pourrait vérifier que la régularité formelle du document, à savoir examiner si ce document atteste de l’existence du droit de créance allégué. Ledit juge devrait se limiter à examiner les informations directement extraites du livre de comptes, sans que d’autres informations puissent être utilisées. Le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a ajouté que la question de la détermination de la somme réellement due par le consommateur, tant en principal qu’en frais et intérêts, pourrait être examinée, au titre de l’article 422 du GPK, en tant que question de fond, sous la condition que le consommateur ait formé opposition contre l’injonction d’exécution.

17      La juridiction de renvoi expose qu’elle a des doutes quant à la compatibilité avec le droit de l’Union des instructions figurant dans le dispositif de l’ordonnance du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia), du 7 juin 2021, qui seraient contraignantes pour elle. Dans la mesure où il y aurait lieu de tirer d’office les conséquences liées au caractère abusif de la clause, conformément à l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350, point 35), la juridiction de renvoi se demande notamment si elle est liée par les instructions d’une juridiction supérieure, laquelle n’exigerait qu’un contrôle purement formel du titre de la créance litigieuse, et l’obligerait à rendre une décision juridictionnelle qui reviendrait, en substance, à donner effet à une clause abusive.

18      À cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge sur la décision à adopter par le juge lorsque ce dernier constate que, dans une procédure unilatérale, une partie de la créance demandée repose sur une clause abusive, comme c’est le cas dans le litige au principal. Ainsi, en premier lieu, elle envisage la possibilité selon laquelle ce juge délivre une injonction de paiement immédiat pour la totalité de la somme demandée, sur la base de laquelle serait émis un titre exécutoire, qui servirait de fondement à une procédure d’exécution forcée à l’encontre du débiteur-consommateur. Celui-ci pourrait par la suite former opposition contre ce titre exécutoire, laquelle donnerait lieu à une procédure lui permettant de contester le bien-fondé de la créance, en application de l’article 422 du GPK. En deuxième lieu, elle considère, alternativement, que le juge pourrait intégralement rejeter la demande de délivrance d’une injonction d’exécution au motif qu’il n’est pas possible, dans le cadre de cette procédure, de préciser le montant exact de la créance restant dû qui trouverait son origine dans les clauses non abusives du contrat de crédit. Dans ce cas, le demandeur disposerait de la possibilité d’introduire une action de droit commun, conformément à l’article 415, paragraphe 1, point 3, du GPK, en vue d’établir le montant de sa créance. En troisième lieu, toujours de manière alternative, elle relève que le juge pourrait rejeter partiellement la demande et, en appliquant par analogie l’article 19, paragraphe 6, de la loi relative aux contrats de crédit à la consommation, dans sa version applicable au litige au principal, déduire du solde restant dû selon le contrat de crédit les montants qui auraient été versés en vertu des clauses abusives, ce qui aboutirait à procéder d’office à une compensation. Il en résulterait que le débiteur n’aurait plus besoin de former opposition conformément à l’article 414 du GPK, ni de diligenter une procédure supplémentaire pour faire valoir son droit à la compensation. À ce dernier égard, la juridiction de renvoi souligne cependant que, dans la présente affaire, il est impossible d’établir le montant concret de la créance. 

19      Dans ces circonstances, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Convient-il d’interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13] en ce sens que, lors de procédures auxquelles le débiteur ne participe pas jusqu’au prononcé d’une injonction judiciaire de paiement, le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et d’en écarter l’application, y compris lorsqu’il soupçonne seulement cette clause d’être abusive ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question : le juge national est-il tenu de refuser intégralement de prononcer une décision judiciaire ordonnant un paiement immédiat, lorsque seule une partie des prétentions est fondée sur une clause contractuelle vraisemblablement abusive formant le montant de la créance, y compris lorsque, dans les procédures auxquelles le débiteur ne participe pas jusqu’au prononcé d’une ordonnance judiciaire de paiement immédiat, il n’est pas possible d’établir le montant concret de chacune des composantes des créances qui se basent sur des clauses qui ne sont pas soupçonnées d’être abusives ?

3)      En cas de réponse affirmative à la première question, mais de réponse négative à la deuxième [question] : le juge national est-il tenu de refuser partiellement de prononcer une décision judiciaire ordonnant un paiement, pour la partie des prétentions fondée sur une clause contractuelle abusive ?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question : le juge national est-il tenu – et[, dans l’affirmative], dans quelles conditions – de tirer d’office les conséquences du caractère abusif d’une clause, lorsque des informations indiquent qu’elle a donné lieu à un paiement et, notamment, de compenser ce paiement contre d’autres créances impayées découlant du contrat, comme le prévoit le droit national dans d’autres cas similaires ?

5)      En cas de réponse affirmative à la deuxième, troisième et quatrième questions : le juge national est-il lié par les instructions d’une instance supérieure, lesquelles sont contraignantes pour lui d’après le droit national, mais ne tirent pas les conséquences du caractère abusif d’une clause contractuelle dans le contrat de crédit aux consommateurs ? »

 Sur les questions préjudicielles

20      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure. Elle peut également statuer par cette voie, conformément à l’article 99 du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence.

21      Il convient de faire application de ces dispositions dans la présente affaire.

 Sur la recevabilité de la quatrième question

22      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il oblige le juge national, saisi d’une demande d’injonction de payer, à tirer d’office les conséquences du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation lorsque celle-ci a donné lieu à un paiement, de sorte qu’il serait tenu de procéder à une compensation d’office entre ce paiement et le solde dû en vertu de ce contrat.

23      Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, point 20 et jurisprudence citée].

24      En l’occurrence, il ressort des informations présentées dans la décision de renvoi et résumées au point 14 de la présente ordonnance que la juridiction de renvoi est dans l’impossibilité de déterminer, dans l’affaire au principal, le montant exact de la créance, eu égard au fait que les frais litigieux, qui ont été mis à la charge du consommateur sur le fondement de la clause prétendument abusive, ont été compris dans les mensualités de remboursement sans qu’il ait été procédé à la détermination des différentes composantes de celles-ci.

25      Dans ces circonstances, il convient de constater qu’il ressort des éléments du dossier que la juridiction de renvoi ne saurait procéder à une compensation entre les paiements effectués au titre de ces frais litigieux et le solde de la créance restant dû au titre du contrat de crédit. 

26      Il s’ensuit que la quatrième question, qui porte sur l’obligation pour le juge national ayant constaté l’existence de paiements effectués en vertu d’une clause abusive de procéder d’office à une compensation entre ces paiements et le solde d’une créance restant dû, revêt un caractère purement hypothétique, de sorte qu’elle doit être considérée comme étant manifestement irrecevable.

 Sur le fond

 Sur les première à troisième questions

27      Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que le juge national, saisi d’une demande de délivrance d’une injonction de payer et alors que le débiteur-consommateur ne participe pas à la procédure jusqu’à la délivrance de celle-ci, est tenu d’écarter d’office l’application d’une clause abusive du contrat de crédit à la consommation conclu entre ce consommateur et le professionnel concerné, sur laquelle une partie de la créance invoquée est fondée et si, dans cette hypothèse, et en particulier, lorsqu’il n’est pas possible d’établir le montant exact de cette partie de la créance, ce juge dispose de la faculté de ne rejeter cette demande que partiellement.

28      Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

29      Selon une jurisprudence constante, cette disposition tend à rétablir un équilibre réel entre les droits et obligations contractuelles du professionnel et du consommateur de nature à restaurer l’égalité entre eux. Partant, c’est à la lumière de cet objectif que le juge national doit apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, par la suite, écarter l’application des clauses qu’il a qualifiées d’abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur concerné, sauf si celui-ci s’y oppose [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, points 30 et 31 ainsi que jurisprudence citée].

30      À la condition que le contrat puisse subsister sans aucune autre modification ni révision ou complément, ce qu’il incombe à la juridiction nationale compétente de vérifier, il doit, par conséquent, être loisible à cette juridiction de rejeter une demande de délivrance d’injonction de payer fondée sur un contrat de crédit à la consommation qui comporte une clause abusive uniquement pour la partie des prétentions découlant de ladite clause, si celles-ci peuvent être distinguées du reste de la demande [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, point 37].

31      En effet, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 n’exige pas que le juge national écarte, outre l’application de la clause du contrat déclarée abusive, celle des clauses qui n’ont pas été qualifiées comme telles et permet donc, en principe, le maintien du contrat concerné pour autant que cela est juridiquement possible [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée]. Il s’ensuit que le juge peut faire droit aux autres prétentions issues des clauses de ce contrat qui n’ont pas été qualifiées d’abusives.

32      En l’occurrence, il ressort des constatations de la juridiction de renvoi que, dans l’affaire au principal, il ne serait pas possible de séparer de telles prétentions de celles qui sont fondées sur les clauses considérées comme étant abusives. Si tel est effectivement le cas, le juge national sera, dès lors, tenu de rejeter intégralement la demande.

33      Cette conclusion s’impose dès lors que, si ce juge procédait différemment, il donnerait exécution à une clause abusive, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de la disposition impérative que constitue l’article 6 de la directive 93/13, tel qu’il a été énoncé au point 29 de la présente ordonnance, consistant à restaurer l’égalité entre les contractants en assurant que le consommateur ne soit pas lié par une clause abusive.

34      Par ailleurs, la même conclusion s’impose en vue d’assurer la réalisation de l’objectif à long terme de l’article 7 de la directive 93/13, consistant, quant à lui, à faire cesser l’utilisation des clauses abusives, en maintenant l’effet dissuasif exercé sur les professionnels de la non-application pure et simple de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2021, A. S.A., C‑212/20, EU:C:2021:934, point 69).

35      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que le juge national, saisi d’une demande de délivrance d’une injonction de payer et alors que le débiteur-consommateur ne participe pas à la procédure jusqu’à la délivrance de celle-ci, est tenu d’écarter d’office l’application d’une clause abusive du contrat de crédit à la consommation conclu entre ce consommateur et le professionnel concerné, sur laquelle une partie de la créance invoquée est fondée. Dans cette hypothèse, ce juge dispose de la faculté de rejeter partiellement cette demande, à la condition, d’une part, que ce contrat puisse subsister sans aucune autre modification ni révision ou complément, ce qu’il incombe audit juge de vérifier, et, d’autre part, que les prétentions découlant de cette clause puissent être distinguées du reste de la demande.

 Sur la cinquième question

36      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit ainsi que des instructions émises par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que ces appréciations et ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation.

37      Selon une jurisprudence constante, le juge national doit, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif d’une clause afin de s’assurer que le consommateur concerné n’est pas lié par celle-ci (arrêt du 30 mai 2013, Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 49 ainsi que jurisprudence citée). Une telle obligation implique, ainsi qu’il a été rappelé au point 29 de la présente ordonnance, qu’il incombe à ce juge d’écarter l’application de la clause considérée comme étant abusive afin que cette clause ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur concerné sauf si celui-ci s’y oppose (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

38      Il s’ensuit que, eu égard au principe de primauté du droit de l’Union, le juge national doit écarter l’application de la jurisprudence d’une juridiction de degré supérieur, telle que celle en cause au principal, qui lui impose de faire droit à l’intégralité de la demande de paiement et de délivrer une injonction d’exécution immédiate ainsi qu’un titre exécutoire à l’encontre du débiteur pour les créances invoquées, alors que celles-ci sont fondées partiellement sur des clauses abusives [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, point 52 et jurisprudence citée].

39      En effet, le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par les appréciations ainsi que les instructions de cette dernière juridiction, si la première estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que lesdites appréciations et instructions ne sont pas conformes au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C‑173/09, EU:C:2010:581, point 32).

40      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit ainsi que des instructions émises par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que ces appréciations et ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation.

 Sur les dépens

41      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doit être interprété en ce sens que :

le juge national, saisi d’une demande de délivrance d’une injonction de payer et alors que le débiteur-consommateur ne participe pas à la procédure jusqu’à la délivrance de celle-ci, est tenu d’écarter d’office l’application d’une clause abusive du contrat de crédit à la consommation conclu entre ce consommateur et le professionnel concerné, sur laquelle une partie de la créance invoquée est fondée. Dans cette hypothèse, ce juge dispose de la faculté de rejeter partiellement cette demande, à la condition, d’une part, que ce contrat puisse subsister sans aucune autre modification ni révision ou complément, ce qu’il incombe audit juge de vérifier, et, d’autre part, que les prétentions découlant de cette clause puissent être distinguées du reste de la demande.

2)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit ainsi que des instructions émises par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que ces appréciations et ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.

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