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Document 62019CJ0658

Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 25 février 2021.
Commission européenne contre Royaume d'Espagne.
Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2016/680 – Traitement des données à caractère personnel – Prévention et détection des infractions pénales, enquêtes et poursuites en la matière – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte.
Affaire C-658/19.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:138

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

25 février 2021 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2016/680 – Traitement des données à caractère personnel – Prévention et détection des infractions pénales, enquêtes et poursuites en la matière – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte »

Dans l’affaire C‑658/19,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 4 septembre 2019,

Commission européenne, représentée par MM. D. Nardi et G. von Rintelen ainsi que par Mme S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenu par :

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

partie intervenante,

LA COUR (huitième chambre),

composée de MM. N. Wahl, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :

de constater que, en n’ayant pas adopté, au plus tard le 6 mai 2018, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil (JO 2016, L 119, p. 89), ou, en tout état de cause, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63, paragraphe 1, de la directive 2016/680 ;

d’infliger à cet État membre, conformément aux dispositions de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le paiement d’une astreinte de 89548,20 euros par jour de retard à compter de la date du prononcé du présent arrêt, pour manquement à l’obligation de communiquer les mesures de transposition de cette directive ;

d’infliger audit État membre, conformément aux dispositions de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le paiement d’une somme forfaitaire, sur la base d’un montant journalier de 21321,00 euros multiplié par le nombre de jours intervenus entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition fixé dans ladite directive et le jour de la régularisation de l’infraction, ou, à défaut de régularisation, le jour du prononcé du présent arrêt, sous réserve que la somme forfaitaire minimale de 5290000 euros soit dépassée, et

de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

Le cadre juridique

2

Aux termes de l’article 1er de la directive 2016/680 :

« 1.   La présente directive établit des règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces.

2.   Conformément à la présente directive, les États membres :

a)

protègent les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel ; et

b)

veillent à ce que l’échange de données à caractère personnel par les autorités compétentes au sein de l’Union, lorsque cet échange est requis par le droit de l’Union ou le droit d’un État membre, ne soit ni limité ni interdit pour des motifs liés à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel.

3.   La présente directive n’empêche pas les États membres de prévoir des garanties plus étendues que celles établies dans la présente directive pour la protection des droits et des libertés des personnes concernées à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes. »

3

L’article 63, paragraphe 1, de la directive 2016/680 prévoit :

« 1.   Les États membres adoptent et publient, au plus tard le 6 mai 2018, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. Ils appliquent ces dispositions à partir du 6 mai 2018.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2.   Par dérogation au paragraphe 1, un État membre peut prévoir que, à titre exceptionnel, lorsque cela exige des efforts disproportionnés, les systèmes de traitement automatisé installés avant le 6 mai 2016 sont mis en conformité avec l’article 25, paragraphe 1, au plus tard le 6 mai 2023.

3.   Par dérogation aux paragraphes 1 et 2 du présent article, un État membre peut, dans des circonstances exceptionnelles, mettre un système donné de traitement automatisé visé au paragraphe 2 du présent article, en conformité avec l’article 25, paragraphe 1, dans un délai déterminé après le délai visé au paragraphe 2 du présent article, lorsque, à défaut de cela, de graves difficultés se poseraient pour le fonctionnement du système de traitement automatisé en question. L’État membre concerné notifie à la Commission les raisons de ces graves difficultés et les motifs justifiant le délai déterminé de mise en conformité du système donné de traitement automatisé avec l’article 25, paragraphe 1. Le délai déterminé n’est en aucun cas fixé au-delà du 6 mai 2026.

4.   Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive. »

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

4

La Commission, n’ayant reçu du Royaume d’Espagne aucune information concernant l’adoption et la publication des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2016/680 à l’expiration du délai de transposition prévu à l’article 63 de cette directive, soit le 6 mai 2018, a adressé à cet État membre, le 20 juillet 2018, une lettre de mise en demeure.

5

La réponse du Royaume d’Espagne, datant du 26 septembre 2018, a fait apparaître que, à cette date, aucune mesure de transposition n’avait encore été adoptée. La Commission a dès lors, le 25 janvier 2019, adressé un avis motivé audit État membre, l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences de la directive 2016/680 dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

6

Dans sa réponse à l’avis motivé, datant du 27 mars 2019, le Royaume d’Espagne a indiqué que la procédure administrative pour l’adoption des mesures de transposition de la directive 2016/680 était en cours et devait s’achever à la fin du mois de juillet 2019. Il a précisé que la procédure parlementaire devait s’achever à la fin du mois de mars 2020. Cet État membre indiquait par ailleurs que le retard pris dans la transposition résultait essentiellement du contexte politique particulier et de la nécessité de transposer cette directive par une loi organique.

7

Considérant que le Royaume d’Espagne n’avait pas adopté les mesures nationales de transposition de la directive 2016/680, ni communiqué ces mesures, la Commission a introduit, le 4 septembre 2019, le présent recours.

8

Par décision du président de la Cour du 10 décembre 2019, la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien du Royaume d’Espagne.

Sur le recours

Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE

Argumentation des parties

9

Selon la Commission, en n’ayant pas adopté, au plus tard le 6 mai 2018, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2016/680 ou, en tout état de cause, en ne lui ayant pas communiqué ces dispositions, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 de cette directive.

10

La Commission fait également valoir que cet État membre a manqué à ses obligations en n’ayant pas adopté un acte positif de transposition, dès lors que, conformément à la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une directive prévoit expressément, à l’instar de l’article 63 de la directive 2016/680, que les dispositions la transposant doivent contenir une référence à celle-ci ou être accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il serait en tout état de cause nécessaire d’adopter un acte positif de transposition.

11

Par ailleurs, la Cour aurait jugé, dans son arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE - Réseaux à haut débit) (C‑543/17, EU:C:2019:573), que les États membres sont tenus de fournir à la Commission des informations claires et précises et d’indiquer sans ambiguïté les mesures législatives, réglementaires et administratives au moyen desquelles ils considèrent avoir rempli les différentes obligations que leur impose une directive.

12

En l’espèce, la Commission estime qu’aucune de ces obligations n’a été respectée par le Royaume d’Espagne.

13

Le Royaume d’Espagne ne conteste pas avoir manqué à ses obligations d’adopter et de communiquer les mesures de transposition de la directive 2016/680.

14

Toutefois, cet État membre expose qu’une série de circonstances très exceptionnelles a retardé les activités du gouvernement et du parlement national en vue de l’adoption des mesures de transposition requises, lesquelles seront communiquées à la Commission conformément à l’article 63 de la directive 2016/680 dès leur adoption. Tout en reconnaissant que les circonstances institutionnelles de l’espèce ne permettent pas, en vertu de la jurisprudence de la Cour, de justifier le manquement reproché, le Royaume d’Espagne soutient que ces circonstances sont particulièrement pertinentes pour apprécier la proportionnalité des sanctions proposées par la Commission.

Appréciation de la Cour

15

Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 23 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 19, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 30)].

16

La Cour a, par ailleurs, itérativement jugé que, si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 20, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 31].

17

En l’espèce, la Commission ayant transmis l’avis motivé au Royaume d’Espagne le 25 janvier 2019, le délai de deux mois qui lui était imparti pour se conformer à ses obligations expirait le 25 mars 2019. Il convient, par conséquent, d’apprécier l’existence ou non du manquement allégué au regard de l’état de la législation interne en vigueur à cette date [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 21, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 32].

18

À cet égard, ainsi qu’il ressort tant de la réponse du Royaume d’Espagne à la lettre de mise en demeure que du mémoire en réponse déposé par cet État membre dans la présente procédure, il est constant que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 25 mars 2019, le Royaume d’Espagne n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2016/680, ni, partant, communiqué ces mesures à la Commission.

19

S’agissant des arguments invoqués par le Royaume d’Espagne, visant à justifier le non-respect du délai de transposition en cause et tirés, principalement, du caractère intérimaire du gouvernement espagnol pendant la période pertinente, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier une inobservation des obligations résultant du droit de l’Union, telle que l’absence de transposition d’une directive dans le délai imparti (arrêt du 4 octobre 2018, Commission/Espagne, C‑599/17, non publié, EU:C:2018:813, point 23).

20

Il convient donc de conclure que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, le Royaume d’Espagne n’avait ni adopté les mesures nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2016/680 ni, partant, communiqué ces mesures à la Commission.

21

Dès lors, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2016/680 et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 de cette directive.

Sur le manquement au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

Sur l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

– Argumentation des parties

22

La Commission rappelle que la Cour a jugé, aux points 53 à 59 de son arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE - Réseaux à haut débit) (C‑543/17, EU:C:2019:573), que l’article 260, paragraphe 3, TFUE couvre tant la situation dans laquelle un État membre s’est abstenu de communiquer la moindre mesure de transposition que celle dans laquelle il a procédé à une communication partielle de ces mesures. Cette situation peut se produire soit lorsque les mesures de transposition communiquées à la Commission ne couvrent pas tout le territoire de l’État membre, soit lorsque la communication est lacunaire en ce qui concerne les mesures de transposition correspondant à une partie de la directive.

23

Cette institution souligne par ailleurs que, dans sa communication intitulée « Le droit de l’UE : une meilleure application pour de meilleurs résultats » (JO 2017, C 18, p. 10), elle a rappelé qu’elle attache une grande importance à ce que les directives soient transposées dans les délais. Constatant que les États membres continuent à ne pas respecter les délais de transposition, la Commission a annoncé qu’elle allait adapter sa pratique dans les affaires portées devant la Cour en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE et demander systématiquement à la Cour d’infliger une somme forfaitaire ainsi qu’une astreinte. La Commission a également précisé que, lorsqu’elle fixe le montant de la somme forfaitaire conformément à sa pratique, elle tient compte du degré de transposition pour déterminer la gravité du défaut de transposition.

24

En l’espèce, il s’agirait précisément de sanctionner, outre l’absence de communication à la Commission des mesures de transposition, le défaut d’adoption et de publication, par le Royaume d’Espagne, de toutes les dispositions juridiques nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2016/680 en droit national.

25

Le Royaume d’Espagne estime que, bien que les circonstances institutionnelles nationales ne permettent pas de justifier le manquement qui lui est reproché, elles devraient être prises en compte pour apprécier la proportionnalité des sanctions proposées en l’espèce par la Commission, dès lors que le délai de réponse de deux mois fixé dans la lettre de mise en demeure a expiré moins d’un mois avant la dissolution du parlement national et le début du processus électoral.

26

Le Royaume d’Espagne fait valoir que, compte tenu de la situation gouvernementale à cette date, le gouvernement ne gérant plus que les affaires courantes dans l’attente de la formation d’un nouveau gouvernement, et des caractéristiques du système parlementaire espagnol, l’introduction d’un recours en manquement assorti d’une demande de condamnation à une astreinte et à une somme forfaitaire en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE constituerait un précédent grave susceptible d’affecter les droits des États membres. À l’appui de son argumentation, il invoque les articles 4 et 5 TUE, plus particulièrement l’article 4, paragraphe 2, TUE, qui prévoit l’obligation de respecter l’identité nationale des États membres. Dans des circonstances exceptionnelles telles que celles de l’espèce, le Royaume d’Espagne estime nécessaire de concilier, d’une part, les exigences de l’article 4, paragraphe 2, TUE et du principe de proportionnalité ainsi que, d’autre part, le pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission quant à l’introduction d’un recours en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE. À défaut d’une telle conciliation, le recours à l’article 260, paragraphe 3, TFUE pourrait devenir un instrument qui altère le processus démocratique dans les États membres et qui affecte le fonctionnement constitutionnel de ces derniers.

27

La République de Pologne fait valoir que, en introduisant le présent recours, la Commission n’a pas respecté les conditions prévues à l’article 260, paragraphe 3, TFUE en ce qu’elle n’a pas démontré, d’une part, de manière concrète et individuelle que la demande d’imposition d’une sanction pécuniaire était justifiée et, d’autre part, la nécessité d’infliger au Royaume d’Espagne le paiement tant d’une astreinte journalière que d’une somme forfaitaire.

– Appréciation de la Cour

28

Il convient de rappeler que l’article 260, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE prévoit que, lorsque la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 258 TFUE, estimant que l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu’elle le considère approprié, indiquer le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer par cet État membre, qu’elle estime adapté aux circonstances. Conformément à l’article 260, paragraphe 3, second alinéa, TFUE, si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission, l’obligation de paiement prenant effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.

29

S’agissant de la portée de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour a jugé qu’il convient de retenir une interprétation de cette disposition qui, d’une part, permet à la fois de garantir les prérogatives détenues par la Commission en vue d’assurer l’application effective du droit de l’Union et de protéger les droits de la défense ainsi que la position procédurale dont bénéficient les États membres au titre de l’application combinée de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, et, d’autre part, met la Cour en position de pouvoir exercer sa fonction juridictionnelle consistant à apprécier, dans le cadre d’une seule procédure, si l’État membre concerné a rempli ses obligations en matière de communication des mesures de transposition de la directive en cause et, le cas échéant, à évaluer la gravité du manquement ainsi constaté et à imposer la sanction pécuniaire qu’elle juge la plus adaptée aux circonstances de l’espèce [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 58 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 45, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 55].

30

Dans ce contexte, la Cour a interprété les termes « obligation de communiquer des mesures de transposition », figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, en ce sens qu’ils visent l’obligation des États membres de transmettre des informations suffisamment claires et précises quant aux mesures de transposition d’une directive. Afin de satisfaire à l’obligation de sécurité juridique et d’assurer la transposition de l’intégralité des dispositions de cette directive sur l’ensemble du territoire concerné, les États membres sont tenus d’indiquer, pour chaque disposition de ladite directive, la ou les dispositions nationales assurant sa transposition. Une fois cette communication intervenue, le cas échéant accompagnée de la présentation d’un tableau de correspondance, il incombe à la Commission d’établir, en vue de solliciter l’infliction à l’État membre concerné d’une sanction pécuniaire prévue à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, que certaines mesures de transposition font manifestement défaut ou ne couvrent pas l’ensemble du territoire de l’État membre concerné, étant entendu qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure juridictionnelle engagée en application de cette disposition, d’examiner si les mesures nationales communiquées à la Commission assurent une transposition correcte des dispositions de la directive en cause [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 59 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 46, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 56].

31

Dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 20 et 21 du présent arrêt, il est établi que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, le Royaume d’Espagne n’avait communiqué à la Commission aucune mesure de transposition de la directive 2016/680 au sens de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de cette disposition.

32

S’agissant du point de savoir si, ainsi que l’a fait valoir la République de Pologne, la Commission doit motiver au cas par cas sa décision de solliciter une sanction pécuniaire au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ou si cette institution peut le faire sans motivation, dans tous les cas qui relèvent du champ d’application de cette disposition, il convient de rappeler que la Cour a jugé que la Commission dispose, en tant que gardienne des traités en vertu de l’article 17, paragraphe 1, deuxième phrase, TUE, d’un pouvoir discrétionnaire pour adopter une telle décision [arrêt du 13 janvier 2021, Commission/Slovénie (MiFID II), C‑628/18, EU:C:2021:1, point 47]. Il est également de jurisprudence constante que les conditions d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne peuvent être plus restrictives que celles présidant à la mise en œuvre de l’article 258 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18,EU:C:2020:563, point 49, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 59]. En outre, en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, seule la Cour est compétente pour infliger une sanction pécuniaire à un État membre. Lorsque la Cour adopte une telle décision au terme d’un débat contradictoire, elle doit motiver celle-ci. Partant, l’absence de motivation par la Commission de son choix de solliciter auprès de la Cour l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE n’affecte pas les garanties procédurales de l’État membre en cause [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 50, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 60].

33

Il importe d’ajouter que la circonstance que la Commission ne doit pas motiver au cas par cas sa décision de solliciter une sanction pécuniaire au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE n’exonère pas cette institution de l’obligation de motiver la nature et le montant de la sanction pécuniaire sollicitée, en tenant compte à cet égard des lignes directrices qu’elle a adoptées, telles que celles contenues dans les communications de la Commission, qui, tout en ne liant pas la Cour, contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 51, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 61].

34

Cette exigence de motivation de la nature et du montant de la sanction pécuniaire sollicitée est d’autant plus importante que, à la différence de ce qui est prévu au paragraphe 2 de l’article 260 TFUE, le paragraphe 3 de cet article prévoit que, dans le cadre d’une procédure engagée en application de cette disposition, la Cour ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation encadré, dès lors que, en cas de constat d’un manquement par cette dernière, les propositions de la Commission lient la Cour quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et quant au montant maximal de la sanction qu’elle peut prononcer [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 52, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 62].

35

En effet, il ressort de l’article 260, paragraphe 3, TFUE qu’il incombe à la Commission d’indiquer « le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer » par l’État membre en question, mais que la Cour ne peut infliger le paiement d’une sanction pécuniaire que « dans la limite du montant indiqué » par la Commission. Les auteurs du traité FUE ont ainsi établi une corrélation directe entre la sanction requise par la Commission et celle pouvant être prononcée par la Cour en application de cette disposition [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 53, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 63].

36

S’agissant de l’argumentation du Royaume d’Espagne tirée de ce que, en l’espèce, la procédure précontentieuse a été initiée par une lettre de mise en demeure dont le délai de réponse expirait moins d’un mois avant la dissolution du parlement national et le début du processus électoral, il convient de relever, d’une part, que la lettre de mise en demeure a été envoyée après l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive 2016/680 et qu’il appartient aux États membres de mettre en œuvre la procédure d’adoption des mesures nécessaires pour assurer la transposition d’une directive sans attendre l’émission d’une lettre de mise en demeure par la Commission. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’émission d’une lettre de mise en demeure, en application de l’article 258, premier alinéa, TFUE, suppose, au préalable, qu’un manquement à une obligation incombant à l’État membre concerné puisse être valablement allégué par la Commission [arrêt du 5 décembre 2019, Commission/Espagne (Plans de gestion des déchets), C‑642/18, EU:C:2019:1051, point 17 et jurisprudence citée].

37

D’autre part, et en tout état de cause, les considérations qui ont amené la Commission à engager un recours en manquement contre le Royaume d’Espagne, à la date qu’elle a choisie, ne sauraient porter atteinte à l’applicabilité de l’article 260, paragraphe 3, TFUE ou à la recevabilité de l’action engagée au titre de cette disposition [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 55, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 65].

38

Il y a lieu, dès lors, de constater que l’article 260, paragraphe 3, TFUE s’applique dans une situation telle que celle en cause en l’espèce.

Sur l’imposition de sanctions pécuniaires en l’espèce

– Argumentation des parties

39

S’agissant du montant des sanctions pécuniaires à infliger, la Commission considère, conformément à la position reflétée au point 23 de la communication publiée le 15 janvier 2011, intitulée « Mise en œuvre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE » (JO 2011, C 12, p.1), que, dans la mesure où un manquement à l’obligation de communiquer des mesures de transposition d’une directive n’est pas moins grave qu’un manquement pouvant faire l’objet des sanctions mentionnées à l’article 260, paragraphe 2, TFUE, les modalités de calcul des sanctions financières visées à l’article 260, paragraphe 3, TFUE doivent être les mêmes que celles appliquées dans le cadre de la procédure définie au paragraphe 2 de cet article.

40

En l’espèce, compte tenu, premièrement, de l’importance des dispositions de droit de l’Union qui ont été méconnues, la protection des données à caractère personnel étant un droit fondamental ainsi que cela ressort de l’article 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 16 TFUE, deuxièmement, de l’existence d’actes de droit de l’Union spécifiques relatifs à la protection des données à caractère personnel, à savoir le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1), la directive 2016/680, mais également la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (JO 2008, L 350, p. 60), par l’intermédiaire de la réglementation nationale l’ayant mise en œuvre, et, troisièmement, de l’absence d’adoption par le Royaume d’Espagne de toute mesure de transposition de la directive 2016/680, la Commission propose de retenir un coefficient de gravité de 10 sur une échelle de 1 à 20. S’agissant de la durée de l’infraction, elle estime qu’un coefficient de 1,4 sur une échelle de 1 à 3, est approprié. En appliquant, à ces coefficients, le multiplicateur « n » retenu pour le Royaume d’Espagne, à savoir 2,06, et le montant forfaitaire de 3105 euros, la Commission demande l’imposition d’une astreinte journalière d’un montant de 89548,20 euros (3 105x10x1,4x2,06) par jour de retard dans la transposition de la directive 2016/680.

41

Cette institution demande, par ailleurs, l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant est calculé selon les lignes directrices contenues dans sa communication du 13 décembre 2005 intitulée « Mise en œuvre de l’article 228 du traité CE » [SEC(2005) 1658], telle qu’actualisée par la communication du 13 décembre 2017 intitulée « Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice dans le cadre de procédures d’infraction » [C(2017) 8720], et sa communication du 25 février 2019 intitulée « Modification de la méthode de calcul des sommes forfaitaires et des astreintes journalières proposées par la Commission dans le cadre des procédures d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne » (JO 2019, C 70, p. 1, ci-après la « communication de 2019 »). Ainsi que cela ressort de l’annexe II de cette dernière communication, la somme forfaitaire minimale pour le Royaume d’Espagne s’élève à 5290000 euros. Sous réserve que cette somme soit dépassée en l’espèce, la Commission propose de déterminer le montant journalier servant au calcul, en multipliant le forfait de base uniforme par le coefficient de gravité et par le facteur « n ». En l’espèce, le montant journalier s’élèverait donc à 1035 x 10 x 2,06 = 21321 euros par jour.

42

Dans ces conditions, la Commission propose à la Cour d’infliger au Royaume d’Espagne le paiement d’une somme forfaitaire sur la base d’un montant journalier de 21321 euros, multiplié par le nombre de jours qui se sont écoulés entre le 7 mai 2018, à savoir le jour suivant celui de l’expiration du délai de transposition prévu dans la directive 2016/680, et le jour de la régularisation de l’infraction ou, à défaut de régularisation, le jour du prononcé de l’arrêt rendu en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

43

Le Royaume d’Espagne estime que le fait, pour la Commission, de demander l’imposition de sanctions financières est disproportionné compte tenu des circonstances institutionnelles de l’espèce.

44

À l’instar de ce que la Cour aurait jugé, notamment, dans ses arrêts du 30 mai 2013, Commission/Suède (C‑270/11, EU:C:2013:339), et du 19 décembre 2012, Commission/Irlande (C‑279/11, non publié, EU:C:2012:834), il conviendrait de considérer que les circonstances particulières caractérisant la présente affaire constituent des circonstances atténuantes et de réduire, par conséquent, les sanctions proposées par la Commission. D’ailleurs, les propositions de la Commission concernant les sanctions pécuniaires ne sauraient lier la Cour et ne constitueraient qu’une base de référence utile. De même, des lignes directrices telles que celles contenues dans les différentes communications de la Commission ne lieraient pas la Cour, mais contribueraient uniquement à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission elle-même, lorsque cette institution fait des propositions à la Cour.

45

En effet, selon le Royaume d’Espagne, dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour devrait demeurer libre de fixer l’astreinte infligée au montant et sous la forme qu’elle considère adéquats pour inciter l’État membre concerné à mettre fin au manquement. Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière, il incomberait à la Cour de fixer l’astreinte de telle sorte que celle-ci soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné.

46

En l’espèce, d’une part, en vue de respecter l’article 4, paragraphe 2, TUE, il serait disproportionné de contraindre le Royaume d’Espagne à payer une astreinte journalière, alors que le gouvernement ne disposait pas d’une majorité au sein de la chambre des députés et qu’il ne gérait plus que les affaires courantes. Si une telle astreinte devait néanmoins être imposée, il conviendrait, pour en garantir le caractère proportionné et raisonnable, de calculer son montant sur la période comprise entre la date de formation d’un gouvernement jouissant de tous ses pouvoirs et la date d’exécution complète de l’arrêt.

47

D’autre part, il conviendrait de tenir compte du fait que, dès lors que le délai pour répondre à la lettre de mise en demeure expirait un mois avant la dissolution du parlement, il était impossible de mettre un terme au manquement reproché en recourant à la procédure législative ordinaire pour adopter les dispositions requises. En imposant, dans de telles circonstances, une somme forfaitaire au Royaume d’Espagne, conformément à la demande de la Commission, la Cour créerait un « dangereux précédent ». Il conviendrait d’éviter que, à la suite de la présente affaire, la Commission puisse utiliser la procédure de l’article 260, paragraphe 3, TFUE d’une manière qui permette d’influer de manière disproportionnée sur le fonctionnement constitutionnel des États membres. La condamnation au paiement d’une somme forfaitaire ne serait dès lors pas raisonnable, le paiement d’une astreinte journalière étant en l’espèce suffisant.

48

Dans l’hypothèse où la Cour devrait néanmoins considérer que l’imposition d’une somme forfaitaire est appropriée, le Royaume d’Espagne fait valoir que le montant proposé par la Commission est disproportionné. Parmi les facteurs dont la Cour est appelée à tenir compte lors de la fixation de la somme forfaitaire figureraient des éléments tels que la gravité de l’infraction constatée et la période durant laquelle celle-ci a persisté. En ce qui concerne la période de l’infraction, cet État membre estime que, afin de respecter les exigences posées à l’article 4, paragraphe 2, TUE, il conviendrait d’exclure les périodes au cours desquelles le gouvernement procédait uniquement à la gestion des affaires courantes. En l’espèce, il soutient que la période qui s’est écoulée à partir du 4 mars 2019 ne doit pas être prise en compte aux fins de déterminer la durée de l’infraction.

49

Par ailleurs, la configuration des critères de quantification des sanctions pécuniaires à infliger par la Cour soulèverait la question importante de la méthode de détermination du coefficient « n » selon les modalités définies par la Commission dans sa communication de 2019. En l’espèce, cette question ne serait pas anodine dès lors que, en application de la méthode retenue par la Commission, le montant de la somme forfaitaire minimale qui en résulte pour le Royaume d’Espagne place cet État membre au quatrième rang des États membres dont la contribution à ce titre est la plus élevée. En revanche, si la Cour décidait de retenir le produit intérieur brut (PIB) en tant que « facteur prédominant » dans le calcul du coefficient « n », le Royaume d’Espagne se situerait alors, compte tenu du PIB par habitant, au quatorzième rang. Ainsi, selon ledit État membre, la méthode de calcul de ce coefficient fera peut-être naître des différences injustifiées entre les États membres, alors que la Commission, d’après sa communication de 2019, cherchait précisément à les éviter.

50

La République de Pologne fait valoir, notamment, que la jurisprudence relative à l’article 260, paragraphe 2, TFUE ne saurait être automatiquement appliquée au paragraphe 3 du même article, dès lors que ce paragraphe 3 a pour objet de sanctionner une infraction moins grave que celle visée à ce paragraphe 2, consistant à ne pas avoir respecté un premier arrêt de la Cour en constatation de manquement. En tout état de cause, le coefficient de gravité de 10 retenu par la Commission serait disproportionné au regard de la gravité du manquement allégué, en ce qu’il ne tiendrait pas compte du risque réel des conséquences du manquement allégué sur les intérêts publics et privés. D’ailleurs, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que la directive 2016/680 elle-même prévoit que les systèmes de traitement automatisé installés avant le 6 mai 2016 peuvent, sous certaines conditions, être mis en conformité avec les exigences de la directive au plus tard le 6 mai 2023 ou dans un délai plus long. Partant, le montant de la somme forfaitaire proposée par la Commission devrait être réduit.

– Appréciation de la Cour

51

À titre liminaire, il convient de rappeler que, d’une part, le manquement d’un État membre à son obligation de communication des mesures de transposition d’une directive, que ce soit par une absence totale ou partielle d’information ou par une information insuffisamment claire et précise, peut justifier, à lui seul, l’ouverture de la procédure prévue à l’article 258 TFUE visant à la constatation de ce manquement [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 51 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 64, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 74].

52

D’autre part, l’objectif poursuivi par l’introduction du mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure pour l’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication d’une mesure nationale de transposition d’une directive adoptée conformément à la procédure législative, étant précisé que, antérieurement à l’introduction d’un tel mécanisme, l’imposition d’une sanction financière aux États membres ne s’étant pas conformés dans les délais à un arrêt antérieur de la Cour et n’ayant pas respecté leur obligation de transposition pouvait n’intervenir que plusieurs années après ce dernier arrêt [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17,EU:C:2019:573, point 52 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 64, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 74].

53

Or, il convient de constater que, afin d’atteindre l’objectif poursuivi par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, deux types de sanctions pécuniaires, à savoir la somme forfaitaire et l’astreinte, sont prévus.

54

À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’application de l’une ou de l’autre de ces deux mesures dépend de l’aptitude de chacune à remplir l’objectif poursuivi en fonction des circonstances de l’espèce. Si le prononcé d’une astreinte semble particulièrement adapté pour inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister, la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 66, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 76].

55

S’agissant, en premier lieu, de l’opportunité d’imposer une astreinte en l’espèce, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, l’infliction d’une telle astreinte ne se justifie en principe que pour autant que perdure le manquement que cette astreinte vise à sanctionner jusqu’à l’examen des faits par la Cour [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 60].

56

La Cour a jugé que cette jurisprudence, relative à l’article 260, paragraphe 2, TFUE, doit être appliquée par analogie à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, dès lors que les astreintes au titre de ces deux dispositions poursuivent le même objectif, à savoir inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 61].

57

Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que l’examen des faits par la Cour doit être considéré comme intervenant à la date de clôture de la procédure [voir, notamment, arrêt du 13 janvier 2021, Commission/Slovénie (MiFID II), C‑628/18, EU:C:2021:1, point 81 et jurisprudence citée].

58

Il s’ensuit que, afin de déterminer si, en l’espèce, le prononcé d’une astreinte peut être envisagé, il convient, d’abord, d’examiner si le manquement reproché au Royaume d’Espagne au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, tel que constaté au point 21 du présent arrêt, a perduré jusqu’à la date de clôture de la procédure, intervenue le 6 mai 2020.

59

À cet égard, il ressort des observations écrites et des pièces soumises à la Cour que, à la date de clôture de la procédure écrite, le Royaume d’Espagne n’avait ni adopté ni, partant, communiqué les mesures nécessaires pour assurer la transposition des dispositions de la directive 2016/680 en droit espagnol.

60

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Royaume d’Espagne, en n’ayant pas, à cette date, adopté les mesures nécessaires pour transposer en droit interne les dispositions de la directive 2016/680 ni, a fortiori, communiqué à la Commission ces mesures de transposition, a persisté dans son manquement.

61

Partant, la Cour considère que la condamnation du Royaume d’Espagne au paiement d’une astreinte, sollicitée par la Commission, constitue un moyen financier approprié aux fins d’assurer que cet État membre mette fin, dans les plus brefs délais, au manquement constaté et respecte les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2016/680. En revanche, dès lors qu’il ne saurait être exclu que, au jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, la transposition de ladite directive soit totalement achevée, cette astreinte ne doit être infligée que dans la mesure où le manquement persisterait à la date du prononcé de cet arrêt.

62

Il convient de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière, il incombe à la Cour de fixer l’astreinte de telle sorte que celle-ci, d’une part, soit adaptée aux circonstances et proportionnée au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné et, d’autre part, ne dépasse pas, conformément à l’article 260, paragraphe 3, second alinéa, TFUE, le montant indiqué par la Commission [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE - Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 83].

63

Dans le cadre de l’appréciation de la Cour aux fins de la fixation du montant de l’astreinte, les critères devant être pris en considération afin d’assurer la nature coercitive de celle-ci, en vue de l’application uniforme et effective du droit de l’Union, sont, en principe, la durée de l’infraction, son degré de gravité et la capacité de paiement de l’État membre en cause. Pour l’application de ces critères, la Cour est appelée à tenir compte, en particulier, des conséquences du manquement sur les intérêts publics et privés en cause ainsi que de l’urgence qui existe pour que l’État membre concerné se conforme à ses obligations [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 84].

64

S’agissant de la gravité de l’infraction, il y a lieu de rappeler que l’obligation d’adopter les mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de communiquer ces mesures à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 85 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 73, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 82].

65

En l’espèce, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort du point 21 du présent arrêt, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, à savoir le 25 mars 2019, le Royaume d’Espagne avait manqué aux obligations de transposition qui lui incombaient, de telle sorte que l’effectivité du droit de l’Union n’a pas été assurée en tout temps. La gravité de ce manquement est accrue par la circonstance que, à cette dernière date, le Royaume d’Espagne n’avait encore communiqué aucune mesure de transposition de la directive 2016/680.

66

En ce qui concerne la durée de l’infraction, celle-ci doit être évaluée en tenant compte de la date à laquelle la Cour apprécie les faits et non pas de celle à laquelle cette dernière est saisie par la Commission [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 87].

67

En l’occurrence, ainsi qu’il découle du point 57 du présent arrêt, le manquement reproché n’avait pas encore pris fin à la date de clôture de la procédure écrite devant la Cour. Il y a donc lieu de considérer que ce manquement perdure depuis l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 25 mars 2019. Or, une durée d’infraction de plus d’un an et demi est conséquente au regard du fait que, en vertu de l’article 63 de la directive 2016/680, les États membres avaient l’obligation de transposer les dispositions de ladite directive au plus tard le 6 mai 2018.

68

Au vu de ce qui précède et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne l’astreinte qu’elle inflige, dépasser le montant indiqué par la Commission, il convient, dans le cas où le manquement constaté au point 21 du présent arrêt persisterait à la date du prononcé du présent arrêt, de condamner le Royaume d’Espagne à payer à la Commission, à compter de cette date et jusqu’à ce que cet État membre ait mis un terme au manquement constaté, une astreinte journalière d’un montant de 89000 euros.

69

S’agissant, en second lieu, de l’opportunité d’imposer une somme forfaitaire en l’espèce, il convient de rappeler qu’il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 78 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 68, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 78].

70

Dans la présente affaire, il convient de considérer que, nonobstant le fait que le Royaume d’Espagne a coopéré avec les services de la Commission tout au long de la procédure précontentieuse et qu’il a tenu ces derniers informés des raisons qui l’ont empêché d’assurer la transposition en droit national de la directive 2016/680, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté, à savoir l’absence totale de communication des mesures nécessaires à la transposition de la directive 2016/680 à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé et même à la date de l’introduction du présent recours, constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 69, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 79].

71

Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’argumentation évoquée au point 36 du présent arrêt. En effet, d’une part, ainsi qu’il a été rappelé à ce point, il appartient à la Commission, notamment, d’apprécier l’opportunité d’agir contre un État membre et de choisir le moment auquel elle initie la procédure en manquement contre celui-ci. D’autre part, il n’est pas allégué que les délais de réponse qui ont été fixés en l’espèce dans la lettre de mise en demeure et dans l’avis motivé auraient été particulièrement courts ou déraisonnables et auraient été de nature à remettre en cause les objectifs de la procédure précontentieuse, à savoir donner à l’État membre concerné l’occasion de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et de faire utilement valoir ses moyens de défense contre les griefs formulés par la Commission [arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation), C‑552/15, EU:C:2017:698, point 28 et jurisprudence citée]. D’ailleurs, ainsi qu’il ressort des faits énoncés aux points 5 et 6 du présent arrêt, le Royaume d’Espagne a eu pleinement connaissance du fait qu’il avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 63 de la directive 2016/680, du moins à compter du 7 mai 2018.

72

Ladite appréciation n’est pas davantage remise en cause par l’argument tiré de la situation institutionnelle du Royaume d’Espagne entre le 27 avril 2016, date d’adoption de la directive 2016/680, et le 6 mai 2018, date d’expiration du délai de transposition fixée dans ladite directive, caractérisée par des dissolutions récurrentes du parlement national, le caractère intérimaire du gouvernement et la tenue de nouvelles élections. En effet, la Cour a jugé, dans une situation semblable à celle en cause, que de telles circonstances ne sauraient être invoquées pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2017, Commission/Espagne, C‑388/16, non publié, EU:C:2017:548, point 41).

73

En ce qui concerne le calcul de la somme forfaitaire qu’il est approprié d’imposer en l’espèce, il convient de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 72, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 81].

74

Concernant, premièrement, la gravité de l’infraction, il convient de rappeler que l’obligation d’adopter les mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de communiquer ces mesures à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêts du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 85 ; du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 73, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 82].

75

À cela s’ajoute que la directive 2016/680 vise à contribuer à la réalisation d’un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union, tout en mettant en place un cadre pour la protection des données à caractère personnel solide et cohérent afin d’assurer le respect du droit fondamental de la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, reconnu à l’article 8, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 16, paragraphe 1, TFUE. L’absence ou l’insuffisance, au niveau national, de règles garantissant le bon fonctionnement de l’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union doivent être considérées comme particulièrement graves compte tenu de leurs conséquences pour les intérêts publics et privés au sein de l’Union.

76

La gravité du manquement constaté est par ailleurs accrue par la circonstance que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, soit le 25 mars 2019, mais également à la date de clôture de la procédure écrite devant la Cour, le Royaume d’Espagne n’avait encore adopté aucune mesure de transposition de la directive 2016/680.

77

L’argumentation avancée par le Royaume d’Espagne aux fins de justifier le retard pris dans la transposition de la directive 2016/680, à savoir le fait que le gouvernement n’a pu gérer, pendant une longue période, que les affaires courantes n’est pas de nature à influer sur la gravité de l’infraction en cause dès lors que, selon une jurisprudence constante, des pratiques ou des situations de l’ordre interne d’un État membre ne sauraient justifier le non-respect des obligations et des délais résultant des directives de l’Union ni, partant, la transposition tardive ou incomplète de celles-ci (arrêt du 13 juillet 2017, Commission/Espagne, C‑388/16, non publié, EU:C:2017:548, point 41).

78

À cet égard, il convient d’ajouter que, contrairement à ce qu’a fait valoir le Royaume d’Espagne, des circonstances institutionnelles particulières telles que celles caractérisant le présent manquement ne sauraient être considérées comme des circonstances atténuantes au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Commission/Suède, C‑270/11, EU:C:2013:339, points 54 et 55).

79

Concernant, deuxièmement, la durée de l’infraction, il importe de rappeler que celle-ci doit, en principe, être évaluée en tenant compte de la date à laquelle la Cour apprécie les faits et non pas de celle à laquelle cette dernière est saisie par la Commission. Cette appréciation des faits doit être considérée comme intervenant à la date de clôture de la procédure [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 77, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 86].

80

En l’espèce, il est constant que le manquement en cause n’avait pas encore pris fin à la date de clôture de la procédure écrite, intervenue le 6 mai 2020.

81

S’agissant du début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire à infliger en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour a jugé que, à la différence de l’astreinte journalière, la date à retenir en vue de l’évaluation de la durée du manquement en cause est non pas celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, mais la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 79, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 90].

82

En l’espèce, il n’est pas contesté que, à l’expiration du délai de transposition prévu à l’article 63 de la directive 2016/680, à savoir le 6 mai 2018, le Royaume d’Espagne n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition de cette directive et, partant, n’avait pas non plus communiqué les mesures de transposition de celle-ci à la Commission. Il s’ensuit que le manquement en cause a duré deux ans.

83

Concernant, troisièmement, la capacité de paiement de l’État membre en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de prendre en compte l’évolution récente du PIB de cet État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour [arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 85, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 97].

84

Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne la somme forfaitaire dont elle inflige le paiement, dépasser le montant indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues à celle résultant de la violation de l’article 63 de la directive 2016/680 et affectant la pleine effectivité du droit de l’Union est de nature à requérir l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à 15000000 d’euros.

85

Il convient, par conséquent, de condamner le Royaume d’Espagne à payer à la Commission une somme forfaitaire d’un montant de 15000000 d’euros.

Sur les dépens

86

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

87

Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, la République de Pologne supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

 

1)

En n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil, et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission européenne, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 de cette directive.

 

2)

En n’ayant pas, au jour de l’examen des faits par la Cour, adopté les mesures nécessaires pour transposer dans son droit interne les dispositions de la directive 2016/680 ni, partant, communiqué à la Commission européenne ces mesures, le Royaume d’Espagne a persisté dans son manquement.

 

3)

Dans le cas où le manquement constaté au point 1 persisterait à la date de prononcé du présent arrêt, le Royaume d’Espagne est condamné à payer à la Commission européenne, à compter de cette date et jusqu’à ce que cet État membre ait mis un terme au manquement constaté, une astreinte journalière de 89000 euros.

 

4)

Le Royaume d’Espagne est condamné à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire d’un montant de 15000000 d’euros.

 

5)

Le Royaume d’Espagne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

 

6)

La République de Pologne supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.

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