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Document 62018CJ0499

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 6 mai 2021.
    Bayer CropScience AG et Bayer AG contre Commission européenne.
    Pourvoi – Règlement (CE) no 1107/2009 – Articles 4 et 21 – Critères d’approbation – Réexamen de l’approbation – Produits phytopharmaceutiques – Règlement d’exécution (UE) no 485/2013 – Substances actives clothianidine et imidaclopride – Semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives – Interdiction d’utilisation non professionnelle – Principe de précaution.
    Affaire C-499/18 P.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:367

     ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

    6 mai 2021 ( *1 )

    « Pourvoi – Règlement (CE) no 1107/2009 – Articles 4 et 21 – Critères d’approbation – Réexamen de l’approbation – Produits phytopharmaceutiques – Règlement d’exécution (UE) no 485/2013 – Substances actives clothianidine et imidaclopride – Semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives – Interdiction d’utilisation non professionnelle – Principe de précaution »

    Dans l’affaire C‑499/18 P,

    ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 juillet 2018,

    Bayer CropScience AG,

    Bayer AG, établies à Monheim am Rhein (Allemagne),

    représentées par Mme M. Zdzieborska, solicitor, Me A. Robert, avocate, Me K. Nordlander, advokat, Me C. Zimmermann, avocat, et M. P. Harrison, solicitor,

    parties requérantes,

    les autres parties à la procédure étant :

    Association générale des producteurs de maïs et autres céréales cultivées de la sous-famille des panicoïdées (AGPM), établie à Montardon (France),

    The National Farmers’ Union (NFU), établie à Stoneleigh (Royaume‑Uni), représentée initialement par M. H. Mercer, QC, et J. Robb, barrister, mandatés par Mme N. Winter, solicitor, puis par MM. H. Mercer, QC, et J. Robb, barrister, ainsi que par Mme K. Tandy, advocate,

    Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), établie à Bruxelles (Belgique), représentée initialement par Mes D. Abrahams, E. Mullier et I. de Seze, avocats, puis par Mes D. Abrahams et E. Mullier, avocats,

    Rapool-Ring GmbH Qualitätsraps deutscher Züchter, établie à Isernhagen (Allemagne),

    European Seed Association (ESA), établie à Bruxelles, représentée initialement par Me P. de Jong, avocat, et Me K. Claeyé, advocaat, ainsi que par Me E. Bertolotto, avocate, puis par Me P. de Jong, avocat, et Me K. Claeyé, advocaat,

    Agricultural Industries Confederation Ltd, établie à Peterborough (Royaume‑Uni), représentée initialement par Me P. de Jong, avocat, et Me K. Claeyé, advocaat, ainsi que par Me E. Bertolotto, avocate, puis par Mes J. Gaul et P. de Jong, avocats, ainsi que par Me K. Claeyé, advocaat,

    parties intervenantes en première instance,

    Commission européenne, représentée par Mme B. Eggers ainsi que par MM. P. Ondrůšek, X. Lewis et I. Naglis, en qualité d’agents,

    partie défenderesse en première instance,

    soutenue par :

    Stichting De Bijenstichting, établie à Vorden (Pays-Bas), représentée par Me L. Smale, advocate,

    partie intervenante au pourvoi,

    Union nationale de l’apiculture française (UNAF), établie à Paris (France), représentée par Mes B. Fau et J.-F. Funke, avocats,

    Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund eV, établi à Soltau (Allemagne),

    Österreichischer Erwerbsimkerbund, établi à Großebersdorf (Autriche),

    représentés par Mes B. Tschida et A. Willand, Rechtsanwälte,

    Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), établi à Bruxelles,

    Bee Life European Beekeeping Coordination (Bee Life), établie à Louvain-la-Neuve (Belgique),

    Buglife – The Invertebrate Conservation Trust, établi à Peterborough,

    Stichting Greenpeace Council (Greenpeace), établi à Amsterdam (Pays-Bas),

    représentés par Me B. Kloostra, advocaat,

    Royaume de Suède, représenté initialement par Mmes C. Meyer-Seitz, A. Falk, H. Shev et J. Lundberg ainsi que par M. E. Karlsson, puis par Mmes C. Meyer-Seitz et H. Shev ainsi que par M. E. Karlsson, en qualité d’agents,

    parties intervenantes en première instance,

    LA COUR (première chambre),

    composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), M. Safjan et N. Jääskinen, juges,

    avocat général : Mme J. Kokott,

    greffier : M. M. Longar, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juin 2020,

    ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 17 septembre 2020,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    Par leur pourvoi, Bayer CropScience AG et Bayer AG demandent, d’une part, l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission (T‑429/13 et T‑451/13, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2018:280), par lequel celui‑ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) no 485/2013 de la Commission, du 24 mai 2013, modifiant le règlement d’exécution (UE) no 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives (JO 2013, L 139, p. 12, ci-après le « règlement litigieux »), et, d’autre part, l’annulation du règlement litigieux dans la mesure où celui-ci concerne les requérantes.

    I. Le cadre juridique

    A. La directive 91/414/CEE

    2

    Avant le 14 juin 2011, la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques était régie par la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1).

    3

    L’article 4, paragraphe 1, de la directive 91/414 disposait qu’un produit phytopharmaceutique ne pouvait être autorisé par un État membre notamment que si ses substances actives étaient énumérées à l’annexe I de ladite directive.

    4

    L’article 5 de cette directive énonçait notamment :

    « Compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques, une substance active est inscrite à l’annexe I pour une période initiale ne pouvant excéder dix ans, s’il est permis d’escompter que les produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active rempliront les conditions suivantes :

    a)

    leurs résidus consécutifs à une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires n’ont pas d’effets nocifs sur la santé humaine ou animale ou sur les eaux souterraines ou d’influence inacceptable sur l’environnement et, dans la mesure où ils sont significatifs du point de vue toxicologique ou environnemental, peuvent être mesurés par des méthodes d’usage courant ;

    b)

    leur utilisation consécutive à une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires n’a pas d’effet nocif sur la santé humaine ou animale ou d’influence inacceptable sur l’environnement, conformément à l’article 4, paragraphe 1, point b) iv) et v).

    2.   Pour inclure une substance active à l’annexe I, il faut tenir compte tout particulièrement des éléments suivants :

    a)

    le cas échéant, d’une dose journalière admissible (DJA) pour l’homme ;

    b)

    d’un niveau acceptable d’exposition de l’utilisateur, si nécessaire ;

    c)

    le cas échéant, d’une estimation de son sort et de sa dissémination dans l’environnement, ainsi que de son incidence sur les espèces non ciblées.

    [...] »

    B. Le règlement (CE) no 1107/2009

    5

    Le règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414 du Conseil (JO 2009, L 309, p. 1), est entré en vigueur le 14 juin 2011.

    6

    Les considérants 8 et 16 de ce règlement sont ainsi libellés :

    « (8)

    Le présent règlement a pour objet de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, et dans le même temps de préserver la compétitivité de l’agriculture communautaire. [...]

    [...]

    (16)

    Il convient de prévoir sous certaines conditions la possibilité de modifier ou de retirer l’approbation d’une substance active lorsqu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation ou lorsque le respect de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau est compromis [(JO 2000, L 327, p. 1)]. »

    7

    En vertu de l’article 28, paragraphe 1, et de l’article 29, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché ou utilisé que s’il a été autorisé dans l’État membre concerné conformément audit règlement, l’autorisation de ce produit par un État membre présupposant, notamment, que ses substances actives aient été approuvées au niveau de l’Union européenne.

    8

    L’article 4 du règlement no 1107/2009, intitulé « Critères d’approbation des substances actives », énonce, notamment, les critères suivants :

    « 1.   Une substance active est approuvée conformément à l’annexe II s’il est prévisible, eu égard à l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, que, compte tenu des critères d’approbation énoncés aux points 2 et 3 de cette annexe, les produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active satisfont aux conditions prévues aux paragraphes 2 et 3.

    [...]

    2.   Les résidus des produits phytopharmaceutiques, résultant d’une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d’utilisation, satisfont aux conditions suivantes :

    a)

    ils n’ont pas d’effet nocif sur la santé des êtres humains, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé des animaux, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’[Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)], sont disponibles, ou sur les eaux souterraines ;

    b)

    ils n’ont pas d’effet inacceptable sur l’environnement.

    [...]

    3.   Un produit phytopharmaceutique, dans des conditions d’application conformes aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d’utilisation, satisfait aux conditions suivantes :

    a)

    il est suffisamment efficace ;

    b)

    il n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable (compte tenu des substances résultant du traitement de l’eau), des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’[EFSA], sont disponibles ; ou sur les eaux souterraines ;

    c)

    il n’a aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux ;

    d)

    il ne provoque ni souffrances ni douleurs inutiles chez les animaux vertébrés à combattre ;

    e)

    il n’a pas d’effet inacceptable sur l’environnement, compte tenu particulièrement des éléments suivants, lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’[EFSA], sont disponibles :

    i)

    son devenir et sa dissémination dans l’environnement, en particulier en ce qui concerne la contamination des eaux de surface, y compris les eaux estuariennes et côtières, des eaux souterraines, de l’air et du sol, en tenant compte des endroits éloignés du lieu d’utilisation, en raison de la propagation à longue distance dans l’environnement ;

    ii)

    son effet sur les espèces non visées, notamment sur le comportement persistant de ces espèces ;

    iii)

    son effet sur la biodiversité et l’écosystème.

    [...] »

    9

    L’article 7 de ce règlement, intitulé « Demande », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa :

    « La demande d’approbation ou de modification des conditions d’approbation d’une substance active est introduite par le producteur de la substance active auprès d’un État membre, dénommé “l’État membre rapporteur”, et est accompagnée d’un dossier récapitulatif et d’un dossier complet, [...] ; il doit être démontré que la substance active satisfait aux critères d’approbation établis à l’article 4. »

    10

    L’article 12 dudit règlement, intitulé « Conclusions de l’[EFSA] », dispose, à son paragraphe 2, deuxième alinéa :

    « Dans les cent vingt jours à compter de l’expiration de la période de présentation d’observations écrites, l’[EFSA] adopte, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande, des conclusions dans lesquelles elle précise si la substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation de l’article 4 [...] »

    11

    Aux termes de l’article 21 du même règlement, intitulé « Réexamen de l’approbation » :

    « 1.   La Commission peut réexaminer l’approbation d’une substance active à tout moment. Elle tient compte de la demande d’un État membre visant à réexaminer, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et techniques et des données de contrôle, l’approbation d’une substance active, y compris lorsqu’au terme du réexamen des autorisations en vertu de l’article 44, paragraphe 1, des éléments indiquent que la réalisation des objectifs établis conformément à l’article 4, paragraphe 1, point a) iv), et point b) i), et en vertu de l’article 7, paragraphes 2 et 3, de la directive 2000/60/CE est compromise.

    Si elle estime, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, qu’il y a des raisons de penser que la substance ne satisfait plus aux critères d’approbation prévus à l’article 4 ou que des informations supplémentaires requises en application de l’article 6, point f), n’ont pas été communiquées, elle en informe les États membres, l’[EFSA] et le producteur de la substance active et accorde à ce dernier un délai pour lui permettre de présenter ses observations.

    2.   La Commission peut solliciter l’avis des États membres et de l’[EFSA] ou leur demander une assistance scientifique ou technique. Les États membres peuvent faire part de leurs observations à la Commission dans les trois mois à compter de la date de la requête. L’[EFSA] communique son avis ou les résultats de ses travaux à la Commission dans les trois mois à compter de la date de la requête.

    3.   Lorsque la Commission arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 ou que des informations supplémentaires requises en application de l’article 6, point f), n’ont pas été communiquées, un règlement retirant ou modifiant l’approbation est adopté conformément à la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3.

    [...] »

    12

    L’annexe II du règlement no 1107/2009, intitulée « Procédure et critères d’approbation des substances actives, phytoprotecteurs et synergistes conformément au chapitre II », contient, à son point 3, intitulé « Critères d’approbation d’une substance active », le point 3.8.3 qui est ainsi libellé :

    « Une substance active, un phytoprotecteur ou un synergiste n’est approuvé que s’il est établi, au terme d’une évaluation des risques appropriée sur la base de lignes directrices pour les essais adoptées au niveau [de l’Union] ou au niveau international, que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active, ce phytoprotecteur ou ce synergiste, dans les conditions d’utilisation proposées :

    entraînera une exposition négligeable des abeilles, ou

    n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeille et le comportement des abeilles. »

    13

    L’article 69 de ce règlement, intitulé « Mesures d’urgence », énonce :

    « Lorsqu’il apparaît clairement qu’une substance active, un phytoprotecteur, un synergiste ou un coformulant approuvé ou un produit phytopharmaceutique qui a été autorisé en vertu du présent règlement est susceptible de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante au moyen des mesures prises par l’État membre ou les États membres concernés, des mesures visant à restreindre ou [à] interdire l’utilisation et/ou la vente de la substance ou du produit en question sont prises immédiatement selon la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3, soit à l’initiative de la Commission, soit à la demande d’un État membre. Avant d’arrêter de telles mesures, la Commission examine les éléments disponibles et peut demander l’avis de l’[EFSA] La Commission peut fixer le délai imparti à l’[EFSA] pour émettre cet avis. »

    14

    L’article 78 dudit règlement, intitulé « Modifications et mesures d’exécution », prévoit, à son paragraphe 3, que, après l’abrogation de la directive 91/414 et son remplacement par le règlement no 1107/2009, les substances actives inscrites à l’annexe I de la directive 91/414 sont réputées approuvées en vertu du règlement no 1107/2009 et sont désormais énumérées dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission, du 25 mai 2011, portant application du règlement no 1107/2009, en ce qui concerne la liste des substances actives approuvées (JO 2011, L 153, p. 1).

    II. Les antécédents du litige

    15

    Les substances actives clothianidine et imidaclopride (ci-après les « substances visées »), relevant de la famille des néonicotinoïdes, qui avaient été inscrites à l’annexe I de la directive 91/414, sont énumérées dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011.

    16

    À la suite d’incidents impliquant une mauvaise utilisation de produits phytopharmaceutiques constitués, notamment, des substances visées et ayant causé des pertes de colonies d’abeilles mellifères, la Commission a, le 18 mars 2011, demandé à l’EFSA de réexaminer le système existant pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires pour les abeilles, établi par l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP), au regard de l’évaluation des risques chroniques pour les abeilles, de l’exposition à de faibles doses, de l’exposition à la guttation et de l’évaluation des risques cumulés. Ledit système était présenté dans un document intitulé « Système pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires pour l’environnement » et portant la référence PP 3/10 (ci-après les « orientations de l’OEPP »).

    17

    Le 30 mars 2012, deux études relatives aux effets sublétaux sur les abeilles de substances relevant de la famille des néonicotinoïdes ont été publiées dans le magazine Science. La première de ces études concernait des produits contenant la substance active thiaméthoxame (ci-après l’« étude Henry »), la seconde concernait des produits contenant la substance active imidaclopride (ci-après, ensemble, les « études de mars 2012 »). Les auteurs de ces études ont conclu que des niveaux normaux de ces deux substances actives pouvaient avoir des effets considérables sur la stabilité et la survie des colonies d’abeilles mellifères et de bourdons.

    18

    Le 3 avril 2012, la Commission a demandé à l’EFSA, en vertu de l’article 21 du règlement no 1107/2009, d’évaluer les études de mars 2012 et de vérifier si les doses utilisées pour les expériences mentionnées dans ces études étaient comparables aux doses auxquelles les abeilles étaient effectivement exposées dans l’Union, compte tenu des utilisations autorisées à l’échelle de l’Union et des autorisations accordées par les États membres. La Commission a également demandé si les résultats desdites études pouvaient être appliqués à d’autres néonicotinoïdes utilisés pour le traitement des semences, notamment la clothianidine.

    19

    Le 25 avril 2012, la Commission a demandé à l’EFSA de mettre à jour, pour le 31 décembre 2012, les évaluations des risques associés, notamment, aux substances visées, en particulier en ce qui concerne, d’une part, les effets aigus et chroniques sur le développement et la survie des colonies d’abeilles, avec prise en compte des effets sur les larves d’abeilles et sur le comportement de celles-ci, et, d’autre part, les effets de doses sublétales sur la survie et le comportement des abeilles.

    20

    Le 23 mai 2012, en réponse à la demande de la Commission du 18 mars 2011, l’EFSA a publié l’avis scientifique sur la démarche scientifique qui sous-tend la réalisation d’une évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques sur les abeilles (ci-après l’« avis de l’EFSA »). Ce document identifiait plusieurs domaines dans lesquels les futures évaluations des risques pour les abeilles devraient être améliorées. Il soulignait, notamment, plusieurs faiblesses des orientations de l’OEPP, lesquelles entraîneraient des incertitudes sur le degré réel d’exposition des abeilles mellifères, et soulevait des questions pertinentes pour la santé des abeilles qui n’avaient pas été examinées auparavant dans les orientations de l’OEPP.

    21

    Le 1er juin 2012, en réponse à la demande de la Commission du 3 avril 2012, l’EFSA a présenté la déclaration concernant les conclusions de récentes études relatives aux effets sublétaux sur les abeilles de certains néonicotinoïdes au vu des utilisations actuellement autorisées en Europe. Dans cette déclaration, l’EFSA évaluait les études de mars 2012 ainsi qu’une troisième étude, concernant la clothianidine, publiée au mois de janvier 2012 (ci-après l’« étude Schneider »). Dans l’ensemble, l’EFSA concluait à la nécessité d’entreprendre davantage de recherches avec des niveaux d’exposition différents ou dans d’autres situations.

    22

    Le 16 janvier 2013, l’EFSA a publié ses conclusions concernant l’évaluation des risques pour les abeilles liés aux substances visées et à la thiaméthoxame (ci-après les « conclusions de l’EFSA »), identifiant :

    un risque aigu élevé pour les abeilles mellifères en cas d’exposition à la dérive de poussière lors des semailles de semences de maïs et de céréales (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame), de colza (clothianidine, imidaclopride et, sauf pour les utilisations au taux le moins élevé autorisé dans l’Union, thiaméthoxame) ainsi que de coton (imidaclopride et thiaméthoxame) ;

    un risque aigu élevé pour les abeilles en cas d’exposition à des résidus dans le nectar et le pollen lors d’utilisations sur le colza (clothianidine et imidaclopride) ainsi que sur le coton et le tournesol (imidaclopride), et

    un risque aigu élevé en cas d’exposition à la guttation lors d’utilisations sur le maïs (thiaméthoxame).

    23

    En outre, les conclusions de l’EFSA mettaient en lumière de nombreuses zones d’incertitude, dues au défaut de données scientifiques. Cela concernait, en particulier, l’exposition des abeilles mellifères à la poussière, à l’ingestion de nectar et de pollen contaminés et à la guttation, le risque aigu et le risque à long terme pour la survie et le développement des colonies d’abeilles mellifères, le risque pour d’autres insectes pollinisateurs, le risque posé par les résidus dans le miellat et celui posé par les résidus dans les cultures successives.

    24

    Compte tenu des risques identifiés par l’EFSA, la Commission a adopté, le 24 mai 2013, le règlement litigieux.

    25

    L’article 1er de ce règlement a introduit, notamment pour les substances visées, les restrictions suivantes :

    interdiction de toute utilisation non professionnelle, à l’intérieur et à l’extérieur ;

    interdiction des utilisations pour le traitement des semences ou le traitement des sols sur les céréales suivantes, lorsqu’elles sont semées entre le mois de janvier et le mois de juin : orge, millet, avoine, riz, seigle, sorgho, triticale, blé ;

    interdiction des traitements foliaires pour les céréales suivantes : orge, millet, avoine, riz, seigle, sorgho, triticale, blé, et

    interdiction des utilisations pour le traitement des semences, le traitement des sols ou les applications foliaires pour une centaine de cultures, dont le colza, le soja, le tournesol et le maïs, à l’exception des utilisations en serre et du traitement foliaire après la floraison.

    26

    De plus, par son article 2, le règlement litigieux a interdit l’utilisation et le placement sur le marché des semences des cultures énoncées à l’annexe II de ce règlement qui ont été traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, à l’exception des semences utilisées sous serre.

    III. Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

    27

    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 août 2013, Bayer CropScience et Syngenta Crop Protection AG, soutenues par l’Association générale des producteurs de maïs et autres céréales cultivées de la sous-famille des panicoïdées (AGPM), The National Farmers’ Union (NFU), l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), Rapool-Ring GmbH Qualitätsraps deutscher Züchter, l’European Seed Association (ESA) et l’Agricultural Industries Confederation Ltd ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux.

    28

    À l’appui dudit recours, Bayer CropScience et Syngenta Crop Protection soulevaient principalement des griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1107/2009.

    29

    Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours et a condamné Bayer CropScience et Syngenta Crop Protection aux dépens.

    IV. Les conclusions des parties au pourvoi

    30

    Bayer CropScience et Bayer demandent à la Cour :

    d’annuler l’arrêt attaqué ;

    d’annuler le règlement litigieux dans la mesure où celui-ci les concerne, et

    de condamner la Commission aux dépens exposés tant dans la procédure devant le Tribunal que dans le cadre du pourvoi.

    31

    La NFU et l’Agricultural Industries Confederation formulent les mêmes conclusions que Bayer CropScience et Bayer. L’ECPA soutient les conclusions de ces dernières sans formuler aucun argument propre.

    32

    La Commission conclut au rejet du pourvoi et demande à la Cour de condamner Bayer CropScience et Bayer aux dépens.

    33

    L’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund eV, l’Österreichischer Erwerbsimkerbund, Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), Bee Life European Beekeeping Coordination (Bee Life), Buglife – The Invertebrate Conservation Trust, Stichting Greenpeace Council (Greenpeace) et le Royaume de Suède, partie intervenantes en première instance, soutiennent les conclusions de la Commission.

    34

    Il en va de même pour la Stichting De Bijenstichting qui a été admise, par ordonnance du président de la Cour du 7 février 2019, à intervenir au soutien de la Commission dans le cadre du présent pourvoi.

    V. Sur le pourvoi

    35

    À l’appui de son pourvoi, Bayer CropScience et Bayer invoquent six moyens tirés, respectivement, d’erreurs de droit relatives à l’interprétation et à l’application de l’article 21, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1107/2009, ainsi que d’erreurs de droit relatives à l’application des mesures de précaution.

    A. Sur la recevabilité du pourvoi

    36

    Il y a lieu de rappeler, d’emblée, que l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de l’auteur d’un pourvoi suppose que le pourvoi est susceptible par son résultat de lui procurer un bénéfice [voir, notamment, ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 16 janvier 2020, Highgate Capital Management/Commission, C‑605/19 P(R) et C‑605/19 P(R)‑R, non publiée, EU:C:2020:12, point 49 et jurisprudence citée].

    37

    En l’espèce, ainsi que le relève Mme l’avocate générale, au point 58 de ses conclusions, l’intérêt à agir dans le chef de Bayer CropScience ne faisait aucun doute jusqu’au prononcé de l’arrêt attaqué, dès lors que le règlement litigieux restreignait de manière considérable l’utilisation de produits phytopharmaceutiques ayant pour base les substances visées, produites par cette société, et que ces restrictions auraient disparu si le recours avait été accueilli.

    38

    Toutefois, peu de temps après le prononcé de l’arrêt attaqué, ont été adoptés le règlement d’exécution (UE) 2018/783 de la Commission, du 29 mai 2018, modifiant le règlement d’exécution (UE) no 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « imidaclopride » (JO 2018, L 132, p. 31), ainsi que le règlement d’exécution (UE) 2018/784 de la Commission, du 29 mai 2018, modifiant le règlement d’exécution (UE) no 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « clothianidine » (JO 2018, L 132, p. 35).

    39

    Ces règlements, ainsi que le fait observer, en substance, Mme l’avocate générale au point 59 de ses conclusions, bien qu’ayant redéfini les conditions d’approbation des substances visées, en les rendant encore plus restrictives que celles précédemment fixées par le règlement litigieux, n’ont pas été attaqués par les requérantes.

    40

    À cet égard, la Cour a reconnu que l’intérêt à agir d’un requérant ne disparaît pas nécessairement en raison du fait que l’acte attaqué par ce dernier a cessé de produire des effets en cours d’instance (arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 62). En effet, un requérant peut conserver un intérêt à obtenir une déclaration d’illégalité dudit acte pour la période au cours de laquelle il était applicable et a produit ses effets, une telle déclaration conservant à tout le moins un intérêt en tant que fondement d’un recours éventuel en responsabilité (arrêts du 27 juin 2013, Xeda International et Pace International/Commission, C‑149/12 P, non publié, EU:C:2013:433, point 32, ainsi que du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

    41

    Tel est le cas en l’espèce. En effet, dans la mesure où Bayer CropScience produit et commercialise des substances actives visées par le règlement litigieux ainsi que des produits phytopharmaceutiques les contenant, le pourvoi, s’il devait être accueilli, serait susceptible de lui procurer un bénéfice dans le cadre d’un éventuel recours en responsabilité.

    42

    S’agissant de l’argument de l’UNAF, selon lequel le pourvoi est irrecevable dans son ensemble puisqu’il tend à une nouvelle appréciation des faits, il y a lieu de constater que, outre le fait, d’une part, qu’il est tout à fait général et n’identifie, au soutien de l’irrecevabilité du pourvoi, aucun élément précis de la requête en pourvoi et, d’autre part, qu’il n’a pas été soulevé par la Commission, partie défenderesse au soutien des conclusions de laquelle est intervenue l’UNAF, les requérantes ont, dans l’ensemble, identifié les points de l’arrêt attaqué qui sont, selon elles, entachés d’erreurs de droit sans, par ailleurs, demander à la Cour de se livrer de manière générale à une nouvelle appréciation des faits.

    43

    Enfin, force est de constater que le pourvoi est formé au nom de Bayer CropScience et de Bayer, alors que seule la première de ces deux sociétés était partie à la procédure devant le Tribunal. Or, en vertu de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi ne peut être formé que par les parties et les parties intervenantes à la procédure devant le Tribunal, ainsi que par des États membres et des institutions de l’Union. Bayer n’ayant pas pris part à la procédure devant le Tribunal et n’ayant invoqué aucune circonstance particulière susceptible, le cas échéant, de l’habiliter à former un pourvoi, ce dernier est irrecevable pour autant qu’il a été formé au nom de cette société.

    44

    Par ailleurs, il est utile de rappeler que Syngenta Crop Protection n’ayant pas introduit de pourvoi contre l’arrêt attaqué, la substance active « thiaméthoxame » n’est pas visée par la présente procédure.

    B. Sur le fond

    1.   Sur le premier moyen

    a)   Argumentation des parties

    45

    Bayer CropScience soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, notamment aux points 162 et 179 de l’arrêt attaqué, qu’un accroissement du niveau de certitude des connaissances scientifiques antérieures pouvait être qualifié de « connaissance nouvelle », autorisant ainsi la Commission à réexaminer l’approbation concernée en application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009.

    46

    La Commission considère que ce moyen doit être écarté.

    b)   Appréciation de la Cour

    47

    Les points 162, 164 et 179 de l’arrêt attaqué sont ainsi libellés :

    « 162

    [...] ainsi que l’ECPA l’a souligné à juste titre, la notion de “nouvelles connaissances scientifiques et techniques” ne saurait être comprise exclusivement de manière temporelle, mais elle comprend également une composante qualitative, qui se rattache d’ailleurs tant au qualificatif “nouveau” qu’à celui de “scientifique”. Il s’ensuit que le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 n’est pas atteint si les “nouvelles connaissances” ne concernent que de simples répétitions de connaissances antérieures, des nouvelles suppositions sans fondement solide, ainsi que des considérations politiques sans lien avec la science. En fin de compte, les “nouvelles connaissances scientifiques et techniques” doivent donc revêtir une réelle pertinence aux fins de l’appréciation du maintien des conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009.

    [...]

    164

    En conclusion, il est donc suffisant, pour que la Commission puisse procéder à un réexamen de l’approbation d’une substance active, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, qu’il existe des études nouvelles [...] dont les résultats soulèvent, par rapport aux connaissances disponibles lors de l’évaluation précédente, des préoccupations quant à la question de savoir s’il est toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de vérifier si ces préoccupations sont réellement fondées, cette vérification étant réservée au réexamen lui-même.

    [...]

    179

    Toutefois, la qualification de tels résultats confirmatifs de connaissances scientifiques nouvelles présuppose à tout le moins que les nouvelles méthodologies soient plus fiables que celles utilisées précédemment. En effet, dans un tel cas de figure, ce serait alors l’augmentation du degré de certitude des connaissances antérieures qui devrait être qualifiée de connaissance scientifique nouvelle. Dans le cadre d’une décision sur la gestion du risque en application du principe de précaution, une telle information doit être considérée comme pertinente, contrairement aux affirmations de Bayer [CropScience]. »

    48

    Il importe de relever qu’il ressort des points 162, 164 et 179 de l’arrêt attaqué que le seuil d’application de la procédure de réexamen, prévu à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, présuppose l’apparition de nouvelles connaissances scientifiques portant à croire que la substance concernée pourrait ne plus satisfaire aux critères d’approbation, ces nouvelles connaissances scientifiques pouvant consister en de nouvelles méthodologies ayant fourni des résultats qui augmentent le degré de certitude des connaissances scientifiques antérieures.

    49

    Or, en fixant ainsi le seuil d’application de la procédure de réexamen, le Tribunal a commis une erreur de droit.

    50

    En effet, l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, du règlement no 1107/2009 autorise la Commission à réexaminer l’approbation d’une substance active à tout moment, sans autre condition. Ce n’est que dans les situations définies expressément à la seconde phrase de cet article 21, paragraphe 1, premier alinéa, que l’ouverture d’une procédure de réexamen présuppose l’existence de nouvelles connaissances scientifiques et techniques.

    51

    À cet égard, la Cour a déjà jugé que l’existence de nouvelles connaissances scientifiques et techniques n’est que l’une des hypothèses dans lesquelles la Commission peut réexaminer l’approbation d’une substance active (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 99).

    52

    Quant au considérant 16 du règlement no 1107/2009, que Bayer CropScience invoque, il est sans pertinence dès lors que les conditions auxquelles il fait référence sont, ainsi que l’indique Mme l’avocate générale au point 80 de ses conclusions, celles qui doivent être réunies pour modifier ou retirer une approbation et non pour engager une procédure de réexamen.

    53

    Cela étant, l’erreur de droit constatée au point 49 du présent arrêt n’est pas de nature à emporter l’annulation de l’arrêt attaqué.

    54

    En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, si les motifs d’une décision du Tribunal recèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 23 janvier 2019, Deza/ECHA, C‑419/17 P, EU:C:2019:52, point 87 et jurisprudence citée).

    55

    Or, si le Tribunal a considéré, à tort, que de nouvelles connaissances scientifiques étaient nécessaires pour autoriser la Commission à réexaminer l’approbation d’une substance active, au sens de l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, du règlement no 1107/2009, il a, toutefois, constaté à bon droit, au point 217 de l’arrêt attaqué, que c’est à juste titre que la Commission a pu considérer, en l’espèce, qu’il y avait lieu de procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées.

    56

    Eu égard à ces considérations, le premier moyen doit être écarté comme étant inopérant.

    2.   Sur le deuxième moyen

    a)   Argumentation des parties

    57

    Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, en jugeant que, pour effectuer l’évaluation des risques, l’EFSA s’est fondée à bon droit sur son propre avis et n’était pas tenue de suivre le document officiel d’orientation relatif aux évaluations des risques, en vigueur au moment du réexamen de l’approbation des substances visées.

    58

    Selon cette société, le Tribunal s’est fourvoyé en se fondant sur le fait qu’elle avait soutenu que, pour procéder à l’évaluation des risques, l’EFSA était tenue d’appliquer le document d’orientation en vigueur à la date de l’octroi des approbations initiales alors qu’elle a soutenu, ainsi qu’il découlait de la requête et de son mémoire en réplique, que l’EFSA avait l’obligation d’appliquer les orientations en vigueur au moment du réexamen de l’approbation des substances visées. Par ailleurs, les orientations officielles d’évaluation des risques applicables au moment de ce réexamen auraient été mises à jour au cours de l’année 2010, à savoir postérieurement à l’adoption du règlement no 1107/2009 et des critères d’approbation visés à l’article 4 et au point 3.8.3 de l’annexe II de ce règlement.

    59

    La Commission soutient qu’il convient de rejeter ce moyen.

    b)   Appréciation de la Cour

    60

    Ainsi qu’il ressort, notamment, des points 228, 260 et 271 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est fondé sur la circonstance selon laquelle Bayer CropScience a fait valoir que l’EFSA et la Commission étaient obligées, dans le cadre de la procédure de réexamen visée à l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, de fonder l’évaluation des risques sur un document d’orientation disponible à la date de la demande d’approbation d’une substance active, adopté soit à l’échelle de l’Union, soit à l’échelle internationale, alors que cette société a, en réalité, ainsi qu’il découle clairement de la requête déposée devant le Tribunal, visé le document d’orientation disponible au moment du réexamen de l’approbation des substances visées.

    61

    Il s’ensuit que le Tribunal a dénaturé les faits reprochés par Bayer CropScience à l’EFSA ainsi qu’à la Commission et ayant prétendument vicié la procédure de réexamen de l’approbation des substances visées.

    62

    Si cette dénaturation a amené le Tribunal à constater, en substance, aux points 266 et 271 de l’arrêt attaqué, que, dans le cadre de la procédure de réexamen au titre de l’article 21 du règlement no 1107/2009, l’évaluation des risques pour une substance active approuvée ne saurait être fondée sur les documents d’orientation disponibles à la date de la demande d’approbation de cette substance, elle ne l’a, en revanche, pas conduit, contrairement à ce que fait valoir Bayer CropScience, à constater qu’une telle évaluation ne devrait pas être fondée sur le document d’orientation en vigueur au moment du réexamen.

    63

    En réalité, ainsi qu’il ressort des points 16, 17, 223 à 235 et 238 de l’arrêt attaqué, c’est à la suite de l’adoption d’une directive renforçant les conditions d’approbation, notamment des substances visées, en ce qui concerne la protection, en particulier, des abeilles, que, d’une part, la Commission a, le 18 mars 2011, demandé à l’EFSA de réexaminer le système existant, établi par l’OEPP au cours de l’année 2010, pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires sur les abeilles au regard de l’évaluation des risques chroniques pour les abeilles, de l’exposition à de faibles doses, de l’exposition à la guttation et de l’évaluation des risques cumulés, et, d’autre part, l’EFSA a rendu son avis fondé sur une exploitation très complète des études disponibles et dans lequel, premièrement, sont analysées en détail les différentes voies d’exposition des différentes catégories d’abeilles, deuxièmement, sont évaluées les orientations existantes pour les essais, troisièmement, sont identifiées certaines faiblesses de ces orientations s’agissant des essais utilisés jusqu’alors et, quatrièmement, il est préconisé de développer les orientations existantes en vue d’y intégrer l’état actuel des connaissances scientifiques sur certains points, le cas échéant de développer de nouvelles orientations.

    64

    Le Tribunal en a déduit, aux points 239 et 240 de l’arrêt attaqué, que, bien que l’avis de l’EFSA, qui fournit une base scientifique pouvant servir de fondement au développement de documents d’orientation et de lignes directrices pour les essais à réaliser, ne constitue pas lui-même un tel document, l’EFSA pouvait s’appuyer sur son avis dans le cadre de l’évaluation des risques, car, en tant que document analysant en détail les différentes voies d’exposition des différentes catégories d’abeilles et évaluant les orientations existantes pour les essais, cet avis pouvait servir à mettre en évidence les domaines dans lesquels les évaluations effectuées jusqu’alors présentaient des lacunes, susceptibles de cacher des risques non encore évalués et dont il n’avait pas été tenu compte dans le cadre des décisions précédentes de gestion du risque relatives aux substances visées.

    65

    Ce faisant, Bayer CropScience soutient que le Tribunal s’est écarté de l’exigence, prévue au point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 et à l’article 12, paragraphe 2, de celui-ci, de fonder l’évaluation des risques sur des orientations.

    66

    À cet égard, il convient de rappeler que, d’une part, le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 prévoit qu’une substance active n’est approuvée que s’il est établi, au terme d’une évaluation des risques appropriée sur le fondement de lignes directrices pour les essais adoptées à l’échelle de l’Union ou à l’échelle internationale, que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active, dans les conditions d’utilisation proposées, entraînera une exposition négligeable des abeilles, ou n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeille et le comportement des abeilles.

    67

    D’autre part, l’article 12, paragraphe 2, deuxième alinéa, dudit règlement dispose que, dans les 120 jours à compter de l’expiration de la période de présentation d’observations écrites, l’EFSA adopte, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, en utilisant les documents d’orientation disponibles à la date de la demande d’approbation d’une substance active, des conclusions dans lesquelles elle précise si cette substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation prévus à l’article 4 de ce même règlement.

    68

    En revanche, dans le cadre du réexamen de l’approbation d’une substance active, l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, lu en combinaison avec le paragraphe 1, second alinéa, de cet article, prévoit que, lorsque la Commission, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 dudit règlement, un règlement retirant ou modifiant l’approbation est adopté.

    69

    Il découle de ce qui précède que, dans le cadre du réexamen de l’approbation d’une substance active, la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009 peut être fondée sur toute nouvelle connaissance, pour autant qu’elle est scientifique ou technique, peu importe la source ou le document dont elle est issue.

    70

    Une telle interprétation de l’article 21, paragraphe 3, de ce règlement, qui implique que, lors dudit réexamen, il est tenu compte des meilleures connaissances scientifiques et techniques disponibles, est, au demeurant, en accord avec l’objectif visé au considérant 8 dudit règlement de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement.

    71

    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, bien qu’ayant dénaturé, ainsi qu’il est constaté aux points 60 et 61 du présent arrêt, les arguments invoqués par Bayer CropScience au soutien de son moyen, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 240 de l’arrêt attaqué, que l’EFSA, ayant identifié des faiblesses dans les orientations de l’OEPP, pouvait s’appuyer sur son avis dans le cadre de l’évaluation des risques. En effet, en tant que document analysant en détail les différentes voies d’exposition des différentes catégories d’abeilles et évaluant les orientations existantes pour les essais, cet avis pouvait servir à mettre en évidence les domaines dans lesquels les évaluations effectuées jusqu’alors présentaient des lacunes, susceptibles de cacher des risques non encore évalués et dont il n’avait pas été tenu compte dans le cadre des décisions précédentes de gestion du risque relatives aux substances visées.

    72

    Dans ces conditions, il convient de rejeter le deuxième moyen comme étant inopérant.

    3.   Sur les troisième et cinquième moyens

    73

    Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, en premier lieu, en ce qu’il n’a pas tenu compte du fait que l’EFSA devait effectuer une évaluation des risques appropriée, en deuxième lieu, en ce qu’il a conclu que la Commission pouvait adopter des mesures d’urgence sur le fondement de cette disposition, en troisième lieu, en ce qu’il ne lui a pas accordé la possibilité de présenter les données manquantes, et, en quatrième lieu, en ce qu’il a violé le principe de la sécurité juridique en concluant qu’une modification du contexte réglementaire des critères d’approbation pouvait suffire à elle seule à permettre à la Commission de s’acquitter de la charge de la preuve lui incombant au regard de ladite disposition.

    74

    La Commission considère qu’il convient d’écarter les troisième et cinquième moyens.

    a)   Sur la première branche du troisième moyen et le cinquième moyen

    1) Argumentation des parties

    75

    Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir omis, aux points 309 et 310 de l’arrêt attaqué, d’examiner si l’évaluation des risques et l’évaluation scientifique étaient suffisamment exhaustives et éclairées pour justifier l’adoption du règlement litigieux. Il serait contraire aux garanties de procédure figurant dans le règlement no 1107/2009 que la Commission puisse précipiter une procédure de réexamen avant d’adopter à la hâte une décision portant modification ou retrait d’une approbation sans, à aucun moment, avoir effectué ou s’être fondée sur une évaluation des risques exhaustive.

    76

    La Commission s’oppose à cette argumentation.

    2) Appréciation de la Cour

    77

    Les points 309 et 310 de l’arrêt attaqué, sur lesquels se concentrent les griefs avancés par Bayer CropScience dans le cadre de la première branche du troisième moyen, sont ainsi formulés :

    « 309

    Or, un tel report aurait nécessairement retardé la prise de connaissance, fut-ce de manière imprécise, par la Commission, en tant que gestionnaire des risques, du niveau de risque posé par les substances visées et, par voie de conséquence, la prise de décision sur la nécessité et l’utilité de modifier les conditions d’approbation desdites substances. Il existait donc, pour la Commission, un conflit d’objectifs entre la célérité de l’évaluation des risques, d’une part, et son exhaustivité et sa précision, d’autre part.

    310

    La question qui se pose en l’espèce n’est donc pas celle de savoir si, dans l’abstrait et sans contrainte temporelle, une évaluation scientifique plus exhaustive et précise aurait été possible. Il découle de ce qui vient d’être exposé que la réponse à cette question sera probablement affirmative. En revanche, il convient d’examiner, dans un premier temps, si la date de clôture de l’évaluation des risques a été choisie par la Commission de manière licite [...] et, dans l’affirmative, dans un deuxième temps, si cette évaluation a été faite en tenant compte de l’état des connaissances scientifiques disponibles à la date choisie [...] »

    78

    Il ressort des points 307 et 308 de l’arrêt attaqué qu’il est admis que le fait de reporter l’échéance de l’évaluation des risques par l’EFSA, afin, d’une part, d’attendre la finalisation d’un document d’orientation sur les essais et, d’autre part, de permettre à Bayer CropScience de prendre en compte ledit document d’orientation, aurait permis de tenir compte d’un état de connaissances scientifiques encore plus avancé par rapport à celui reflété par l’avis de l’EFSA. Il en est déduit qu’il est possible que le fait que l’évaluation du risque ait été terminée à la date du 31 décembre 2012 implique que certains risques n’ont pas pu être exclus, alors qu’ils sont en réalité inexistants et qu’une telle situation aurait pu être évitée en reportant l’échéance à une date ultérieure.

    79

    À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions du règlement no 1107/2009 sont fondées sur le principe de précaution et qu’elles n’empêchent pas les États membres d’appliquer ce principe lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire (arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 44). Il en va de même pour la Commission lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant auxdits risques que représentent les substances actives faisant l’objet d’un réexamen conformément à l’article 21 du règlement no 1107/2009.

    80

    Or, le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, notamment pour l’environnement, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour l’environnement persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

    81

    Ainsi, contrairement à ce que prétend Bayer CropScience, une évaluation des risques exhaustive ne saurait être exigée dans le contexte de l’application du principe de précaution qui correspond à un contexte d’incertitude scientifique.

    82

    Par ailleurs, le principe de précaution n’exige pas que les mesures adoptées, au titre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, soient différées au seul motif que des études susceptibles de remettre en cause les données scientifiques et techniques disponibles sont en cours (voir, par analogie, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, points 128 et 129).

    83

    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que les points 309 et 310 de l’arrêt attaqué ne sont pas entachés de l’erreur de droit invoquée par Bayer CropScience.

    84

    Par conséquent, la première branche du troisième moyen ainsi que le cinquième moyen doivent être écartés comme étant non fondés.

    b)   Sur la deuxième branche du troisième moyen

    1) Argumentation des parties

    85

    Par la deuxième branche du troisième moyen, Bayer CropScience fait valoir que, en acceptant que la Commission puisse se fonder sur une évaluation des risques faite hâtivement par l’EFSA et précipiter son propre réexamen en invoquant des délais contraints, le Tribunal a, en réalité, jugé que la Commission pouvait adopter, sur le fondement de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, des mesures d’urgence relevant de l’article 69 de ce règlement.

    86

    La Commission réfute cette argumentation.

    2) Appréciation de la Cour

    87

    Il importe de relever que rien n’indique, en l’espèce, que les conditions d’application de l’article 21 du règlement no 1107/2009 n’étaient pas réunies. En particulier, il ressort des points 312 et 313 de l’arrêt attaqué, qui n’ont pas été contestés, que la date d’échéance de l’évaluation des risques posés par les substances actives visées ayant été fixée au 31 décembre 2012, l’EFSA s’est vu accorder davantage de temps que ce qui était légalement prévu à l’article 21, paragraphe 2, dudit règlement pour rendre ses conclusions. Par ailleurs, il est constant que la Commission n’a adopté le règlement litigieux que le 24 mai 2013.

    88

    Dès lors, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du troisième moyen comme étant non fondée.

    c)   Sur la troisième branche du troisième moyen

    1) Argumentation des parties

    89

    Selon Bayer CropScience, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 142 de l’arrêt attaqué, que, compte tenu de ce que les données générées par les études effectuées aux fins de l’approbation initiale étaient insuffisantes, à la lumière des critères modifiés d’approbation, pour rendre compte de la totalité des risques pour les abeilles liés aux substances visées, la Commission pouvait retirer l’approbation dont bénéficiaient ces substances. Dans de telles circonstances, la Commission aurait eu l’obligation de mettre d’abord l’intéressée en mesure de produire des données actualisées. L’évaluation des risques effectuée par l’EFSA aurait dû être fondée sur ces données actualisées, tandis que la Commission aurait été tenue d’apprécier, sur la base desdites données actualisées, si les critères d’approbation modifiés étaient remplis.

    90

    La Commission conteste ces arguments.

    2) Appréciation de la Cour

    91

    Le point 142 de l’arrêt attaqué est ainsi rédigé :

    « Ainsi, la Commission s’acquitte à suffisance de droit de la charge de la preuve lui incombant, au regard de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, si elle parvient à démontrer que, au regard d’une modification du contexte réglementaire, ayant entraîné un renforcement des conditions d’approbation, les données générées par les études effectuées aux fins de l’approbation initiale étaient insuffisantes pour rendre compte de la totalité des risques pour les abeilles liés à la substance active en cause [...] Le principe de précaution impose en effet de retirer ou de modifier l’approbation d’une substance active en présence de données nouvelles invalidant la conclusion antérieure selon laquelle cette substance satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009. Dans ce contexte, la Commission peut se limiter à fournir, conformément au régime commun du droit de la preuve, des indices sérieux et concluants, qui, sans écarter l’incertitude scientifique, permettent raisonnablement de douter du fait que la substance active en cause satisfait auxdits critères d’approbation [...] »

    92

    Il convient de souligner que le point 142 de l’arrêt attaqué ne concerne que la charge de la preuve qui incombe à la Commission dans le cadre de la procédure de réexamen, conformément à l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, et non pas spécifiquement la question de savoir si un producteur tel que Bayer CropScience était en droit de soumettre des observations ou de nouvelles données à cette occasion.

    93

    En tout état de cause, s’agissant de la prétention de Bayer CropScience d’être mise en mesure de produire des données actualisées lors de la procédure de réexamen de l’approbation, il n’est pas contesté que, ainsi qu’il ressort du point 435 de l’arrêt attaqué, cette société a eu plusieurs fois la possibilité de présenter des observations au cours de cette procédure en application de l’article 21 du règlement no 1107/2009.

    94

    Or, ainsi que le relève Mme l’avocate générale au point 119 de ses conclusions, le droit d’être entendu n’oblige pas la Commission, dans le cadre d’un réexamen en application de l’article 21 du règlement no 1107/2009, à donner au producteur la possibilité de réaliser de nouvelles études pour combler d’éventuelles lacunes identifiées dans les données disponibles.

    95

    En effet, ainsi qu’il est énoncé au point 82 du présent arrêt, le principe de précaution n’exige pas que les mesures adoptées au titre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 soient différées au seul motif que des études susceptibles de remettre en cause les données scientifiques et techniques disponibles sont en cours.

    96

    Ainsi, le Tribunal, eu égard notamment au principe de précaution rappelé au point 442 de l’arrêt attaqué, a pu juger à bon droit, au point 446 de cet arrêt, que Bayer CropScience, en particulier, n’avait pas droit à ce que la Commission reporte la modification de l’approbation des substances visées pour lui donner l’occasion de générer les données nécessaires pour combler les lacunes identifiées dans les conclusions de l’EFSA.

    97

    Par suite, il y a lieu d’écarter la troisième branche du troisième moyen comme étant non fondée.

    d)   Sur la quatrième branche du troisième moyen

    1) Argumentation des parties

    98

    Par la quatrième branche du troisième moyen, Bayer CropScience soutient que le Tribunal a, au point 142 de l’arrêt attaqué, violé le principe de la sécurité juridique en concluant qu’une modification du contexte réglementaire des critères d’approbation pouvait suffire à elle seule à permettre à la Commission de s’acquitter de la charge de la preuve lui incombant au regard de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009.

    99

    Selon cette société, si le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 est plus élevé que celui de l’article 21, paragraphe 1, de ce règlement et que le seuil d’application de cette dernière disposition requiert de nouvelles connaissances scientifiques et techniques donnant des raisons de penser que les critères d’approbation ne sont plus réunis, le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 3, dudit règlement doit logiquement nécessiter l’existence de nouvelles connaissances scientifiques et techniques qui aillent plus loin, en soutenant la conclusion selon laquelle les critères d’approbation ne sont pas respectés.

    100

    La Commission réfute ces arguments.

    2) Appréciation de la Cour

    101

    Ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 285 de l’arrêt attaqué, selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union.

    102

    Or, l’argumentation de Bayer CropScience est fondée sur une lecture erronée du point 142 de l’arrêt attaqué.

    103

    À cet égard, s’il est vrai que, ainsi qu’il est constaté au point 49 du présent arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le seuil d’application de la procédure de réexamen, prévu à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, présuppose l’apparition de nouvelles connaissances scientifiques portant à croire que la substance concernée pourrait ne plus satisfaire aux critères d’approbation, une telle erreur ne porte pas à conséquence en l’espèce.

    104

    En effet, contrairement à ce que soutient Bayer CropScience, le Tribunal n’a pas retenu, au point 142 de l’arrêt attaqué, qu’une simple modification du contexte réglementaire des critères d’approbation pouvait suffire à elle seule à permettre à la Commission de s’acquitter de la charge de la preuve lui incombant au regard de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, mais a précisé que le retrait ou la modification de l’approbation d’une substance active présuppose l’existence de données nouvelles invalidant la conclusion antérieure selon laquelle cette substance satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 de ce règlement.

    105

    Dès lors, en dépit de l’erreur de droit du Tribunal, rappelée au point 103 du présent arrêt, il n’apparaît pas, dans le contexte de cette branche du troisième moyen, que la règle figurant à l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, telle qu’interprétée par le Tribunal, soit en contradiction avec le principe de sécurité juridique.

    106

    Par conséquent, il convient d’écarter la quatrième branche du troisième moyen comme étant non fondée.

    107

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

    4.   Sur le quatrième moyen

    108

    Par son quatrième moyen, Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en s’abstenant d’établir, concernant la réalisation du risque allégué requis pour l’application des mesures de précaution, un niveau de certitude scientifique approprié, en premier lieu, en interprétant et en appliquant de manière erronée le niveau de la preuve requis pour adopter des mesures de précaution, en deuxième lieu, en concluant que des risques purement hypothétiques pouvaient justifier l’adoption de mesures de précaution et, en troisième lieu, en ne respectant pas le régime juridique de la charge de la preuve.

    109

    La Commission considère que le quatrième moyen doit être écarté comme étant irrecevable ou, à tout le moins, non fondé.

    a)   Sur la première branche du quatrième moyen

    1) Argumentation des parties

    110

    Bayer CropScience reproche au Tribunal, premièrement, d’avoir méconnu que les substances visées avaient déjà été autorisées à la suite d’une évaluation scientifique exhaustive et de s’être abstenu d’appliquer un niveau de preuve approprié, qui est plus élevé pour de telles substances que pour celles n’ayant pas encore été autorisées. Deuxièmement, le Tribunal se serait contredit en permettant à la Commission d’adopter des mesures de précaution en l’absence de toute nouvelle connaissance scientifique pertinente et aurait, à tort, jugé suffisant que la Commission modifie les approbations de la requérante sur la base de données largement lacunaires. Troisièmement, le Tribunal aurait en réalité permis à la Commission de recourir au principe de précaution pour adopter des mesures d’urgence en vertu de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, au lieu de l’article 69 de ce règlement.

    111

    La Commission plaide, à titre principal, l’irrecevabilité de cette branche du quatrième moyen et, à titre subsidiaire, le caractère non fondé de celle-ci.

    2) Appréciation de la Cour

    112

    Il convient de relever que Bayer CropScience ne conteste pas le constat figurant au point 142 de l’arrêt attaqué selon lequel, dans le cadre de l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, la Commission peut se limiter à fournir, conformément au régime commun du droit de la preuve, des indices sérieux et concluants, qui, sans écarter l’incertitude scientifique, permettent raisonnablement de douter du fait que la substance active en cause satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 de ce règlement.

    113

    Cette société soutient, cependant, que le Tribunal a fait une application erronée du niveau de preuve ainsi requis en n’exigeant pas que, pour adopter des mesures de précaution, la Commission soit tenue, conformément à une exigence de preuve plus élevée pour les substances déjà approuvées que pour celles non approuvées, de démontrer, en se prévalant de nouvelles données, l’existence d’un doute sérieux quant à la sécurité de la substance active concernée.

    114

    En effet, d’une part, aux points 177 et 180 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait admis que la Commission pouvait adopter des mesures de précaution en l’absence de toute connaissance scientifique pertinente, et, d’autre part, au point 442 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé suffisant que la Commission modifie les approbations de Bayer CropScience sur la base de données largement lacunaires.

    115

    À cet égard, ainsi qu’il résulte du point 79 du présent arrêt, les dispositions du règlement no 1107/2009, qui sont fondées sur le principe de précaution, n’empêchent pas la Commission d’appliquer ce principe lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les substances actives faisant l’objet d’un réexamen conformément à l’article 21 du règlement no 1107/2009.

    116

    Ce principe implique, ainsi qu’il est rappelé au point 80 du présent arrêt, que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, notamment pour l’environnement, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour l’environnement persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives. Dans ce contexte, conformément au règlement no 1107/2009, la Commission n’est pas soumise à une exigence de preuve plus élevée pour les substances actives déjà approuvées que pour celles non approuvées.

    117

    Or, l’argument de Bayer CropScience, selon lequel le Tribunal a admis que la Commission pouvait adopter des mesures de précaution en l’absence de toute connaissance scientifique pertinente, ne saurait prospérer.

    118

    À cet égard, il importe de relever que les points 177 à 180 de l’arrêt attaqué portent, en substance, sur la question de savoir si, compte tenu des études de mars 2012 et de l’étude Schneider, la Commission disposait, lors de l’ouverture de la procédure de réexamen, de « nouvelles connaissances scientifiques et techniques », au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009.

    119

    Même si le Tribunal a considéré à tort que de telles nouvelles connaissances étaient nécessaires aux fins d’engager un réexamen au titre de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, il n’en reste pas moins que cette partie de l’arrêt attaqué porte sur l’ouverture de la procédure de réexamen et ne prend pas position sur les mesures de précaution que la Commission a adoptées au titre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009.

    120

    Quant au point 442 de l’arrêt attaqué, le Tribunal y a rappelé qu’il a été considéré, au point 325 de cet arrêt, que le principe de précaution justifiait, compte tenu des circonstances de l’espèce, que l’approbation des substances visées soit modifiée sans attendre que soient disponibles des données comblant les lacunes identifiées dans les conclusions de l’EFSA.

    121

    Or, ainsi qu’il est constaté, au point 82 du présent arrêt, le principe de précaution n’exige pas que les mesures adoptées au titre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 soient différées au seul motif que des études susceptibles de remettre en cause les données scientifiques et techniques disponibles sont en cours. En effet, ainsi que l’a constaté à juste titre le Tribunal au point 116 de l’arrêt attaqué, le contexte de l’application du principe de précaution correspond, par hypothèse, à un contexte d’incertitude scientifique.

    122

    S’agissant de l’argument de Bayer CropScience selon lequel le Tribunal a, en réalité, permis à la Commission de recourir au principe de précaution pour adopter des mesures d’urgence en vertu de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 au lieu de l’article 69 de ce règlement, il importe de relever, abstraction faite de ce qui est constaté aux points 87 et 88 du présent arrêt, que cette société, contrairement à ce qu’exige l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, n’a aucunement identifié, à cet égard, les points de motifs de l’arrêt attaqué qui sont contestés. Cet argument est, dès lors, irrecevable.

    123

    Par suite, il convient d’écarter la première branche du quatrième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.

    b)   Sur la troisième branche du quatrième moyen

    1) Argumentation des parties

    124

    Par la troisième branche du quatrième moyen, Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ne respectant pas le régime juridique de la charge de la preuve.

    125

    En l’espèce, le Tribunal aurait bel et bien renversé la charge de la preuve en demandant à la requérante de démontrer, respectivement aux points 546, 184, 216 et 499 à 500 de l’arrêt attaqué, premièrement, que l’interdiction des usages foliaires était manifestement inappropriée, deuxièmement, que les études de mars 2012 et l’étude Schneider n’apportaient pas de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, troisièmement, que les préoccupations relatives au fait qu’une mortalité accrue d’abeilles ou une disparition de colonies coïncidant avec l’emploi de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées étaient infondées et, quatrièmement, que la supposition quant à l’existence d’une corrélation entre les effets sur les abeilles mellifères individuelles et l’incidence au niveau de la colonie était infondée.

    126

    En outre, en constatant, sur la seule base de certains risques pour les abeilles mellifères individuelles et d’une prétendue corrélation entre ces risques et une incidence au niveau de la colonie, qu’un risque pour les colonies ne pouvait être exclu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans la mesure où il aurait exonéré la Commission de son obligation de satisfaire au critère juridique applicable, centré sur le maintien de la santé des colonies d’abeilles mellifères et non des abeilles individuelles, tel qu’inscrit dans le règlement no 1107/2009.

    127

    La Commission réfute ces arguments.

    2) Appréciation de la Cour

    128

    S’agissant, en premier lieu, de la prétendue erreur de droit consistant à exiger de la requérante qu’elle démontre que l’interdiction des usages foliaires était manifestement inappropriée, il importe de rappeler que, au point 546 de l’arrêt attaqué, il est constaté que Bayer CropScience, en particulier, n’a pas démontré que l’interdiction des usages foliaires était manifestement inappropriée pour atteindre les objectifs du règlement litigieux, à savoir la protection de l’environnement et, notamment, la protection des abeilles.

    129

    Ainsi qu’il ressort des points 79 et 80 du présent arrêt, le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, notamment pour l’environnement, des mesures de protection peuvent être prises, dans le cadre de la procédure de réexamen prévue à l’article 21 du règlement no 1107/2009, sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées et que, lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour l’environnement persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives.

    130

    Il s’ensuit que, lorsqu’il s’agit pour la Commission de prendre une mesure restrictive, au sens de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, pour parer à un risque dont l’existence ou la portée n’est pas certaine, mais qui apparaît néanmoins suffisamment documenté, il incombe à l’intéressé, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, de démontrer que la substance active concernée satisfait aux critères d’approbation établis à l’article 4 dudit règlement. En effet, ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 150 de ses conclusions, si la Commission fournit des indices sérieux et concluants qui permettent raisonnablement de douter du respect de ces critères, la charge de la preuve initiale renaît dans le chef de l’intéressé.

    131

    Or, dans le cadre d’un grief, tel que celui de l’espèce, qui est tiré uniquement de ce que le Tribunal a renversé la charge de la preuve, et non pas d’une prétendue absence d’indices sérieux et concluants permettant de douter du respect des critères d’approbation établis à l’article 4 du règlement no 1107/2009, le constat figurant au point 546 de l’arrêt attaqué, selon lequel Bayer CropScience n’a pas démontré que l’interdiction des usages foliaires était manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif de la protection des abeilles poursuivi par le règlement litigieux, ne constitue pas en lui-même une erreur de droit.

    132

    En ce qui concerne le point 184 de l’arrêt attaqué, selon lequel l’étude commanditée par Bayer CropScience et finalisée le 24 mai 2013, sur la question de savoir si les résultats de l’étude Henry et de l’étude Schneider s’écartaient des connaissances antérieures en la matière, n’est pas de nature à démontrer que les études de mars 2012 et l’étude Schneider n’apportaient pas de « nouvelles connaissances scientifiques et techniques », au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, l’argument tiré de ce que ce constat ne respecte pas le régime juridique de la charge de la preuve est, en tout état de cause, inopérant puisque, ainsi qu’il est relevé au point 50 du présent arrêt, l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, première phrase, du règlement no 1107/2009 autorise la Commission à réexaminer l’approbation d’une substance active à tout moment, sans autre condition.

    133

    Par ailleurs, au point 55 du présent arrêt, il est relevé que le Tribunal a constaté à bon droit, au point 217 de l’arrêt attaqué, que c’est à juste titre que la Commission a pu considérer, en l’espèce, qu’il y avait lieu de procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées.

    134

    Il en va de même de l’argument tiré de ce que le constat, figurant au point 216 de l’arrêt attaqué, ne respecte pas le régime juridique de la charge de la preuve. En effet, ce point, aux termes duquel les données de contrôle invoquées par les requérantes seraient certes susceptibles de jeter un doute sur les préoccupations suscitées par les études de mars 2012 et l’étude Schneider, mais, en revanche, elles n’étaient pas susceptibles de démontrer que ces préoccupations étaient infondées, concerne, certes, une question relative à la charge de la preuve en matière de connaissances scientifiques, mais dans le cadre d’une décision de procéder à un réexamen, au titre de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009.

    135

    Quant aux points 499 et 500 de l’arrêt attaqué, dont Bayer CropScience invoque qu’il méconnaît le régime juridique de la charge de la preuve, ils sont ainsi libellés :

    « 499

    Il est donc constant qu’une corrélation existe entre le risque pour les abeilles individuelles et le risque pour la colonie. En revanche, il existe à ce stade une incertitude scientifique quant au taux de mortalité d’abeilles individuelles à partir duquel des “effets inacceptables aigus ou chroniques” sur la survie et le développement de la colonie sont susceptibles de se produire. Cette incertitude est notamment due aux difficultés à mesurer dans des conditions de terrain l’ampleur des pertes individuelles et leur incidence sur la colonie.

    500

    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la Commission pouvait considérer à juste titre que, au regard des valeurs de quotients de danger identifiés pour les substances visées dans les conclusions de l’EFSA, un risque pour les colonies ne pouvait être exclu et qu’il lui appartenait donc, sur le fondement du principe de précaution, de prendre des mesures de protection, sans avoir à attendre qu’il soit pleinement établi sous quelles conditions et à partir de quel taux de mortalité la perte d’abeilles individuelles était susceptible de mettre en péril la survie ou le développement de colonies. »

    136

    Or, ces points, en tant que tels, ne sont qu’une application à un cas d’espèce du principe de précaution tel que rappelé, notamment, au point 129 du présent arrêt, en vertu duquel, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, notamment pour l’environnement, des mesures de protection peuvent être prises, dans le cadre de la procédure de réexamen prévue à l’article 21 du règlement no 1107/2009, sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées, et lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour l’environnement persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives.

    137

    Enfin, pour ce qui est de l’argument de Bayer CropScience par lequel celle-ci a fait valoir que, en constatant, sur la seule base de certains risques pour les abeilles mellifères individuelles et d’une prétendue corrélation entre ces risques et une incidence au niveau de la colonie, qu’un risque pour les colonies ne pouvait être exclu, le Tribunal a commis une erreur de droit puisqu’il a exonéré la Commission de son obligation de satisfaire au critère juridique applicable, centré sur le maintien de la santé des colonies d’abeilles mellifères et non des abeilles individuelles, tel qu’inscrit dans le règlement no 1107/2009, il convient de relever ce qui suit.

    138

    Aux termes du point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009, une substance active n’est approuvée que s’il est établi, notamment, que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active, dans les conditions d’utilisation proposées, n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeille et le comportement des abeilles.

    139

    Selon les points 499 et 500 de l’arrêt attaqué, reproduits au point 135 du présent arrêt, dans les conditions où il est constant qu’une corrélation existe entre le risque pour les abeilles individuelles et le risque pour la colonie, mais que, en revanche, il existe à ce stade une incertitude scientifique quant au taux de mortalité d’abeilles individuelles à partir duquel des « effets inacceptables aigus ou chroniques » sur la survie et le développement de la colonie sont susceptibles de se produire, la Commission pouvait considérer, à juste titre, qu’un risque pour les colonies ne pouvait être exclu et qu’il lui appartenait donc, sur le fondement du principe de précaution, de prendre des mesures de protection.

    140

    Ainsi, contrairement à ce qu’a soutenu Bayer CropScience, le Tribunal, en relevant qu’il est constant qu’une corrélation existe entre le risque pour les abeilles individuelles et le risque pour la colonie, l’incertitude scientifique à cet égard ne concernant que le taux de mortalité d’abeilles individuelles à partir duquel des « effets inacceptables aigus ou chroniques » sur la survie et le développement de la colonie sont susceptibles de se produire, n’a pas exonéré la Commission de son obligation de satisfaire au critère juridique relatif au maintien de la santé des colonies d’abeilles mellifères, prévu au point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009.

    141

    Dès lors, aucune erreur de droit n’a été commise à cet égard.

    142

    Par conséquent, la troisième branche du quatrième moyen doit être écartée comme étant non fondée.

    c)   Sur la deuxième branche du quatrième moyen

    1) Argumentation des parties

    143

    Par la deuxième branche du quatrième moyen, Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en concluant que des risques purement hypothétiques pouvaient justifier l’adoption de mesures de précaution. En effet, le Tribunal aurait constaté, à tort, que tant les usages foliaires que les utilisations non professionnelles pouvaient être restreints en l’absence d’une évaluation scientifique et sur le fondement de suppositions selon lesquelles, d’une part, les usages foliaires non encore évalués par l’EFSA pouvaient, ainsi qu’il ressort des points 533 et 534 de l’arrêt attaqué, poser des risques analogues à ceux des usages évalués et, d’autre part, les utilisateurs amateurs étaient, ainsi qu’il ressort des points 556 et 558 de l’arrêt attaqué, susceptibles de ne pas respecter les instructions d’usage.

    144

    Enfin, le Tribunal aurait aussi commis une erreur de droit, au point 543 de l’arrêt attaqué, en permettant à la Commission de faire elle-même valoir que les applications foliaires donnaient lieu à un dépôt du produit concerné sur le sol et de se fonder sur ses propres conclusions hypothétiques au lieu de confier l’évaluation scientifique des risques à l’EFSA.

    145

    La Commission conteste l’argumentation de Bayer CropScience.

    2) Appréciation de la Cour

    146

    S’agissant, en premier lieu, de l’interdiction des applications foliaires, les points de l’arrêt attaqué critiqués par Bayer CropScience sont ainsi formulés :

    « 533

    En deuxième lieu, il convient de souligner que le deuxième mandat donné à l’EFSA par la Commission, dans sa forme révisée le 25 juillet 2012 [...], était expressément limité aux “usages autorisés desdites substances pour le traitement des semences et les granulés”. Par conséquent, l’évaluation des risques effectuée par l’EFSA n’a pas porté sur d’autres usages autorisés et les conclusions de l’EFSA sur les trois substances visées ne contenaient aucune indication quant au risque lié aux applications foliaires.

    534

    En troisième lieu, il convient de rappeler que les mesures prises dans [le règlement litigieux] reposent sur une application du principe de précaution, en ce qu’il existait des indices sérieux selon lesquels certains des usages jusqu’alors approuvés des substances visées pouvaient comporter des risques inadmissibles pour les abeilles, sans qu’il existe encore de certitude scientifique à cet égard. Dans une telle situation, la Commission était en droit de prendre des mesures préventives également pour des usages non encore spécifiquement évalués par l’EFSA, si et dans la mesure où elle pouvait raisonnablement supposer que ceux-ci posaient des risques analogues à ceux des usages évalués.

    [...]

    543

    Deuxièmement, s’agissant de la translocation acropète, la Commission a fait valoir que les applications foliaires donnaient lieu à un dépôt du produit concerné sur le sol, d’où ses substances actives étaient susceptibles d’être absorbées par les racines et dispersées dans la plante. »

    147

    En ce qui concerne l’argument de Bayer CropScience tiré de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en admettant que la Commission pouvait elle-même procéder à l’évaluation des risques au lieu de confier cette tâche à l’EFSA, il convient de relever que, à l’instar de Mme l’avocate générale au point 155 de ses conclusions, en application de l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009, la saisine de l’EFSA relevant du pouvoir d’appréciation de la Commission, l’évaluation des risques par l’EFSA n’est donc pas impérativement requise.

    148

    Aussi, en admettant que la Commission pouvait elle-même procéder à l’évaluation des risques pour des usages non encore spécifiquement évalués par l’EFSA, tels que les applications foliaires, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

    149

    Quant à l’argument de Bayer CropScience tiré de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant que les usages foliaires pouvaient être restreints en l’absence d’une évaluation scientifique et sur le fondement de suppositions selon lesquelles de tels usages pouvaient poser des risques analogues à ceux des usages évalués, il importe de souligner que le Tribunal n’a admis, au point 534 de l’arrêt attaqué, que la Commission était en droit de prendre des mesures préventives également pour des usages non encore spécifiquement évalués par l’EFSA que si et dans la mesure où elle pouvait raisonnablement supposer que ceux-ci posaient des risques analogues à ceux des usages évalués.

    150

    Ainsi, pour ce qui est de la translocation basipète, le Tribunal a considéré, au point 542 de l’arrêt attaqué, que, compte tenu des faiblesses des études scientifiques invoquées de part et d’autre, il ne saurait en être conclu que la Commission pouvait raisonnablement supposer que les applications foliaires posaient des risques analogues à ceux des usages évalués.

    151

    En revanche, s’agissant de la translocation acropète, le Tribunal a relevé, aux points 543 et 544 de l’arrêt attaqué, que, la Commission ayant fait valoir que les applications foliaires donnaient lieu à un dépôt du produit concerné sur le sol, d’où ses substances actives étaient susceptibles d’être absorbées par les racines et dispersées dans la plante, ces éléments permettaient à cette institution de raisonnablement supposer que les applications foliaires posaient des risques analogues à ceux des usages évalués par l’EFSA dans ses conclusions.

    152

    Il ressort donc de ce qui précède que, ainsi que l’a fait observer Mme l’avocate générale au point 160 de ses conclusions, dans le cadre de l’interdiction des applications foliaires, le Tribunal, contrairement à ce que prétend Bayer CropScience, n’a pas admis une évaluation des risques sur la base de considérations purement hypothétiques et, dès lors, n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard.

    153

    S’agissant, en second lieu, de l’interdiction des utilisations non professionnelles, les points 553 à 558 de l’arrêt attaqué sont ainsi libellés :

    « 553

    Troisièmement, s’agissant de la probabilité d’une utilisation inappropriée des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées par les utilisateurs non professionnels, ni la Commission ni les requérantes n’ont réellement prouvé dans quelle mesure une telle probabilité existait ou n’existait pas. Cependant, Bayer [CropScience] s’est référée à un sondage de 2011, commandité par la Commission, sur la “compréhension par le consommateur des étiquettes et de l’utilisation sans risque des produits chimiques”, dont il découlerait que près de 80 % des sondés lisaient “toujours” ou “la plupart du temps” les étiquettes apposées sur les pesticides et que 12 % supplémentaires les lisaient “parfois”. Parmi ceux qui lisaient les consignes sur les étiquettes, près de 74 % les respectaient “totalement”, tandis que 23 % les suivaient “en partie”. Ces chiffres seraient confirmés par un autre sondage, dont Bayer [CropScience] n’a produit que des extraits.

    554

    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que les chiffres indiqués par Bayer [CropScience], pour le premier de ces sondages, ne correspondent pas à ceux figurant dans la copie produite par elle. En effet, le pourcentage des sondés ayant répondu qu’ils lisaient “toujours” ou “la plupart du temps” les étiquettes des produits phytopharmaceutiques était de 66 % (50 % “toujours” et 16 % “la plupart du temps”) et non de “près de 80 %”, tel que l’indique Bayer [CropScience].

    555

    Ensuite, l’extrait du deuxième sondage produit par Bayer [CropScience] ne fait pas apparaître qui a effectué le sondage, comment l’échantillon des sondés a été composé et s’il était représentatif de la population des sept pays dans lesquels il a été conduit. Dans ces conditions, il ne saurait revêtir qu’une valeur probante très réduite.

    556

    Enfin, le premier sondage, conduit dans la totalité des États membres, sur la base d’un échantillon représentatif, fait apparaître que 34 % des sondés ne lisent que “parfois” ou “jamais” les instructions d’usage figurant sur les étiquettes des produits phytopharmaceutiques. Il convient de constater, dans ces circonstances, et compte tenu, en particulier, du degré élevé de toxicité des substances visées, que la Commission pouvait à juste titre conclure que les utilisateurs non professionnels étaient susceptibles, davantage que les utilisateurs professionnels, de ne pas respecter les instructions d’usage.

    557

    Dès lors, l’interdiction des usages non professionnels à l’extérieur des substances visées ne saurait être qualifiée de “manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif poursuivi”, au sens de la jurisprudence citée au point 506 ci-dessus.

    558

    Quatrièmement, s’agissant spécifiquement des utilisations non professionnelles à l’intérieur, il est vrai qu’une mise en danger des abeilles semble à première vue plutôt improbable, à supposer que les consignes d’utilisation soient respectées. Toutefois, ainsi qu’il vient d’être exposé, une mauvaise utilisation, ne respectant pas les instructions d’usage, ne saurait être exclue, et ce surtout en ce qui concerne les utilisateurs non professionnels. À cet égard, le risque, invoqué par la Commission qu’une plante traitée à l’intérieur soit ensuite placée à l’extérieur semble plutôt anecdotique et, en tout état de cause, ponctuel. En revanche, il semble probable, étant donné l’efficacité des substances visées en tant qu’insecticide, que certains utilisateurs puissent être tentés d’utiliser directement à l’extérieur les produits les contenant, même s’ils sont vendus pour une utilisation à l’intérieur. »

    154

    Bayer CropScience reproche, en substance, au Tribunal d’avoir constaté, au point 558 de l’arrêt attaqué, qu’une mauvaise utilisation, ne respectant pas les instructions d’usage, ne saurait être exclue, et ce surtout en ce qui concerne les utilisateurs non professionnels, alors qu’il a, en même temps, reconnu, au point 553 de cet arrêt, que ni les requérantes ni la Commission n’ont démontré dans quelle mesure la probabilité d’une mauvaise utilisation existait ou n’existait pas.

    155

    À cet égard, il doit être rappelé que, ainsi qu’il ressort des points 551 et 552 de l’arrêt attaqué, il appartient aux institutions chargées de choix politiques de déterminer le niveau de risque jugé acceptable pour la société, ce niveau de risque étant déterminé non seulement sur la base de considérations strictement scientifiques, mais également en tenant compte des facteurs sociétaux, tels que la faisabilité des contrôles.

    156

    Celle-ci peut, en effet, constituer un élément pertinent dans la détermination du niveau de risque acceptable dès lors que les contrôles tendent à assurer le respect des consignes d’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives, respect qui, à son tour, est de nature à atténuer l’incidence de l’utilisation de telles substances sur l’environnement.

    157

    Certes, le Tribunal a constaté, au point 553 de l’arrêt attaqué, que ni la Commission ni Bayer CropScience n’ont démontré la probabilité exacte d’une utilisation inappropriée par les non-professionnels des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées. Toutefois, eu égard au fait que les utilisateurs non professionnels ne sont soumis à aucun contrôle, il est permis de considérer, comme le fait le Tribunal au point 556 de l’arrêt attaqué, que les utilisateurs non professionnels étaient susceptibles, davantage que les utilisateurs professionnels, de ne pas respecter les consignes d’utilisation.

    158

    En tenant compte du degré de toxicité élevé des substances actives en cause pour les abeilles, c’est donc sans commettre une erreur de droit que le Tribunal a constaté que l’interdiction des usages non professionnels des produits phytopharmaceutiques contenant lesdites substances ne saurait être qualifiée de « manifestement inappropriée » pour atteindre l’objectif poursuivi par le règlement litigieux.

    159

    Il s’ensuit que la deuxième branche du quatrième moyen n’est pas non plus fondée.

    160

    Dès lors, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

    5.   Sur le sixième moyen

    a)   Argumentation des parties

    161

    Par son sixième moyen, Bayer CropScience reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, aux points 459 à 461 de l’arrêt attaqué, en définissant erronément l’envergure de l’analyse d’impact devant être effectuée préalablement à l’adoption des mesures de précaution et en méconnaissant les exigences liées à cette analyse. En effet, le Tribunal se serait satisfait de ce que la Commission avait pris connaissance des effets susceptibles d’être induits par l’action envisagée, et aurait constaté que l’envergure et la forme de l’analyse d’impact relevaient du pouvoir d’appréciation de la Commission, jugeant suffisante une synthèse sommaire en quatre points d’une analyse d’impact fournie par le secteur, alors que la Commission n’aurait pas eu une connaissance complète des produits phytopharmaceutiques alternatifs. Selon Bayer CropScience, l’obligation de procéder à une analyse d’impact a ainsi été vidée de tout contenu.

    162

    La Commission réfute ces arguments.

    b)   Appréciation de la Cour

    163

    Les points de l’arrêt attaqué sur lesquels se concentrent les critiques de Bayer CropScience sont les suivants :

    « 459

    Premièrement, à cet égard, il convient de constater que le point 6.3.4 de la communication [sur le recours au principe de précaution, du 2 février 2000 [COM(2000) 1 final] (ci-après la « communication sur le principe de précaution »)] prévoit que soit effectué un examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action. En revanche, le format et l’envergure de cet examen ne sont pas précisés. Notamment, il n’en découle nullement que l’autorité concernée serait obligée de lancer une procédure d’évaluation spécifique et aboutissant par exemple à un rapport formel d’évaluation écrit. En outre, il découle du texte que l’autorité appliquant le principe de précaution jouit d’une marge d’appréciation considérable quant aux méthodes d’analyse. En effet, si la communication indique que l’examen “devrait” inclure une analyse économique, l’autorité concernée doit en tout état de cause également intégrer des considérations non économiques. De plus, il est expressément souligné qu’il se peut, dans certaines circonstances, que des considérations économiques doivent être considérées comme moins importantes que d’autres intérêts reconnus comme majeurs ; sont expressément mentionnés, à titre d’exemple, des intérêts tels que l’environnement ou la santé.

    460

    Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’analyse économique des coûts et des bénéfices soit faite sur le fondement d’un calcul exact des coûts respectifs de l’action envisagée et de l’inaction. De tels calculs exacts seront dans la plupart des cas impossibles à effectuer, étant donné que, dans le contexte de l’application du principe de précaution, leurs résultats dépendent de différentes variables par définition inconnues. En effet, si toutes les conséquences de l’inaction comme de l’action étaient connues, il ne serait pas nécessaire de recourir au principe de précaution, mais il serait possible de décider sur le fondement de certitudes. En conclusion, il est satisfait aux exigences de la communication sur le principe de précaution dès lors que l’autorité concernée, en l’espèce, la Commission, a effectivement pris connaissance des effets, positifs et négatifs, économiques et autres, susceptibles d’être induits par l’action envisagée ainsi que par l’abstention d’agir, et qu’elle en a tenu compte lors de sa décision. En revanche, il n’est pas nécessaire que ces effets soient chiffrés avec précision, si cela n’est pas possible ou nécessiterait des efforts disproportionnés.

    461

    Deuxièmement, il convient de relever que la Commission a de toute évidence établi une comparaison entre les conséquences positives ou négatives les plus probables de l’action envisagée et celles de l’inaction en termes de coût global pour l’Union, satisfaisant aux exigences posées par le point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution. Cela ressort clairement de la note du 21 janvier 2013 à l’attention du membre de la Commission compétent à l’époque. Cette note visait à informer ce membre sur les discussions en cours sur les conclusions de l’EFSA et à solliciter son approbation sur les mesures envisagées par les services de la Commission. À l’annexe V de la note, intitulée “Informations contextuelles sur PE, Industrie, ONG”, étaient énoncées différentes circonstances prises en compte dans le cadre de la proposition. En particulier, en ce qui concerne le fait que les néonicotinoïdes sont largement utilisés dans l’agriculture, l’annexe V mentionnait les résultats substantiels de l’étude Humboldt, produite par les requérantes devant la Commission, y compris les conclusions de ladite étude quant aux effets d’une interdiction des néonicotinoïdes sur l’économie, le marché du travail et le bilan écologique de l’Union. Il y était également mentionné que la Commission n’avait pas une connaissance complète des produits phytopharmaceutiques alternatifs, puisque ceux-ci étaient autorisés au niveau national. Enfin, la note indiquait que le Parlement [européen] allait débattre du sujet trois jours plus tard, le 24 janvier 2013, sur la base d’une étude, commanditée par lui, sur les risques posés par les substances visées et qui recommandait l’interdiction totale des néonicotinoïdes (plutôt qu’une simple restriction des utilisations), ainsi que le fait que les ONG environnementales demandaient également une interdiction totale. Il résulte de tous ces éléments que la Commission était consciente des enjeux, tant économiques qu’environnementaux, liés à l’utilisation des substances visées. »

    164

    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, lorsque la Commission arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 de ce règlement, un règlement retirant ou modifiant l’approbation est adopté.

    165

    Or, ainsi qu’il est constaté, au point 69 du présent arrêt, dans le cadre du réexamen de l’approbation d’une substance active, la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009 peut être fondée sur toute nouvelle connaissance, pour autant que celle-ci est scientifique ou technique.

    166

    Lorsque la Commission arrive à une telle conclusion, il lui appartient, conformément à l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, d’adopter un règlement retirant ou modifiant l’approbation de la substance active concernée. Ainsi, en prévoyant le retrait ou la modification de ladite approbation, cette disposition incorpore expressément le principe de proportionnalité qui, selon une jurisprudence constante, fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C‑343/09, EU:C:2010:419, point 45 et jurisprudence citée).

    167

    En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des points 22 à 24 du présent arrêt et du règlement litigieux lui-même, la Commission a, par ce règlement, modifié les conditions d’approbation des substances visées, compte tenu de ce que ces substances présentaient certains risques aigus élevés pour les abeilles et de ce que des risques inacceptables résultant des effets aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies dans plusieurs cultures ne pouvaient être exclus.

    168

    Il s’ensuit que la Commission a considéré que les utilisations approuvées des substances actives en cause en l’espèce ne satisfaisaient plus aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009 et, en particulier, au point 3.8.3 de l’annexe II de ce règlement, en vertu duquel une substance active n’est approuvée que s’il est établi que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active, dans les conditions d’utilisation proposées, entraînera une exposition négligeable des abeilles ou n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeille et le comportement des abeilles.

    169

    S’agissant du principe de proportionnalité, il importe de relever que l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 n’impose pas de formes ou de modalités particulières pour en assurer le respect.

    170

    Le constat du Tribunal, selon lequel l’envergure et la forme de l’examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’inaction relèvent du pouvoir d’appréciation de la Commission, ne méconnaît ni l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 ni, par ailleurs, le principe de proportionnalité qui, ainsi qu’il a été relevé au point 166 du présent arrêt, est incorporé dans ladite disposition.

    171

    Il convient de souligner, à cet égard, que l’évaluation que la Commission effectue dans le cadre d’un réexamen fondé sur l’article 21 du règlement no 1107/2009, lu en combinaison avec le point 3.8.3 de l’annexe II du même règlement, porte sur une analyse des risques que l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique contenant l’une des substances visées entraînera, notamment, pour la survie et le développement des colonies d’abeilles.

    172

    Il s’ensuit que Bayer CropScience ne saurait prétendre que le Tribunal a commis une erreur de droit en se référant à la large marge d’appréciation dont dispose la Commission lorsque cette dernière décide d’effectuer outre cette évaluation des risques, qui seule est prescrite par le cadre réglementaire susmentionné, également un examen des avantages et des charges résultant de son action ou de son inaction.

    173

    En tout état de cause, il convient de constater que, contrairement à ce qu’a fait valoir Bayer CropScience, le Tribunal ne s’est pas satisfait de ce que la Commission avait pris connaissance des effets susceptibles d’être induits par l’action envisagée. En effet, la Commission a, ainsi qu’il est indiqué au point 461 de l’arrêt attaqué, établi une comparaison entre les conséquences positives ou négatives les plus probables de l’action envisagée et celles de l’inaction en termes de coût global pour l’Union.

    174

    Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 463 à 466 de l’arrêt attaqué, la Commission avait pu mesurer l’impact sur l’agriculture et sur l’environnement des mesures faisant l’objet du règlement litigieux eu égard, d’une part, au fait qu’il était possible, si cela devait se révéler nécessaire, d’accorder au niveau national des autorisations dérogatoires pour des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées et, d’autre part, au fait que, dans certains États membres, l’agriculture avait, dans le passé, pu fonctionner de manière satisfaisante sans avoir recours à des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées et sans que cette circonstance ait des effets négatifs sur l’environnement.

    175

    Enfin, il ressort des points 468 à 470 de l’arrêt attaqué que, s’il est vrai que, compte tenu du système instauré par le règlement no 1107/2009 dans lequel la Commission est compétente pour approuver les substances actives à l’échelle de l’Union, alors que les États membres sont compétents pour autoriser des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives approuvées, il était impossible à la Commission de déterminer, pour l’ensemble de l’Union, dans quelle mesure, pour quelles utilisations et pour quelles cultures les agriculteurs disposaient de produits alternatifs à ceux contenant les substances visées, il n’en demeure pas moins que la Commission avait une connaissance des substances actives pouvant remplacer les substances visées par le règlement litigieux.

    176

    Dans ces conditions et à supposer même que la Commission ait, dans le cadre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, une obligation autonome d’effectuer une analyse tenant spécifiquement compte des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action, il échet de constater que les arguments avancés par Bayer CropScience ne sauraient, en tout état de cause, prospérer.

    177

    Par conséquent, il y a lieu d’écarter le sixième moyen comme étant non fondé.

    178

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté.

    VI. Sur les dépens

    179

    Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

    180

    Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

    181

    La Commission, l’UNAF, le Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund, l’Österreichischer Erwerbsimkerbund, PAN Europe, Bee Life, Buglife et Greenpeace ayant conclu à la condamnation des requérantes et ces dernières ayant succombé, il y a lieu de condamner les requérantes aux dépens desdites parties. Le Royaume de Suède n’ayant pas conclu sur les dépens, il supportera ses propres dépens.

    182

    Aux termes de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure, lorsqu’elle n’a pas, elle‑même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens.

    183

    L’AGPM, l’ECPA, Rapool-Ring Qualitätsraps deutscher Züchter et l’ESA, qui avaient la qualité de parties intervenantes en première instance, n’ont pas participé à la procédure devant la Cour. En revanche, la NFU et l’Agricultural Industries Confederation, ayant participé à la procédure de pourvoi et ayant succombé en leurs conclusions, supporteront leurs propres dépens.

    184

    Conformément à l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, la Cour peut décider qu’une partie intervenante autre que les États membres, les institutions, les États parties à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), autres que les États membres ou l’Autorité de surveillance AELE supportera ses propres dépens.

    185

    Il y a lieu de faire application de cette disposition et de décider que la Stichting De Bijenstichting supportera ses propres dépens.

     

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

     

    1)

    Le pourvoi est irrecevable pour autant qu’il a été formé par Bayer AG.

     

    2)

    Le pourvoi, pour autant qu’il a été formé par Bayer CropScience AG, est rejeté.

     

    3)

    Bayer CropScience AG et Bayer AG sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), le Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund eV, l’Österreichischer Erwerbsimkerbund, Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), Bee Life European Beekeeping Coordination (Bee Life), Buglife – The Invertebrate Conservation Trust et Stichting Greenpeace Council (Greenpeace).

     

    4)

    The National Farmers’ Union (NFU) et Agricultural Industries Confederation Ltd ainsi que Stichting De Bijenstichting supportent leurs propres dépens.

     

    5)

    Le Royaume de Suède supporte ses propres dépens.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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