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Document 62018CJ0091

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 11 juillet 2019.
Commission européenne contre République hellénique.
Manquement d’État – Droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques – Article 110 TFUE – Directive 92/83/CEE – Directive 92/84/CEE – Règlement (CE) no 110/2008 – Application d’un taux d’accise moins élevé à la fabrication des produits nationaux dénommés tsipouro et tsikoudia.
Affaire C-91/18.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:600

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

11 juillet 2019 ( *1 )

« Manquement d’État – Droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques – Article 110 TFUE – Directive 92/83/CEE – Directive 92/84/CEE – Règlement (CE) no 110/2008 – Application d’un taux d’accise moins élevé à la fabrication des produits nationaux dénommés tsipouro et tsikoudia »

Dans l’affaire C‑91/18,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 8 février 2018,

Commission européenne, représentée par Mmes A. Kyratsou et F. Tomat, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République hellénique, représentée par Mmes M. Tassopoulou et D. Tsagkaraki, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda et A. Kumin (rapporteur), juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent :

en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO 1992, L 316, p. 21), lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, ainsi qu’en vertu de l’article 110 TFUE, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui applique un taux d’accise réduit de 50 % par rapport au taux national normal au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les entreprises de distillation, dites « distillatrices systématiques », alors que les boissons alcoolisées importées d’autres États membres sont soumises au taux d’accise normal, et

en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci et avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées (JO 1992, L 316, p. 29), ainsi qu’en vertu de l’article 110 TFUE, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui applique, aux conditions prévues par cette législation, un taux d’accise fortement réduit au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels », alors que les boissons alcoolisées importées d’autres États membres sont soumises au taux d’accise normal.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2

Les seizième, dix-septième et vingtième considérants de la directive 92/83 sont libellés comme suit :

« considérant qu’il convient d’autoriser des États membres à appliquer des taux d’accises réduits ou des exonérations pour certains produits régionaux ou traditionnels ;

considérant que, dans les cas où les États membres sont autorisés à appliquer des taux réduits, ces taux ne doivent pas conduire à des distorsions de concurrence dans le cadre du marché intérieur ;

[...]

considérant, cependant, qu’il convient d’autoriser les États membres à appliquer des exonérations en fonction des utilisations finales sur leur territoire ».

3

L’article 19 de cette directive prévoit :

« 1.   Les États membres appliquent une accise à l’alcool éthylique conformément à la présente directive.

2.   Les États membres fixent leurs taux d’accises conformément à la directive 92/84/CEE. »

4

L’article 20 de la directive 92/83 énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par alcool éthylique :

tous les produits qui ont un titre alcoométrique acquis excédant 1,2 % vol et qui relèvent des codes NC 2207 et 2208, même lorsque ces produits font partie d’un produit relevant d’un autre chapitre de la nomenclature combinée,

[...] »

5

L’article 21 de cette directive dispose :

« L’accise sur l’alcool éthylique est fixée par hectolitre d’alcool pur à 20 °C et est calculée par référence au nombre d’hectolitres d’alcool pur. Sous réserve de l’article 22, les États membres appliquent le même taux d’accise à tous les produits soumis à l’accise sur l’alcool éthylique. »

6

L’article 22 de ladite directive précise :

« 1.   Les États membres peuvent appliquer des taux d’accises réduits à l’alcool éthylique produit par de petites distilleries dans les limites suivantes :

les taux réduits, qui peuvent descendre en dessous du taux minimal, ne sont pas appliqués aux entreprises produisant plus de 10 hectolitres d’alcool pur par an. Toutefois, les États membres qui, au 1er janvier 1992, appliquaient des taux réduits aux entreprises produisant entre 10 et 20 hectolitres d’alcool pur par an peuvent continuer à le faire,

les taux réduits ne sont pas inférieurs de plus de 50 % au taux national normal de l’accise.

2.   Aux fins de l’application des taux réduits, on entend par petite distillerie : une distillerie qui est juridiquement et économiquement indépendante de toute autre distillerie et qui ne produit pas sous licence

[...]

4.   Les États membres peuvent prévoir des dispositions aux termes desquelles l’alcool produit par de petits producteurs est mis en libre pratique dès son obtention (à condition que ceux-ci n’aient effectué eux-mêmes aucune transaction intracommunautaire) sans être soumis au régime de l’entrepôt fiscal, et est imposé forfaitairement et définitivement.

[...] »

7

L’article 23 de la même directive énonce :

« Les États membres suivants peuvent appliquer des taux réduits, pouvant être inférieurs au taux minimal, mais non inférieurs de plus de 50 % au taux d’accise national normal sur l’alcool éthylique pour les produits suivants :

[...]

2)

La République hellénique, en ce qui concerne la boisson spiritueuse anisée définie dans le règlement (CEE) no 1576/89 [du Conseil, du 29 mai 1989, établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses (JO 1989, L 160, p. 1)], qui est incolore et a une teneur en sucre égale ou inférieure à 50 grammes par litre et dans laquelle l’alcool aromatisé par distillation dans des alambics traditionnels discontinus en cuivre, d’une capacité égale ou inférieure à 1000 litres, doit représenter au moins 20 % du titre alcoométrique acquis du produit final. »

8

Le règlement no 1576/89 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement no 1576/89 (JO 2008, L 39, p. 16).

9

L’article 4 du règlement no 110/2008 prévoit :

« Les boissons spiritueuses sont classées en catégories selon les définitions figurant à l’annexe II. »

10

Aux termes de l’annexe II de ce règlement :

« [...]

6.

Eau-de-vie de marc de raisin ou marc

a)

L’eau-de-vie de marc de raisin ou marc est une boisson spiritueuse qui répond aux conditions suivantes :

i)

elle est obtenue exclusivement à partir de marc de raisin fermenté et distillé soit directement par la vapeur d’eau, soit après adjonction d’eau ;

ii)

une quantité de lie peut être ajoutée au marc de raisin, mais elle ne peut être supérieure à 25 kg de lies par 100 kg de marc de raisin utilisé ;

iii)

la quantité d’alcool obtenue à partir de la lie ne peut être supérieure à 35 % de la quantité totale d’alcool dans le produit fini ;

iv)

la distillation est réalisée en présence du marc en tant que tel à moins de 86 % vol ;

v)

la redistillation à ce même titre alcoométrique est autorisée ;

vi)

elle a une teneur en substances volatiles égale ou supérieure à 140 grammes par hectolitre d’alcool à 100 % vol et une teneur maximale en méthanol de 1000 grammes par hectolitre d’alcool à 100 % vol.

b)

Le titre alcoométrique minimal de l’eau-de-vie de marc de raisin ou marc est de 37,5 %.

c)

Il n’y a aucune adjonction d’alcool telle que définie à l’annexe I, point 5), dilué ou non.

d)

L’eau-de-vie de marc de raisin ou marc ne doit pas être aromatisée. Cela n’exclut pas les méthodes de production traditionnelles.

e)

L’eau-de-vie de marc de raisin ou marc ne peut être additionnée que de caramel afin d’en adapter la coloration.

[...]

28.

Anis

a)

L’anis est la boisson spiritueuse anisée dont l’arôme caractéristique provient exclusivement de l’anis vert (Pimpinella anisum L.) et/ou de l’anis étoilé (Illicium verum Hook f.) et/ou du fenouil (Foeniculum vulgare Mill.).

b)

Le titre alcoométrique volumique minimal de l’anis est de 35 %.

c)

Seules les substances et préparations aromatisantes naturelles définies à l’article 1er, paragraphe 2, point b) sous i), et à l’article 1er, paragraphe 2, point c), de la directive 88/388/CEE peuvent être utilisées dans la préparation de l’anis.

29.

Anis distillé

a)

L’anis distillé est un anis qui contient de l’alcool distillé en présence des graines visées dans la catégorie 28, point a), et, dans le cas des indications géographiques, de mastic ainsi que d’autres herbes, plantes ou fruits aromatiques, dans une proportion minimale de 20 % du titre alcoométrique de l’anis distillé.

b)

Le titre alcoométrique volumique minimal de l’anis distillé est de 35 %.

c)

Seules les substances et préparations aromatisantes naturelles définies à l’article 1er, paragraphe 2, point b) sous i), et à l’article 1er, paragraphe 2, point c), de la directive 88/388/CEE peuvent être utilisées dans la préparation de l’anis distillé.

[...] »

11

Selon l’article 15, paragraphe 2, dudit règlement, les indications géographiques des boissons spiritueuses sont enregistrées à l’annexe III de celui-ci. Les points 6 et 29 de cette annexe sont rédigés comme suit :

« Catégorie de produits

Indication géographique

Pays d’origine (l’origine géographique précise est décrite dans la fiche technique)

 

 

 

6. Eau-de-vie de marc de raisin

 

 

 

Marc de Champagne/Eau-de-vie de marc de Champagne

France

 

[...]

[...]

 

Aguardente Bagaceira Bairrada

Portugal

 

[...]

[...]

 

Orujo de Galicia

Espagne

 

Grappa

Italie

 

[...]

[...]

 

Τσικουδιά /Tsikoudia

Grèce

 

Τσικουδιά Κρήτης/Tsikoudia de Crête

Grèce

 

Τσίπουρο /Tsipouro

Grèce

 

Τσίπουρο Μακεδονίας/Tsipouro de Macédoine

Grèce

 

Τσίπουρο Θεσσαλίας/Tsipouro de Thessalie

Grèce

 

Τσίπουρο Τυρνάβου/Tsipouro de Tyrnavos

Grèce

 

Eau-de-vie de marc de marque nationale luxembourgeoise

Luxembourg

 

Ζιβανία/Τζιβανία/Ζιβάνα/Zivania

Chypre

 

Törkölypálinka

Hongrie

[...]

 

 

29. Anis distillé

 

 

 

Ouzo/ Ούζο

Chypre, Grèce

 

Ούζο Μυτιλήνης/Ouzo de Mytilène

Grèce

 

Ούζο Πλωμαρίου/Ouzo de Plomari

Grèce

 

Ούζο Καλαμάτας/Ouzo de Kalamata

Grèce

 

Ούζο Θράκης/Ouzo de Thrace

Grèce

 

Ούζο Μακεδονίας/Ouzo de Macédoine

Grèce»

12

L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 92/84 dispose :

« À partir du 1er janvier 1993, le taux minimal de l’accise sur l’alcool [...] est fixé à 550 [euros] par hectolitre d’alcool pur. »

Le droit grec

13

L’article 4, paragraphe 3, sous b), de la loi 3845/2010 (FEK A’65/6.5.2010) dispose :

« Il est appliqué un droit d’accise sur l’alcool éthylique à un taux réduit de cinquante pour cent (50 %), par rapport au taux normal en vigueur, à l’alcool éthylique destiné à la fabrication de l’ouzo ou contenu dans le tsipouro et la tsikoudia. Ce taux réduit est fixé à mille deux cent vingt-cinq (1225) euros par hectolitre d’alcool éthylique anhydre. »

14

L’article 82 de la loi 2960/2001 (FEK A’265/22.11.2001), telle que modifiée par la loi 2969/2001 (FEK A’281/18.12.2001), intitulé « Imposition du tsipouro ou de la tsikoudia des distillateurs “occasionnels” de première catégorie », est rédigé comme suit :

« 1.   Le tsipouro et la tsikoudia fabriqués à partir d’eau-de-vie de marc de raisin et d’autres substances autorisées par de petits distillateurs (occasionnels), conformément à l’article 7, paragraphe E, de la loi 2969/2001, sont soumis à une taxation forfaitaire de cinquante-neuf cents d’euros (0,59) par kilogramme de produit fini.

2.   Le paiement de la taxe s’effectue lors de l’émission de l’autorisation de distillation, sur la base de la déclaration du bénéficiaire concernant la quantité du marc de raisin ou d’autres substances autorisées qu’il entend utiliser et de la quantité du tsipouro ou de la tsikoudia qu’il va produire.

3.   La mise à la consommation du produit susmentionné s’effectue sans restriction de lieu ou de temps, moyennant l’émission des documents fiscaux prévus par la loi. »

15

L’article 7, paragraphe E, points 1, 3 et 8, de la loi 2969/2001 dispose :

« 1)

Les viticulteurs et les producteurs des autres substances visées au paragraphe 2 sont autorisés à distiller les matières premières de leur production [...] durant une période de deux mois définie entre le 1er août de chaque année au 31 juillet de l’année suivante pour chaque municipalité ou unité municipale ou commune par le chef de la région douanière concernée. [...]

[...]

3)

Pour la distillation, il est exigé une autorisation délivrée par le bureau des douanes dans le ressort duquel est installé l’alambic qui servira à la distillation. Cette durée ne peut dépasser au maximum pour chaque producteur huit périodes de 24 heures, successives ou séparées, et dépend de la quantité des matières premières destinées à distillation. [...]

[...]

8)

Le produit fini est mis à la consommation par les producteurs eux-mêmes ou par les acheteurs, avec les documents fiscaux prévus par le code des livres et des registres, en vrac, dans des récipients en verre sans aucune forme de normalisation. Si le producteur distribue lui-même le produit, celui-ci est accompagné de l’autorisation de distillation et du reçu de paiement du droit d’accise. »

La procédure précontentieuse

16

La Commission a été saisie d’une plainte visant les taux d’accises applicables en vertu de la législation grecque aux boissons alcoolisées dénommées tsipouro et tsikoudia. Après avoir procédé à l’examen de cette plainte, la Commission a, le 28 octobre 2011, adressé à la République hellénique une lettre de mise en demeure lui indiquant qu’elle avait manqué à ses obligations en vertu, d’une part, des directives 92/83 et 92/84, et, d’autre part, de l’article 110 TFUE.

17

La République hellénique a répondu par lettre du 11 avril 2012, faisant part à la Commission, notamment, de son intention de modifier la législation nationale concernant les petits distillateurs.

18

À défaut d’informations concernant les modifications législatives annoncées, requises par une lettre du 20 juin 2012 adressée à la République hellénique, la Commission a envoyé, le 27 septembre 2013, une lettre de mise en demeure complémentaire à laquelle la République hellénique a répondu le 11 avril 2014.

19

Ne s’estimant pas satisfaite de la réponse de la République hellénique, la Commission a, le 25 septembre 2015, adressé un avis motivé à cet État membre, dans lequel elle maintenait les reproches exprimés dans ses lettres de mise en demeure et de mise en demeure complémentaire. Elle invitait ledit État membre à prendre les mesures requises pour se conformer à l’avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

20

Dans sa réponse du 21 janvier 2016, la République hellénique a indiqué son intention de procéder à une modification de la législation nationale existante, d’une part, en étendant le taux d’accise réduit de 50 % par rapport au taux national normal pour le tsipouro et la tsikoudia aux autres eaux-de-vie de marc de raisin provenant d’autres États membres, d’autre part, en ce qui concerne la fabrication du tsipouro et de la tsikoudia par les petits distillateurs, en appliquant ce taux d’accise réduit de 50 % tout en limitant la production à 120 kilogrammes par an et par producteur et en la destinant uniquement à une consommation privée, toute commercialisation étant interdite.

21

Le 11 février 2016, la Commission a indiqué à la République hellénique que ce projet législatif ne saurait répondre aux obligations qui lui incombent en vertu, d’une part, des directives 92/83 et 92/84, et, d’autre part, de l’article 110 TFUE.

22

N’ayant reçu aucune information supplémentaire de la part de la République hellénique, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

23

À l’appui de son recours, la Commission avance deux griefs, tirés de la violation, d’une part, des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci, ainsi que de l’article 110 TFUE et, d’autre part, des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci et avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84, ainsi que de l’article 110 TFUE.

Sur le premier grief, tiré de la violation des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci, ainsi que de l’article 110 TFUE

Argumentation des parties

24

Le premier grief de la Commission comporte deux branches.

25

Par la première branche de ce grief, la Commission fait valoir que la législation grecque sur les accises applicable au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les entreprises de distillation, dites « distillatrices systématiques », n’est pas compatible avec les articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci.

26

À cet égard, la Commission fait valoir que, selon les articles 19 et 21 de la directive 92/83, la République hellénique est tenue d’appliquer le taux d’accise normal au tsipouro et à la tsikoudia, et non pas un taux réduit de 50 % par rapport à ce taux. Toute exception à ce principe ne saurait être admise que si elle est permise de manière explicite par le droit de l’Union. Or, l’article 23 de cette directive n’admettrait d’exceptions que pour deux produits, dont le tsipouro et la tsikoudia ne font pas partie.

27

Une interprétation extensive de l’article 23 de la directive 92/83, qui constitue une disposition dérogatoire, serait exclue. En effet, conformément au règlement no 1576/89, remplacé par le règlement no 110/2008, le tsipouro et la tsikoudia appartiendraient à une catégorie de boissons spiritueuses totalement différente de celle dont relève l’ouzo, visé à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83. Si la République hellénique est convaincue que, au regard de la similitude des produits en cause, le tsipouro et la tsikoudia devraient être inclus dans la disposition dérogatoire que constitue l’article 23 de cette directive au même titre que l’ouzo, elle devrait entamer les démarches requises à cette fin au niveau législatif.

28

Dans ce contexte, la Commission relève, en outre, que, selon une jurisprudence de la Cour, le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention de permettre aux États membres, de manière discrétionnaire, d’instaurer des régimes dérogatoires à ceux prévus par la directive 92/83 (arrêt du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014:253, point 35).

29

Dans le cadre de la seconde branche du premier grief, la Commission reproche à la République hellénique de ne pas avoir respecté ses obligations issues tant de l’article 110, premier alinéa, TFUE que de l’article 110, second alinéa, TFUE.

30

En ce qui concerne l’article 110, premier alinéa, TFUE, prévoyant qu’« [a]ucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d’impositions [...] supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires », la Commission avance que la notion de similitude doit être interprétée de manière extensive.

31

À cet égard, la Commission soutient que, afin d’apprécier la similitude de deux produits, il y a lieu d’examiner notamment leurs caractéristiques objectives. Or, les caractéristiques énumérées à l’annexe II, point 6, du règlement no 110/2008, relatives aux eaux-de-vie de marc de raisin ou marc, seraient celles auxquelles répondent également le tsipouro et la tsikoudia. Ainsi, ces deux produits seraient similaires au moins à toutes les boissons spiritueuses importées qui font partie de la catégorie « eaux-de-vie de marc de raisin ou marc », au sens du règlement no 110/2008.

32

Dans ce contexte, la Commission précise que, selon elle, la manière dont une boisson est consommée ne saurait être considérée comme un critère de distinction de deux boissons, les habitudes des consommateurs étant variables et ne présentant donc pas la qualité d’un critère immuable.

33

En ce qui concerne l’article 110, second alinéa, TFUE, selon lequel « aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres productions », la Commission considère que cette disposition interdit toute forme de protectionnisme fiscal indirect dans le cas de produits importés qui, bien qu’ils ne soient pas similaires à des produits nationaux, se trouvent néanmoins dans un rapport de concurrence, même partielle, indirecte ou potentielle avec certains d’entre eux.

34

À cet égard, la Commission souligne que le tsipouro et la tsikoudia peuvent se trouver dans un rapport de concurrence avec des boissons spiritueuses telles que le whisky, le gin et la vodka.

35

Finalement, la Commission relève que, selon elle, la vente de boissons spiritueuses importées en Grèce a diminué depuis l’année 2010 par rapport à celle des boissons spiritueuses de production nationale, ce fait prouvant l’effet protecteur de la législation grecque sur les accises visée par le présent recours.

36

La République hellénique admet, premièrement, en ce qui concerne l’allégation de la Commission selon laquelle la législation grecque sur les accises applicable au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les entreprises de distillation, dites « distillatrices systématiques », n’est pas compatible avec les articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, que l’ouzo ainsi que le tsipouro et la tsikoudia appartiennent, selon le règlement no 110/2008, à des catégories différentes de boissons alcoolisées, à savoir l’ouzo à la catégorie « anis distillé » et le tsipouro ainsi que la tsikoudia à la catégorie « eau-de-vie de marc de raisin ou marc ».

37

Selon la République hellénique, ce fait ne signifie cependant pas nécessairement que ces boissons spiritueuses possèdent des caractéristiques et des qualités différentes. Ainsi, l’application du même taux d’accise réduit de 50 % au tsipouro et à la tsikoudia ainsi qu’à l’ouzo pourrait être fondée sur l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83, nonobstant le fait que cette dernière disposition doit être interprétée de manière stricte.

38

Au soutien de son approche, la République hellénique avance que l’interprétation de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83 doit être effectuée à la lumière des exigences issues de normes de droit de rang supérieur, en l’occurrence celles posées à l’article 110 TFUE. Or, cette disposition de droit primaire aurait pour objet d’interdire toute discrimination fiscale.

39

Écartant l’argument de la Commission selon lequel l’article 110 TFUE vise à protéger les produits en provenance d’autres États membres tandis que le produit auquel la République hellénique fait référence dans le cadre de son examen de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83 est l’ouzo, de production nationale, cet État membre rejette également le reproche de la Commission de ne pas avoir respecté ses obligations issues de l’article 110 TFUE.

40

Ainsi, la République hellénique fait valoir, deuxièmement, que l’article 110, premier alinéa, TFUE, interdisant aux États membres de frapper les produits des autres États membres d’impositions supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires, n’est pas enfreint par la législation grecque sur les accises en cause. En effet, selon cet État membre, le tsipouro et la tsikoudia, aromatisés ou non, diffèrent des autres boissons spiritueuses importées, telles que, non seulement le whisky, le gin ou la vodka, mais également la grappa ou la zivania et, de manière générale, des boissons spiritueuses appartenant à la catégorie de l’eau-de-vie de marc de raisin.

41

Dans ce contexte, la République hellénique relève que les conditions posées à l’annexe II, point 6, du règlement no 110/2008, auxquelles une eau-de-vie de marc de raisin doit répondre, sont rédigées dans des termes très généraux et qu’elles ne décrivent pas les caractéristiques qualitatives essentielles du produit. Ainsi, il ne serait pas tenu compte, notamment, de la matière première utilisée, le marc, ainsi que de la méthode de distillation utilisée qui, toutes deux, ont une influence déterminante sur les caractéristiques organoleptiques de l’eau-de-vie obtenue.

42

Troisièmement, dans le cadre de l’article 110, second alinéa, TFUE, interdisant aux États membres de frapper les produits des autres États membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres productions, la République hellénique conteste également l’existence d’un rapport concurrentiel entre, d’une part, le tsipouro et la tsikoudia, et, d’autre part, d’autres boissons spiritueuses, telles que le whisky, le gin ou la vodka ainsi que celles qui appartiennent à la catégorie de l’eau-de-vie de marc de raisin.

43

Dans ce contexte, la République hellénique rejette finalement les affirmations de la Commission relatives à la diminution de la consommation des boissons spiritueuses importées. À cet égard, elle relève que les années 2010 à 2012 ont été marquées par une période de crise et qu’elles ne sauraient, partant, être prises en compte afin de tirer des conclusions sûres et fiables quant à la consommation des différentes catégories de boissons spiritueuses. Ainsi, le caractère protecteur de la législation fiscale grecque au profit du tsipouro et de la tsikoudia, prétendu par la Commission, ne serait pas prouvé.

Appréciation de la Cour

44

À titre liminaire, il importe de relever que, lorsqu’une question est réglementée exhaustivement de manière harmonisée au niveau de l’Union, toute mesure nationale relative à cette question doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation exhaustive et non pas de celles du traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Commission/France, C‑216/11, EU:C:2013:162, point 27 ainsi que jurisprudence citée, et du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014 :253, point 38).

45

À cet égard, il y a lieu de constater que la directive 92/83 a harmonisé exhaustivement les structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques au sein de l’Union. Ainsi, selon les articles 19 et 21 de cette directive, les États membres fixent, conformément à la directive 92/84, en principe, le même taux d’accise pour tous les produits soumis à l’accise sur l’alcool éthylique, les exceptions, permettant dans certaines conditions aux États membres de fixer ledit taux à un niveau inférieur à celui du taux minimal, étant énoncées de manière précise aux articles 22 et 23 de la directive 92/83 (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014:253, points 38 et 39).

46

Il s’ensuit que, dans son appréciation des griefs avancés par la Commission, la Cour doit se limiter à l’interprétation des directives 92/83 et 92/84.

47

En l’espèce, la législation nationale en cause applique un taux d’accise réduit de 50 % par rapport au taux national normal au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les entreprises de distillation, dites « distillatrices systématiques », alors que les boissons alcoolisées importées d’autres États membres sont soumises au taux d’accise normal.

48

S’agissant de l’exception au principe, résultant des articles 19 et 21 de la directive 92/83, de l’application du même taux d’accise pour tous les produits soumis à l’accise sur l’alcool éthylique prévue à l’article 23 de ladite directive, cette disposition dérogatoire vise, de manière non équivoque, en ce qui concerne la République hellénique, exclusivement une « boisson spiritueuse anisée », à savoir l’ouzo.

49

En tant que disposition dérogatoire posant un régime d’exception au principe général de la fixation des taux d’accises, l’article 23, paragraphe 2, de ladite directive doit être interprété de manière stricte.

50

Or, en ce qui concerne les exonérations ou les réductions des taux d’accises spécifiques prévus par la directive 92/83 pour certaines catégories de boissons, la Cour a déjà jugé que, compte tenu des objectifs de cette directive ainsi que du libellé de son dix-septième considérants faisant référence à l’interdiction de distorsions de concurrence dans le cadre du marché intérieur, le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention de permettre aux États membres, de manière discrétionnaire, d’instaurer des régimes dérogatoires à ceux prévus par la directive 92/83 (arrêt du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014:253, point 35).

51

S’il résulte de ce qui précède que les articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens que le tsipouro et la tsikoudia, ne faisant pas partie, au stade actuel de la législation de l’Union, des produits visés par le régime dérogatoire prévu à l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, sont soumis au même taux d’accise que tous les produits d’alcool éthylique tombant dans le champs d’application de ladite directive, il y a cependant lieu de vérifier si cette interprétation est infirmée par l’appréciation desdites dispositions à la lumière de l’article 110 TFUE. En effet, la République hellénique avance que, selon cette approche, l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83 devrait connaître une interprétation large, incluant le tsipouro et la tsikoudia dans son champ d’application.

52

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 110 TFUE a pour objectif d’assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans des conditions normales de concurrence. À cette fin, cet article vise l’élimination de toute forme de protection pouvant résulter de l’application d’impositions intérieures discriminatoires à l’égard des produits originaires d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2011, Tatu, C‑402/09, EU:C:2011:219, point 34 et jurisprudence citée).

53

Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’article 110, premier alinéa, TFUE vise à garantir la parfaite neutralité des impositions intérieures au regard de la concurrence entre les produits se trouvant déjà sur le marché national et les produits importés (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2011, Tatu, C‑402/09, EU:C:2011:219, point 35 et jurisprudence citée).

54

Il ressort donc de manière claire des termes de l’article 110 TFUE que le principe de neutralité fiscale, invoqué par la République hellénique, se réfère uniquement à l’égalité de traitement entre les produits nationaux et les produits importés. Or, les produits auxquels la République hellénique fait référence dans le cadre de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83, en l’occurrence l’ouzo ainsi que le tsipouro et la tsikoudia, sont des produits de production nationale.

55

Cela étant dit, il y a lieu de rappeler que, même si la Cour a reconnu que le principe de neutralité fiscale peut traduire, dans un contexte différent, le principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 61 et jurisprudence citée), elle a précisé que le principe de neutralité fiscale ne permet pas, en soi, d’étendre le champ d’application d’une exonération. En effet, ce principe est non pas une règle de droit primaire, mais un principe d’interprétation qui doit être appliqué parallèlement au principe selon lequel les exonérations sont d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C‑44/11, EU:C:2012:484, point 45).

56

Or, comme il a été constaté au point 48 du présent arrêt, l’article 23, paragraphe 2, de la directive 92/83 est une disposition de nature dérogatoire qui est claire et précise.

57

L’approche de la République hellénique, visant à interpréter cette disposition, à la lumière de l’article 110 TFUE, de manière large, y incluant le tsipouro et la tsikoudia, doit donc être rejetée.

58

Dans ces conditions, le premier grief doit être accueilli.

Sur le second grief, tiré de la violation des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci et avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84, ainsi que de l’article 110 TFUE

Argumentation des parties

59

Le second grief de la Commission comporte deux branches.

60

Par la première branche de ce grief, la Commission fait valoir que la législation grecque sur les accises applicable au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels », n’est pas compatible avec les articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84.

61

À cet égard, la Commission rappelle que, selon les articles 19 et 21 de la directive 92/83, la République hellénique est tenue d’appliquer, en principe, le même taux d’accise, fixé conformément à la directive 92/84, à tous les produits soumis à l’accise sur l’alcool éthylique. Ce n’est qu’à titre exceptionnel, et dans les limites posées à l’article 22 de cette directive, que les États membres pourraient appliquer des taux d’accises réduits audit alcool lorsque ce dernier est produit par de petites distilleries.

62

La Commission relève que, selon la législation grecque sur les accises en cause, d’une part, le tsipouro et la tsikoudia produits par les petits distillateurs sont soumis à une taxation de 0,59 euro par kilogramme, ce qui correspond à 59 euros par hectolitre. Or, cette taxation serait nettement en deçà des 50 % de la réduction, permise en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 92/83, par rapport au taux national normal minimal de l’accise fixé, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84, à 550 euros par hectolitre d’alcool pur.

63

D’autre part, selon la Commission, ladite législation grecque ne prévoit pas, pour les petites distilleries, dites « occasionnelles », de plafonds de production situés dans les limites fixées à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 92/83, en l’occurrence une production de moins de dix hectolitres d’alcool pur par an.

64

Dans le cadre de la seconde branche du second grief, la Commission reproche à la République hellénique de ne pas avoir respecté, en ce qui concerne sa législation sur les accises applicable au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels », ses obligations émanant tant de l’article 110, premier alinéa, TFUE que celles posées à l’article 110, second alinéa, TFUE. À cet égard, la Commission renvoie à son argumentation exposée aux points 29 à 35 du présent arrêt.

65

La République hellénique observe que les petits distillateurs, dits « occasionnels », du tsipouro et de la tsikoudia opèrent dans un cadre national spécifique qui tient compte d’une pratique traditionnelle de longue date. La vente du tsipouro et de la tsikoudia, produits dans des appareils extrêmement simples, se ferait uniquement en vrac, de particulier à particulier, et n’aurait jamais fait l’objet de transactions intracommunautaires.

66

En ce qui concerne la taxe appliquée, ponctuelle et forfaitaire, telle que prévue à l’article 22, paragraphe 4, de la directive 92/83, elle revêtirait un caractère symbolique, son objectif étant principalement celui de contrôler le respect du cadre très strict dans lequel les petits distillateurs, dits « occasionnels », sont tenus d’agir.

67

Dans ce contexte, la République hellénique fait, en outre, référence au procès-verbal du Conseil « Ecofin » du 19 octobre 1992, selon lequel les États membres qui exonèrent traditionnellement la production de petites quantités d’alcool destinées à la consommation privée peuvent continuer à appliquer ces exonérations.

Appréciation de la Cour

68

Ainsi qu’il a été rappelé au point 45 du présent arrêt, les structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques sont harmonisées au sein de l’Union, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les États membres peuvent fixer le taux d’accise à un niveau inférieur à celui du taux minimal. Par conséquent, le second grief doit être examiné uniquement au regard des dispositions des directives 92/83 et 92/84 faisant l’objet de sa première branche.

69

La Commission fait valoir que la législation grecque sur les accises prévoit pour le tsipouro et la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels », une taxation de 59 euros par hectolitre qui est nettement en deçà des 50 % de réduction, permise en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 92/83, par rapport au taux national normal minimal de l’accise fixé, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84, à 550 euros par hectolitre d’alcool pur.

70

À l’égard de cette argumentation, il convient de rappeler, tout d’abord, qu’il est constant que les taux minimaux d’accise sur l’alcool éthylique, prévus aux articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 3 de la directive 92/84, ne sont pas respectés par la législation grecque sur les accises en ce qui concerne le tsipouro et la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels ».

71

Il y a lieu de relever, ensuite, que, certes, la directive 92/83 prévoit des exonérations ou des réductions des taux d’accises spécifiques en ce qui concerne certaines catégories de boissons ou certains États membres. Cependant, compte tenu des objectifs de cette directive ainsi que du libellé de son dix-septième considérant, rappelant que d’éventuels taux réduits ne doivent pas conduire à des distorsions de concurrence dans le cadre du marché intérieur, il y a lieu de conclure que le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention de permettre aux États membres, de manière discrétionnaire, d’instaurer des régimes dérogatoires à ceux prévus par la directive 92/83.

72

Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, s’agissant des effets des exonérations de petites quantités d’alcool éthylique sur le marché intérieur, lorsqu’une question est réglementée de manière harmonisée au niveau de l’Union, toute mesure nationale relative à cette question doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014:253, point 38 et jurisprudence citée).

73

Dans ce contexte, les directives 92/83 et 92/84 fixent les taux minimaux d’accises sur l’alcool éthylique sans conditionner l’application de ceux-ci à l’effet que la production et la consommation privée de cet alcool pourraient avoir sur le marché. Partant, l’argumentation de la République hellénique selon laquelle la vente du tsipouro et de la tsikoudia, de particulier à particulier, n’aurait jamais fait l’objet de transactions intracommunautaires est dépourvue de pertinence.

74

En ce qui concerne, enfin, l’argumentation de la République hellénique selon laquelle les petits distillateurs, dits « occasionnels », du tsipouro et de la tsikoudia opèrent dans un cadre national spécifique qui tient compte d’une pratique traditionnelle de longue date, il y a lieu de souligner que, même si le seizième considérant de la directive 92/83 prévoit que les États membres sont autorisés à appliquer des taux d’accises réduits ou des exonérations pour certains produits régionaux ou traditionnels, cela ne signifie pas pour autant qu’une tradition nationale, puisse, en soi, exonérer lesdits États membres de leurs obligations découlant du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014:253, point 44 et jurisprudence citée).

75

Dans un souci d’exhaustivité, il reste à préciser qu’une déclaration contenue dans un procès-verbal d’un Conseil « Ecofin » ne saurait mettre en question l’analyse effectuée aux points 71 à 74 du présent arrêt. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que des déclarations formulées au stade des travaux préparatoires, aboutissant à l’adoption d’une directive, ne sauraient être retenues pour l’interprétation de celle-ci, lorsque leur contenu ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et qu’elles n’ont, dès lors, aucune portée juridique (arrêt du 10 avril 2014, Commission/Hongrie, C‑115/13, non publié, EU:C:2014:253, point 36 et jurisprudence citée).

76

Il découle de ce qui précède que, en adoptant et en appliquant une législation prévoyant que, dans les conditions qu’elle définit, la production du tsipouro et de la tsikoudia effectuée par les petits distillateurs, dits « occasionnels », est soumise à un taux d’accise de 59 euros par hectolitre, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci et avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84.

77

Il résulte de ces éléments que le second grief doit être accueilli.

78

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent :

en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui applique un taux d’accise réduit de 50 % par rapport au taux national normal au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les entreprises de distillation, dites « distillatrices systématiques », et

en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci et avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui applique, aux conditions prévues par cette législation, un taux d’accise fortement réduit au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels ».

Sur les dépens

79

En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

 

1)

La République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent :

en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques, lus en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui applique un taux d’accise réduit de 50 % par rapport au taux national normal au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les entreprises de distillation, dites « distillatrices systématiques », et

en vertu des articles 19 et 21 de la directive 92/83, lus en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/84/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées, en adoptant et en maintenant en vigueur une législation qui applique, aux conditions prévues par cette législation, un taux d’accise fortement réduit au tsipouro et à la tsikoudia fabriqués par les petits distillateurs, dits « occasionnels ».

 

2)

La République hellénique est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le grec.

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