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Document 62019CJ0206

    Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 11 juin 2020.
    « KOB » SIA contre Madonas novada pašvaldības Administratīvo aktu strīdu komisija.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams.
    Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 63 TFUE – Liberté d’établissement et libre circulation des capitaux – Directive 2006/123/CE – Acquisitions de terrains agricoles en Lettonie aux fins de leur exploitation – Régime d’autorisation préalable pour les personnes morales – Conditions spécifiques s’appliquant uniquement aux personnes morales contrôlées ou représentées par des ressortissants d’un autre État membre – Exigences de résidence et de connaissance de la langue officielle de la République de Lettonie – Discrimination directe en raison de la nationalité.
    Affaire C-206/19.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:463

     ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

    11 juin 2020 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 63 TFUE – Liberté d’établissement et libre circulation des capitaux – Directive 2006/123/CE – Acquisitions de terrains agricoles en Lettonie aux fins de leur exploitation – Régime d’autorisation préalable pour les personnes morales – Conditions spécifiques s’appliquant uniquement aux personnes morales contrôlées ou représentées par des ressortissants d’un autre État membre – Exigences de résidence et de connaissance de la langue officielle de la République de Lettonie – Discrimination directe en raison de la nationalité »

    Dans l’affaire C‑206/19,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams (tribunal administratif de district, section de Riga, Lettonie), par décision du 28 février 2019, parvenue à la Cour le 5 mars 2019, dans la procédure

    « KOB » SIA

    contre

    Madonas novada pašvaldības Administratīvo aktu strīdu komisija,

    LA COUR (sixième chambre),

    composée de M. M. Safjan, président de chambre, M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de la première chambre, Mme C. Toader, juge,

    avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées :

    pour « KOB » SIA, par M. A. Blūmiņš, advokāts,

    pour le gouvernement letton, représenté initialement par Mmes V. Kalniņa et I. Kucina, puis par Mme V. Kalniņa, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement suédois, représenté initialement par Mmes A. Falk, J. Lundberg, C. Meyer-Seitz, H. Shev et H. Eklinder, puis par Mmes C. Meyer-Seitz, H. Shev et H. Eklinder, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par Mmes L. Armati et I. Rubene ainsi que par M. L. Malferrari, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18, 49, 63 et 345 TFUE.

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « KOB » SIA, société commerciale établie en Lettonie, à la Madonas novada pašvaldības Administratīvo aktu strīdu komisija (commission de recours administratif de la commune de Madona, Lettonie) au sujet de la décision par laquelle celle-ci a rejeté la demande de KOB visant à acquérir un terrain agricole.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), prévoit :

    « La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services. »

    4

    L’article 2, paragraphe 1, de cette directive est libellé ainsi :

    « La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre. »

    5

    L’article 4 de ladite directive dispose :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    [...]

    5)

    “établissement”, l’exercice effectif d’une activité économique visée à l’article 43 du traité par le prestataire pour une durée indéterminée et au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée ;

    6)

    “régime d’autorisation”, toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ;

    [...] »

    6

    L’article 9 de la même directive, intitulé « Régimes d’autorisation », prévoit, à son paragraphe 1 :

    « Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

    a)

    le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

    [...] »

    7

    L’article 10 de la directive 2006/123 est libellé comme suit :

    « 1.   Les régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.

    2.   Les critères visés au paragraphe 1 sont :

    a)

    non discriminatoires ;

    [...] »

    8

    L’article 14 de cette directive, intitulé « Exigences interdites », dispose :

    « Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes :

    1)

    les exigences discriminatoires fondées directement ou indirectement sur la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, l’emplacement du siège statutaire, en particulier :

    [...]

    b)

    l’exigence d’être résident sur leur territoire pour le prestataire, son personnel, les personnes détenant du capital social ou les membres des organes de gestion ou de surveillance du prestataire ;

    [...] »

    Le droit letton

    9

    L’article 281, premier alinéa, point 2, du likums « Par zemes privatizāciju lauku apvidos » (loi relative à la privatisation des terres dans les zones rurales, Latvijas Republikas Augstākās Padomes un Valdības Ziņotājs, 1992, nos 32 à 34) prévoit que les personnes morales « peuvent acquérir un terrain agricole et un terrain dont la catégorie d’usage dominante est l’agriculture [...] ainsi qu’une quote-part de la copropriété d’un tel terrain [...] [si elles remplissent] toutes les conditions suivantes :

    [...]

    b)

    elles certifient par écrit, dans le cas où le terrain a fait l’objet d’une demande de paiements directs l’année précédente ou l’année en cours, qu’elles commenceront à utiliser le terrain à des fins agricoles dans l’année suivant l’acquisition et s’assureront que cet usage sera continu, ou, dans le cas où le terrain n’a pas fait l’objet d’une demande de paiements directs l’année précédente ou l’année en cours, qu’elles commenceront à utiliser le terrain à des fins agricoles dans les trois ans suivant l’acquisition et s’assureront que cet usage sera continu,

    [...]

    f)

    l’associé ou les associés qui représentent ensemble plus de la moitié des droits de vote dans la société, et toutes les personnes ayant le pouvoir de représenter cette dernière, s’ils sont des ressortissants d’autres États membres de l’Union, d’États de l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ont obtenu une attestation d’enregistrement de citoyen de l’Union et un document établissant une connaissance de la langue officielle correspondant au moins au niveau B2. »

    10

    Selon l’article 25 des Ministru kabineta noteikumi Nr. 675 « Kārtība, kādā Savienības pilsoņi un viņu ģimenes locekļi ieceļo un uzturas Latvijas Republikā » (décret no 675 du conseil des ministres relatif à la procédure d’entrée et de séjour en Lettonie des citoyens de l’Union et des membres de leur famille), du 30 août 2011 (Latvijas Vēstnesis, 2011, no 141), lorsqu’un citoyen de l’Union européenne souhaite résider en Lettonie plus de trois mois, il doit s’inscrire auprès de l’Office des migrations et de la citoyenneté (Lettonie) et obtenir une attestation d’enregistrement.

    11

    Les modalités de vérification de la connaissance de la langue officielle de la République de Lettonie sont prévues par les Ministru kabineta noteikumi Nr. 733 « Noteikumi par valsts valodas zināšanu apjomu un valsts valodas prasmes pārbaudes kārtību profesionālo un amata pienākumu veikšanai, pastāvīgās uzturēšanās atļaujas saņemšanai un Eiropas Savienības pastāvīgā iedzīvotāja statusa iegūšanai un valsts nodevu par valsts valodas prasmes pārbaudi » (décret no 733 du conseil des ministres relatif au niveau de connaissance de la langue officielle et aux procédures de vérification de cette connaissance aux fins de l’accomplissement des tâches d’une profession ou d’une fonction, de l’octroi d’un titre de séjour permanent et de l’octroi du statut de résident de l’Union européenne à long terme ainsi que relatif aux frais officiels d’examen de la maîtrise de la langue officielle), du 7 juillet 2009 (Latvijas Vēstnesis, 2009, no 110). Conformément à ce décret, pour qu’une personne puisse prétendre au niveau de connaissance B2 de cette langue, il faut qu’elle soit en mesure de tenir une conversation sur des thèmes du quotidien et de la vie professionnelle.

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    12

    KOB est une société établie en Lettonie dont l’activité commerciale est l’agriculture. Son conseil d’administration est composé d’une seule personne, à savoir VP, un ressortissant allemand qui a également le pouvoir de représenter cette société à lui seul. Trois autres sociétés enregistrées en Lettonie et appartenant à des ressortissants allemands détiennent des parts sociales dans KOB. Les bénéficiaires effectifs de KOB sont VP et ZT. Ce dernier est également un ressortissant allemand.

    13

    Le 10 janvier 2018, KOB a conclu un contrat d’achat d’un terrain agricole de 8,10 hectares et a demandé aux autorités nationales compétentes d’autoriser cette acquisition. Par décision du 6 avril 2018, la commission de recours administratif de la commune de Madona a refusé de valider l’acquisition.

    14

    À l’appui de son recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi, l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams (tribunal administratif de district, section de Riga, Lettonie), KOB soutient que la réglementation lettonne régissant les conditions d’approbation de l’acquisition des terres agricoles est contraire à l’interdiction de discrimination en fonction de la nationalité et aux libertés fondamentales, consacrées aux articles 18, 49 et 63 TFUE, ainsi qu’à l’article 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    15

    La juridiction de renvoi relève à cet égard que, selon le droit letton, une personne morale peut acquérir des terrains agricoles sis en Lettonie. Toutefois, lorsqu’une personne morale est représentée ou contrôlée par un ressortissant d’un autre État membre, deux conditions doivent être remplies. D’une part, le ressortissant étranger doit s’enregistrer en tant que citoyen de l’Union en Lettonie, ce qui implique qu’il souhaite y séjourner plus de trois mois, d’autre part, il est tenu de prouver qu’il satisfait au niveau de connaissance de la langue lettone dit « B2 », correspondant à une maîtrise suffisante pour mener une conversation dans un contexte professionnel. Les mêmes conditions s’appliquent aux ressortissants d’États de l’Espace économique européen (EEE) et de la Confédération Suisse.

    16

    La juridiction de renvoi considère que cette réglementation soulève des questions quant à sa compatibilité avec le droit de l’Union. En particulier, en se référant au point 80 de l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Belgique (C‑47/08, EU:C:2011:334), elle rappelle que l’article 49 TFUE assure le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d’un État membre qui s’établit dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité. En outre, dans son arrêt du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg (C‑452/01, EU:C:2003:493, point 24), la Cour aurait jugé que, si l’article 345 TFUE ne met pas en cause la faculté des États membres de prévoir des mesures spécifiques régissant l’acquisition des terrains agricoles, de telles mesures n’échappent pas aux règles du droit de l’Union, notamment celles relatives à la non-discrimination, à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux.

    17

    Par ailleurs, il résulterait de la communication interprétative de la Commission sur l’acquisition de terres agricoles (JO 2017, C 350, p. 5) que le droit d’acquérir, d’exploiter et d’aliéner des terres agricoles relève de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux. Au vu de la nature spécifique des terres agricoles, la Commission européenne aurait toutefois reconnu aux autorités nationales la possibilité de justifier certaines restrictions au nom d’objectifs tels que la préservation de l’exploitation traditionnelle, le maintien d’une population rurale, la lutte contre la pression foncière ou encore l’entretien de l’espace et des paysages.

    18

    Dans ces conditions, l’administratīvā rajona tiesa, Rīgas tiesu nams (tribunal administratif de district, section de Riga) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

    « Le droit de l’Union, notamment les articles 18, 49 et 63 TFUE, s’oppose-t-il à la réglementation d’un État membre qui impose aux personnes morales, pour qu’elles puissent acquérir la propriété d’un terrain agricole, dans le cas où l’associé ou les associés représentant ensemble plus de la moitié des droits de vote dans la société et toutes les personnes ayant le pouvoir de représenter cette dernière sont des ressortissants d’autres États membres de l’Union, l’obligation de présenter les attestations d’enregistrement de ses associés et représentants en tant que citoyens de l’Union et un document établissant que ces derniers ont une connaissance de la langue officielle correspondant au moins au niveau B2 ? »

    Sur la question préjudicielle

    19

    Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les articles 18, 49 et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation d’un État membre qui subordonne le droit pour une personne morale, dont l’associé ou les associés représentant ensemble plus de la moitié des droits de vote au sein de celle-ci et les personnes ayant le pouvoir de la représenter sont des ressortissants d’autres États membres, d’acquérir la propriété d’un terrain agricole situé sur le territoire de cet État membre à la production, par ces associés et représentants, d’une part, d’un certificat d’enregistrement en tant que résidents dudit État membre et, d’autre part, d’un document établissant que leur niveau de maîtrise de la langue officielle de ce même État membre leur permet au moins de tenir une conversation sur des thèmes du quotidien et de la vie professionnelle.

    20

    À titre liminaire, il convient de rappeler que, si l’article 345 TFUE, auquel s’est référé la juridiction de renvoi, pose le principe de la neutralité des traités à l’égard du régime de propriété dans les États membres, il n’a pas toutefois pour effet de soustraire les régimes de propriété existant dans les États membres aux règles fondamentales du traité FUE. Ainsi, si cette disposition ne met pas en cause la faculté des États membres d’instituer un régime d’acquisition de la propriété foncière prévoyant des mesures spécifiques s’appliquant aux transactions portant sur des terrains agricoles et forestiers, un tel régime n’échappe pas, notamment, au principe de non-discrimination ni aux règles relatives à la liberté d’établissement et à la liberté des mouvements de capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 51 et jurisprudence citée).

    21

    Par ailleurs, la question préjudicielle se réfère aux dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux.

    22

    En ce qui concerne les libertés de circulation, la Cour a jugé que, lorsqu’une mesure nationale se rattache simultanément à plusieurs libertés fondamentales, la Cour l’examine, en principe, au regard de l’une seulement de ces libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, les autres sont tout à fait secondaires par rapport à la première et peuvent lui être rattachées (arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 25).

    23

    Il résulte d’une jurisprudence bien établie que, dans ce cadre, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2014, Bouanich, C‑375/12, EU:C:2014:138, point 27, et du 3 mars 2020, Tesco-Global Áruházak, C‑323/18, EU:C:2020:140, points 50 et 51).

    24

    En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que KOB cherche à acquérir des terrains agricoles en Lettonie afin de les exploiter. Il en ressort également que la réglementation nationale en cause au principal régit non seulement l’acquisition des terres agricoles sises en Lettonie, mais cherche également à garantir la pérennisation de leur exploitation à des fins agricoles.

    25

    Ainsi, l’objet de cette réglementation ne permet pas de déterminer si celle-ci relève de manière prépondérante de l’article 49 TFUE ou de l’article 63 TFUE. Dans de telles circonstances, la Cour tient compte des éléments factuels du cas d’espèce afin de déterminer si la situation visée par le litige au principal relève de l’une ou de l’autre desdites dispositions (voir, par analogie, arrêt du 13 mars 2014, Bouanich, C‑375/12, EU:C:2014:138, point 30).

    26

    En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi et du dossier soumis à la Cour que la situation factuelle donnant lieu à l’affaire au principal est caractérisée par le fait qu’une société commerciale n’est pas autorisée à acquérir des terres agricoles en Lettonie aux fins de l’exercice de son activité agricole tant que son représentant et ses associés ne prouvent pas leur résidence dans cet État membre et une certaine maitrise de la langue lettone.

    27

    Il y a lieu de considérer qu’une telle situation, contrairement à d’autres dans lesquelles la Cour a pu conclure à une affectation prépondérante de la libre circulation des capitaux (voir, notamment, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 58 et 59), relève en premier lieu de la liberté d’établissement.

    28

    Par conséquent, et conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 22 du présent arrêt, il y a lieu de considérer qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal doit être examinée exclusivement au regard de cette dernière liberté.

    29

    En outre, l’article 49 TFUE prévoyant une règle spécifique de non-discrimination, l’article 18 TFUE, qui a été également évoqué par la juridiction de renvoi, ne trouve pas à s’appliquer (voir, par analogie, arrêt du 29 octobre 2015, Nagy, C‑583/14, EU:C:2015:737, point 24).

    30

    Par ailleurs, il convient de rappeler que toute mesure nationale dans un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive à l’échelle de l’Union doit être appréciée au regard non pas des dispositions du droit primaire, mais de celles de cette mesure d’harmonisation (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Gysbrechts et Santurel Inter, C‑205/07, EU:C:2008:730, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

    31

    À cet égard, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2006/123, celle-ci établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires. Le chapitre III de cette directive, dont relèvent ses articles 9 à 15, régit la liberté d’établissement des prestataires.

    32

    Les articles 9 à 13 de la directive 2006/123 mettent à charge des États membres des exigences auxquelles doivent satisfaire leurs législations nationales respectives lorsque l’activité de service est subordonnée à l’octroi d’une autorisation. À l’instar de ce qui a déjà été jugé à propos de l’article 14 de cette directive, lequel prévoit une liste des exigences « interdites » dans le cadre de l’exercice de la liberté d’établissement, il doit être considéré que les articles 9 à 13 de cette même directive procèdent à une harmonisation exhaustive concernant les services relevant de leur champ d’application (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa e.a., C‑458/14 et C‑67/15, EU:C:2016:558, points 60 et 61).

    33

    Par conséquent, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 27 du présent arrêt, la réglementation nationale en cause au principal est susceptible d’affecter la liberté d’établissement, il convient de l’examiner à l’aune des dispositions du chapitre III de la directive 2006/123.

    34

    Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la réglementation nationale en cause au principal instaure une procédure d’autorisation préalable à l’acquisition, par une personne morale, de terrains agricoles en Lettonie et subordonne, dans ce cadre, l’autorisation à certaines conditions, dont notamment la certification, par écrit, que les terrains en question seront continuellement utilisés à des fins agricoles.

    35

    Une telle procédure est susceptible de constituer un « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123, à savoir une procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice.

    36

    L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/123 soumet la possibilité pour les États membres de prévoir un régime d’autorisation à certaines conditions. En particulier, un tel régime ne doit pas être discriminatoire à l’égard du prestataire. L’article 10, paragraphe 2, sous a), de cette directive exige également que les critères d’autorisation ne soient pas discriminatoires.

    37

    Par ailleurs, l’article 14 de cette même directive prévoit que les États membres ne sauraient subordonner l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect des exigences qu’il énumère. En particulier, conformément au point 1 de cet article, sont interdites les exigences discriminatoires fondées directement ou indirectement sur la nationalité ainsi que l’exigence d’être résident sur leur territoire pour les personnes détenant du capital social ou les membres des organes de gestion ou de surveillance du prestataire.

    38

    À cet égard, la Cour a jugé qu’il découle tant du libellé de l’article 14 de la directive 2006/123 que de l’économie générale de cette directive que les exigences énumérées à cet article ne peuvent être justifiées (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Rina Services e.a., C‑593/13, EU:C:2015:399, points 28 à 35, et du 23 février 2016, Commission/Hongrie, C‑179/14, EU:C:2016:108, point 45).

    39

    En ce qui concerne l’affaire au principal, il y a lieu de relever que, dans le cas où une personne morale, désireuse d’acquérir un terrain agricole en Lettonie, serait contrôlée ou représentée par des ressortissants d’autres États membres, la réglementation en cause au principal prévoit des conditions spécifiques, à savoir l’obligation pour ces personnes de s’inscrire en tant que résidents en Lettonie et de prouver leur connaissance de la langue officielle de cet État membre correspondant au moins au niveau B2, lequel requiert d’être en mesure de tenir une conversation sur des thèmes du quotidien et de la vie professionnelle dans la langue officielle de cet État membre.

    40

    Dès lors que ces conditions spécifiques ne s’appliquent pas aux ressortissants lettons, force est de constater que la réglementation en cause au principal emporte une discrimination directe en raison de la nationalité.

    41

    Il s’ensuit qu’une telle réglementation est contraire aux articles 9, 10 et 14 de la directive 2006/123.

    42

    Par conséquent, il n’y a plus lieu d’examiner le point de savoir si l’article 63 TFUE s’oppose également à une réglementation telle que celle en cause au principal.

    43

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que les articles 9, 10 et 14 de la directive 2006/123 doivent être interprétés en ce sens qu’il s’opposent à la réglementation d’un État membre qui subordonne le droit pour une personne morale, dont l’associé ou les associés représentant ensemble plus de la moitié des droits de vote au sein de celle-ci et les personnes ayant le pouvoir de la représenter sont des ressortissants d’autres États membres, d’acquérir la propriété d’un terrain agricole situé sur le territoire de cet État membre à la production, par ces associés et représentants, d’une part, d’un certificat d’enregistrement en tant que résidents dudit État membre et, d’autre part, d’un document établissant que leur niveau de maîtrise de la langue officielle de ce même État membre leur permet au moins de tenir une conversation sur des thèmes du quotidien et de la vie professionnelle.

    Sur les dépens

    44

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

     

    Les articles 9, 10 et 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doivent être interprétés en ce sens qu’il s’opposent à la réglementation d’un État membre qui subordonne le droit pour une personne morale, dont l’associé ou les associés représentant ensemble plus de la moitié des droits de vote au sein de celle-ci et les personnes ayant le pouvoir de la représenter sont des ressortissants d’autres États membres, d’acquérir la propriété d’un terrain agricole situé sur le territoire de cet État membre à la production, par ces associés et représentants, d’une part, d’un certificat d’enregistrement en tant que résidents dudit État membre et, d’autre part, d’un document établissant que leur niveau de maîtrise de la langue officielle de ce même État membre leur permet au moins de tenir une conversation sur des thèmes du quotidien et de la vie professionnelle.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le letton.

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