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Document 62021CJ0125

Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 24 mars 2022.
Commission européenne contre Irlande.
Recours en manquement – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne – Décision-cadre 2008/909/JAI – Défaut d’adoption des mesures nécessaires pour se conformer à la décision-cadre – Défaut de communication à la Commission européenne.
Affaire C-125/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:213

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

24 mars 2022 (*)

« Recours en manquement – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne – Décision-cadre 2008/909/JAI – Défaut d’adoption des mesures nécessaires pour se conformer à la décision-cadre – Défaut de communication à la Commission européenne »

Dans l’affaire C‑125/21,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 26 février 2021,

Commission européenne, représentée par M. J. Tomkin et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par Mmes M. Browne, M. Lane et J. Quaney, en qualité d’agents, assistées de Mme M. Gray, SC,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de la troisième chambre, et M. M. Gavalec, juge,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), ou, en tout état de cause, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 29, paragraphes 1 et 2, de cette décision-cadre.

 Le cadre juridique

2        Sous l’intitulé « Objet et champ d’application », l’article 3 de la décision-cadre 2008/909 prévoit, à son paragraphe 1, que celle-ci « vise à fixer les règles permettant à un État membre, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, de reconnaître un jugement et d’exécuter la condamnation ».

3        L’article 29, paragraphes 1 à 3, de cette décision-cadre, intitulé « Mise en œuvre », dispose :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de la présente décision-cadre avant le 5 décembre 2011.

2.      Les États membres communiquent au secrétariat général du Conseil et à la Commission le texte des dispositions transposant dans leur droit national les obligations découlant de la présente décision‑cadre. Sur la base d’un rapport établi à partir de ces informations par la Commission, le Conseil vérifie, au plus tard le 5 décembre 2012, dans quelle mesure les États membres se sont conformés aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      Le secrétariat général du Conseil notifie aux États membres et à la Commission les notifications ou les déclarations faites en vertu de l’article 4, paragraphe 7, et de l’article 23, paragraphe 1 ou 3. »

4        En vertu de l’article 10, paragraphes 1 et 3, du protocole (n° 36) sur les dispositions transitoires, les attributions de la Commission en vertu de l’article 258 TFUE ne sont devenues applicables, en ce qui concerne les actes de l’Union européenne dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qu’à dater de l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la date d’entrée en vigueur dudit traité.

 La procédure précontentieuse

5        Le 17 décembre 2014, les services de la Commission ont adressé une lettre à tous les États membres pour les informer des règles applicables après l’expiration de la période transitoire de cinq ans prévue à l’article 10, paragraphe 3, du protocole (nº 36) sur les dispositions transitoires et les inviter à notifier, au plus tard le 15 mars 2015, toutes les mesures nationales transposant les actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui avaient été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et qui leur étaient applicables. Le délai de notification a ensuite été prorogé jusqu’au 15 mai 2015.

6        N’ayant reçu aucune notification de l’Irlande concernant l’adoption des dispositions nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2008/909, la Commission lui a adressé une lettre de mise en demeure le 25 janvier 2019.

7        Par lettre du 20 mars 2019, l’Irlande a répondu à la Commission que les mesures de transposition de la décision-cadre 2008/909 étaient en cours d’élaboration.

8        En l’absence de toute autre notification concernant la transposition de la décision-cadre 2008/909, la Commission a adressé à l’Irlande, le 26 juillet 2019, un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences de cette décision-cadre dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis motivé.

9        Par lettre du 24 septembre 2019, l’Irlande a répondu à la Commission qu’elle mettait tout en œuvre pour adopter les mesures nécessaires à la transposition de la décision-cadre 2008/909. En outre, tout en reconnaissant qu’elle devait assurer cette transposition, l’Irlande a attiré l’attention de la Commission sur le fait qu’elle disposait déjà d’une législation prévoyant le transfèrement des personnes condamnées entre États membres, adoptée sur la base de la convention du Conseil de l’Europe, du 21 mars 1983, sur le transfèrement des personnes condamnées (ci-après la « convention sur le transfèrement des personnes condamnées »), qu’elle avait ratifiée.

10      Considérant que l’Irlande n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour transposer la décision-cadre 2008/909 ou, en tout état de cause, pas notifié ces mesures, la Commission a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

11      La Commission soutient que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’Irlande n’avait pas adopté les dispositions nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2008/909. La Commission ajoute que l’Irlande n’a pas contesté le manquement allégué.

12      En défense, l’Irlande conclut au rejet du recours de la Commission comme étant prématuré, en réitérant son argument selon lequel elle dispose déjà d’une législation qui prévoit le transfèrement des personnes condamnées entre États membres, adoptée sur la base de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées. Bien que cette législation ne traite pas de nombreux aspects techniques couverts par la décision-cadre 2008/909, elle permettrait néanmoins d’appliquer l’« esprit » de cette décision-cadre dans le contexte du droit irlandais. En tout état de cause, l’Irlande ajoute que le Criminal Justice (Mutual Recognition of Custodial Sentences) Bill [projet de loi sur la justice pénale (reconnaissance mutuelle des peines privatives de liberté)] transposant les autres dispositions de la décision-cadre 2008/909 a déjà été approuvé par le gouvernement irlandais et devait être publié le 3 août 2021.

13      La Commission rétorque qu’aucun des arguments avancés par l’Irlande n’est susceptible de remettre en cause le bien-fondé du présent recours en manquement.

14      S’agissant de l’argument selon lequel la législation adoptée sur la base de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées permettrait d’appliquer l’« esprit » de la décision-cadre 2008/909, la Commission fait valoir notamment qu’un des changements fondamentaux introduits par cette décision-cadre par rapport à cette convention est le passage à un système obligatoire de transfèrement des détenus dans certaines situations, tout en offrant des possibilités de transfèrement nettement plus vastes qu’auparavant. Ladite décision‑cadre instituerait ainsi, conformément au principe de reconnaissance mutuelle, une procédure de communication simplifiée entre les autorités compétentes des États membres. En outre, contrairement à la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, la décision‑cadre 2008/909 s’appliquerait également lorsque le transfert effectif de la personne concernée n’est pas requis parce que cette personne se trouve déjà sur le territoire de l’État d’exécution.

15      Quant à l’argument tiré de ce qu’un projet de loi assurant la transposition complète de la décision-cadre 2008/909 est en cours d’adoption, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé par l’avis motivé.

 Appréciation de la Cour

16      Il ressort des termes de l’article 29, paragraphe 1, de la décision-cadre 2008/909 que les États membres devaient prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de cette décision-cadre avant le 5 décembre 2011. En outre, selon l’article 29, paragraphe 2, de ladite décision-cadre, ils devaient communiquer le texte des dispositions transposant dans leur droit national les obligations découlant de la même décision-cadre au secrétariat général du Conseil et à la Commission, à charge pour le Conseil de vérifier, au plus tard le 5 décembre 2012, sur la base d’un rapport établi à partir de ces informations par la Commission, dans quelle mesure les États membres s’étaient conformés aux dispositions de la décision-cadre 2008/909.

17      Enfin, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’un recours au titre de l’article 258 TFUE, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce, C‑200/88, EU:C:1990:422, point 13, ainsi que du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 30 et jurisprudence citée].

18      En l’espèce, il est constant que, à la date d’expiration du délai de deux mois fixé dans l’avis motivé de la Commission émis le 26 juillet 2019, l’Irlande n’avait pas adopté de dispositions visant à transposer la décision-cadre 2008/909 dans son ensemble. La circonstance que le projet de loi assurant la transposition complète de cette décision a été approuvé par le gouvernement irlandais et publié le 3 août 2021 ne saurait être utilement invoquée, cette circonstance étant postérieure à la date d’expiration dudit délai.

19      Quant à l’argument avancé par l’Irlande et tiré, en substance, de ce que cet État membre aurait disposé d’une législation prévoyant, d’ores et déjà, le transfèrement des personnes condamnées entre États membres, il est constant, premièrement, que l’Irlande n’a pas communiqué cette législation à la Commission afin de se conformer à l’obligation qui lui incombait au titre de l’article 29, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909.

20      Or, la communication des mesures de transposition d’une décision‑cadre doit contenir des informations suffisamment claires et précises quant au contenu des normes nationales qui la transposent afin d’indiquer sans ambiguïté quelles sont les mesures législatives, réglementaires et administratives au moyen desquelles l’État membre considère avoir rempli les différentes obligations que lui impose cette décision-cadre. En l’absence d’une telle information, la Commission n’est pas en mesure de vérifier si l’État membre a réellement et complètement mis en application la décision-cadre [voir, par analogie, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96/81, EU:C:1982:192, point 8, et du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 51].

21      Deuxièmement, dans l’hypothèse où une décision-cadre vise à créer des droits pour les particuliers, il y a lieu de rappeler que ses dispositions doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique qui requiert que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits [voir, par analogie, arrêts du 13 mars 1997, Commission/France, C‑197/96, EU:C:1997:155, point 15, et du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale), C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 288].

22      Or, en l’espèce, et alors que la décision-cadre 2008/909 vise à créer des droits pour les personnes condamnées, les dispositions nationales adoptées sur la base de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées ne comportent aucun renvoi à cette décision-cadre. En outre, l’Irlande reconnaît elle-même, ainsi qu’il a été relevé au point 12 du présent arrêt, que les dispositions nationales adoptées sur la base de cette convention ne traitent pas de nombreux aspects techniques couverts par ladite décision-cadre, mais permettent seulement d’en appliquer l’« esprit ».

23      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2008/909 et en n’ayant pas communiqué à la Commission le texte de ces dispositions, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 29, paragraphes 1 et 2, de cette décision-cadre.

 Sur les dépens

24      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      En n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne, et en n’ayant pas communiqué à la Commission européenne le texte de ces dispositions, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 29, paragraphes 1 et 2, de cette décision-cadre.

2)      L’Irlande est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.

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