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Document 62020TO0252(01)

    Ordonnance du Tribunal (dixième chambre élargie) du 8 juin 2021.
    Joshua David Silver e.a. contre Conseil de l'Union européenne.
    Recours en annulation – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union et de l’Euratom – Décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord sur le retrait – Ressortissants du Royaume-Uni – Perte de la citoyenneté de l’Union – Défaut d’affectation individuelle – Acte non réglementaire – Irrecevabilité.
    Affaire T-252/20.

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2021:347

     ORDONNANCE DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

    8 juin 2021 ( *1 )

    « Recours en annulation – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union et de l’Euratom – Décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord sur le retrait – Ressortissants du Royaume-Uni – Perte de la citoyenneté de l’Union – Défaut d’affectation individuelle – Acte non réglementaire – Irrecevabilité »

    Dans l’affaire T‑252/20,

    Joshua Silver, demeurant à Bicester (Royaume-Uni), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe ( 1 ), représentés par M. P. Tridimas, barrister, M. D. Harrison et Mme A. von Westernhagen, solicitors,

    parties requérantes,

    contre

    Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer, R. Meyer et Mme J. Ciantar, en qualité d’agents,

    partie défenderesse,

    ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 1),

    LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

    composé de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg, Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteure), M. G. Hesse et Mme M. Stancu, juges,

    greffier : M. E. Coulon,

    rend la présente

    Ordonnance

    Antécédents du litige

    1

    Les requérants, M. Joshua Silver et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants du Royaume-Uni résidant en France et au Royaume-Uni.

    2

    Le 23 juin 2016, les citoyens du Royaume-Uni se sont prononcés par référendum en faveur du retrait de leur pays de l’Union européenne.

    3

    Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l’Union en application de l’article 50, paragraphe 2, TUE.

    4

    Le 24 janvier 2020, les représentants de l’Union et du Royaume-Uni ont signé l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait »).

    5

    Le 30 janvier 2020, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (UE) 2020/135 relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 1, ci-après la « décision attaquée »). En vertu de l’article 1er de cette décision, l’accord de retrait a été approuvé au nom de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique.

    6

    Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni s’est retiré de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Le 1er février 2020, l’accord de retrait est entré en vigueur.

    Procédure et conclusions des parties

    7

    Par requête enregistrée le 23 avril 2020, les requérants ont introduit le présent recours.

    8

    Par acte séparé, déposé le 16 juin 2020 au greffe du Tribunal, deux des requérants ont demandé le bénéfice de l’anonymat. Par décision du 24 juin 2020, le Tribunal a fait droit à cette demande.

    9

    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 27 juillet 2020, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

    10

    Le 8 septembre 2020, les requérants ont déposé au greffe du Tribunal leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité.

    11

    Entre-temps, par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 juin 2020, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Conseil. Par lettres déposées au greffe du Tribunal respectivement le 28 et le 31 août 2020, les requérants et le Conseil ont pris note de cette demande d’intervention.

    12

    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 août 2020, British in Europe, association de droit français, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 21 décembre 2020, les requérants et le Conseil ont présenté leurs observations sur cette demande d’intervention.

    13

    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 août 2020, Plaid Cymru – The Party of Wales, parti politique de droit britannique, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 21 décembre 2020, les requérants et le Conseil ont présenté leurs observations sur cette demande d’intervention.

    14

    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 août 2020, European Democracy Lab, association de droit allemand, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 21 décembre 2020, les requérants et le Conseil ont présenté leurs observations sur cette demande d’intervention.

    15

    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 août 2020, ECIT, fondation d’utilité publique de droit belge, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 21 décembre 2020, les requérants et le Conseil ont présenté leurs observations sur cette demande d’intervention.

    16

    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 août 2020, European Alternatives Ltd, qui se présente comme un groupe d’organisations de la société civile constitué d’une société de droit anglais et gallois, d’une association de droit français, d’une association de droit allemand et d’une association de droit italien, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 21 décembre 2020, les requérants et le Conseil ont présenté leurs observations sur cette demande d’intervention.

    17

    Par ordonnance du 5 novembre 2020, le Tribunal (dixième chambre) a, sur le fondement de l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure, joint l’exception d’irrecevabilité au fond et réservé les dépens.

    18

    Par décision du 11 novembre 2020, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant la dixième chambre élargie, conformément à l’article 28 du règlement de procédure.

    19

    Le Conseil a déposé le mémoire en défense le 8 février 2021. Le 11 février 2021, le président de la dixième chambre élargie a décidé de ne pas notifier ce mémoire aux requérants.

    20

    Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 février 2021, le Conseil a invité le Tribunal à examiner, dans la présente affaire, l’opportunité de suspendre la procédure en application de l’article 69, sous d), du règlement de procédure jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur les demandes de décisions préjudicielles enregistrées sous les références C‑673/20 et C‑32/21 ou de se dessaisir en application de l’article 128 du même règlement afin que la Cour puisse statuer conjointement sur le présent recours et sur ces demandes de décisions préjudicielles. Par lettre déposée au greffe le 17 février 2021, les requérants ont demandé à prendre connaissance du mémoire en défense afin de pouvoir présenter leurs observations sur l’opportunité d’une suspension ou d’un dessaisissement. Le 22 février 2021, le président de la dixième chambre élargie a décidé de communiquer aux requérants les points 42 et 61 dudit mémoire. Par lettre déposée au greffe le 10 mars 2021, les requérants ont présenté leurs observations sur l’opportunité d’une suspension ou d’un dessaisissement. Par décision du 15 mars 2021, le président de la dixième chambre élargie a décidé de ne pas suspendre la procédure.

    21

    Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

    annuler la décision attaquée, en tant qu’elle « les prive […] de leur statut de citoyen[s] de l’Union et des droits qu’ils en tirent » ;

    condamner le Conseil aux dépens.

    22

    Dans l’exception d’irrecevabilité, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    rejeter le recours comme irrecevable ;

    condamner les requérants aux dépens.

    En droit

    Sur la suggestion de dessaisissement

    23

    En vertu de l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour et le Tribunal sont saisis d’affaires ayant le même objet, soulevant la même question d’interprétation ou mettant en cause la validité du même acte, le Tribunal, après avoir entendu les parties, peut suspendre la procédure jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour ou, s’il s’agit de recours introduits en vertu de l’article 263 TFUE, se dessaisir afin que la Cour puisse statuer sur ces recours.

    24

    Il résulte de cette disposition que le Tribunal ne peut se dessaisir d’une affaire qu’à la condition que la Cour et le Tribunal soient tous deux saisis de recours en annulation.

    25

    Or, en l’espèce, le Conseil suggère au Tribunal de se dessaisir afin que la Cour puisse statuer sur le présent recours conjointement à deux demandes de décisions préjudicielles (point 20 ci-dessus).

    26

    Par conséquent, le Tribunal ne peut se dessaisir de la présente affaire.

    Sur la possibilité de statuer par voie d’ordonnance

    27

    En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité, sans engager le débat au fond. En application de l’article 130, paragraphe 6, de ce règlement, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure sur l’exception d’irrecevabilité.

    28

    Selon la jurisprudence, la possibilité de rejeter un recours comme irrecevable par ordonnance motivée, et donc sans tenir d’audience, n’est pas exclue par le fait que le Tribunal a auparavant adopté une ordonnance joignant au fond une exception présentée sur le fondement de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce sens, ordonnance du 19 février 2008, Tokai Europe/Commission, C‑262/07 P, non publiée, EU:C:2008:95, points 26 à 28).

    29

    En l’espèce, bien qu’ayant décidé par ordonnance du 5 novembre 2020 de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité du Conseil, le Tribunal s’estime désormais suffisamment informé par les pièces du dossier pour statuer par voie d’ordonnance sur cette exception.

    Sur l’exception d’irrecevabilité

    30

    Le Conseil soutient que le recours est irrecevable dans la mesure où les requérants n’ont pas qualité pour agir contre la décision attaquée. En effet, premièrement, les requérants ne seraient pas destinataires de cette décision. Deuxièmement, les requérants ne seraient pas individuellement concernés par ladite décision. Troisièmement, la décision attaquée, d’une part, comporterait des mesures d’exécution et, d’autre part, ne serait pas un acte réglementaire.

    31

    Les requérants contestent l’exception d’irrecevabilité Ils font valoir, d’une part, qu’ils sont directement et individuellement concernés par la décision attaquée et, d’autre part, cette décision est un acte réglementaire les concernant directement et ne comportant pas de mesures d’exécution.

    32

    Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours en annulation contre trois types d’actes, à savoir, premièrement, les actes dont elle est le destinataire, deuxièmement, les actes qui la concernent directement et individuellement et, troisièmement, les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

    33

    En l’espèce, la qualité pour agir des requérants doit être appréciée au regard de la seule décision attaquée. Cependant, il y a lieu d’observer que le contrôle de légalité devant être assuré par le juge de l’Union sur une décision de conclusion d’un accord international est susceptible de porter sur la légalité de ladite décision au regard du contenu même de l’accord international en cause (voir, par analogie, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, point 51 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que, aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir des requérants, il y a lieu de prendre en compte la nature et le contenu de l’accord de retrait.

    34

    Il convient de constater d’emblée que les requérants ne sont destinataires ni de la décision attaquée ni de l’accord de retrait. Il s’ensuit qu’ils ne disposent pas d’un droit au recours sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE, ce que, d’ailleurs, ils ne contestent pas.

    35

    Dans ces conditions, il convient d’examiner si les requérants disposent d’un droit au recours sur le fondement de l’une ou l’autre des hypothèses prévues par l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE.

    Sur la qualité pour agir des requérants au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE

    36

    Il convient de rappeler que les conditions de l’affectation directe, d’une part, et de l’affectation individuelle, d’autre part, prévues par l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE sont cumulatives (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 75 et 76 et jurisprudence citée).

    37

    Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord si la seconde condition, tenant à l’affectation individuelle des requérants, est remplie.

    38

    À cet égard, il importe de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, afin d’être considérée comme individuellement concernée par un acte dont elle n’est pas destinataire, une personne physique ou morale doit être atteinte par cet acte en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 93).

    39

    Par conséquent, la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droits auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêts du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, EU:C:2001:622, point 52, et du 13 mars 2018, European Union Copper Task Force/Commission, C‑384/16 P, EU:C:2018:176, point 94).

    40

    De même, la circonstance qu’un acte normatif puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droits auxquels il s’applique n’est pas de nature à les caractériser par rapport à toutes les autres personnes concernées, dès lors que l’application de cet acte s’effectue en vertu d’une situation objectivement déterminée (arrêt du 22 février 2000, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, EU:T:2000:45, point 66, et ordonnance du 3 décembre 2008, RSA Security Ireland/Commission, T‑227/06, EU:T:2008:547, point 59).

    41

    Cependant, le fait qu’une disposition a par sa nature et sa portée un caractère général, en ce qu’elle s’applique à la généralité des personnes intéressées, n’exclut pas pour autant qu’elle puisse concerner individuellement certains d’entre eux (arrêts du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 58, et du 23 avril 2009, Sahlstedt e.a./Commission, C‑362/06 P, EU:C:2009:243, point 29).

    42

    En effet, lorsqu’un acte affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres du groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint de personnes. Il peut en être notamment ainsi lorsque ledit acte modifie les droits acquis par ces personnes antérieurement à son adoption (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, points 71 et 72 et jurisprudence citée, et du 27 février 2014, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 59).

    43

    En l’espèce, les requérants soutiennent, en substance, qu’ils sont directement et individuellement concernés par la décision attaquée dans la mesure où celle-ci les prive de leur statut de citoyens de l’Union et des droits attachés à ce statut.

    44

    Plus spécifiquement, pour justifier de leur affectation individuelle, les requérants expliquent, premièrement, qu’ils font partie d’un cercle fermé constitué par les personnes ayant la qualité de ressortissants du Royaume-Uni et, partant, la qualité de citoyens de l’Union, au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de retrait et de la décision attaquée.

    45

    Selon les requérants, le caractère « fermé » de ce cercle de personnes résulterait du fait que les membres dudit cercle seraient tous identifiés ou identifiables au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de retrait et de la décision attaquée et qu’aucun nouveau membre ne pourrait être ensuite ajouté audit cercle. En effet, les personnes acquérant la qualité de ressortissants du Royaume-Uni après le retrait de cet État de l’Union ne pourraient pas se prévaloir du statut de citoyens de l’Union.

    46

    En outre, les requérants font valoir que le statut de citoyen de l’Union présente un caractère permanent et, en principe, non révocable et qu’il leur a été conféré avant l’adoption de la décision attaquée. Par conséquent, cette décision les priverait d’un droit acquis, lequel serait spécifique et exclusif aux membres du cercle fermé dont ils font partie.

    47

    Deuxièmement, les requérants font valoir que chacun d’eux est affecté, de façon individuelle, par la perte de son statut de citoyen de l’Union et des droits afférents à ce statut. À cet égard, ils invoquent les conséquences qu’aurait la perte du statut de citoyens de l’Union et des droits attachés à ce statut, en particulier pour ceux d’entre eux qui ont déjà exercé leur droit de libre circulation. Ils se prévalent notamment :

    de l’acquisition d’une maison en France, d’une résidence permanente effective ou envisagée dans cet État membre et de la nécessité d’y bénéficier d’une assurance-maladie (quatre requérants) ;

    de l’exercice, par le passé, du droit de pétition au Parlement européen (une requérante) ;

    de l’exercice d’une activité professionnelle en France (un requérant) ;

    d’études universitaires suivies par le passé ou envisagées à l’avenir en Allemagne et de projets d’activité professionnelle dans cet État membre (deux requérants) ;

    de la présence de membres de leur famille ou d’amis en France ou en Allemagne (trois requérants).

    48

    Troisièmement, les requérants invitent le Tribunal à apprécier largement la condition d’affectation individuelle. En effet, cette condition devrait être interprétée à la lumière du droit à une protection juridictionnelle effective, consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En outre, la présente affaire concernerait le principe de démocratie et toucherait au cœur de l’identité constitutionnelle de l’Union.

    49

    Quatrièmement, les requérants considèrent que la question de leur affectation individuelle, en particulier au regard de l’existence d’un droit acquis, est liée à celle du caractère permanent et non révocable du statut de citoyen de l’Union et ne saurait être tranchée sans un examen au fond de l’affaire.

    50

    Il y a lieu de constater d’emblée que l’argumentation des requérants tendant à établir leur qualité pour agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE repose sur la prémisse selon laquelle la décision attaquée entraînerait la « perte » ou la « privation » de leur statut de citoyens de l’Union et des droits attachés à ce statut.

    51

    À cet égard, il est, certes, vrai que ni la décision attaquée ni l’accord de retrait ne procèdent expressément au retrait du statut de citoyens de l’Union des ressortissants du Royaume-Uni et des droits attachés à ce statut.

    52

    Pour autant, il résulte clairement des termes et de l’économie de l’accord de retrait – et notamment du sixième alinéa de son préambule, de son article 2, sous b) à d), de son article 10, paragraphe 1, sous a) à d), et, plus globalement, de l’ensemble de sa deuxième partie intitulée « Droits des citoyens » – que cet accord traite les ressortissants du Royaume-Uni, y compris ceux qui étaient citoyens de l’Union à la date de retrait du Royaume-Uni de l’Union, comme des personnes n’ayant pas, ou n’ayant plus à compter de cette date, la qualité de citoyens de l’Union. Ainsi, ledit accord ne prévoit pas le maintien du statut de citoyens de l’Union des ressortissants du Royaume-Uni et de l’intégralité des droits attachés à ce statut.

    53

    Or, il convient de souligner que, incontestablement, la perte ou le non-maintien du statut de citoyen de l’Union est susceptible d’affecter de manière considérable les droits d’un ressortissant d’un État membre se retirant de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 64). Les ressortissants d’un tel État membre, expatriés dans un autre État membre, sont d’autant plus susceptibles d’être affectés par la sortie de l’Union de l’État membre dont ils sont originaires, en raison des liens créés parfois de longue date, du point de vue tant personnel que professionnel et économique (ordonnance du 16 juin 2020, Walker e.a./Parlement et Conseil, T‑383/19, non publiée, EU:T:2020:269, point 41).

    54

    Cependant, s’agissant de la condition d’affectation individuelle et conformément à la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, il appartient aux requérants de justifier que la décision attaquée, en tant qu’elle les priverait de leur statut de citoyens de l’Union et des droits attachés à ce statut, les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à des destinataires.

    55

    À cet égard, en premier lieu, il est constant que l’accord de retrait, notamment en tant qu’il ne prévoit pas le maintien du statut de citoyens de l’Union pour les ressortissants du Royaume-Uni, s’applique à l’ensemble des ressortissants de cet État et présente ainsi une portée générale.

    56

    Il s’ensuit que la décision attaquée, qui fait entrer l’accord de retrait dans l’ordre juridique de l’Union est elle-même un acte de portée générale et, à ce titre, atteint les requérants en raison de leur qualité objective de ressortissants du Royaume-Uni.

    57

    En deuxième lieu, les circonstances invoquées par les requérants, mentionnées aux points 44 à 46 ci-dessus et tirées de l’appartenance à un groupe de personnes ayant acquis le statut de citoyens de l’Union du fait de leur qualité de ressortissants du Royaume-Uni ne permettent pas de considérer que les requérants font partie d’un cercle restreint de personnes au sens de la jurisprudence mentionnée au point 42 ci-dessus.

    58

    En effet, premièrement, la décision attaquée, en tant qu’elle priverait les ressortissants du Royaume-Uni du statut de citoyens de l’Union et des droits attachés à ce statut, a été adoptée en tenant compte de leur qualité objective de personnes détenant la nationalité d’un État membre qui se retire de l’Union (point 56 ci-dessus) et, en outre, sans prendre en considération les particularités de leurs situations individuelles, de sorte que lesdits ressortissants ne sont pas spécifiquement concernés par cette décision (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, points 66 et 67, et ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream/Parlement et Conseil, T‑530/19, EU:T:2020:213, point 64). Il s’ensuit que les requérants, ainsi qu’ils le reconnaissent eux-mêmes, ne sont concernés par la décision attaquée qu’au même titre que tous les autres ressortissants du Royaume-Uni. Dès lors, le « cercle fermé » qu’ils invoquent résulte de la nature même du système établi par la décision attaquée (voir, par analogie, arrêts du 10 juillet 1996, Weber/Commission, T‑482/93, EU:T:1996:97, point 65, et du 6 juin 2013, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, T‑279/11, EU:T:2013:299, points 84 et 89).

    59

    Dans ces conditions, et conformément à la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus, les circonstances, d’une part, que le nombre, voire l’identité, des personnes faisant partie du « cercle fermé » invoqué par les requérants pourraient être déterminés avec plus ou moins de précision et, d’autre part, que ce cercle ne pourrait plus être élargi après l’entrée en vigueur de la décision attaquée ne sont, en elles-mêmes, pas de nature à rendre ces personnes individuellement concernées par cette décision.

    60

    Deuxièmement, contrairement à ce que prétendent les requérants, le statut de citoyen de l’Union et les droits attachés à ce statut ne sauraient être qualifiés de droits « spécifiques » ou « exclusifs ». En effet, au moment du retrait du Royaume-Uni de l’Union, l’ensemble des ressortissants de cet État, alors membre de l’Union, étaient titulaires dudit statut et des droits attachés audit statut. Dès lors, la situation des membres du « cercle fermé » invoqué par les requérants ne peut être rapprochée de celle de la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C‑309/89, EU:C:1994:197, points 21 et 22), laquelle était empêchée d’utiliser une marque enregistrée, constitutive d’un droit de propriété individuel et exclusif par nature (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 23 novembre 2015, Beul/Parlement et Conseil, T‑640/14, EU:T:2015:907, point 48).

    61

    Il s’ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision attaquée les aurait privés d’un droit acquis présentant un caractère spécifique ou exclusif. Or, la seule existence d’un droit acquis ou subjectif, dont la portée ou l’exercice est potentiellement affecté par l’acte litigieux, ne suffit pas à individualiser le titulaire dudit droit lorsque d’autres personnes sont susceptibles de disposer de droits analogues et, partant, de se trouver dans la même situation que ce titulaire (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2011, Enviro Tech Europe et Enviro Tech International/Commission, T‑291/04, EU:T:2011:760, point 116 et jurisprudence citée).

    62

    En troisième lieu, les différents éléments invoqués, à titre personnel, par chacun des requérants et énumérés au point 47 ci-dessus sont, tout au plus, susceptibles d’établir les effets concrets, différents et, le cas échéant, importants que peut avoir pour chacun d’eux la perte alléguée du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut. En revanche, aucun de ces éléments n’est de nature à démontrer que la perte de ce statut et des droits attachés audit statut aurait pour eux des conséquences si particulières et si spécifiques qu’elles les individualiserait par rapport à toute autre personne, à la façon de destinataires, au sens de la jurisprudence rappelée au point 38 ci-dessus.

    63

    En quatrième lieu, s’agissant de l’argument des requérants selon lequel la condition d’affectation individuelle devrait être interprétée largement, il y a lieu de rappeler que l’article 47 de la Charte n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union. Ainsi, les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, sans pour autant aboutir à écarter ces conditions, qui sont expressément prévues par le traité FUE (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 97 et 98 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, points 43 et 44).

    64

    Or, la protection conférée par l’article 47 de la Charte n’exige pas qu’un justiciable puisse, de manière inconditionnelle, intenter un recours en annulation contre des actes qui ne l’affectent pas individuellement.

    65

    Par ailleurs, la circonstance, alléguée par les requérants, selon laquelle la présente affaire concernerait le principe de démocratie et toucherait au cœur de l’identité constitutionnelle de l’Union est, en elle-même, sans pertinence aux fins d’apprécier si ces derniers satisfont à la condition d’affectation individuelle. En effet, les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE s’appliquent à tout recours en annulation, sans distinction des questions de fond soulevées. Au demeurant, le contexte factuel de la présente affaire diffère de celui, très spécifique, de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, EU:C:1986:166, points 32 à 37), cité par les requérants, dans laquelle était en cause le droit au recours d’une formation politique non représentée au Parlement à l’encontre d’actes du Parlement relatifs à l’octroi de crédits en vue de la préparation des élections européennes et à l’adoption desquels avaient participé des formations politiques rivales représentées au Parlement.

    66

    En cinquième lieu, contrairement à ce prétendent les requérants, la question de leur affectation individuelle peut, en l’espèce, être tranchée sans procéder à un examen au fond de l’affaire et, en particulier, sans examiner si le statut de citoyen de l’Union présente un caractère permanent et non révocable.

    67

    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les requérants ne sont pas individuellement concernés par la décision attaquée. Partant, sans qu’il soit besoin d’examiner si ces derniers sont directement concernés par cette décision, ils n’ont pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE.

    Sur la qualité pour agir des requérants au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE

    68

    Il convient de rappeler que les conditions liées, premièrement, à la nature réglementaire de l’acte contesté, deuxièmement, à l’affectation directe des requérants et, troisièmement, à l’absence de mesures d’exécution prévues par l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE sont cumulatives (voir, en ce sens, ordonnance du 19 novembre 2020, Buxadé Villalba e.a./Parlement, T‑32/20, non publiée, EU:T:2020:552, point 30 et jurisprudence citée).

    69

    Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’examiner d’abord si la première condition, tenant au caractère réglementaire de la décision attaquée, est remplie.

    70

    Il importe de rappeler que la notion d’« actes réglementaires » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième branche, TFUE, a une portée plus limitée que celle d’« actes », employée à l’article 263, quatrième alinéa, premier et deuxième membres de phrase, TFUE. Dès lors, cette notion ne saurait viser l’ensemble des actes de portée générale, mais se rapporte à une catégorie plus restreinte d’actes de cette nature (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 58).

    71

    Par conséquent, la notion d’« actes réglementaires », d’une part, vise des actes de portée générale et, d’autre part, ne comprend pas les actes législatifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 60 et 61).

    72

    En l’espèce, en premier lieu, les parties s’accordent, à juste titre, pour considérer que la décision attaquée est un acte non législatif de portée générale.

    73

    En effet, d’une part, il est constant que la décision attaquée est un acte de portée générale (point 56 ci-dessus).

    74

    D’autre part, il y a lieu de rappeler qu’un acte juridique ne peut être qualifié d’acte législatif de l’Union que s’il a été adopté sur le fondement d’une disposition des traités qui se réfère expressément soit à la procédure législative ordinaire, soit à la procédure législative spéciale (arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 62). En l’espèce, la décision attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 50, paragraphe 2, TUE. Or, force est de constater que si cette disposition précise que l’accord fixant les modalités du retrait d’un État membre est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement, elle ne se réfère expressément ni à la procédure législative ordinaire ni à la procédure législative spéciale. Il s’ensuit que la décision attaquée ne peut être qualifiée d’acte législatif.

    75

    En second lieu, les parties sont en désaccord sur les conséquences à tirer du fait que la décision attaquée est un acte non législatif de portée générale. Selon les requérants, cette décision ne pourrait être qu’un acte réglementaire. Selon le Conseil, ladite décision ne serait ni un acte législatif ni un acte réglementaire.

    76

    À cet égard, il y a lieu d’observer que, dans l’arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625), la Cour n’a pas jugé que la notion d’« actes réglementaires » comprenait tous les actes non législatifs de portée générale.

    77

    Certes, il importe de rappeler que, dans un arrêt postérieur, la Cour a expressément écarté l’interprétation selon laquelle il existerait des actes non législatifs de portée générale ne relevant pas de la notion d’« actes réglementaires », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE. En conséquence, la Cour a jugé que cette notion couvrait tous les actes non législatifs de portée générale (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, points 24 et 28).

    78

    Toutefois, il y a lieu de relever que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873), l’acte litigieux était une décision de la Commission prise en matière d’aides d’État. Bien qu’ayant une portée générale du fait qu’elle se prononçait sur des régimes nationaux, cette décision présentait un caractère administratif marqué et avait d’ailleurs été adoptée par la seule Commission, sans intervention du Conseil et du Parlement. Dans ce contexte, la thèse alors défendue par la Commission selon laquelle ladite décision aurait été un acte non législatif de portée générale ne relevant pas de la notion d’« actes réglementaires » ne trouvait aucun fondement dans le libellé, la genèse ou la finalité de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, ainsi que la Cour l’a relevé aux points 24 à 27 de cet arrêt.

    79

    En revanche, la Cour n’a pas encore eu l’occasion d’examiner si les décisions approuvant la conclusion d’un accord international, et en particulier les décisions approuvant la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre, doivent être qualifiées d’actes réglementaires au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

    80

    Dans ces conditions, il convient d’examiner si la notion d’« actes réglementaires » couvre également de telles décisions.

    81

    À cet égard, premièrement, il importe de relever que, comme tout accord international conclu par l’Union, un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre lie les institutions de celle-ci et prévaut sur les actes qu’elles édictent (voir, par analogie, arrêt du 13 janvier 2015, Conseil et Commission/Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Europe, C‑404/12 P et C‑405/12 P, EU:C:2015:5, point 44 et jurisprudence citée).

    82

    Il résulte de cette primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les textes de droit dérivé que l’accord de retrait occupe, dans la hiérarchie des normes, un rang supérieur à celui des autres actes de portée générale, tant législatifs que réglementaires.

    83

    Il s’ensuit que la décision attaquée introduit dans l’ordre juridique de l’Union des règles, contenues dans l’accord de retrait, qui prévalent sur les actes législatifs et réglementaires et qui, dès lors, ne sauraient elles-mêmes présenter un caractère réglementaire.

    84

    Deuxièmement, eu égard à sa procédure d’adoption et à l’image d’autres accords internationaux conclus par l’Union, l’accord de retrait peut être considéré comme étant, sur le plan extérieur, l’équivalent de ce qu’est un acte législatif sur le plan intérieur [voir, en ce sens et par analogie, avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 146].

    85

    En effet, l’accord de retrait a été conclu au nom de l’Union par le Conseil, après approbation du Parlement, selon la procédure prévue par l’article 50, paragraphe 2, TUE. En tant qu’elle fait intervenir le Conseil et le Parlement, cette procédure se rapproche des procédures législatives ordinaire et spéciales définies à l’article 289, paragraphes 1 et 2, TFUE et mentionnées à l’article 21, paragraphes 2 et 3, à l’article 22, paragraphes 1 et 2, à l’article 23, second alinéa, à l’article 24, premier alinéa, à l’article 25, second alinéa, et à l’article 228, paragraphe 4, TFUE sur le fondement desquels ces deux institutions peuvent adopter des dispositions relatives aux droits attachés au statut de citoyen de l’Union. De plus, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les citoyens de l’Union qui sont ressortissants de l’État membre qui se retire participent à l’adoption de la décision de conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait de cet État, l’article 50 TUE ne prévoyant l’exclusion d’aucun député européen lors de l’approbation d’un tel accord par le Parlement.

    86

    Il s’ensuit que la décision attaquée introduit dans l’ordre juridique de l’Union des règles, contenues dans l’accord de retrait, qui se caractérisent par une légitimité démocratique particulièrement élevée, à l’image de celles figurant dans un acte législatif. Or, c’est précisément la légitimité démocratique particulièrement élevée de la législation adoptée selon une procédure prévoyant la participation du Conseil et du Parlement qui justifie l’absence d’assouplissement des conditions dans lesquelles les particuliers peuvent introduire des recours en annulation contre les actes législatifs (voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:21, point 38).

    87

    Par ailleurs, dans de nombreuses versions linguistiques de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, la notion d’« actes réglementaires » évoque davantage les actes du pouvoir exécutif que ceux du pouvoir législatif (voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:21, point 41). Or, une décision approuvant la conclusion d’un accord international ou d’un accord fixant les modalités de retrait d’un État membre, telle que la décision attaquée, ne peut être rapprochée d’un acte du pouvoir exécutif.

    88

    Troisièmement, il serait incohérent et paradoxal d’assouplir les conditions dans lesquelles les particuliers peuvent introduire un recours en annulation contre la décision attaquée en qualifiant celle-ci d’acte réglementaire. En effet, un tel assouplissement aurait pour conséquence que les particuliers pourraient plus facilement contester une règle juridique donnée lorsqu’elle figure dans un accord international, tel que l’accord de retrait, et est ensuite introduite dans l’ordre juridique de l’Union au moyen d’une décision approuvant la conclusion de l’accord en cause, telle que la décision attaquée, que lorsque la même règle juridique figure dans un acte législatif ayant un contenu identique et occupant un rang inférieur dans la hiérarchie des normes.

    89

    Quatrièmement, il ressort de la genèse de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE que les auteurs du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe puis ceux du traité de Lisbonne n’ont pas eu pour intention spécifique d’assouplir les conditions de recevabilité des recours des particuliers dirigés contre les décisions approuvant la conclusion d’un accord international, telles que, notamment, les décisions approuvant la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre. En particulier, les travaux préparatoires du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe – et notamment de son article III‑365, paragraphe 4, dont le contenu a été repris en termes identiques à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE – ne laissent aucunement apparaître que lesdits auteurs auraient souhaité que de telles décisions soient qualifiées d’« actes réglementaires » au sens de ces deux articles.

    90

    Dans ces conditions, la notion d’« actes réglementaires » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième branche, TFUE doit être interprétée comme ne comprenant pas les décisions approuvant la conclusion d’un accord international, telles que, en particulier, les décisions approuvant la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre.

    91

    Dès lors, la décision attaquée ne peut pas être qualifiée d’acte réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième branche, TFUE.

    92

    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments des requérants.

    93

    Premièrement, la circonstance que la décision attaquée a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne sous le titre « Actes non législatifs » n’impliquait pas que cette décision soit nécessairement un acte réglementaire. Il s’ensuit que cette publication n’était pas de nature à induire en erreur les particuliers quant aux possibilités de recours dont ils disposaient à l’encontre de ladite décision.

    94

    Deuxièmement, la qualification de la décision attaquée comme un acte de portée générale qui n’est ni législatif ni réglementaire n’est pas contraire aux principes de sécurité juridique et de protection juridictionnelle effective. En effet, ces principes ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de recevabilité des recours par des interprétations jurisprudentielles, pour autant que celles‑ci sont raisonnablement prévisibles (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 167 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, l’interprétation de la notion d’« actes réglementaires » retenue au point 90 ci-dessus était raisonnablement prévisible eu égard aux spécificités des décisions approuvant la conclusion d’un accord international, telles que, en particulier, les décisions approuvant la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre.

    95

    Troisièmement, le principe de protection juridictionnelle effective, tel que consacré à l’article 47 de la Charte, n’exige pas qu’un justiciable puisse, de manière inconditionnelle, intenter un recours en annulation, directement devant la juridiction de l’Union, contre des actes de portée générale ne relevant pas de la notion d’« actes réglementaires » (voir, par analogie, en ce qui concerne les actes législatifs, arrêts du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 105, et du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil, C‑204/16 P, EU:C:2017:838, point 66).

    96

    Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner si la décision attaquée affecte directement les requérants et si elle comporte des mesures d’exécution, ces derniers n’ont pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

    97

    Il s’ensuit que le Conseil est fondé à soutenir que les requérants n’ont pas qualité pour agir. Partant, l’exception d’irrecevabilité doit être accueillie et le recours doit être rejeté comme irrecevable.

    Sur les demandes d’intervention

    98

    Aux termes de l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’intervention perd son objet lorsque la requête est déclarée irrecevable. En l’espèce, le recours étant rejeté comme irrecevable, il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention introduites par la Commission, par British in Europe, parPlaid Cymru – The Party of Wales, par European Democracy Lab, par ECIT et par European Alternatives Ltd.

    Sur les dépens

    99

    En premier lieu, aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier, à l’exception de ceux afférents aux demandes d’intervention.

    100

    En second lieu, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, s’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il ne soit statué sur une demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention. En l’espèce, les requérants, le Conseil, la Commission, British in Europe, Plaid Cymru – The Party of Wales, European Democracy Lab, ECIT et European Alternatives Ltd supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention.

     

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

    ordonne :

     

    1)

    Le recours est rejeté comme irrecevable.

     

    2)

    Il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’intervention de la Commission européenne, de British in Europe, de Plaid Cymru – The Party of Wales, de European Democracy Lab, d’ECIT et de European Alternatives Ltd.

     

    3)

    M. Joshua Silver et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, à l’exception de ceux afférents aux demandes d’intervention.

     

    4)

    M. Silver et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, le Conseil, la Commission, British in Europe, Plaid Cymru – The Party of Wales, European Democracy Lab, ECIT et European Alternatives Ltd supporteront chacun leurs propres dépens afférents aux demandes d’intervention.

     

    Fait à Luxembourg, le 8 juin 2021.

    Le greffier

    E. Coulon

    Le président

    A. Kornezov


    ( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

    ( 1 ) La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.

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