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Document 62021CJ0399

Arrêt de la Cour (neuvième chambre) du 8 septembre 2022.
IRnova AB contre FLIR Systems AB.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Svea Hovrätt.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 24, point 4 – Compétences exclusives – Compétence en matière d’inscription ou de validité des brevets – Champ d’application – Demande de brevet déposée et brevet délivré dans un État tiers – Qualité d’inventeur – Titulaire du droit sur une invention.
Affaire C-399/21.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:648

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

8 septembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 24, point 4 – Compétences exclusives – Compétence en matière d’inscription ou de validité des brevets – Champ d’application – Demande de brevet déposée et brevet délivré dans un État tiers – Qualité d’inventeur – Titulaire du droit sur une invention »

Dans l’affaire C‑399/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm, Suède), par décision du 17 juin 2021, parvenue à la Cour le 28 juin 2021, dans la procédure

IRnova AB

contre

FLIR Systems AB,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, Mmes L. S. Rossi et O. Spineanu-Matei (rapporteure), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour IRnova AB, par MM. P. Kenamets et F. Lüning, jur. kand.,

pour FLIR Systems AB, par Mes J. Melander et O. Törngren, advokater,

pour la Commission européenne, par MM. M. Gustafsson et S. Noë, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 24, point 4, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IRnova AB à FLIR Systems AB au sujet de la détermination de la personne devant être considérée comme étant titulaire du droit sur des inventions visées par des demandes de brevet déposées et par des brevets délivrés dans des pays tiers.

Le cadre juridique

Le règlement Bruxelles I bis

3

Le considérant 34 du règlement Bruxelles I bis énonce :

« Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32)], le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale] et des règlements qui la remplacent. »

4

L’article 1er de ce règlement dispose :

« 1.   Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii).

2.   Sont exclus de son application :

a)

l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux ou les régimes patrimoniaux relatifs aux relations qui, selon la loi qui leur est applicable, sont réputés avoir des effets comparables au mariage ;

b)

les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

c)

la sécurité sociale ;

d)

l’arbitrage ;

e)

les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance ;

f)

les testaments et les successions, y compris les obligations alimentaires résultant du décès. »

5

Le chapitre II dudit règlement, intitulé « Compétence », contient dix sections. L’article 4 du même règlement, qui figure à la section 1 de ce chapitre II, intitulée « Dispositions générales », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

6

Aux termes de l’article 24 du règlement Bruxelles I bis, qui fait partie de la section 6 de ce chapitre II, intitulée « Compétences exclusives » :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

[...]

4)

en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale.

Sans préjudice de la compétence reconnue à l’Office européen des brevets par la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973, les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État membre ;

[...] »

Le droit suédois

La loi sur les brevets (1967:837)

7

L’article 17 de la patentlagen (1967:837) [loi sur les brevets (1967:837)] énonce :

« Si quelqu’un affirme devant l’administration des brevets que le droit légitime à l’invention lui appartient et s’il y a un doute, l’administration des brevets peut impartir au requérant un certain délai pour se pourvoir en justice, faute de quoi cette réclamation pourrait ne pas être prise en considération dans la suite de l’examen de la demande de brevet.

Si un litige concernant le droit légitime à l’invention est en instance devant les tribunaux, la demande de brevet peut être suspendue jusqu’à ce que ce litige soit définitivement tranché par la justice. »

8

L’article 18 de cette loi prévoit :

« Si quelqu’un peut établir devant l’administration des brevets que le droit légitime à l’invention lui appartient, ladite administration transfère la demande à son nom, s’il en fait la requête. Le bénéficiaire du transfert doit acquitter une nouvelle taxe de dépôt.

Lorsqu’une requête tendant au transfert d’une demande a été faite, la demande ne peut pas être classée, rejetée ni acceptée avant que cette requête ait fait l’objet d’une décision définitive. »

9

Aux termes de l’article 53, premier alinéa, de ladite loi :

« Lorsqu’un brevet a été délivré à une personne autre que celle qui y avait droit en vertu des dispositions de l’article 1er, le tribunal, si cette personne intente une action à cet effet, lui transfère le brevet. Les dispositions du sixième alinéa de l’article 52, relatives aux délais impartis pour intenter l’action, sont applicables.

[...] »

10

L’article 65, premier alinéa, de la même loi dispose :

« Le Patent- och marknadsdomstolen [Tribunal de la propriété industrielle et de commerce, Suède] est la juridiction compétente dans les matières visées par la présente loi. Il en est de même en matière de droit légitime sur une invention qui fait l’objet d’une demande de brevet.

[...] »

La loi (1978:152) relative à la compétence des tribunaux suédois à l’égard de certaines actions dans le domaine du droit des brevets (1978:152)

11

La lagen (1978:152) om svensk domstols behörighet i vissa mål på patenträttens område m.m. [loi (1978:152) relative à la compétence des tribunaux suédois à l’égard de certaines actions dans le domaine du droit des brevets] est fondée sur le protocole sur la compétence judiciaire et la reconnaissance de décisions portant sur le droit à l’obtention du brevet européen (protocole sur la reconnaissance) du 5 octobre 1973, qui est annexé à la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973.

12

L’article 1er de cette loi dispose :

« En ce qui concerne les actions intentées contre le titulaire d’une demande de brevet européen visant à faire valoir le droit sur l’invention qui fait l’objet de la demande de brevet en cause en Suède ou dans un autre État contractant qui est lié par le protocole sur la reconnaissance qui est annexé à la convention sur le brevet européen du 5 octobre 1973, les articles 2 à 6 et l’article 8 sont applicables. L’expression “État contractant” s’entend dans ce cas d’un État qui est lié par ledit protocole. »

13

Aux termes de l’article 2 de ladite loi :

« Les actions visées à l’article 1er peuvent être intentées devant les tribunaux suédois

1.

si le défendeur est domicilié en Suède,

2.

si le demandeur est domicilié en Suède et si le défendeur n’est pas domicilié dans un État contractant.

3.

si les parties ont stipulé, par une convention écrite ou par une convention verbale confirmée par écrit, que tout recours devait être porté devant les tribunaux suédois. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

14

IRnova et FLIR Systems, actives dans le secteur de la technologie de l’infrarouge, sont des sociétés ayant leur siège social en Suède. Dans le passé elles ont entretenu des relations commerciales.

15

Le 13 décembre 2019, IRnova a introduit un recours devant le Patent- och marknadsdomstolen (Tribunal de la propriété industrielle et de commerce) tendant, notamment, à faire constater qu’elle pouvait se prévaloir d’un droit légitime sur les inventions visées par des demandes de brevet internationales, complétées, par la suite, par des demandes de brevet européen, américain et chinois, déposées par FLIR au cours des années 2015 et 2016, ainsi que par des brevets américains délivrés à FLIR sur la base de ces dernières demandes.

16

À l’appui de ce recours, IRnova avait exposé, en substance, que ces inventions avaient été réalisées par un de ses employés, de telle sorte que celui-ci devait être considéré comme étant l’inventeur de celles-ci ou, à tout le moins, comme en étant le co-inventeur. Partant, IRnova a soutenu que, en sa qualité d’employeur et donc d’ayant droit de l’inventeur, elle devait être considérée comme étant la propriétaire desdites inventions. Cependant, FLIR aurait, sans avoir acquis ces dernières ou être en droit de le faire à un autre titre, déposé les demandes mentionnées au point précédent en son propre nom.

17

Le Patent- och marknadsdomstolen (Tribunal de la propriété industrielle et de commerce) s’est déclaré compétent pour connaître du recours d’IRnova portant sur les inventions visées par les demandes de brevets européens. En revanche, il s’est déclaré incompétent pour connaître de celui relatif à son droit allégué sur les inventions visées par les demandes de brevets chinois et américains déposées par FLIR ainsi que par les brevets américains délivrés à cette dernière, au motif, en substance, que le recours portant sur la détermination de l’inventeur de ces dernières inventions présente un lien avec l’inscription et la validité des brevets. Or, compte tenu de ce lien, le litige en cause relèverait du champ d’application de l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis, de sorte que les juridictions suédoises ne seraient pas compétentes pour en connaître.

18

C’est contre cette décision d’incompétence que IRnova a interjeté appel devant la juridiction de renvoi, le Svea hovrätt (cour d’appel siégeant à Stockholm, Suède).

19

Selon cette juridiction, le litige dont elle est saisie relève du champ d’application du règlement Bruxelles I bis, dès lors qu’il viserait à faire constater l’existence d’un droit légitime sur une invention et qu’il aurait donc un caractère civil et commercial. Cependant, ladite juridiction s’interroge sur la compétence des juridictions suédoises pour connaître d’un litige visant à constater l’existence du droit sur une invention découlant de la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur. Selon elle, l’article 24, point 4, de ce règlement prévoit, « en matière d’inscription ou de validité des brevets », une compétence exclusive des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel l’enregistrement a été demandé ou effectué. Cette compétence exclusive serait justifiée par le fait, d’une part, que ces juridictions sont les mieux placées pour connaître des cas dans lesquels un litige porte sur la validité d’un brevet ou sur l’existence du dépôt ou de l’enregistrement de celui-ci et, d’autre part, que la délivrance de brevets implique l’intervention de l’administration nationale, ce qui indiquerait que l’octroi d’un brevet relève de l’exercice de la souveraineté nationale. Toutefois, bien qu’il ressorte de la jurisprudence de la Cour qu’un litige portant uniquement sur la question de savoir qui est le titulaire d’un droit à un brevet ne relève pas de ladite compétence exclusive, cette jurisprudence ne fournirait pas d’indications directes quant à l’applicabilité de cet article 24, point 4, en l’espèce.

20

En l’occurrence, selon la juridiction de renvoi, il serait possible de considérer que le litige dont elle est saisie présente un lien avec l’inscription ou la validité du brevet, au sens de cette disposition. En effet, afin d’identifier le titulaire du droit sur les inventions visées par les demandes de brevet ou par les brevets en cause, il conviendrait, selon cette juridiction, de déterminer l’inventeur de ces inventions. Un tel examen impliquerait une interprétation des revendications du brevet ainsi qu’une analyse de la contribution respective des différents inventeurs allégués auxdites inventions. Ainsi, la détermination du titulaire du droit sur une invention pourrait donner lieu à une appréciation, au regard du droit matériel des brevets, visant à établir quelle contribution aux travaux de développement a abouti à la nouveauté ou à l’activité inventive, et soulever des questions relatives à l’étendue de la protection conférée par le droit des brevets du pays d’enregistrement. En outre, le fait que le demandeur d’un brevet ne soit pas en droit de présenter une demande de brevet constituerait un motif de nullité.

21

Dans ces circonstances, le Svea hovrätt (cour d’appel siègeant à Stockholm) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Un recours, s’appuyant sur la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur, qui tend à la constatation de l’existence du droit légitime sur une invention visée par des demandes de brevet nationales et des brevets enregistrés dans un pays tiers relève-t-il de la compétence exclusive prévue à l’article 24, point 4, du règlement [Bruxelles I bis] ? »

Sur la question préjudicielle

22

Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises [arrêt du 26 avril 2022, Landespolizeidirektion Steiermark (Durée maximale du contrôle aux frontières intérieures), C‑368/20 et C‑369/20, EU:C:2022:298, point 50 ainsi que jurisprudence citée].

23

En l’occurrence, bien que la question porte sur la compétence pour connaître d’un litige concernant l’existence d’un droit légitime sur des inventions visées par des demandes de brevet nationales et des brevets enregistrés dans un pays tiers, il résulte de ce qui est exposé aux points 17 et 18 du présent arrêt que le recours dont la juridiction de renvoi est saisie porte uniquement sur la compétence des juridictions suédoises pour connaître d’un litige concernant l’existence d’un droit légitime sur des inventions visées par des demandes de brevets chinois et américains ainsi que par des brevets américains.

24

Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à un litige tendant à déterminer, dans le cadre d’un recours fondé sur la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur, si une personne est titulaire du droit sur des inventions visées par des demandes de brevet déposées et par des brevets délivrés dans des pays tiers.

25

Aux fins de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de déterminer si une situation juridique présentant un élément d’extranéité qui se situe sur le territoire d’un pays tiers, telle que celle en cause au principal, relève du champ d’application du règlement Bruxelles I bis.

26

En effet, le litige au principal est né entre deux sociétés ayant leur siège social dans le même État membre et vise à déterminer le titulaire d’un droit qui serait également né en Suède, à savoir un droit sur les inventions visées par les demandes de brevet déposées et par les brevets délivrés en cause au principal. Le seul élément d’extranéité de ce litige réside dans le fait qu’il concerne, notamment, des demandes de brevet déposées et des brevets délivrés dans des pays tiers, à savoir la Chine et les États-Unis. Cet élément d’extranéité ne se situe toutefois pas sur le territoire d’un État membre.

27

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’application même des règles de compétence prévues par la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la « convention de Bruxelles ») requiert l’existence d’un élément d’extranéité (arrêt du 1er mars 2005, Owusu, C‑281/02, EU:C:2005:120, point 25).

28

Si cet élément résulte le plus souvent du domicile du défendeur, il peut également résulter de l’objet du litige. En effet, à cet égard, la Cour a considéré que le caractère international du rapport juridique en cause ne doit pas nécessairement découler de l’implication, en raison du fond du litige ou du domicile respectif des parties à ce dernier, de plusieurs États contractants. L’implication d’un État contractant et d’un État tiers, en raison, par exemple, du domicile du demandeur et d’un défendeur dans le premier État, et de la localisation des faits litigieux dans le second, est également susceptible de conférer un caractère international au rapport juridique en cause, dès lors que cette situation est de nature à soulever, dans l’État contractant, des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international (voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2005, Owusu, C‑281/02, EU:C:2005:120, point 26).

29

En outre, ainsi qu’il ressort du considérant 34 du règlement Bruxelles I bis, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention et celles du règlement no 44/2001 (ci-après le « règlement de Bruxelles I »), qui l’a remplacée, vaut également pour les dispositions du règlement Bruxelles I bis, qui a lui-même remplacé le règlement Bruxelles I, lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, point 36 ainsi que jurisprudence citée, et du 12 mai 2021, Vereniging van Effectenbezitters, C‑709/19, EU:C:2021:377, point 23). Cette continuité doit également être assurée s’agissant de la détermination du champ d’application des règles de compétence établies par ces instruments juridiques.

30

Cela étant précisé, il convient encore de constater que, en ce que le litige au principal entre deux parties privées porte sur l’existence d’un droit légitime sur des inventions, ce litige relève de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. En outre, ledit litige ne relève pas des matières exclues de l’application de ce règlement, visées à son article 1er, paragraphe 2.

31

Il découle de ce qui précède qu’une situation juridique, telle que celle en cause au principal, qui présente un élément d’extranéité qui se situe sur le territoire d’un pays tiers, relève du champ d’application du règlement Bruxelles I bis.

32

En second lieu, il convient d’examiner si l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis s’applique à un litige, tel que celui au principal, tendant à déterminer, dans le cadre d’un recours fondé sur la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur, si une personne est titulaire du droit sur des inventions visées par des demandes de brevet déposées et par des brevets délivrés dans des pays tiers.

33

Selon cette disposition, sont seules compétentes, sans considération de domicile des parties, en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et d’autres droits analogues donnant lieu à un dépôt ou à un enregistrement, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale.

34

À cet égard, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il ressort du libellé de ladite disposition que la compétence exclusive en matière d’inscription ou de validité des brevets est attribuée uniquement aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement d’un brevet a été demandé, effectué ou réputé avoir été effectué.

35

En l’occurrence, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 26 du présent arrêt, les demandes de brevet en cause au principal ont été déposées et les brevets concernés délivrés non pas dans un État membre, mais dans des pays tiers, à savoir aux États-Unis et en Chine. Or, l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis n’envisageant pas cette situation, cette disposition ne peut pas être considérée comme étant applicable au litige au principal.

36

D’autre part, et en tout état de cause, un litige tel que celui au principal ne constitue pas un litige « en matière d’inscription ou de validité des brevets », au sens de l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis, si bien qu’il n’est pas nécessaire de le réserver, conformément à l’objectif poursuivi par cette disposition, aux juridictions ayant une proximité matérielle et juridique avec le registre, ces juridictions étant les mieux placées pour connaître des cas dans lesquels la validité du titre concerné, voire l’existence même de son dépôt ou de son enregistrement, est contestée (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, point 33 et jurisprudence citée).

37

En effet, dès lors que cet article 24, point 4, reprend, en substance, le contenu de l’article 22, point 4, du règlement Bruxelles I, qui lui-même reflète la systématique de l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles, il convient, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 29 du présent arrêt, d’assurer une continuité dans l’interprétation de ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, point 30).

38

Or, il découle d’une jurisprudence établie que la notion de litige « en matière d’inscription ou de validité des brevets », mentionnée auxdites dispositions, constitue une notion autonome destinée à recevoir une application uniforme dans tous les États membres (arrêts du 15 novembre 1983, Duijnstee, 288/82, EU:C:1983:326, point 19 ; du 13 juillet 2006, GAT, C‑4/03, EU:C:2006:457, point 14, et du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, point 31).

39

Cette notion ne doit pas être interprétée dans un sens plus étendu que le requiert son objectif, dès lors que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis a pour effet de priver les parties du choix du for qui autrement serait le leur et, dans certains cas, de les attraire devant une juridiction qui n’est la juridiction du domicile d’aucune d’entre elles (voir, en ce sens, s’agissant de l’article 16, point 4, de la convention de Bruxelles ainsi que de l’article 22, point 4, du règlement Bruxelles I, arrêts du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C‑261/90, EU:C:1992:149, point 25, ainsi que du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, point 32 et jurisprudence citée). Par conséquent, la règle spécifique de compétence en cause doit faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêt du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, point 38).

40

Ainsi, la Cour a précisé que sont à considérer comme étant des litiges « en matière d’inscription ou de validité des brevets », au sens de l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis, les litiges dans lesquels l’attribution d’une compétence exclusive aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le brevet a été délivré est justifiée par le fait que ces juridictions sont les mieux placées pour connaître des cas portant sur la validité ou la déchéance d’un brevet, sur l’existence du dépôt ou de l’enregistrement de celui-ci, ou encore sur la revendication d’un droit de priorité au titre d’un dépôt antérieur. Si, par contre, un litige ne porte pas sur la validité d’un brevet ou sur l’existence de son dépôt ou de son enregistrement, ce litige ne relève pas de cette disposition (arrêts du 15 novembre 1983, Duijnstee, 288/82, EU:C:1983:326, points 24 et 25 ; du 13 juillet 2006, GAT, C‑4/03, EU:C:2006:457, points 15 et 16, ainsi que du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, point 33 et jurisprudence citée).

41

Dans ce contexte, la Cour a considéré que ne relève pas de la règle de compétence exclusive prévue à ladite disposition, un litige qui porte uniquement sur la question de savoir qui est le titulaire du droit au brevet ou un litige visant à déterminer si une personne avait été inscrite à bon droit au registre en tant que titulaire d’une marque (arrêts du 15 novembre 1983, Duijnstee, 288/82, EU:C:1983:326, point 26, et du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, points 35 à 37 et 43). À cet égard, la Cour a précisé que la question de savoir de quel patrimoine personnel relève un titre de propriété intellectuelle ne présente pas, en règle générale, un lien de proximité matérielle ou juridique avec le lieu de l’enregistrement de ce titre (arrêt du 5 octobre 2017, Hanssen Beleggingen, C‑341/16, EU:C:2017:738, point 37).

42

En l’occurrence, le litige au principal porte non pas sur l’existence du dépôt d’une demande de brevet ou la délivrance d’un brevet, sur la validité ou la déchéance d’un brevet, ou encore sur la revendication d’un droit de priorité au titre d’un dépôt antérieur, mais sur le point de savoir si FLIR doit être considérée comme étant le titulaire du droit sur les inventions concernées ou sur une partie de celles-ci.

43

En effet, force est de constater, premièrement, que la question de savoir à qui appartiennent les inventions concernées, laquelle englobe celle de savoir qui en est l’inventeur, concerne non pas la demande d’un titre de propriété intellectuelle ou ce titre en tant que tels, mais leur objet. Or, si la Cour a jugé, comme il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, que la question de savoir de quel patrimoine personnel relève un titre de propriété intellectuelle ne présente pas, en règle générale, un lien de proximité matérielle ou juridique avec le lieu de l’enregistrement de ce titre qui justifierait l’application de la règle de compétence exclusive prévue à l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis, cette considération vaut également, à tout le moins, lorsque cette question porte uniquement sur l’objet dudit titre, à savoir l’invention.

44

Deuxièmement, il y a lieu d’observer que l’identification de l’inventeur, qui constitue l’objet unique du litige au principal, est une question préalable et, partant, distincte de celle relative à l’existence du dépôt d’une demande de brevet ou à la délivrance de ce dernier.

45

Elle ne concerne pas non plus la validité d’un tel dépôt, dès lors qu’elle vise uniquement à déterminer le droit sur les inventions en cause elles-mêmes. Le fait que, ainsi que la juridiction de renvoi le relève, l’absence d’un droit sur une invention peut constituer un motif de nullité de cette demande est donc sans pertinence en ce qui concerne la compétence pour connaître de litiges portant sur la qualité d’inventeur.

46

Troisièmement, la question préalable relative à l’identification de l’inventeur est également distincte de celle de la validité du brevet délivré en cause, cette dernière ne faisant pas l’objet du litige au principal. En effet, même si cette identification impliquait, comme l’expose la juridiction de renvoi, un examen des revendications de la demande de brevet ou du brevet en cause aux fins de déterminer la contribution de chaque collaborateur à la réalisation de l’invention concernée, cet examen ne porterait pas sur le caractère brevetable de cette dernière.

47

Au demeurant, il y a lieu d’observer que la circonstance qu’un examen des revendications du brevet ou de la demande de brevet en cause puisse être effectué au regard du droit matériel des brevets du pays sur le territoire duquel cette demande a été déposée ou ce brevet a été délivré n’impose pas non plus l’application de la règle de compétence exclusive énoncée à l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis.

48

À cet égard, il suffit de relever qu’un litige portant sur la contrefaçon d’un brevet implique également une analyse approfondie de l’étendue de la protection conférée par ce brevet au regard du droit des brevets du pays sur le territoire duquel ce brevet a été délivré. Or, la Cour a déjà jugé que, en l’absence du lien de proximité matérielle ou juridique requis avec le lieu de l’enregistrement du titre de propriété intellectuelle en cause, un tel litige relève non pas de la compétence exclusive des juridictions de cet État membre, mais, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, de la compétence générale des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 1983, Duijnstee, 288/82, EU:C:1983:326, point 23 et du 13 juillet 2006, GAT, C‑4/03, EU:C:2006:457, point 16).

49

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à un litige tendant à déterminer, dans le cadre d’un recours fondé sur la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur, si une personne est le titulaire du droit sur des inventions visées par des demandes de brevet déposées et par des brevets délivrés dans des pays tiers.

Sur les dépens

50

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

L’article 24, point 4, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

il ne s’applique pas à un litige tendant à déterminer, dans le cadre d’un recours fondé sur la qualité alléguée d’inventeur ou de co-inventeur, si une personne est titulaire du droit sur des inventions visées par des demandes de brevet déposées et par des brevets délivrés dans des pays tiers.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le suédois.

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