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Document 62019CC0453

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 27 octobre 2020.


ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:862

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 27 octobre 2020 ( 1 )

Affaire C‑453/19 P

Deutsche Lufthansa AG

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Aides d’État – Aides individuelles – Décision qualifiant les mesures en faveur de l’aéroport de Francfort-Hahn d’aides d’État compatibles avec le marché intérieur et constatant l’absence d’aide d’État en faveur des compagnies aériennes utilisatrices de cet aéroport – Irrecevabilité d’un recours en annulation – Affectation individuelle – Protection juridictionnelle effective »

I. Introduction

1.

La recevabilité des recours en annulation d’une décision de la Commission européenne en matière d’aides d’État formés par un concurrent du bénéficiaire de la mesure en cause fait l’objet d’un contentieux abondant. Le présent pourvoi l’atteste pour autant que de besoin.

2.

La requérante, Deutsche Lufthansa AG, demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 avril 2019, Deutsche Lufthansa/Commission (T‑492/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:252), par lequel celui-ci a jugé irrecevable son recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2016/789 de la Commission, du 1er octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.21121 (C29/08) (ex-NN 54/07) mise à exécution par l’Allemagne concernant le financement de l’aéroport de Francfort-Hahn et les relations financières entre l’aéroport et Ryanair (JO 2016, L 134, p. 46) (ci-après la « décision litigieuse »).

3.

Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse des quatrième à sixième branches du premier moyen du pourvoi, relatives à l’appréciation de l’affectation individuelle de la requérante au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

II. Les antécédents du litige et la décision litigieuse

4.

Les antécédents du litige ont été exposés en détail dans l’arrêt attaqué, auquel il est renvoyé à cet égard ( 2 ). Les éléments essentiels et nécessaires à la compréhension des présentes conclusions peuvent être résumés comme suit.

5.

La requérante est une compagnie aérienne établie en Allemagne, dont l’activité principale est le transport de passagers.

6.

L’aéroport de Francfort-Hahn (Allemagne) est situé sur le territoire du Land Rheinland-Pfalz (ci-après le « Land »), à environ 115 km de l’aéroport de Francfort‑sur‑le‑Main (Allemagne), premier aéroport de base de la requérante. Il est, à compter du 1er avril 1995, la propriété de Holding Unternehmen Hahn GmbH & Co. KG, un partenariat public-privé auquel participait le Land, et exploité par Flughafen Hahn GmbH & Co. KG Lautzenhausen (ci-après « Flughafen Hahn »). Flughafen Hahn est majoritairement détenue, depuis le 1er janvier 1998, par Flughafen Frankfurt/Main GmbH (ci-après « Fraport »), une société qui exploite et gère l’aéroport de Francfort‑sur‑le‑Main.

7.

Au cours de l’année 1999, Flughafen-Hahn a conclu avec Ryanair Ltd (devenue Ryanair DAC, ci-après « Ryanair ») un accord d’une durée de cinq ans relatif au montant des redevances aéroportuaires dont Ryanair devait s’acquitter. Cet accord est entré en vigueur le 1er avril 1999 (ci-après l’« accord avec Ryanair de 1999 »).

8.

Cette même année, le Land et Fraport ont conclu un accord de compensation des résultats, au terme duquel Fraport s’est engagée à couvrir les pertes de Flughafen Hahn en contrepartie d’un droit exclusif sur les bénéfices générés par cette dernière. L’accord de compensation des résultats est entré en vigueur le 1er janvier 2001.

9.

Par la suite, Holding Unternehmen Hahn & Co. et Flughafen Hahn ont fusionné pour former Flughafen Hahn GmbH (devenue Flughafen Frankfurt-Hahn GmbH, ci-après « FFHG »), dont 26,93 % du capital était détenu par le Land, et 73,07 % par Fraport.

10.

Le 11 juin 2001, Fraport a été introduite en Bourse, et 29,71 % de ses actions ont été vendues à des actionnaires privés, tandis que les actions restantes sont demeurées la propriété d’actionnaires publics.

11.

Entre le mois de décembre 2001 et le mois de janvier 2002, Fraport et le Land ont procédé à une augmentation de capital de FFHG d’un montant de 27 millions d’euros, souscrite par Fraport et le Land à hauteur, respectivement, de 19,7 millions et de 7,3 millions d’euros. Cette augmentation de capital visait à financer la partie la plus urgente d’un programme d’amélioration de l’infrastructure aéroportuaire.

12.

Le 14 février 2002, l’accord avec Ryanair de 1999 a été remplacé par un nouvel accord (ci-après l’« accord avec Ryanair de 2002 »).

13.

La même année, Fraport, le Land, FFHG et le Land de Hesse (Allemagne) sont convenus que le Land de Hesse deviendrait le troisième actionnaire de FFHG, dans l’éventualité où une augmentation de capital deviendrait nécessaire.

14.

Un pacte d’actionnaires a à cet effet été signé au cours de l’année 2005 entre Fraport, le Land et le Land de Hesse, au terme duquel une augmentation de capital de FFHG d’un montant de 19,5 millions d’euros devait être opérée. Entre l’année 2004 et l’année 2009, Fraport, le Land, et le Land de Hesse ont injecté, respectivement, 10,21 millions, 540000 et 8,75 millions d’euros dans FFHG. Le Land et le Land de Hesse se sont par ailleurs engagés à injecter chacun 11,25 millions d’euros supplémentaires à titre de réserve de capitaux.

15.

À la suite de cette augmentation de capital (ci-après l’« augmentation de capital de 2004 »), Fraport détenait 65 % des parts de FFHG, tandis que le Land et le Land de Hesse en détenaient 17,5 % chacun.

16.

Le pacte d’actionnaires prévoyait par ailleurs que toute nouvelle dette contractée par FFHG devait être couverte par Fraport, le Land et le Land de Hesse, à proportion de leur participation au capital de FFHG, et qu’un nouvel accord de compensation des résultats allant jusqu’à l’année 2014 devait être conclu (ci-après l’« accord de compensation des résultats de 2004 »). Cet accord a été conclu le 5 avril 2004 et est entré en vigueur le 2 juin 2004.

17.

Entre l’année 1997 et l’année 2004, le Land a versé à Flughafen Hahn puis à FFHG des subventions directes.

18.

Le Land a par ailleurs mis en place un mécanisme de compensation en faveur de FFHG pour les contrôles de sécurité, pour lesquels le Land perçoit une taxe de sécurité aéroportuaire de tous les passagers en partance de l’aéroport de Francfort-Hahn. Le Land a sous-traité l’exécution des contrôles à l’aéroport et transféré à ce dernier l’intégralité des recettes de la taxe de sécurité.

19.

Le 4 novembre 2005, un avenant à l’accord avec Ryanair de 2002 a été conclu.

20.

Entre l’année 2003 et l’année 2006, la Commission a reçu plusieurs plaintes relatives à de prétendues aides d’État octroyées par Fraport, le Land et le Land de Hesse à Ryanair et à FFHG.

21.

Le 17 juin 2008, après des échanges avec la République fédérale d’Allemagne, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 108, paragraphe 2, TFUE), pour les aides d’État concernant le financement de l’aéroport de Francfort-Hahn et ses relations avec Ryanair.

22.

Le 31 décembre 2008, Fraport a vendu au Land la totalité de sa participation dans FFHG, de sorte que le Land détenait désormais une participation majoritaire de 82,5 % dans FFHG, les 17,5 % restants demeurant détenus par le Land de Hesse, et que l’accord de compensation des résultats de 2004 a été résilié.

23.

Le 13 juillet 2011, la Commission a ouvert une seconde procédure formelle d’examen concernant des mesures de financement de FFHG prises entre l’année 2009 et l’année 2011. Deux procédures ont dès lors coexisté.

24.

Le 1er octobre 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse. Par cette décision, la Commission a considéré que l’aide d’État mise à exécution par l’Allemagne au moyen de l’augmentation de capital de FFHG souscrite par Fraport et le Land entre le mois de décembre 2001 et le mois de janvier 2002, de l’augmentation de capital de 2004 et des subventions directes versées par le Land à Flughafen Hahn puis à FFHG entre l’année 1997 et l’année 2004 était compatible avec le marché intérieur. Elle a en outre considéré que l’augmentation de capital de 2004 par Fraport et l’accord de compensation des résultats de 2004 ne constituaient pas des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Enfin, elle a considéré que l’accord avec Ryanair de 1999, l’accord avec Ryanair de 2002 et l’avenant à l’accord avec Ryanair de 2002, conclu le 4 novembre 2005, ne constituaient pas des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

25.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 août 2015, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, à l’appui duquel elle a soulevé sept moyens tirés, le premier, d’une erreur de procédure ; les deuxième et troisième, d’erreurs d’appréciation des faits ; le quatrième, de contradictions manifestes dans la décision litigieuse, et, les cinquième à septième, de violations de l’article 107 TFUE.

26.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable, en tant qu’il portait sur les mesures d’aides individuelles en faveur de l’aéroport de Francfort‑Hahn et de Ryanair, seules pertinentes aux fins des présentes conclusions.

IV. Les conclusions formulées par les parties et la procédure devant la Cour

27.

Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 juin 2019, la requérante demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué ;

de constater que le recours était recevable et fondé ;

de faire droit aux conclusions formulées en première instance et d’annuler la décision litigieuse ;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner la Commission aux dépens.

28.

La Commission et le Land demandent à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner la requérante aux dépens.

29.

Ryanair demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi ;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de condamner la requérante aux dépens.

30.

Il n’a pas été tenu d’audience.

V. Analyse

31.

Par son premier moyen, la requérante soutient que, en jugeant le recours irrecevable en tant qu’il était dirigé contre la partie de la décision litigieuse relative aux mesures d’aides individuelles en faveur de FFHG et de Ryanair, le Tribunal a violé l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

32.

Plus précisément, par les quatrième à sixième branches du premier moyen du pourvoi, formulées à titre subsidiaire, la requérante conteste le raisonnement du Tribunal et la conclusion selon laquelle elle n’aurait pas prouvé à suffisance de droit son affectation individuelle au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

33.

Je formulerai, à titre liminaire, certaines observations quant aux règles relatives à la recevabilité des recours introduits par des concurrents contre des décisions de la Commission en matière d’aides d’État adoptées à l’issue de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. J’étudierai, par la suite, à la lumière de ces observations, les arguments présentés par la requérante au soutien des quatrième à sixième branches du premier moyen du pourvoi.

A.   Les règles de recevabilité des recours en annulation introduits par des concurrents en matière d’aides d’État

34.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit deux cas de figure dans lesquels la qualité pour agir est reconnue à une personne physique ou morale pour former un recours contre un acte de l’Union dont elle n’est pas le destinataire : lorsque cet acte la concerne directement et individuellement, et lorsqu’il s’agit d’un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, si celui-ci la concerne directement ( 3 ).

35.

Si la Cour a récemment jugé qu’une décision de la Commission relative à un régime d’aides pouvait être considérée, à l’égard notamment d’un concurrent du ou des bénéficiaires de ce régime, comme un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution ( 4 ), facilitant dès lors la formation de recours en annulation contre ce type de décision, le même raisonnement ne saurait être transposé aux décisions de la Commission relatives à des mesures individuelles ( 5 ).

36.

Dans ces conditions, et de manière schématique, tandis que les tiers peuvent, sous réserve de la preuve de leur affectation directe, former un recours contre une décision de la Commission relative à un régime général, ils doivent encore prouver leur affectation individuelle lorsque la décision contestée concerne une mesure individuelle.

37.

Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire ( 6 ).

38.

À cet égard, et en matière d’aides d’État, lorsqu’un requérant conteste une décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE de sorte à assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’il tire de cette disposition, la seule qualité de partie intéressée, au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement (CE) no 659/1999 ( 7 ), suffit à l’individualiser de manière analogue au destinataire de la décision contestée ( 8 ).

39.

En revanche, tel n’est pas le cas lorsque le recours a pour objet de contester le bien-fondé d’une décision de la Commission en matière d’aide d’État : la seule qualité de partie intéressée – et, donc, de concurrent – ne suffit pas à établir l’affectation individuelle. Le requérant se doit ainsi de démontrer qu’il a un statut particulier au sens de la jurisprudence rappelée au point 37 des présentes conclusions, que la décision en cause ait été adoptée à l’issue de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

40.

L’arrêt Cofaz e.a./Commission ( 9 ) a permis, pour la première fois, d’expliciter ce qu’impliquait une telle exigence, s’agissant des recours en matière d’aides d’État introduits par des concurrents. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que la participation du requérant à la procédure administrative devant la Commission était un élément à prendre en considération dans le cadre de l’examen de l’affectation individuelle de celui-ci, « si, toutefois, [sa] position sur le marché est substantiellement affectée par la mesure d’aide qui fait l’objet de la décision attaquée » ( 10 ).

41.

Autrement dit, l’affectation individuelle du concurrent qui forme un recours visant à contester le bien-fondé d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État est conditionnée à la preuve de l’affectation substantielle de sa position sur le marché. La Cour a ultérieurement confirmé que cette condition était la condition essentielle permettant d’établir l’affectation individuelle, tandis que la participation du requérant à la procédure administrative constitue non pas une condition nécessaire à la démonstration de l’affectation individuelle du concurrent ( 11 ), mais un « élément pertinent » ( 12 ) à cet égard.

42.

Aussi le Tribunal et la Cour vérifient-ils systématiquement, dans l’étude de la recevabilité du recours, l’affectation substantielle de la position sur le marché du concurrent ayant introduit un recours visant à contester le bien-fondé d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État.

43.

Si la jurisprudence est désormais constante sur ce point, elle manque toutefois de clarté s’agissant de l’interprétation de la condition relative à l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant, en particulier en ce qui concerne les modes et le standard de preuve exigés pour l’établir.

44.

En effet, tandis que la Cour et le Tribunal ont, dans un premier temps, admis une appréciation plutôt souple de cette condition, force est de constater que cette tendance jurisprudentielle coexiste désormais avec une nouvelle tendance dans la jurisprudence du Tribunal, plus restrictive, ayant pour effet de juger irrecevable la plupart des recours formés par les concurrents du bénéficiaire d’une mesure, en raison de l’absence d’affectation substantielle de leur position concurrentielle.

1. Une appréciation originellement souple de la condition tenant à l’affectation substantielle de la position du requérant sur le marché

45.

En premier lieu, la Cour a précisé, dès l’arrêt Cofaz e.a./Commission ( 13 ), que la démonstration de l’affectation substantielle de la position du requérant sur le marché n’impliquait pas, pour la Cour, de se prononcer de façon définitive sur les rapports de concurrence entre le requérant et les entreprises bénéficiaires, mais nécessitait seulement de la part du requérant qu’il indique « de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser [ses] intérêts légitimes en affectant substantiellement [sa] position sur le marché en cause » ( 14 ).

46.

Sur ce fondement, la pratique jurisprudentielle ayant suivi l’arrêt Cofaz e.a./Commission ( 15 ) admettait aisément que la condition tenant à l’affectation substantielle de la position du requérant sur le marché puisse être satisfaite. Ainsi, la Cour et le Tribunal ont souvent reconnu l’existence de cette affectation substantielle, dès lors que le requérant était le concurrent direct de l’entreprise bénéficiaire de l’aide sur un marché où peu d’opérateurs étaient présents ( 16 ), étant précisé que, si une telle affectation est établie, le fait qu’un nombre non défini de concurrents puisse invoquer une affectation analogue ne saurait empêcher la reconnaissance de l’affectation individuelle du requérant ( 17 ).

47.

L’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant résulte alors non pas d’une analyse approfondie des différents rapports de concurrence sur le marché en cause permettant d’établir avec précision l’étendue de l’affectation de sa position concurrentielle mais, en principe, d’un constat prima facie que l’octroi de la mesure visée par la décision de la Commission conduit à affecter substantiellement cette position.

48.

La Cour a ainsi jugé que la condition tenant à l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant sur le marché pouvait être satisfaite dès lors que celui-ci apporte des éléments permettant de démontrer que la mesure en cause est susceptible d’affecter substantiellement sa position sur le marché ( 18 ).

49.

En second lieu, les éléments admis par la jurisprudence pour établir une telle affectation substantielle attestent également de l’appréciation originellement souple de cette condition.

50.

Ainsi, il ressort de la jurisprudence que cette affectation substantielle ne doit pas nécessairement être déduite d’éléments tels qu’une baisse importante du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de l’octroi de la mesure en question. L’affectation substantielle de la position du requérant sur le marché peut également être établie en apportant la preuve, notamment, du manque à gagner provoqué par la mesure en cause ou d’une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle aide. En outre, l’intensité de l’atteinte à la position du requérant sur le marché est susceptible de varier selon un grand nombre de facteurs tels que, notamment, la structure du marché en cause ou la nature de la mesure en question. La démonstration d’une atteinte substantielle portée à la position d’un concurrent sur le marché ne saurait, dès lors, être limitée à la preuve d’un nombre limité d’éléments indiquant une dégradation des performances commerciales ou financières de la partie requérante ( 19 ).

51.

Malgré ces principes énoncés de façon constante dans la jurisprudence, une grande majorité des recours formés devant le Tribunal par des concurrents du bénéficiaire d’une aide et visant à contester le bien-fondé d’une décision de la Commission sont désormais jugés irrecevables au motif que les requérants ne sont pas parvenus à démontrer que leur position sur le marché était substantiellement affectée ( 20 ). S’est ainsi plus récemment dégagée, dans la jurisprudence du Tribunal en particulier, une appréciation plus stricte de la condition tenant à l’affectation substantielle de la position du requérant.

2. Le développement d’une appréciation restrictive de la condition tenant à l’affectation substantielle de la position sur le marché du concurrent

52.

Selon cette tendance jurisprudentielle, l’affectation substantielle de la position sur le marché du concurrent du bénéficiaire de la mesure en cause ne peut être établie que si celui-ci parvient à démontrer la « particularité » de sa situation concurrentielle, à savoir qu’il est davantage affecté par cette mesure que ne le sont les autres concurrents du bénéficiaire ( 21 ). Autrement dit, l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant s’apprécie non pas à l’égard de la seule incidence que peut avoir la mesure étudiée sur la position du seul requérant sur un marché donné, mais en comparaison avec l’affectation de la position concurrentielle des autres concurrents du bénéficiaire.

53.

Dans ces conditions, le fait que la position concurrentielle d’un autre concurrent puisse, potentiellement, être autant affectée par la mesure en cause que la position du requérant suffit à exclure que ce dernier puisse être individuellement concerné par la décision de la Commission visant cette mesure.

54.

Il en découle que le Tribunal impose désormais un standard de preuve particulièrement élevé s’agissant des éléments pouvant être apportés pour établir l’existence de l’affectation substantielle de la position concurrentielle sur le marché. Ainsi, le Tribunal a jugé que la condition tenant à l’affectation substantielle du requérant n’était pas satisfaite dès lors qu’il ne pouvait pas être établi que le requérant aurait été plus apte que la moyenne des autres concurrents à capter la demande libérée par la disparation du marché de l’entreprise bénéficiaire de la mesure, de sorte que le requérant n’avait pas démontré subir un manque à gagner suffisamment important par rapport aux autres concurrents ( 22 ).

55.

De même, le Tribunal a estimé que, même si la mesure en cause est de nature à entraîner une limitation de l’activité du requérant sur le marché, cela ne permet pas de qualifier l’affectation de la position sur le marché du requérant de « substantielle » dès lors qu’il n’est pas établi que sa situation se distingue de celle des autres concurrents ( 23 ).

56.

En outre, il apparaît naturellement moins aisé pour un requérant de démontrer une affectation plus importante de sa position concurrentielle que de celle des autres concurrents, dès lors qu’il dispose, si un tel critère s’applique, de peu d’éléments relatifs à la position exacte de ses concurrents sur le marché en cause.

57.

Une telle ligne de jurisprudence me paraît par conséquent excessivement restrictive et en décalage avec la jurisprudence de la Cour ( 24 ). Il en va d’autant plus ainsi que, à mon sens, le fait d’imposer à un requérant de démontrer, en comparant sa situation avec celle des autres concurrents sur le marché, que sa position est la plus affectée par une mesure participe d’une transformation du critère. Selon ce raisonnement, poussé à l’extrême, la condition tenant à l’affectation substantielle de leur position sur le marché ne peut être satisfaite lorsque deux opérateurs sont affectés par une mesure d’aide, et ce alors même que la mesure en cause peut avoir affecté substantiellement chaque opérateur pris individuellement.

58.

Selon moi, l’absence d’affectation substantielle de la position sur le marché des autres concurrents ne saurait être le critère permettant d’établir que le requérant est substantiellement affecté ( 25 ). Il ne s’agit pas de comparer la situation de tous les concurrents présents sur le marché en cause. L’affectation substantielle de sa position concurrentielle est un élément propre au requérant, qui doit être évalué seulement par rapport à sa position sur le marché antérieurement à, ou en l’absence de, l’octroi de la mesure faisant l’objet de la décision contestée.

3. La preuve de l’affectation substantielle de la position du concurrent sur le marché

59.

De façon pratique, je suis d’avis que, pour satisfaire cette condition, il incombe tout d’abord au requérant de démontrer que sa position sur le marché a été substantiellement affectée, qu’il s’agisse d’une dégradation de ses performances ou d’un manque à gagner, par divers éléments, variant donc selon les espèces ( 26 ).

60.

La démonstration d’une atteinte substantielle suppose ensuite que le requérant ait précisé le marché sur lequel, d’une part, il se trouve dans un rapport de concurrence avec le bénéficiaire de la mesure et, d’autre part, il estime que sa position concurrentielle a été affectée. À cet égard, des éléments relatifs à la structure du marché sont assurément pertinents pour établir l’importance de l’atteinte de la situation du requérant, dès lors que celle-ci est susceptible de varier, notamment, selon la taille de ce marché ( 27 ).

61.

Je souligne que l’absence de précisions quant à la structure du marché, au nombre de concurrents présents et à leurs parts de marché respectives ne saurait en revanche impliquer automatiquement que le requérant n’a pas démontré que la mesure en cause affectait substantiellement sa position sur ce marché. En effet, une telle affectation peut également résulter d’autres circonstances que la seule évolution des parts de marché des différents concurrents ( 28 ).

62.

Le requérant doit, enfin, établir que la mesure visée par la décision de la Commission contestée est l’une des causes de l’atteinte à sa position concurrentielle. À cet égard, je souligne que le lien de causalité qu’il est nécessaire d’établir pour démontrer que la mesure en cause affecte substantiellement la position du requérant sur le marché ne saurait conduire à exiger que l’atteinte à sa position concurrentielle soit exclusivement induite par la mesure ( 29 ).

63.

En effet, je suis d’avis que, s’agissant seulement d’établir la recevabilité du recours et non, à titre d’exemple, de déterminer si le requérant peut ou non obtenir réparation d’un préjudice éventuellement subi à la suite du versement de la mesure en cause, l’exigence d’un lien de causalité entre la mesure d’aide et l’atteinte à la position concurrentielle du requérant doit être appréciée de façon souple. Autrement dit, selon moi, il suffit que cette mesure soit une cause de l’atteinte à la position concurrentielle du requérant. Le fait que d’autres éléments aient pu contribuer à affecter substantiellement la position concurrentielle du requérant sur le marché pertinent ne saurait, à lui seul, exclure que la condition tenant à l’affectation individuelle puisse être satisfaite.

64.

C’est à la lumière de ces considérations que j’examinerai les quatrième à sixième branches du premier moyen du pourvoi.

B.   Sur la quatrième branche du premier moyen

65.

Par la quatrième branche du premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que dès lors qu’elle n’avait pas précisé à quelle hauteur elle avait participé au financement de l’aéroport de Francfort-Hahn et au subventionnement de Ryanair, en qualité d’actionnaire et de cliente de Fraport, l’importance de l’atteinte à sa position concurrentielle subie en conséquence ne pouvait être établie.

66.

Selon la requérante, le seul fait d’avoir cofinancé une partie des mesures visées par la Commission suffit à l’individualiser de manière analogue au destinataire de l’aide, de sorte que le Tribunal ne pouvait exiger qu’elle démontre en outre que sa position sur le marché avait été substantiellement affectée par sa participation aux mesures.

67.

Ainsi, la requérante se prévaut non pas de sa qualité de concurrente de l’entreprise bénéficiaire de l’aide, mais de celle d’entité ayant participé au financement de certaines mesures visées par la décision de la Commission. Dans ces conditions, c’est à juste titre qu’elle fait valoir que le Tribunal ne pouvait examiner cet argument sous le seul angle de l’affectation substantielle de sa position concurrentielle sur le marché.

68.

En effet, si ce critère est pertinent s’agissant de déterminer l’affectation individuelle des concurrents du bénéficiaire d’une mesure, il ne saurait être exigé que ledit critère soit rempli par des entités ayant participé au financement de cette mesure pour satisfaire la condition tenant à l’affectation individuelle au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ( 30 ).

69.

Pour autant, je relève que, afin de rejeter l’argumentation de la requérante, le Tribunal s’est essentiellement fondé sur le fait que celle-ci n’avait pas précisé à quelle hauteur elle avait contribué à ce financement en sa qualité d’actionnaire de Fraport.

70.

Or, cette précision était bien indispensable afin d’établir l’affectation individuelle de la requérante.

71.

En effet, la requérante n’a participé au financement des mesures que de façon très indirecte, d’une part, en raison des redevances aéroportuaires qu’elle verse à Fraport dans le cadre de son activité. Elle se prévaut, d’autre part, de sa qualité d’actionnaire minoritaire de Fraport, elle-même actionnaire de la société exploitant l’aéroport de Francfort-Hahn et qui aurait permis la mise en œuvre des mesures visées par la Commission.

72.

Dans ces conditions, et sauf à considérer qu’un nombre potentiellement infini d’entités – soit toutes les compagnies opérant à l’aéroport de Francfort-sur-le-Main et versant des redevances à Fraport, ainsi que tous les actionnaires de Fraport, voire les actionnaires de ces actionnaires – puisse prétendre avoir participé au financement de la mesure visée par la décision de la Commission et être ainsi automatiquement individuellement concerné par cette décision, il était nécessaire que la requérante démontre l’importance de sa participation afin d’établir qu’elle était effectivement individuellement affectée par les mesures en cause.

73.

Dès lors, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir procédé à une telle vérification et d’en avoir conclu à l’absence d’affectation individuelle, de sorte que la quatrième branche du premier moyen du pourvoi devrait être rejetée.

C.   Sur la cinquième branche du premier moyen

74.

Par la cinquième branche du premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne lui accordant pas un allègement de la charge de la preuve de son affectation substantielle de sa position sur le marché. Elle invoque trois arguments au soutien de cette affirmation.

75.

Premièrement, elle fait valoir que la condition tenant à l’affectation substantielle de sa position sur le marché ne peut être exigée que si les mesures visées par la décision de la Commission sont effectivement qualifiées d’aides au sens de l’article 107 TFUE.

76.

Ainsi que le souligne la Commission, un tel argument ne repose sur aucun fondement et doit être rejeté. D’une part, rien ne justifierait de faire dépendre les règles de recevabilité de la circonstance que la décision de la Commission soit positive ou négative. D’autre part, comme le relève la requérante elle-même, la jurisprudence de la Cour mobilise la condition tenant à l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant, que la mesure visée par la décision contestée soit ou non qualifiée d’aide ( 31 ).

77.

Deuxièmement, la requérante soutient que la Commission a mené un examen incomplet des mesures en cause, ne les a pas chiffrées de manière précise et a procédé à une interprétation erronée du droit national. Il en résulterait une asymétrie d’informations à son détriment, qui justifierait un allègement de la charge de la preuve.

78.

Là encore, un tel argument ne saurait prospérer. Il n’apparaît pas clairement en quoi un examen incomplet et une interprétation erronée du droit national auraient induit une asymétrie d’informations au détriment de la requérante.

79.

En tout état de cause, il convient de relever, eu égard aux principes énoncés aux points 57 à 62 des présentes conclusions et ainsi que le fait valoir la Commission, que toutes les informations nécessaires à la démonstration de l’affectation substantielle de la position concurrentielle de la requérante sur le marché se trouvent dans sa seule sphère de pouvoir. La requérante est, ainsi, la mieux placée pour évaluer cette affectation. Dès lors que la requérante est seulement tenue de démontrer l’évolution de sa propre situation sur le marché après le versement de la mesure et d’établir un lien, même probable et non exclusif, entre l’atteinte à sa position concurrentielle et le versement de la mesure, aucune asymétrie d’informations ne pourrait justifier un allègement de la charge de la preuve.

80.

Troisièmement, la requérante affirme que, dans la mesure où elle pouvait bénéficier d’un allègement de la charge de la preuve, elle a effectivement apporté la preuve de son affectation substantielle en énonçant les avantages dont Ryanair a bénéficié et dont découle « nécessairement » une affectation substantielle.

81.

Cependant, dans la mesure où rien ne justifie que la requérante bénéficie d’un allègement de la charge de la preuve, cet argument ne saurait prospérer. En effet, la requérante ne peut se contenter d’affirmer qu’il découle « nécessairement » des mesures en cause une affectation substantielle de sa position concurrentielle, sans étayer son argumentation.

82.

Partant, la cinquième branche du premier moyen du pourvoi devrait être rejetée.

D.   Sur la sixième branche du premier moyen

83.

Par la sixième branche du premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’appréciation de l’affectation substantielle de sa position concurrentielle, en particulier en considérant qu’il lui incombait de définir le marché pertinent sur lequel sa position est affectée et de démontrer un lien de causalité entre la mesure en cause et son affectation. Au soutien de cette branche, la requérante fait valoir différents arguments.

84.

En premier lieu, je relève que plusieurs de ses arguments doivent être rejetés comme étant inopérants.

85.

D’une part, la requérante reproche au Tribunal d’avoir considéré qu’il lui incombait de définir le marché matériellement et géographiquement pertinent au regard de principes relatifs au droit des concentrations et d’avoir ainsi refusé de prendre en compte le marché qu’elle considérait comme étant pertinent, à savoir le marché du trafic aérien de l’Union. Le Tribunal aurait également erronément refusé de prendre en considération certains éléments relatifs à la croissance de Ryanair sur le marché du trafic aérien européen, indiquant notamment l’évolution des parts de marché sur ce marché.

86.

D’autre part, la requérante reproche au Tribunal d’avoir jugé qu’elle n’avait pas démontré la réalité des chevauchements entre les liaisons aériennes qu’elle opère et celles opérées par Ryanair.

87.

Le Tribunal a certes jugé, aux points 150, 154 et 156 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait pas apporté d’éléments quant aux marchés sur lesquels sa position concurrentielle aurait été affectée ni aucune information quant à leur structure et aux concurrents présents sur ces marchés. Il semble en outre ressortir de ces points que les précisions relatives à la structure du marché sont, pour le Tribunal, des éléments nécessaires à la démonstration de l’affectation substantielle de la position concurrentielle de la requérante. Ainsi que je l’ai indiqué au point 60 des présentes conclusions, cette exigence va au-delà de ce qui est requis des concurrents pour établir l’affectation substantielle de leur position concurrentielle. La seule absence de précisions quant à la structure du marché ne saurait automatiquement impliquer que la preuve de l’affectation substantielle n’a pas été apportée.

88.

En outre, le Tribunal a effectivement jugé, au point 153 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait fourni aucun élément de preuve de l’existence des chevauchements en cause.

89.

Cependant, le Tribunal ne s’est pas fondé sur ces seuls éléments pour considérer que la requérante n’avait pas démontré l’affectation substantielle de sa position concurrentielle.

90.

En effet, le Tribunal a également étudié les arguments de la requérante visant à démontrer l’affectation substantielle de sa position concurrentielle sur différents marchés correspondant aux liaisons aériennes effectuées tant par la requérante que par Ryanair, ainsi que sur le marché plus large du transport aérien des passagers. Le Tribunal a donc complété son raisonnement en admettant l’existence, d’une part, des marchés sur lesquels la requérante alléguait que sa position avait été substantiellement affectée et, d’autre part, des chevauchements entre les liaisons aériennes dont elle se prévalait et a conclu, à l’issue de cet examen, que l’affectation substantielle de la position concurrentielle de la requérante n’avait pas été démontrée.

91.

Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant que la requérante n’avait pas apporté d’éléments relatifs à la structure des marchés concernés et aux concurrents présents sur ces marchés ni établi l’existence des chevauchements dont elle se prévalait.

92.

En deuxième lieu, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’étude de l’affectation substantielle de sa position concurrentielle sur le marché, en particulier dans l’étude du lien de causalité entre les mesures en cause et les éléments qu’elle avait avancés pour établir l’affectation de sa position sur le marché.

93.

Elle soutient ainsi que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’il incombait à la requérante de démontrer que la mise en œuvre de son programme de restructuration Score était uniquement due aux mesures dont avait bénéficié Ryanair. En effet, sa restructuration serait une « contremesure » qui illustrerait en elle-même une affectation de sa position sur le marché, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de fournir une preuve du lien de causalité.

94.

Il est vrai, ainsi que le soutient la requérante, que la jurisprudence admet que le concurrent du bénéficiaire d’une aide adopte certaines mesures, telles qu’un programme de restructuration, pour limiter les effets sur sa position concurrentielle de la mise en œuvre d’une aide en faveur de son bénéficiaire ( 32 ).

95.

Cette jurisprudence doit toutefois seulement être comprise comme permettant de reconnaître, en l’absence d’une dégradation de la situation financière et économique d’un concurrent, l’affectation substantielle de sa position concurrentielle sur le marché dès lors que cette absence de dégradation peut s’expliquer par les restructurations opérées.

96.

En outre, si l’adoption de mesures palliatives par un concurrent peut être un indice d’une affectation de sa situation sur le marché, encore faut-il établir, d’une part, que tel était le cas et, d’autre part, qu’elle résultait, notamment, de la mise en œuvre de mesures d’aides au bénéfice d’un de ses concurrents.

97.

Le Tribunal pouvait donc, sans commettre d’erreur de droit, affirmer qu’il incombait à la requérante de démontrer l’existence d’un lien entre l’adoption du programme de restructuration allégué et les mesures en cause.

98.

Or, le Tribunal a relevé, aux points 166, 167 et 168 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait fourni aucune documentation relative au programme de restructuration Score, ni même, à tout le moins, un résumé de sa teneur, et qu’il n’était dès lors pas en mesure de vérifier, en l’espèce, l’existence d’un lien entre les mesures en cause et ce programme de restructuration.

99.

Sur la base de ces motifs, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que la requérante n’avait pas démontré que le programme de restructuration avait été rendu nécessaire en raison des aides versées à Ryanair et à l’aéroport de Francfort-Hahn.

100.

En troisième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir jugé qu’elle n’avait pas démontré le lien de causalité entre les mesures en cause et le déplacement des activités de Ryanair vers l’aéroport de Francfort-sur-le-Main. Le Tribunal aurait ainsi commis une erreur de droit dès lors que ce déplacement aurait révélé l’affectation de sa position concurrentielle.

101.

À cet égard, la requérante rappelle avoir fait valoir, au cours de la procédure devant le Tribunal, que le comportement de Ryanair s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie plus globale visant à s’installer dans des aéroports régionaux pour y obtenir des subventions et à déplacer ensuite ses activités vers d’autres aéroports. Elle affirme apporter, dans le cadre du pourvoi, d’autres éléments corroborant cette stratégie et établissant le lien de causalité entre les mesures en cause et le déplacement des activités de Ryanair.

102.

Ce faisant, la requérante se borne toutefois à répéter les arguments déjà présentés devant le Tribunal en vue d’obtenir une nouvelle appréciation des faits, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour ( 33 ).

103.

En outre, à supposer qu’un lien de causalité entre le déplacement des activités de Ryanair et les mesures en cause dont elle a bénéficié puisse être établi, il incombait toujours à la requérante de démontrer, en amont, qu’un tel déplacement avait affecté substantiellement sa position concurrentielle. Or, la requérante se contente d’énoncer que le déplacement des activités de Ryanair affectait « naturellement » sa position concurrentielle, sans apporter plus d’éléments au soutien de son affirmation, ainsi que le relève à juste titre le Tribunal au point 154 de l’arrêt attaqué.

104.

En quatrième lieu, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la proximité géographique entre l’aéroport de Francfort-Hahn et l’aéroport de Francfort-sur-le-Main était seulement indicative d’un rapport de concurrence entre ces aéroports. Cette proximité géographique témoignerait également d’une concurrence entre les différentes liaisons opérées depuis les deux aéroports. Cette concurrence étant combinée à l’importance des aides, il en résulterait nécessairement une affectation substantielle de sa position concurrentielle.

105.

Or, aux points 159 et 161 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, à supposer que la proximité géographique puisse être indicative d’un rapport de concurrence entre Ryanair et la requérante, la seule qualité de concurrent de l’entreprise bénéficiaire, combinée à l’importance alléguée des aides en cause, ne suffisait pas à établir l’affectation substantielle de sa position concurrentielle.

106.

Partant, la requérante se contente à nouveau de répéter les arguments déjà avancés devant le Tribunal en vue d’obtenir une nouvelle appréciation des faits et tend en réalité à obtenir un réexamen de ces arguments, ce qui échappe à la compétence de la Cour. Cet argument devrait donc être rejeté comme irrecevable.

107.

En cinquième lieu, la requérante soutient également que la conclusion du Tribunal relative à l’existence d’un lien de causalité entre les mesures en cause et leurs effets allégués par la requérante est erronée. Elle affirme que cette condition était satisfaite, car l’affectation substantielle de sa position concurrentielle, qu’elle affirme avoir démontrée, découlait de façon suffisamment directe des mesures en cause.

108.

Cependant, la requérante se contente une nouvelle fois d’énumérer brièvement les effets des mesures sur la position de Ryanair et fait valoir qu’il en découle une affectation substantielle de sa position sur le marché. Elle se borne ainsi à reformuler les arguments déjà présentés devant le Tribunal pour amener la Cour à les réexaminer, ce qui, encore une fois, échappe à sa compétence.

109.

En sixième et dernier lieu, la requérante soutient que le Tribunal a violé l’article 47 de la Charte dès lors que, ainsi qu’elle prétend le démontrer au long de son argumentation, les exigences posées dans son arrêt vont au-delà de la jurisprudence de la Cour.

110.

Toutefois, je relève que la requérante n’étaye nullement son argumentation à cet égard et ne précise pas quelles seraient ces prétendues exigences.

111.

En tout état de cause, dans la mesure où, au vu de ce qui précède, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit dans le cadre de son appréciation de l’affectation substantielle de la position sur les différents marchés de la requérante, l’argument de celle-ci tiré d’une violation de l’article 47 de la Charte résultant d’exigences allant au-delà de la jurisprudence ne saurait davantage prospérer.

112.

Partant, la sixième branche du premier moyen du pourvoi devrait être rejetée dans son intégralité.

VI. Conclusion

113.

Au vu de l’ensemble de ce qui précède, je suis d’avis que les quatrième à sixième branches du premier moyen du pourvoi doivent être rejetées, sans que cela préjuge du bien-fondé des autres moyens du pourvoi.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Points 1 à 33 de l’arrêt attaqué.

( 3 ) Voir, sur cette problématique, Biernat, S., « Dostęp osób prywatnych do sądów unijnych po Traktacie z Lizbony (w świetle pierwszych orzeczeń) », Europejski Przegląd Sądowy, 2014, no 1, p. 12 et suiv.

( 4 ) Arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873).

( 5 ) Une décision portant sur une aide individuelle ne pouvant, contrairement à celles portant sur un régime d’aide, être considérée comme un acte de portée générale et, donc, réglementaire.

( 6 ) Arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223) ; du 22 novembre 2007, Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 53), et du 9 juillet 2009, 3F/Commission (C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 29).

( 7 ) Règlement du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1).

( 8 ) Arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 48).

( 9 ) Arrêt du 28 janvier 1986 (169/84, EU:C:1986:42).

( 10 ) Arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169/84, EU:C:1986:42, point 25). Mise en italique par mes soins.

( 11 ) Arrêt du 22 novembre 2007, Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 57).

( 12 ) Arrêt du 22 novembre 2007, Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 56).

( 13 ) Voir arrêt du 28 janvier 1986 (169/84, EU:C:1986:42, point 28).

( 14 ) Voir, également, arrêts du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 41), ainsi que du 22 novembre 2007, Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 60).

( 15 ) Arrêt du 28 janvier 1986 (169/84, EU:C:1986:42).

( 16 ) Voir, notamment, arrêts du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission (T‑435/93, EU:T:1995:79, points 65 et suiv.) ; du 27 avril 1995, AAC e.a./Commission (T‑442/93, EU:T:1995:80, points 50 et suiv.) ; du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission (T‑266/94, EU:T:1996:153, point 46), ainsi que du 5 novembre 1997, Ducros/Commission (T‑149/95, EU:T:1997:165, point 42). Cette jurisprudence a été confirmée par l’arrêt du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 37).

( 17 ) Arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 56).

( 18 ) Arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 38).

( 19 ) Arrêts du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, EU:C:2007:698, points 34 et 35) ; du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 53) ; du 12 juin 2014, Sarc/Commission (T‑488/11, non publié, EU:T:2014:497, point 36), et du 5 novembre 2014, Vtesse Networks/Commission (T‑362/10, EU:T:2014:928, point 40).

( 20 ) Voir, notamment, pour les affaires les plus emblématiques, ordonnance du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission (T‑358/02, EU:T:2004:159) ; arrêts du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission (T‑388/03, EU:T:2009:30) ; du 22 juin 2016, Whirlpool Europe/Commission (T‑118/13, EU:T:2016:365), et du 11 juillet 2019, Air France/Commission (T‑894/16, EU:T:2019:508). Cette jurisprudence a conduit certains auteurs à qualifier la preuve de l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant de « probatio diabolica » et d’en questionner sa compatibilité avec l’article 47 de la Charte. Voir de Moncuit, A., et Signes de Mesa, J. I., Droit procédural des aides d’État, 1re éd., 2019, Bruylant, Bruxelles, p. 162, et Thomas, S., « Le rôle des concurrents dans les procédures judiciaires concernant des régimes d’aides d’État ou des aides individuelles. Montessori : le début d’une révolution ? », Revue des affaires européennes, 2019, no 2, p. 264.

( 21 ) Arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission (T‑388/03, EU:T:2009:30, point 38).

( 22 ) Arrêt du 22 juin 2016, Whirlpool Europe/Commission (T‑118/13, EU:T:2016:365, point 52).

( 23 ) Arrêt du 11 juillet 2019, Air France/Commission (T‑894/16, EU:T:2019:508, points 61 et 68).

( 24 ) Voir point 46 des présentes conclusions et arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 56). À ce sujet, voir également Creve, B. A., « Locus Standi Requirements for Annulment Actions by Competitors : The Resurfacing “Unique Position Test” Ought to Be Discarded », European State Aid Law Quarterly, 2014, vol. 13, no 2, p. 233.

( 25 ) Une telle absence d’affectation des autres concurrents peut seulement constituer un indice du fait que le requérant est effectivement substantiellement affecté par la mesure en cause.

( 26 ) Voir point 50 des présentes conclusions.

( 27 ) Arrêt du 5 novembre 2014, Vtesse Networks/Commission (T‑362/10, EU:T:2014:928, point 41).

( 28 ) Voir, notamment, arrêt du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission (T‑146/03, non publié, EU:T:2006:386, point 50), dans lequel le Tribunal a jugé que l’affectation substantielle de la position d’un requérant sur le marché pouvait être établie par le report de certains de ses clients sur le bénéficiaire de l’aide, sans que ce report soit traduit précisément en parts de marché.

( 29 ) Ainsi que cela a été mentionné dans l’arrêt du 11 juillet 2019, Air France/Commission (T‑894/16, EU:T:2019:508, point 65).

( 30 ) Voir, par analogie, en ce qui concerne la jurisprudence reconnaissant l’affectation individuelle d’entités publiques ayant participé au financement de l’aide, arrêts du 30 avril 1998, Vlaamse Gewest/Commission (T‑214/95, EU:T:1998:77, point 28) ; du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑127/99, T‑129/99 et T‑148/99, EU:T:2002:59, point 50) ; du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Guipúzcoa e.a./Commission (T‑269/99, T‑271/99 et T‑272/99, EU:T:2002:258, point 41), ainsi que du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑346/99 à T‑348/99, EU:T:2002:259, point 37).

( 31 ) Voir, sur l’application de la condition tenant à l’affectation substantielle de la position concurrentielle du requérant en présence d’une mesure qualifiée d’aide, arrêts du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission (C‑33/14 P, EU:C:2015:609), et, sur celle en présence d’une mesure non constitutive d’une aide, du 22 novembre 2007, Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700).

( 32 ) Arrêt du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, EU:C:2007:698, points 35 et 36).

( 33 ) Arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 51), ainsi que ordonnance du 29 janvier 2020, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission (C‑418/19 P, non publiée, EU:C:2020:43, point 71).

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