EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62015TJ0262

Arrêt du Tribunal (neuvième chambre) du 15 juin 2017.
Dmitrii Konstantinovich Kiselev contre Conseil de l'Union européenne.
Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Personne physique soutenant activement des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’Ukraine – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Liberté d’expression – Proportionnalité – Droits de la défense.
Affaire T-262/15.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2017:392

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

15 juin 2017 ( *1 )

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Personne physique soutenant activement des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’Ukraine – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Liberté d’expression – Proportionnalité – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑262/15,

Dmitrii Konstantinovich Kiselev, demeurant à Korolev (Russie), représenté par MM. J. Linneker, solicitor, T. Otty, barrister, et B. Kennelly, QC,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux et J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2015/432 du Conseil, du 13 mars 2015, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2015, L 70, p. 47), et du règlement d’exécution (UE) 2015/427 du Conseil, du 13 mars 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2015, L 70, p. 1), deuxièmement, de la décision (PESC) 2015/1524 du Conseil, du 14 septembre 2015, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2015, L 239, p. 157), et du règlement d’exécution (UE) 2015/1514 du Conseil, du 14 septembre 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2015, L 239, p. 30), troisièmement, de la décision (PESC) 2016/359 du Conseil, du 10 mars 2016, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2016, L 67, p. 37), et du règlement d’exécution (UE) 2016/353 du Conseil, du 10 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2016, L 67, p. 1), en ce que ces actes visent le requérant,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. G. Berardis (rapporteur), président, Mme V. Tomljenović et M. D. Spielmann, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

Faits à l’origine du litige

1

Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

2

À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

3

Par la décision d’exécution 2014/151/PESC du Conseil, du 21 mars 2014, mettant en œuvre la décision 2014/145 (JO 2014, L 86, p. 30), et par le règlement d’exécution (UE) no 284/2014 du Conseil, du 21 mars 2014, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2014, L 86, p. 27), le nom du requérant, M. Dmitrii Konstantinovich Kiselev, a été inscrit sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives prévues par lesdits règlement et décision (ci-après les « listes en cause ») aux motifs suivants :

« Nommé le 9 décembre 2013, par décret présidentiel, directeur de l’agence de presse nationale de la Fédération de Russie ‘Rossiya Segodnya’. Figure centrale de la propagande gouvernementale soutenant le déploiement de forces russes en Ukraine. »

4

Par la suite, le Conseil a adopté, le 25 juillet 2014, la décision 2014/499/PESC, modifiant la décision 2014/145 (JO 2014, L 221, p. 15), et le règlement (UE) no 811/2014, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2014, L 221, p. 11), afin notamment d’adapter les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes peuvent être visés par les mesures restrictives en cause.

5

L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2014/499 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1.   Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)

à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent activement ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques, et à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui leur sont associés ;

[…]

de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2.   Aucun fond ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6

Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

7

L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette même décision.

8

Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement no 811/2014 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite décision.

9

Par lettre du 4 février 2015 (ci-après la « lettre du 4 février 2015 »), le requérant, par le biais de ses avocats, a notamment demandé au Conseil, sur le fondement du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), l’accès aux documents sur lesquels l’inscription de son nom sur les listes en cause avait été fondée.

10

Par lettre du 13 février 2015, adressée aux avocats du requérant, le Conseil a notamment informé celui-ci du fait qu’il avait l’intention de proroger jusqu’au mois de septembre 2015 la durée des mesures restrictives le concernant et l’a invité à présenter des observations à cet égard, au plus tard pour le 26 février 2015.

11

Par lettre du 25 février 2015 (ci-après la « lettre du 25 février 2015 »), le requérant, par le biais des mêmes avocats, a répondu à cette invitation, en faisant valoir que l’adoption de mesures restrictives le concernant n’était pas justifiée.

12

Le 13 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/432, modifiant la décision 2014/145 (JO 2015, L 70, p. 47), et le règlement d’exécution (UE) 2015/427, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2015, L 70, p. 1) (ci-après les « actes de mars 2015 »), par lesquels, après avoir réexaminé chaque désignation, il a maintenu le nom du requérant sur les listes en cause jusqu’au 15 septembre 2015, sans que la motivation concernant le requérant ait été modifiée.

13

Par lettre du 16 mars 2015 (ci-après la « lettre du 16 mars 2015 »), le Conseil a notifié les actes de mars 2015 aux avocats du requérant, en précisant, notamment, que les arguments que ce dernier avait invoqués dans la lettre du 25 février 2015 ne remettaient pas en cause le bien-fondé de la motivation retenue à son égard, dès lors que l’agence de presse nationale de la Fédération de Russie Rossiya Segodnya (ci-après « RS ») avait présenté les événements qui avaient eu lieu en Ukraine sous un jour favorable au gouvernement russe et avait ainsi apporté un soutien à la politique dudit gouvernement concernant la situation en Ukraine.

Procédure et conclusions des parties

14

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2015, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation des actes de mars 2015, en ce que ceux-ci le concernaient.

15

Le 14 septembre 2015, par la décision (PESC) 2015/1524, modifiant la décision 2014/145 (JO 2015, L 239, p. 157), et par le règlement d’exécution (UE) 2015/1514, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2015, L 239, p. 30) (ci-après les « actes de septembre 2015 »), l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée par le Conseil jusqu’au 15 mars 2016, sans que la motivation concernant le requérant ait été modifiée.

16

Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 24 novembre 2015, le requérant, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, a adapté la requête afin de viser également l’annulation des actes de septembre 2015, en ce que ceux-ci le concernaient.

17

Le Conseil a formulé des observations sur ce mémoire par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2016.

18

Le 10 mars 2016, par la décision (PESC) 2016/359, modifiant la décision 2014/145 (JO 2016, L 67, p. 37), et par le règlement d’exécution (UE) 2016/353, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2016, L 67, p. 1) (ci-après les « actes de mars 2016 »), l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée par le Conseil jusqu’au 15 septembre 2016, sans que la motivation concernant le requérant ait été modifiée.

19

Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 20 mai 2016, le requérant a adapté la requête afin de viser également l’annulation des actes de mars 2016, en ce que ceux-ci le concernaient.

20

Le Conseil a formulé des observations sur ce mémoire par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 juin 2016.

21

Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, a posé aux parties des questions en les invitant à y répondre, pour certaines, par écrit ainsi que, pour d’autres, lors de l’audience.

22

Les réponses écrites des parties ont été déposées au greffe du Tribunal dans le délai imparti.

23

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 septembre 2016. À cette occasion, le Tribunal a autorisé le requérant à produire un document, que celui-ci a déposé le lendemain. Le Conseil a présenté ses observations écrites sur ce document le 24 octobre 2016 et le président de la neuvième chambre du Tribunal a ainsi clôturé la phase orale de la procédure le 26 octobre suivant.

24

Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler les actes de mars 2015, de septembre 2015 et de mars 2016 (ci-après les « actes attaqués »), en ce que ceux-ci le concernent ;

condamner le Conseil aux dépens.

25

Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

rejeter les adaptations de la requête ;

condamner le requérant aux dépens.

En droit

26

À l’appui de son recours, le requérant se prévaut de six moyens, tirés, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’application à sa situation du critère de désignation énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 modifié, le deuxième, de la violation du droit à la liberté d’expression, le troisième, de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le quatrième, de la violation de l’obligation de motivation, le cinquième, invoqué à titre subsidiaire, du fait que le critère en cause serait incompatible avec le droit à la liberté d’expression et donc illégal, s’il permettait l’adoption de mesures restrictives à l’égard de journalistes exerçant ce droit et, le sixième, de la violation de l’accord de partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la Fédération de Russie, d’autre part (JO 1997, L 327, p. 3, ci-après l’« accord de partenariat »).

27

Il convient d’examiner, tout d’abord, le sixième moyen, ensuite, le quatrième moyen, puis les premier et deuxième moyens, suivis par le cinquième moyen et, enfin, le troisième moyen.

A – Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’accord de partenariat

28

Le requérant soutient que, lors de l’adoption des mesures restrictives en cause, le Conseil n’a pas tenu compte des exigences de l’accord de partenariat. En particulier, les actes attaqués violeraient l’article 52, paragraphes 1, 5 et 8, de cet accord, qui prévoient, respectivement, l’interdiction des restrictions à la libre circulation des capitaux entre l’Union et la Russie, l’abstention des parties contractantes de l’introduction de nouvelles restrictions après une période transitoire de cinq ans et l’obligation de consulter un Conseil de coopération institué en vertu de l’article 90 du même accord. En outre, le Conseil n’aurait entrepris aucun effort pour justifier les violations de l’accord de partenariat. À cet égard, le requérant souligne que ni la décision 2014/145 ni le règlement no 269/2014, tels que modifiés, ne contiennent de dispositions susceptibles de justifier les mesures restrictives à la lumière de l’article 99, point 1, sous d), de l’accord de partenariat, qui permet aux parties audit accord d’y déroger pour adopter les mesures nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité « en cas de guerre ou de grave tension internationale menaçant de déboucher sur un conflit armé ».

29

Le Conseil conteste les arguments du requérant.

30

À titre liminaire, il convient d’observer que l’article 52, paragraphes 1, 5 et 8, de l’accord de partenariat assure, certes, la libre circulation des capitaux entre l’Union et la Fédération de Russie.

31

Néanmoins, l’article 99, point 1, sous d), du même accord prévoit une exception qui peut être unilatéralement invoquée par une partie pour prendre les mesures qu’elle estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, notamment « en cas de guerre ou de grave tension internationale menaçant de déboucher sur un conflit armé, ou afin de satisfaire à des obligations qu’elle a acceptées en vue d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale ».

32

Premièrement, il y a lieu d’observer que, comme l’a souligné le Conseil, l’accord de partenariat n’impose pas à une partie qui souhaite prendre des mesures sur la base de cette disposition d’informer l’autre partie au préalable, ni de la consulter ou de lui en fournir les raisons.

33

Deuxièmement, en ce qui concerne la situation en Ukraine au moment où les actes attaqués ont été adoptés, il peut être considéré que les actions de la Fédération de Russie constituent un « cas de guerre ou de grave tension internationale menaçant de déboucher sur un conflit armé », au sens de l’article 99, point 1, sous d), de l’accord de partenariat. En considérant l’intérêt qu’ont l’Union et ses États membres à avoir, comme pays voisin, une Ukraine stable, il pouvait être jugé nécessaire d’instituer des mesures restrictives en vue de faire pression sur la Fédération de Russie pour la pousser à mettre un terme à ses activités qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté ou l’indépendance de l’Ukraine. Par ailleurs, de telles mesures peuvent viser « le maintien de la paix et de la sécurité internationale », également mentionné audit article.

34

Partant, il y a lieu de considérer que les mesures restrictives en cause sont compatibles avec les exceptions concernant la sécurité prévues à l’article 99, point 1, sous d), de l’accord de partenariat.

35

Au vu des considérations qui précèdent, le sixième moyen doit être rejeté.

B – Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

36

Le requérant fait valoir que la motivation retenue par le Conseil pour justifier l’inscription et le maintien de son nom sur les listes en cause n’est pas suffisamment précise et concrète. Le caractère vague de cette motivation, à supposer même que celle-ci soit fondée, ne lui permettrait pas de contester utilement les allégations formulées à son égard.

37

Par ailleurs, le requérant soutient que ladite motivation ne peut pas être complétée par les affirmations contenues dans la lettre du 16 mars 2015 (voir point 13 ci-dessus).

38

Le Conseil conteste les arguments du requérant.

39

Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, et à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Partant, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 85 et jurisprudence citée).

40

Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une personne ou d’une entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 86 et jurisprudence citée).

41

Par ailleurs, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 87 et jurisprudence citée).

42

En l’espèce, la motivation retenue à l’égard du requérant dans les actes attaqués coïncide avec celle exposée au point 3 ci-dessus.

43

Il convient de relever que, bien que cette motivation ne précise pas explicitement quel est le critère sur lequel le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur les listes en cause, il résulte de manière suffisamment claire de cette motivation que le Conseil a appliqué le critère énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 modifié, en ce qu’il vise les personnes physiques soutenant activement des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (ci-après le « critère en cause »).

44

En effet, dans la motivation en cause, après avoir rappelé que, par décret présidentiel du 9 décembre 2013, le requérant a été nommé directeur de RS, le Conseil a fait observer que celui-ci était une figure centrale de la propagande gouvernementale russe au soutien du déploiement des forces armées russes en Ukraine.

45

Cette motivation permet donc de comprendre que la raison de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes en cause réside dans le fait que le Conseil a considéré que celui-ci, par son rôle de direction au sein de RS et par ses déclarations en tant que journaliste, avait fait de la propagande favorable aux actions militaires de la Fédération de Russie en Ukraine et figurait donc parmi les personnes soutenant activement des actions ou politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

46

Les observations que le requérant a présentées au Conseil dans la lettre du 25 février 2015 confirment, au demeurant, qu’il avait compris qu’il était visé par les mesures restrictives en cause précisément en raison de son rôle et de sa conduite professionnelle.

47

En ce qui concerne les précisions que le Conseil a fournies dans la lettre du 16 mars 2015, il convient de relever que, ainsi que le fait observer à juste titre ce dernier, cette lettre contenant des motifs complémentaires, intervenue lors d’un échange de documents entre le Conseil et le requérant, peut être prise en considération lors de l’examen de ces actes (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 88).

48

Dès lors, bien qu’il eût été préférable que les motifs complémentaires figurent directement dans les actes attaqués, et non seulement dans la lettre du 16 mars 2015, il y a lieu d’apprécier la motivation des actes attaqués également à la lumière des précisions que le Conseil a apportées dans cette dernière, en réponse à la lettre du 25 février 2015 du requérant, qui ont trait au fait que RS avait présenté les événements qui s’étaient déroulés en Ukraine sous un jour favorable au gouvernement russe et avait ainsi soutenu la politique dudit gouvernement concernant la situation en Ukraine.

49

En tout état de cause, ainsi que le fait valoir à juste titre le Conseil, la lettre du 16 mars 2015 renvoie largement à la motivation des actes attaqués. S’il est vrai que l’objet de la propagande reprochée au requérant et à RS porte généralement sur la politique russe concernant l’Ukraine, cette question est étroitement liée à celle du déploiement des forces russes dans ce pays. Du reste, même avant de recevoir ladite lettre, le requérant avait compris que la propagande en question n’était pas limitée au déploiement des forces russes, dès lors que, dans la lettre du 25 février 2015, il s’était référé, plus généralement, à l’absence d’influence de sa part sur la « situation en Ukraine » et à l’absence de tout lien de causalité entre « toute action russe en Ukraine » et son rôle de directeur et de journaliste.

50

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure, d’une part, que la motivation retenue par le Conseil dans les actes attaqués a permis au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom avait été maintenu sur les listes en cause, et ce d’autant plus qu’il peut être tenu compte également des précisions fournies dans la lettre du 16 mars 2015, et, d’autre part, que le Tribunal est en mesure d’exercer son contrôle sur le bien-fondé de cette motivation.

51

Ainsi, il doit être constaté que le Conseil s’est acquitté de l’obligation de motivation prévue par l’article 296 TFUE.

52

La question de savoir si ladite motivation est fondée ne relève pas de l’appréciation du présent moyen, mais de celle des premier et deuxième moyens. À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

53

Par conséquent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

C – Sur les premier et deuxième moyens, tirés d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’application du critère en cause à la situation du requérant et de la violation du droit à la liberté d’expression

54

Le requérant, après un rappel des principes généraux concernant notamment la portée du contrôle juridictionnel, fait valoir que le Conseil a omis de démontrer, par des éléments de preuve constituant une base factuelle solide, que son cas satisfaisait au critère en cause, qui ne pourrait pas viser tout type de soutien des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité de l’Ukraine. Ce critère devrait respecter le principe de sécurité juridique et être interprété conformément aux dispositions concernant le droit à la liberté d’expression, telles qu’énoncées à l’article 11 de la Charte et à l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

55

En particulier, premièrement, le requérant fait observer que les limitations audit droit doivent être prévues par la loi, dans le respect du principe de sécurité juridique, poursuivre un objectif d’intérêt général et être nécessaires et proportionnées à cet objectif, sans porter atteinte à la substance même de cette liberté et entraver significativement l’activité des journalistes. Les notions de sécurité nationale et de discours de haine seraient également d’interprétation stricte.

56

Deuxièmement, le requérant soutient que le Conseil n’a pas fourni de preuves fiables faisant état d’une propagande de sa part concernant la politique du gouvernement russe en Ukraine.

57

Le Conseil rappelle que le critère en cause vise les personnes physiques qui soutiennent activement les actions ou les politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la stabilité ou la sécurité de l’Ukraine, ce qui serait le cas du requérant. Il ne serait donc pas nécessaire de démontrer que ces personnes sont elles-mêmes responsables de telles actions ou de telles politiques, mais il suffirait que ces personnes apportent un soutien qualitativement ou quantitativement important à cet égard, ce qui serait compatible avec le principe de sécurité juridique.

58

En particulier, premièrement, selon le Conseil, la désignation du requérant sur la base de ce critère ne viole pas le droit à la liberté d’expression, dès lors qu’elle est prévue par la loi, qu’elle répond à l’objectif, couvert par l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, de faire pression sur le gouvernement russe pour qu’il mette fin à ses activités menaçant l’Ukraine et qu’elle n’empêche pas le requérant de poursuivre ses activités journalistiques et d’exprimer ses opinions. Les limitations apportées au droit du requérant seraient donc compatibles avec l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et avec l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH.

59

Deuxièmement, le Conseil fait observer que sa conclusion selon laquelle le requérant est une figure centrale de la propagande soutenant activement la politique du gouvernement russe en Ukraine est fondée sur plusieurs éléments de preuve fiables.

60

Il convient de commencer l’examen de ces arguments par un rappel des principes relatifs au contrôle exercé par le Tribunal ainsi qu’à la nécessité d’interpréter le critère en cause à la lumière du droit primaire, notamment de la liberté d’expression, qui relève de celui-ci.

1. Sur l’étendue du contrôle juridictionnel

61

Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, en ce qui concerne les règles générales définissant les modalités des mesures restrictives, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures de sanctions économiques et financières sur la base de l’article 215 TFUE, conformément à une décision adoptée en vertu du chapitre 2 du titre V du traité UE, en particulier de l’article 29 TUE. Le juge de l’Union ne pouvant substituer son appréciation des preuves, des faits et des circonstances justifiant l’adoption de telles mesures à celle du Conseil, le contrôle exercé par ledit juge doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles de telles mesures sont fondées (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 127 et jurisprudence citée).

62

Cependant, si le Conseil dispose donc d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, points 41 et 45, et du 26 octobre 2015, Portnov/Conseil, T‑290/14, EU:T:2015:806, point 38).

63

C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

2. Sur l’interprétation du critère en cause à la lumière du droit primaire, notamment de la liberté d’expression

64

Il convient de relever que, si le Conseil dispose, certes, d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne la définition des critères en vertu desquels des personnes ou des entités peuvent être visées par des mesures restrictives, ces critères ne peuvent être considérés comme étant conformes à l’ordre juridique de l’Union que dans la mesure où il est possible de leur attribuer un sens compatible avec les exigences des règles supérieures au respect desquelles ils sont soumis (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, sous pourvoi, EU:T:2016:497, point 100).

65

Dès lors, une interprétation de ces critères généraux conformément aux exigences du droit primaire se révèle nécessaire.

66

À cet égard, il doit être observé que le droit à la liberté d’expression fait partie du droit primaire. En effet, la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités, prévoit, à son article 11, ce qui suit :

« 1.   Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

2.   La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »

67

Ce droit n’est pas absolu, dès lors que, selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte :

« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

68

Des dispositions similaires figurent dans la CEDH, visée à l’article 6, paragraphe 3, TUE. En effet, l’article 10 de celle-ci se lit comme suit :

« 1.   Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière […]

2.   L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

69

Selon la jurisprudence, le droit à la liberté d’expression ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte à la liberté d’expression et des médias doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre la liberté d’expression d’une personne doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation en cause ne doit pas être excessive (voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, points 177 à 182 et 184).

70

Ces conditions correspondent, en substance, à celles prévues par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), selon laquelle, pour être justifiée sous l’angle de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH, une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression doit être « prévue par la loi », viser l’un ou plusieurs des buts légitimes énumérés dans cette disposition et être « nécessaire, dans une société démocratique », à la réalisation de ce ou ces buts (Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, point 124). Il s’ensuit que le critère en cause doit être interprété en ce sens que le Conseil pouvait adopter des mesures restrictives susceptibles de limiter la liberté d’expression du requérant, pourvu que ces limitations respectent les conditions, rappelées ci-dessus, qui doivent être réunies pour que cette liberté puisse être légitimement restreinte.

71

Il s’agira donc de vérifier si les mesures restrictives concernant le requérant sont prévues par la loi, visent un objectif d’intérêt général et ne sont pas excessives.

a) Sur la condition selon laquelle toute restriction de la liberté d’expression doit être « prévue par la loi »

72

S’agissant de la question de savoir si les mesures restrictives en cause ont été prévues par la loi, il y a lieu de relever que celles-ci sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposent, premièrement, de bases juridiques claires en droit de l’Union, à savoir l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE, et, deuxièmement, d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant (voir points 42 à 51 ci-dessus) (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée). Cependant, il y a lieu d’établir si le requérant pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le critère en cause, qui se réfère à la notion de « soutien actif », pouvait être appliqué à sa situation, qui était, en principe, protégée par la liberté d’expression.

73

À cet égard, s’il est vrai que les actes attaqués ne contiennent pas de définition précise du concept de « soutien actif », celui-ci ne peut être compris que dans le sens qu’il vise des personnes qui, sans être elles-mêmes responsables des actions et des politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine et sans mettre elles-mêmes en œuvre ces actions ou politiques, fournissent un appui à ces politiques et actions.

74

En outre, il y a lieu de préciser que le critère en cause ne vise pas toute forme d’appui au gouvernement russe, mais vise les formes d’appui qui, par leur importance quantitative ou qualitative, contribuent à la poursuite des actions et des politiques de celui-ci qui déstabilisent l’Ukraine. Interprété, sous le contrôle du juge de l’Union, eu égard à l’objectif consistant à faire pression sur le gouvernement russe afin de le contraindre à mettre fin auxdites actions et politiques, le critère en cause définit ainsi de manière objective une catégorie circonscrite de personnes et d’entités susceptibles de faire l’objet de mesures de gel des fonds (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 119).

75

Lors de l’interprétation de ce critère, il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence de la Cour EDH qui reconnaît l’impossibilité d’atteindre une précision absolue dans la rédaction des lois, surtout dans des domaines où la situation varie selon les opinions prédominantes dans la société, et qui admet que la nécessité d’éviter la rigidité et de s’adapter aux changements de situation implique que de nombreuses lois se servent de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique. La condition selon laquelle la loi doit définir clairement les infractions se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition en cause, au besoin à l’aide de l’interprétation qu’en donnent les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, points 133 et 134).

76

Or, au vu de l’importance du rôle que les médias, surtout ceux qui relèvent de l’audiovisuel, jouent dans la société contemporaine (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 septembre 2009, Manole et autres c. Moldova, CE:ECHR:2009:0917JUD001393602, point 97, et 16 juin 2016, Delfi c. Estonie, CE:ECHR:2015:0616JUD006456909, point 134), il était prévisible qu’un soutien médiatique d’envergure aux actions et aux politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine, apporté, notamment lors d’émissions très populaires, par une personne nommée par décret du président Poutine en tant que directeur de RS, une agence de presse que le requérant lui-même qualifie d’« entreprise unitaire » de l’État russe, puisse être visé par le critère fondé sur le concept de « soutien actif », pour autant que les limitations à la liberté d’expression qui en découlent respectent les autres conditions requises pour que cette liberté puisse être légitimement restreinte.

77

Par ailleurs, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient le requérant, la jurisprudence issue de l’arrêt du 23 septembre 2014, Mikhalchanka/Conseil (T‑196/11 et T‑542/12, non publié, EU:T:2014:801), ne permet pas de conclure que le concept de « soutien actif » ne s’applique au travail d’un journaliste que lorsque les propos de celui-ci ont un impact concret. En effet, ainsi que le fait remarquer à juste titre le Conseil, dans ledit arrêt, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la liberté d’expression, mais a considéré que le Conseil n’avait pas prouvé que le cas du requérant dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était couvert par les critères de désignation prévus par les actes qui étaient en cause. Ces critères visaient notamment les personnes responsables des atteintes aux normes électorales internationales qui avaient marqué l’élection présidentielle organisée en Biélorussie le 19 décembre 2010 et celles responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique dans ledit pays. C’est dans ces circonstances que le Tribunal a jugé que le Conseil n’avait pas communiqué d’éléments de nature à démontrer l’influence, l’impact concret et surtout la responsabilité qu’aurait pu avoir le requérant ainsi que, le cas échéant, le programme télévisé qu’il présentait, dans les atteintes aux normes électorales internationales et dans la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2014, Mikhalchanka/Conseil, T‑196/11 et T‑542/12, non publié, EU:T:2014:801, points 7, 8, 15, 134 et 135).

78

Or, en l’espèce, le critère du « soutien actif », appliqué par le Conseil au requérant, est plus large que ceux, fondés sur la responsabilité, en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2014, Mikhalchanka/Conseil (T‑196/11 et T‑542/12, non publié, EU:T:2014:801). Dès lors, le requérant n’est pas fondé à invoquer ledit arrêt à l’appui de sa thèse selon laquelle le Conseil aurait dû démontrer les effets concrets de ses déclarations.

79

Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la condition selon laquelle les limitations à la liberté d’expression doivent être prévues par la loi est satisfaite en l’espèce.

b) Sur la poursuite d’un objectif d’intérêt général

80

En ce qui concerne la condition relative à la poursuite d’un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, il y a lieu d’observer que, par les mesures restrictives adoptées notamment en application du critère en cause, le Conseil vise à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine, ce qui correspond à l’un des objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

81

En effet, l’adoption de mesures restrictives à l’égard notamment de personnes qui soutiennent activement les actions et les politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine répond à l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies.

82

À cet égard, il convient de souligner, à l’instar du Conseil, que, le 27 mars 2014, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 68/262, intitulée « Intégrité territoriale de l’Ukraine », par laquelle elle a rappelé l’obligation qu’avaient tous les États, aux termes de l’article 2 de la charte des Nations unies, de s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État et de régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques. Elle s’est félicitée des efforts incessants déployés notamment par des organisations internationales et régionales pour désamorcer la situation concernant l’Ukraine. Dans le dispositif de cette résolution, l’Assemblée générale a notamment réaffirmé l’importance de la souveraineté, de l’indépendance politique, de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues et exhorté toutes les parties à chercher immédiatement à régler, par des moyens pacifiques, la situation concernant l’Ukraine, à faire preuve de retenue, à s’abstenir de tout acte unilatéral et de tout discours incendiaire susceptibles d’accroître les tensions et à participer pleinement aux efforts internationaux de médiation.

83

Dès lors, il y a lieu de conclure que la condition relative à la poursuite d’un objectif d’intérêt général est satisfaite en l’espèce.

c) Sur le caractère non excessif des mesures restrictives frappant le requérant

84

En ce qui concerne la condition relative au caractère non excessif des limitations à la liberté d’expression découlant des mesures restrictives en cause, il doit être relevé que celle-ci comporte deux volets : d’une part, ces limitations doivent être nécessaires et proportionnées au but recherché, et, d’autre part, la substance de cette liberté ne doit pas être atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, point 184 et jurisprudence citée).

Sur le caractère nécessaire et proportionné des limitations

85

En premier lieu, s’agissant du caractère nécessaire des limitations en cause, il convient de constater que des mesures restrictives alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs russes responsables de la situation en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 117 et jurisprudence citée).

86

En second lieu, s’agissant du caractère proportionné des limitations en cause, il convient de rappeler la jurisprudence portant sur le principe de proportionnalité et sur les limitations à la liberté d’expression et d’établir comment celles-ci peuvent être appliquées à la situation spécifique du requérant, telle qu’elle résulte des éléments figurant dans le dossier du Conseil.

87

Le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, point 185 et jurisprudence citée).

88

À ce propos, la jurisprudence précise que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée).

89

S’agissant plus précisément des limitations à la liberté d’expression, plusieurs principes peuvent être identifiés dans la jurisprudence de la Cour EDH.

90

Premièrement, celle-ci a relevé que la liberté d’expression constituait l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun et qu’elle protégeait, en principe, non seulement les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi celles qui heurtaient, choquaient ou inquiétaient, et ce afin de garantir le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique. Cette liberté est, certes, assortie d’exceptions, mais celles-ci sont d’interprétation restrictive, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante [Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, point 196, sous i)].

91

Deuxièmement, la Cour EDH a retenu que l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH ne laissait guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. En effet, en principe, les propos se rapportant à de telles questions d’intérêt public appellent une forte protection, au contraire de ceux défendant ou justifiant la violence, la haine, la xénophobie ou d’autres formes d’intolérance, qui ne sont normalement pas protégés. Le discours politique, par nature, est source de polémiques et souvent virulent, mais il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il franchit une limite et dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance (Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, points 197, 230 et 231).

92

Troisièmement, en ce qui concerne le caractère « nécessaire » d’une limitation de la liberté d’expression, la Cour EDH considère que celui-ci implique un besoin social impérieux et qu’il y a lieu d’examiner une ingérence à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants [Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, point 196, sous ii) et iii)].

93

Ces principes constituent, certes, des éléments importants à prendre en considération dans le cas d’espèce. Cependant, il doit être relevé que ceux-ci ne sont applicables que dans la mesure où ils sont pertinents dans le contexte de la présente affaire, qui est caractérisée par des spécificités qui la distinguent de celles qui ont permis à la Cour EDH de développer sa jurisprudence.

94

En effet, il y a lieu de souligner que les principes découlant de la jurisprudence de la Cour EDH ont été établis au regard de situations dans lesquelles une personne ayant tenu des propos ou des actions considérés comme étant inacceptables par un État ayant adhéré à la CEDH se voyait imposer par cet État, où elle était établie, des mesures répressives, souvent de nature pénale, et invoquait la liberté d’expression comme moyen de défense contre ledit État.

95

En revanche, en l’espèce, le requérant est un citoyen russe, résidant en Russie, qui a été nommé par décret du président Poutine en tant que directeur de l’agence de presse RS, qui est une « entreprise unitaire » de l’État russe.

96

Dans l’exercice de ses fonctions de journaliste, qui ne peuvent pas être séparées de celle de directeur de RS, le requérant s’est prononcé, à plusieurs reprises, sur la situation que le gouvernement russe a créée en Ukraine et, selon le Conseil, il a présenté les événements concernant cette situation sous un jour favorable au gouvernement russe.

97

C’est dans un tel contexte que le requérant invoque le droit à la liberté d’expression. Il ne s’agit donc pas de se prévaloir de ce droit comme moyen de défense contre l’État russe, mais pour se prémunir de mesures restrictives, ayant une nature conservatoire, et non pénale, que le Conseil a adoptées afin de réagir aux actions et aux politiques du gouvernement russe qui déstabilisent l’Ukraine. Or, il est notoire que ces actions et ces politiques bénéficient en Russie d’une très large couverture médiatique et sont très souvent présentées, par voie de propagande, au peuple russe comme étant pleinement justifiées.

98

En particulier, il y a lieu d’observer que, le 13 février 2014, le Collège public russe chargé des plaintes concernant la presse (ci-après le « collège russe ») a adopté une résolution à l’égard du requérant à la suite d’une plainte concernant l’émission « Vesti Nedeli » (nouvelles de la semaine), animée par celui-ci. À cette occasion, le collège russe a considéré que les propos tenus par le requérant lors de l’émission Vesti Nedeli diffusée le 8 décembre 2013 donnaient lieu à de la propagande qui présentait les événements s’étant déroulés le 30 novembre et le 1er décembre 2013 sur la place de l’Indépendance de Kiev (Ukraine) de manière biaisée et contraire aux principes de responsabilité sociale, d’innocuité, de vérité, d’impartialité et de justice qui s’imposaient aux journalistes, et ce afin de manipuler l’opinion publique russe par des techniques de désinformation.

99

Le requérant ne nie pas avoir tenu les propos sur lesquels le collège russe s’est prononcé dans sa résolution, mais fait valoir que la propagande est protégée par la liberté d’expression.

100

Par ailleurs, il convient de relever que le fait que le requérant ait mené des activités de propagande en faveur des actions et des politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine ressort également de la décision du Nacionālā elektronisko plašsaziņas līdzekļu padome (Conseil national des médias électroniques de Lettonie) du 3 avril 2014 (ci-après la « décision lettonne »), et de la décision du Lietuvos radijo ir televizijos komisija (Commission lituanienne de la radio et de la télévision) du 2 avril 2014, telle que sanctionnée par le Vilniaus apygardos administracinis teismas (Tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie) le 7 avril 2014 (ci-après la « décision lituanienne »), concernant la suspension, dans leurs pays respectifs, de la diffusion notamment d’émissions Vesti Nedeli auxquelles le requérant a participé.

101

Selon le requérant, les décisions lettonne et lituanienne sont des prises de position unilatérales sur lesquelles ni lui ni RS n’a pas pu se prononcer, si bien que le Conseil ne pourrait pas se fonder sur celles-ci.

102

En ce qui concerne ces décisions, en premier lieu, il convient d’observer que le Conseil, dans sa réponse écrite à une question du Tribunal, a indiqué que celles-ci avaient formellement été versées au dossier administratif le 1er février 2016.

103

Ainsi, s’il est clair que ces décisions font partie des preuves sur lesquelles sont fondés les actes de mars 2016, il en va différemment s’agissant des actes de mars 2015 et de septembre 2015.

104

À cet égard, ne saurait être suivie la thèse avancée par le Conseil, selon laquelle celui-ci connaissait le contenu des décisions lettone et lituanienne déjà lors de l’adoption des actes de mars 2015, puisque ces décisions avaient été rendues publiques, y compris en anglais, en avril et en octobre 2014. En effet, il ne saurait être présumé que le Conseil a eu connaissance de tout document concernant le requérant du simple fait que ce document était public.

105

En ce qui concerne le contenu de ces décisions, premièrement, il doit être relevé que le Conseil national des médias électroniques de Lettonie, sur la base d’un rapport établi par la police lettonne qui avait examiné les émissions Vesti Nedeli, notamment des 2 et 16 mars 2014, auxquelles le requérant a participé, a considéré que ces émissions faisaient de la propagande de guerre justifiant l’intervention militaire russe en Ukraine et assimilaient les défenseurs de la démocratie ukrainienne aux nazis, en transmettant le message que, si ces défenseurs étaient au pouvoir, ils répéteraient les crimes commis par les nazis.

106

Deuxièmement, le Vilniaus apygardos administracinis teismas (Tribunal administratif régional de Vilnius) a approuvé la conclusion de la Commission lituanienne de la radio et de la télévision selon laquelle l’émission Vesti Nedeli du 2 mars 2014, que celle-ci avait examinée, incitait à la haine entre les Russes et les Ukrainiens et justifiait l’intervention militaire russe en Ukraine ainsi que l’annexion à la Russie d’une partie du territoire ukrainien.

107

Or, de telles constatations, émanant d’autorités de deux États membres ayant examiné les émissions en cause, constituent des éléments de preuve solides du fait que le requérant s’est adonné à des activités de propagande en faveur des actions et des politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine.

108

Cela est d’autant plus vrai que, devant le Tribunal, le requérant n’a pas remis en cause les constatations contenues dans les décisions lettonne et lituanienne, mais s’est limité à soulever des objections formelles (voir point 101 ci-dessus).

109

À cet égard, il convient d’observer que les circonstances invoquées par le requérant n’ont aucune incidence sur la possibilité qu’il avait d’avancer, pendant la procédure devant le Tribunal, des arguments et des éléments de preuve remettant en cause le bien-fondé des constatations contenues dans lesdites décisions.

110

Par ailleurs, il doit être relevé que ni le requérant ni RS n’ont contesté les décisions lettone et lituanienne devant les juridictions nationales compétentes, alors que, à tout le moins en ce qui concerne la décision lettone, il résulte du dossier qu’elle était susceptible de recours.

111

Dans ces circonstances, il doit être conclu que, en s’appuyant sur la résolution du collège russe et, en ce qui concerne les actes de mars 2016, également sur les décisions lettonne et lituanienne, le Conseil pouvait considérer que le requérant avait fait de la propagande.

112

Or, l’adoption par le Conseil de mesures restrictives visant le requérant en raison de sa propagande en faveur des actions et des politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine ne peut pas être considérée comme étant une restriction disproportionnée à son droit à la liberté d’expression.

113

En effet, si tel était le cas, le Conseil se verrait dans l’impossibilité de poursuivre son objectif politique de faire pression sur le gouvernement russe en adressant des mesures restrictives non seulement aux personnes qui sont responsables des actions ou des politiques de ce gouvernement à l’égard de l’Ukraine ou aux personnes qui mettent en œuvre de telles actions ou politiques, mais aussi aux personnes apportant un soutien actif à ces dernières.

114

Conformément à la jurisprudence rappelée au point 74 ci-dessus, la notion de soutien actif vise les formes d’appui qui, par leur importance quantitative ou qualitative, contribuent à la poursuite des actions et des politiques du gouvernement russe qui déstabilisent l’Ukraine.

115

Cette notion ne se limite pas à un soutien matériel, mais couvre également le soutien que peut apporter le directeur de RS, qui est une « entreprise unitaire » de l’État russe, nommé par le président de cet État, auquel revient la responsabilité ultime des actions et des politiques que le Conseil condamne et auxquelles il souhaite réagir par l’adoption des mesures restrictives en cause.

116

À cet égard, il est, certes, vrai que, lors de l’appréciation de la proportionnalité des mesures restrictives concernant le requérant, il y a lieu d’examiner si celles-ci dissuadent les journalistes russes de s’exprimer librement sur des questions politiques d’intérêt général, telles que les actions et les politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine. En effet, il s’agirait là d’une conséquence nocive pour la société dans son ensemble (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 décembre 2004, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie, CE:ECHR:2004:1217JUD003334896, point 114).

117

Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que la situation du requérant présente la caractéristique spécifique, voire unique, qu’il fait de la propagande au soutien des actions et des politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine en utilisant les moyens et le pouvoir qui sont propres à la charge de directeur de RS, qu’il a obtenue en vertu d’un décret du président Poutine lui-même.

118

Or, les autres journalistes souhaitant s’exprimer, même par des propos qui heurtent, choquent ou inquiètent (voir point 90 ci-dessus), sur des questions relevant du discours politique et présentant un intérêt général (voir point 91 ci-dessus), telles les actions ou les politiques du gouvernement russe déstabilisant l’Ukraine, ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle du requérant, qui seul est titulaire de la charge de directeur de RS, en raison d’un choix délibéré du président Poutine.

119

D’ailleurs, le nom d’aucun autre journaliste ne figure dans les listes en cause et seule la motivation concernant un membre des autorités de la soi-disant « République populaire de Donetsk » a trait à des activités de propagande.

120

Les considérations qui précèdent suffisent, compte tenu également du large pouvoir d’appréciation dont bénéficie le Conseil (voir point 88 ci-dessus), pour établir que les limitations du droit à la liberté d’expression du requérant que les mesures restrictives en cause sont susceptibles d’entraîner sont nécessaires et ne sont pas disproportionnées, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est fondé démontrent que le requérant a incité à la violence ou a tenu des discours de haine.

121

Dès lors que les limitations à la liberté d’expression du requérant que les mesures restrictives en cause sont susceptibles de comporter à l’égard du requérant sont nécessaires et proportionnées au but recherché, il convient d’examiner la condition ayant trait à l’absence d’atteinte à la substance de cette liberté.

Sur l’absence d’atteinte à la substance de la liberté d’expression du requérant

122

En ce qui concerne la condition relative à l’absence d’atteinte à la substance de la liberté d’expression du requérant, il y a lieu de rappeler que les mesures restrictives en cause prévoient, d’une part, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher son entrée ou son passage en transit sur leur territoire et, d’autre part, un gel de ses fonds et de ses ressources économiques placés dans l’Union.

123

Or, le requérant est ressortissant d’un État tiers à l’Union, la Fédération de Russie, et réside dans cet État, où il exerce son activité professionnelle de directeur de RS. Partant, les mesures restrictives en cause ne portent pas atteinte à la substance du droit du requérant d’exercer sa liberté d’expression notamment dans le cadre de son activité professionnelle dans le secteur des médias, dans le pays où il réside et travaille (voir, par analogie, arrêt du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, point 190 et jurisprudence citée).

124

En outre, ces mesures ont un caractère temporaire et réversible. En effet, il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 que celle-ci fait l’objet d’un suivi constant et de l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 que la liste annexée à celui-ci est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

125

Il s’ensuit que les mesures restrictives imposées au requérant ne portent pas atteinte au contenu essentiel de sa liberté d’expression.

126

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens.

D – Sur le cinquième moyen, tiré du fait que le critère en cause serait incompatible avec le droit à la liberté d’expression et donc illégal, s’il permettait l’adoption de mesures restrictives à l’égard de journalistes exerçant ce droit

127

À titre subsidiaire, le requérant soulève une exception d’illégalité, au sens de l’article 277 TFUE, à l’égard du critère en cause, dans l’hypothèse où celui-ci serait interprété en ce sens qu’il permet d’adopter des mesures restrictives à l’égard de journalistes ayant exprimé des opinions que le Conseil juge discutables. Ce critère, ainsi interprété, serait disproportionné et manquerait de base juridique. Dans la réplique, le requérant précise que les articles 29 TUE et 215 TFUE ne permettent pas l’adoption d’actes contraires au droit à la liberté d’expression.

128

En premier lieu, le Conseil excipe de l’irrecevabilité du présent moyen, qui ne satisferait pas aux conditions prévues à l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

129

En second lieu, le Conseil expose que le critère en cause vise les activités de propagande et de désinformation qui apportent un soutien actif au gouvernement russe en ce qui concerne la déstabilisation de l’Ukraine et qu’un tel critère n’est pas contraire à la liberté d’expression.

130

Il résulte de l’examen des premier et deuxième moyens que le critère en cause doit être interprété de manière conforme au droit primaire, qui inclut les dispositions protégeant le droit à la liberté d’expression (voir points 64 à 70 ci-dessus).

131

Or, il a été conclu que le critère en cause pouvait être interprété et appliqué de manière conforme au droit primaire, y compris le droit à la liberté d’expression. Par ailleurs, il a été retenu que l’application de ce critère qui a été faite en l’espèce au cas du requérant ne violait pas son droit à la liberté d’expression, étant donné que les conditions légales prévues pour limiter cette liberté ont été respectées par le Conseil.

132

Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le présent moyen, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil.

E – Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

133

Le requérant, après un rappel des principes jurisprudentiels portant sur le respect des droits de la défense en matière de mesures restrictives, fait valoir que, bien que les actes de mars 2015 aient maintenu, et non inscrit pour la première fois, son nom sur les listes en cause, il n’a pas été informé au préalable des motifs de ce maintien, ni n’a reçu d’éléments de preuve sérieux, crédibles et concrets pouvant justifier celui-ci.

134

En particulier, premièrement, le requérant fait valoir que les actes de mars 2015 ont été adoptés avant que le Conseil ne réponde à sa demande d’accès au dossier contenue dans la lettre du 4 février 2015. Ainsi, il n’aurait pas pu se prononcer en connaissance de cause sur l’intention du Conseil de maintenir l’application de mesures restrictives à son égard.

135

Deuxièmement, le requérant avance que sa lettre du 25 février 2015 n’a pas été examinée avec soin et impartialité.

136

Le Conseil, en plus de contester sur le fond les arguments du requérant concernant la violation des droits de la défense, fait valoir que l’invocation par celui-ci, uniquement dans le titre du présent moyen, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective est irrecevable, dans la mesure où elle n’est pas conforme aux exigences minimales prévues à l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

137

À titre liminaire, il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, dès lors que le requérant n’a pas soulevé d’arguments visant spécifiquement la violation du droit à une protection juridictionnelle effective.

138

En effet, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, qui coïncide, en substance, avec l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Il faut, en effet, que, pour qu’un recours soit recevable, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice. Toujours selon une jurisprudence constante, tout moyen qui n’est pas suffisamment articulé dans la requête introductive d’instance doit être considéré comme irrecevable. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen. Cette fin de non-recevoir d’ordre public doit être relevée d’office par le juge de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2016, Italie/Commission, T‑384/14, EU:T:2016:298, point 38 (non publié) et jurisprudence citée].

139

S’agissant du grief concernant la violation des droits de la défense, il convient de rappeler que le droit fondamental au respect de ceux-ci au cours d’une procédure précédant l’adoption d’une mesure restrictive est expressément consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 102 et jurisprudence citée).

140

Dans ce contexte, il doit être observé que l’article 3, paragraphes 2 et 3, de la décision 2014/145 et l’article 14, paragraphes 2 et 3, du règlement no 269/2014 prévoient que le Conseil communique sa décision à la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné, y compris les motifs de l’inscription de son nom sur les listes en cause, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations. Si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné.

141

De plus, il importe de relever, tout d’abord, que, selon l’article 6, troisième alinéa, de la décision 2014/145, celle-ci fait l’objet d’un suivi constant. Ensuite, l’article 6, deuxième alinéa, de cette décision, dans sa version initiale, prévoyait qu’elle était applicable jusqu’au 17 septembre 2014, plusieurs prorogations ayant été décidées par des actes postérieurs. Enfin, selon l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014, la liste annexée à celui-ci est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

142

En l’espèce, le requérant n’a attaqué ni la décision d’exécution 2014/151 ni le règlement d’exécution no 284/2014, par lesquels le Conseil a procédé à la première inscription de son nom (voir point 3 ci-dessus). Ainsi qu’il l’a admis dans sa réponse écrite à une question du Tribunal, sa première réaction à l’adoption de ces actes a été l’envoi de la lettre du 4 février 2015, et ce bien que le Conseil, le 22 mars 2014, ait publié un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, mise en œuvre par la décision d’exécution 2014/151, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution no 284/2014 (JO 2014, C 84, p. 3).

143

Cet avis indiquait, notamment, que les personnes et entités concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leur nom avait été inscrit sur les listes annexées aux premiers actes attaqués, en y joignant des pièces justificatives.

144

Il s’ensuit que le requérant a attendu longtemps avant de demander au Conseil l’accès aux documents le concernant et le réexamen de sa situation.

145

Par ailleurs, il y a lieu de relever que, par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur les listes en cause avec la même motivation qu’auparavant. À cet égard, il convient de rappeler que, si, selon la jurisprudence, le Conseil n’était pas tenu d’entendre le requérant avant la première inscription de son nom, afin que les mesures restrictives le visant bénéficient d’un effet de surprise (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, points 110 à 113 et jurisprudence citée), il était, en principe, tenu de l’entendre avant de décider de maintenir son nom sur les listes en cause. Toutefois, le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes qui maintiennent des mesures restrictives à l’égard de personnes déjà visées par ces mesures s’impose lorsque le Conseil a retenu de nouveaux éléments à l’encontre de ces personnes et non lorsqu’un tel maintien est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial imposant les mesures restrictives en question (voir, par analogie, arrêt du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 67 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 33).

146

Or, en l’espèce, la motivation concernant le requérant dans les actes attaqués n’a pas changé en comparaison avec celle des actes par lesquels la première inscription de son nom a été décidée.

147

Dans ces circonstances, premièrement, le Conseil n’était pas dans l’obligation d’entendre le requérant avant d’adopter les actes attaqués.

148

Deuxièmement, il y a lieu de relever que, par la lettre du 13 février 2015 (voir point 10 ci-dessus), le Conseil a, en tout état de cause, invité le requérant à se prononcer sur l’éventuelle prolongation des mesures restrictives le concernant.

149

Il est, certes, vrai que le requérant, en dépit de sa demande du 4 février 2015, n’avait pas obtenu l’accès aux documents justifiant l’inscription de son nom lorsqu’il a présenté ses observations en réponse à l’invitation du Conseil.

150

Cependant, il doit être observé que, même à supposer que ladite demande, bien que formellement fondée sur le règlement no 1049/2001, puisse être considérée comme ayant été présentée dans le cadre de la procédure de réexamen visée par les dispositions mentionnées aux points 140 et 141 ci-dessus et puisse donc être pertinente afin d’apprécier si les droits de la défense du requérant ont été respectés en l’espèce, le Conseil ne peut pas se voir reprocher de ne pas avoir traité cette demande, dans un délai très bref, avant d’adopter les actes de mars 2015, alors que le requérant avait attendu presque onze mois avant de réagir à la première inscription de son nom et d’introduire une telle demande.

151

À cet égard, il convient de rappeler que, lorsque des informations suffisamment précises, permettant à la personne intéressée de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge par le Conseil, ont été communiquées, le principe du respect des droits de la défense n’implique pas l’obligation pour cette institution de donner spontanément accès aux documents contenus dans son dossier. Ce n’est que sur demande de la partie intéressée que le Conseil est tenu de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la mesure en cause (voir arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 97 et jurisprudence citée).

152

En l’espèce, puisque, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du quatrième moyen, la motivation des actes attaqués concernant le requérant, qui coïncide avec celle des actes ayant comporté la première inscription de son nom, était suffisante, le Conseil n’était pas tenu de prendre l’initiative de donner au requérant l’accès au dossier ou d’attendre l’issue de la demande que ce dernier avait finalement introduite, avant de décider de maintenir son nom sur les listes en cause. Le requérant savait, en effet, bien avant de recevoir la lettre du 16 mars 2015, qu’il était visé par des mesures restrictives en raison de ses activités de journaliste et de directeur de RS et il connaissait forcément les modalités selon lesquelles il avait exercé ces activités.

153

Troisièmement, et à titre surabondant, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent. En l’espèce, le requérant n’a pas expliqué quels étaient les arguments et les éléments qu’il aurait pu faire valoir s’il avait reçu les documents en cause plus tôt, ni n’a démontré que ces arguments et éléments auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent, c’est-à-dire au non-renouvellement à son égard des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, points 106 à 108 et jurisprudence citée). Ainsi, le présent moyen ne pourrait, en tout état de cause, entraîner l’annulation des actes attaqués.

154

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

155

Tous les moyens invoqués par le requérant ayant été écartés, il convient de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

156

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

M. Dmitrii Konstantinovich Kiselev est condamné aux dépens.

 

Berardis

Tomljenović

Spielmann

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 2017.

Signatures

Table des matières

 

Faits à l’origine du litige

 

Procédure et conclusions des parties

 

En droit

 

A – Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’accord de partenariat

 

B – Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

 

C – Sur les premier et deuxième moyens, tirés d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’application du critère en cause à la situation du requérant et de la violation du droit à la liberté d’expression

 

1. Sur l’étendue du contrôle juridictionnel

 

2. Sur l’interprétation du critère en cause à la lumière du droit primaire, notamment de la liberté d’expression

 

a) Sur la condition selon laquelle toute restriction de la liberté d’expression doit être « prévue par la loi »

 

b) Sur la poursuite d’un objectif d’intérêt général

 

c) Sur le caractère non excessif des mesures restrictives frappant le requérant

 

Sur le caractère nécessaire et proportionné des limitations

 

Sur l’absence d’atteinte à la substance de la liberté d’expression du requérant

 

D – Sur le cinquième moyen, tiré du fait que le critère en cause serait incompatible avec le droit à la liberté d’expression et donc illégal, s’il permettait l’adoption de mesures restrictives à l’égard de journalistes exerçant ce droit

 

E – Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

 

Sur les dépens


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

Top