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Document 62011CO0483

Ordonnance de la Cour (sixième chambre) du 14 décembre 2011.
Andrei Emilian Boncea et autres (C-483/11) et Mariana Budan (C 484/11) contre Statul român.
Demande de décision préjudicielle: Tribunalul Argeş - Roumanie.
Renvoi préjudiciel - Articles 43, 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, du règlement de procédure - Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Indemnisation des personnes ayant subi des condamnations à caractère politique sous le régime communiste - Droit à la réparation du préjudice moral subi - Absence de mise en œuvre du droit de l’Union - Incompétence manifeste de la Cour.
Affaires jointes C-483/11 et C-484/11.

Recueil de jurisprudence 2011 -00000

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:832

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

14 décembre 2011 (*)

«Renvoi préjudiciel − Articles 43, 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, du règlement de procédure − Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Indemnisation des personnes ayant subi des condamnations à caractère politique sous le régime communiste – Droit à la réparation du préjudice moral subi − Absence de mise en œuvre du droit de l’Union − Incompétence manifeste de la Cour»

Dans les affaires jointes C‑483/11 et C‑484/11,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunalul Argeş (Roumanie), par décisions des 4 avril et 4 juillet 2011, parvenues à la Cour le 20 septembre 2011, dans les procédures

Andrei Emilian Boncea,

Filofteia Catrinel Boncea,

Adriana Boboc,

Cornelia Mihăilescu (C‑483/11),

Mariana Budan (C‑484/11)

contre

Statul român,

en présence de:

Iulian-Nicolae Cujbescu (C‑484/11),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. U. Lõhmus, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh (rapporteur) et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»), l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 (ci-après la «Déclaration universelle»), la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte») ainsi que sur les traités de l’Union européenne.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, M. Boncea ainsi que Mmes Boncea, Boboc et Mihăilescu et, d’autre part, Mme Budan au Statul român (État roumain) au sujet de leurs demandes tendant à obtenir réparation du préjudice moral subi par eux-mêmes et par leurs parents en raison des condamnations à caractère politique infligées à ces derniers au cours, respectivement, des années 1949 et 1959, sous l’ancien régime communiste.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 5, paragraphe 5, de la CEDH prévoit que toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

4        L’article 8 de la Déclaration universelle dispose que toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi.

 Le droit de l’Union

5        L’article 6 TUE est libellé comme suit:

«1.      L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la [charte], laquelle a la même valeur juridique que les traités.

Les dispositions de la [c]harte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités.

[...]

2.      L’Union adhère à la [CEDH]. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les traités.

3.      Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux.»

6        L’article 1er de la charte dispose:

«La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.»

7        L’article 2 de la charte est libellé comme suit:

«1.      Toute personne a droit à la vie.

2.      Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.»

8        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la charte, toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.

9        Conformément à l’article 4 de la charte, nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

10      L’article 47, premier et deuxième alinéas, de la charte dispose:

«Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire concilier, défendre et représenter.»

 Le droit national

11      En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la loi 221 concernant les condamnations à caractère politique et mesures administratives assimilées [à de telles condamnations], prononcées dans la période comprise entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 (legea 221 privind condamnarile cu caracter politic si masurile administrative asimilate acestora, pronuntate in perioada 6 martie 1945 - 22 decembrie 1989), du 2 juin 2009 (Monitorul Oficial al României, n° 396 du 11 juin 2009, ci-après la «loi n° 221/2009»), une condamnation présente un caractère politique lorsqu’elle a été prononcée pour les faits visés notamment par les dispositions des articles 209, 210 et 227 du code pénal en combinaison avec les articles 101 et 103 du même code, dans sa version applicable en 1949.

12      L’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 221/2009 dispose:

«Toute personne qui a fait l’objet d’une condamnation à caractère politique au cours de la période comprise entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 ou qui a fait l’objet de mesures administratives à caractère politique ainsi que, après le décès de cette personne, son époux et ses descendants jusqu’au deuxième degré inclus peuvent demander à la juridiction visée à l’article 4, paragraphe 4, dans un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, que l’État soit condamné à:

a)      accorder des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de la condamnation, d’un montant allant jusqu’à:

1.      10 000 euros pour la personne qui a fait l’objet d’une condamnation à caractère politique durant la période comprise entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 ou qui a fait l’objet de mesures administratives à caractère politique;

2.      5 000 euros pour l’époux/épouse et les descendants au premier degré;

3.      2 500 euros pour les descendants au deuxième degré».

13      Il ressort des décisions de renvoi que, par décision n° 1358/2010, du 21 octobre 2010, la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) a jugé que les dispositions de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 221/2009 violent la Constitution.

14      Conformément à l’article 31, paragraphe 3, de la loi n° 47/1992 sur l’organisation et le fonctionnement de la Curtea Constituțională, les dispositions des lois et des ordonnances en vigueur jugées inconstitutionnelles cessent de produire leurs effets juridiques 45 jours après la publication de la décision de ladite Cour à moins que, durant cette période, le Parlement ou le gouvernement, selon le cas, ne mette les dispositions inconstitutionnelles en accord avec les dispositions de la Constitution. Durant cette période, les dispositions jugées inconstitutionnelles sont suspendues de plein droit.

15      Une disposition similaire est prévue à l’article 147, paragraphe 1, de la Constitution roumaine.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Affaire C‑483/11

16      M. Boncea et Mmes Boncea, Boboc et Mihăilescu sont des descendants au premier degré de feu M. Andrei Boncea, né le 9 janvier 1924 et décédé le 5 avril 2000.

17      Ce dernier a été condamné à trois ans d’incarcération correctionnelle et à deux ans d’interdiction correctionnelle par jugement pénal n° 149 du 31 janvier 1949, pour l’organisation et la participation à un groupement de type fasciste, politique et paramilitaire.

18      Les requérants au principal ont demandé, devant le Tribunalul Argeş, la condamnation du Statul român à leur payer la somme de 25 000 euros, conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 221/2009, en réparation du préjudice moral subi en raison de la condamnation abusive dont leur père a fait l’objet. Ils font valoir à cet égard que ce dernier a purgé une peine de plus de 60 mois de privation de liberté dans des conditions de détention inhumaines et que cette condamnation a eu des conséquences sur sa vie ultérieure.

19      Après avoir cité l’article 5 de la CEDH et l’article 8 de la Déclaration universelle, la juridiction de renvoi constate que les dispositions du droit de l’Union confèrent un droit à réparation à toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation à caractère politique contraire aux dispositions légales et que l’article 5 de la loi n° 221/2009, tel qu’il a été modifié par la décision n° 1358/2010 de la Curtea Constituțională, interdit ce droit.

20      C’est dans ces conditions que le Tribunalul Argeş a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions de l’article 5 de la loi n° 221/2009, telles que modifiées par la décision de la Curtea Constituțională n° 1358/2010 du 21 octobre 2010, violent-elles l’article 5 de la [CEDH] et l’article 8 de la Déclaration universelle [...]?

2)      L’article 5 de la [CEDH] et l’article 8 de la Déclaration universelle [...] s’opposent-ils à une réglementation nationale qui, en conséquence d’une exception d’inconstitutionnalité, permet de restreindre le droit d’une personne qui a fait l’objet d’une condamnation politique par une décision de justice contraire aux dispositions légales d’obtenir un dédommagement matériel pour le préjudice moral subi?»

 Affaire C‑484/11

21      Mme Budan, requérante au principal, et M. Cujbescu, partie intervenante au principal, sont les descendants au premier degré de M. Nicolae Andreescu et de Mme Maria Andreescu.

22      Il ressort de la décision de renvoi que ces derniers ont fait l’objet de condamnations par jugements pénaux n° 107/1959 et n° 119/1959. À la date de l’arrestation de leurs parents, de leur condamnation à mort et de leur exécution, la requérante au principal avait huit ans et la partie intervenante au principal, dix ans.

23      La requérante au principal et la partie intervenante au principal ont formé un recours devant la juridiction de renvoi afin d’obtenir la constatation du caractère politique desdites condamnations et la condamnation du Statul român à une réparation équitable du préjudice moral subi par les condamnés et par eux-mêmes, de la date de ces mêmes condamnations jusqu’à ce jour. Le préjudice est évalué à la somme de 3 000 000 euros.

24      La juridiction de renvoi explique que, en raison de la décision n° 1358/2010 de la Curtea Constituțională relative à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 221/2009, la demande de la requérante au principal et de son frère se trouve dépourvue de fondement juridique.

25      C’est dans ces conditions que le Tribunalul Argeş a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«En vertu de l’interprétation que la Cour donne aux principes fondamentaux consacrés par la [charte] et en vertu des traités de l’Union européenne, dans une situation de vide réglementaire en droit interne (en conséquence de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 5 de la loi n° 221/20[09]), la requérante, Mariana Budan, et l’intervenant, Iulian-Nicolae Cujbescu, en tant que victimes du régime communiste et actuels citoyens de l’Union européenne, ont-ils le droit à une réparation du préjudice moral?»

 Sur la compétence de la Cour

26      En vertu des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, de son règlement de procédure, lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître d’une demande de décision préjudicielle, la Cour, l’avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

27      Les présentes affaires étant connexes par leur objet, il convient également, conformément à l’article 43 de ce même règlement, de les joindre aux fins de la présente ordonnance.

28      Saisie au titre de l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer sur l’interprétation des traités ainsi que sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union. La compétence de la Cour est limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union (voir ordonnances du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a., C‑339/10, non encore publiée au Recueil, point 11, ainsi que du 1er mars 2011, Chartry, C‑457/09, non encore publiée au Recueil, point 21).

29      S’agissant des exigences découlant de la protection des droits fondamentaux, il est de jurisprudence constante qu’elles lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union (voir ordonnances précitées Asparuhov Estov e.a., point 13, ainsi que Chartry, point 22).

30      De même, l’article 51, paragraphe 1, de la charte énonce que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.

31      Au demeurant, cette limitation n’a pas été modifiée par l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne, depuis laquelle, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, UE, la charte a la même valeur juridique que les traités. Cette disposition précise en effet que les dispositions de la charte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités (ordonnance Chartry, précitée, point 24).

32      Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle-ci (voir arrêt du 5 octobre 2010, McB., C‑400/10 PPU, non encore publié au Recueil, point 51, ainsi que ordonnance du 22 juin 2011, Vino, C‑161/11, points 25 et 37).

33      Il s’ensuit que, lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation par la juridiction nationale de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux, tels qu’ils résultent en particulier de la charte (voir, en ce sens, arrêts du 29 mai 1997, Kremzow, C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 15, ainsi que du 15 novembre 2011, Dereci e.a., C‑256/11, non encore publié au Recueil, point 72).

34      Étant donné que les décisions de renvoi ne contiennent aucun élément concret permettant de considérer que la loi n° 221/2009 vise à mettre en œuvre le droit de l’Union, la compétence de la Cour pour répondre aux présentes demandes de décision préjudicielle n’est pas établie.

35      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le Tribunalul Argeş.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le Tribunalul Argeş (Roumanie) par décisions des 4 avril et 4 juillet 2011.

Signatures


* Langue de procédure: le roumain.

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